Difference between revisions of "Amaryllis au Pays de Glace : Chapitre 4"

From Baka-Tsuki
Jump to navigation Jump to search
(Created page with "==Chapitre 4 : Joué cassé== ===Partie 1=== Une pénombre insondable enveloppe le village tout entier, et le silence règne en maître jusqu'à l'arrivée de l'aube. Il n'...")
(No difference)

Revision as of 13:12, 26 May 2018

Chapitre 4 : Joué cassé

Partie 1

Une pénombre insondable enveloppe le village tout entier, et le silence règne en maître jusqu'à l'arrivée de l'aube.

Il n'existe aucune distinction entre le jour et la nuit dans ce monde souterrain que la lumière ne peut atteindre. Du coup, les villageois ont choisi huit heures par jour pour former la « nuit », période durant laquelle tout le monde se met en mode veille pour économiser l'énergie. La luminosité du toit y est réduite au minimum, et il est impossible de voir sans ajuster sa sortie optique.

Cela fait une semaine depuis la fête de la prière.

(Enfin fini...)

Après avoir effectué les ravitaillements du jour, je retourne au village et me dépêche de rentrer chez moi. Du fait de ma position de maire adjointe, ma maison se trouve juste à côté de la mairie.

Et à cinq minutes de chez moi...

(Hein ?)

J'aperçois quelqu'un dans le parc malgré l'heure tardive. Je reconnais cette tête hémisphérique.

— Gappy ? demandé-je.

Un couinement se fait entendre. L'ombre se tourne lentement dans ma direction alors que les chenilles produisent un grincement.

— Ama... ry... llis ?

— Qu'est-ce que tu fais ici à cette heure-ci ?

— Le...

Il semble avoir plus de mal à voir que d'habitude, sûrement du fait de la très faible luminosité ambiante.

— L-L-L-Le parc... C'est là, où on, joue, p-pas vrai ?

— Oui.

— A-A-Alors, je-je suis venu, jouer.

— À cette heure-ci...? demandé-je.

Gappy me répond par un hochement de la tête.

(Ah, je vois.)

Je viens de comprendre.

— Tu es là pour Daisy, n'est-ce pas ?

— Euh...

Gappy reste silencieux. Il est tellement facile de lire sur le visage de cet enfant.

Cela fait une semaine depuis la fête de la prière, mais Daisy et Gappy ne se sont toujours pas réconciliés. Généralement, ça ne dure pas plus d'un jour, c'est la première fois que ça traîne aussi longtemps.

— Daisy aime vraiment ce parc.

— D-Daisy, a-adore, ce parc.

— Elle adore monter sur la balançoire.

— E-Elle est, très douée, pour ça. Elle va, plus vite, plus haut, que tout le monde.

Tout en parlant de Daisy, Gappy continue à émettre des cliquetis, comme à son habitude.

J'écoute ses paroles décousues encore quelque temps. Il n'y a que nous deux dans le parc, et pour un passant, cela pourrait ressembler à un rendez-vous nocturne.

— ... La médaille de fleur, marmonne Gappy.

— Hein...?

— Daisy, veut, la médaille de fleur.

— La médaille de fleur... celle de la fête ?

Je retire la médaille accrochée à ma poitrine. Elle est donnée à tous ceux qui ont remporté un prix lors de la cérémonie de la fête de la prière. Elle est faite à partir des plantes de glace de la Forêt Paradoxale. Ces fleurs ont fleuri il y a plus de cent ans.

— Daisy, n'a jamais, gagné. De tous les enfants, les seuls, qui n'ont jamais gagné, sont Daisy, et moi... alors, je voulais vraiment, cette médaille. Je pensais que cette année, juste cette année...

— Je vois...

Après la fête de l'an dernier, les seuls enfants à ne pas avoir de prix étaient Daisy et Gappy. En mettant de côté ce dernier, il était inconcevable que Daisy la mauvaise perdante puisse accepter ça.

— J-J-J-J-Je...

Gappy se met à élever étonnamment la voix.

— Je veux donner cette médaille, à Daisy, dit-il d'un ton ferme, telle une promesse. Pour la remercier, de jouer, avec un, jouet cassé.

— Je vois...

Je m'accroupis et échange un regard avec Gappy. Le brouillard nocturne se condense, humidifiant ses lentilles rondes.

— Mais il est déjà tard, tu ferais mieux de rentrer maintenant... d'accord ?

Je lui caresse la tête, et il acquiesce.

Quelque chose semblable à une larme coule de ses lentilles.


Partie 2

Il n'y a pas de ciel étoilé dans le monde souterrain.

Néanmoins, les cristaux qui peuplent la voûte brillent de temps à autre, donnant l'illusion de voir des étoiles scintiller.

Je regarde Gappy rentrer chez lui, et m'assois sur la balançoire tout en admirant le ciel nocturne. Je me remémore ce qu'il m'a dit.

Pour la remercier, de jouer, avec un, jouet cassé.

Il fut un temps où Gappy était un jouet. HGP.10β, un robot jouet d'extérieur adapté aux enfants de trois ans et plus. Jouer à cache-cache, à la balle, au cheval — durant les trente années qui ont suivi sa fabrication, il divertissait les enfants sur le toit d'un supermarché. Il pouvait courir tout en portant des enfants sur les épaules, ou jouer à chat avec eux.

Mais, comme pour n’importe quel autre jouet, vint le jour où le vieillissant Gappy fut jeté à la poubelle. Un jour lors de sa trentième année de service, il fut retiré du toit du supermarché à cause d'une défaillance. Par la suite, il a été mis en vitrine d'une boutique de seconde main, avant d'être acheté lors d'une sombre vente aux enchères en ligne. C'est complètement par hasard qu'il s'est retrouvé dans le village. Quand « la fin » est arrivée il y a cent ans, il a été illégalement abandonné près du village.

Même après être arrivé ici, Gappy est resté en mauvais état. Il lui en faut peu pour entrer en surchauffe, et « Ga-ppy », un court-circuit. Du coup, dès qu'il joue avec les enfants du village, il est souvent laissé de côté. Et quand il finit par s'en rendre compte, il est tout seul.

Néanmoins, il a tout de même droit à sa lueur d'espoir.

— Ta tête me revient vraiment pas.

Et celle qui lui parle, ou plutôt qui lui cherche des noises, est une fille à la douce chevelure châtaigne, Daisy Stalk.

— Bah, on dirait que je vais avoir le malheur de devoir jouer avec toi. Estime-toi heureux !

Malgré cette attitude arrogante, la fille et Gappy sont devenus amis.

— Ah...

Je viens de me rendre compte de quelque chose.

Il y a une ombre à l'entrée du parc. Elle semble être en train de scruter l'intérieur à la recherche de quelque chose, avant de rebrousser chemin dans l'obscurité.

— Daisy...? appelé-je.

La silhouette se met à trembler.

— N'aie pas peur. C'est moi, continué-je un peu plus fort cette fois-ci.

— Ama... ryllis ? marmonne la fille en retour.

— Viens par ici.

Je lui fais signe depuis la balançoire. Elle semble hésiter, mais finit par entrer dans le parc.

— Alors c'est toi.

— Et... alors ?

Daisy me regarde à travers ses mèches soyeuses.

— Gappy vient juste de passer, alors je me demandais si t'allais venir aussi.

— Gappy était là...? me demande la fille, la tête baissée.

— Oui, à l'instant... tu veux que je lui dise de revenir ?

Je pose mon doigt sur ma tempe. C'est un geste qui me permet de me connecter au réseau sans fil.

— Non, ça ira.

Daisy secoue la tête légèrement, et s'assoit sur la balançoire à côté de la mienne.

Puis, le silence tombe.

Kwii, kwii. Seul le bruit des chaînes des balançoires résonne dans le vide nocturne du parc. Il semble faire écho avec les sentiments de la fille, et moi-même, je suis prise d’une certaine mélancolie.

— ... Dis.

Comme pour marmonner à elle-même, Daisy brise le silence.

— Pourquoi il est venu ici ?

Je lui explique la raison, et Daisy lève immédiatement la tête, avant de la baisser à nouveau.

— ... Je vois.

— Pourquoi ne pas vous réconcilier ? demandé-je.

Daisy reste silencieuse. Néanmoins, la balançoire monte un peu plus haut.

Daisy et Gappy ne se sont pas adressé la parole depuis la fête de la prière. Ils se sont croisés à plusieurs reprises au parc, mais à chaque fois, Daisy se dépêche de s'en aller. Le pauvre Gappy a tenté à chaque fois de la rattraper, mais en vain.

— ... En fait, marmonne la fille, Gappy a raison.

— ...

J'écoute sans rien dire.

— C'est de ma faute, j'aurais dû vérifier le tremplin avant.

— ... Je vois.

— Mais quand on a raté, j'étais tellement énervée que j'ai...

À ce moment-là, Daisy retrousse ses lèvres. L'obscurité de la nuit se reflète dans ses grands yeux, tandis qu’une couleur plus profonde que la mer semble être sur le point de déborder.

— ... Il est temps que je rentre.

Après un moment de silence, Daisy se lève.

— Hm, il est tard.

Je ne tente pas de l'arrêter. Je sais que même si je ne fais rien, ils finiront par se réconcilier.

(Cette fois-ci, ça a vraiment duré longtemps, mais je suis persuadée qu'ils feront la paix. Ils sont amis, des amis irremplaçables l'un pour l'autre.)

Et après avoir regardé la fille boitiller jusqu'à la sortie du parc, je quitte à mon tour les lieux. J'ai l'intention de rentrer chez moi, vu qu'il est tard.

(Ils vont encore participer ensemble à la prochaine fête, pas vrai ?)

Tout en pensant ça, je me dirige vers chez moi. Et au moment où je suis sur le point d'y arriver...


— Amaryllis.


Je reçois une transmission sans fil.


Partie 3

— Hé, si tu tentes quoi que ce soit, je te le pardonnerais jamais.

— Dis pas ça. Contente-toi de regarder.

— Hé, je t'ai dit de pas me toucher.

Je pince sa main baladeuse.

— Aïeuh ! crie-t-il de façon à peine exagérée.

— Bon...

Je le fixe du regard.

— Q-Qu'y a-t-il de si urgent... à cette heure-ci ?

Celui qui m'a appelé à travers le réseau d'urgence n'est autre qu'Eisbahn.

« C'est important. Merci de venir. »

Généralement, je ne suis pas du genre à me laisser berner par ses mots doux. Mais depuis notre duo à la fête de la prière, ma position envers lui n'est plus aussi ferme qu'avant.

— C'est ça.

Il tient quelque chose entre ses doigts. C'est une puce électronique de la taille d'un ongle.

— ... Une carte mémoire haut de gamme ?

— Ouais. Y'a sûrement des données importantes dedans. Je voulais y jeter un œil avec toi.

— ...

— Quoi ?

— Ah, non, c'est rien.

Je me sens un peu désemparée et apathique l'espace d'un instant. Je n'espère rien, mais qu'est-ce qui lui prend d'appeler une jeune fille au beau milieu de la nuit pour « regarder une vidéo intéressante » ? Je ne suis plus une gamine. Non, je n'espère vraiment rien.

— Bon, lançons le lecteur vidéo.

— Une seconde. C'est pas celui de nos maîtres...?!

Eisbahn sort lentement quelque chose. C'est le poly-écran de la dernière fois.

— Tu l'as piqué ?!

— Je l'ai juste emprunté, nuance ! Et personne en saura rien.

— Espèce d'idiot. On n'a pas le droit. Le maire nous a formellement interdit d'entrer là-dedans.

Au sujet de cette pièce qu'on a trouvé il y a trois semaines, la « pièce secrète », le maire a restreint l'accès à celle-ci à toute personne non impliquée. « L'enquête n'est pas encore terminée », c'est pour cette raison qu'on n'a pas encore révélé son existence aux autres.

— Héhé, plus tu t'opposes, plus ça me donne envie.

— Non, c'est non... Et puis, ce truc...

Je jette un œil en direction de la puce.

— C'est celle qui est remplie de cochonneries ?

— Y'a même une fille qui te ressemble dans le tas.

— Tes circuits mentaux ont pété un câble ou quoi ?

J'écrase le pied d'Eisbahn avant de m'en aller.

— Je rentre !

J'ai vraiment été stupide d'espérer un peu de romantisme de sa part.

— Hé, attends ! C'était une blague, une blague !

Il m'agrippe précipitamment à l'épaule.

— J'ai pas encore regardé ce qu'il y a dedans ! Et puis, je suis sûr que tu regretteras de pas voir son contenu ! Elle contient le secret de nos maîtres !

— ... Vraiment ?

Je m'arrête, et me retourne.

— ... B-Bien sûr.

— Alors pourquoi tu détournes le regard ?

— Ah, c'est-à-dire que...

Il tend la puce.

— Je l'ai trouvée dans le placard « top secret », alors ça peut être que ça.

— Comme des vidéos cochonnes top secrètes ?

— C'est pas impossible.

— Je rentre.

— Attends, attends, attends, Amaryllis ! m’interpelle-t-il, avant de continuer avec une voix mielleuse. C'est grâce à moi que t'as pu remporter le « grand prix » de la fête, pas vrai ?

— Arg...

Confrontée à ce fait, je fléchis un peu.

— J'ai pas pu voir le contenu, vu qu’il a été chiffré avec un drôle d'encryptage. Il est pas encore trop tard si c'est juste du porno, alors je t'en supplie. S'il te plaîîît ?

— Hmm... Sérieux ?

— Oui, vraiment.

— ... D'accord.

Pour être franche, je suis vraiment très intriguée par le contenu de la puce. Il y a également ce côté « top secret » qui a attisé encore plus ma curiosité.

— Mais on va devoir la décrypter, non ?

— Va demander à Viscaria.

— Je vois, y'a qu'elle qui peut... Hein ?

Je tourne la tête dans sa direction.

— ... Hm ? Qu'y a-t-il ?

Eisbahn détourne le regard avec un sourire.

— Alors comme ça, tu m'as fait venir... juste pour que j'appelle Viscaria ?

— Bah, y'a aucune chance qu'elle vienne si je l'appelais moi-même, non ? Mais si c'est toi, c'est une autre histoire.

— ... Alors je fais juste de la figuration, c'est ça ?

Je le dévisage, complètement agacée.

— Héhéhé, j’adore quand un plan se déroule sans accroc... Ouch !

Je le frappe au visage avant de crier :

— Je rentre tout compte fait !


Partie 4

— Je vois. C'est un sacré chiffrement de données...

Viscaria inspecte l'écran tout en pianotant sur le clavier avec ses antennes. Elle a été appelée au beau milieu de la nuit, mais elle a l'air de bien s'amuser.

Au final, « Je rentre ! » « Attends, attends ! » « Je suis vraiment en rogne ! » « Je t'en supplie, Amaryllis ! », après une querelle futile de plus de dix minutes, j'ai fini par céder et appeler Viscaria.

— Allez, souris !

— Me parle pas, toi !

Je tourne la tête d'un air boudeur. Ça ne m'aurait pas dérangé s'il avait dit « regardons la vidéo ensemble », mais je n'aurais jamais cru qu'il se servirait de moi comme « appât » pour Viscaria. Mais pourquoi est-ce que ça m'énerve autant ?

— Waouh, eh ben. On a bien affaire à un truc top secret des maîtres ! Le degré d'encryptage est vraiment d'un autre niveau.

Viscaria continue à décrypter avec excitation. Elle ressemble vraiment à un enfant à qui on vient de donner un nouveau jouet.

— T'as réussi ?

Je suis assise à côté d'elle. Tant qu'à faire, je me dis qu'on devrait tout faire pour voir le secret de nos maîtres, quel qu'il soit.

— Une seconde. Si je fais ça, et que je craque ce verrou, alors...

Les antennes qui sortent de sa main droite tapotent sur le clavier de façon désordonnée.

— Et voilà le coup final !

Tadam ! Elle tape sur les touches de façon théâtrale, et l'écran se met soudain à clignoter. Puis, il vire au noir et d'innombrables mots remplissent l'écran.

— C'est fini ?

— Bien sûr.

Viscaria mime un pouce vers le haut avec ses antennes. Elle est resplendissante quand il est question de réparation ou d'analyse, son visage déborde littéralement de joie, comme un enfant jouant à chat. Peut-être que ses mains sont vraiment faites pour ça.

— Bon, qu'est-ce qu'on attend pour regarder cette vidéo ultra hot ?

Eisbahn enroule son bras sur mes épaules.

— Et puis quoi encore ? Et de toute façon, c'est pas un truc cochon.

— Héhéhé.

Puis, à ce moment-là...

— ... Si je peux me permettre, est-ce vraiment le lieu pour regarder cette vidéo ?

— Woah ?!

On se retourne à l'unisson. Le visage au masque d'argent, Götz « le bras de métal », se tient là.

— D-Depuis quand...? demandé-je, prise de court.

— Je dois avouer que cela fait un certain moment, répond-il calmement.

— Qu'est-ce que tu fous là, toi ?!

— Dame Viscaria m'a contacté.

— Quoi ?

Eisbahn se tourne en direction de l'intéressée. Et la fille à la courte chevelure rousse se contente de répondre :

— C'est pas tous les jours qu'on tombe sur ça, alors je me suis dit qu'il était préférable que tout le monde la voit.

— Reconnaissant je vous suis pour l'invitation.

(Hein ?)

Je me tourne vers Götz.

— Ça alors, j'aurais pensé que tu t'y opposerais, Götz.

— Qu'insinuez-vous par là ?

— Ben, le maire nous a strictement interdit de toucher à cette pièce, non ? T'es généralement toujours très à cheval sur les règles.

Götz se met immédiatement à froncer des sourcils avec un regard maussade.

(Ah, il l'a mal pris ?)

— Non, c'est-à-dire que... Je dois bien avouer que je reste un homme après tout, j'ai effectivement un intérêt non négligeable pour les secrets du corps féminin...

— Hein ? Le corps féminin ?

— Ferais-je fausse route ? « On va regarder un porno tous ensemble, alors amène-toi, Götz. » C'est ce que m'a dit Dame Viscaria...

Tout le monde se tourne tous ensemble vers la personne en question.

— Hein...?

Elle se met à pencher la tête de façon innocente, tout en clignant des yeux. Puis, elle pointe du doigt le poly-écran, tout en demandant avec surprise :

— C'est pas le cas ?

Ils sont tous irrécupérables.


Partie O

Et ainsi...

Ce n'est pas la vidéo pornographique que tout le monde (?) espérait, mais comme prévu, nous lançons la lecture du contenu de la puce. En cercle autour de l'écran, de droite à gauche, il y a Eisbahn, moi, Viscaria puis Götz.

Une fois la vidéo en route, les yeux de chacun sont rivés sur l'écran.

— Woah, ça date d'avant « l'Âge de Glace »...?

Sur l'écran, on peut voir le paysage d'une ville avec de grands bâtiments. Devant la gare, alors que la foule se déplace, il y a un homme qui dit quelque chose. Malheureusement, la voix est inaudible, mais à en juger par le logo sur l'écran, il est évident qu'on a affaire à une vidéo promotionnelle d'une quelconque entreprise.

(Maîtres...)

Pour les gens de cette époque, ça devait être quelque chose de commun. Mais pour nous, qui vivons sous terre depuis cent ans, il y a un grand sentiment de nostalgie. On voit nos maîtres, les routes qu'ils ont empruntées, leurs rires, leurs respirations...

— Regardez ! Une crèche ! Et tant d'enfants !!!

L'ex-robot nounou que je suis s'enflamme en voyant cette séquence.

— Quelle immense usine de maintenance...

L'ex-mécano Viscaria regarde avec des yeux brillants de mille feux.

— Il y a un théâtre ! C'est le Théâtre Central National !

L'ex-acteur Götz se rapproche de l'écran.

L'agitation des rues, la banlieue calme, les plaines luxuriantes, les ports majestueux — ces images se mettent soudain à défiler pendant qu'un journaliste parle. Dès qu'un nouvel endroit apparaît, « Wah ! » « Incroyable ! » « Que de souvenirs. » Il y a une telle ferveur. C'est une scène comme si des enfants visitaient un zoo pour la première fois, « Trop fort, un panda ! » « Y'a un lion là-bas ! ».

Mais au milieu de tout ça, Eisbahn semble différent. De temps en temps, il regarde l'écran sans rien dire, en baissant parfois les yeux. Il semble un peu mal à l'aise.

(Mais au fait...)

Une question me traverse l'esprit.

(Qu'est-ce que faisait Eisbahn à cette époque ?)

C'est une question qui m'a toujours taraudée. Viscaria était une mécano, Götz un acteur et moi une nounou. Néanmoins, personne ne sait rien du passé d'Eisbahn. Je lui ai posé la question à maintes reprises, mais il a toujours esquivé le sujet, « Le passé, c'est le passé, pas la peine d'en parler ».

Blond, dragueur, une puissante arme au bras droit. Personne ne sait comment il s'est retrouvé comme ça, ce qu'il a pu vivre. Même moi qui suis la personne la plus proche de lui au village (même si c'est parce qu'il passe son temps à me harceler) ne connait pas grand-chose de lui.

(Peut-être qu'il était videur dans une boite de striptease ou un truc du genre.)

Je jette un regard vers son visage de profil.

Ses yeux indifférents témoignent d'une mélancolie, un peu triste.

Et ainsi, trois heures passent.

— Ahh...

Une fois la vidéo terminée, tout le monde pousse un soupir nostalgique.

Après plus de cent ans, on a enfin pu voir quelque chose en rapport avec nos maîtres adorés. C'est une magnifique vidéo remplie de nostalgie, de joie et de mélancolie.

Encore sous le coup de la fascination, je me perds dans mes pensées quelques instants.

(Hein, mais, une seconde...?)

Une fois l'excitation retombée, je suis prise d'un doute.

— Hé, vous trouvez pas ça bizarre ?

— Hein ? s'exclame Viscaria qui est en train de vérifier l'état du poly-écran. Comment ça ?

— C'est censé être un truc top secret, non ? On y voit plein de nos maîtres, c'est super et tout... mais en quoi c'est secret ?

— Ah.

Viscaria semble avoir compris, et se met à parler :

— Bah, c'était peut-être une vidéo du quotidien qui pour une raison ou une autre s'est retrouvée là ?

Götz prend à son tour une pose songeuse tout en posant son menton sur sa main.

— Eisbahn, elle était bien dans le placard « top secret » ?

Je regarde en direction du robot blond à côté de moi.

— Bah, ouais. Y'a écrit « top secret » là.

— C'est vraiment bizarre. La vidéo ne contient rien de spécial qui pourrait mériter d'être caché.

Je reste dubitative.

(Ah, c'est vrai.)

Je me rappelle de quelque chose.

— Et d'ailleurs, c'est qui ce robot ? demandé-je.

— Si je puis me permettre, de qui est-il question ? s'interroge Götz en se tournant vers moi.

— Je parle du robot dans la pièce secrète.

— Ahh, celui qui est mort en face du moniteur...

— Ouais, celui-là même. Si c'est « top secret », je pense que ça a quelque chose à voir avec ce robot, tenté-je de déduire.

— Possible, marmonne Eisbahn.

— On dirait qu'on va devoir inspecter cette pièce du sol au plafond.

— Je vais demander la permission au maire.

— Pas la peine de s'embarrasser avec ça.

— Y'a pas le choix.

Alors qu'on continue à débattre entre nous...

— Une seconde.

Viscaria lève soudain la main.

— Je vois, c'était donc ça. Venez par ici.

— Quoi ? Qu'y a-t-il ?

Tout le monde s'assoit autour de Viscaria qui est en train de regarder le poly-écran.

— C'était un leurre.

— Un leurre ?

— Je pensais avoir complètement déchiffré les données, mais on dirait qu'il manque encore un bout.

— En clair, le véritable secret se cache derrière ?

— Oui.

La main de Viscaria dégaine à nouveau ses antennes et elle se met à marmonner dans sa barbe.

— Et voilà, on y est presque !

Elle pianote sur le clavier et l'écran apparaît de nouveau. « J'ai hâte ! » « Héhé, voilà l'épisode deux. » « Je dois avouer que je suis impatient ! ». On est tous excités et plein d'attente.

Le lecteur se met à briller. La vidéo commence. Et ainsi, on comprend...


La raison pour laquelle elle était top secrète.


Partie 5

Après plus d'une dizaine de secondes d'images brouillées, la vidéo commence enfin vraiment.

— ...?

Ce qui apparaît en premier ressemble à un grand espace. Des dizaines de milliers de personnes sont rassemblées là, et elles semblent protester contre la dictature, alors que des cris de mécontentement se font entendre.

— ... À mort !

Les personnes crient quelque chose. Les yeux injectés de sang, ils vocifèrent des « À mort ! » « Crevez ! » « Dégagez ! » « J'en reviens pas ! ». Parmi eux, « À l'aide ! » « Nooon ! ». On entend des hurlements de femmes et des pleurs d'enfants. C'est une scène que j'aurais cru tout droit sortie d'un film d'horreur de l'ère finale.

(L'ère finale...?)

On regarde la date de la vidéo, et se rend compte qu'elle a été filmée il y a cent huit ans. C'est l'année où le monde a soudain été frappé par une vague de froid avant de rapidement entrer dans l'âge de glace — l'ère finale. La vague de froid a gelé toute créature vivante, et les gens qui ont fui sous sa terreur. Avant le début même de l'âge de glace, de nombreux maîtres avaient déjà été engloutis par le froid.

(Mais c'est étrange.)

À en juger par la scène, il semblerait que deux groupes s'affrontaient. Il y a des milliers de personnes sur la colline, et des dizaines de milliers d'autres dans la vallée en contrebas. En y regardant bien, cela ressemble à deux armées qui s'affrontent.

— On dirait des robots militaires, non ?

Viscaria pointe du doigt l'écran. À cet endroit, des centaines de robots d'un noir brillant sont alignés, et ces soldats semblent monter la garde à cet endroit, avec une vue dominante sur les dizaines de milliers de personnes plus bas. On dirait qu'ils protègent la « minorité » sur la colline de la « majorité » en contrebas.

— Vu leurs modèles, c'est sûrement des robots de la dernière génération, des « F.310 »... dit Viscaria avec un regard sérieux.

(Que font-ils ?)

La horde de dizaines de milliers s'approche du pied de la colline. Certains en première ligne ont commencé à l'escalader.

— En somme, c'est une rébellion, marmonne Eisbahn.

— Il semblerait bien, acquiesce Götz, rarement d'accord avec lui pourtant.

Les deux observent l'écran d'un air grave.

Puis, les robots militaires sur la colline lèvent lentement leurs épais bras métalliques. Leurs avant-bras se plient alors à 90 degrés, dévoilant des cylindres de couleur argentée.

(Des armes à feu...?)

Les armes sont pointées vers la foule mécontente. À ce moment-là, je ne comprends pas encore bien la scène qui se déroule sous mes yeux.

— Feu !

Une voix résonne. C'est la voix forte et retentissante d'un officier. Les robots recevant l'ordre se mettent à tirer avec leurs bras, crachant des rayons lasers bleus de leurs armes à l'unisson.

(Hein...?)

Les rayons laser pleuvent sur l'avant du groupe. Quelque chose semble s'évaporer, et de la fumée rougeâtre se met à jaillir tel un geyser. De gros morceaux de chair tombent du ciel, et c'est seulement à ce moment-là que je réalise vraiment ce qui s'est passé.

(H-Hein...?!)

Des centaines de personnes sont pulvérisées en vapeur rouge, et les personnes juste derrière sombrent dans l'horreur. Les hurlements sonnent comme des frictions métalliques, et il y a un immense chaos généré par la peur et la colère — les gens qui se mettent à fuir, ceux qui commencent à escalader la colline par colère, ceux qui tombent et qui se font piétiner, un homme qui se tord de douleur parce que la moitié de son corps a été vaporisé, ses boyaux se déversant sur le sol, une femme qui semble être une mère, complètement terrorisée alors que son bébé a perdu sa tête.

Hélas, ce n'est que le début. Les bras des robots tirent à nouveau, et les rayons laser bleus s'abattent à nouveau tel le jugement final. L'avant de la foule explose à nouveau de façon sanglante, et une pluie de chair tombe sur eux.

Personne n'ose résister. Ceux poussés jusqu'ici par la colère se mettent à fuir le visage couvert de sang. La foule se disperse rapidement telle une vague se retirant, et ceux qui ont été piétinés et qui ne peuvent plus bouger ont été laissés à l'abandon comme des vieux mouchoirs.

Mais ce n'est toujours pas fini.

Les rayons destructeurs semblent avoir l'intention d'éradiquer les fuyards jusqu'au dernier. Une troisième, une quatrième, d'innombrables salves sont tirées dans le dos des gens. Il y a du sang rouge, sang rouge, des litres et des litres, sang sang sang rouge rouge rouge...

(Arrêtez, arrêtez, arrêt...!!!)

Je serre mon corps avec mes bras, mais malgré tout, mes yeux ne peuvent pas quitter l'écran. Il en va de même pour les autres. Leurs yeux sont écarquillés, leurs visages livides. On regarde l'écran telles des poupées sans cœurs ni âmes.

Sur le poly-écran, le déluge bleu continue à produire d'immenses quantités de sang. Ce n'est plus une guerre, pas même un massacre. C'est comme utiliser un pesticide pour éradiquer des insectes.

La vallée s'est transformée en véritable bain de sang. Les points noirs en train de s'enfuir disparaissent à l'horizon, et la centaine de blessés qui est parvenue à survivre — ou plutôt, ces êtres difformes couverts de rouge — hurlent de concert, c'est une scène tout droit sortir de l'enfer.

Le temps semble s'être arrêté.

On reste sans voix, tout en attendant la suite.

Puis, finalement, la vidéo se déplace ensuite de la vallée ensanglantée vers la colline en elle-même. Elle est prise d'un endroit très élevé, sûrement depuis un satellite de surveillance. En haut de la colline, à l'avant, se trouvent les robots militaires, et derrière des milliers de maîtres. L'objectif du groupe est...

— Dites-moi que je rêve...

À cet endroit, il y a un bâtiment en verre en angle droit, un gros objet en forme d'œuf est visible à l'intérieur, enterré dans le sol. Le gros objet (... toupie) qui continue à tournoyer, les murs extérieurs jonchés d'innombrables capsules (... berceaux), le container enfoui dans le sol (... forêt paradoxale).

(Ahh... C'est... Il n'y a pas l'ombre d'un doute. Ce long bâtiment blanc...)

— Blanche Neige...

Les gens aux yeux injectés de sang se ruent vers Blanche Neige, avant de s'allonger dans les berceaux. Enfin, Blanche Neige les absorbent dans son estomac, avant de s'enfoncer sous terre et de disparaître du champ.

Des milliers de personnes sont restées derrière. Les abandonnés hurlent de désespoir et de rage. Enfin, une fumée blanche déferlante s'élève, congelant les personnes, impuissantes. Les silhouettes humaines brillant à la lumière sont aussi belles que des statues de cristal, mais au final, leurs corps finissent par être érodés par le vent, petit à petit réduits en poussière.

Tout ce qui reste sur la colline, ce sont les robots. Nos camarades d'un métal noir qui ont procédé à un massacre pour protéger leurs maîtres sont toujours en position de tir, sans bouger. Telles des personnes vêtues en habit de deuil pour des funérailles, leurs yeux perdent leur éclat alors qu'ils regardent en contrebas la terre gelée. La vidéo s'arrête.

Personne ne sait quoi dire.


Souvenir

Fais de beaux, de beaux, de beaux rêves ce soir.

Je continue de vous serrer contre moi, alors dors bien.


Je finis de chanter la berceuse, et la pièce fut plongée dans un silence paisible. Il y avait plus de trente enfants assoupis dans le dortoir de la crèche. Les enfants dormaient paisiblement dans la pièce, les enfants dormaient avec les pieds dépassant de leur couverture, les enfants suçaient leur pouce ; je pouvais deviner la personnalité de chacun à sa façon de dormir.

(Ah là là, tu vas prendre froid.)

Il y avait un garçon qui dormait avec son joli ventre à l'air. J'ajustais ses vêtements, et le recouvrais avec la couverture. Les enfants humains sont si faibles ; il est impératif de suivre leur condition de près.

Les rayons lumineux brillaient entre les rideaux, et la brise printanière soufflait dans les branches dehors. Je sentais le souffle de la vie. C'était un printemps propice à une grasse matinée.

— Beau travail.

Une main se posa sur mon épaule. Je levai la tête, et aperçus un visage amical.

— Merci beaucoup, monsieur le principal.

— Va te reposer.

— Oui. Votre sollicitude me touche.

Le principal s'en alla, et je restai un peu pour admirer les visages endormis des enfants. Il y en avait qui avaient le sommeil agité et qui allaient se retrouver hors de leur couverture, d'autres qui allaient pleurer après avoir fait pipi au lit. Je ne pouvais pas les laisser sans surveillance ; et surtout, j'adorais ce moment. Cette sérénité, cette quiétude. C'était le meilleur moment de ma vie, comme si tout était recouvert d'un amour chaleureux.

Les enfants dorment paisiblement, avec un regard innocent.

Des visages purs, sans l'ombre d'un doute en eux.


Chapitre 3 Page principale Chapitre 5