Amaryllis au Pays de Glace : Chapitre 2

From Baka-Tsuki
Jump to navigation Jump to search

Chapitre 2 : Le secret des maîtres[edit]

Partie 1[edit]

— Je peux t'éclater la face avec juste un doigt.

— Qu-Qu'est-ce t'as dit ?!

— T'es trop naze, Gappy.

La personne insultante est une fille de petite taille, Daisy Stalk.

Elle a une langue de vipère. Elle a l'apparence d'une petite fille avec une douce chevelure noisette, mais en réalité, c'est une fille intenable et têtue comme une mule.

— J-Je vais pas être jeté à la casse.

Et celui qui a faiblement répondu est un robot encore plus petit que Daisy. Il avait une tête demi-sphérique, un grisâtre torse rondouillard et des chenilles démodées en guise de jambes.

— J-J-J-Je suis... pas un tas de ferrailles.

Sa réponse manque de mordant malgré sa colère, à cause d'une corruption de données lors de l'installation de sa voix.

— J-J-J-J-J-Je... Gappy.

De la fumée blanche s'échappe de la tête de Gappy. À chaque fois qu'il s'agite, il a un court-circuit, et le bruit qu'il fait dans ces moments-là lui ont valu ce surnom.

Daisy pointe son joli doigt en direction de Gappy, et jubile comme pour déclarer sa victoire :

— T'as vu, t'es cassé ! T'es bon pour la casse ! La casse ! La casse !

— N-Non... Ga-Ga... Gaapppppyyy... réplique Gappy, incapable de prononcer une phrase cohérente tout en se ruant sur Daisy.

Hélas pour lui, son attaque soudaine est facilement esquivée.

— Raté, l'ahuri !

— B-B-Bordel !

(Sérieux, encore ?)

— Bon, ça suffit.

Je m'interpose entre les deux.

— Daisy, arrête d'embêter Gappy.

— J'ai rien fait !

— Le maître nous l'a déjà dit, non ? « Il n'y a rien à gagner des querelles » et « l'harmonie est magnifique ».

— Mais on s'entend super bien pourtant ! répond Daisy.

Cette enfant est vraiment têtue.

— Ça va, Gappy ? lui demandé-je, inquiète.

Sa tête dégage énormément de fumée, et on peut voir des vis sortir de ses oreilles par moments.

— J-J-J-Je vais bien...

Ce n'est pas du tout l'impression qu'il donne.

— Bah, peu importe. On ira voir Viscaria tout à l'heure pour qu'elle t'examine.

Je ramasse les vis et l'aide à se relever.

— Mer... ci, Amar... ryllis, me remercie Gappy, toujours avec sa voix défectueuse.

— On ferait mieux de se débarrasser de ce tas de ferrailles au plus vite.

— Hé, Daisy. Tu devrais pas dire ça.

— Mais c'est la vérité. Il a voulu manger mes bonbons au diesel.

— Je t'ai déjà dit de pas tout garder pour toi, non ? Dans ces cas-là, il faut faire moitié-moitié.

— Hmph.

— Bon, et sinon, pourquoi vous vous disputiez encore ? demandé-je.

Daisy explique alors comment leur dispute a commencé, sans prendre de gants.

Elle raconte qu'ils jouaient à « cheval » ce matin. Gappy était le « cheval » et Daisy était assise sur lui tout en criant « Taïaut, au galop ! ». Mais au bout de la troisième fois, Gappy a perdu l'équilibre, et Daisy est tombée tête la première sur le sol.

— Pourquoi vous jouiez à ça ?

— On répétait.

— Répéter pour quoi ?

— Ben, pour la fête de la prière, pardi.

— Ahh, je vois.

La fête de la prière a lieu tous les ans, c'est un rituel où l'on prie pour les maîtres endormis dans Blanche Neige.

— Qu'est-ce que tu vas faire cette année, Amaryllis ?

— Hmm, sûrement une berceuse. Comme l'an dernier.

— Et t'y vas avec qui ?

— J'ai pas encore décidé.

Il y a une estrade lors de la fête, où les villageois se « produisent ». Il n'y a pas de règles particulières, on peut chanter, danser, faire un tour de magie — bien entendu, « jouer à cheval » aussi.

— C'est moi qui gagnerai le prix cette année ! Tiens-toi prête, Amaryllis !

Daisy esquisse un sourire plein de confiance tout en m'enlaçant.

— C'est noté.

Je lui retourne son sourire.

— Moi aussi... Ga, va faire de son mieux... ppy, nous interrompt Gappy.

Daisy se remet à crier « Faut qu'on répète ! » avant de sauter sur lui. Elle s'assit sur ses épaules, ça ne ressemble pas trop à jouer à cheval.

— Attends, Gappy a besoin d'un check-up.

— Il sera bientôt irréparable de toute façon.

— Peu importe, Gappy doit donner la priorité à sa réparation... Viscaria ! Viscaria ! appelé-je à travers le réseau de communication sans-fil.

La plupart des villageois sont dotés de récepteurs sans-fil, et tant qu'il y a du réseau, on peut contacter n'importe qui à n'importe quel moment.

Dix secondes plus tard.

— Un souci, Amaryllis ?

La voix de Viscaria résonne dans mon esprit.

— Gappy a fait un court-circuit. Tu peux jeter un œil ?

— Quoi ? Encore ? Ok, je m'en charge.

— Je compte sur toi.

— Bon, pas de répétition avant l'arrivée de Viscaria, dis-je à Daisy après avoir raccroché.

— Ga... ppy, puis-je entendre derrière moi alors que je m'éloigne.


Partie 2[edit]

« Amaryllis, je veux un câlin ! » « Porte-moi sur tes épaules ! » « Caresse-moi la tête ! »

Je suis de retour au village, et les enfants s'approchent de moi. Dès que ça arrive, je m'exécute. Fille ou garçon, les robots enfant aiment être cajolés.

Après avoir joué avec eux pendant environ cinq minutes, « Désolé. » « À bientôt. » « À la prochaine. » Je m'excuse tout en repoussant les enfants qui forment un cercle autour de moi. Si je devais les satisfaire complètement, j'en aurais pour toute la nuit.

— Bon, les enfants, par ici, tendez les mains !

Les maisons bâties à même la glace sont alignées les unes à côté des autres, formant un somptueux paysage blanc et argenté. Les enfants jouent à des jeux dans le jardin de la crèche, et il reste environ deux semaines avant la fête de la prière, alors tout le monde s'entraine sans penser à autre chose.

(Bon, et maintenant ?)

J'entends les jolies voix chantantes des enfants, alors que je réfléchis.

(Le problème, c'est cette règle.)

Tous les ans, il y a une nouvelle règle lors de la fête, et cette année, il s'agit de former des paires mixtes. Par exemple, celle de l'an dernier était de former un duo avec un enfant, et celle d'avant de former des groupes de trois ou quatre personnes. Chaque fête aurait été trop similaire à la précédente si on ne changeait pas un peu les règles, mais malgré tout, c'était un peu délicat.

(Il faut que je trouve quelqu'un.)

J'ai eu l'embarras du choix quand il a été question d'enfant l'an dernier. Cette année par contre, la règle est « d'un partenaire du sexe opposé et du même âge ». Mon point fort est clairement le chant, alors il faut que je trouve un garçon qui peut faire un duo avec moi.

— Raah... Et maintenant, il faut que je trouve quelqu'un, et on peut pas dire que je croule sous les choix...

Au moment où je marmonne ça,

— Et moi alors ?

Soudain, une main se pose sur mon épaule.

— Bas les pattes, toi.

Je pince la main.

— Aïeuh, ça fait mal, crie Eisbahn de façon prétentieuse, tout en recoiffant sa chevelure blonde dont il est si fier. Fais pas ta timide, voyons.

— Hein ?

— Qu'est-ce que tu dis d'un long baiser passionné ? Avec ça, à nous le prix du jury.

— Je préférerai encore être transformée en tas de ferrailles.

Je lève les yeux au ciel, et lui hausse les épaules, ne montrant aucun signe de remise en cause.

— Et j'ai déjà trouvé avec qui je vais participer.

— Ah oui ? Qui donc ?

— Euh... Götz.

— T'es sérieuse ? Ce fou furieux fera jamais l'affaire. Il pourrait pas chanter ou danser même si sa vie en dépendait.

— Le maire alors...

— Mais c'est un vieillard ! Tu manques pas d'enthousiasme en général, mais c'est pas trop ça quand il est question de mecs.

— L-La ferme. Je saute pas sur tout ce qui bouge, contrairement à toi. Et puis...

Et à cet instant précis.

Boum ! Un énorme grondement résonne dans tout le village.

— Hein...?

C'est un séisme. Le monde de glace souterrain tremble sous l'intense secousse. Avant que je m'en rende compte, mes mains sont posées par terre.

Le tremblement dure une dizaine de secondes. Cependant, comme ce n'est pas arrivé depuis un moment, ce séisme a causé une grande agitation dans le village, et tous les enfants sont en pleurs.

— Hé, ça va, Amaryllis ?

— Euh, je crois...

(Il était vraiment fort...)

Je regarde autour de moi, les bâtiments aux alentours ne semblent pas avoir été endommagés. Hélas, comme un intense séisme pouvait être précurseur d'un autre, il nous faut sûrement aller jeter un œil.

Et au moment où je pense à ça :


— À tous les Sénateurs, réunion d'urgence. Je répète. À tous les Sénateurs, réunion d'urgence !


L'ordre du maire se diffuse dans le réseau, et Eisbahn et moi nous échangeons un regard avant de nous mettre en route.

Partie 3[edit]

Tous les autres membres sont déjà arrivés au moment où l'on pénètre dans le bureau du maire.

La « tête », le maire Camomille, est sur la table, avec la « mécano » Viscaria à ses côtés. Assis de l'autre côté, se trouve Götz, surnommé « le Bras de Métal ».

— Rien de cassé tous les deux ?

Götz lève son imposant bras droit pour nous saluer avec entrain.

— Oui, ça va.

— Bien reçu.

Il a tendance à parler de façon formelle, comme si c'était une pièce de théâtre, sûrement parce qu'il était à la base un robot comédien et qu'il avait retiré la peau artificielle de son visage pour pouvoir jouer toutes sortes de personnages sur scène. Du coup, tout ce qui reste de l'expression de son visage, ce sont les ridules entre ses sourcils et le sourire sur ses lèvres, et même quand il est juste assis comme ça, il fait un peu peur. Il porte un masque sur la tête, et quand il porte son costume noir, il ressemble à un mannequin déguisé en soldat, ce qui donne une impression vraiment surréaliste.

— Désolés pour le retard.

— Non, ce n'est rien. Je viens juste d'arriver moi-même, acquiesce Götz avec un visage impassible.

Il peut faire peur au premier abord, mais c'est en fait quelqu'un de gentil. Nous cinq, lui inclus, sommes les « Sénateurs ».

Ici, les Sénateurs font référence aux membres du « Comité ». En gros, il y a deux types d'organes de prise de décision dans cette ville. Quand ça implique des problématiques d'approvisionnement, d'organisation de maintenance ou le programme de la fête de la prière, c'est le « Comité » qui tranche. Par contre, quand il est question de sujet qui peut affecter l'avenir du village tout entier, on organise un « Conseil du village » où tout le monde prend part.

— Il n'y a pas de raison particulière d'organiser cette réunion. On va juste faire le point sur le séisme qui vient d'avoir lieu, commence le maire.

La tête roule le long de la table.

— Tout d'abord, jetez un œil à ça. Cartoiseau.

En réponse à sa voix, la table devant nous se met à émettre une faible lueur, et une carte fait son apparition sur un objet ressemblant à une fourmilière. C'est la « Cartoiseau », une carte qui représente le village entier.

— Ah ! s'écrie Viscaria.

— « L'aile droite » est bloquée.

— Effectivement.

Nous regardons tous ensemble la carte. Il y a une lumière rouge clignotant sur le chemin menant à « l'aile droite ». Ce signal indique un problème.

Traditionnellement, on décrit la forme du village par un « oiseau ». Le centre est appelé le « corps », c'est la zone centrale où vivent plus de 80% de la population. Aux quatre coins du corps, se trouvent six sections : la « tête », la « queue », « l'aile droite », « l'aile gauche », le « pied droit » et le « pied gauche ». Soit dit en passant, « Blanche Neige » se situe dans la « tête », et nous nous trouvons actuellement dans le « corps ». S'il y a autant de zones, ce n'est pas uniquement parce que le « corps » est trop petit pour accueillir tout le monde, mais cela permet également d'éviter une extermination complète de la population en cas d'effondrement.

La partie indiquée par le signal lumineux est une des banlieues, une zone résidentielle appelée « l'aile droite ». C'est un endroit que Viscaria est allée approvisionner la veille.

— Elle est bloquée ? Et la route secondaire ? demandé-je.

— Idem, répondit la tête du maire tout en roulant. Non seulement la route entre l'aile et le corps est coupée, mais c'est également le cas de celle qui rallie l'aile droite au pied droit.

— On a des nouvelles de la population locale ?

— Cattleya vient tout juste de nous faire un rapport. Il y a juste quelques blessés légers qui devraient être sur pied assez rapidement.

— Vraiment ? Dieu merci...

Pour l'instant, je pousse un soupir de soulagement.

— C'est tout ? Juste un effondrement alors ? grommelle Eisbahn, tout en posant ses pieds sur la table. Ça arrive souvent en ce moment, non ? Je peux rentrer chez moi maintenant ?

— Hé, sois sérieux.

— Mais on se fait chier là.

— Ça te dirait d'avoir un tant soit peu de sens des responsabilités ?

— C'est envisageable, si tu passes la nuit avec moi.

Eisbahn esquisse un sourire à pleine dents, ce qui émet un léger éclat lumineux, alors qu'il passe une main dans sa chevelure dorée. Ce type est irrécupérable.

— Il faut se serrer les coudes dans les moments difficiles... Tel est l'enseignement de nos maîtres, commente Götz d'un air sérieux.

— Ta gueule toi, on t'a pas sonné, réplique Eisbahn en le fusillant du regard.

— Je ne fais que donner les règles de base.

— Toujours à aboyer non-stop, tu vas la fermer oui, sale bouffon ?

Eisbahn le dévisage avec ses yeux bleus, tandis que le masque argenté de Götz le regarde avec un air sinistre. Il n'est pas rare de voir Götz de la faction des durs à cuire se disputer avec Eisbahn de la faction des flirteurs.

— ... Ça suffit ! se dépêche de couper le maire pour revenir au sujet principal.

Il lui arrive tout le temps de devoir taper du poing sur la table.

— Bon, il faut qu'on s'assure de remettre en service les routes. Des vies sont en jeu si on ne peut plus les approvisionner... Viscaria ?

— Oui...?

Viscaria se gratte la tête alors qu'elle regarde la carte.

— En tant que mécano du village, quel est ton avis ?

— Je pense... répond Viscaria sans quitter la carte des yeux, Je pense qu'on devrait commencer par la route secondaire.

— Hein ? Mais la route principale est plus proche, non ? demandé-je vu que cela paraît évident.

Les routes partant du « corps » vers les périphéries sont appelées « routes principales ». Par analogie, toutes les autres sont appelées « routes secondaires ». Elles sont plus étroites et sont uniquement utilisées en cas d'urgence.

— Bien sûr que j'aimerais utiliser la route principale...

Viscaria pianote sur le panneau de contrôle avec sa main et l'affichage sur l'écran change.

— Comme on peut le voir, la route principale menant à l'aile droite est très proche des câbles d'alimentation de Blanche Neige. Si jamais on doit avoir recours à des explosifs pour déblayer la route, il va falloir faire très attention aux potentiels impacts sur Blanche Neige. Par contre...

Viscaria fait basculer une nouvelle fois l'affichage.

— D'un autre côté, il n'y a aucun bâtiment sur la route secondaire entre le pied droit et l'aile droite, du coup, aucun souci en cas d'utilisation d'explosif. En tant que mécano, c'est cette option que je privilégie.

— Je vois.

Je suis d'accord avec son explication, alors je fais une synthèse de tout ce qui a été dit. Il ne faut pas que cette réunion s'éternise.

— Je valide la proposition de Viscaria. On peut toujours réparer la route principale après... Qu'est-ce que vous en pensez ?

— Je suis d'accord, acquiesce Götz.

— Je dois avouer que j'ai été convaincu, répond le maire à son tour.

— ... Bah, si Viscaria le dit, ça me va.

Eisbahn retire ses pieds de la table avec un air peu enthousiaste tout en faisant craquer sa nuque.

— Alors c'est décidé !

Je me lève et regarde tout le monde.

— Départ dans trente minutes. Rendez-vous à l'entrée sud-est dès que vous êtes prêts ! Ne soyez pas en retard !

Partie 4[edit]

On se rassemble et nous mettons au travail sans plus attendre.

Les personnes impliquées sont Eisbahn, Götz, Viscaria et moi. Le maire est resté dans le hall du village, en cas d'imprévu.

— C'est...

Au bout du long tunnel, une heure après notre départ, on arrive au pied droit.

Une fois sur place, je suis abasourdie. L'opération du jour consiste à réparer la route secondaire entre le pied droit et l'aile droite, mais les dégâts sont plus importants que prévus. Le tunnel menant directement à l'aile droite s'est complètement effondré, et il y a de gros blocs de glace obstruant l'entrée. Ils sont si hauts qu'on doit lever la tête pour en voir le bout.

— Ça craint, marmonne Eisbahn, tout en tapotant les immenses blocs de glace devant nous.

Nous n'avons pas connu pareils dégâts depuis dix ans.

— C'est à mon tour de jouer.

Götz aux bras métalliques se propose volontaire.

— Alors qu'est-ce que t'attends ? le raille Eisbahn en mimant un balayement de la main.

— Hé, toi aussi, au boulot !

— Tss... Fait chier.

— Ça suffit, dépêche-toi ! me dépêché-je de pousser mon peu enthousiaste de collègue, tout en soupirant.

— Eisbahn, tu t'occupes de la droite, et toi Götz, tu prends la gauche !

« Pigé. » « À vos ordres. »

Eisbahn et Götz se mettent chacun de leur côté en face des gros blocs de glace.

— Les actes sont fugaces. Le monde est en perpétuel changement.

Götz se courbe légèrement et tend son bras droit. Ce bras, aussi épais que les hanches d'une femme, émet une lumière rouge, et on peut voir l'énergie s'y concentrer.

— Fracture !

Suite à ce cri, le bras droit de Götz fonce droit sur le bloc de glace. Des fissures en forme de toile d'araignée s'étendent sur le bloc, et en un grand détonement, il éclate en mille morceaux. Telle est la puissance du « Bras de Métal » de Götz, le robot le plus puissant du village.

— Allez, Eisbahn, mets-toi au boulot !

— C'est bon, c'est bon, j'ai pigé ! Ah là là, quelle plaie, grommelle-t-il tout en levant son poing droit au-dessus de sa tête.

Ses doigts se mettent à émettre une lueur bleue, juste avant qu'il fasse un mouvement diagonal avec son bras. Puis, une lumière se dégage du bloc de glace, alors qu'il se retrouve coupé en deux. C'est la « Lame Fantôme » dont Eisbahn est si fier, l'arme la plus tranchante du village.

La lumière bleue se remet à scinder les blocs de glace en deux. Il y a un bruissement et une lumière rouge à côté de lui, alors que les blocs se mettent à tomber les uns après les autres. Ils ne s'entendent pas du tout, et pourtant, ils sont d'une étrange complémentarité.

— Eh ben, ils sont trop forts ces deux-là...! s'exclame Viscaria.

— Pas autant que toi, Viscaria.

— Hein ?

— L'opération d'aujourd'hui, la réparation de la glacemobile, la maintenance des villageois. Tout ça, c'est grâce à toi, non ? C'est grâce à toi qu'on est toujours en vie, la complimenté-je.

Viscaria se met soudain à paniquer avant de dire :

— Ah, c'est rien de spécial...

Elle réajuste son béret en le tirant très fort vers le bas, et son visage en dessous devient légèrement rouge. C'est le deuxième robot le plus âgé du village après le maire Camomille, mais elle manque vraiment de confiance en elle. Je trouve ça vraiment mignon.

« Et voilà. » « On a fini ! »

Les voix du duo se font entendre de la pile d'éclats de glace. C'est vraiment incroyable de voir d'aussi gros blocs de glace être réduits en miettes comme ça.

— Bien joué, les gars ! Je m'occupe du reste !

Je monte sur la glacemobile et démarre le moteur. C'est à mon tour de jouer.

Une fois m'être assurée que tout le monde est sur la remorque, j'appuie sur l'accélérateur. En un clic, le phare des roues avant s'allument. C'est une « lampe à usages multiples capable d'émettre des ondes de chaleur » — ou « petit soleil » pour les intimes, une machine unique en son genre qui émet des rayons semi-sphériques.

— On y va !

J'avance la glacemobile. À deux kilomètres par heure, plus lentement qu'en marchant.

Les éclats de glace me bloquent le passage. Je maintiens ma vitesse tout en laissant le « petit soleil » les toucher, et en un clin d'œil, de la vapeur blanche se dégage alors que les amas de glace devant moi rapetissent comme si on les avait jetés dans de l'eau bouillante. Ce petit soleil est vraiment un must pour faire fondre la neige.

— Ouaip, il est vraiment pratique ce petit soleil, acquiesce Viscaria d'un air satisfait.

— Bon, on y va ! Cramponnez-vous ! crié-je tout en serrant le guidon.


Partie 5[edit]

Aidée par l'aveuglant « soleil », je progresse lentement. Les blocs de glace bouchant le tunnel s'évaporent bruyamment alors qu'ils sont touchés par le soleil, et de la vapeur blanche se dégage dans notre champ de vision, ce qui limite notre visibilité à pas plus de trois mètres.

— Ahhh haaa, qu'est-ce qu'on s'éclate.

À peine quinze minutes après avoir pénétré dans le tunnel, Eisbahn se plaint déjà. Il est allongé dans la remorque attachée à la glacemobile, avec un air morose.

— Encore combien de temps ?

— Hm... Trois heures peut-être ? répond laconiquement Viscaria.

— Tss... s'agace Eisbahn. On peut pas aller plus vite ?

— Non. On risque un second effondrement sinon, répond calmement Viscaria.

Tout ce qu'Eisbahn trouve à dire, c'est :

— J'en ai ma claque...

— Hé, qu'est-ce que tu touches là ?

— Juste un peu de peau.

— Arrête.

— Aïeuh.

Viscaria pince fortement la main collante d'Eisbahn qui lui carresse les fesses.

— Tss. Qu'est-ce qu'elles sont chiantes, ces sénatrices.

— Arrête de te plaindre.

— Et c'est pour ça que t'auras jamais de copain, Viscaria.

— Les machines sont mon amour.

Viscaria tend l'antenne de sa main droite.

(Mais quel idiot, celui-là...)

Je continue de conduire la glacemobile, tout en gardant un œil sur la remorque à travers le rétroviseur. Derrière moi, se trouve Viscaria qui surveille les alentours calmement ; un peu plus loin, il y a Eisbahn allongé par terre. Götz est tout au fond, complètement silencieux tel un chevalier sur le point de partir en guerre. Ils n'ont vraiment pas changé en plus de cent ans.

— Hmm, ça descend par ici. Ralentis.

— Ok.

Suite au conseil de Viscaria, je diminue la vitesse de trois crans. La vitesse est désormais d'un kilomètre par heure, on avance très lentement.

Il serait peu avisé de se frayer un passage rapidement dans ce tunnel. Étant donné les capacités du petit soleil, on pourrait très bien faire fondre la neige un peu plus vite, mais le plafond risquerait de s'effondrer, surtout après le séisme qui a dû l'affaiblir.

— Ralentis encore un peu. Oui, voilà, c'est mieux comme ça.

Viscaria continue de réfléchir tout en me donnant des instructions. Il doit y avoir toutes sortes de calculs dans sa tête en ce moment. Direction, résistance de la glace, conduction de la chaleur, vitesse de la glacemobile... Personne d'autre ne peut faire ce genre de calculs.

Je ressens des vibrations dans mes mains sur le guidon de temps en temps. Les blocs de glace qui s'effondrent s'éclatent en morceaux de diverses tailles, alors quand je roule sur un gros, cela provoque un important recul au niveau du guidon. Je continue de piloter le véhicule qui écrase tout sur son passage à vitesse constante.

Ainsi, une heure passe.

— Stop ! crie Viscaria.

— Qu'est-ce qui se passe ? dis-je en arrêtant la glacemobile.

— Onde détectée !

— Hein ?!

— Elle arrive !

Au moment où Viscaria crie, un énorme grondement résonne.

(Une réplique !)

— Amaryllis !

Quelqu'un crie mon nom et...


Le monde vole en éclat.

Partie 6[edit]

— Uuh...

Mes batteries se sont remises en marche. Ma conscience est revenue.

(Je...)

Un objet de taille importante est posé sur mon torse. Ce serait un bloc de glace, ou alors... c'est la vie après la mort ? Non, il n'y a pas d'au-delà pour les ro-

— Enfin réveillée, princesse ?

J'ouvre les yeux, et me trouve nez à nez avec un homme.

— Kyaaa...!

Je repousse l'homme de toutes mes forces.

— Aïeuh !

Comme je n'ai pas limité ma force, l'homme a été envoyé au loin.

— Sale pervers ! Obsédé ! Vicieux !

— Qu'est-ce qui te prend ? Et dire que je t'ai sauvée...

Eisbahn se masse l'arrière de la tête où il a atterri, et se relève lentement.

— Ah...

Je lève la tête avec surprise. Un bloc de glace au dessus de moi allait m'écraser, mais il a été tranché net.

— Bah, tant que tu vas bien.

Eisbahn rétracte la Lame Fantôme dans sa main droite. La chaleureuse lueur bleue disparaît peu à peu, avant de s'évanouir dans sa main.

(Ah...)

— Tu m'as sauvée la vie...

— T'auras pris ton temps pour t'en rendre compte.

— M-Merci...

— Si tu veux, tu peux me remercier avec ton corps... Aïeaïeaïeeuuuh.

— T'emballe pas non plus.

Je pince sa vilaine main droite qui se dirigeait vers mes fesses. J'ai vraiment envie de le remercier, mais voir son expression jubilante m'a vraiment refroidie.

— Et Viscaria et Götz ?

— T'en fais pas. Regarde.

Eisbahn pointe son pouce derrière lui. À côté de la glacemobile renversée, je peux voir deux silhouettes.

— Aïe...

Je me rends compte que c'est Viscaria. Son iconique béret est tombé, révélant sa courte chevelure rousse.

— Dame Viscaria, vous n'avez rien de cassé ? lui dit un homme argenté tout en tendant une main dans sa direction.

— Désolée, répond Viscaria tout en prenant la main tendue.

— Il n'est pas nécessaire de me remercier.

(Ouf. Tout le monde est en un morceau.)

Je pousse un soupir de soulagement. Sans Götz et Eisbahn, dieu sait ce qui nous serait arrivé.

— Bon.

Je regarde autour de moi tout en marmonnant.

— Où est-ce qu'on est...?


C'est un endroit que je n'ai jamais vu avant.


Il fait si chaud dans le grand espace qu'on ne croirait pas qu'il est fait de glace. Il y a un énorme trou au plafond ; il semblerait que le sol du tunnel se soit effondré au moment du séisme, d'où notre chute dans cet endroit.

Pour évaluer notre position, j'affiche la Cartoiseau dans mes circuits mentaux.

(Hein ? Pas de réponse ?)

Tous les villageois sont dotés d'une antenne installée dans leur corps, et celle-ci permet d'afficher sa position sous la forme d'une lumière rouge sur la Cartoiseau, mais je ne vois rien.

(Qu'est-ce qui se passe ? Le signal radio est censé atteindre toutes les zones du village pourtant...)

— Wouah !

Soudain, j'entends un cri de joie.

Je me rends compte qu'il provient de Viscaria. Elle regarde autour d'elle dans la pièce tout en s'exclamant :

— Waouh ! Waouh ! Alors c'est une fullmobile ? Et ça, c'est un poly-écran ?

— Qu'est-ce qui se passe ?

J'escalade un bloc de glace et atteins sa position.

(Hein ? Mais c'est...?!)

— Waouh...!

À mon tour, je pousse un cri impressionné.

Des rangées d'énormes containers sont alignés tels des dominos tout au fond de la pièce. À côté, sont disposés des sofas en file indienne.

— C'est...?! m'exclamé-je en regardant à côté de moi.

— Ouais, acquiesce Viscaria. Pas l'ombre d'un doute, il s'agit d'une chambre des « Maîtres ».

À vue d'œil, elle doit faire dans les vingt mètres carrés. C'est la première fois qu'on découvre une telle chose près du village.

(C'est vraiment incroyable...)

Je traverse la pièce, impressionnée par la scène. Tous les jours, je peux voir Blanche Neige où dorment les maîtres, mais ça fait plus de cent ans que je n'ai pas mis les pieds dans un espace où vivent les humains. Les livres que nos maîtres lisent, l'eau qu'ils boivent, les canapés où ils s'assoient...

— Aaah, maîtres...

Je suis émue au point d'en perdre mes mots, et ne peux que me contenter de pousser un soupir.

Toutes les personnes présentes sont également émues. Même l'imperturbable Götz ne peut cacher son émerveillement devant une telle découverte. De son côté, Viscaria examine chaque objet les uns après les autres. Eisbahn, qui a d'habitude tendance à rester dans son coin, est excité comme une puce. On a oublié le fait qu'on est tombés du tunnel, complètement émerveillés par cette étrange pièce.

— Hé, regardez ça ! crie soudain Eisbahn.

— Quoi ?

— Eh ben !

Il tient un terminal multi usages et sur l'écran, on peut voir une vidéo.

Il y a une femme nue. Elle ondule ses hanches de façon obscène.

— Kyaaa !!! M-Mais c'est quoi ça ?!

— Comment ça ? C'est un porno.

— J-J-Jette ça ! Tout de suite !

— Mais ça appartient à nos maîtres.

Tout en parlant, Eisbahn fait défiler les images comme s'il lit un livre. Puis, les choses deviennent de plus en plus intenses.

(Woah, hein ? C'est... Elle est nue et elle...)

— Alors c'est donc ça ce fameux porno... C'est la première fois que j'en vois un.

Amaryllis067.jpg

Les yeux d'Eisbahn brillent de mille feux, tel un enfant qui vient de trouver un nouveau jouet.

— Vise-moi ça, Götz. Ça vaut vraiment le détour.

— Tu parles de choses obscènes depuis... uu.

Les yeux de Götz sont littéralement collés à l'écran.

— Mon dieu, voilà qui est vraiment inapproprié, marmonne-t-il tout en continuant à faire défiler les images.

Des images de jeunes femmes nues apparaissent les unes après les autres.

— Hé, qu'est-ce que tu fiches, Götz ?

— Non, je ne fais qu'investiguer le contenu de ce terminal. Euh, je n'ai absolument aucun intérêt pour ce genre de...

— Confisqué !

J'arrache le terminal des mains de Götz alors que la femme nue pousse un gémissement de plaisir. Je me dépêche de l'éteindre.

— Götz reste donc un homme au final...

Avec une mine étrangement impressionnée, Viscaria s'approche de nous.

Dans ses mains, on peut voir une vidéo où deux hommes nus s'enlacent.


Partie O[edit]

Plus tard.

— C'est quoi ça...?

Je continue de chercher, et tombe sur une scène vraiment inattendue dans un coin de la pièce. À cet endroit, un immense écran recouvre entièrement le mur, et il y a un robot assis devant lui. Il semblerait que le robot se soit retrouvé à court de batterie, il est affalé sur la table.

— Par ici ! crié-je dans le réseau sans fil.

Les autres accourent vers ma direction. En apercevant le robot affalé devant l'écran, les deux hommes froncent les sourcils. « C'est qui ? » « Jamais vu ce type avant. »

— Il est fichu, annonce Viscaria en haussant les épaules et en refermant le panneau au torse du robot. Complètement « mort ». Ses circuits mentaux ont sauté il y a une trentaine d'années.

— Trente ans... Alors il a survécu ici pendant soixante-dix ans ?

— Oui.

— Qu'est-ce qu'il a bien pu faire pendant tout ce temps...

Il y a un grand nombre de panneaux devant le robot, mais tous semblent être hors service. Viscaria tente de les réparer, mais vu leur état, cela va prendre un certain temps.

Eisbahn marmonne :

— On dirait une salle de contrôle.


Après ça, on parvient à trouver une corde et une échelle, ce qui nous permet de nous extirper de l'endroit sans heurts. On pensait que ça allait être compliqué de nous en sortir, alors on a vraiment eu de la chance que ça soit aussi simple.

Personnellement, j'ai toujours envie de continuer à fouiller cet endroit, alors je garde quelques regrets. Hélas, les réparations de la route secondaire passent avant tout, et on ne peut pas remettre ça à plus tard.

Je me décide silencieusement de revenir plus tard ici et monte sur la glacemobile.

Et à ce moment-là...

(Hm ?)

Soudain, je sens un regard. Quelqu'un semble regarder par ici.

(Qui est-ce...?)

Je tourne rapidement la tête.

Mais il n'y a personne dans la pièce.


Chapitre 1 Page principale Chapitre 3