Bienvenue à la N.H.K ! : En route pour le créateur - Partie Un

From Baka-Tsuki
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Partie Un[edit]

J'étais au bord du gouffre. Je ne pouvais apercevoir ne serait-ce l'once d'une lueur d'espoir. Il n'y avait plus rien à faire, c'était sans espoir. Et à cause de mes délires d'illuminé sur la N.H.K. qui serait une organisation démoniaque contrôlant le monde, j'avais même perdu mon dernier moyen de distraction.

C'était pour moi une source d'angoisse sans fin ― le genre de chose qui me donnait envie d'imiter Vincent Gallo dans Buffalo 66. En entrant dans ma salle de bain, je me pris la tête entre les mains et me mis à gémir.

― Ça ne peut plus durer.

Il faut que j'en finisse avec la vie.

Cependant, aujourd'hui n'était pas un jour comme les autres. Quelque chose d'inattendu s'était produit peu auparavant.

Après m'être réveillé à une heure de l'après-midi, je découvris un étrange morceau de papier dans ma boîte aux lettres. Je m'en saisis et me mis à l'examiner sous toutes les coutures.

C'était le CV que j'avais écrit quelques jours plus tôt pour le petit boulot au manga café. Je l'avais fait tout spécialement pour cette annonce, un souvenir que je voulais effacer à tout jamais de ma mémoire.

Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il fiche dans ma boîte aux lettres ?

Je me ruai vers l'appartement voisin de Yamazaki.

Yamazaki séchait une fois de plus les cours. Assis devant son ordinateur, il jouait à une sorte de jeu.

― Est-ce qu'une religieuse est passée aujourd'hui ? demandai-je.

― Hum... elles sont passés y'a deux heures environ. Et elles m'ont filé une de leurs brochures. Franchement, leur traduction littérale m'a trop fait marrer. Pourquoi tu demandes ça ? Elles sont pas passées te voir, Satô ?

C'est alors que l'effroyable vérité derrière les déclarations de Yamazaki me sauta à la figure. Apparemment, j'avais oublié mon CV au manga café. Je ne pouvais pas me souvenir s'il était tombé de ma poche ou si je l'avais mécaniquement donné à Misaki. Et à cause de l'énorme traumatisme qui s'ensuivit, ma mémoire de cet instant de ma vie était loin d'être claire.

Seule une chose était sûre : lors d'une de ses tournées religieuses, Misaki avait fait un petit détour pour me ramener mon CV. Autrement dit, ma maladroite tentative de masquer le fait pourtant évident que j'étais venu postuler pour un petit boulot s'était avérée être un échec sur tout la ligne. En réalisant cela, c'est comme si plus rien n'avait d'importance. Quand les hommes sont confrontés à une situation extrêmement embarrassante, il semblerait qu'ils perdent toute émotion.

― Peu importe, murmurai-je, tout en me dirigeant vers la poubelle pour jeter le papier.

À ce moment-là, le verso de mon CV attira mon attention. Un message était écrit au stylo-bille noir : « Tu as été choisi pour participer à mon projet. Rendez-vous au parc du quartier Mita à neuf heures ce soir. »

Hein ? J'étais complètement abasourdi, accroupi devant ma poubelle.

Après m'être remis de mes émotions, je me rendis compte de l'énormité de la situation. Je venais de recevoir une lettre d'une fille que j'avais rencontrée à peine deux fois. Franchement, c'était tellement incroyable de chez incroyable que je n'avais pas la moindre idée de ce qui pouvait bien se passer. Du coup, je décidai de jouer le jeu.

Le parc n'était qu'à deux minutes à pied de chez moi. La nuit était déjà tombée. Les arbres sur le bord de la route poussaient à intervalles réguliers. Il y avait une vieille cage à poules, un banc à la peinture effritée, et d'imposants lampadaires devant les balançoires, illuminant tout d'une faible lueur bleuâtre. J'aimais bien ce parc.

Durant mes missions de ravitaillement, nocturnes et hebdomadaires, jusqu'à la supérette la plus proche, je faisais toujours en sorte de m'arrêter ici. Désert, l'endroit était à moi seul.

Mais ce soir, le parc n'allait pas être mon espace personnel. Quelqu'un d'autre était là.

Je ne l'appelai pas. En fait, j'avais l'estomac noué.

Qu'est-ce que tu essayes de faire ? À quoi est-ce que tu peux bien penser ? Et t'es qui au juste ? Ces questions me taraudaient à mesure que ma colère montait, mais j'avais malgré tout l'esprit clair. J'étais même calme, mes pensées se succédaient les unes après les autres de façon sereine, tout dérapage me semblait alors impossible.

Peut-être était-ce le symbole de ma résignation. Peut-être avais-je enfin fini par admettre la gravité de ma situation. Il était parfaitement possible que j'avais fini par me convaincre que j'étais un hikikomori, un être sans avenir, quelqu'un qui ferait mieux de mourir. Oui, il n'y avait pas d'autre explication.

Dernièrement, je vivais dans le passé. Tous les soirs, je rêvais de mon enfance : ma ville natale qui me manquait, les amis, la famille, les choses que je détestais auparavant, celles qui m'ont rendu heureux, et d'autres souvenirs en vrac ― des bribes de tout ça. Mes songes nocturnes entremêlaient douceur et mélancolie.

Oui, mon avenir avait cessé d'être un problème. C'était déjà écrit, et c'est précisément pour cette raison que je devais vivre dans le passé ― dans mes merveilleux et douillets souvenirs. C'était évidemment une forme extrême de fuite de la réalité, mais c'était bien le cadet de mes soucis à présent.

Oui, exactement. Je suis un hikikomori, un être inutile et dépourvu de volonté. Ça vous pose un problème ? Fichez-moi la paix, et je me dépêcherai de disparaître. Je vais bien ! Tout est fini !

― Non, non, et non...

Je m'assis sur le banc, en me tenant la tête entre les mains.

― « Non », quoi ? demanda la fille.

Elle se balançait sur une des balançoires près du banc. Ses cheveux presque à hauteur des épaules virevoltaient légèrement dans le vent. Ce soir-là aussi, elle était habillée comme n'importe quelle ado ― pas d'ombrelle, pas de prospectus, et ni même d'aura religieuse perceptible.

Pour autant, je m'interdisais de baisser la garde. Plus que tout chez elle, l'étrangeté de la situation montrait clairement à quel point cette fille n'était pas nette. Il fallait que je reste zen, tout en restant prudent.

Pour l'instant, j'avais décidé de la considérer comme un ASIMO, le robot bipède développé par Honda. En faisant ça, ça me permettrait de garder la tête hors de l'eau. Pourquoi pas ? Après tout, l'ère de la robotique arrive à grands pas. Mais j'ai beau regarder, elle a l'air tout ce qu'il y a de plus humain.

Se balançant d'avant en arrière sur la balançoire, le robot me demanda :

― Pourquoi est-ce que tu t'es enfui l'autre jour ? On manque de bras en ce moment et de l'aide ne serait vraiment pas de refus. On t'aurait embauché le jour même.

Waouh ! La sortie vocale était parfaite, elle aussi. Les articulations étaient sans accroc, les jambes s'étendant avec flexibilité sous sa jupe. Les savants japonais en robotique sont vraiment les meilleurs du monde, pas vrai ?

― Vu que tu es un hikikomori, tu as eu peur de travailler dans le monde extérieur et tu t'es rétracté au dernier moment ?

Elle n'y allait pas par quatre chemins ― même si, au final, c'étaient juste les mots d'un robot. Et qui serait affecté par les paroles d'une machine ?

Le robot continua à déblatérer des choses encore plus mystérieuses.

― Ne t'en fais pas. Je sais comment faire pour ne plus être un hikikomori.

― Mais qu'est-ce que tu racontes ? ai-je fini par répondre.

― Satô, c'est bien ça ? Eh bien, tu es un hikikomori, non ?

Au lieu de commencer par répondre à sa question, je pointai du doigt le panneau à l'entrée du parc. Il était écrit, « Attention aux pervers ! De jeunes filles se font continuellement attaquer », à la peinture rouge corrosif.

Je lui dis :

― Tu es sûre que c'est raisonnable de donner rendez-vous à une personne louche comme moi ici à une heure aussi tardive ? Je pourrais être dangereux.

― Pas de problème. J'habite tout près d'ici, alors je sais toutes sortes de choses. Par exemple, tu rêvasses toujours dans ce parc les dimanches soirs, pas vrai ? Je t'ai vu de ma fenêtre.

Maintenant que c'était allé aussi loin, la situation commençait à m'inquiéter sérieusement. Je n'arrivais pas à déterminer ce qu'elle voulait. Ses véritables intentions demeuraient un mystère, et rien ne tournait rond. Était-ce là une nouvelle façon de recruter des fidèles ?

― Non, pas du tout. C'est juste que je donne un coup de main à tata Kazuko.

― Hein ?

― Comme je lui cause toujours des problèmes, je me suis dit que c'était la moindre des choses.

Je ne comprenais rien à ce qu'elle racontait, mais elle continuait notre conversation un tantinet embarrassante tandis qu'on regardait tous les deux les lampadaires.

― Enfin bref, peu importe. Satô, tu ne veux pas savoir comment sortir de ta condition de hikikomori ?

― M'appelle pas Satô. Je suis plus vieux que toi.

― Tu connais mon âge ?

― Bah, t'as l'air d'avoir dix-sept, peut-être dix-huit à tout casser.

― Bingo !

Avec l'élan de la balançoire, elle sauta doucement vers l'avant. Ce déploiement d'énergie semblait intentionnel. Mais c'était peut-être mon imagination. Après avoir atterri, elle s'approcha du banc où j'étais assis et me regarda droit dans les yeux. En se baissant tout en posant ses mains sur ses genoux, elle me dit :

― Tu veux savoir comment t'en sortir, pas vrai ? Je vais t'apprendre.

Une fois encore, le même sourire inutilement mignon que j'avais vu la dernière fois arborait son visage. Je ne pouvais désormais plus la considérer comme un successeur d'ASIMO. En détournant la tête, je murmurai :

― Je suis pas un hikikomori.

― Menteur. Comment tu peux dire ça alors que tu t'es complètement trahi quand tata a essayé de te parler l'autre jour ? Et alors même que tu t'es enfui la queue entre les jambes en réalisant qui j'étais au manga café ? Les gens normaux ne font pas ce genre de choses.

― Hé ! m'écriai-je.

― Tu as peur, pas vrai ? Des autres je veux dire.

Au moment où je levai la tête, nos regards se croisèrent. Elle avait de grands yeux, avec de larges pupilles. Je continuais à fixer ses yeux sans savoir quoi répondre.

Puis, sans rien dire, je détournai de nouveau le regard.

Soudain, je réalisai que depuis quelque temps, le vent avait commencé à souffler plus fort. Au-dessus de nos têtes, les branches des arbres s'agitaient bruyamment. C'était une froide nuit.

Je décidai alors de rentrer chez moi. En me levant, je lui tournai le dos. Derrière moi, elle essaya de m'arrêter.

― Attends ! cria-t-elle, Tu le regretteras.

― Qu'est-ce que tu racontes ? Et d'abord, t'es qui au juste ?

― Je suis une gentille fille qui aide ces bons à rien de hikikomoris.

― Et c'est quoi ce « projet » dont tu parlais dans ta lettre ?

― En l'état actuel des choses, les détails du projet sont encore top secrets. Mais ne t'en fais pas, je n'ai aucune mauvaise intention.

Je commençai à me sentir mal, je décidai donc de me trouver une excuse crédible pour me sortir de là.

― Je ne suis pas un hikikomori comme les autres, je te signale. C'est vrai que je me cloître chez moi, mais c'est pour mon travail. J'ai pas le choix.

― C'est quoi ton travail ?

― S-SOHO...

― C'est quoi ça...?

― C'est l'abréviation de « small office/home office ». Je travaille chez moi... ou plutôt, je vis à mon bureau. Je ne suis pas un mauvais payeur. Je ne suis pas quelqu'un de très sociable, c'est clair, mais ça fait partie de mon boulot, alors j'y peux rien, moi ! Si j'ai essayé de me trouver un petit boulot, c'était juste dû à une petite erreur de calcul de ma part sur le moment...

― Hein ? Ah bon ? Quel genre de travail tu fais ?

― N-Ne sois pas surprise par ce que tu vas entendre, mais... Je suis un créateur !

Eh oui, pensai-je, émerveille-toi devant l'intitulé de mon poste !

― Parce que je suis quelqu'un de créatif, on peut avoir l'impression que je suis un peu psychologiquement dérangé, mais ça ne fait que prouver mon incroyable talent ! Non, je ne suis ni un bon à rien ni un chômeur !

Misaki sourit et demanda nonchalamment :

― Qu'est-ce que tu crées ?

― C'est... tu sais, ce qu'on appelle, le dernier cri, le nec plus ultra des technologies d'information. C'est difficile à expliquer en un mot...

― Dans ce cas, préviens-moi quand tu auras fini ce sur quoi tu travailles en ce moment, d'accord ?

― N-Non, ça va pas être possible. Cela relève du secret professionnel. Sans parler des sommes colossales qu'on a investi dans ce projet et tout... Non, je peux pas te montrer ça comme ça...

Alors que je commençais à avoir des envies de suicides à cause des profondes bêtises qui venaient de sortir de ma bouche, Misaki se retourna.

― C'est vraiment du gâchis. Je t'ai offert la possibilité de t'en sortir, après tout.

Elle avait vraiment l'air de penser que j'avais tort de décliner son offre. Dans un petit murmure, elle dit :

― Dire que tu rates la chance de ta vie...

Seule sa silhouette était faiblement identifiable sous le contre-jour offert par les lampadaires.

J'étais un peu... non, assez énervé.

Mes mauvaises habitudes m'incitaient à insister.

― On dirait que tu doutes de ma bonne foi ; je suis vraiment un créateur de génie, pourtant. Une jeune fille comme toi n'est sûrement pas au courant, mais je suis assez connu dans le milieu. Ouais, la prochaine fois qu'on se verra, je te raconterai tout. Au sujet de mon travail. T'en reviendras pas ! Et tu me respecteras !

Pourquoi ai-je dit, « la prochaine fois qu'on se verra » ? Qu'est-ce que je voulais dire par « mon travail » ? Pourquoi est-ce que je racontais toujours ces bobards, tous aussi peu crédibles les uns que les autres ? J'aurais pu être honnête et dire « Je suis un hikikomori sans travail ! » Pourquoi est-ce que je me complaisais dans cette étrange fierté pour ces histoires sans queue ni tête ?

Et puis zut. Peu importe. Je ferais mieux de m'enfuir. Je ferais mieux de m'enfuir d'ici et vite avant que je ne creuse encore un peu plus ma tombe.

― B-Bon, à plus !

Fébrilement, je me dirigeai vers la sortie du parc. Derrière moi, elle avait peut-être marmonné quelque chose, mais je n'ai pas pu discerner les mots.


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