Bienvenue à la N.H.K ! : Plongeon - Partie Un

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Partie Un

L'été était terminé. J'avais épuisé toutes mes réserves d'argent. Je n'avais plus de quoi m'acheter à manger, alors j'avais décidé d'essayer de dormir pour économiser mon énergie. Je restais éveillé pendant cinq heures, et ensuite, j'en dormais quinze. Je tâchais de vivre selon ce planning.

Pendant les trois premiers jours, le jeûne ne me posa pas trop de problème. Au pire, j'avais un peu mal à l'estomac. Par contre, au bout du quatrième jour, je ne pouvais penser à rien d'autre qu'à manger. Je veux manger des ramens. Je veux manger du riz au curry. Quoi qu'il en soit, mon corps avait sérieusement besoin de calories. Cette forte envie était impossible à combattre.

Au final, au cinquième jour de jeûne, je quittai mon studio. Le jour même, après avoir dépensé mes derniers deniers pour acheter une pâtisserie et un nouveau journal de petites annonces, j'avais décidé de faire un travail physique.

Un travail physique... Je maîtrisai les bases du travail avec une facilité déconcertante, travail qui consistait à transporter des choses et d'autres jusqu'à des salles dans le cadre d'évènements spéciaux. De temps à autre, je faisais une erreur, ce qui me valait de me faire frapper par un de mes supérieurs ; malgré tout, le travail était revigorant. Plus dur était traité mon corps, plus mon cerveau se vidait. Pour la première fois depuis des années, je pouvais aller dormir et me réveiller frais et dispos.

Étant donné toutes les dettes que j'avais contractées, je dus travailler jour et nuit le premier mois. Après m'être inscrit dans une agence d'intérim, je fus en mesure de travailler quotidiennement. Après avoir accumulé une certaine marge de sécurité dans mes économies, je réduisis immédiatement la quantité de travail que je faisais. Je décidai de travailler environ deux semaines par mois et de rester enfermé chez moi le reste du temps. À partir du moment où je pouvais engranger cent mille yens par mois, je pouvais maintenir un train de vie plutôt décent.

À chaque fois que c'était possible, j'essayais de travailler de nuit. Rien ne valait la gestion du trafic nocturne. Pour être un garde de sécurité, il fallait avoir participé préalablement à un stage de quatre jours ; mais après ça, aucun autre job n'était plus simple.

Au beau milieu de la nuit, j'agitais mon bâton rouge fluo d'avant en arrière près de sites de construction loin, loin de toute habitation humaine. La seule chose que je pouvais entendre toute la nuit était l'écho des équipements de construction derrière moi. Les nuits où je travaillais comme garde, j'étais seul. Des fois, une voiture passait, mais tout ce que j'avais à faire était d'agiter mon bâton comme on me l'avait appris et prudemment dire « Attention, ralentissez. »

Parce que je n'avais presque jamais besoin de parler aux autres en parlant, je me sentais exactement comme enfermé chez moi. Je me reposais juste sur mes réflexes conditionnés pour agiter le bâton, d'avant en arrière, d'avant en arrière. Le vent nocturne était un peu froid, mais le salaire était de dix mille yens par nuit, frais de transport inclus.

Je travaillais, puis je m'enfermais chez moi dès que j'avais assez pour tenir le reste du mois. Ce train de vie continua, et le temps passa à une vitesse effrayante. Pendant que je continuais à travailler, l'hiver arriva.

C'était l'hiver de ma cinquième année de hikikomorisme. C'était un hiver particulièrement froid ― sûrement parce que j'avais revendu mon kotatsu. Même en me couvrant des pieds à la tête, j'avais toujours froid, tremblant de façon continue et incontrôlable. À ce moment-là, je décidai d'utiliser l'ordinateur portable que m'avait laissé Yamazaki avant de partir.

― C'est un vieux Pentium 66 MHz. J'ai pas envie de le trimballer avec moi, alors j'ai failli le jeter. Mais je me suis dit que tant qu'à faire, j'allais te le donner, Satô, m'avait-il dit.

Puis sur ces mots, il était parti.

Je plaçai le portable sur mon ventre et l'allumai. Un ronronnement bruyant indiquait qu'il marchait encore, et un fond d'écran d'animé apparut sur l'écran à cristaux liquides. Comme c'était une vieille machine, elle produisait énormément de chaleur. Il ne fallut pas attendre longtemps avant que de me réchauffer et de ressentir l'envie de dormir.

C'est alors que je reconnus un icône qui m'était familière sur le bureau de l'ordinateur.

Il ressemblait au fichier exécutable du jeu érotique que Yamazaki programmait. Après avoir positionné le curseur sur le fichier, je cliquai dessus pour l'ouvrir. Le disque dur commença à mouliner. Après un long temps de chargement, le jeu commença.

J'y jouai pendant plusieurs heures. Et je compris... Je compris que c'était un jeu vraiment, vraiment nul.

C'était un jeu de rôle, mais il était extrêmement mauvais, il contenait environ cent pourcent de Dragon Quest premier du nom. Ce n'était même plus un jeu érotique, et l'histoire était affreusement ridicule ― dans les grandes lignes, c'était « un périple sur l'amour et la jeunesse par des soldats qui combattaient une gigantesque organisation du mal ». Le jeu narrait l'histoire d'un garçon banal qui devient un guerrier pour combattre le mal et protéger l'héroïne. Ce scénario, trahissant les rêves de son auteur et qui sera tôt ou tard zappé par le joueur sombrait toujours plus bas dans la médiocrité.

Je n'en revenais pas.

Sérieusement, c'est qui le débile qui a imaginé ce scénario foireux ? C'était moi. J'étais la personne qui avait écrit les grandes lignes de l'histoire, la seule et l'unique.

Je me sentis triste. C'était une tristesse à la fois douce et amère, parce que je comprenais pleinement le scénario du jeu : des soldats qui se dressaient contre le mal.

C'étaient nos désirs les plus profonds ; on voulait combattre une organisation du mal ; on voulait combattre des méchants. Si une guerre avait éclaté, on se serait enrôlés dans l'armée illico presto et on aurait lancé des attaques kamikazes. Ça aurait été vraiment une façon constructive de vivre et une façon plaisante de mourir. Si seulement il y avait eu des méchants dans le monde, on se serait battu contre eux. Les poings levés en direction du ciel, on se serait battu. Sans aucun doute.

Mais les méchants n'existaient pas. Le monde était tout simplement compliqué en bien des points, et il n'existait aucun méchant « évident ». C'était rageant.

Nos désirs personnels étaient devenus la base de travail de notre jeu. À mesure que je progressais dans l'aventure, je réalisai que c'était en fait une histoire merveilleuse. C'était une histoire simple et magnifique à la fois. En fait, le héros, se battant contre un ennemi surpuissant, avait juré de protéger l'héroïne.

« Je protégerai ta vie ! » Faisant fi de sa propre sécurité, il se préparait à défier le gigantesque ennemi, et le combat final commença. J'étais presque à la fin du jeu.

Il y avait trois options en combat : « attaquer », « défendre » et « attaque spéciale ». J'avais beau attaquer le boss final, je ne lui faisais pas le moindre dégât. Évidemment, se contenter de se défendre ne m'avançait pas beaucoup plus. Finalement, je n'eus pas d'autre choix que d'utiliser l'attaque spéciale ― le coup final fatal. Tout en utilisant ma propre énergie vitale, je me sacrifiai pour infliger un coup mortel à mon ennemi. Il n'y avait aucun autre moyen de vaincre le boss final. Ainsi, le héros du jeu prit sa « Bombe Révolutionnaire » dans sa main droite et lança son attaque spéciale.

Cependant, pile poil à la fin ― à la seconde même où le héros lança son attaque spéciale sur le boss final ― le jeu planta brusquement ! La fenêtre du jeu se ferma, et le bloc note s'ouvrit. Yamazaki avait apparemment laissé un mot qui semblait être un mot d'excuse.

« Il n'y a vraiment pas d'autre moyen de détruire la gigantesque organisation maléfique que d'utiliser son attaque spéciale. On ne peut gagner que si on choisit de mourir parce que la gigantesque organisation du mal est en réalité constituée de notre monde entier. Et parce qu'à la seconde où on choisit de mourir, le monde disparaît dans le néant, l'organisation maléfique disparaît à son tour dans le néant. Puis, un sentiment de paix nous envahira. N'empêche que je ne me suis pas fait sauter avec une bombe. C'était mon choix. Non, ce n'est pas du tout parce que j'avais vraiment la flemme de dessiner l'image de fin ni parce que je commençais à en avoir par-dessus la tête de programmer un jeu à deux balles. Pas du tout... »

Au début, j'ai failli fracasser le portable en deux. Puis, je changeai d'avis. J'avais vu Yamazaki bûcher comme un dingue sur ce jeu, mais le final bâclé m'avait vraiment énervé.

Qu'est-ce que j'allais bien pouvoir faire maintenant ? La question commença brusquement à m'inquiéter, mais je décidai d'essayer de l'ignorer. Je n'avais plus entendu parler de lui depuis qu'il était parti, et je n'avais pas envie de le contacter, moi non plus.

Ces jours insouciants de cette période de ma vie étaient désormais révolus depuis belle lurette.





Noël était de retour une fois de plus. Les lumières de la ville scintillaient.

Le bâton rouge dans ma main droite brillait lui aussi dans le noir. Cette nuit-là, je faisais de la gestion de trafic dans le parking du nouveau centre commercial qui venait d'ouvrir près de la gare. Comme l'entrée était équipée de distributeurs automatiques de tickets, je n'avais absolument rien à faire. Quand c'était bondé, j'essayais tant bien que mal d'aider les machines ; mais à chaque fois, je me contentais au final d'agiter mon bâton d'avant en arrière.

Il n'y avait pas d'accidents, il ne se passa rien, et le réveillon de Noël se déroula sans heurt.

Environ une heure avant la fermeture du centre commercial, une voiture arriva. La voiture en elle-même était un modèle japonais qu'on trouve un peu partout, bref, rien de spécial à signaler. Cependant, parce que les lumières intérieures étaient allumées, j'ai pu reconnaître la fille assise sur le siège passager. J'ai pu la voir clairement.

Surpris, j'essayai de baisser mon casque sur mes yeux autant que possible. La voiture passa sans s'arrêter, alors elle ne m'avait sûrement pas reconnu. Mais j'avais eu l'impression que l'espace d'un instant, ma connaissance de lycée, assise sur le siège passager, avait regardé dans ma direction.

Bien entendu, ce n'était là encore qu'un rêve.

Mon travail terminé, je me changeai et rangeai mon bâton et mon casque dans mon sac. Secoué de gauche à droite dans l'un des derniers métros de la nuit, je me dirigeai vers mon appartement. Sur le chemin, je m'arrêtai dans une supérette pour acheter de l'alcool et d'autres joyeusetés du même acabit.

Je décidai d'essayer de me fondre dans l'ambiance de Noël. Tout en marchant le long de la route qui menait à mon appartement, je bus une bière. Je n'avais pas bu d'alcool depuis un bon moment, alors l'effet fut immédiat. Titubant quelque peu, j'escaladai lentement mais sûrement le long chemin pentu. Au loin, la sirène d'une ambulance résonnait dans la paisible nuit. Je finis ma seconde bière.

Joyeux Noël.

Quand j'atteignis le parc, ma démarche s'était transformée en une titubation de soûlard. Marchant prudemment, j'arrivais à limiter mon chancèlement, mais je me suis dit que je pouvais tout aussi bien me contenter de marcher comme un poivrot. J'accélérai le pas et titubai de poteau électrique en poteau électrique. Je trébuchai sur un caillou et manquai de tomber sur le sol. Je vacillais tout en étant sur le point de m'étaler au milieu de la route quand, juste devant moi, une ambulance surgit sirènes hurlantes.

J'avais failli me faire écraser !

Je me suis dit que c'était peut-être le moment de me plaindre en criant haut et fort avec une voix de soûlard, « Bande d'id- »

Je m'arrêtai en plein milieu de ma phrase.

L'ambulance s'était arrêtée devant la maison de Misaki. Son oncle sortit en trombe par la porte de devant. Il criait quelque chose à un des ambulanciers tandis qu'ils couraient dans la maison, tout en portant un brancard. Peu après, ils sortirent et transportèrent le brancard dans l'ambulance. Misaki était inconsciente.

J'observai l'ambulance où Misaki, sa tante et son oncle se trouvaient s'éloigner à vive allure.


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