Bienvenue à la N.H.K ! : Infiltration - Partie Trois

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Partie Trois

Le lendemain, Misaki et moi marchions dans les rues de la ville. Le ciel était d'un bleu pur, sans l'ombre d'un nuage. Comme il était samedi, il y avait beaucoup de monde près de la station de métro, et j'avais un peu le vertige du coup.

Comme promis, je la rencontrai au parc voisin à une heure de l'après-midi, et on partit directement à la station de métro. Environ deux heures s'étaient écoulées depuis, et on était toujours en train de marcher. On ne faisait que ça. Alors que Misaki marchait devant moi, faisant mine de montrer la voie, j'avais l'impression de tourner en rond depuis un moment déjà.

Malgré tout, les pas de Misaki demeuraient constants.

Finalement, je finis par craquer.

― Hum, où est-ce qu'on va ?

Misaki se retourna.

― Quoi ?

― Ben, quelle est notre destination ?

― On ne peut pas juste se contenter de marcher comme ça ?

Je levai les yeux au ciel.

Misaki s'arrêta et croisa les bras, plongée dans ses pensées.

― Hum... Maintenant que tu le dis, c'est assez étrange. À bien y réfléchir, je suppose que les gens essayent toujours de se rendre à un endroit en particulier.

Je n'avais rien à dire.

― Dis, où est-ce que tu penses que les gens vont normalement ?

Qu'est-ce que j'en sais, moi ? Et pour commencer, à quoi est-ce qu'on jouait au juste ? On était samedi, en pleine après-midi, et on s'était donné rendez-vous pour tourner en rond dans la ville. Et qu'est-ce qu'on est l'un pour l'autre, de toute façon ? Si je trouvais la réponse à cette question, peut-être que notre destination changerait.

Quoi qu'il en soit, je demandai :

― Misaki, y a-t-il un endroit où tu veux aller ?

― Non.

― Est-ce que t'as déjà mangé ?

― Pas encore.

Pour le moment, on décida d'aller dans une brasserie non loin de là où on se trouvait.





Au moment où on entra dans la brasserie, Misaki dit :

― C'est la première fois que je mange dans un endroit pareil.

Je fumai une cigarette. L'extrémité de cette dernière tremblait légèrement. C'était vraiment dur pour moi. Je voulais des lunettes de soleil. Si je pouvais juste en avoir, je n'aurais plus eu à m'en faire pour les inconnus qui me dévisageaient.

Misaki commanda le menu du jour. Elle l'engloutit avec enthousiasme pendant que je sirotais mon café.

Bon sang, pensai-je. La caféine m'empêche encore plus de garder mon calme. Bientôt, j'allais commencer à me comporter bizarrement.

Contrairement à moi, Misaki était plutôt de bonne humeur. Elle avait l'air de bien s'amuser à faire des sortes d'origamis avec les serviettes qui étaient posées sur la table.

― Regarde ça, j'ai fini. Ça t'en bouche un coin, hein ?

C'était une grue.

― C'est génial. Tu es vraiment douée, la félicitai-je.

Je commençai à avoir mal au ventre, alors on quitta la brasserie.

On marcha encore une bonne demi-heure avant d'entrer dans un café. Je bus un thé noir, et Misaki mangea un gâteau. J'essayais de me rappeler pour quelle raison on en était arrivés là.

Cette nuit-là, Misaki avait dit, « Allons en ville. En faisant ça, je suis sûre que tu feras un grand pas en avant dans la bonne direction. »

Oh, mais bien sûr. En gros, c'était une nouvelle étape du programme d'échappatoire au hikikomorisme, et ça ne voulait pas dire qu'on était en rencard ou quoi. Puis, il y a eu hier soir. Après avoir vu Misaki la nuit précédente, je me posais encore plus de questions sur sa véritable identité. Pour commencer, cette histoire avait balayé ma théorie comme quoi tout ça n'était qu'une couverture en vue de me convertir. Étant donné qu'elle se fondait vraiment mal dans l'assemblée, il semblait peu probable qu'elle tenterait de recruter des inconnus de façon aussi zélée.

Au final, qui était-elle ? Même maintenant, elle demeurait un immense mystère. Qu'est-ce que je fais là, à traîner dehors avec cette fille aussi mystérieuse ? Que dois-je faire ? En fin de compte, sans savoir quoi faire d'autre, je me contentai de rester silencieux.

Misaki sortit un nouveau livre du sac dont elle ne se séparait jamais. Celui-ci s'intitulait Tous ces mots qui vous guident : une collection de proverbes qui trouveront écho dans votre cœur. Un autre livre bizarre... Mais venant d'elle, plus rien ne me surprenait.

Après avoir mis de côté son assiette, Misaki ouvrit le livre sur la table.

― Laisse faire.

Tout en disant ça, elle me regardait attentivement.

― Il semblerait que c'est une phrase d'un dénommé John. D'après toi, qu'est-ce que ça veut dire ?

― L-laisse les choses telles qu'elles sont.

― Ah, c'est une phrase pleine de sens !

Finalement, nos errements nous menèrent au manga café où travaillait occasionnellement Misaki. L'homme assis à la caisse lui fit un signe de la tête. Faisant mine d'être un habitué, je pris un ticket. Puis, on alla s'asseoir tout au fond de la salle.

En gros, l'endroit était désert.

Tout en buvant du coca gratuit, je me focalisais sur la lecture d'un manga. Misaki, assise en face de moi, me regardait et buvait du jus d'orange. J'étais extrêmement déstabilisé, c'était plus fort que moi. J'avais l'impression que mon estomac allait imploser.

Finalement, je cédai. Il m'était tout bonnement impossible de lire un manga dans ces conditions. J'essayai de faire la conversation.

― Misaki ?

― Hum ?

― Il n'y a jamais personne dans ce manga café, hein ?

― C'est à cause de la récente récession économique.

Je tournai la tête en direction de l'homme derrière le comptoir.

― Cet homme, il est quoi pour toi ?

― C'est mon oncle. Je lui cause toujours des problèmes ; mais comme je vais bientôt partir, je pense qu'il me pardonnera.

Il semblerait qu'il y avait des liens familiaux compliqués ; mais je n'avais pas envie d'entendre cette histoire, alors je changeai de sujet.

― Au fait, Misaki, est-ce que tu aimes tes activités religieuses ?

― Pas vraiment. Je cause tout le temps des problèmes aux gens.

― Des problèmes ?

― Tu sais ― comment dire ? Je casse l'ambiance. Ma seule présence déprime un bon nombre de gens. En fait, ça serait tellement mieux si je n'étais nulle part.

― Tu pourrais simplement quitter le groupe.

― Impossible. Il faut que je fasse quelque chose pour remercier ma tante de tout ce qu'elle a fait pour moi.

― Misaki, tu ne crois pas vraiment en Dieu, n'est-ce pas ?

Misaki posa son verre de jus d'orange sur la table, le petit bruit du verre s'entrechoquant sur la table résonna légèrement.

― Je pense sérieusement que ça serait bien que Dieu existe. Si je le pouvais, j'aimerais y croire, mais c'est assez difficile.

Elle avait l'air déçue. D'une voix découragée, elle se lança dans une soudaine hypothèse.

― Pour commencer, si Dieu existait vraiment, Il doit sûrement être un grand méchant. En y réfléchissant de façon globale, j'en suis arrivée à cette conclusion.

― Hein ?

― Ben, pour les êtres humains, le ratio moments tristes/moments joyeux doit être environ de neuf contre un. Une fois, j'ai tout écrit dans mon cahier et j'ai fait le calcul.

Misaki sortit son cahier secret et l'ouvrit en grand sur la table.

― Tu vois, il y a un graphique. Si tu regardes bien, c'est clair comme de l'eau de roche que les bons moments ― les moments où tu te dis, « Trop bien ! Je suis heureux de vivre ! » ― ne représentent même pas un dixième de ta vie. J'ai fait le calcul correctement avec une calculatrice, alors y'a pas d'erreur possible.

Je me demandais plutôt quel genre de méthode de calcul elle avait utilisé, mais Misaki ne me montra aucune autre page. Et je n'avais pas l'intention d'empiéter plus loin dans sa vie privée.

Misaki continua :

― C'est pour ça. N'importe quel Dieu qui aurait sciemment créé un monde aussi cruel doit vraiment être méchant, tu ne penses pas ? Ça se tient, hein ?

― Misaki, tu viens de dire que tu voulais croire en Dieu, non ?

― Ouais. Je veux vraiment y croire. Je pense que j'aimerais que Dieu existe pour de vrai. Enfin...

― Enfin ?

― Si un tel méchant Dieu existait vraiment, alors on pourrait continuer à vivre en bonne santé. Si on pouvait reporter toute la responsabilité de nos malheurs sur Dieu, alors on aurait l'esprit beaucoup plus tranquille, non ?

C'était une discussion compliquée. Je croisai les bras et fis mine de réfléchir sérieusement sur le sujet, mais mon cerveau ne fonctionnait pas correctement.

Pour commencer, Misaki, t'es sérieuse jusqu'à quel point sur ce sujet ? Tu souris bizarrement depuis un moment déjà. Du début à la fin, j'avais l'impression de m'être fait enfumer.

Mais, au final, ses mots semblaient honnêtes et sincères.

― Si je pouvais croire en Dieu, murmura-t-elle, je pourrais être heureuse. Dieu est un méchant ; malgré tout, je sais que je pourrais être heureuse.

» Le problème, continua-t-elle, Le problème... c'est que je n'ai pas d'imagination, alors j'ai vraiment du mal à croire en Dieu. Franchement, Il ne pourrait pas créer un super miracle pour moi, comme Il le fait dans la Bible ?

C'était le genre de fille à dire des choses aussi déraisonnables.

Après avoir discuté une bonne heure supplémentaire avec elle, je décidai qu'il était temps de partir. En arrivant à la caisse, l'homme derrière le comptoir me dit :

― Ce n'est pas la peine. S'il vous plaît, soyez gentil avec elle.

Je trouvais ça bizarre de dire ça à un gars en train de faire connaissance avec une fille de l'âge de Misaki, mais la mine fatiguée de l'homme était étrangement convaincante. Je baissai légèrement la tête et me hâtai de rentrer chez moi.





De retour à mon appartement, j'eus une incroyable surprise.

Se trouvait au beau milieu de ma chambre une poupée gonflable taille réelle. Tout en titubant, Yamazaki tournait autour d'elle.

― Ah, te voilà, Satô ! Voici l'objet de notre culte.

Je restai coi.

― L'autre jour, j'ai appris que le grand frère d'une connaissance de mon école avait une poupée Ruriruri[1] taille réelle qu'il avait achetée il y a bien longtemps et dont il ne savait plus quoi faire. Ni une ni deux, j'ai tout fait pour mettre la main dessus ! Alors, toi aussi, Satô, vénère-la avec moi ― cette petite et adorable Ruriruri !

La poupée semblait être un personnage d'animé. Yamazaki se prosternait devant la réplique grandeur nature d'une petite fille de primaire.

En regardant autour de moi, je vis que la boîte métallique où l'on conservait notre drogue était vide. Yamazaki avait tout fini.

― Oui, je crois que j'en ai pas laissé une miette ! Grâce à ça, j'ai eu le meilleur trip du siècle. Ah oui ! Et cette fois, j'ai eu une véritable révélation. Accroche-toi, Satô, j'ai vu la vraie structure de ce monde.

Après avoir frotté son front sur les pieds de la poupée, Yamazaki se leva d'un coup et me fit face.

― Je n'arrêtais pas de penser à ce qui pouvait nous manquer. Oui, il nous manque quelque chose. Il y a un trou béant dans nos poitrines, alors je cherchais quelque chose pour le colmater. Je voulais quelque chose qui me rende heureux. C'est tout. Hier, notre étude religieuse a renforcé ma réflexion sur le sujet. Tout le monde doute. Dans ce monde incompréhensible, on veut que quelqu'un nous donne des ordres, et c'est pour ça qu'on a créé Dieu. Le double antagonisme entre Dieu et Satan explique ce monde de façon très simple. Tu vois ? Cette histoire forte mais simple ! J'ai été sincèrement ému !

» Malheureusement, ce Dieu n'est pas fait pour nous, parce qu'Il est beaucoup trop terrifiant. Comme on peut le voir sur les illustrations de « Éveillez-vous ! » ― il est bien trop réaliste et vraiment rebutant.

Yamazaki ramassa la brochure qui traînait dans un coin de ma chambre et le brandit devant moi.

― Regarde ! C'est le numéro spécial de Juin, « Les anges gardiens : ils sont toujours là pour vous protéger. » Dans leur religion, les anges ressemblent à ça.

Yamazaki ouvrit une page montrant une illustration réaliste d'un homme musclé avec des ailes dans le dos.

Yamazaki déchira la brochure en mille morceaux.

― Je veux pas d'un ange comme ça ! cria-t-il. C'est quoi ? Un bodybuilder ? Quand j'entends le mot « ange », je pense à quelque chose de beaucoup plus, tu sais, attirant, moe moe et loli loli...

Plein, plein de souvenirs de jeux érotiques où l'héroïne était une fille angélique remontèrent à la surface de mon esprit.

― Exactement ! Tu ne vois pas, Satô ? L'heure de la réforme religieuse est arrivée !

Je restai toujours coi.

― L'objet de notre culte est cette poupée Ruriruri ! Et je suis le père fondateur de ce culte !

Je donnai une petite tape sur l'épaule de Yamazaki.

Tout en me secouant la main, Yamazaki continua à divaguer.

― Ceux qui auront la foi seront sauvés ! Il nous faut créer quelque chose que nous-mêmes pourrons croire afin de donner du sens à nos vies ! Et ce sens dictera notre façon de vivre avec notre superbe nouvelle religion !

Tournant en rond dans ma chambre, il leva le poing en l'air en hurlant comme un sauvage. Il criait tout ce qui lui passait par la tête.

Finalement, Yazamaki finit par se cramponner pathétiquement à la poupée taille réelle.

― Ça ne peut plus continuer comme ça, murmura-t-il.

Ses yeux étaient grands ouverts.

Je lui préparai un café chaud. Yamazaki but le café, les larmes aux yeux.

Moi aussi, j'avais envie de pleurer.

― Au fait, Yamazaki, qu'est-ce que tu comptes faire de cette poupée ?

― Je te la donne, Satô. Fais-en ce que tu veux.


Notes

  1. Ruri Hoshino est un personnage de la série Martian Successor Nadesico, sortie en 1996 et inédite en France.
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