Bienvenue à la N.H.K ! : La rencontre - Partie Deux

From Baka-Tsuki
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Partie Deux[edit]

Au lycée, j'étais dans le club de littérature.

Mais bon, ça ne voulait pas dire que j'appréciais les romans ou quoi que ce soit. En fait, alors que c'était la période de recrutement de nouveaux membres, une fille une classe au-dessus de moi et incroyablement jolie m'avait « proposé » de rejoindre son club.

― Hé, toi là-bas, rejoins le club de littérature.

Sans réfléchir, j'avais accepté. C'avait été plus fort que moi. Elle faisait partie du genre de club squatté généralement par des rats de bibliothèque, et avait un an de plus que moi, mais pourtant la belle aurait tout aussi bien pu faire mannequin.

Et évidemment, après avoir rejoint le club pour une raison aussi débile, je m'étais retrouvé à jouer au solitaire à chaque réunion. Et pendant les temps libres en groupe, je jouais aux cartes dans la salle bondée avec des premières et des terminales. Mais qu'est-ce qu'on foutait franchement ? On aurait clairement pu passer notre temps à faire des choses bien plus intéressantes que ça.

Bah, tout ça n'a plus d'importance. Le passé, c'est le passé.

Enfin bref, c'était arrivé après les cours, en sortant du fameux club justement. Ma consœur de club et moi-même étions en train de traverser le hall du rez-de-chaussée qui faisait face à la cour centrale. Tout d'un coup, elle avait pointé du doigt un des coins de la cour en question.

― Regarde là-bas !

― Hé, ils sont en train de le racketter, non ?

Plusieurs garçons entouraient un garçon, vraisemblablement collégiens, étant donné leurs uniformes. Ils étaient en train de le frapper à l'estomac.

Un petit sourire était apparu sur le visage du garçon qui se faisait frapper. Ses agresseurs souriaient, eux aussi, mais ce n'était pas le même genre de sourire, si vous voyez ce que je veux dire. C'était le genre de scène qu'on voit souvent dans la vie de tous les jours.

― C'est horrible.

La jolie fille avait rompu le silence. Avec altruisme, elle avait affiché un visage qui montrait qu'elle avait vraiment mal pour lui ― à tel point qu'une idée saugrenue m'était venue à l'esprit : j'allais me la jouer beau gosse devant elle.

― Et si j'allais lui filer un coup de main ?

― Tu ferais ça ?

J'avais acquiescé. Je m'étais dit que ce n'était pas quelques collégiens pré-pubères qui allaient me poser problème. Bien sûr, ce fut une immense erreur de jugement de ma part.

Tout allait bien jusqu'à ce que je crie l'habituel refrain « Racketter, c'est mal ! » tout en me ruant vers eux. Non seulement je m'étais fait tabasser, mais en plus, notre joyeux groupe de racketteurs s'était aussi fait la malle. La fille m'avait regardé avec dégoût, et la victime avait continué à se faire racketter pendant une année entière, alors ma superbe intervention avait été aussi utile qu'un vélo à un cul-de-jatte.

Néanmoins, Yamazaki, le garçon qui se faisait racketter, semblait avoir du respect pour moi ― même si j'ignorais comment il en était arrivé là. Il avait même rejoint le club de littérature dès qu'il était entré au lycée.

À ce moment-là, j'étais déjà en terminale. Et comme la fille avait déjà eu son bac, je n'avais pas la moindre envie de faire quoi que ce soit. Ainsi, je l'avais nommé président histoire de pouvoir me concentrer sur mes examens d'entrée à l'université. Puis, le plus simplement du monde, j'avais eu mon bac.

Après lui avoir parlé deux-trois fois lors de la cérémonie de remise des diplômes, je n'avais plus entendu parler de Yamazaki depuis lors ― du moins, pas jusqu'à cet instant fatidique.





Au milieu de son trente mètres carrés, Yamazaki était exagérément de bonne humeur. Il n'avait pas changé du tout depuis la dernière fois que je l'avais vu. Il était toujours mince, les cheveux aussi fins que ceux d'un Russe. Au début, il m'avait paru être devenu un peu plus viril ; mais ce n'était pas le cas à bien y regarder. Il semblait être un jeune homme faible, peu enclin aux bagarres.

― Hein ? C'est vraiment toi ?

Malgré ses yeux enflés et rouges, témoins de récents sanglots, il souriait maintenant à grandes dents. La chanson d'animé s'arrêta.

Figé à l'entrée du studio, je lui demandai en hésitant :

― Qu'est-ce que tu fais ici ?

― Je te retourne la question, Satô.

― Je...

J'ai commencé par lui dire que je venais juste d'emménager dans cet immeuble parce qu'il se trouvait près de mon université ; mais inconsciemment, j'hésitais. Je ne voulais pas que Yamazaki connaisse ma véritable position : hikikomori au chômage.

Sans remarquer mes déboires, Yamazaki m'expliqua de lui-même sa propre situation.

― Cet été, je suis entré dans une école spécialisée. Pendant mes recherches d'appartement pas trop cher et pas trop loin, j'ai craqué pour celui-ci.

Il semblait indiquer que c'était donc un parfait hasard.

― Enfin bref, vas-y, entre. Ma chambre est un peu en pagaille par contre.

Je n'arrivais toujours pas à me remettre de cette incroyable coïncidence, mais Yamazaki m'incitait chaleureusement à entrer. Docilement, je retirai mes chaussures et entrai dans la pièce.

Bien sûr, la disposition de son appartement n'était pas bien différente du mien.

Mais... C'était quoi ça ? Je restai figé sur place.

Il y avait une étrange ambiance dans le studio de Yamazaki, une subtile impression que je n'avais jamais ressentie auparavant. Les murs étaient recouverts de posters accrochés n'importe comment, sur le sol trônaient deux gigantesques tours d'ordinateur, une montagne de mangas qui atteignait presque le plafond, ainsi que tout un tas de meubles et autres décorations. Le tout assemblé créait une ambiance particulière, très troublante.

― Vas-y, assieds-toi. La voix de Yamazaki me fit redescendre sur Terre.

Tout en suivant ses directives, je m'engouffrai fébrilement dans son appartement.

Tout à coup, quelque chose se brisa bruyamment sous mes pieds. Je fis nerveusement un bond en arrière.

― Oh, c'est juste une boîte de CD, dit Yamazaki. T'en fais pas pour ça.

Mangas, romans, cassettes vidéo, DVD, bouteilles en plastique, boîtes de mouchoirs vides, et autres déchets recouvraient littéralement le sol.

― Ma chambre n'est pas très bien rangée.

C'était le moins qu'on puisse dire. Je n'avais jamais vu une chambre aussi bordélique de toute ma vie.

― N'empêche que ça me fait très plaisir. Je n'aurais jamais cru que tu habitais à côté de chez moi, Satô.

Assis sur un coin de son lit, Yamazaki parlait en regardant au loin, sans prêter attention au fait que j'écrasais quelque chose de différent à chacun de mes pas.

Finalement, je parvins à atteindre le bureau où se trouvait l'ordinateur et je m'assis sur la chaise pivotante.

J'avais dessoûlé. Complètement.

Ne sachant pas quoi dire, je regardai son écran dix-sept pouces. Un fond d'écran issu d'un animé que je ne reconnaissais pas était affiché dessus.

― C'est bizarre qu'on ne se soit jamais rencontré avant, alors que ça va faire deux semaines que j'ai emménagé.

Je l'écoutais à moitié tout en examinant une figurine posée au-dessus de l'écran. C'était une fille de primaire qui portait un sac à dos rouge sur le dos.

Pendant ce temps, Yamazaki continua son discours rasoir.

― C'est sûrement ce qu'on appelle le désintéressement pour ses voisins.

Un poster accroché sur le mur montrait une fille nue qui devait sûrement être en primaire, dessinée inévitablement dans un style manga. Je me tournai à nouveau vers le bureau.

― Qu'est-ce qui ne va pas, Satô ? Tu es bien calme. Oh, j'imagine que ma musique était bien trop forte, hein ? Je ferai attention la prochaine fois.

Au-dessus du bureau, il y avait une montagne de boîtes rectangulaires qui semblaient être des jeux vidéo. Il y avait dessus des étiquettes toutes plus intimidantes les unes que les autres ― du genre « torture », « mouillé », « maltraitance », « lubrique », « bondage », « collège », « séquestration », « viol », « sauvage », « amour pur », « entraînement », « aventure » ― des choses qu'on a rarement l'habitude de voir. Et bien entendu, au-dessus de la pile, il y avait le poster d'une petite fille nue. Un autocollant au-dessus prévenait tout de même : « Interdit aux moins de 18 ans. »

Une fois encore, je me hâtai de regarder ailleurs, cette fois en direction de la montagne de mangas qui se trouvait près du mur.

Yamazaki continua son monologue.

― Enfin, ça me fait vraiment plaisir, Satô. Je n'aurais jamais cru pouvoir te revoir un jour, et j'ai beaucoup de respect pour toi. Tu le savais ? Tu le savais, hein ?

J'attrapai un des mangas et commençai à le feuilleter. Évidemment, je tombai là encore sur une fille nue, qui ne pouvait qu'être en primaire, avec une marque jaune « Manga pour adultes ».

― Tu as déjà entendu parler de mon école ? Je suis sûr que tu as déjà vu la pub à la télé...

Je reposai le manga sur le tas. Tout en épongeant la sueur sur mon front, je lui demandai :

― Dans quelle école tu vas ?

À ma question, Yamazaki bomba le torse et me répondit.

Sans le vouloir, je levai les yeux au ciel.





C'était il y a plusieurs années de cela. Nous rêvions. C'était la conséquence d'une terne vie lycéenne dans un bâtiment insalubre, des belles jeunes filles et de beaux jeunes hommes en train de s'esclaffer malgré la morosité ambiante. Moi, et les autres, rêvions. Au beau milieu de cette atmosphère surréaliste, nous rêvions d'un avenir radieux.

Il y avait ces jours où nous étions tout le temps dans le local du club après les cours, à tuer le temps avec nos aînés. On fumait nerveusement des cigarettes derrière un vieux bâtiment préfabriqué miteux qui donnait l'impression qu'un séisme le ferait tomber comme un château de cartes. On n'avait pas de petits boulots, on ne se donnait pas à fond pour nos clubs, on avait de mauvaises notes, et on n'avait pas le moindre soupçon de motivation. Même si j'étais un lycéen qui fonçait droit dans le vide sidéral, j'étais toujours souriant.

Un jour, il s'était passé quelque chose : dans notre local de club, où déchets et autres débris jonchaient le sol, ma jolie aînée et moi-même étions en train de glander.

― Satô, qu'est-ce que tu veux faire plus tard ? me demanda-t-elle.

― D'abord, j'irai à la fac... Je sais pas pour faire quoi exactement, mais je devrais pouvoir me trouver quelque chose quand j'y serai.

― Hum...

Elle avait détourné le regard. Soudain, elle avait murmuré :

― Tu te souviens de la fois où tu as voulu sauver ce gamin ? C'était vraiment débile, mais tu avais plutôt la classe. Tout ira bien pour toi, Satô. J'en suis sûre.

Je m'étais senti gêné.

Le temps avait passé. Elle avait eu son bac. Plus tard, dans ce même local, Yamazaki et moi étions assis à l'intérieur. Je fixais mon livre de math. Yamazaki avait alors dit :

― Satô, tu vas passer ton bac cette année.

― C'est vrai, alors à partir de maintenant, ce sera toi le président. Bon courage.

― Ça va être triste. Tout le monde vieillit.

― T'es jeune, alors arrête de dire ça. Tu veux une clope ?

J'avais pris une cigarette de ma poche et l'avait offerte à Yamazaki, qui s'en était saisie.

Prudemment, il l'avait allumée. S'ensuivit alors une magnifique quinte de toux de sa part. Les yeux en larmes, il m'avait dit :

― J'espère que tout ira bien.

― Quoi donc ?

― Tout. J'espère pouvoir continuer à avoir ce genre de joyeux train-train quotidien. Tu devrais travailler dur, toi aussi, Satô, et moi aussi. Je partirai la tête haute, et d'une façon ou d'une autre, tout ira bien.

Yamazaki était plein d'espoir et d'inquiétude. Dans notre local miteux, inondé par la lumière du soleil couchant, nous rigolions tout en rêvant.

Puis, j'étais entré à l'université ― que j'avais abandonnée en cours de route. Angoissé par ma vie dépourvue d'avenir, terrifié par mes bêtes inquiétudes, incapable d'aller de l'avant et sans but, je continuais malgré tout de vivre ma ridiculement pathétique vie. J'étais assailli de toutes parts par d'invisibles tourments.

Ainsi, je m'étais cloîtré chez moi, et m'étais mis à dormir. J'avais dormi jusqu'à ce que le sommeil me fatigue. Le printemps s'écoula, l'été se termina, l'automne vint, et enfin, l'hiver arriva. Puis, ce fut à nouveau le tour du printemps.

Ma progression en direction de l'avenir avait tourné court, et je ne savais plus quoi faire. La brise fraîche de la nuit était agréable, et je continuais à dormir.

Et alors, un jour, on s'est revus. Yamazaki et moi nous sommes revus. C'était un garçon faible qui se faisait martyriser, mais ça restait quelqu'un de bien. Pendant tout ce temps, on respirait l'air de la même ville.

Aucun de nous deux ne pouvait voir quoi que ce soit de concret dans l'avenir, mais pourtant, on avait toujours les yeux tournés vers l'avant.

Même maintenant, je m'en souvenais comme si c'était hier ― tous les deux dans le local du club qui me manquait tant, le soleil couchant inondant la salle à travers les étroites fenêtres pendant nos candides discussions.

― Qu'est-ce qu'on va devenir ?

― Ce qui doit arriver arrivera.

― C'est vrai.

Ces doux et agréables moments après les cours.





On était jeunes et cons. On était inutiles et irrécupérables, et jamais on n'aurait pu se projeter quatre ans dans l'avenir.

En revoyant Yamazaki pour la première fois depuis des années, je lui demandai :

― Dans quelle école tu vas ?

Yamazaki bomba fièrement le torse à ma question et répondit :

― L'Institut Yoyogi Animation[1].

La vie était si incompréhensible...

― Et toi, qu'est-ce que tu fais maintenant ?, me demanda-t-il.

― J'ai lâché les cours.

Yamazaki détourna le regard, et un silence inconfortable s'installa.

Finalement, d'une voix anormalement enjouée, je lui dis :

― Au fait, pourquoi tu pleurais ?

― Je vais plus en cours ces derniers temps. Je suis pas vraiment intégré à la classe, j'ai pas d'amis, et je viens tout juste de commencer à vivre seul. Dans le désespoir, je me suis mis à écouter mes CD en mettant le volume à fond la caisse...

― Alors comme ça, tu t'enfermes chez toi toute la journée ces derniers temps ?

― C-C'est ça.

Je me levai d'un coup.

― Attends une petite minute, dis-je avant d'aller dans ma propre chambre.

Je revins dans celle de Yamazaki, les bras chargés de canettes de bières.

― Buvons !

― Quoi ?

― T'en fais pas. Allez, bois.

Je lui tendis une canette.

― Tout ira bien. Le jour où tu pourras échapper à ta condition de hikikomori viendra, j'en mettrais ma main à couper.

En vérité, je proférais tout haut mes propres désirs.

― T'inquiète, Yamazaki. Je suis un pro quand il est question de hikikomorisme. Tant que je serai avec toi, les choses ne pourront pas être pires !

Sur ces mots, on se mit à boire. On a remis les chansons d'animés et on s'est soûlés jusqu'à en perdre connaissance. Notre petite fête continua jusque tard dans la nuit. Une fois le CD d'animé terminé, on commença à chanter nos propres chansons. Comme on était tous les deux complètements ivres, on a peut-être eu l'impression que c'était de super chansons sur le coup.

Même si ce n'était qu'un rêve, ce n'était pas grave. Je chantais de tout mon cœur.




La chanson de l'hikikomori[edit]

Paroles et musique par Tatsuhiro Satô

Le glacial studio de trente mètres carrés-

Oh, cet appartement :

Même si je veux partir, mon échappatoire est encore loin.

Je m'étends sur le lit, encore éveillé,

Et dors seize heures par jour.

À l'ombre du kotatsu,

Un cafard se cache.

Quand je mange, je ne le fais qu'une fois par jour.

Et je perds du poids chaque jour qui passe.

Des fois, je me rends à la supérette,

Le regard des autres me terrifie par contre.

Des sueurs froides parcourent même mon dos,

Me rappelant à quel point il est difficile de quitter mon studio.

N.H.K., ça ressemble à un rêve-

Il y a un vide quand on le cherche et qu'on ne le trouve pas.

Aujourd'hui, quand le soleil se couche, je m'avance lentement

Vers mon lit humide pour m'y coucher.

Mon cerveau fatigué et lourd-

Oh, ça ne peut pas continuer. Non, ça ne peut pas continuer !





Comme j'avais utilisé des mangas pornographiques comme oreiller quand je me suis endormi par terre, je me réveillai avec un terrible mal de crâne. Yamazaki s'était quant à lui assoupi sur son bureau.

Je le secouai légèrement par les épaules.

― Tu vas pas en cours ?

― Je sèche aujourd'hui.

Sur ces mots, Yamazaki referma les yeux.

En retournant dans ma chambre, je m'étalai sur mon lit. J'avalai un cachet d'aspirine et retournai dormir.

Notes

  1. École spécialisée dans le domaine des animés/mangas/jeux vidéo. Il est facile de l’intégrer.
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