Difference between revisions of "Amaryllis au Pays de Glace : Chapitre 5"

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Chapitre 5 : Médaille de fleur[edit]

Partie 1[edit]

Des respirations paisibles, des visages innocents endormis.

J'observe les enfants dormir sur la place, et ressens comme une chaleur en moi, mais dans le même temps, une certaine douleur.

Il y a une longue histoire derrière les enfants robots. À la base, ils avaient été conçus pour les couples stériles ou qui avaient perdu leurs enfants, avant de devenir une gamme de produit incontournable de l'industrie robotique. Ces robots qui aiment sourire, s'accrocher aux autres tout en étant si compréhensifs jouissaient d’une grande popularité sur le marché, ils étaient pour la plupart choyés, chéris par leurs « parents » humains, comme s'ils étaient leurs véritables enfants.

Hélas, le passage du temps demeurait fatalement cruel. Une fois leurs maîtres, « leurs parents » morts, les robots enfants avaient accompli leur mission, et étaient renvoyés à l'usine pour y être démontés. Pour les robots qui avaient non seulement coûté une fortune à la base, mais pour qui les frais de maintenance étaient élevés, la mort de leurs maîtres signifiait leur propre mort.

Bien entendu, il existe des robots qui avaient échappé de peu à leur funeste destin et qui avaient terminé dans des boutiques de seconde main. La plupart des robots de ce village sont dans ce cas. Les enfants du village me collent également, non pas du fait de ma trop grande gentillesse, mais parce qu'ils cherchent une famille. Pour leur plus grand malheur, ils ont été codés pour désirer une famille, être cajolés et ils continuent à chercher de l'affection même cent après.

(De l'affection, hein...)

L'ex-robot nounou que je suis chantait pour eux tous les deux jours pour les faire dormir. J'ignore si un robot comme moi est doté de cette chose appelée « amour », mais je souhaite malgré tout faire de mon mieux pour eux. Jusqu'au jour où nos maîtres se réveilleront et pourront leur donner de l'amour véritable.

(Mais...)

Un souvenir traumatisant refait surface dans mon esprit. Il s'agit de l'épouvantable scène à laquelle j’ai assistée quatre jours auparavant.

(Je n'aurais jamais cru... qu'il s'était passé une chose pareille.)

J'ai également vécu la « fin des temps ». J'ai été retirée de la crèche, et travaillais comme robot de construction à un certain endroit de la ville. Quand la vague de froid est arrivée, on m'a ordonnée de changer de travail, et on m'a déployée sur le site de construction de « Blanche Neige ». Les souvenirs du transport de matériaux avec les robots poids lourd sont toujours frais dans mes circuits mentaux.

Néanmoins, pas de trace de cette autre scène. Que j'y ai assisté ou non, il est inconcevable que je n'ai pas eu vent d'un tel évènement. Des milliers de personnes avaient été massacrées, et pour autant, l'information ne serait jamais parvenue à mes oreilles ?

(Ma mémoire aurait été effacée...?)

Pour une raison ou une autre, les données de cette époque ont été effacées de mes circuits mentaux. Dans ce cas, ça explique bien des choses. Ou plutôt, c'est la seule explication plausible.

Mais pourquoi ? Elle a été effacée parce qu'elle était dommageable pour les humains ? Est-ce juste moi ? Ou c'est également le cas des autres villageois ? Si nos circuits mentaux ont été altérés, et que les enregistrements compromettants pour l'histoire de l'humanité peuvent être effacés, est-ce que mes sentiments — mes pensées, mon adoration, mon dévouement pour mes maîtres — ont été créés artificiellement ? Qu’en est-il du principal ? A-t-il vraiment existé ?

(Je ne sais plus. Qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est faux... Je suis perdue.)

Plus je me mets à douter, plus je me sens mal à l'aise. Je ne peux même plus me fier à mes propres souvenirs. Je ne vois pas comment je pourrais arriver à la moindre conclusion dans ces conditions.

Et au moment où je suis profondément frustrée par mon incapacité à trouver une réponse :

— Ah, t'es là.

Je lève la tête, et aperçois une femme vêtue d'un béret debout devant moi.

— Hm... Les enfants sont vraiment collants aujourd'hui.

— Ils dorment à poings fermés là.

Viscaria regarde autour d'elle, visiblement impressionnée. Il y a des draps posés par terre sur la place, et les enfants se rechargent, dormant les bras et jambes écartés. Les enfants robots ont une fonction « sieste » qui leur permet d'entrer automatiquement en mode veille. Cette fonction est vraiment recommandée pour économiser l'énergie. Tout du moins, l'efficacité de la recharge est la plus optimale quand ils ne bougent pas.

— Il faut qu'on parle.

— Oui ?

— Il faut un dépistage d'urgence dès que possible.

— Hein ?

Je la fixe du regard. Il vient juste d'y en avoir un il y a peu.

— Pourquoi encore ?

— Eh bien, en gros...

Viscaria m'avoue ensuite que comme on vit sous terre depuis un bon moment, le métal a tendance à fatiguer plus facilement, d'où les gelures métalliques. Si le corps d'un robot gèle, le pire des cas serait qu'il montre des signes de décomposition.

Cette tendance s'est accélérée ces derniers temps.

— Il y a deux semaines, il y a eu sept cas. La semaine dernière, onze. Cette semaine, on en est déjà à vingt.

— Hein, déjà vingt ? C'est trop.

— C'est pour ça qu'il faut organiser un dépistage d'urgence.

Viscaria retire son béret, et ferme ses yeux fatigués. En fait, avec le nombre de patients qu'on lui envoie à longueur de journée, elle n'a pas le temps de se reposer comme il n'y a qu'elle pour les examiner.

— T'es vraiment sous l'eau en ce moment avec le ravitaillement, et pourtant tu viens me donner un coup de main.

— Bah, pas le choix. Peut-être qu'on peut affecter plus de gens pour t'aider. Je vais demander au maire.

— Je compte sur toi.

— Et puis, il faut qu'on trouve une solution...

Récemment, il y a beaucoup de problèmes au village. Des séismes fréquents, des effondrements soudains, les gelures qui s'enchaînent, la glacemobile qui tombe en panne. Les « extractions » des villageois sont devenues monnaie courante aussi.

(Peut-être.)

Je lève la tête, je viens de penser à quelque chose.

(Si je montre la vidéo aux enfants, qu'est-ce qu'ils vont en penser ?)

Les trente enfants devant moi dorment dans différentes positions. Je ne peux plus regarder directement leurs visages endormis innocents.

— Ma... Maman... murmure l'un d'entre eux.


Partie 2[edit]

— Quel joli petit cul aujourd'hui !

— Kyaaaa !

Je me retourne en sursautant, alors que quelqu'un me caresse les fesses. Évidemment, c’est le coureur de jupons, tout sourire.

— Tu pourrais pas saluer les gens de façon plus normale ?

— Hm, tu préfères que je te pelote les seins ?

— Saleté de Fessebahn !!!

Eisbahn hérite d'un coup de pied de ma part.

— Ouch, ça fait mal !

Avant de décoller dans les airs.

— Si tu continues comme ça, je vais demander à Viscaria de te la couper.

— Eh ben, c'est de sacrées menaces venant d'une pucelle.

— Je suis sérieuse.

— Bouh, j'ai peur.

Je pousse un soupir. C'est la seule personne du village à ne pas s'inquiéter alors que le village est ravagé par les séismes et les gelures.

— Si t'es vraiment un sénateur, alors merci de t'inquiéter un peu pour l'avenir du village.

— Mais je pense à des tas de choses.

— Arrête de mentir.

Je refoule sa main collante qui se dirige vers ma poitrine, et m'en vais.

— Allez, fais pas la gueule !

Mais il continue à me harceler.

— Tu vas où ?

— C'est pas tes affaires.

— Encore le conseil du village, pas vrai ?

— Ouais, t'as des suggestions ?

— Tu peux pas les contacter par le réseau sans fil ?

— J'arrive pas à joindre le maire, alors je vais lui parler directement. Au sujet des gelures et des mesures qu'on pourrait prendre.

— T'es trop sérieuse.

— C'est toi qui l'es pas assez.

J'essaye de le semer en accélérant, mais il ne me lâche pas d'une semelle. Je suis tout le temps froide avec lui et pas du tout mignonne, alors pourquoi est-ce qu'il me colle tout le temps comme ça ?

Je fonce en avant telle une furie, les épaules penchées en avant, jusqu'au moment où...

...!


Braoum ! La terre se met à trembler.


C'est une immense secousse. Il y en a eu de petites au cours du mois, mais pas d'une telle ampleur. C'est comme si la Terre sautait dans tous les sens pour me faire tomber, alors que je perds l'équilibre et m'effondre. À côté de moi, Eisbahn lutte lui aussi pour rester debout.

Le tremblement dure pendant un long moment. Le sol tremble de long en large plus d'une minute, et de nombreuses stalactites, une douzaine, tombent du plafond. On tente de se réfugier dans une maison, mais on n'arrive pas à se relever, alors on ne peut que rester sur place jusqu'à ce que la secousse s'arrête.

Puis...

(C'est... fini ?)

Je lève la tête avec hésitation, et des fragments de glace ruissellent de ma tête.

— Arg...

Eisbahn lève la tête à son tour.

— J'ai cru que j'allais y passer...

— ... M-Moi aussi.

Toujours sous le choc, on se tient la main et se relève, tout en regardant autour de nous. Il y a de nombreux blocs de glace de tailles diverses et variées éparpillés autour de nous, alors qu'on aperçoit les murs de plusieurs maisons effondrées. La gravité de la situation ne fait aucun doute.

— L'appel d'urgence...!

J'ouvre tous les canaux de communication, avant de crier :

— Ici la maire adjointe Amaryllis ! À tous les blocs ! Au rapport ! Je répète, au rapport...!

Et l'instant d'après, mes circuits mentaux reçoivent des rapports des quatre coins du village.

— Ici l'aile gauche B ! Il y a beaucoup de monde piégé sous les gravats ! Demande aide de toute urgence !

— Pied droit D ! Quatre blessés graves, on est à court de matériaux !

— E6 du corps ! On a des enfants enfouis sous terre ! Vite, envoyez de l'aide !

Les annonces de blessés se succèdent en cacophonie, et en un clin d'œil, nous voilà avec plus de cinquante blessés. Je donne immédiatement les instructions.

— À tous les blocs ! Référez-vous au manuel 7 3C ! Les entrepôts et réserves vont être ouverts à tous ! Priorité à ceux dont les circuits mentaux sont endommagés ! Envoyez vos rapports au conseil du village ! Compris ?! ordonné-je.

Puis je change de canal :

— Monsieur ! Vous m'entendez ?! Ici votre adjointe, Amaryllis ! Monsieur ! Monsieur...!

J'appelle désespérément le maire à travers le canal d'urgence. Aucune réponse.

(Pourquoi à un moment pareil...!)

— Accès aux données du conseil avec le profil de la maire adjointe ! Cartoiseau !

Une énorme carte apparaît immédiatement sous mes yeux. C'est une image holographique que moi seule peux voir à travers mes circuits mentaux.

(Ah !)

Il y a plusieurs lumières rouges sur la route menant à Blanche Neige.

(Ça craint !)

— Viscaria ! Götz ! Rien de cassé...?!

J'appelle les autres sénateurs sur le réseau sans fil. « Je suis en un morceau. » « Il en va de même pour ma personne. » J'obtiens rapidement une réponse.

— On se dirige vers Blanche Neige pour évaluer la situation ! On vous confie le reste !

« Pigé ! », « Cela nous convient ! », répondent les deux à l'unisson.

— On y va, Eisbahn !

— Ok !

On se rue de toutes nos forces vers notre objectif.


Partie 3[edit]

— Yah !

Après quelques éclairs bleutés, les larges blocs de glace éclatent en mille morceaux. Sur le chemin menant à Blanche Neige, plusieurs dizaines de mètres sont obstrués par des morceaux de glace.

— Bam...!

La glace est fendue en deux. Eisbahn la « Lame Fantôme » continue de se frayer un chemin, comme s'il creusait un tunnel, et les fragments de glace s'empilent sur le côté.

— Attends !

Je sens du métal.

— Il y a quelqu'un...!

— Quoi ?

Il rengaine son arme.

— Enterré vivant ?

— Sûrement ! Essaye de creuser dans ce coin ! Fais gaffe !

— Ok !

Eisbahn change le mode de sa lame pour faire fondre la glace comme avec un chalumeau. Il y a des fleurs et de l'herbe incrustées à l'intérieur, sûrement parce qu'on n'est pas loin de la Forêt Paradoxale, et de la fumée blanche s'échappe dès que la glace est touchée par le laser.

— Oh...! s'exclame Eisbahn.

— Quoi ?

— Je le vois !

Il attrape le coude gris qui dépasse du sol et le tire vers lui. Le robot enterré vivant a une tête hémisphérique, un corps rondelet et des chenilles en guise de jambes.

— Hein...?! nous écrions nous en cœur.

— Gappy...?! Mais qu'est-ce qu'il fiche ici ?!

Je soulève le corps de Gappy avec mes deux mains. La lueur dans sa sortie optique s'est évanouie.

— Tiens bon ! On va te sauver !

J'ouvre le corps de Gappy, avant d'en sortir rapidement la batterie. Je branche la batterie de secours, et après un vrombissement, la lueur apparaît à nouveau.

— Ga...

— Gappy, ça va ? Tu m'entends ?

— Ama... ry... llis...?

La tête hémisphérique de Gappy se tourne en émettant un grincement pour confirmer ma présence avec ses lentilles.

(Il a de profondes gelures...)

Comme il était enterré vivant, son corps est complètement gelé. Les fissures sont vraiment importantes, sa vie pourrait être en danger si ça continue.

— Gappy, tes gelures sont graves. Ne bouge pas d'ici. Reste ici jusqu'à ce qu'on revienne te chercher.

— Gappy... comprend...

Je lui tends la batterie de secours, et on continue la mission. Je devrais l'envoyer au village, mais notre priorité est Blanche Neige. C'est notre devoir de villageois.

(Tiens bon, Gappy.)

— Dépêchons-nous !

— O-Ok...!

Je balaye mes cheveux vers l'arrière, et me remets au travail.

La lame bleue d'Eisbahn continue de trancher la glace en deux.

(Mais...)

Il y a une chose qui me turlupine.

(Qu'est-ce que Gappy fait ici...?)


Partie 4[edit]

Après avoir enfin atteint la Forêt Paradoxale, on se met à faire les cent pas devant.

— Monsieur Camomille...! Vous m'entendez...?!

Sans sa permission, on ne peut pas entrer dans Blanche Neige.

(Mais qu'est-ce qu'il peut bien...?!)

— Baisse-toi !

Eisbahn lève son bras.

— Qu'est-ce que tu comptes faire ?!

— Pas le choix que d’entrer en force !

Eisbahn agite son bras vers le bas de toutes ses forces. La Lame Fantôme heurte l'épaisse porte à pleine puissance, et des étincelles virevoltent, alors qu'une bosse apparaît.

— C'est du solide... Encore !

Eisbahn donne alors un nouveau coup exactement similaire au précédent. D'un bruit sourd, la porte est enfin transpercée.

— Enfin !

Il tranche la porte latéralement afin de créer un trou de forme triangulaire suffisamment grand pour une personne.

— J'y vais !

— Fais gaffe !

Je me faufile dans l'ouverture, suivie par Eisbahn.

Une fois à l'intérieur, on est abasourdis.

— C'est pas sérieux...

La Toupie de Blanche Neige s'est arrêtée de tourner, la lumière a disparu, dépourvue de courant. Je regarde de plus près et aperçois des débris tombés du plafond qui bloquent l'essieu. Il y a plusieurs berceaux par terre. L'étendue des dégâts est similaire à une ruche ravagée par un ours.

(Qu'est-ce que...!)

— Eisbahn ! Je redémarre le générateur ! Je te laisse te charger de la toupie !

— Ok !

On se met au boulot chacun de notre côté. Il y a un générateur de secours pour éviter que les berceaux ne gèlent, mais j'ignore combien de temps il tiendra.

(Il faut que je me dépêche...!)

Tchink. Le levier est actionné, mais Blanche Neige ne montre aucun signe de vie.

(L'activation manuelle ne fonctionne pas...!)

J'active le panneau de contrôle sur le mur, et appuie sur les touches en implorant le ciel.

— Ha !

Je peux entendre Eisbahn crier au-dessus de moi, puis le bruit de l'air fendu résonne. Les bouts de débris virevoltent dans toute la pièce.

— C'est bon !

— Merci ! crié-je.

Je repianote les touches du clavier.

(Maîtres, maîtres...!)

Les souvenirs défilent dans ma tête. Les maîtres avec leur doux sourire, les maîtres qui ont toujours une pensée pour moi. Puis...

« Feu ! »

— Arg...!

Pendant un moment, mes mains s'arrêtent. Je veux me dépêcher de sauver mes maîtres, mais j'ai une autre image qui apparaît dans mon esprit. C'est cette « vidéo » à laquelle je ne veux pas penser.

(Arg...!)

Je secoue la tête légèrement pour essayer de chasser mes doutes et me remettre au travail. Le panneau de contrôle affiche le bouton de confirmation.

— Allez, marche...! m'exclamé-je avant de marteler le panneau.

À plusieurs reprises.

Puis, immédiatement.

Dans un bourdonnement, Blanche Neige se met à briller. Les lumières défilent à la surface de la Toupie, tel le sang circulant dans les veines, et l'essieu se met à tourner.

— Dieu merci...

Je pousse un soupir. J'ai tergiversé pendant un moment, mais j'ai tout de même réussi à sauver les maîtres. Étrangement, je ressens comme un soulagement.

(Ensuite...)

Il ne me reste plus qu’à remettre en place les berceaux tombés, et les réparations seront terminées. J'examine la pièce et me dirige à la hâte vers le berceau le plus proche.

Et pile à ce moment-là...

Braoooum ! Le sol se met à trembler.

(Quoi, encore...?!)

Une nouvelle secousse frappe à nouveau, et je perds l'équilibre avant de tomber par terre.

Le séisme ébranle Blanche Neige, et l'essieu qui venait tout juste de se remettre à fonctionner émet un grincement aigu. Des stalactites tombent du plafond.

(Oh, non...!)

Les éclats de glace pleuvent sur un petit berceau au milieu de la pièce. Si ça continue, ça va mal finir.

— Arg...!

Je rampe jusqu'au berceau aussi vite que possible, mais le tremblement ne faiblit pas, alors je n'avance pas aussi vite qu'espéré.

Mais c'est alors que...


— Ga-Ga-Ga-ppyyy !!!


Un bruit perçant résonne, et un robot fait irruption dans la pièce. Le robot se rue vers le berceau.

(Gappy ?!)

— J-J-J-J-J-J-Je...!

Alors que le monde continue à être secoué par le séisme, Gappy fait tournoyer ses chenilles et fonce droit en avant à une vitesse incroyable pour lui — la même que lors de la course d'élan durant la fête de la prière.

Les stalactites s'abattent sur Gappy, et les fragments pointus s'enfoncent dans le sol. Malgré tout, le courageux robot continue d'avancer sans se soucier de sa propre vie. Celui qui avait été traité de tas de ferrailles jusqu'ici n'existe plus, il a laissé place à un vaillant guerrier animé par sa mission.

(Quelle classe.)

Je le pense vraiment.

Mais...

Au moment où Gappy est sur le point de pousser le berceau sur le sol.

(Ah !)

Une énorme stalactite tombe du plafond.

— Merde !

Eisbahn tente de l'éclater avec sa lame, mais la manque de peu.

— Gappy, reste pas là !!!

Hélas, il n'écoute pas. Après avoir poussé le berceau avec ses chenilles, il perd l'équilibre et tombe à la renverse.



Et se fait écrabouiller.


Partie 5[edit]

— Gappy...

Le fragment a atterri droit dans son dos, et a transpercé son abdomen puis le sol. Il est littéralement cloué au sol. Le brave robot grimace d'agonie.

— J-J-J-Je peux...

— Non, Gappy. Ne bouge pas.

Je sens que ma voix tremble. Le corps de Gappy a été sectionné en deux, ses entrailles se déversant, et sa tête est tournée à 180 degrés.

— Attends. Je vais récupérer tes circuits men-

— N-Non, pas la, peine...

Il bouge à peine sa tête.

— J-Je... suis, fichu.

— Dis pas ça ! crié-je pour le contredire.

Hélas, je sais pertinemment que ses blessures sont critiques, et même irréparables. On peut voir des fissures sur ses bras, ils sont presque sur le point de tomber en morceaux.

— M-M-M-M-Mes... ci-ci-ci-circuits... mentaux... sont... morts.

En entendant ça, je fouille dans le trou béant de son corps, et coupe les câbles pour vérifier le circuit rectangulaire. La plaque gelée est complètement fissurée, et est sur le point de se casser en mille morceaux.

Pour nous autres robots, il n'y a plus rien à faire dans ces cas-là. La mémoire qui peut stocker d'importantes données est utilisée par Blanche Neige. Du coup, quand les circuits mentaux sont cassés, on ne peut plus les réparer.

Autrement dit, on meurt.

— J-J-Je...

Gappy tente désespérément de dire quelque chose.

— V-Veux, donner...

— Hein ?

— Donner, ça... à Daisy...

Gappy ouvre sa bouche, et à l'intérieur qui est aussi sombre qu'une grotte, se trouve un petit fragment de glace.

— A-arg...

Les mains tremblantes, il sort le fragment de sa bouche. Il ressemble à un pétale rose, et malgré sa forme irrégulière et grossière, c'est... une médaille de fleur.

« Je veux donner cette médaille, à Daisy. »

Ce sont les mots qu'il avait prononcés dans le parc au milieu de la nuit.

Je réalise enfin pourquoi Gappy est venu dans la Forêt Paradoxale.

Il est venu ici pour Daisy. Daisy voulait vraiment cette médaille, alors il est venu ici pour en fabriquer une.

— C-C'est, pour, Daisy...

— Non, Gappy. Il faut que tu la lui donnes en main propre.

— J-Je... ne peux...


— On va s'en occuper.



Une paire de mains se pose sur mes épaules avant que je m'en rende compte. Je me retourne, et aperçois Eisbahn.

— Mais...

— Respecte ses sentiments, tu veux ?

Il acquiesce dans ma direction. Je ne l'ai jamais vu aussi sérieux.

— ... D'accord.

Je prends la médaille dans les mains de Gappy.

— M-Merci.

Puis, le corps de Gappy s'enfonce, comme s'il n'avait plus d'énergie.

La lueur dans ses lentilles rondes s'évanouit peu à peu.

— Non, Gappy. Rentrons ensemble au village.

À nouveau, je serre fort sa main.

— Est-ce...

Gappy lève la tête vers Blanche Neige, tout en demandant d'une voix faible :

— Que j'ai... été... utile...

La voix faiblit.

— Aux... maîtres...?

— Oui.

Je retiens mes larmes avant de prononcer péniblement :

— Tu as été parfait, et super courageux quand tu as protégé le berceau.

— Je, vois...

— Oui... alors...

Je retire le pendentif accroché autour de mon cou. C'est la médaille de fleur « Grand Prix » que j'ai remportée lors de la fête de la prière.

— Gappy, j'ai l'honneur de te remettre le « Grand Prix ».

Je mets le prix à son cou. Tiinng. La médaille touche son corps en émettant un carillon qui résonne de façon dramatique.

— J-J-J-J-J'ai reçu, le, Grand Prix...

— Oui, exactement.

— C-C'est, mérité ?

— Tu as risqué ta vie pour protéger nos maîtres. Cette médaille te revient de droit.

— Héhé... J'ai, réussi...

Il sourit de toutes ses forces.

— Si, Daisy, savait, ça.

Il murmure tant bien que mal ses dernières paroles.

— Elle, en, reviendrait, sûrement, pas.

Un bruit aigu résonne. Abasourdie, je jette un œil vers le trou béant dans l'abdomen de Gappy. L'objet argenté rectangulaire à l'intérieur — les circuits mentaux — tombe sur le sol avant d'éclater en mille morceaux, tel un verre. C'est la phase terminale d'une gelure métallique.

Et ainsi, Gappy n'est plus.




Souvenir

Gaooo Gaooo. Je continue d'avancer.

— Allez, en avant ! En avant !

Je peux entendre Daiy crier au-dessus de moi.

« C'est Gappy ! » « Tas de ferraille nous attaque ! » « Fuyons ! »

Les enfants courent avec tant d'enthousiasme pendant que je les poursuis.

— Allez, plus vite, Gappy ! m'ordonne Daisy.

Hélas, je ne peux pas aller plus vite, et je finis par être distancé par tout le monde.

La courte partie de cache-cache prend fin.

— Raaaaah, Gappy, t'es trop lent...

— J-J-J'ai fait de mon mieux.

— Ça suffit pas.

Avant que je m'en rende compte, il n'y a plus que Daisy et moi dans le parc. Comme d'habitude, il ne reste que nous deux.

— D-D-Daisy.

— Quoi ?

— P-Pourquoi tu, t'en, vas, pas ?

— Hein ?

Daisy s'accroupit tout en me regardant.

— Comment ça ?

— J-Je suis, nul, alors, tout le monde, s'est enfui. Mais, toi, pourquoi, tu n'es pas... partie ?

— Comment ça pourquoi ? Je m'en fiche de tout ça.

— J-J-J-Je veux savoir. Je, veux, savoir, ce que tu penses, Daisy.

Daisy me dévisage. Après une courte pause.

— Bah...

Elle se met à parler de son passé, chose rare.

— Quand Papa et Maman étaient toujours en vie, j'avais un jouet qui jouait souvent avec moi. Il te ressemblait et arrêtait pas de courir et crier « Gaoo, Gaoo » comme ça.

— J-Je vois...

— Alors quand je t'ai rencontré, je me suis dit que c'était comme si on avait été réuni... C'est tout.

Et bizarrement, Daisy insiste d'un air gêné.

— Vraiment, c'est tout.

J'aime Daisy. Plus que tout au monde.

Ça serait génial si on pouvait se réconcilier demain.


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