Bienvenue à la N.H.K ! : Jours de la fin - Partie Un

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Partie Un

Pour un hikikomori, l'hiver est pénible, parce que tout est froid, gelé et triste. Pour un hikikomori, le printemps l'est aussi, parce que tout le monde est de bonne humeur et par conséquent, enviable.

L'été, bien entendu, est particulièrement pénible.

C'était un été lourd avec le chant des cigales. Du matin au soir, elles n'arrêtaient pas de chanter à tue-tête. En plus, l'été était caniculaire. Même avec le climatiseur tournant constamment à plein régime, il faisait encore chaud. J'ignorais si c'était mon climatiseur qui était cassé, ou si c'était l'été qui était particulièrement chaud. En tout cas, je fondais littéralement sur place.

Des fois, j'avais envie de crier, « Que le responsable de cette situation se montre sur le champ ! » Mais je n'avais même pas l'énergie de le faire. La chaleur de l'été m'épuisait complètement. Mon appétit en pâtissait, et mes nerfs n'en pouvaient plus. Peu importe le nombre de bouteilles de Lipovitan D[1] que je pouvais me descendre, ma fatigue ne voulait pas s'en aller.

Seul mon voisin de palier semblait en pleine forme. Il faisait du boucan sans vergogne. Du petit matin jusqu'au beau milieu de la nuit, il écoutait à fond la caisse des musiques d'animés. Il m'avait dit que ces derniers temps, il ne dormait que quatre heures par jour. Il était en train de cravacher comme un fou sur ses projets créatifs, avec l'aide des musiques d'animés. Les yeux injectés de sang, il s'attachait vigoureusement à chacune de ces tâches inutiles.

Un jour, il me dit :

― J'ai enfin terminé une grosse partie de mon jeu.

― Oh, sérieux ?

― Demain, je vais commencer à construire une bombe.

― Quoi ?

Sans me répondre, Yamazaki rongea silencieusement son pain de mie. C'était un petit déjeuner assez foireux. Comme je n'étais pas aussi flemmard que lui, je fis griller ma tranche de pain de mie et me cuis rapidement un œuf sur le plat.

― Comme je te l'ai déjà dit, te sers pas dans le frigo des autres sans leur permission.

Je fis mine de ne pas savoir de quoi il parlait.





Misaki portait un haut à manches longues même si c'était l'été. Elle était de bonne humeur par contre.

― Je m'amuse comme une folle, folle, folle, dit-elle.

Elle avait vraiment l'air de bien s'amuser. Elle se balançait joyeusement sur la balançoire.

Bien entendu, la soirée était tout aussi caniculaire. Il faisait si chaud que rien que le simple fait de parler me faisait transpirer à grosses gouttes.

A contrario, Misaki ne semblait pas souffrir de la température. Les cheveux au vent pendant qu'elle se balançait d'avant en arrière, elle dit :

― Au fait, Satô, ça te dit de manger des restes de terrine pour chat ?

À un moment ou un autre, le chat noir du parc avait disparu. Cela faisait un moment qu'il ne s'était pas montré. Soit il avait été percuté par une voiture et était monté au paradis, soit il était parti en voyage quelque part.

Quoi qu'il en soit, je déclinai son offre.

― Sans façon, j'en ai pas besoin.

― J'ai beaucoup de nourriture pour chat en réserve. Ah, quel gâchis.

Après être descendue de la balançoire, Misaki entra dans le petit bac à sable à côté de la cage à poules. Elle ramassa une pelle verte qu'un des gamins du quartier avait oubliée, et commença à sculpter quelque chose avec le sable.

Je demandai :

― C'est quoi ça ?

― Une montagne.

En effet. Ça ressemblait fortement à une montagne. Là en plein milieu du bac à sable, il y avait une montagne très pointue. Les côtés étaient très pentus, tel le Mont Fuji dessiné par Hokusai[2], et donc on aurait dit que la plus petite des vibrations pouvait le faire s'écrouler comme un château de cartes. Mais bientôt, la montagne de sable allait être terminée. C'était une œuvre magnifique, faite à partir de sable mouillé par la rosée du soir.

Claquant ses mains pour faire partir le sable, Misaki fit le tour de sa montagne. Elle me regarda les yeux pleins d'attente.

Je dis :

― C'est une bien belle montagne.

Un petit sourire au visage, Misaki cria « Yaaaah ! » et donna un grand coup de pied dans la montagne.

― Les choses physiques finiront un jour par tomber en ruines.

― C'est vrai, acquiesçai-je.





Il y avait en fait une immense variété de livres que Misaki sortait de son sac, nuit après nuit. Apparemment, elle les empruntait en masse une fois par semaine à la bibliothèque. Il y avait des romans, des recueils de poèmes, des guides pratiques, et des ouvrages de référence. Misaki lisait des livres de toutes les formes et de toutes les tailles, et m'en faisait la lecture ensuite.

― Bon, le texte de ce soir s'intitule Les dernières paroles de personnes célèbres. Ce titre fait référence aux mots que des gens exemplaires ont laissés dans leur dernier souffle...

Fait référence...?

― Réfléchissons à ce qu'est la vie ! s'écria-t-elle.

C'était une réplique très théâtrale, et la capacité de Misaki à faire des grandes déclarations inattendues tout en gardant un visage neutre me laissait pantois. Une fois encore, vu sous un certain angle ― enfin, comparé au sujet d'hier, « Réfléchissons à ce que signifie vivre », ce n'était pas grand-chose.

Retrouvant mon calme, je l'encourageai à continuer, et Misaki commença immédiatement à lire le livre à voix haute.

Le bouquin recueillait les dernières paroles de gens célèbres à travers le monde, des temps anciens à aujourd'hui. J'écoutais silencieusement et respectueusement. Par contre, à mesure qu'elle lisait, Misaki semblait en avoir marre, et elle changea de sujet en plein milieu.

― « Plus de lumière... » Bon, qui a dit ça ?

Quoi, un quiz ?!

― Trois... Deux... Un... Trop tard ! La réponse était Goethe. Eh ben, cette réplique est trop cool, hein ? Je pense que M. Goethe a dû y réfléchir longtemps à l'avance.

― P-Peut-être bien.

― Bon, question suivante. « Le Mikka Tororo[3] était délicieux. »

Je connaissais celle-là.

― C'est la note d'adieu du marathonien Kokichi Tsuburaya.

― Bravo, bravo ! C'est la bonne réponse ! Je suis étonnée que tu connaisses ça.

Il n'y avait pas de quoi être fier, mais Misaki me félicita quand même. Elle avait l'air étrangement intéressée par le contenu de la note d'adieu :

― Du Mikka Tororo... On croirait à une sorte de blague, pas vrai ?

― En même temps, c'est peut-être pour ça qu'elle marque les gens.

― Je vois. Ça explique tout, dit-elle, en hochant la tête à plusieurs reprises.

» Apparemment, Tsuburaya, le marathonien, est rentré chez lui à la campagne juste avant de mourir. Puis, il a mangé des patates douces avec ses parents, d'après ce qu'il y a écrit.

― Hum…

― J'imagine que tout le monde veut retourner dans sa ville natale avant de mourir, en fin de compte.

― D'ailleurs, Misaki, tu es de cette ville ?

― Non, du tout. L'étoile polaire est dans cette direction... alors je viens sûrement de ce côté-là.

Misaki pointa du doigt en direction du nord-nord-ouest.

Elle dit le nom d'une ville que je ne connaissais pas et m'expliqua que c'était une petite ville dans la Mer du Japon de cinq milles habitants. D'après elle, il y avait un soi-disant magnifique cap, mais que c'était aussi un endroit tristement célèbre pour les suicides qui s'y produisaient.

― Depuis qu'un personnage célèbre a sauté de cette falaise durant l'ère Meiji, c'est comme si c'était devenu la Mecque des suicidaires. Il paraît que tellement de gens ont soit sauté délibérément soit glissé et tombé accidentellement qu'ils ont dû construire des barrières de sécurité pour éviter tout nouvel accident. Quand j'étais petite, je n'étais pas du tout au courant, et je passais mon temps à jouer là-bas. Un jour, j'ai vu une femme étrange à cet endroit.

Misaki continua :

― Elle était tout au bord de la falaise, sur le cap le plus haut. C'était une très belle soirée, et le ciel était d'un rouge vif. La femme aussi était très belle.

― Et ?

― J'avais détourné mon regard l'espace d'un instant, et elle avait disparu. Même aujourd'hui, je la vois parfois dans mes rêves. Mais j'ai peut-être rêvé ce jour-là aussi. Parce qu'elle avait un sourire très chaleureux sur son visage en bonne santé. Elle était toute seule à regarder l'océan et le soleil couchant. Puis l'espace d'une seconde, au moment où je regardai ailleurs, elle s'était évaporée. Drôle d'histoire, hein ?

C'était en effet une drôle d'histoire.

― Qu'est-ce qui a bien pu se passer ? Je pense qu'elle aurait dû au moins laisser un mot d'adieu ― peut-être au sujet de patates douces ou autre, plaisantai-je, pour essayer de détendre l'atmosphère.

― D'ailleurs, j'ai envie de patates douces.

― Ça te démange.

― Ouais.

Elle hocha la tête.

― Mais c'est bon par contre, pas vrai ?

La conversation avait commencé à dériver. Moi aussi, j'étais fatigué après tout. Mais Misaki rigolait.

― Ah, c'est trop drôle. Tu trouves pas, Satô ?

― Ouais.

― On arrive au bout. Le dernier jour du projet approche.

Misaki rangea le livre dans son sac.

― Je t'ai donné toutes ces leçons utiles, Satô, alors tu devrais être prêt à devenir un adulte modèle, pas vrai ?

Debout sur le banc, elle dit :

― Tu comprends maintenant, hein ? Pourquoi tu es devenu un bon à rien ? Pourquoi tu es devenu un hikikomori ? Tu devrais avoir compris maintenant.

Je ne répondis rien.

― Si tu y réfléchis bien, tu devrais comprendre, c'est sûr.

Toujours assis sur le banc, je regardai dans sa direction. Le parc était si sombre que je ne pouvais voir pas voir l'expression de son visage, seule sa silhouette m'était discernable.

― Je suis presque à court de temps. Je ne peux pas causer plus de problèmes à ma tante et à mon oncle, alors je vais quitter la ville.

Le ton de sa voix était parfaitement détendu, alors je l'écoutai calmement.

― Où est-ce que tu vas ?

― Dans une ville... Un endroit où il y a plein de monde ; un endroit où personne ne me connaît ; un endroit où je ne connais personne. C'est pour ça, qu'avant que je parte, Satô... Satô, il faut que tu deviennes quelqu'un de remarquable.

Je n'avais pas idée d'où cette discussion allait nous mener ; une fois encore, elle était le genre de fille à dire des choses complètement surréalistes.

Abasourdi, je secouai la tête de gauche à droite.

― Ça ne changera rien, dit-elle.

― Ok, je comprends. Je vais bien maintenant.

Tout ce que je pouvais faire à ce moment-là, c'était d'essayer de la convaincre qu'elle avait réussi son coup.

― Non, grâce à toi, c'est vraiment une deuxième vie qui commence pour moi. Tu peux partir commencer une nouvelle vie dans une autre ville le cœur léger.

Cependant, elle paraissait toujours quelque peu insatisfaite.

D'un ton optimiste, je lui dis :

― Merci, je te dois la vie ! Oh, c'est vrai ! Tu veux ma chaîne stéréo ? C'est un must quand on vit seul. Si tu veux, je te l'offre...

― C'est pas ce que je voulais dire.

― C'est-à-dire ?

J'attendis patiemment qu'elle continue, mais Misaki me tourna le dos sans dire mot.

Je me levai à mon tour.

― Bon, eh bien, salut.

J'avais commencé à me diriger vers mon appartement, quand elle m'interpela.

― Non ! Attends !

― Quoi ?

― On va avoir un rencard. Ce sera ton examen de fin de thérapie, pour voir si tu es vraiment devenu quelqu'un de formidable et d'apte à vivre en société, Satô. Rendez-vous à la gare, dimanche à midi. Et on ira quoi qu'il arrive, qu'il pleuve ou qu'il neige !

Sur cette déclaration provocante, Misaki partit rapidement à grandes enjambées.





Pendant ce temps-là, Yamazaki était vraiment en train de fabriquer une bombe. Il avait mis la main sur une méthode de fabrication sur internet et était réellement en train d'en fabriquer une.

D'abord, il a eu besoin de poudre à canon noire. L'histoire de la poudre à canon remontait vraiment à très loin. Par exemple, elle fut utilisée pendant l'ère Genkô contre l'invasion mongole[4] ; et l'arme à feu appelée « tetsuhô », qui a surpris les samouraïs, en utilisait également. Malgré qu'elle soit un mélange primitif de nitrate de potassium, de souffre et de charbon, sa puissance est dévastatrice. On raconte qu'utilisée dans un espace clos, la poudre à canon noire génère une puissance suffisante pour briser toutes les fenêtres d'une voiture classique, tuant sur le coup toute personne se trouvant à l'intérieur.

― Qu'est-ce que tu comptes faire avec une bombe ?

― C'est pourtant évident, non ? Je vais faire sauter quelque chose !

Ben, ouais, c'était vrai. C'était vraiment évident. Il n'y avait pas d'autre usage possible pour une bombe.

― Ce que je voulais dire, c'est qu'est-ce que tu comptes faire sauter avec ?

― Mes ennemis.

― Quels ennemis ?

― Les méchants. Je vais faire sauter ces méchants avec ma bombe révolutionnaire.

― Je vois. Et donc, qui sont ces méchants ?

― Des politiciens par exemple.

― Est-ce que tu connais au moins le nom de l'actuel Premier Ministre ?

Yamazaki se tut et retourna à sa besogne. D'ici peu, il allait terminer la poudre à canon et le tube métallique hermétique qui la contiendrait. Son détonateur, qui utilisait une montre analogique, était également fin prêt. Tout ce qui restait à faire, c'était attacher le détonateur au tube, et il pourrait alors l'utiliser quand bon lui semble.

― Youpi, j'ai fini ! Je suis un guerrier ! Je suis un révolutionnaire !

Yamazaki était de bonne humeur.

― Je vais tous les faire sauter ! Je vais tuer tous les méchants !

Il était de bonne humeur, mais il avait les pieds sur terre.

― Ah, c'était marrant, conclut-il.

En fin de compte, la bombe ne sauta à la figure d'aucun méchant.

Pour commencer, on ignorait où trouver des méchants. Et parce qu'on ne pouvait pas s'en empêcher, on essaya de la faire sauter dans le parc voisin le samedi soir. Pour que personne ne nous voie, on avait rampé tout au fond des buissons pour placer le détonateur. La bombe a vraiment sauté, mais c'était plus un pétard mouillé qu'un gros boum.

C'était une histoire triste.

Au milieu de toutes ces distractions, le dimanche était arrivé. Comme promis, je me rendis au point de rendez-vous avec Misaki devant la gare. On eut notre rencard, et je rentrai chez moi.

Je dormis toute la nuit. Quand je me réveillai, c'était le matin. Je n'avais rien à faire et m'ennuyais à mourir. Je décidai d'essayer d'ingurgiter tout mon stock de drogue. Je commençai à passer du bon temps. Tout devint plaisant. J'éclatai de rire.


Notes

  1. Nom d’une boisson énergétique.
  2. Peintre, dessinateur spécialiste de l’ukiyo-e, graveur et auteur d’écrits populaires japonais.
  3. Plat japonais à base de patates douces japonaises (tororo) gratinées qu’on mange le troisième jour de l’année, d’où son nom (mikka signifie troisième jour).
  4. Entre 1274 et 1281 après J.C.
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