Hyôka:Tome 1

From Baka-Tsuki
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1 - Lettre de Bénarès[edit]

Cher Hōtarō,

Je suis actuellement à Bénarès. Bien que cette ville soit connue sous ce nom au Japon, il serait plus juste de l'appeler Varanasi d'un point de vue phonétique.

Bénarès est une ville géniale, Hōtarō. C'est aussi une ville de cérémonies funéraires - après tout, elle l'a été depuis longtemps. Il semblerait que quiconque mourant ici monte directement au paradis. Enfin si j'ai bien compris.

On dit que cet endroit est « affranchi du cycle de la réincarnation ». Ce qui veut dire que mourir ici équivaut à s'éveiller au sens bouddhiste du terme. En Chine, une longue ascèse est nécessaire avant d'atteindre l'illumination. Ici, tu meurs et c'est bon.

C'est une histoire ridicule d'après les Chinois.


Il est peut-être un peu tard mais félicitations pour ton entrée au lycée. Tu as choisi le lycée Kamiyama, n'est-ce pas ? Pas très original mais félicitations quand même.

Maintenant que tu es au lycée, en tant que grande sœur, laisse-moi te donner un conseil.

Inscris-toi au Club de Littérature Classique.

C'est un club avec une longue tradition ayant pour thème les sciences humaines. Il se pourrait que tu le saches déjà mais c'est un club auquel j'ai appartenu par le passé.

J'ai entendu de quelqu'un que personne ne s'y était inscrit au cours de ces trois dernières années et ne compte donc à présent plus aucun membre. Si personne ne le rejoint cette année, il sera dissout. En tant qu'ancienne membre, je refuse que cela n'arrive.

Évidemment, s'il y a de nouveaux arrivants au cours d'avril, cela changera la donne. Hōtarō, protège le Club de Littérature Classique, la jeunesse de ta grande sœur. Pour l'instant, tu n'as qu'à inscrire ton nom dans la liste des membres du club et cela fera l'affaire.

D'autant plus que ce n'est pas un si mauvais club. Il est particulièrement agréable en automne.

Après tout, tu n'as rien de mieux à faire, n'est-ce pas ?

Je t'appellerai après avoir atteint New Delhi.


Bien à toi,

Tomoe


2 - La Renaissance du Traditionnel Club de Littérature Classique[edit]

On entend souvent dire que la vie est rose au lycée. Alors que l'an 2000 touche à sa fin, le jour qui correspond le mieux à cette idée telle qu'elle pourrait être définie dans un dictionnaire japonais n'est plus très loin.

Il n'est néanmoins pas écrit que tous les lycéens rêvent de ce genre de vie teintée de rose. Qu'il s'agisse d'étudier, de faire du sport ou de se plonger dans une histoire romantique, il existera certainement toujours quelques individus pour qui ces activités n'ont rien d'attirant et y préférerons un quotidien gris ; j'en connais moi-même plusieurs. Cela semble tout de même une façon bien triste d'aborder la vie.

Me voilà tenant une conversation à ce sujet avec Satoshi Fukube, un ami de longue date, dans une salle de classe baignée par la lumière du coucher de soleil. Satoshi, souriant comme toujours, me dit :

« Je trouve aussi. À propos, je ne savais pas que tu étais aussi masochiste. »

Quelle regrettable erreur de sa part. J'ai donc protesté :

« Tu insinues que ma vie est grise ? »

« J'ai dit ça ? En tout cas, Hôtarô, qu'il s'agisse des études, du sport ou — qu'est-ce que c'était déjà ? — d'une romance ? je crois pas t'avoir déjà vu t'y intéresser. »

« Je ne suis pas particulièrement contre, non plus. »

« C'est vrai. »

Le sourire de Satoshi gagna en intensité.

« Après tout, tu ne fais qu'‹ économiser de l'énergie ›. »

J'acquiesce d'une brève respiration. Je n'ai aucune raison de le contredire aussi longtemps qu'il comprend que les efforts en eux-même ne m'ennuient pas. Je refuse simplement de gaspiller mon énergie inutilement. Mon style est d'économiser de l'énergie pour économiser la planète. Cela se résume en :

« Si je ne dois pas le faire, je ne le ferai pas. Si je dois le faire, je le ferai vite. »

Satoshi répond à ma devise avec un haussement d'épaules.

« Qu'il s'agisse de conservation d'énergie ou de cynisme, au final le résultat est le même. Tu as déjà entendu parler d'instrumentalisme ? »

« Jamais. »

« En clair, le fait que tu n'aies aucun centre d'intérêt particulier, comme l'atteste le fait que tu ne te sois inscrit dans aucun des clubs de Kamiyama, Terre sainte des activités non académique, fait de toi quelqu'un de gris. »

« Pardon ? T'es en train de me dire qu'il n'y a pas de différence entre un homicide volontaire et involontaire ? »

Satoshi répondit alors sans hésitation :

« D'un certain point de vue, non. Essaye donc d'apaiser l'âme d'un mort en lui disant que la personne qui l'a tué ne l'a pas fait exprès. »

« … »

Ce petit effronté. Je lève les yeux pour observer à nouveau la personne qui se tient en face de moi. Satoshi Fukube, mon vieil ami, digne adversaire et rival mortel, est en effet plutôt petit pour un garçon. Adolescent et lycéen en âge, son air et sa carrure ne rendent pas impossible de le confondre avec une mauviette efféminée. Mais à l'intérieur, il est différent. Je ne saurais pas décrire ce quelque chose qui se dégage de lui. C'est juste différent. Outre son éternel sourire, il transporte toujours avec lui, en plus de son insolence, un sac de corde. Il est également membre, pour je ne sais quelle raison, du club d'artisanat de l'école.

Débattre avec lui, c'est gaspiller mon énergie. D'un signe de la main, je lui fais comprendre que cette petite discussion est finie.

« Oui, c'est ça. Allez, tu peux rentrer maintenant. »

« T'as raison. Je n'ai pas d'activité de club aujourd’hui ; je devrais rentrer. »

Alors qu'il s'était levé à moitié, Satoshi réalisa soudainement quelque chose avant de me regarder.

« Tiens, c'est plutôt rare de t'entendre dire à quelqu'un de rentrer. »

« Développe ? »

« Normalement, plutôt que de me dire de rentrer, tu quittes toi-même ta place. Qu'est-ce que toi, tu peux bien avoir à faire à l'école ? »

« Ah. »

Les sourcils froncés, j'ai tendu à Satoshi un papier que je conservais dans la poche droite de la veste de mon uniforme. Ses yeux se sont écarquillés. Il n'était pas autant surpris qu'il le laissait paraître, mais il avait l'habitude d'exagérer ses réactions.

« Qu ?! Qu'est-ce que ça veut dire ? »

« Calme-toi, Satoshi »

« C'est bien un formulaire d'adhésion à un club, non ? Comment tu veux que je reste calme ? Il s'est définitivement passé quelque chose de grave si tu as ça en ta possession. »

Il s'agissait bien d'un formulaire à mon nom. Et Satoshi fut d'autant plus surpris quand il vit le nom du club en question.

« Le club de littérature classique ? »

« T'en as entendu parler ? »

« Bien sûr. Mais pourquoi ce club ? Tu as soudainement éveillé un intérêt pour la littérature japonaise classique ? »

Comment devrais-je lui expliquer ? Après réflexion, j'ai sorti un autre papier de ma poche intérieure gauche. C'était une lettre griffonnée à la main, que je tendis à Satoshi.

« Lis ça. »

Satoshi s'est empressé de prendre la lettre et la lut de travers avant de commencer à rire, comme prévu.

« Haha, Hôtarô, en voilà une de situation ennuyeuse. Un requête de ta sœur, hein ? Aucune chance que tu puisses refuser. »

Pourquoi avait-il l'air si joyeux ? De mon côté, j'étais bien conscient de l'expression amère que j'avais sur le visage. Ce courrier aérien qui était arrivé ce matin d'Inde tentait de modifier ma façon de vivre. C'était bien ma sœur, Tomoe Oreki. Toujours en train d'envoyer du courrier dans le seul but de faire dérailler mon quotidien.

« Hôtarô, protège le Club de Littérature classique, la jeunesse de ta grande sœur. »

Quand j'ai ouvert l'enveloppe et ai lu cette brève lettre ce matin, j'ai réalisé de la nature totalement égoïste et égocentrique de son contenu. Je n'ai aucune obligation de protéger les souvenirs de ma sœur, mais…

« Ta sœur maîtrise un art martial, il me semble. Le jujitsu, c'est ça ? »

« Aïkido et taihojutsu. Si elle veux faire mal à quelqu'un, elle y arrivera sans problème. »

Oui. Ma sœur, étudiante à l'université, tout aussi compétente avec les livres qu'au corps à corps, et ne se contentant plus du Japon, a décidé d'aller affronter le monde. Il n'est évidemment jamais sage de provoquer la furie des gens comme elle.

Mais encore, bien que je pourrais tenter de lui résister avec ce peu de fierté qu'est la mienne, il est également vrai que je n'ai que peu de raisons de lui tenir tête. Après tout, ma sœur avait complètement raison quand elle disait que je n'avais rien de mieux à faire. J'ai donc décidé que je serai un membre invisible de ce club plutôt qu'un lycéen sans affiliation. Et sans hésitation aucune, « J'ai soumis ma demande ce matin. »

« Tu sais ce que ça veut dire, Hôtarô ? »

Satoshi dit cela en jetant un regard à la lettre de ma sœur. Je laissais échapper un soupire.

« Oui, je sais, je ne retire absolument aucun bénéfice de ça. »

« … Non, ce n'est pas ce que je veux dire. »

Répondit Satoshi d'une voix étrangement bienveillante, en retirant finalement ses yeux de la lettre.

Il tapota la lettre avec le dos de sa main.

« Le club de littérature ne compte aucun membre en ce moment, pas vrai ? Ce qui veut dire que tu vas avoir une salle de club pour toi tout seul. C'est pas génial ? Une salle entière à l'intérieur de l'école pour ton usage personnel. »

Une salle pour moi seul ?

« … C'est une façon intéressante de voir la chose. »

« T'aimes l'idée, pas vrai ? »

Une façon de raisonner bien étrange. En clair, Satoshi me dit que je peux avoir une salle exclusivement pour moi dans l'école. Pas le genre de conclusion à laquelle je pourrais arriver. Un espace privé, hein ? Ce n'est pas comme si je désirais vraiment une telle chose et que je serais prêt à faire de gros efforts pour, mais… Si je peux tirer avantage de la situation actuelle, c'est tant mieux. Je repris la lettre des mains de Satoshi et répondis :

« J'imagine que c'est pas si mal. J'irai y jeter un œil. »

« Bien. Les opportunités sont là pour que en profiter. »

Les opportunités sont là pour en profiter, hein ? Ce n'est pas comme si ces mots ne m'allaient pas, pensais-je en attrapant mon sac, un sourire amère au visage.

En fin de compte, j'étais encore fidèle à ma devise.



Depuis une fenêtre ouverte, on entendait les cris de l'équipe d'athlétisme.

« … Une, deux ! Une, deux ! Une, deux ! »

Je n'aimerais franchement pas gaspiller autant d'énergie dans une activité pareille. Ne vous méprenez pas, je ne prétends pas que ma politique d'économie d'énergie est en quoi que ce soit supérieure, encore moins je ne vois pas les gens actifs comme des idiots.

Je me dirigeais vers la salle du club de littérature, continuant d'entendre en fond ces chants passionnés. J'ai marché jusqu'au bout du couloir carrelé, puis suis monté au troisième étage. Croisant le concierge qui transportait une grande échelle, je lui ai demandé où se trouvait la salle du club ; il m'a envoyé à la salle de documentation en géologie, quatrième étage, bloc spécialisé.

Cette école, le Lycée Kamiyama, n'était ni remarquable par son nombre d'élèves, ni par la taille de son campus.

Le nombre d'étudiants tournait autour du millier. Elle offrait dans son curriculum des examens d'entrée à l'université, comme la plupart des lycées, mais n'était pas pour autant réputée pour ses qualités académiques. En clair, une école banale. En contrepartie, l'école se distinguait par son nombre de clubs extraordinaire (le club de peinture à l'eau, celui de chant a cappella et celui de littérature classique en sont de bons exemples), et par conséquent, un festival culturel bien animé.

Trois grands bâtiments se dressait sur le campus. Le bloc général, avec les salles de classe normales, le bloc spécialisé, avec les classes à usages particuliers, et le gymnase. Vraiment rien de spécial. Il y avait aussi le dojo pour les arts martiaux ainsi que le cagibi des équipements de sport. Le quatrième étage du bloc spécialisé, où est située la salle du club de littérature classique, s'avère être plutôt lointain et isolé.

Maudissant un pareil gaspillage d'énergie, j'ai traversé le couloir de connexion et emprunté les escaliers jusqu'au quatrième étage. De là, j'ai rapidement trouvé la salle de géologie. Sans hésiter, j'ai tenté de faire glisser sa porte, en vain. Elle était fermée à clé. Cela n'avait rien d'étonnant, les salles à usages particuliers sont généralement verrouillées. J'ai sorti la clé que j'avais préalablement empruntée dans le but d'économiser de l'énergie et ai déverrouillé la porte.

Après avoir fait tourner la clé dans la serrure, j'ai fait glissé la porte. À l'intérieur de la salle de géologie vide, on apercevait le coucher de soleil depuis sa fenêtre orientée ouest.

J'ai dit vide ? À ma surprise, figurez-vous que ce n'était pas le cas.

À l'intérieur de cette salle baignée dans les rayons du soleil couchant, la salle du club de littérature classique, se tenait déjà quelqu'un.

Un étudiant se tenait devant le fenêtre et regardait dans ma direction. C'était une fille.

Bien que « gracieuse » et « soignée » n'étaient pas tout à fait les premiers adjectifs qui me soient venus à l'esprit en la voyant, je ne voyais pas d'autres mots qui puissent la décrire proprement. Ses longs cheveux noirs glissant au-delà de ses épaules et sa marinière lui allaient vraiment bien. Elle était grande pour une fille, probablement plus grande que Satoshi. Bien qu'il était évident qu'il s'agissait d'une lycéenne, ses fines lèvres et sa silhouette triste renforçait l'image démodée que j'avais d'une étudiante dans ma tête. Contrastant avec cela, ses pupilles étaient grandes, et plutôt que gracieuses, elles avaient l'air énergiques.

Je ne la connaissais pas.

Et pourtant, en me voyant, elle sourit et dit :

« Bonjour. Tu es bien Oreki-san du club de littérature classique, n'est-ce pas ? »

« … Et tu es ? »

… Répondis-je franchement. Bien que les relations sociales n'aient jamais été mon fort, je n'avais pas l'intention de traiter froidement quelqu'un que je venais de rencontrer. Alors que je ne la connaissais pas, pour une quelconque raison, elle avait l'air de savoir qui j'étais.

« Tu ne te souviens pas de moi ? Je m'appelle Chitanda, Eru Chitanda. »

Eru Chitanda. Même avec son nom, je n'avais toujours aucune idée de qui il s'agissait. Au fait, son prénom, Eru, et son nom de famille, Chitanda, sont tous les deux très peu courants. Je n'aurais pas oublié un tel nom si je l'avais déjà entendu.

Je regardé une dernière fois dans la direction de cette fille s'appelant Chitanda. Assuré de ne pas la connaître, j'ai répondu :

« Désolé, je ne pense me souvenir de qui tu es. »

Elle continuait de sourire mais elle pencha sa tête, apparemment confuse.

« Tu es bien Oreki-san, n'est-ce pas ? Hôtarô Oreki de la Classe 1-B ? »

« J'ai confirmé d'un hochement de la tête. »

« Je suis de la Classe 1-A. »

Alors, tu te souviens maintenant ? Est ce qu'elle semblait vouloir laisser entendre… J'ai vraiment la mémoire si courte ?

Un instant. Je suis de la Classe B et elle de la Classe A. Y avait-il une seule chance que nous nous soyons déjà rencontrés ?

Même si nous sommes tous les deux en première année, les élèves de différentes classes n'interagissent que peu ou pas entre eux. Les seules possibilités sont via un club ou leur cercle d'amis. Je n'ai aucune relation de la sorte. Alors, il devrait s'agir de quelque chose ayant impliqué tout le corps étudiant, et le seul événement qui me vient à l'esprit est la cérémonie d'entrée au début du semestre. Là encore, je ne crois pas m'être présenté ou avoir été présenté à qui que ce soit d'en dehors de ma classe.

Non, attendez. Ça y est, je me souviens. Il y a bien des cours durant lesquels on a une chance d'interagir avec des élèves d'autres classes. Certains cours impliquent du matériel spécifique et sont plus propices à être donnés à plus d'une classe en même temps. Ceux-là étant l'éducation physique et les sujets artistiques. Au collège, il y avait aussi des cours à vocation professionnelle mais le lycée est une institution principalement académique donc on peut les oublier. L'Éducation physique n'est pas mixte, il nous reste donc…

« Se pourrait-il que nous ayons participé à un même cours de musique ? »

« Oui, c'est ça ! »

Chitanda fit un grand oui de la tête.

Bien que je l'avais deviné seul, j'étais encore surpris. Pour le bien de la fierté qu'il me reste, j'ajouterai que depuis mon arrivée dans cette école, je n'ai participé qu'une seule fois à l'un de ces cours facultatifs d'art. Dès lors, impossible d'avoir retenu un seul nom ou un seul visage !

D'un autre côté, cette fille ici-même se souvient de moi après ne m'avoir vu qu'une seule fois ; la preuve vivante que ce n'est pas totalement impossible… Mais laissez-moi vous le dire, elle doit avoir une capacité d'observation et de mémorisation effrayante.

Enfin, cela pourrait n'être qu'une coïncidence. Après tout, différentes personnes peuvent interpréter de différentes manières le même article de journal. Reprenant mes esprits, j'ai demandé :

« Alors, Chitanda-san. Qu'est-ce qui t'amène en salle de géologie ? »

Elle répondit sans tarder :

« J'ai rejoint le club de littérature classique donc je me suis dite qu'il faudrait que je vienne te saluer. »

Elle a rejoint le club, en d'autres mots, un membre.

À cet instant, je voulais qu'elle réalise comment je me sentais. Si elle rejoignait le club, cela voudrait dire à la fois la fin de mon espace privé, et de mon obligation envers ma sœur. Je n'avais plus aucune raison de rejoindre ce club. J'ai soupiré intérieurement… Un effort vain… En pensant cela, j'ai demandé :

« Pourquoi es-tu aussi dans le club de littérature ? »

Je ne voulais pas rejoindre ce club ! Tel était le message sous-entendu dans ma question, pourtant il semblerait qu'elle ne l'ait pas du tout réalisé.

« Eh bien, j'ai mes raisons pour le rejoindre. »

Elle a même évité ma question. Une réponse étonnamment louche de la part de cette Eru Chitanda.

« Et toi, Oreki-san ? »

« Moi ? »

Voilà qui est délicat. Comment devrais-je lui répondre ? Je ne crois pas qu'elle comprendrait si je lui disais que je suis ici sur ordre de ma sœur. Pendant que je m'étais mis à réfléchir à la question, j'ai réalisé qu'elle n'avait pas vraiment besoin de connaître mes raisons.

Soudain, la porte s'est ouverte et une voix bruyante inonda la salle.

« Hé, qu'est-ce que vous faites ici ? »

C'était un enseignant. Probablement en pleine patrouille sur le campus après les heures de cours. Vu son bronzage et son corps bien bâti, il devait être professeur d'éducation physique. Bien qu'il n'en portait pas, on pouvait bien l'imaginer bien avec un sabre en bambou. Et bien qu'il ne soit plus ce qu'il a pu être un jour, une certaine autorité se dégageait toujours de lui.

Chitanda se recroquevilla légèrement à la surprise de s'être faite criée dessus si soudainement mais retrouva vite son calme sourire. Elle salua l'enseignant.

« Bonjour, Morishita-sensei. »

Ses salutations étaient parfaites de part l'angle et la vitesse avec lesquels elle courba son corps. Voir comme elle gardait ses bonnes manières peu importe la situation m'a rendu un peu envieux. L'enseignant s'appelant Morishita fut brièvement médusé par sa courtoisie mais recommença bientôt à parler bruyamment.

« J'ai vu que la porte était déverrouillée, je suis donc entré pour voir ce qu'il se passait. Pourquoi êtes-vous entrés dans cette classe sans permission ? Vos noms et classes ? »

… Hum. Sans permission, hein ?

« Je suis Hôtarô Oreki de la Classe 1-B. Au passage, Sensei, ceci est la salle du club de littérature classique et je suis navré de vous informer que vous interrompez nos activités. »

« Le club de littérature… ? »

Sans cacher sa méfiance, il répondit :

« J'ai cru qu'il avait été démantelé. »

« Il en était proche jusqu'à aujourd'hui. Il a repris du service ce matin. Vous pourrez confirmer avec notre enseignant superviseur, hum… »

« Ôide-sensei. »

« Oui, avec Ôide-sensei. »

« Une explication appropriée à un moment approprié. Morishita baissa d'un ton. »

« Oh. Je vois. Bien, continuez ce que vous faisiez. »

« Vous n'allez pas contrôler nos identités ? »

« Et souvenez-vous de retourner la clé quand vous aurez fini. »

« C'est compris. »

Morishita nous lança un regard avant de fermer la porte brusquement. Chitanda trembla à nouveau au bruit puis chuchota gentiment :

« Il est… »

« Hum ? »

« Il est assez bruyant pour un enseignant. »

J'ai souri.

Enfin bref.

J'imagine que je n'ai plus rien à faire ici.

« Très bien. Vu qu'on en a fini avec les présentations, je vais y aller. »

« Pardon ? Il n'y a pas d'activités aujourd'hui ? »

« En tout cas, je rentre. »

J'ai pris mon sac, pas très rempli au passage, et ai tourné le dos à Chitanda.

« Je compte sur toi pour verrouiller la porte. Tu n'as pas envie de te faire encore crier dessus comme ça, n'est-ce pas ? »

« Ah ? »

J'ai ensuite quitté la salle de géologie.

Ou plutôt, je m'apprêtais à la quitter quand la voix sagace de Chitanda m'arrêta.

« Attends s'il te plaît ! »

Je me suis tourné pour regarder Chitanda. Elle avait l'air de quelqu'un qui avait entendu quelque chose d'impensable, puis sans expression ajouta :

« Je… Je ne peux pas fermer la porte. »

« Pourquoi pas ? »

« Parce que je n'ai pas la clé. »

Ah oui, c'est vrai. C'est moi qui ai la clé. Il ne devait pas y avoir beaucoup de doubles à emprunter. Je l'ai sortie de ma poche et lui ai tendue.

« Voilà. Oublie pas de… Pardon, je veux dire, ramène-la quand tu auras fini, s'il te plaît, Chitanda-san. »

Mais Chitanda n'a pas réagi. À la place, elle fixait simplement la clé suspendue à mon doigt, puis leva les yeux pour me regarder et demanda :

« Oreki-san, pourquoi est-ce que la clé est avec toi ? »

Il lui manque une ou deux cases ?

« Eh bien, sans la clé, comment aurais-je pu rentrer… Attends un peu, comment t'es arrivée… Pardon, comment es-tu rentrée dans cette salle, Chitanda-san ? »

« La porte n'était pas verrouillée quand je suis entrée. Je n'avais pas cru que je serais la première à venir ici, je n'ai donc pas pris la clé. »

Je vois. À moins qu'elle n'ait reçu comme moi une lettre lui informant qu'il n'y avait plus aucun membre dans ce club, elle n'avait aucun moyen de le savoir.

« C'est vrai ? La porte était bien fermée quand je suis arrivé. »

Avoir dit ça si nonchalamment ne pouvait être qu'une erreur quand j'ai vu l'expression dans les yeux de Chitanda changer si subitement et son regard devenir tranchant. C'était peut-être mon imagination mais ses pupilles m'ont semblé grandir. Sans faire attention à mon air surpris, elle m'a lentement demandé :

« Quand tu dis que la porte était verrouillée, tu parles bien de la porte par laquelle tu es entré ? »

Je n'ai pu que hocher la tête dans la confusion de voir une telle expression sur le visage d'une fille si élégante. Je ne sais pas si elle l'a fait consciemment, mais elle avança d'un pas vers moi.

« Ce qui veux dire que j'étais enfermée à l'intérieur de cette pièce, n'est-ce pas ? »



Les bruits de battes faits par l'équipe de base-ball pouvaient clairement être entendus. Alors que je n'avais plus rien à faire dans ce salle, il semblerait que Chitanda souhaitait prolonger un peu la discussion. J'ai consenti derrière un soupir et ai placé mon sac sur une table près de nous.

Elle dit qu'elle était enfermée. Vraiment ? Je réfléchit un instant. La clé était avec moi alors que Chitanda était à l'intérieur de la salle. Je ne me souviens pas avoir un jour verrouillé cette porte. La réponse était simple.

« N'es-tu pas celle qui t'es enfermée à l'intérieur ? »

Chitanda nia de la tête sans l'ombre d'une hésitation.

« Je ne l'ai pas fait. »

« La clé était avec moi. Qui d'autre aurait pu verrouiller la porte si ce n'est pas toi ? »

« … »

« Enfin bon, les gens oublient assez souvent le fait d'avoir fermé leur porte ou pas, »

Mais Chitanda ne me prêta à cet instant aucune attention et pointa soudainement la porte derrière moi.

« Est-ce un ami à toi là-bas ? »

Je me suis retourné et ai aperçu la silhouette du col d'un uniforme noir dépassant de la porte entrouverte. Son regard a vite croisé le mien. Je me suis souvenu de ces yeux marrons et de leur regard qui a l'air de vous sourire, j'ai donc élevé la voix et l'ai appelé :

« Satoshi ! Espionner les conversations des autres, c'est plutôt pervers comme activité. »

La porte s'ouvrit et, comme prévu, la personne derrière était bien Satoshi Fukube. Sans aucune honte de son comportement, il dit effrontément :

« Désolé, désolé. Je n'avais pas l'intention d'écouter. »

« Mais tu l'as quand même fait au final. »

« Peut-être. Mais je ne pouvais vraiment pas rentrer à l'intérieur quand je t'ai vu, toi généralement si inactif, passer un bon moment seul avec une fille devant un coucher de soleil. Je risquais de vous interrompre et de me faire jeter dehors. »

Qu'est-ce qu'il raconte ?

« J'ai cru que tu étais déjà rentré. »

« J'allais rentrer mais je t'ai vu avec cette fille dans cette classe depuis en bas… J'imagine que je n'ai pas assez d'expérience en voyeurisme. »

J'ai ignoré Satoshi et ses commentaires à propos de nous avoir vu d'en bas car ce n'était rien d'autre que son humour habituel. Il fallait cependant faire attention à ceux qui sont ne pas être habitués à des blague si légères, ils pourraient le prendre au sérieux.

On dirait que Chitanda s'est faite avoir aussi.

« Euh, euh, je… »

Son expression calme et posée de tout à l'heure avait disparu, un air troublé l'avait remplacée. Il semblerait qu'elle soit du genre à afficher clairement son état sur son visage. On croirait presque entendre son visage nous dire « Regarde, en ce moment je suis troublée. » avec un air nerveux. Même s'il était amusant de la voir dans cet état, je n'allais pas laisser cela durer plus longtemps.

Fort heureusement, tout ce qu'il y avait à faire avec Satoshi et ses blagues, c'était de lui demander :

« T'es sérieux ? »

« Bien sûr que non. »

Fiou Chitanda respira de soulagement. Voilà la devise de Satoshi :

« Tout comme les blagues sont à faire dans l'instant, les malentendus sont à dissiper dans sur-le-champ. »

« Oreki-san, qui est-ce donc ? »

Demanda Chitanda, après avoir repris ses esprits, avec un peu de lassitude. J'imagine que l'on avancera pas tant que je n'aurai pas fait les présentations. Je répondis brièvement :

« Oh lui ? C'est Satoshi Fukube, un pseudo-humain. »

« Pseudo ? »

La description la plus appropriée, que Satoshi semble avoir bien pris.

« Haha, très bonne introduction, Hôtarô. Enchanté ! Et tu es ? »

« Chitanda, Eru Chitanda. »

En entendant le nom de Chitanda, la réaction de Satoshi fut plutôt étonnante. Il était laissé sans voix. Cela n'arrive pas très souvent aux moulins à paroles dans son genre.

« Chi-Chitanda-san ? Cette Chitanda ? »

« Hum ? Je ne sais à quelle Chitanda tu fais référence à, mais je suis pratiquement sûre d'être la seule Chitanda dans cette école. »

« C'est donc bien toi. Je suis surpris. »

La surprise de Satoshi était sincère. Et si lui est surpris, alors je devrais l'être aussi. Je sais depuis un certain temps que ce garçon a les moyens de trouver toutes sortes d'informations incroyables. Alors qu'est-ce qui pouvait bien le surprendre ? Je n'en avais pas la moindre idée.

« Hé, Satoshi, c'est quoi le problème cette fois ? »

« Qu'est-ce que c'est, tu dis ? Je sais que tu n'es pas très au courant en général mais ne me dis pas que tu n'as jamais entendu parler du Clan Chitanda ? »

Cette fois-ci, Satoshi secoua sa tête et soupira de manière exagérée. Bien sûr, c'est une des autres facettes de son humour. Vu qu'il était toujours au courant de beaucoup de choses, très souvent inutiles, je n'avais pas à avoir honte lorsque je ne comprenais pas de quoi il parlait.

« Qu'y a-t-il avec la famille de Chitanda-san ? »

Satoshi commença son explication avec un air plein de satisfaction.

« Bien que la ville de Kamiyama regorge de vieux et prestigieux clans, les plus connus sont les quatre ‹ Clans Exponentiels ›. Le Clan Jûmonji (十文字) gérant le Mausolée Arekusu, le Clan Sarusuberi (百日紅) gérant les librairies de la ville, le Clan Chitanda (千反田) et leurs vastes terres agricoles, ainsi que le Clan Manninbashi (万人橋) de la montagne. Le premier kanji de chacun de leurs noms représente un exposant du nombre dix (十百千万), d'où l'expression les ‹ Clans Exponentiels ›. Les seuls autres clans se tenant sur un pied d'égalité avec eux sont le Clan Irisu gérant l'hôpital local et le Clan Tôgaito avec leur domination dans le secteur de l'éducation. »

Interloqué, j'ai cligné des yeux avec suspicion et demandé, « Quatre Clan ? T'es sérieux, Satoshi ? »

« Comme c'est impoli. Ai-je une seule fois menti à propos de quelque chose comme ça ? »

S'il dit que c'est vrai, ça l'est probablement. Mais sérieusement, des clans prestigieux à notre époque ? Alors que Satoshi me faisait encore les gros yeux, Chitanda est venue à son aide.

« Hum, j'ai déjà entendu cette histoire. Mais je suis pas sûre à propos de la renommée de ma famille. »

« Alors c'est vrai ? »

« Mais c'est la première fois que j'entends parler de ces quatre ‹ Clans Exponentiels ›. »

Je fixais Satoshi et il haussa les épaules.

« Je n'ai pas dit que je mentais. »

« Mais tu as tout inventé quand même, pas vrai ? »

« J'ai toujours voulu être celui à l'origine d'une légende. »

Comme s'il souhaitait fermer cette parenthèse, Satoshi claqua des mains et dit :

« Mais sinon, Hôtarô, quel est le problème ici ? »

T'es sacrément curieux, dis donc. Dans le but de raccourcir l'histoire. Je lui ai brièvement donné les détails.



Comme il commençait à faire sombre, Chitanda alluma les lumières.

Après avoir entendu mon histoire, Satoshi croisa les bras et commença à gémir.

« Hum, voilà une histoire bien étrange. »

« Et en quoi elle l'est ? Chitanda a juste oublié qu'elle s'était enfermée. »

« Non, c'est définitivement étrange. »

Satoshi relâcha ses bras et claqua une fois de plus des mains.

« Dernièrement, les écoles sont devenue très exigeantes quant à la gestion des campus. Et la gestion des salles de classes à Kamiyama est particulièrement ennuyeuse. Au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, aucune des classes ici ne peuvent être verrouillées de l'intérieur, cela afin d'empêcher les étudiants de s'y enfermer et d'y mener des activités répréhensibles. »

Pendant que Satoshi expliquait cela d'un air triomphant. Quelque chose éveilla ma curiosité. Je sais que Satoshi est très assidu pour ce qui est de prendre connaissance de ce genre de choses mais tout même, il exagère, non ? Cela ne fait même pas un mois qu'il est arrivé dans cette école.

« Comment tu sais ça ? »

« Eh bien, j'essayais de me cacher dans une classe dans le but d'y mener un expérience la semaine passée, et là j'ai découvert que je ne pouvais pas m'enfermer à l'intérieur. »

« Tu sais quoi ? Je suis certain que les portes de cette école ont été faites comme ça dans le but d'éviter que des gens comme toi s'y enferment pour y faire des trucs louches. »

« J'imagine, oui. »

« Tu peux en être sûr. »

On riait tous les deux. Nos rires secs firent reculer Chitanda d'un pas. Ayant remarqué, je me suis raclé la gorge et ai dit :

« La serrure doit juste avoir un soucis alors. Ça s'assombrit dehors, je vais rentrer. »

Je me suis levé de la table sur laquelle je m'étais assis.

J'ai senti quelqu'un attraper mon épaule. En me retournant, j'ai vu Chitanda qui s'était approchée de moi sans que je le réalise.

« Attends s'il te plaît ! »

« Qu'y a-t-il cette fois ? »

« Ça m'intrigue. »

Je tressaillit en voyant le visage de Chitanda s'approcher si près.

« Et ? »

« Pourquoi étais-je enfermée à l'intérieur ? … Et premièrement, même si je n'étais pas enfermée, pourquoi ai-je pu rentrer dans la classe ? »

Le regard de Chitanda avait une sorte de pouvoir te disant qu'aucune bêtise ne serait acceptée comme réponse. Débordé, j'ai docilement répondu :

« Et alors ? »

« Si c'était l'erreur de quelqu'un, alors qui l'a commise ? Et comment est-ce que l'on a pu m'enfermer par erreur ?

« Non, je pense que le problème vient de la porte… »

« Ça m'intrigue vraiment. »

Dit-elle en continuant d'approcher, m'obligeant à reculer.

Au départ, j'ai cru que Chitanda était une élégante jeune fille, mais ce n'étais que ma première impression biaisée par son apparence. J'étais maintenant en face de la vraie Chitanda. Ses grands yeux pleins d'énergie contrastent particulièrement avec le reste. Ces yeux sont le reflet de sa vraie nature. « Ça m'intrigue. » Cette phrase seule changea cette enfant des « Clans Exponentiels » en l'incarnation de la curiosité.

« Comment est-ce arrivé ? Oreki-san, et toi aussi Fukube-san, m'aiderez-vous à le découvrir ? »

« Pourquoi je ferais… »

« Eh bien, c'est plutôt intéressant. »

M'interrompant au passage, Satoshi accepta sa requête immédiatement. C'était à prévoir mais moi, « Désolé mais je ne suis pas intéressé, je rentre. »

C'est pourtant simple, pour moi, c'est du gaspillage d'énergie. Si je n'y suis pas obligé, je passe.


Et tout de même, Satoshi, qui sait cela mieux tout le monde, dit « Oh, allez, Hôtarô, aide-nous. Je le ferais bien seul si je pouvais mais je n'arriverai à aucune conclusion seulement avec ma base de donnée. »

« C'est juste idiot, je… »

J'allais terminer ma phrase mais le regard de Satoshi dévia. En le suivant, j'ai vu Chitanda.

« … Ugh. »

Ses lèvres serrées, et s'accrochant de toutes ses forces à sa jupe, elle fixait son regard vers le haut, vers moi. Inconsciemment, j'ai reculé d'un pas supplémentaire. En terme d'intensité dans sa personnalité, je doute qu'elle perde contre ma sœur. C'était un avertissement de Satoshi, « Tu ferais mieux de céder à ses caprices. »

Je faisait des allers-retours entre son regard et celui de Satoshi. Penchant très légèrement ma tête vers lui, j'ai accepté son conseil. Autrement, le malheur pourrait bien s'abattre sur nous.

« Ouais… c'est intéressant, j'imagine. Je vais y réfléchir. »

J'ai dit cela avec autant de conviction qu'un comédien débutant qui lirait son script à voix haute. Mais ça a suffi à calmer un peu les yeux de Chitanda.

« Oreki-san, tu as une idée de par où commencer ? »

« Laisse-lui un instant. Hôtarô est du genre à réfléchir avant de faire quoi que ce soit. Mais une fois qu'il a ses idées bien ordonnées, il est d'une grande aide. »

Arrête d'être aussi bavard. Mais oui, agir avant de réfléchir n'est jamais une bonne idée.

J'ai donc commencé à réfléchir.

Quand Chitanda est entrée dans la salle, elle était déverrouillée. Mais quand je suis arrivé, elle était clairement fermée à clé.

Si ce qu'a dit Satoshi est vrai, Chitanda n'aurait pas pu s'enfermer elle-même. Toutefois, plutôt que de chercher un coupable, on peut considérer la possibilité que le matériel lui-même ait été fautif. Par exemple, la verrou peut avoir été à moitié tourné quand Chitanda est arrivée, et qu'après qu'elle soit rentrée, un quelconque mouvement aurait aurait terminé la rotation et verrouillé Chitanda à l'intérieur.

Après avoir expliqué ma théorie, Chitanda inclina sa tête et se plongea dans ses réflexions. Cependant, Satoshi a instantanément réagi.

« Impossible. Le verrou des portes de l'école sont faits de sorte à ce qu'il soit impossible de retirer la clé tant que la rotation n'est pas terminée. »

Proposition rejetée, hein ?

Si c'est bien le cas, alors il ne reste que la possibilité qu'un tiers ait consciemment verrouillé la porte. J'ai donc demandé :

« À quelle heure es-tu rentrée dans cette salle, Chitanda ? »

Elle réfléchit un instant et dit :

« Juste avant toi. Je dirais environ trois minutes. »

Trois minutes, c'est bien trop court. Sachant que la salle de géologie est l'endroit le plus reculé de l'école, elle n'aurait pas eu assez de temps.

… Maintenant ça se complique. J'allais me replonger dans mes pensées quand Chitanda éleva la voix.

« Ah ! »

« Qu'y a-t-il, Chitanda-san ? »

« Je sais. Penses-y, qui d'autre peut avoir la clé ? »

« Hein ? Qui ? »

Le sourire de Chitanda était plein de joie… Pour une raison quelconque, j'avais un mauvais pressentiment. Mon instinct ne m'a pas trompé, notre demoiselle s'est tournée vers moi et dit :

« Oreki-san, bien sûr. Il a la clé. »

Comme prévu. Et plutôt que d'accepter sa déduction comme bonne et s'arrêter là, elle réalisa quelque chose :

« Ah, ce n'est pas possible en fait. Oreki-san est digne de confiance, n'est-ce pas ? »

… Je ne suis pas sûr que tu devrais dire de telles choses en face de la personne en question. J'étais bouche bée mais Satoshi rit et dit :

« Eh bien, je ne sais pas si Hôtarô est digne de confiance ou non, mais je doute qu'il soit le genre de personne à prendre plaisir à enfermer des gens dans une classe. Il n'a rien à y gagner. »

Très juste. Tu me connais bien ; je ne ferais rien qui ne m'apporte rien.

Conséquence, je ne suis pas coupable.

Mais alors… Qui est-ce ?

Aucune idée, je devais me creuser la tête.

Je n'ai même pas le moindre indice. Je ne sais pas pourquoi mais je me sentis coupable, j'ai donc demandé :

« On avance pas. Tu n'as pas un indice ? »

« Un indice ? Qu'est-ce que tu veux dire ? »

On ira pas loin si elle répond à mes questions par des questions.

« Un indice est un indice. »

Satoshi m'aida alors à élaborer mon explication visiblement trop simplifiée.

« Quelque chose qui sorte de l'ordinaire. N'as-tu pas remarqué quoi que ce soit de différent ou d'étrange, Chitanda-san? »

« Maintenant que vous le dites… »

Quelque chose de différent ? Je n'attendais pas grand chose d'une question si vague mais Chitanda s'est mise à regarder autour d'elle avant d'orienter son regard vers le bas. Elle dit : « Il y a peu, j'ai entendu du bruit venant du sol. »

Du bruit ?

Donc quelqu'un avait bien fermé la porte à clé ? Je n'en savais rien.

Non. Et si c'était le cas ?

… Je vois. J'étais finalement arrivé à une conclusion. Satoshi remarqua mon expression et dit :

« Hôtarô, tu as l'air d'avoir réalisé quelque chose. »

J'ai ramassé mon sac en silence.

« Où… Où est-ce que tu vas, Oreki-san ? »

« Avec un peu de chance, nous devrions pouvoir assister à la réitération du crime. »

J'ai senti Chitanda suivre mes pas frénétiquement. Aucun doute que Satoshi suivait derrière.



Il se faisait tard et l'heure de fermeture approchait. On pouvait voir l'équipe de base-ball remballer ses affaires. Chitanda et Satoshi, que je devais avoir quitté il y a un moment, ont fini par m'accompagner. Ou plutôt, ils me suivaient.

Chitanda qui marchait à côté de moi demanda :

« Dis-le-nous maintenant. Comment se fait-il que tu aies compris ? »

Satoshi ajouta depuis derrière :

« Elle a raison, tu sais. Il ne devait pas y avoir secrets entre nous. »

Arrête-toi immédiatement de dire des trucs aussi louches. Sans tourner la tête, je dis :

« Ce n'est pas un secret, c'est juste que c'est si simple que ça ne demande pas vraiment d'explication. »

« C'est peut-être simple pour toi, Oreki-san, mais je n'ai toujours pas compris. »

Chitanda boudait… C'est ennuyeux d'expliquer, mais éviter ses questions me coûte tout autant d'énergie. Je redressais mon sac sur mon épaule et me demandais par où commencer.

« Très bien, et si je te disais que tu as été enfermée par quelqu'un ayant un passe-partout ? »

Chitanda poussa un cris plein de surprise après que j'aie articulé ce qui était déjà un fait pour moi. Il semblerait que je doive commencer les explications à partir d'ici.

« Ahh ? Comment ça ? »

« La salle de géologie est un endroit reculé du campus. Si une personne t'avait enfermée avec la clé habituelle, elle n'aurait pas eu le temps de la ramener avec que je ne l'emprunte. Trois minutes, c'est trop court pour qui ce soit. »

« Je vois. Donc ça doit être une autre clé. Et vu qu'il n'y a qu'une seule clé en libre circulation, il ne reste que le passe-partout, c'est ça ? »

Exactement. Et naturellement, on ne doit pas s'attendre à ce que le passe-partout puisse être en possession d'un étudiant.

De plus, nous avons une information supplémentaire et décisive.

« Chitanda, tu as dit avoir entendu du bruit venant d'en-dessous de la classe, pas vrai ? »

« Oui. »

« Quand tu entends du bruit venant du sol du quatrième étage, à quoi penses-tu généralement ? »

Satoshi, qui avait l'air assez relaxé, répondit :

« Que le bruit vient du plafond du troisième étage. »

« Exact. Et cela vient de celui qui possède un passe-partout. »

Et la seule personne qui pourrait bien être en train de faire des travaux sur le plafond d'une classe après les cours est…

« C'est incroyable comme tu aies compris qu'il s'agissait du concierge comme ça. »

Dit Chitanda en s'agitant d'impatience.

La personne que nous avons croisé au troisième étage était le concierge transportant une grande échelle. Sortant d'une classe, il posa son échelle et sortit une clé de sa poche. Sous nos yeux, il commençait à fermer à clé les portes de l'étage, une par une. En d'autres termes, il avait commencé par déverrouiller toutes les portes de l'étage, puis avait fait ce qu'il avait à faire dans chacune des classes. Quand il avait fini, il repassait devant chacune des classes pour les fermer. Si quelqu'un venait à rentrer dans une classe alors que les portes étaient déverrouillées, il y a de fortes chances que cette personne se fasse malencontreusement enfermer… Comme Chitanda dans notre cas.

À propos de ce que faisait le concierge, je ne savais pas. Passant par autant de classes avec un échelle, il pouvait avoir changé des ampoules, contrôlé les alarmes à incendie, ou encore les interrupteurs. Quelque chose comme ça. Dans tous les cas, j'avais répondu à la question de Chitanda.

Affaire classée.

« Tu vois ? Je t'avais dit qu'il serait d'une grande aide après avoir réfléchi. »

« C'est vrai. Très impressionnant. »

Je ne vois pas en quoi j'ai été impressionnant… Après tout, c'est Satoshi qui m'a parlé du système des serrures, et Chitanda est celle qui a remarqué les bruits d'en-dessous. Je n'avais pas vraiment l'intention de réfléchir à la question… Enfin bref, ils peuvent penser ce qu'ils veulent. En tout cas, même si je suis resté contre mon gré, j'imagine que voir une telle admiration exprimée dans les yeux de Chitanda valait bien que je ravale mes réclamations.

« Tout de même, j'ai du mal à imaginer comment tu as pu ne pas entendre le concierge t'enfermer alors que tu étais à l'intérieur dans le silence. »

Chitanda ne prit cela ni comme de l'ironie, ni comme une critique. Elle se contenta de sourire.

« Je peux l'expliquer, ça. J'étais… Oui. J'étais en train d'observer ce bâtiment depuis la fenêtre. »

Elle dit cela en pointant du doigt un bâtiment près de la route. C'était le dojo. Il était en bois et en bien piteux état après avoir été exposé aux éléments pendant des années. J'ai décidé de m'inspirer de son attitude et d’honnêtement exprimer mon opinion.

« Tu devais vraiment être hypnotisée. »

« Pas vraiment. Je le trouve simplement mystérieux. »

« Hmm. »

Je ne voyais pas en quoi il était mystérieux mais Satoshi, lui avait l'air d'avoir compris quelque chose car on l'entendait maronner.

« C'est vrai qu'il a l'air particulièrement vieux. »

« Il l'est, en effet. »

Ah bon ? Peut-être mais je ne sais pas si être distrait par la vue d'un vieux bâtiment, c'est être élégant ou juste insouciant.

Nous arrivions doucement à un feu rouge. Comme nous, d'autres étudiants étaient en route pour chez eux.

« J'oubliais, nous n'avons pas encore terminé les politesses. »

Ajouta gentiment Chitanda.

« Les politesses ? »

« Oui. Le club de littérature classique va désormais reprendre ses activités. Alors j'espère qu'on s'amusera bien ensemble. »

Le club ! J'avais totalement oublié. Je voulais juste jeter un œil à la salle mais vu que Chitanda s'est inscrite, au final, tout ça n'a servi à rien… Mais ce qui est fait est fait. J'ai déjà remis mon formulaire et ai probablement déjà été enregistré en tant que membre. De plus, dans cette école, impossible de quitter un club moins d'un mois après son inscription.

Je baissais la tête et Chitanda adressa un sourire à Satoshi.

« Tu comptes aussi rejoindre le Club de Littérature, Fukube-san ? »

Satoshi croisa ses bras le temps de réfléchir. Ça n'a pas traîné.

« Ça m'a l'air sympa. C'est d'accord. »

« Alors au plaisir d'apprendre à te connaître, Fukube-san. »

« Non, non, tout le plaisir est pour moi, Chitanda-san… Et enchanté de te rencontrer aussi, Hôtarô. »

J'ai lancé un regard sarcastique à Satoshi qui a préféré jouer l'idiot.

Le feu passa au vert et je recommençais à marcher. Mettant ma main dans ma poche, j'ai senti cette lettre à l'intérieur. La lettre de ma sœur. Depuis que cette lettre de Tomoe Oreki était arrivée, j'avais l'impression que quelque chose s'était amorcé.

Contente, frangine ? Ta jeunesse qu'est ce club compte maintenant trois membres supplémentaires. Le traditionnel club de littérature classique renaît de ses cendres. Je pense pouvoir également dire adieu à mes paisibles jours de conservation d'énergie. Pourquoi ?…

« C'est vrai ! Nous n'avons pas encore décidé d'un président. Que faisons-nous ? »

« T'as raison. Mais j'ai vraiment du mal à imaginer Hôtarô en président de club. »

En temps normal, je n'ai pas vraiment de problème à maintenir ma politique. Si ce n'était que Satoshi, je m'en sortirais probablement, le vrai problème est…

Nos regards se croisèrent. Eru Chitanda souriait avec ses grands yeux.

J'ai comme le pressentiment que le vrai problème est cette demoiselle ici.

Notes du traducteur et références[edit]


Chapitre 03 - Les Activités du Prestigieux Club de Littérature Classique[edit]

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Maintenant que j’y pense, qu’est le but du club de littérature classique ? Les seuls étudiants qui pourraient m’éclairer sont diplômés, et je ne me vois pas poser la question à un professeur. Je pourrais demander à ma sœur mais, malheureusement, elle est à Beyrouth. De même, bien qu’il soit rare qu’un club ne sache pas ce qu’il doit faire, montagnes de clubs sont restent des mystères pour l'étudiant moyen. Pas la peine de me tracasser à ce sujet.

Cela fait un mois depuis la résurrection du club de littérature classique. La salle du club – la salle de géologie – n’était plus un espace privé, mais elle restait tout de même un espace relaxant. C’était une pièce où je pouvais tuer le temps après les cours lorsque je m’ennuyais. Satoshi pouvait être présent. Ou Chitanda. Ou les deux. Ou aucun d'entre eux. Ça ne changeait pas grand chose. Nous pouvions choisir de discuter ou de rester silencieux. Satoshi était du genre à pouvoir supporter calmement le silence, tandis que notre demoiselle Chitanda était une gracieuse jeune fille semblable à son apparence, tant qu’elle ne laissait pas exploser sa curiosité. C’est pour cela que, bien qu’inconsciemment, ce club apparaissait plus comme un club de loisir qu’un club scolaire.

Ainsi, leur compagnie n'avait rien d'épuisant puisque que je n'appréhende pas le contact humain en soi ; même si Satoshi pense parfois que c'est le cas.

Aujourd’hui était un jour bruineux et j’étais avec Chitanda dans la salle du club. J’étais appuyé contre le dossier d’une chaise à côté de la fenêtre, lisant un livre de moindre qualité pendant que Chitanda était assise à l’avant de la pièce plongée dans un gros livre, j’ignore pourquoi. On pourrait dire que c’était un après-midi calme après les cours.

En regardant l’horloge, j’ai remarqué que seulement 30 minutes avaient passé. Le temps passé inconsciemment était quand même court. Même si on aurait pu dire que je me sentais assez relaxé, ce n’était pas exactement juste. C’était plutôt parce que je me sentais nerveux et stressé que je devais entrer dans un état de relaxation. Je me forçais consciemment à prolonger mon état de conservation d’énergie aussi longtemps que possible, rien d'autre.

Le silence n'était interrompu que par les pages tournées occasionnellement et le bruit de la pluie à l’extérieur.

« … »

Je commence à être fatigué maintenant. Je pense que je vais rentrer dès que la pluie s’arrête.

Booh Le son du livre se refermant retenti tandis que Chitanda qui était assise dos à moi, soupira en déclarant :

« Que c’est improductif. »

Bien qu’elle ne me regarde pas, il était évident que ses paroles m’étaient adressées plutôt qu’à elle-même. Bien je n’avais aucune idée de comment réagir à son commentaire soudain, je tentais ma chance :

« Quoi donc ? Les récoltes sur les terres de ta famille ? »

« Celles-ci ont deux récoltes. »

La réponse de Chitanda semblait sortir tout droit d'un livre. Elle se retourna vers moi :

« Et elles sont semi-annuelles. On ne peut pas qualifier ça d'improductif. »[1]

« Voilà bel et bien une demoiselle de famille de propriétaires. »

« Il n’y a pas de raison d’en faire l’éloge… »

Le bruit de la pluie, suivit par le silence.

« Ce n’était pas cela à quoi je faisais référence. »

« Tu parlais de quelque chose ‘d’improductif’. »

« Oui, c'est ça. C’est improductif. »

« Qu’est-ce qui est improductif ? »

Le regard fermement dans ma direction, Chitanda me présenta la pièce entière de son bras droit.

« Tout ce temps que nous passons ici après les cours. Il ne semble pas avoir un quelconque objectif derrière, nous ne faisons rien de productif. »

Bien sûr, ce n’était qu’un moyen de tuer le temps, pas de produire quelque chose. Je fermai mon livre et lui fit face :

« Eh bien, je t’écoute. Y a-t-il quelque chose que tu voudrais que le club de littérature classique fasse ? »

« Moi ? »

C’était un bris mesquin de ma part. Bien peu de gens savent quoi dire lorsqu'ils sont directement interrogés sur ce qu'ils souhaitent faire. Moi, plus qu'un autre, suis conscient que je ne désire rien.

Néanmoins, Chitanda répondit sans hésitation :

« Oui, il y a quelque chose. »

« Hum. »

Un oui direct. Assez surprenant. Avant que je n’aie le temps de demander quoi, elle ajouta :

« Mais j'ai des raisons personnelles derrière. »

Eh bien pas besoin besoin d’en demander plus.

Chitanda continua ensuite :

« Mais nous parlons du club de littérature classique. Nous devons tout de même faire quelque chose en lien avec. Nous ne devrions pas juste venir nous asseoir ne rien faire. »

« Très bien, mais nous ne sommes même pas sûrs que le club ait un but. »

« Il y en a un. »

Qu’elle soit en train de parler avec l’autorité du président du club ou avec l’aura d’un membre prestigieux du club, Chitanda déclara : « Nous allons publier une anthologie d’essais cet octobre à l’occasion du festival culturel. »

Le festival culturel ?

J’avais auparavant visité le festival culturel du lycée Kamiyama ; je savais de quoi il en retournait. Pour parler simple, il s'agissait de l’essence même de la culture des jeunes de la région. Selon Satoshi, la cérémonie de thé Nodate du festival est fortement recommandée à ceux qui sont intéressés par apprendre cet art. Et en même temps, le concours de break dance est un nid de futurs professionnels. Un bon nombre de club liés aux arts à tous les niveaux y participent. Durant ses années de lycéenne, je me rappelle avoir vu ma sœur portant un carton plein d’anthologies à l’école.

C’était littéralement la cristallisation du style de vie rose au lycée. Quant à mes impressions personnelles de tout ceci, je pense qu'il vaut mieux que je n'en dise rien. Disons seulement que "ressentir" serait déjà un grand mot. Même un petit peu.

Une anthologie d’essais, c'est ça ? Je réfléchis un instant à la proposition de Chitanda, puis posais une question qui me vint naturellement à l'esprit :

« Chitanda, produire une anthologie n’est qu'un résultat, pas le but entier du club, n’est-ce pas ? »

Chitanda réfuta et répondit :

« Non. Si l’objectif du club est de produire cette anthologie, en l'achevant, nous atteignons également la finalité du club lui-même.»

« Quoi ? »

« Comme je l’ai dit, si le résultat est le but lui-même, nous n’avons qu’à concentrer nos efforts sur le résultat, n'est-il pas ? »

Hum, je sourcillais. Je pense que je vois ce qu’elle essaye de dire, mais c'est assez tautologique, non ?

En tout cas, une anthologie, ça sonne comme beaucoup de travail. Je ne suis pas sûr à cent pour cent qu'en faire une, ou faire quoi que ce soit d’autre qui implique écrire quelque chose par moi-même, soit ennuyeux, je suis sûr que ça l'est plus que ne pas le faire du tout. Qu'il s'agisse du but ou de l'activité elle-même, les deux impliquent que je fasse quelque chose. Des activités non nécessaires sont des efforts supplémentaires, qui sont un gaspillage d'énergie.

« Ne faisons pas une anthologie. C’est trop de travail. En plus… ouais, trois auteurs c’est un peu trop. »

Pourtant, Chitanda était déterminée dans son choix :

« Non, ça doit être une anthologie. »

« Si tu veux publier quelque chose, nous pouvons préparer un stand d’exposition ou quelque chose comme ça. »

« Le festival culturel du Lycée Kamiyama a dans sa tradition d’interdire les stands d’expositions. Donc, non, ça doit être une anthologie. »

« … Pourquoi ? »

« Le budget du club mentionne spécifiquement ‘Publication de l’anthologie’. Ce serait gênant que l'on n'en publie pas une. »

Chitanda sortit une feuille parfaitement pliée de sa poche de cœur et me la montra. Effectivement, pour le budget annuel du club de littérature classique, la petite somme allouée était spécialement mise en place à l’usage de la ‘Publication de l’anthologie’.

« De plus, le professeur Ooide a aussi demandé à ce que l'on en publie une, comme la tradition le veut depuis plus de 30 ans. Il ne semblait avoir aucune intention de laisser cela s'arrêter. »

« … »

En général, les gens raisonnables tendent à être intelligents. Cela ne signifie pour autant pas que les gens irraisonnables sont des idiots. Chitanda n’était sûrement pas idiote, même si elle était clairement irraisonnable. Pour commencer, elle accentuait le côté sentimental plutôt que le côté financier, et avait décidé de l’activité du club en se basant sur la tradition. Et pourtant, je réalisai qu’il était inutile d’essayer d’argumenter contre quelque chose fait au nom de la tradition. J'ai amèrement souri en me rétractant :

« Ok, ok. Publions une anthologie. »

Et ainsi prirent fin sans plus de cérémonies mes jours insouciants et dénués de but. Je suis toujours en bonne santé, c'est déjà ça, je suppose.

Dehors, la pluie tombais toujours. Comme il n'était donc pas encore l’heure de rentrer, j'ai décidé de demander : « Et donc, comment comptes-tu publier cette anthologie ? »

« Comment ? Qu’est-ce que tu veux dire ? »

« Quels genres d’essais étaient écrits chaque année ? »

>>Bien que ce ne soit sûrement pas le cas, j’avais déjà décidé de ne pas écrire d’essais académiques dans le genre de « Critique du Conte des huit chiens[2] », « Contes de pluie et de lune[3] – En rapport avec le rôle de l’empereur dans Shiramine », ou « Ôkagami monogatari[4] – Observations des changements sociaux dans la nouvelle, ainsi que contre-argumentation à l’essai de l’année précédente ». Juste pour être sûr, je devrais aussi inclure un appendice. Même si j’étais prêt à accepter que je ne voudrais probablement pas produire quoique ce soit de plus long qu’un essai standard. De toute façon, je n’ai aucune idée du format qu’adopte cette soi-disant tradition dans ses essais.

Cependant, la réponse que je reçus fut négative.

« Hum, je ne suis pas sûre. Je me demande ce qu’on devrait écrire ? »

J'aurais dû m’y attendre. Vu qu'elle en est présidente, j'ai vite oublié qu'elle n'était membre du club que depuis un mois à peu près.

« Je suis sûre que l'on saura quoi en trouvant les anciens numéros. »

« Ils devraient être dans les environs. Sais-tu où ils sont ? »

« Dans la salle de club ? »

Je vois.

Je me sens soudainement pathétique de suivre son rythme. Je pointais rapidement mon doigt en direction du sol pour l'aider.

« … Oh ! Nous sommes dans la salle de club. »

Exactement.

« Même si cela ressemble difficilement à une salle de club… »

Elle a tout juste.

Cette salle de géologie n’avait rien d’autre que l’équipement standard d’enseignement. Tout ce que nous pouvions voir était un tableau noir, des tables et des chaises, ainsi que du matériel de nettoyage. Une salle de classe typique. Il ne semblait pas y avoir un lieu où des livres pourraient être rangés.

« Les anciens numéros ne semblent pas être entreposées ici. »

« On dirait bien. »

« Dans ce cas… devrions-nous aller voir à la bibliothèque ? »

Ça me semblait approprié, j’approuvais donc de la tête. Chitanda prit son sac et se leva.

« Allons-y. »

Sans attendre ma réponse, elle ouvrit la porte et sortit. Elle est très dynamique pour une élégante demoiselle. Ce n'est pas grave, la bibliothèque est sur le chemin de l’entrée principale qui n’est pas très loin d’ici.

Un instant. Aujourd’hui, nous sommes vendredi. Ce qui signifie que la bibliothécaire de service est…



« Tiens donc, si ce n'est pas Oreki que nous avons Ça faisant un moment que je ne t'avais pas vu. Pas que tu m'aies manqué. »

Dès mon entrée dans la bibliothèque, on me souhaite immédiatement la bienvenue avec sarcasme. Comme prévu, la personne assise au comptoir n'est autre que Mayaka Ibara.

Ibara et moi, ça remonte à loin. Nous avons été dans la même classe pendant neuf ans partant de l'école primaire. Ses traits enfantins était en place dès cette époque et n'ont changés qu'un peu après être arrivée au lycée. Couplés à sa petite stature, vous pourriez la trouver mignonne mais ne vous laissez pas tromper par son apparence. Elle porte en tout temps une arme avec elle. Si vous baissez votre garde, vous serez accueillis avec un barrage de sarcasme et de commentaires plus ou moins subtils. Certains m'ont même conseillé de ne pas l'approcher témoignant des mésaventures de certains garçons dupés par son joli minois et descendus sans merci. Sans parler du fait que vu qu'elle n'admet jamais ses erreurs, la plupart des gens la prendraient par erreur pour quelqu'un d'insensible.

Bien que personnellement, je ne croie pas vraiment à ces ragots à son sujet.

J'ai utilisé mon expression la plus désagréable et ai répondu :

« Hé, je suis venu juste pour te voir. »

« Ce sol sacré est dédié à ceux qui souhaitent s'instruire. Il n'est pas fait que pour que toi et tes semblables visitiez. »


Ibara était assise les jambes croisées derrière le comptoir. Puisque le travail du bibliothécaire est de gérer les emprunts et restitutions de livres, ça ne lui laisse pas grand chose d'autre à faire. Bien qu'une de ses responsabilités était de remettre les livres rendus sur leurs étagères respectives, la boite près d'elle dédiée était déjà bien remplie. Ibara n'était pas du genre à se laisser aller, elle avait donc probablement l'intention d'aller les ranger tous en une fois. Elle avait un grand livre dans sa main qu'elle lisait sans doute pour tuer le temps.

La bibliothèque était assez remplie à cet instant. Il y avait une dizaine de tables pour quatre et chacune était occupée par un ou deux étudiants qui lisaient. Il y avait en effet sûrement des gens qui lisaient par loisir mais je suppose que certains étaient là pour passer le temps jusqu'à ce que la pluie s'arrête. J'ai ensuite remarqué qu'un des garçons regardais maintenant dans notre direction. Je l'ai immédiatement reconnu car il ne s'agissait que de l'unique Satoshi Fukube.

Satoshi croisa mon regard et se leva brandissant son sourire habituel,

« Hey, Hôtarô, je m'attendais pas à te voir ici. »

Ibara nous regarda avec un air refrogné et dit :

« Toujours très bons copains, vous deux, hein ? Comme on pouvait s'y attendre du Meilleur Couple de Kaburaya »

Je savais que c'était inutile de lui répondre mais j'ai quand même glissé un « Oh, la ferme. »

Ibara répondit sans intonation :

« Eh bien, t'es un sacré pleurnichard pour quelqu'un d'aussi morne. »

… Un pleurnichard, hein ?

Elle s'est ensuite tournée vers Satoshi avec une expression détendue.

« Fuku-chan, tu sais ce je ressens donc tu as compris que je plaisantais, n'est-ce pas ? »

« Ahh, t'en fais pas pour ça Mayaka, je le prends pas mal du tout. »

« Quoi ? Tu vas lui laisser l'excuse de la plaisanterie et ignorer tout ce qu'elle dit ? »

Satoshi me dévisagea avant de regarder ailleurs. Je souris amèrement car je savais qu'Ibara court après lui depuis un moment. Je ne sais pas depuis quand ça dure mais Satoshi n'a fait qu'esquiver ses avances depuis.

Il fit semblant de tousser pour tenter de changer de sujet.

« Alors, qu'est-ce que le club de littérature classique vient faire à la bibliothèque ? »

Ah oui, je ne suis pas venu rendre visite à Ibara. J'urgeais alors Chitanda de dire quelque chose. Comme quelqu'un sur scène avec le trac, notre demoiselle dit nerveusement :

« Ah, hum, salut. Puis-je te demander quelque chose ? »

« Bien sûr, en quoi est-ce que je peux t'aider ? »

« J'aimerais savoir s'il y a des anthologies d'essais ici à la bibliothèque. »

« Oui, elle sont sur ces étagères là-bas. »

« Celles du club de littérature classique aussi ? »

Ibara pencha sa tête d'un côté et réfléchit.

« Le club de littérature classique ? … Hum, désolée, je sais pas trop. Tu veux que je le cherche pour toi ? »

Juste avant que Chitanda puisse exprimer sa gratitude, Satoshi interrompit :

« Tu n'en trouveras aucune. Je le aurais vues si elles étaient sur ces étagères. Mayaka, où d'autre est-ce qu'elles aurait pu être rangée à part là-bas ? »

« Hum, si elles ne sont pas sur les étagères accessibles, elle doivent être dans les archives. »

« Les archives, hein ? »

Satoshi réfléchit un instant avant de demander :

« Chitanda-san, pourquoi est-ce que tu recherches ces anthologies ? »

« Nous allons en publier une pour le festival culturel donc nous aimerions nous référer au contenu des anciens numéros. »

« Oh, alors c'est pour le Festival Kanya ? Je ne savais pas que tu t'y connaissais dans ce genre de choses, Hôtarô. »

Un connaisseur, moi ? On me force à faire ce travail. D'ailleurs, Chitanda n'a pas besoin de moi que je connaisse le sujet.

Attendez, quel festival ?

« Satoshi, comment viens-tu d'appeler le festival culturel ? »

« Le Festival Kanya. Tu ne connaissais pas ? C'est le petit nom du festival culturel du Lycée Kamiyama. »

Un surnom, hein ? Comme le Festival Sophia à l'université du même nom ou le Festival Mita a l'Université Keio ? Mais comme pour l'histoire des ‹ clans exponentiels ›, j'ai un peu de mal à y croire.

« Un peu douteux. C'est vrai ce que tu dis ? »

« Bien sûr que c'est vrai, bien que le surnom ne soit pas officiel. Tous mes seniors du club d'artisanat l'appellent comme ça. Ce n'est pas pareil dans ton club d'étude manga, Mayaka ? »

Alors Ibara est membre du club d'étude manga, hein ? Bien que ça colle avec son image, je trouve ça quand même malséant.

« Oui, tout le monde l'appelle le Festival Kanya. Même les membres du comité du festival l'appellent comme ça. »

« Kanya ? Avec quels kanji tu écris ça ? »

Satoshi mit sa main à son menton et dit :

« Aucune idée. C'est juste comment on l'appelle. »

Il semblerait que Kanya soit bien le surnom du festival. Néanmoins, je ne connais aucun mot dont l'orthographe se prononce comme ça. Pas grave, trouver l'étymologie de ce genre de noms est sûrement le travail de quelqu'un. Plongé dans ces pensées, Satoshi ajouta :

« Peut-être que Kamiyama était abrégé ‹ Kanyama › avant devenir ‹ Kanya ›. »

Le genre de commentaire qu'on peut attendre d'un expert en connaissances triviales.

Alors que nous dérivions hors sujet, Ibara nous ramenais fermement.

« Bon alors, des anthologies, c'est ça ? On les trouvera sûrement en cherchant dans les archives. Mais la gérante de la bibliothèque est en réunion et on ne peut pas entrer dans les archives sans sa permission. Elle devrait être de retour dans une demi-heure. Vous voulez l'attendre ? »

Une demi-heure, hein ? Même Chitanda n'était pas particulièrement pressée de mettre la main sur les anthologies. Elle se tourna vers moi et chuchota :

« Que fait-on maintenant ? »

Les deux options me satisfaisaient mais j'ai ensuite remarqué qu'il pleuvait encore beaucoup dehors. La météo a bien dit que cela devrait s'arrêter quelque part durant l'après-midi et que nous aurions un ciel étoilé cette nuit mais comme ça n'avait pas l'air de vouloir stopper tout de suite, nous n'avions d'autre choix que d'attendre.


« Attendons. »

« Alors que tu pourrais rentrer ? »

Je décidais de reprendre la lecture de mon roman en mauvais papier à la page ou je m'étais arrêté. Satoshi tira sur la manche de Ibara avant de lui dire :

« Mayaka, et si tu racontais à Hôtarô ce que tu m'as raconté plus tôt ? »

Les sourcilla et réfléchit un moment avant d'accepter.

« D'accord. Oreki, ça t'arrive de vouloir faire faire de l'exercice à tes neurones de temps en temps ? »

Jamais.

Ibara non plus d'ailleurs.

« De quelle histoire parlez-vous ? »

Satoshi répondit à la question de Chitanda son sourire habituel placardé sur son visage,

« Celle du livre populaire que personne ne lit jamais. »



« Comme vous le savez, je suis de service à la bibliothèque tous les vendredi après les cours, et j'ai découvert récemment que le même livre est rendu toute les semaines durant cette période. Cette semaine, ça fait la cinquième fois de suite. Vous trouvez pas ça bizarre ? »

Ibara commença son explication pendant que j'étais occupé à chercher un bureau où m'asseoir et lire mon livre. Malheureusement, il n'y avait plus aucune chaise de libre. Je me suis donc assis sur la table que Satoshi occupais un peu plus tôt.

Comme la table était proche du comptoir, j'entendais les voix de Chitanda et Ibara.

« Est-ce que le livre est populaire ? »

« Est-ce que ça a en a l'air ? »

Ibara brandit le gros livre qu'elle portait.

« Oh, il est très beau… »

Chitanda haleta d'admiration avant de diriger son regard vers moi. L'expression enchantée de notre demoiselle laissait croire que je venais de lui offrir un livre magnifiquement relié. Le livre était rattaché à une couverture de cuir décorée de motifs finement détaillés. Sa couleur bleu sombre laissant une aura de solennité s'en dégager. Le titre était ‹ Lycée Kamiyama : Marchant Ensemble depuis 50 Ans ›. Le livre était non seulement épais mais également grand dans ses deux autres dimensions.

« Puis-je jeter un œil dedans ? »

« Bien sûr. »

Ayant sorti mon roman de mon sac, je cherche alors la page que j'avais lu en dernier. Mais la vue de mon livre fut vite remplacée par celle de pages d'une grande qualité. C'était Chitanda qui après l'avoir ouvert le livre mentionné plus tôt — ‹ Lycée Kamiyama : Marchant Ensemble depuis 50 Ans. › — l'a placé par dessus mon roman dans le but de me le montrer. Bien que je n'étais pas particulièrement intéressé, je n'ai pas ignoré pour autant. J'ai rapidement jeté un œil au contenu. Rien d'autre qu'un bref descriptif de l'histoire de l'école, comme il suit :



1972


Évènements au Japon et dans le Monde :

  • 15 mai : Retour de la souveraineté d'Okinawa. Établissement de la préfecture d'Okinawa.
  • 29 septembre : Signature du Communiqué commun de la RPC et du Japon. Normalisation des relations diplomatiques entre les deux pays.
  • Inflation soudaine du prix des terrains et des commodités cette année.


Évènements au Lycée Kamiyama

◯ 7 juin: Première victoire du club de tir à l'arc au Tournoi Prefectural des Nouveaux Arrivants.
◯ 1er juillet : Annulation de l'excursion des 1ère années due à un typhon.
◻ 10 au 14 octobre : Festival Culturel.
◻ 30 octobre : Festival Sportif.
◻ 16 au 19 novembre : Excursion des 2ème années - Sasebo, Nagasaki.
◻ 23 et 24 janvier : Journées à ski des 1ère années.
◯ 2 fevrier : Service commémoratif au 1ère année Ooide Naoto, décédé dans un accident de la route.



C'était rempli de ce genre de détails. Cela demande un certain nombre de compétences pour explorer ce contenu. Je n'irai pas jusqu'à emprunter le livre chaque semaine pour tout lire mais je ne serais pas surpris si quelqu'un le faisait.

« Hôtarô, tu étais en train de penser : ‹ ça ne m'étonnerait pas que quelqu'un emprunte ce livre chaque semaine ›, pas vrai ? »

Arrête de lire dans ma tête, foutu télépathe.

Ne me voyant pas réagir, Ibara gonfla sa poitrine particulièrement modeste et dit :

« C'est pas si facile. Tu empruntes rarement des livres ici donc tu n'est pas au courant mais écoute attentivement : un livre peut être emprunté jusqu'à deux semaine consécutivement. Il est inutile de rendre un livre après une semaine si c'est pour le remprunter la suivante. »

« Et pourtant ce livre a été rendu chaque semaine. »

… Je vois. C'est en effet assez bizarre.

« Y a-t-il moyen de savoir qui a emprunté le livre ? »

« Bien sûr. Regarde la liste détaillant l'historique d'emprunt derrière la couverture. »

Chitanda tourna promptement la couverture et regarda la liste.

« Hum ? »

Elle haleta.

« Qu'y a-t-il ? »

La liste contenait les noms des personnes ayant emprunté le livre ainsi que les dates durant lesquelles ils l'ont emprunté. Mais ce n'était pas là pourquoi Chitanda était surprise, elle pointa du doigt vers moi les noms y figurant.

L'emprunteur de cette semaine s'appelait Kyôko Machida, Classe 2-D. Celui de la semaine dernière, Misaki Sawakiguchi, Classe 2-F. Il y a deux semaines, Ryôko Yamaguchi, Classe 2-E. Trois semaines plus tôt, Saori Shima, Classe 2-E. Et il y quatre semaines, Yoshie Suzuki, Classe 2-D.

« En clair, il est emprunté chaque semaine par une personne différente ? »

« Ce n'est pas tout. »

Chitanda m'indiqua les dates. En regardant, la date la plus récente est aujourd'hui. Et l'emprunt précédent date d'il y a exactement sept jours.

« Le livre est emprunté le vendredi. »

« Exactement. Le livre est emprunté et rendu le même jour. Cette Kyôko Machida l'a emprunté un peu plus tôt aujourd'hui puis l'a rendu. La même chose est arrivé avec les autres emprunteurs ces cinq dernières semaines. On peut aussi voir à quelle heure ils l'ont emprunté ; à l'heure du déjeuner. L'emprunter pendant le déjeuner et le rendre après les cours, où ont-ils trouvé le temps de le lire ? »

« … »

« Alors, curieuse ? »

Remettant le livre dans les mains d'Ibara, Chitanda fit un doux oui de la tête.

« Oui… Ça m'intrigue beaucoup. »

Elle dit cela dans un ton plus ferme que d'habitude. Comme la dernière fois, on croirait voir ses pupilles grandir, laissant transparaître un grand interêt derrière.

« Pourquoi cela ? »

Grace au mystère d'Ibare, l'étincelle de curiosité de notre demoiselle vient d'être allumée. Satoshi ne sera sans doute d'aucune utilité pour éteindre ce feu, il jouera l'idiot prétendant ne rien savoir. Je décidais de reprendre ma lecture.

Mais j'étais naïf, je n'ai pas vu cette lance pointée directement vers moi. Encore une fois, Chitanda mis le gros ‹ Lycée Kamiyama : Marchant Ensemble depuis 50 Ans › sur mon roman et dit :

« Qu'en penses-tu, Oreki-san ? »

« Hum ? Moi ? »

Plutôt que son habituel sourire bienveillant, c'est avec un sourire taquin que Satoshi me regardait. Je réalisais alors ce qui venait d'arriver. Son plan pour m'embarquer dans son piège était un franc succès. Maudit soit-il, lui et ses idées.

« Réfléchissons-y ensemble. »

« … »

« Toi aussi, Oreki-san ? »

Pourquoi ? Pourquoi moi ? Bien que la grande curiosité de Chitanda ne dérange pas et bien que je doive admettre que Satoshi a quelques bonnes qualités, pourquoi, même si c'est une blague, devrais-je rentrer dans son jeu ?

Mais enfin, la situation était devenue telle que tenter de ne pas participer s'avérerait plus fatiguant. Je n'avais d'autre choix que de répondre :

« … Ouais, j'imagine que c'est intéressant. Je vais y réfléchir. »

Ibara se mit à côté de Satoshi et demanda :

« Fuku-chan, est-ce qu'Oreki est futé ? »

« Pas du tout. La plupart du temps, on ne peut pas se fier à lui mais parfois il peut se montrer à la hauteur. »

Et maintenant ça fait son impertinent.

Et donc, je commençais à penser.



Qu'un livre soit emprunté et retourné le même jour cinq semaines consécutives par cinq personnes différentes, la possibilité d'une coincidence ne peut pas être éliminée complètement mais je ne vais pas croire qu'un quelconque dieu des coincidences a préparé ça. De toute façon, Chitanda n'accepterait pas cela comme explication valide. Son approbation est plus importante que la vérité.

Pas la peine, cette théorie peut d'ores et déjà passer par la fenêtre. Il est également clair que le livre n'a pas été emprunté dans le but d'être lu. Le emprunteurs n'auraient pas le temps de le lire en allant le chercher au déjeuner et en le rendant après les cours. Quand vous y réfléchissez, il serait plus logique de l'emmener chez soi ou de juste le lire à la bibliothèque après les cours. Dans le second cas, il n'y avait même pas besoin de l'emprunter du tout. Par conséquent, ce livre n'est pas emprunté pour servir à son usage original.

« … Donc, si le livre n'est pas emprunté pour être lu, pourquoi en avait-ils besoin ? »

« Il est lourd, peut-être qu'ils s'en servent pour compresser des légumes marinés ? », répondit Chitanda.

« Peut-être qu'il s'en servent comme bouclier ou dans le genre ? », répondit Satoshi.

« Il est épais, il sert sûrement d'oreiller. », répondit Ibara.

Je n'aurais jamais dû vous le demander, vous trois.

Je changeais d'approche.

Pourquoi le livre était-il emprunté par une personne différente chaque semaine. Autre qu'une coincidence, possibilité déjà éliminée, il nous restait deux points à envisager. D'abord, les filles ne semble pas avoir quoi que ce soit en commun, mais il était clair quel s'en servait le vendredi après-midi pour un rituel quelconque et l'empruntait chacune à son tour.

Pour quel rituel donc. De la bonne aventure ? Quelque chose comme ‹ votre porte bonheur du mois est l'histoire de l'école. Si vous empruntez ce livre chaque vendredi après-midi et le rendez le même jour, vous rencontrerez l'homme de votre vie › ?

… Non, c'est trop stupide.

Il nous reste donc le second point. Que ces filles ont bien quelque chose en commun.

Un coup d'œil à leurs noms révèle qu'elle sont clairement toutes des filles. Mais ce n'est pas suffisant pour déduire quoi que ce soit. Dans ce lycée, si l'on choisit cinq personnes au hasard, ont peut facilement tomber sur cinq filles. De plus, les personnes de même genre ont déjà tendance à se rassembler naturellement.

Leur autre point commun serait qu'elle sont toutes en deuxième année, malgré que leurs classes diffèrent.

Hum… ?

Maintenant que j'y pense…

« Qu'est-ce qu'il y a ? Quelque chose t'es venu à l'esprit ? »

… Même si c'était le cas, ma reflexion venait de tomber en pièces grace à l'interruption de Satoshi. Où en étais-je ?

Je recommençais de là où l'idée était partie.

« Il doit y avoir un signe ou quelque chose du genre. Par exemple… peut-être qu'elles communiquaient secrètement les unes avec les autres. Rendre le livre face vers le haut pour ‹ oui › et face contre en bas pour ‹ non  ›. »

« Qu'est-ce qu'elles communiquaient de cette manière ? »

« Ce n'est qu'un exemple. Peu importe. »

Chitanda commençait à réfléchir, sa tête penchant vers le côté. Très bien, digère tranquillement tout ça.

Mais celle qui me contredit ne fut pas Chitanda, mais Ibara.

« Ce n'est pas possible, regarde. »

Ibara pointa vers la boîte des livres rendus. Pleine de livres empilés. Je vois, il n'y a aucun moyen de savoir dans quel sens le livre était rendu. La seule personne qui pourrait le savoir serait celle qui ouvre la boîte, à savoir la bibliothécaire de service.

Zut. N'importe quelle idée peu réfléchie ne sera que menu fretin pour Ibara.

Rien ne me venait à l'esprit. Il y a peut-être un double de la clé ouvrant la boîte mais je n'ai aucun moyen de savoir. Il faudrait maintenant qu'un indice fasse surface. Je regardais l'ouvrage relié à la française et décoré avec goût dans les mains d'Ibara et me demandais si je trouverais un formulaire d'abandon à l'intérieur du livre.

Soudainement, Chitanda pénétra mon champ de vision. Elle aventura son tronc au-dessus du comptoir de fixa profondément le livre qu'Ibara tenait près de sa poitrine.

« Eh ? Eeh ? »

Ibara était sidérée par sa réaction. Je connaissais ce sentiment.

« Qu'y a-t-il, Chitanda ? Tu as trouvé des symboles cachés entre les lignes de la couverture ? »

Chitanda répondit sans modifier sa posture :

« … Ce livre… il y a une sorte d'odeur dessus. »

Murmura-t-elle.

« Vraiment ? Ibara, je peux t'emprunter ça ? … Je ne sens rien. »

« Non, j'en suis sûre. »

« Le livre lui-même ne devrait pas avoir d'odeur. Peut-être l'odeur de l'encre, ou celle de la bibliothèque ? »

Chitanda hocha sa tête à la suggestion de Satoshi.

Ibara et Satoshi sentirent à leur tour le livre mais n'ont rien senti de particulier. Les deux froncèrent les sourcils et hochèrent leur tête, perplexes.

« Je ne saurais pas dire à quoi cela correspond, mais l'odeur était forte, comme du diluant à peinture. »

« Ne dis pas des choses si dangereuses. »

« Ça l'est tant que ça ? … Je n'en sais trop rien. »

Moi non plus, mais j'avais l'impression que Chitanda était dans le juste. Catégorique comme elle l'a été, c'était probable. Et je n'aurais jamais pensé qu'elle dirait que c'est du diluant à peinture.

Si l'on suppose qu'elle a raison, alors… Hum.

… Je pourrais être sur quelque chose.

Mais ce serait ennuyeux de tout expliquer.

Pendant que je réfléchissais à comment aborder la suite, Satoshi avait déjà lu dans mes pensées et dit :

« Hôtarô, ta tête me dit que tu as compris quelque chose. »

« Hein ? Oreki a compris, lui ? »

Ibara s'est tournée vers moi, complètement sceptique. J'hochais donc ma tête et répondit honnêtement:

« À peu près. Je suis pas complètement sûr… Chitanda, tu voudrais faire un peu d'exercice en allant quelque part pour moi ? »

Chitanda était probablement du genre à foncer sans tête baissée une fois qu'elle savait où aller, mais Satoshi la stoppa avec sourire.

« Ne te laisse pas berner, Chitanda-san. Tu ne voudrais pas devenir le coursier d'Hôtarô. C'est exactement ce qu'il souhaite. Alors, dis-nous quel endroit tu avais en tête. »

Comme c'est blessant. Satoshi a tendance à en dire un peu trop quand Ibara est dans les environs. Mais bon, il n'a pas vraiment tort, j'étais à peine mécontent. C'était vrai que je faisais pas les choses sans avoir quelqu'un sur qui m'appuyer.

« Très bien, je viens aussi. Il n'y a pas eu d'éducation physique à cause de la pluie. J'ai encore quelques résidus d'énergie en moi. »

Chitanda était destinée à me suivre. Puis alors…

« Hum, je viens aussi alors. Je serai un peu surprise si Oreki a vraiment résolu ça… Fuku-chan, tu veux bien prendre ma place au comptoir en attendant ? »

Ibara quitta l'arrière du comptoir. Satoshi avait l'air éberlué quand il répondit « Oh, d'accord. » et se tut tout en s'installant derrière le comptoir. Je ne l'avais pas vu aussi triste depuis longtemps.



Après avoir obtenu satisfaction de nos résultats, nous sommes retournés à la bibliothèque.

« Alors, comment c'était ? »

« Fuku-chan, Oreki est un peu étrange. »

« Bien sûr qu'il l'est. Tu ne savais pas ? »

« Comment a-t-il pu comprendre tout ça… »

Elle semblait troublée, marmonnant ‹ comment › à répétition. C'est comme si elle me voyait en vainqueur à l'aura étincelante, même si je n'aurais pas pu briller sans un peu de chance.

« Oreki-san est vraiment surprenant. Je suis très curieuse de savoir ce qu'il y a dans sa tête. »

L'image de Chitanda me lobotomisant dans les sous-sols d'un chateau (gothique) durant une nuit de tempête flashait dans mon esprit. Rien que de l'imaginer me fit froid dans le dos. Bien que je m'abstiendrai de le mentionner à voix haute, la capacité de Chitanda à flairer une odeur aussi diluée alors que personne d'autre n'avait pu reste un mystère pour moi.

« Oreki-san, il pourrait… »

? Il pourrait quoi ? S'il te plaît, me me dis pas qu'il pourrait servir de matériel pour un cyborg.

En échangeant à nouveau de places avec Ibara, Satoshi demanda :

« Alors, écoutons les explications maintenant. Hôtarô, où est-ce que vous êtes allés ? »

Posant mes coudes sur le comptoir, je répondis :

« La salle de préparations des arts. »

« La salle d'art ? À l'autre bout du campus ? »

« Voilà pourquoi je ne voulais pas y aller tout seul. »

« Qu'est-ce que vous avez trouvé là-bas ? »

« Écoute donc. »

Je répétais ce que j'avais expliqué à Chitanda et Ibara plus tôt.

« Ce livre était utilisé entre la cinquième et la sixième période chaque vendredi, probablement pendant ces deux périodes entières en fait. D'abord, aucune fille n'aurait utilité d'un livre si grand pendant la pause déjeuner, le lire est également hors de l'équation. Par conséquent, le livre était utilisé pendant un cours impliquant différentes classe d'une même année. »

Mes pensées avaient auparavant atteint ce point avant d'être dispersées par Satoshi. C'était également la raison pourquoi Chitanda connaissait mon nom après m'avoir vu une unique fois. Où m'avait-elle donc  ?

« Cela ne peut être que l'éducation physique ou les arts. Peu importe de quel angle on aborde la question, un tel livre n'a d'utilité pour personne dans un cours d'EP. Jette un œil à la couverture du livre. Quelque chose semble s'être accumulé dessus ; tu vois cette jolie teinte de couleur ? Ces cinq filles l'utilisaient pour leur cours, et l'empruntaient à leur tour chaque semaine. »

Satoshi interrompit et dit :

« Mais je ne comprends pas pourquoi est-ce qu'elle l'emprunteraient chaque semaine et pas de deux en deux… »

« Ne répète pas les mêmes choses qu'Ibara. Vous devez vraiment bien vous entendre pour poser les mêmes questions. Satoshi, est-ce que tu garderais un livre que tu n'as aucunement l'intention de lire ? Il est plus facile de le rendre à la bibliothèque que de le ramener chez toi. »

« … Je vois. Et qu'est-ce que tu leur as montré sur place ? »

« Tu as sûrement déjà deviné maintenant. Des tableaux, peints par les étudiants des classes 2-D, 2-E et 2-F, qui ont leur cours d'art ensemble. »

Sur place, il y avait diverses peintures dans des styles variés mais d'objets similaires. Des portraits de camarades, assis à côté d'une table décorée d'une fleur. And dans la main de chaque fille n'y avait autre que l'élégant ‹ Lycée Kamiyama : Marchant Ensemble depuis 50 Ans › relié à la française. L'œuvre était plutôt détaillée, et artistiquement, plutôt enchantant.

« Impressionnant, Hôtarô. Alors, l'odeur que Chitanda-san a sentie ? »

« L'odeur de la peinture, évidemment. Elle l'avait également compris, la salle d'arts était pleine d'équipement dédié après tout. »

Satoshi applaudit sans réserves.

« Waouh, c'était fantastique. Je me suis bien amusé, merci à toi. »

Chitanda sourit gentiment d'approbation.

« Oui, c'était super. Le temps est passé vraiment vite. »

« Je ne sais même plus combien de temps est passé depuis le début… Je ne peux pas croire qu'Oreki ait pu résoudre ça ! »

Bien qu'ils avaient tous l'air abasourdis, ce n'était pas mon cas. Ibara était celle qui avait trouvé l'événement étrange au départ, la curiosité de Chitanada l'avait poussée à investiguer et Satoshi faisait juste en sorte d'être amusé ; tous différents de moi. Alors qu'ils faisaient une catharsis, je commençais à me demander si j'aurai une réaction similaire en abordant le Festival Kanya.

Pendant qu'ils avaient tous l'air

Comment dire… Oh, on s'en fiche.

La pluie s'amenuisait. Il est l'heure de rentrer.

Alors que je m'apprêtait à prendre mon sac, Chitanda m'interrompit.

« Ah, nous devons attendre. »

« Quoi ? C'est pas fini ? »

Je remarquais que Satoshi et Ibara me fixaient froidement. Avais-je commis une erreur ?

« Oreki, qu'est-ce que tu étais venu faire ici ? »

Résoudre le mystère du livre populaire que personne ne lit…

No, attendez. C'est vrai ! L'anthologie. Satoshi rit.

« Ne lui en voulez pas. Il lui manque quelques cases bien à lui. »

« Quelques ? T'es trop gentil, Fuku-chan. »

Arg, j'ai agi stupidement devant ces deux-là.

Ibara avait l'air de vouloir en rajouter une couche quand une voix vint de derrière le comptoir.

« Merci de ton travail, Ibara-san. Tu peux rentrer maintenant. »

« Ah, oui bien sûr. Vous partez aussi, Itoikawa-sensei ? »

C'était une enseignante. Bien que je ne l'aie jamais rencontrée auparavant, je savais que c'était la gérante de la bibliothèque. Pour une femme dans la cinquantaine, elle n'était pas très grande. Un coup d'œil à son badge révèle son nom complet : Yôko Itoikawa.

Satoshi ne perdit pas de temps une fois la gérante arrivée.

« Sensei, je suis Satoshi Fukube du club de littérature classique. Nous voudrions publier une anthologie d'essais and nous aurions besoin des numéros précédents pour référence. On ne les trouve pas sur les étagères, donc nous aimerions les rechercher dans les archives. »

« Le club de littérature classique ? … Des anthologie d'essais ? »

Itoikawa semblait surprise quand le volume de sa voix monta d'un cran. Elle devait penser que le club avait été démantelé.

« Vous êtes du club de littérature classique ? Je vois… Je suis désolée mais la bibliothèque ne conserve, que je sache, aucune des anthologies dont vous parlez. »

« Eh, et dans les archives ? »

« Point non plus. »

« Peut-être qu'elles ne sont juste pas connues… »

« Je doute que cela soit le cas. »

« Étrangement, elle était plus qu'affirmative. Je ne vois aucune raison pourquoi elle nous cacherait quoi que soit. Peut-être que les archives ont été réorganisées récemment. »

Après avoir entendu sa réponse négative, Satoshi n'avait d'autre choix que d'abandonner.

« Je vois, je comprends… Qu'est-ce que l'on fait maintenant, Chitanda-san ? »

« … C'est en effet troublant. »

Chitanda me regardait l'air déprimée. Même si tu me fais ces yeux, je ne peux qu'hausser mes épaules.

« Je suis sûr que nous finirons par les trouver. Rentrons. », dis-je.

Alors que je ramassais mon sac, Ibara ajouta froidement :

« Toi t'es vraiment décontracté. Te détendre comme ça après avoir résolu cette histoire. »

Avoir résolu le problème n'a rien à voir avec être tout détendu ou pas. T'es à côté de la plaque, Ibara. C'est ce que je pensais mais il serait inutile de le dire à voix haute. Je me contentais d'un haussement d'épaules.

« Oui, tu as raison. Rentrons… Ça en valait déjà la peine. »

Chitanda dit quelque chose de complètement incompréhensible.

Enfin, nous n'avions plus rien à faire ici. Pour de bon, je portais mon sac à mon épaule et quittais les lieux voyant que la pluie c'était arrêtée. Me tournant et regardant autour de moi, j'attendais Chitanda chuchoter à nouveau la même chose :

« C'est vrai. Oreki-san, il pourrait… »

Notes du traducteur et références[edit]

  1. NdT : Que quiconque souhaitant voir ces jeux de mots traduits se lance. Moi je passe.
  2. Conte des huit chiens[1]
  3. Conte de pluie et de lune[2]
  4. Ôkagami monogatari[3]


Chapitre 04 - Les Descendants du Mouvementé Club de Littérature Classique[edit]

C'était un dimanche lors duquel j'avais été invité à sortir par Chitanda. Elle souhaitait me voir en dehors de l'école mais j'étais celui chargé de décider où est-ce que nous nous retrouverions. Par conséquent, me voilà à l'attendre au café ‹ Sandwich à l'Ananas ›, un bar à café servant le plus aigre des Cafés Kilimanjaro de saison que je connaisse. Son intérieur était teinté d'un sombre marron et le panneau publicitaire placé devant le bâtiment était des plus difficiles à rater.

C'était un café silencieux sans radio, ni télévision allumée en permanence. Bien que l'ambiance soit agréable, y attendre quelqu'un était des plus ennuyeux. Il ne restait que quelques minutes avant l'heure fixée du rendez-vous. Chitanda n'arrivant pas, je commençais à m'agiter autour de ma tasse de café posée sur la table compartimentée à laquelle je m'étais assis.

Finalement, Chitanda est arrivée, et, d'après ma montre, à une heure et demie tapante. Le café n'était pas des plus grands et elle eut vite fait de m'apercevoir. Elle portait une robe dont la teinte dominante était le blanc, elle s'est approchée puis s'est assise à notre table. On pourrait penser qu'il n'y avait personne de mieux habillé que Chitanda avec ses vêtements urbains.

« Désolée de t'avoir demandé de sortir si soudainement. »

« Pas de soucis. »

Répondis-je en terminant mon café. J'appelais ensuite le serveur. Chitanda, après avoir jeté œil au menu, demanda :

« Un Cacao Viennois, s'il vous plaît. »

Elle a choisit quelque chose de sucré. Comme la plupart des lycéens, je n'avais pas assez d'argent pour me permettre une autre tasse.

Avant d'en venir au sujet de notre rendez-vous, nous nous sommes contentés d'un peu de pourparler. Il débuta avec l'impression favorable que Chitanda a de ce bar à café. Je me suis permis de commenter le fait qu'une personne comme elle ne commandant pas un café dans un bar à café était comme de visiter le Zoo Ueno sans aller voir ses pandas géants. Elle me listait quelques exemple de cafés pauvre en caféine quand son Cacao Viennois est arrivé. Il semblerait qu'elle aime les choses sucrées car la quantité de crème surmontant sa boisson m'a surpris.

Chitanda prit sa cuillère et commença à la remuer dans la crème. Elle avait tellement l'air de s'amuser que je pris peur nous passions la journée à discuter des banalités avant de rentrer chez nous. Ma voix était à moitié pleine de sérieux et à moitié pleine d'appréhension lorsque j'ai pris l'initiative d'en venir au sujet principal.

« Alors, que veux-tu ? »

« Hein ? »

‹ Hein ? › n'est pas la réponse que j'attends de quelqu'un qui me fait sortir durant l'un de mes sacro-saints week-ends.

« Pourquoi est-ce que tu voulais me voir ? »

Sirotant silencieusement son café et marmonnant ‹ c'est délicieux ›, Chitanda pencha sa tête vers le côté et dit :

« Eh bien, tu es celui qui a choisi cet endroit. »

« Bon d'accord. Je rentre. »

« Ah ! Attends s'il te plaît ! »

Posant sa cuillère et sa tasse, Chitanda se dressa et dit, « Pardon, je suis un peu nerveuse. »

Elle avait l'air de se calmer mais ce n'est pas comme si elle avait l'air nerveuse au départ. En tout cas, cela devait être dans sa nature de débiter n'importe quoi quand elle l'était. J'ai décidé de la taquiner un peu.

« Nerveuse ? T'as une confession à me faire ? »

Après avoir dit cela, j'ai vite vu que les blagues mille fois refaites comme celle-ci avait leur effet sur elle.

« Non, je… »

Elle cherchait à masquer son embarras avant d'acquiescer de la tête, le regard hésitant.

J'ai paniqué et rapidement appelé de la main le serveur.

« … J'aimerais un autre café s'il vous plaît. »

Ne faisant pas attention à ma réaction, Chitanda parla d'une voix à peine audible.

« Tu peux voir cela comme une confession, mais c'est plus une requête que j'ai à te faire. Pour te dire la vérité, c'est un problème qui ne concerne que moi et je ne sais pas si j'ai le droit de te faire une telle demande. Alors, veux-tu bien d'abord écouter mon histoire ? »

Chitanda avait finalement lâché sa tasse de chocolat des yeux. Je vois… Bien que je ne sois pas à mon aise avec de telle solennités, j'ai répondu :

« C'est d'accord. Je t'écoute. »

« Merci. »

Et donc, après une gorgée, Chitanda commença lentement son histoire.

« … J'ai un oncle, le grand-frère de ma mère. Il s'appelle Jun Sekitani. Il y a dix ans, il est parti en voyage en Malaisie mais cela fait sept ans que nous n'avons plus de nouvelles de lui.

« Quand j'étais jeune… Euh, j'imagine que je suis encore jeune aujourd'hui. — Il y a dix ans, j'étais très attachée à mon oncle. Aussi loin que je m'en souvienne, il répondait à toutes les questions que je lui posais. Petite fille, j'étais évidemment très impressionnée par tout ce qu'il disait, mais je n'ai pas vraiment de souvenir de choses qu'il a bien pu me dire. L'image que j'ai conservée de lui est celle de quelqu'un qui savait tout. »

« Un sacré bonhomme on dirait. »

« Il était un intelligent et savait parler, mais je ne sais pas si c'est encore vrai aujourd'hui. »

Je souris et répondis, à moitié-sérieusement, « Eh bien, au moins tu sais qu'il l'était quand il était encore là. J'ai moi-même deux-trois oncles mais aucun d'entre eux n'est porté disparu. Donc, quelle est ta requête. Tu ne vas pas me demander de partir en Malaisie à sa recherche, tout de même ? »

« Non. La dernière fois qu'il a été vu, mon oncle était au Bengali, hum, c'est une région d'Inde. Ce que je souhaite te demander, c'est de… m'aider à me souvenir de ce que m'a dit mon oncle. »

Chitanda s'arrêta de parler après cette phrase, ce qui m'a semblé approprié car je n'avais absolument rien compris à cette dernière. Elle me demande de l'aider à se rappeler de ce que lui a dit son oncle ?

« … C'est ridicule. »

« J'en suis bien consciente. Mes souvenirs de mon oncle viennent tous de mon enfance donc je ne peux pas vraiment m'en souvenir seule. Mais il y a bien un événement qui marqua mon esprit. C'est ce moment que je souhaite vraiment me rappeler. »

Ses lèvres commençant à s'assécher, Chitanda prit une autre gorgée de son chocolat. Elle baissa encore d'un ton sa voix et continua, « J'étais encore à l'école maternelle. J'ai entendu mon oncle mentionner quelque chose à propos d'un certain ‹ club de littérature ›. J'ai toujours pensé que ce « club de thé et ratures » avait un quelconque rapport avec la calligraphie, je m'y suis donc intéressée. [1]

‹ Littérature › et ‹ Thé et ratures ›, l'erreur est idiote mais les enfants de cet âge on tendance à mal prononcer les choses. C'est compréhensible. C'est peut-être à cet instant que Eru Chitanda, l'incarnation de la Curiosité elle-même, est venue au monde.

« J'ai entendu plusieurs histoires à propos du ‹ club de littérature › de mon oncle. Un jour, je suis allée le voir pour lui poser un question sur le sujet. Habituellement, il répondait sans hésiter mais ce jour-là, il avait l'air réticent à le faire. Son regard était plein de regret et il essorait ses mains l'une contre l'autre. Quand il s'est finalement calmé, il répondit à ma question. Quant à ma réaction… »

« Que s'est-il passé ? »

« … Je pleurais. C'était peut-être triste, ou effrayant, mais je pleurais à chaudes larmes. Ma mère était si surprise qu'elle est venue voir ce qu'il se passait. C'est tout ce dont je me souviens. Un détail supplémentaire serait que mon oncle n'a pas cherché à me consoler comme il l'aurait fait d'habitude. »

« Tu étais choquée ? »

« Oui, probablement un peu. Je n'ai jamais oublié cet événement. Plus tard, durant mes années de collège, j'ai commencé à m'interroger à ce sujet. Qu'est-ce que mon oncle regrettait autant ? Pourquoi ne m'a-t-il pas consolée ? … Qu'en penses-tu, Oreki ? »

À cet instant, j'ai commencé à réfléchir. Pourquoi une personne prenant le temps de répondre à chaque petite question que sa nièce lui posait l'aurait-il laissée pleurer seule à cet instant ?

La raison m'est vite apparue à l'esprit, j'ai tenté de lui expliquer aussi calmement que possible, « Ton oncle t'a dit quelque chose qu'il ne pouvait pas retirer. Il ne voulait pas mentir à un enfant, et voulait probablement que tu saches que c'était bien la vérité. »

Chitanda respira et sourit.

« Oui, c'est aussi ce que j'ai pensé. »

Répondit-elle en me regardant droit dans les yeux… Hum, quand est-ce que mon café doit-il arriver ?

« Après avoir réalisé cela, j'ai commencé à sérieusement me demander qu'est-ce qu'il avait bien pu me dire ce jour-là. Je suis passée des questions aux agissements. Tout d'abord, j'ai tenté de me replonger dans l'environnement qu'était celui de cet instant. Je me suis donc introduite dans la résidence des Sekitani, avec qui nous n'avons plus de contact. »

Elle est bien le genre de personne à tout faire pour résoudre ses soucis, après tout.

« Je vois. Voilà donc ‹ tes raisons › pour avoir rejoint le Club de Littérature. »

Chitanda acquiesça.

« Oui. Je ne savais pas que le Club de Littérature était au bord du démantèlement jusqu'à récemment. Je n'attendais pas grand chose, mais je n'imaginais pas qu'il n'y aurait plus une personne qui puisse connaître la vérité. J'ai envisagé de demander aux enseignants, mais il ne reste aucun de ceux qui enseignaient à l'époque où mon oncle était étudiant à Kamiyama, il y a trente-trois ans. »

« Et donc, pourquoi me demandes-tu à moi de t'aider ? »

« Parce que… »

Alors que Chitanda interrompait sa phrase à moitié, le serveur est arrivé avec mon café. Travaillant machinalement, l'homme à barbe qu'était notre serveur retira ma tasse vide de la table et la remplaça par une tasse pleine. Après que le serveur nous ait quittés, Chitanda but une gorgée de son chocolat, passa en revue tout ce qu'elle avait dit et ajouta, « … durant l'incident de la porte de notre salle de club et le mystère à la bibliothèque dont nous a fait part Ibara, tu t'es débrouillé pour en trouver les solutions par des moyens que je n'aurais pas pu imaginer. C'est peut-être impudent pour moi de dire cela, mais je pense que s'il y a quelqu'un qui peut m'aider à trouver une réponse à mes questions, c'est toi, Oreki. »

J'ai senti mes sourcils se froncer.

« Tu me surestimes. Je n'ai fait que raisonner à partir des informations que j'avais, et avoir les informations nécessaires demande en soi de la chance. »

« Alors accorde-moi l'aide de cette chance. »

« Je ne pense pas que je puisse t'aider. »

Les raisons de mon refus étaient simples. D'abord, je n'avais aucune obligation de l'aider dans une tâche aussi compliquée. Ensuite, si j'essayais mais n'y parvenais pas, je décevrais Chitanda et me sentirait moi-même impuissant. Ce n'était pas une émission de question-réponse, mais assister Chitanda dans une quête extravagante pour retrouver le sens d'un moment de sa vie. Attendre d'un économiseur d'énergie comme moi de prendre sur ses épaules une telle responsabilité ? Quelle blague.

« Pourquoi moi ? Il y a sûrement d'autres personnes qui pourraient t'aider. »

Les yeux de Chitanda s'ouvrirent grand. Sans connaître la signification de sa réaction, je continuais, « Demander l'aide de plus de gens serait plus efficace, non ? Satoshi, Ibara ou d'autres de tes amis. »

Pas de réponse. Chitanda est restée silencieuse à mon refus. Elle baissa la tête et m'a lentement dit, « Je… Oreki, je ne suis pas le genre de personne à raconter à tout le monde mon passé. »

« … »

« Je… Je n'ai jamais raconté cette histoire à qui que ce soit d'autre. »

Je ne m'attendais pas ça. Je vois, maintenant cela s'explique.

Pourquoi Chitanda m'aurait-elle appelé un dimanche pour me parler à moi seul. Simple, elle ne voulait pas que plus de gens n'entendent son histoire. Chitanda a choisi de placer sa confiance en moi, quelqu'un qu'elle connaît à peine, et je lui répond de demander de l'aider de ‹ plus de gens ›.

C'est bien sûr embarrassant pour elle d'apprendre à des gens des informations aussi privées. Qui n'a pas de secret qu'il chérit à lui seul au fond de lui-même ?

J'ai senti mes joues devenir rouges. Je baissais la tête.

« … Je suis désolé. »

Voyant Chitanda me sourire, j'ai senti qu'elle m'avais probablement pardonné.

Un silence s'installa. Chitanda semblait attendre que je parle. Mais je ne savais franchement pas quoi dire. Une nuage de vapeur provenant de ma tasse de café s'est installé entre nous deux. Le Cacao Viennois de Chitanda devait être froid car il ne produisait plus de vapeur.

Je tenais ma tasse dans mes mains. Comme cherchant à briser ce silence embarrassant, Chitanda dit avec une expression bienveillante, « J'ai dit quelque chose d'irraisonnable. Je sais que je n'aurais pas dû t'impliquer là-dedans, mais je… »

« … »

« Oreki, quand tu as balayé mes interrogations, tu m'as probablement beaucoup fait pensé à mon oncle. Avec tout le respect que je lui dois, tu as toi aussi répondu à mes questions. C'est pourquoi… Non… Je suis en train de montrer trop égoïste ici. »

« T'as trois ans de lycée devant toi, tu peux prendre ton temps pour le découvrir. Si tu es toujours dans une impasse après, je ne vais pas forcément te laisser te débrouiller sans rien faire. »

Chitanda agita lentement sa tête.

« Je souhaite me souvenir de ce qu'il s'est passé avec mon oncle avant sa mort. Je souhaite découvrir pourquoi mon oncle m'a-t-il dit quelque chose qu'il ne pouvait pas retirer, et quelle était cette chose. »

« Avant sa mort ? »

Quelle étrange façon de parler de quelqu'un. Un mort est bien mort, mais un personne disparue n'est pas vraiment morte.

… Quoi que.

C'est vrai. Les personnes disparue sont ‹ mortes ›.

« Cela fait sept ans que mon oncle, Jun Sekitani, est porté disparu. Tu ne le sais peut-être pas, mais les personnes disparues depuis sept ans sont légalement déclarées mortes… La famille Sekitani en a été informée par l'Office des Disparitions et tiendra des funérailles en temps voulu. C'est pourquoi j'aimerais trouver des réponses avant que cela n'arrive. »

Chitanda soupira après m'avoir informé de cela, et dévia son regard vers la fenêtre. Je l'ai suivie et n'ai vu qu'une rue banale.

J'ai pris une autre gorgée de mon café. Il semblait que Chitanda avait dit tout ce qu'elle avait à dire.

J'ai commencé à réfléchir.

C'est un souvenir qui devait refaire surface, et un souvenir qui en valait la peine d'être retrouvé. Un sujet plutôt difficile à définir selon ma devise. Quelqu'un comme moi qui était habitué à éviter autant que possible les ennuis n'a pas vraiment de souvenirs valant la peine de s'en rappeler.

Mais Chitanda, elle, chercherait à retrouver chaque souvenir qu'elle ait bien pu oublier. Maintenant que j'y pense, c'est sa curiosité qui lui fait vouloir creuser dans ses souvenirs, ça n'a rien de d'étrange de la voir creuser son passé. Elle ne creusait non pas seulement pour le bien de son oncle mais pour le sien aussi. Que se passerait-il si elle n'était pas capable d'arriver à cette fin ?

Pendant que je réfléchissais, un passage de la lettre de ma sœur me traversa l'esprit : ‹ Après tout, tu n'as rien de mieux à faire, n'est-ce pas ? ›

… En effet. Je suis Hôtarô, l'économiseur d'énergie. Je ne ferai rien que je ne doive pas faire.

Dans ce cas, il est assez raisonnable pour moi d'aider quelqu'un à faire quelque chose qui doit être fait, n'est-ce pas ?

J'ai posé ma tasse et tapé mes doigts entre-eux, un étrange sentiment coulait à travers mon corps. La tasse en céramique fit un son de martèlement caractéristique en touchant la table, provoquant Chitanda à quitter la route des yeux et les rediriger vers moi. J'ai parlé lentement, essayant de récupérer son attention.

« Je ne me responsabiliserai pas dans ce que tu comptes faire. »

« ? »

« C'est pourquoi je ne dirai pas que j'accepte ta requête. Cependant, je garderai ton histoire à l'esprit, et si des indices quelconques venaient à croiser ma route, tu le sauras immédiatement. Cela m'évitera de trop avoir à expliquer. »

« … D'accord. »

« Si ça te va comme ça, je t'aiderai. »

Chitanda se leva rapidement et s'inclina à un angle de 45 degré parfait.

« Merci beaucoup. Cette histoire pourrait te causer bien des soucis, mais je prendrai avec plaisir cette dette sur moi. »

Me causer bien des soucis, hein ?

J'ai sorti mon visage du champ de vision de Chitanda et laissé s'échapper un léger sourire. Je m'épatais moi-même de n'avoir pas refusé une telle demande. Je me demande ce que dirait Satoshi s'il venait à le découvrir. Il me ferait ses grands yeux de surprise et exprimerait sa stupéfaction avec une phrase comme ‹ Mais Hôtarô est du genre à refuser les requêtes immédiatement. › dans un vocabulaire que je n'ai jamais entendu avant.

Je me demande comment je pourrais m'expliquer à ce moment-là.

Je plongeais dans quelques pensées profondes pendant que Chitanda m'exprimait sa gratitude à plusieurs reprises. J'avais déjà terminé mes deux tasses de café, mais sa tasse de chocolat était froide depuis longtemps.

Translator's notes and references[edit]

  1. NDT: Jeu de mot modifié pour des raisons évidentes.


5 - Le Sceau Caché de l'Ancestral Club de Littérature Classique[edit]

Bien que le Lycée Kamiyama offre le nécessaire pour accéder aux examens d'entrée à l'université, son administration ne fait pas grand chose dans le but d'améliorer les performances de ses étudiants à ces examens. Elle n'organise que des examens à blanc pour les potentiels futurs étudiants universitaires qu'une à deux fois par année et n'organisent aucun cours supplémentaire durant les vacances. Une école plutôt décontractée dans l'ensemble.

Tout de même, Kamiyama tient bien des examens normaux. Si la vie d'un lycéen est teintée de rose, les halls d'examens sont son ennemi naturel. Et donc, les activités du Club de Littérature classique sont interrompues car les activités de club sont interdites durant les Examens de Fin de Semestre du Premier Semestre. Ce n'est pas comme si nous avions beaucoup à y faire mais nous avons quand même dû restituer la clé de notre salle à l'école.

Aujourd'hui est le dernier jour d'examen. Je me suis couché sur mon lit dans ma chambre, observant le plafond. Comme d'habitude, pas grand chose d'inhabituel à propos de ce plafond blanc.

Les résultats des membres du Club de Littérature à ces examens ont révélé quelques petites choses intéressantes.

En premier, Satoshi Fukube. Bien qu'il s'intéresse et sache beaucoup de choses inutiles, les cours n'ont pas l'air d'avoir la priorité dans sa mémoire. Comme les examens viennent à peine de se terminer, je ne sais pas exactement comment il s'en est sorti, mais je sais à quel point il a été mauvais aux tests de mi-semestre. En tout cas, Satoshi m'avait à l'époque que ‹ C'est parce que j'étais occupé à étudier pourquoi les gens n'utilisent plus le style ((cursif)) pour écrire leurs kanjis ((/idéogrammes)). › Si Satoshi trouve que c'est important, alors ça doit suffisamment important pour lui. Sans vouloir l'offenser, si l'on réfléchit à long-terme, je pense que c'est assez idiot. Mais je pense qu'il s'en fiche. Si je venais à dire qu'il était une âme libre, il le prendrait probablement comme un compliment. En un mot, c'est juste un sot.

Bien qu'elle soit affiliée au Club d'Étude des Mangas, dans le but d'encore approcher Satoshi, Mayaka Ibara a aussi rejoint le Club de Littérature Classique. Elle est probablement du genre bourreau de travail. La voyant contrôler chaque erreur qu'elle ait pu faire, il n'est pas étonnant que ses résultats soient dans la moitié supérieure de la classe. Mais tout le temps qu'elle passe à étudier ne semble pas porter ses fruits vis-à-vis de ses résultats. Pour faire simple, Ibara est un peu névrosée - une perfectionniste, on peut dire. Elle a la langue bien pendue mais cela est sûrement contrebalancé par une obsession pour la perfection, elle finit par se démener pour trouver la réponse parfaite à chaque question d'examen. Je pense qu'elle a les mêmes exigences dans sa façon d'être.

Vient ensuite Eru Chitanda, qui ressort du lot avec ses excellents résultats. Un coup d'œil au tableau des scores révèle qu'elle est au 6ème rang parmi les élève de notre volée. Elle n'est visiblement pas satisfaite avec ces résultats pour autant, ni avec le programme du lycée lui-même d'ailleurs. Elle m'a dit un jour qu'apprendre un sujet n'était pas satisfaisant, elle veut en apprendre le système entier. Je n'ai absolument pas compris ce qu'elle voulait dire par là. Sa façon de le dire était vague mais j'imagine que c'est le principe qui la rend si impatiente de voir ses questions résolues. Par exemple, pour le cas impliquant son oncle, elle voulait sans doute connaître le ‹ système › autour duquel tournait autour ce que lui avait dit son oncle à l'époque. Elle est le genre de personne plus intéressée à la cause qu'aux conséquences.

Puis vient enfin moi. Mes notes étaient moyennes.

Parmi les 350 testés, je me suis placé au 175ème rang. On croirait presque que je me suis volontairement placé au milieu. La curiosité de Chitanda lui valait ses bonnes notes, l'excentricité de Satoshi lui valait ses mauvaises notes, les erreurs d'Ibara provoquait son mécontentement. Mais tout cela ne me touchait pas. Bien que je ne sois pas assez aventureux pour ne pas du tout étudier, mes révisions étaient bien basiques. Parfois, certains me disent à quel point j'ai changé, mais pour moi il ne sont simplement pas très observateur. Je suis en-dessous du ciel et au-dessus du sol. Je ne désire ni monter, ni descendre. Je vois. C'est donc pour ça que Satoshi ne pouvait pas voir ma vie de lycéen d'une autre couleur que le gris.

Bien sûr, la couleur ne se restreint pas aux résultats académiques. Activités de club, sports, passe-temps et histoires amoureuses jouent aussi un rôle… Toutes ces choses qui font notre humanité. Il y a un diction qui dit qu'un ne peut voir une forêt en regardant ses arbres, après tout, il ne faut pas généraliser un image à un seul point de vue. Bien que le dictionnaire japonais ait défini la vie de lycée comme teintée de rose, ces roses doivent être placées au bon endroit si l'on veut qu'elles puissent fleurir.

Disons simplement que je suis pas un sol adapté à la croissance des ces roses.


Je pensais à tout cela sur mon lit quand j'ai entendu un bruit venant d'en bas. Il semblerait qu'une lettre soit arrivée.

J'étais éberlué de voir que l'enveloppe avait ces rayures rouges, bleue et blanches, caractéristique du courrier international. Après avoir contrôlé le nom du destinataire, j'en ai conclu que celle-ci venait de Tomoe Oreki, la seule personne qui enverrait une lettre à la résidence Oreki depuis l'étranger. Pour ce qui est la position du destinataire… Istanbul ?

J'ouvrit l'enveloppe dans l'instant et y trouva plusieurs lettres, dont une pour moi.



Cher Hôtarô,

Je suis actuellement à Istanbul. Dû à quelques mésaventures, je dois me dissimuler aux consulat japonais, je n'ai donc pas encore vu grand chose de la ville.

Je suis sûre que c'est une cité incroyable. Si je pouvais utiliser un machine à remonter le temps pour visiter cet endroit dans la passé, je voudrais sûrement essayer de verrouiller les portes de la ville moi-même. L'histoire en serait peut-être changée. Je ne suis pas historienne, donc je ne suis pas bonne à spéculer à propos de ces ‹ Et si ›.

C'est un voyage passionnant, je suis sûre que dans dix ans, quand je repenserai à chacun de ces jours, je n'en regretterai aucun.

Alors, comment ça se passe au Club de Littérature ? Y a-t-il de nouveau membres ?

Ne te décourage pas même si tu y es encore tout seul ! La solitude aide les hommes à se forger.

S'il y a plus de monde, alors excellent. Cela aide à progresser dans ses interactions avec les autres.


Enfin bref, si je t'écris c'est parce que je me pose une question.

As-tu (avez-vous) commencé à écrire un essai pour l'anthologie du club ? Le Club de Littérature classique a toujours publié une anthologie annuellement, donc je me demandais si vous comptiez perpétuer la tradition.

Si c'est le cas, j'imagine que vous n'avez pas vraiment idée de quoi écrire. Après tout, les anthologies ne sont pas stockées à la bibliothèque.

Vous devriez pouvoir retrouver les éditions précédentes à l'intérieur d'un vieux coffre-fort de chimie dans la salle du Club. La clé du coffre est cassée donc vous pourrez ouvrir le coffre immédiatement.


Je t'appelle quand j'arrive à Pristina.


Avec amour,

Tomoe.



Te dissimuler au consulat japonais ? Qu'est-ce que tu as encore fait, frangine ? Mais je ne m'inquiète pas vraiment. Les détails sont sûrement écrits dans la lettre pour mon vieux. Maintenant, où est-ce que j'ai entendu parler de Pristina, déjà ? Je ne me souviens pas. Si ma sœur y va, ça doit être un ancien champ de bataille ou quelque chose du genre.

Je soupirais. Est-ce que ma sœur a un quelconque ((réseau de renseignements)) qui la tient informée quant à tous mes faits et gestes ? Et je ne savais pas que le Club de Littérature gardait si secrètement son patrimoine pendant des générations. Car oui, en effet, nous avons bien cherché ces éditions et ne les avons pas trouvées.

Ça ne faisait que quelque jours que Chitanda m'avait fait part de sa requête bien personnelle, mais elle s'était également permise une autre requête, cette fois en tant que Présidente du Club de Littérature classique (-) publier une anthologie. Chitanda avait l'air bien ennuyée en ne trouvant pas les éditions précédentes dans les archives de la bibliothèque. Si ma sœur dit vrai, voilà qui arrange bien ses affaires.

Si le but est le résultat en lui-même, alors arriver au résultat souhaité est satisfaisant. Mais je sens quelque arrière pensée derrière tout cela. Ce serait juste cruel que de cette information pour moi. Comme d'habitude, Tomoe Oreki cherche à mettre la pagaille dans ma vie.

Pour l'instant, j'ai juste entassé la lettre dans la poche du pantalon de mon uniforme, suspendu dans mon armoire.



Le jour suivant, après les cours, je suis allé directement à la salle du Club. La météo était plutôt agréable pour un jour de détente après les examens. Suffisamment pour que quelqu'un rejoigne n'importe quel club. On entendait les équipes de sport s'entraîner à l'extérieur, et la musique jouée par la fanfare, le Club de Musique Légère, le Club de Musique Traditionnelle Japonaise, etc. Bien que les équipes de sport aient le plus de visibilité, le Festival Kanya est plus connu pour son florilège d'activités relatives aux clubs artistiques. Durant ce moment de la journée, le Bloc Spécialisé où se tiennent les activités de ces clubs est plein à craquer.

Et tout au fond, dans les hauteurs du bâtiment, nous avons la Salle de Documentation en Géologie, où Chitanda et Ibara se tenaient. Bien qu'elles ne se connaissent que depuis le cas du livre particulier à la bibliothèque, il semble qu'elle s'entendent déjà bien ensemble. Aujourd'hui, elles sont assises l'une en face de l'autre comme si elles s'étaient engagées dans une conversation. L'été était arrivé et elles portaient leur uniforme d'été qui m'avait l'air bien ((frais)). Les bras bronzés d'Ibara dépassant de sa chemise à manches courtes contrastaient avec les bras pâles de Chitanda. La saison durant laquelle le soleil se montre le plus est arrivée mais il ne semble toujours pas qu'elle ait beaucoup de mélanine en elle. J'approchais ma tête pour entendre de quoi elles parlaient.

« En d'autres termes, les articles doivent taper dans le sujet. »

« Tu veux dire que l'on peut compter sur d'autres personnes pour notre anthologie ? »

« Arrête de t'inquiéter, je pense que je peux avoir certains contacts intéressants dans mon club manga. »

« Ce serait vraiment bien. »

Ah, ça parle anthologie, hein ? Eh bien bonne chance.

Chitanda se figea soudainement et porta ses mains à son visage.

Qu'est-ce qui se passe ?

« … Ah-chou ! »

Elle a éternué. Et elle a une manière bien silencieuse et désuète de le faire.

« Ah-chou ! Ah-chou ! »

« Qu'y a-t-il ? Tu as un rhume ? Ou le rhume des foins peut-être ? »

« … Ah, je vais mieux maintenant. C'est assez embarrassant mais il semblerait que j'aie attrapé un rhume d'été… »

Hum, c'est dur les rhume d'été. Maintenant que j'y pense, sa voix est différente de d'habitude.

Enfin bref, j'ai décidé d'entrer.

« Salut Chitanda, Ibara. »

« Ah, Oreki, »

« Ibara, le Club d'Étude des Mangas est d'accord que tu passes du temps ici ? »

« Yep, tout est réglé. Pourquoi ? Ça te dérange que je sois là ? »

Ça devrait ?

Peut importe.

J'ai décidé de couper court aux raffinements en sortant la lettre de ma sœur de ma poche,

« Ma sœur est une ancienne membre du Club de Littérature, elle m'a envoyé une lettre dans laquelle elle mentionne où est-ce que nous pourrions trouver les anthologies précédentes. »

Chitanda m'a regardé, perplexe. On dirait qu'elle n'a pas compris.

« Je sais où sont les anciennes éditions de l'anthologie du Club de Littérature classique. »

Elle mordit ses lèvres plusieurs fois avant de trouver les bons mots.

« Est-ce, »

Ses yeux étaient grands ouverts tellement elle ne savait pas quoi dire.

« C'est vrai ?! »

« Bien sûr que c'est vrai. Est-ce que j'ai des raisons de te mentir ? »

Chitanda avait enfin l'air d'accepter ce que je venais de dire car un sourire s'était dessiné sur ses fines lèvres. Bien qu'une élégante jeune fille bien du Clan Chitanda n'allait pas afficher un sourire jusqu'aux oreilles, elle était clairement très heureuse. Même si je venais d'obtenir quelque chose dont j'avais vraiment et pendant longtemps envie, je n'aurais pas pu faire une tête pareille. À côté de ça, la Chitanda que j'ai rencontré au Café Sandwich à l'Ananas avec ses profondes expressions m'a l'air d'une toute autre personne.

« Je vois, les anthologies, hih… »

Je pouvais l'entendre chuchoter doucement,

« … Ti-hi, les anciennes éditions… »

Cette Chitanda peut être une personne très dangereuse.

Néanmoins, un sourcil d'Ibara se dressa et elle me questionna, « Tu es sûr de ça ? Pourquoi quelqu'un aurait-il écrit une lettre juste pour dire ça ? »

Bonne question. Aucune personne saine d'esprit ne penserait à chercher des informations à propos du Festival Culturel dans une lettre provenant d'Istanbul. Mais cette lettre venait bien de ma frangine, et personne n'a jamais pu comprendre le sens des priorités de Tomoe Oreki.

« Eh bien, j'ai la lettre avec moi ici, tu pourras donc confirmer toi-même les faits. Lisons ? »

J'ai sorti lettre et l'ai étalée sur la table pour qu'Ibara et Chitanda puissent la lire. À mesure qu'elle avançait dans leur lecture, un silence s'est installé. Chitanda est la première à l'avoir brisé.

« … Ta sœur aime visiter la Turquie ? »

« Ma sœur aime visiter le monde. »

« Tu as une sacré sœur alors. »

Bien que le côté étrange de la lettre ait éveillé leur curiosité, c'est ne pas à ça que je voulais qu'elles fassent attention.

« ‹ Je suis sûre que dans dix ans, quand je repenserai à chacun de ces jours, je n'en regretterai aucun. › Quelle phrase mélancolique… »

Je suis d'accord, mais on dérive encore.

Elles continuaient de lire et ont fini par ouvrir leurs bouches au même moment.

« … Le coffre-fort de chimie ? »

« Le coffre-fort de chimie, hein ? »

Ibara jeta un œil à la Salle de Géologie, mit ses mains sur ses hanches et gonfla sa poitrine.

« Hum, je ne vois rien de tel ici. »

« Je suppose que non. »

Cela allait de soi. Mais Chitanda semblait pâlir d'un coup.

« Eh ?! M… Mais a… alors où… sont… les anthologies… »

« Chi-chan ! Calme-toi, calme-toi ! »

La personne à qui s'adressait Ibara pouvait probablement n'être que Chitanda. ‹ Chi-chan ›, cette Ibara lui a trouvé un surnom sacrément mignon. Elle ne fera pas usage de sa langue ((acérée)) contre Chitanda, hein ? Mais c'est vrai qu'il est difficile de se montrer hostile envers des gens comme Chitanda.

J'ai agité la lettre de ma soeur au visage d'une à nouveau calme Chitanda et dis,

« Chitanda, cette lettre parle d'un ‹ vieux coffre-fort de chimie dans la salle du Club ›. Cela fait deux ans que ma sœur a quitté cette école. La salle du Club de Littérature a probablement changé durant ce laps de temps.

« Ah… C'est donc ça ? »

« Donc, Oreki, tu sais dans quelle salle se retrouvaient les membres il y a deux ans ? »

Pour éviter toute erreur, je suis passé à la salle des professeur avant de venir.

« J'ai demandé à l'enseignant superviseur, il m'a dit qu'il s'agissait de la Salle de Documentation en Biologie. »

« Tu es venu préparé à ce que je vois. »

« Eh bien, c'est plus efficace. »

« Quel enthousiasme. »

Ce n'est pas tout à fait vrai, je ne suis pas si enthousiaste d'habitude.

« La Salle de Documentation en Biologie… C'est en-dessous. Maintenant que nous le savons, devrions-nous nous y rendre ? »

Chitanda quitta la salle après avoir dit cela.

S'il y a bien quelqu'un d'enthousiaste ici, c'est elle.



La Salle de Biologique était, comme l'a dit Chitanda, juste en-dessous de la salle de Géologie. Si l'on considère la Salle de Géologie, située dans l'angle du Bloc Spécialisé, comme l'endroit le plus reculé de l'école, alors celle de Biologie, au troisième étage est aussi un recoin bien éloigné. Bien que j'aie dit que ce Bloc était plein à craquer, il y a bien des exceptions. La Salle de Géologie n'est par exemple entourée de presque aucune autre salle de club, l'environnement y est donc extrêmement silencieux. Il semble que la Salle de Biologie soit dans le même cas. Bien que le couloir du troisième étage soit très vivant, le bout de chemin menant à la Salle de Biologie n'abrite que des salles de classe vides, et personne d'autre ne semblait s'y diriger.

Chitanda éternua plusieurs fois en chemin.

« Tu es sûre que tu vas bien ? »

« Ne t'inquiète pas pour moi s'il te plaît. Même si je n'arriver pas à cesser ces éternuements, ce n'est que mon nez qui est un peu sen… Ah-chou ! »

Je ne sais pas mais éternuer autant serait un vrai calvaire pour moi. J'imagine que je dois pas attendre autre chose que de la modestie de notre demoiselle ici.

Marchant devant nous, Ibara tourna sa tête pour nous parler,

« Oreki, tu as la clé avec toi ? »

« Non, quelqu'un d'autre semble l'avoir empruntée. »

« Ah-chou ! … La clé a été empruntée ? Cela veut-il dire que la Salle de Biologie est actuellement utilisée par un club ? »

« A moins qu'un idiot quelconque ne l'ait empruntée, c'est possible. »

« Oreki… C'est malpoli d'appeler des gens des idiots. »

Je me suis fait réprimander. Si même cela la contrarie, alors ni même Satoshi ou Ibara n'aurait pu y rétorquer quelque chose, alors je n'ai que souri amèrement et détourné mon regard. C'est alors que quelque chose entra dans mon champ de vision. Je me demande ce que c'était. Ni Chitanda, ni Ibara ne semblent l'avoir remarqué… C'était une petite boîte. Et peinte de la même couleur que les murs du corridors, elle passait plutôt inaperçu. Regardant le mur opposé, j'ai vu une autre boîte similaire. Je me demande si quelqu'un les a oubliées ? Elles ne m'ont pas eu l'air d'une quelconque valeur, je ne leur ai donc pas accordées plus d'attention. Se baisser pour ramasser quelque chose valant moins d'un yen n'est pas rentable, car l'énergie dépensée pour le ramasser est plus ou moins équivalente à un yen. Du bon sens élémentaire pour les économiseurs de ma sorte.

Nous étions arrivés en face de la Salle de Biologie. Pendant que je réfléchissais à frapper à la porte ou non, Chitanda avait déjà sa main sur la poignée.

« Ah ? »

La porte n'ouvrait pas.

« C'est fermé. »

« On dirait bien. »

Les deux filles se sont retournée et me regardaient, Chitanda avait un regard préoccupé et Ibara me fixait froidement. Cela m'ennuie un peu de les voir toutes les deux me dévisager comme ça.

« Non, vraiment. Ce n'est pas moi qui ait la clé. Et je n'ai aucune idée de pourquoi la porte est fermée. »

Ibara essaya encore un fois d'ouvrir la porte mais l'on pouvait entendre le verrou faire obstruction. Chitanda dit avec beaucoup de pertinence ce que je m'apprêtais à dire, « … Encore ? »

Oui, encore ça.

« Qu'est-ce que tu veux dire, Chi-chan ? »

« Uhm, c'est arrivé en avril… »

Je ne pense pas que Chitanda sache cela mais il semblerait que les portes des salles de Kamiyama portent un tantinet la poisse. Pendant que Chitanda racontait cet incident d'avril, je réfléchissais à comment nous sortir de cette situation sans clé.

« … Fin de l'histoire. »

« Uhm, donc Oreki a fait tout ça, hein ? »

J'ai décidé de me tourner vers la porte et de crier au travers pour plaisanter,

« Y A-T-IL QUELQU'UN LÀ-DEDANS ? »

Bien sûr, je n'attendais aucune réponse.

Toutefois, il eut bien une réponse. Le bruit cru d'une porte se faisant déverrouiller fut entendu.

« Oui ? »

La porte s'ouvrit de l'intérieur.

En face de nous se tenait maintenant un étudiant de sexe masculin habillé d'une chemise peu épaisse et du pantalon de notre uniforme. Il était plutôt grand et svelte. Mais il m'avait plus l'air du genre intelligent qu'athlétique. Après avoir identifié notre année d'après la couleur de mon col, il souria poliment et dit, « Oh, désolé. J'avais verrouillé la porte. Vous vous intéressez au Club du Journal du Mur ? »

Si t'étais dedans, fallait nous ouvrir tout de suite, bon sang.

Plutôt que d'être honnête, j'ai préféré dire, « C'est ici, le Club du Journal du Mur ? »

« C'est exact. Vous n'êtes pas de nouveaux membres ? »

L'étudiant mâle ferma la porte derrière lui en sortant. J'ai senti émaner de lui à ce moment-là comme de désinfectant à l'alcool. Il semble que notre spécimen ait un penchant pour les déodorants. Ses sourcils réagirent à la vue de mon nez qui semblait avoir identifié l'odeur comme disant ‹ T'as un problème avec ça ? ›. Il revint ensuite à ses bonnes manières et nous demanda, « Alors, que puis-je faire pour vous aider ? »

Après avoir échangé quelques regards, nous avons décidé de laisser parler notre Présidente.

« Bonjour. Je suis Eru Chitanda, Présidente du Club de Littérature Classique. Tu dois être Tôgaito de la classe 3-E, je me trompe ? »

Le garçon s'appelant Tôgaito dressa son sourcil de stupeur.

« D'où connais-tu mon nom ? »

Bonne question. N'importe qui serait choqué de voir un parfait étranger l'appeler par son nom. J'ai éprouvé le même sentiment en avril dernier, après tout. Et comme en avril dernier, Chitanda se contenta de sourire gentiment.

« Nous nous sommes rencontrés à la résidence Manninbashi l'an dernier. »

« Manninbashi… Attends une minute, tu as dit que tu t'appelais Chitanda, serais-tu de la famille de Monsieur Chitanda de Kanda ? »

« Oui, c'est mon père. Merci d'entretenir de bons rapports avec lui. »

… Hum, on se croirait à une réunion de la haute-société. Je savais que le Clan Chitanda était ancien et possédait des terres mais je ne les imaginais pas si bien connectés. Il semble bien que ce monde dont je n'ai jamais entendu parler existe bel et bien. Quand j'y pense, quand Satoshi parlait des vieux clans de Kamiyama, le nom Tôgaito était bien dans lot.

« Ah, non, tout le plaisir est pour moi. Je vois, tu es de la famille Chitanda. »

« Oui… Ah-chou ! »

« Rhume d'été. Ça doit être dure. Prends soin de toi. »

Après avoir appris qu'Eru Chitanda fait parti du Clan Chitanda avec ses terres agricoles, l'attitude de Tôgaito changea de manière singulière. Il était toujours courtois, mais il avait le regard plus tendu. A-t-il peur de Chitanda ou bien ? Je n'y connais rien mais il doit y avoir une sorte d'influence de pouvoir entre les vieux clans. C'est peut-être moi mais Tôgaito cherchait à éviter le regard de Chitanda et choisissait avec soin ses mots.

« Alors, qu'y a-t-il ?»

De son côté, Chitanda n'avait pas l'air d'y prêter grande attention et dit, « Oui, eh bien, je appris que les précédentes éditions de l'anthologie du Club de Littérature classique étaient stockées dans la Salle de Documentation en Biologie. Cette salle était anciennement utilisée par le Club de Littérature, c'est-ce pas ? »

« … C'était le cas quand j'étais en première année. Mais l'an dernier il ont tout réorganisé. »

« Alors, sais-tu où se trouvent ces anthologies ? »

Tôgaito fit une pause et répondit, « Non, je ne les ai jamais vues. »

Attentive à la conversation, Ibara s'est tournée vers moi. Je lui ai discrètement fait signe de mon accord. N'importe qui avec de l'intuition aurait réalisé le comportement étrange de Tôgaito. »

« Je vois… »

Bien qu'elle ait une mémoire exceptionnelle, le niveau d'intuition de Chitanda est en-dessous de la moyenne. Elle avait l'air découragée et s'apprêtait à partir quand Ibara l'interrompit, « Excuse-moi, Tôgaito, cela te dérangerait-il si nous les cherchions un peu ? »

« Et tu es ? »

« Mayaka Ibara du Club de Littérature classique. Vu que les anthologies ne te sont d'aucune utilité, tu ne les as peut-être pas remarquées. »

Il n'y avait pas tellement d'intérêt à le faire, mais j'ai tout de même décidé de faire l'idiot et d'en rajouter une couche.

« Nous ferons de notre mieux pour ne ne pas perturber tes activités de club. Ou alors c'est trop embêtant ? »

« S'il te plaît. »

« Oui, je t'en prie. »

Devant cette avalanche de requête, Tôgaito s'est entêté.

« Eh bien, je préférerais ne pas avoir d'étrangers dans la salle du Club… »

Après avoir entendu cette ligne, Ibara s'empressa de sauter sur l'occasion.

« Tôgaito, c'est peut-être une salle de club, mais c'est aussi un salle de classe, n'est-ce pas ? »

J'ai dû me retenir de rire car Ibara lui disait basiquement, ‹ Tu n'as aucun droit de refuser à des élèves l'entrée dans une salle de classe. › Tôgaito était bien ennuyé mais Ibara n'allait pas lâcher prise, il a finalement plié.

« … Bon, c'est d'accord. Vous pouvez entrer, essayez juste de ne pas mettre la pagaïe. »

Et le Président du Club du Journal du Mur ouvrit la porte de la Salle de Biologie.



La salle était agencée exactement de la même manière que la Salle de Géologie, du tableau noir aux outils de nettoyage en passant par le table et les chaises, tout était pratiquement identique… Quoiqu'il y avait une porte supplémentaire. La panneau au-dessus affichait ‹ Salle de Préparation de Biologie ›. Au quatrième étage, il devait s'agir de la salle d'entreposage qui n'était pas accessible depuis la Salle de Géologie.

Il ne semblait pas y avoir d'autres membres du Club du Journal du Mur aujourd'hui. Tôgaito nous expliqua, « Nous comptons quatre membres mais il n'y a pas d'activités aujourd'hui, je suis venu seul pour réfléchir à quoi publier pour le Festival Kanya. »

Si je me souviens bien, le Festival Kanya débute en Octobre. Soit dans deux mois et demie.

« Quelle est la différence entre le Club du Journal du Mur et le Club de Journalisme ? »

Chitanda posa une question totalement sans importance, à laquelle Tôgaito répondit courtoisement.

« Trois périodiques sont publiés au Lycée Kamiyama : le ‹ ((Seiryû)) › distribué en classe tous les deux mois, ‹ L'Actu du Conseil Étudiant › affiché devant le bureau du Conseil à des intervalles irréguliers, et le ‹ Mensuel de Kamiyama ›, publié tous les mois sauf en août et en décembre et affiché sur le tableau à l'entrée de l'école. Notre club est responsable du Mensuel de Kamiyama.

« Par qui sont les deux autres publiés ? »

« Le Seiryû est publié par le Club de Journalisme alors que L'Actu du Conseil Étudiant l'est, bien sûr, par le Conseil des Étudiants. Mais nous avons la plus longue histoire parmi les trois périodiques. Le Mensuel de Kamiyama publiera bientôt sa quatre centième édition alors que les deux autre n'est sont pas encore à leur centième. »

Quatre cent publications, hein ? Il semblerait que nous ne soyons pas les seuls à avoir une longue hitoire dans notre club. Quand on y pense, si l'oncle de Chitanda était membre du Club de Littérature classique il y a 33 ans, alors le Club existe depuis plus de 33 ans. Peut importe à quel point ma vie devient tumultueuse, il n'y a pas mesure à comparer avec l'histoire de ce club. Et ce n'est pas comme si ma vie avait été tumultueuse jusqu'à maintenant.

« On dirait qu'elles ne sont pas ici. »

Conclut Ibara après avoir observé la salle. La Salle de Biologie était plutôt vide, il était donc plutôt difficile de manquer quelque chose. Il nous restait à regarder dans la Salle de Préparation. J'ai donc demandé à y entrer, « Peut-on regarder dans la Salle de Préparation ? »

« … Oui, allez-y. »

Après avoir entendu sa réponse, je suis entré. On entendait du papier voleter et un bruit de moteur. Je me demande ce que c'était.

Comme prévu, la salle était plutôt petite, environ un tiers de la Salle de Biologie.

Cette salle est à l'origine destinée à stocker l'équipement servant à enseigner la Biologie, mais maintenant on ne trouvait plus que des microscopes sur les étagères. Kamiyama étant plus orienté enseignement théorique que pratique, il semblerait que le reste des outils et équipement aient été stockés dans une autre salle. Résultat, cette salle sert maintenant à ranger les outils du Club du Journal du Mur.

Il y avait un caméscope amateur, une collection de stylos d'épaisseurs et de couleurs variées, des boîtes en carton en désordre près d'une photocopieuse et un petit haut-parleur. Pour ce qui est qui a vraiment attiré notre attention, c'est cette table improvisée au centre de l'étroite pièce. Plutôt qu'une table, on avait là une planche de contreplaqué sur le dessus d'une boite en carton. Sur cette table étaient étalées de larges feuilles ((format B1)) griffonnées d'inscriptions que seul leur auteur ne saurait déchiffrer, un étui à stylo qui semblait assez lourd était placé par-dessus. Le bruit de papier venait de ces feuilles se faisant souffler par le vent.

Le vent ?

Il y avait du vent dans cette salle. Et bien que la fenêtre soit ouverte, le vent venait de l'intérieur. Le bruit de moteur devait venir de là. Il n'était pas facile à voir, placé à côté de la pile de carton, mais il y avait un petit ventilateur devant la table de fortune, du côté opposé de la fenêtre. Il était réglé sur sa vitesse maximale.

Il y avait autre chose que le vent soufflait. Une chemise de l'uniforme d'été de Kamiyama était suspendue près de la fenêtre. Rien de particulier à dénoter, elle n'était que suspendue là normalement.

« … ? »

« Oreki, qu'est-ce que tu en pense ? »

Je me suis retourné j'ai vu Chitanda et Ibara se tenir à l'entrée de la Salle de Préparation.

Ah oui, nous cherchions un coffre-fort.

Mais avec autant de choses placées à tous les coins d'une salle si petite, ce n'était pas facile d'y chercher quoi que ce soit. En jetant un œil autour moi, il n'y avait rien qui ressemblait de près ou de loin à un coffre-fort. Il devait avoir l'air ancien et avoir sa serrure endommagée. Je l'avais peut-être vu, mais je ne l'ai pas proprement remarqué.

Hum…

J'ai croisé mes bras et suis sorti de la salle pour poser une question à Tôgaito qui nous observais, « Sais-tu pourquoi a-t-on réorganisé les salles de club l'année dernière ? »

« Non. Peut-être qu'ils cherchaient à remplir des salles vides après que les clubs assignés aient cessé d'exister. »

« Combien de cartons avez-vous amenés quand vous êtes arrivés ici ? »

Tôgaito réfléchit un instant avant de répondre, « … Maintenant que tu le dis, combien en a-t-on déplacées ? »

« Les boîtes en carton ? »

« Oui. »

Je vois, alors il devrait y être. J'avais presque oublié que le Clan Tôgaito était aussi un clan prestigieux ; ça a du sens quand on prend cela en compte.

J'ai une idée plutôt claire d'où se trouvent les anthologies, mais les obtenir risque d'être un peu plus compliqué… Essayons d'installer un piège. Je me suis tourné vers Tôgaito.

« Tôgaito, avec toutes ces choses par terre, chercher dans cette pièce relève plus de la corvée qu'autre chose. Cela risque de t'ennuyer un peu plus mais peut-on faire venir Monsieur Ôide pour nous aider ? »

Bien qu'il avait gardé une expression modérée jusqu'à maintenant, les sourcils de Tôgaito se sont dressés.

« … Non. Je vous ai dit de ne pas mettre la pagaïe à l'intérieur. »

« Nous remettrons tout à sa place quand nous aurons fini, alors s'il te plaît. »

« J'ai dit non ! »

Il haussa subitement le ton.

« Oh, excuse-moi, Tôgaito. D'accord, eh bien tant pis j'imagine. »

Répondit Chitanda ((frénétiquement)) et Tôgaito continua de parler fort.

« Je suis déjà assez occupé à préparer mes idée à soumettre à l'équipe. Depuis quand on entre chez quelqu'un et on se met à fouiller dans ses affaires. Vos anthologies ne sont pas ici, partez maintenant. »

Alors que Tôgaito était de plus en plus nerveux, je n'ai fait que le regarder froidement. Il a réagi en accord avec mon plan jusqu'à maintenant.

Je l'ai fixé avec un sourire amical.

« Tôgaito, ce que l'on cherche, c'est le contenu d'un coffre-fort. »

« … Quoi ? »

« Les anthologies sont censées être dans le coffre-fort de chimie. Si tu dis qu'elles ne sont pas ici, alors elles ne doivent pas être ici. On ne veut pas te déranger plus que ça. »

Puis j'ai arrêté de sourire et ai ajouté, « Au passage, nous allons à la bibliothèque maintenant. Si après que nous soyons partis, tu venais à trouver les anthologies, pourrais-tu avoir la gentillesse de les amener en Salle de Géologie ? Nous laisserons la porte ouverte. »

Tôgaito devait être vraiment furieux de ma proposition car le visage lucide qu'il avait gardé jusqu'à maintenant se déforma et me fixait. En contrepartie, j'ai réagi comme si cela n'avait rien de spécial. Après tout, personne dans l'histoire n'a jamais été blessé par un regard.

« P… Pourquoi tu… Comment tu as… »

« Oui, Tôgaito ? »

Après s'être refréné de le dire, Tôgaito ravala ce qu'il allait dire.

Il soupira profondément et regagna sont sans-froid et ses manières.

« Très bien, je le ferai si je les trouve. »

« Nous en serions très reconnaissants… Eh bien, partons, Chitanda, Ibara ? »

N'ayant probablement pas compris la signification derrière ma petite discussion avec Tôgaito, les filles, surprises, n'ont fait qu'acquiescer et quitter la salle avec moi. Il n'y avait plus aucune raison de rester.

« Oreki, que s'est-il passé ? »

« Je vous expliquerai plus tard. »

Après avoir dit cela, je les ai guidées vers la sortie de la Salle de Biologie.

Une voix m'appela alors de derrière, « Hé, première année. Je n'ai toujours pas entendu ton nom. »

Je me suis retourné et ai répondu indifféremment, « Hôtarô Oreki… Désolé pour ça. »



Le long du couloir reliant le Bloc Spécial au Général, je me suis appuyé contre un mur. Alors que nous tuions le temps ici, les deux filles en ont profité pour me poser une question, « Oreki, je ne sais pas ce qui se passe mais ne devions-nous pas aller à la Bibliothèque ? »

J'ai fait signe de la main.

« Non, aucune raison d'y aller.»

« Je ne comprends pas. Si nous n'avons pas de raison d'y aller, pourquoi ne retournons-nous pas à la salle du Club ? »

« On ne peut pas. On doit attendre encore un peu. »

Ibara marmonna d'un air non convaincu., « Qu'est-ce qu'il a en tête encore… »

« Chitanda, embêtée par son nez, prit la relève et dit interrogativement , « Oreki, Tôgaito avait l'air furieux. »

« Il semblerait, oui.»

« Bien sûr, c'est très bien si nous retrouvons les précédentes éditions mais lui forcer la main comme ça… »

« Forcer ? Je pense avoir fait une requête raisonnable.»

Chitanda ouvrit puis ferma sa bouche, ne sachant plus quoi dire. Il fallait s'y attendre. Tout ce que j'ai demandé au final c'est ‹ aide-nous à les chercher › et ‹ amène-les nous si tu les trouves ›.

« Mais, Tôgaito était furieux. »

« À ce point ? »

À côté de Chitanda, Ibara dressa un de ses sourcils et fit une remarque, « Après qu'Oreki ait fait cette demande, sa colère ressemblait plus à un jeu d'acteur. »

Oh, alors elle a remarqué.

« C'est vrai ? »

Mais pas Chitanda, on dirait.

J'ai jeté un œil à ma montre. Trois minutes s'étaient écoulées… Ça devrait suffire. J'ai quitté mon appuis et demandé, « Chitanda, à quelle point les Tôgaito sont-ils connus ? »

Chitanda pencha sa tête interrogative quant à ma question, puis répondit, « Les Tôgaito ? Ils sont influents dans le milieu de l'éducation secondaire. L'un d'eux est membre du Conseil de l'Éducation de la préfecture, un autre du Conseil de l'Éducation de la ville, un de plus est directeur d'une école et deux d'entre-eux sont enseignants. »

Maintenant je comprends bien.

« Oreki, que faisons-nous à propos des anthologies. »

Je répondis, « Je pense qu'il est temps d'y retourner. »

Chitanda et Ibara se regardèrent l'une l'autre en entendant ma réponse. Je n'ai que souri.



Et nous arrivâmes à la Salle de Géologie.

« Ah, les voilà. »

Comme prévu. Sur le bureau de l'enseignant étaient empilés des dizaines de cahiers peu épais. Je n'ai pas pu m'empêcher de serrer mon poing. La satisfaction de voir son plan fonctionner à merveille.

« Ils sont là ? Comment c'est possible ? », dit Ibara en se dirigeant vers le bureau. Elle prit l'un des cahiers et marmonna, « … C'est bien les anthologies… »

« Eh, eh ?? ((Ibara/))Mayaka, laisse-moi regarder aussi ! »

« Comment tu as fais ça, Oreki ? Tu sais quelque chose qu'on ne sait pas ? »

La façon sévère qu'avait Ibara de me questionner donnait l'impression que j'avais fait quelque chose de mal. Je n'ai jamais été bon à esquiver les questions, je me suis donc posé à l'une des tables et ai répondit, « Juste un peu de chantage, c'est tout. »

« Du chantage ? Tu as fais chanter le Président du Club du Journal du Mur ? »

« Oui. Mais pourrais-tu être un brin plus discrète, Ibara ? »

Ibara a fait une tête ((renfrognée)) en réaction à mon commentaire.

« Ce n'est pas comme si j'allais le raconter à des gens. »

« Certes, mais tu ne m'as pas l'air très fiable. C'est supposé être un secret qui permet à un première année comme moi d'exiger des choses de Tôgaito, ce serait trop pitoyable pour lui si ça venait à s'éparpiller. »

« Je ne dirai rien à personne… Si tu n'as pas confiance en moi, alors tant pis, ne dis rien. » Dit-elle brusquement. Elle ne ment probablement pas. Chitanda a réagi d'une toute autre manière ; satisfaire sa curiosité n'était pas une priorité absolue. Si elle sait que des problèmes pourraient surgir de mon explication, elle préférera ne pas l'entendre. Elle est du genre à résoudre les choses comme ça.

Enfin bref, maintenant que je les ai testée, je ne pense pas qu'elles iraient raconter ça à des tiers.

« Désolé pour ça. Ibara, n'as-tu pas trouvé étrange de Tôgaito de verrouiller la porte de la salle ? »

Elle répondit sans hésiter, « Ne voulait-il pas simplement ne pas être dérangé pendant qu'il préparait ses articles ? »

« Alors à propos de la Salle de Préparation, pourquoi le ventilateur était-il allumé alors que la fenêtre était ouverte ? »

« Il avait chaud ? »

« Alors il aurait pu placer le ventilateur près de la fenêtre. Mais il était du côté opposé. Avec le ventilateur à cet endroit, si l'étui à stylos avait bougé ne serait-ce qu'un peu, ses papiers pourraient être passés par la fenêtre. »

Ibara se frotta les cheveux d'irritation.

« Et donc, et alors ? »

« Tu ne comprends pas ? Ce que Tôgaito essayait de faire ? »

« Si tu poses la question comme ça, je dirais qu'il essaye ventiler la pièce. »

J'ai doucement dressé mon pouce et l'ai félicitée. Bien sûr, Ibara n'allait pas trouver ça intéressant et détourna son visage de moi.

« Maintenant, la question est pourquoi essayait-il de ventiler la pièce ? Pour être plus précis, qu'est-ce que Tôgaido, membre d'une famille d'éducateurs respectés, faisait-il seul, enfermé dans sa salle de club, avec des détecteurs à infrarouges installés dehors ? »

« A… Attends un instant. Des détecteurs à infrarouges ? On est dans un film d'espionnage ou bien ? »

Ah, j'ai oublié ce détail, « Tu n'as jamais vu ces publicités pour un magasin de gadgets ? Il y a un moment, ça présentait ces détecteurs qui activent une alarme. Je pense qu'ils doivent coûter environ 5000 yens pièce maintenant. »

« Où est-ce que tu les as vus ? »

« Sur les murs du couloir du troisième étage, juste avant d'arriver à la Salle du Club de Journal du Mur. Ils étaient camouflés en blanc. C'est plutôt difficile à déterminer qu'il s'agit bien de détecteurs comme ça, mais le petit haut-parleur à l'intérieur de la Salle de Préparation à plus ou moins confirmer mes soupçons. »

Le sourcil d'Ibara se dressa encore, « T'es définitivement bizarre. »

« Arrête de me traiter comme un cas à part… Où est-ce qu'on en était ? Ah oui, après avoir été informé par les détecteurs, pour quelle raison aurait-il pris le risque de faire s'envoler ses papiers juste pour aérer la pièce ? Des idées ? »

Ibara commença à réfléchir à la question, j'ai donc attendu.

Et répondit ensuite avec un regard incrédule qui sied bien à sa langue ((acérée)), « … Une odeur quelconque… ? »

J'ai doucement tapé des mains deux à trois fois.

« C'est ça. Il essayait de se débarrasser d'une odeur. Si l'on suit cette ((ligne de pensée)), son utilisation de sprays désodorisants n'a aucun rapport avec une quelconque obsession avec la propreté. Maintenant, quelle était cette odeur dont il essayait de débarrasser la pièce ? Au passage, on ne parle pas ici d'un quelconque stupéfiant. »

« Alors, ce serait… »

« Exact, il est probablement fumeur… Il se sert de ce petit équipement pour pouvoir fumer en paix. Considère le fait qu'il fait partie d'un clan prestigieux. Vu que les Tôgaito sont supposés être de respectés éducateurs du secondaire, imagine le scandale si le fils de l'un de ces noble éducateurs était pris en train de faire quelque chose d'illégal. De nos jours, si vous êtes médecin, enseignant ou policier, bâiller en public peut suffire à vous attirer des tas d'ennuis. »

« … Je vois. Si c'est vrai, c'est normal qu'il ait mis tant d'efforts là-dedans. »

En effet. C'est aussi ce que je pense. Si les circonstances avaient été différentes, alors le problème aussi aurait changé. Que on y repense, il était visiblement perturbé d'avoir appris que Chitanda faisait partie du Clan Chitanda. Il doit avoir pensé que si ses méfaits avaient été mis à nu par quelqu'un d'un autre prestigieux clan, les relations entre les deux clans auraient été grandement affectées. Nous savons tous bien à quel point les sens de Chitanda sont aiguisés. Si elle n'était pas enrhumée, aucune ventilation et aucun changement de chemise ne l'auraient bernée.

« Mais bon, je ne sais pas vraiment pourquoi il voudrait fumer à l'intérieur de l'école. Satisfaite de l'explication maintenant ? »

Après que j'aie dit cela, le regard d'Ibara changea. Ouaa, elle nous montre ses vraies couleurs, avec un regard glacial.

« Tu sais, tout ce que je demandais c'est comment Tôgaito avait-il ramené les anthologies ici. Bien que je comprenne comment tu l'as fait chanter avec son petit secret pour qu'ils nous les ramène, je ne sais toujours pas où est-ce qu'elles étaient au départ. »

Je vois, j'ai oublié cette partie. J'ai donc expliqué, « Elles devaient être dans le coffre-fort. »

« O-re-ki ! »

« Je ne me fiche pas de toi ! La question est où était le coffre-fort… Tu te souviens quand Tôgaito a mentionné quelque chose à propos de déplacer des cartons quand les salles ont changé ? Il n'avait aucune raison de mentir là-dessus, donc j'en ai déduit qu'il était quelque part dans la salle du club. »

« … Mais je ne l'ai pas vu. »

« Ça ne veut pas dire pour autant qu'il n'y était pas. Tu ne l'a pas vu parce qu'il était caché… Non pas les anthologies mais le coffre. »

J'ai laissé Ibara avaler ce que je venais de dire et ai continué, « Résultat, les anthologies étaient cachées avec. La raison pourquoi il a caché le coffre-fort, parce qu'il s'en servait comme cachette pour ses cigarettes. Nous n'avons vu ni cigarettes, ni cendres, ni briquet dans la salle, parce qu'il cachait tout dans le coffre-fort. Tu as remarqué son expression quand j'ai proposé de faire venir Monsieur Ôide pour nous aider ? Enfin bref, pour ce qui est de où le coffre-fort était caché, probablement sous la table improvisée. »

J'ai profondément soupiré après avoir fini mon explication.

J'ai fait quelque chose de mal en mettant Tôgaito dans une position où il ne pouvait qu'accepter ma requête. Mais je n'avais aucune intention de révéler son secret. On a tous des secrets et je n'apprécierais pas que l'on révèle les miens. Disons juste qu'il n'a pas eu de chance.

Ibara, à qui je m'adressais depuis tout ce temps, me quitta des yeux. Suivant son regard, j'ai remarqué la présence d'une personne qui aurait dû avoir été un peu plus bavarde à ce sujet. Je me suis tourné pour lui faire face.

« Chitanda ? »



Chitanda regardait les anthologies sur le bureau. Elle ne faisait que les regarder et n'en avait ouvert aucun d'eux. Ce regard sérieux était le même que j'ai vu au Café Sandwich à l'Ananas. Il semblait qu'elle ne m'avait même pas entendu l'appeler.

« Qu'y a-t-il, Chitanda ? »

Mais elle ne m'entendait pas. Je me suis donc levé de la table sur laquelle j'étais et suis aller lui mettre la main sur l'épaule ?

« Est-ce que tu as un soucis ? »

« Oh, Oreki… jette un œil à cela. »

Elle me tendit l'une des anthologies.

C'était un cahier assez fin, il avait les mêmes dimensions que ces Cahiers Campus que l'on trouve dans les papeteries[1]. Les pages étaient cousues ensemble élégamment. Il doivent avoir reçu l'aide de professionnels pour les imprimer. La couverture était faite de cuir marron, on y dessus voyait un chien et des lièvres caricaturés dans un style cartoon.

Un certain nombre de lièvres formaient un cercle et en son centre il y avait un chien et un lièvres se mordant l'un l'autre. Les canines du chien étaient plantée dans le torse du lièvres à lui en déchirer la poitrine et les incisives de ce dernier mordaient profondément le cou du chien. Le style artistique rendait le dessin hilarant au lieu de grotesque. Mais il dégageait aussi une atmosphère sinistre. Il y a un vieux dicton qui parle de cuisiner les chiens de chasse avec les lièvres qu'ils avaient juste capturés[2]. Mais ici le lièvres et le chien se chassaient l'un l'autre. Deux des lièvres dans le cercle surveillaient la supposément mignonne scène en face d'eux.

Il était imprimé, au-dessus de l'illustration, quelques mots en bonnes polices. Ça disait ‹ HYÔKA[3] Tome 2 ›. La date de publication est 1968… C'est assez vieux. Pour ce qui est du nom…

« Hyôka… ? »

Es-ce le titre ?

« Quel titre étrange. »

Ibara regarda par-dessus mon épaule, et me donna raison, « Oui, et difficile à comprendre en plus. »

Il nous donnait la même impression que m'avait donné le nom Festival Kanya la première fois que je l'ai entendu, mais l'origine de ce dernier était plus clair. Si les auteurs avaient dû décider d'un nom, ils en auraient probablement choisi un qui collait bien au contenu. Mais je ne vois aucun rapport entre ‹ Essai Anthologique du Club de Littérature classique › et le titre ‹ Hyouka ›.

Pointant du doigt l'illustration sur la couverture, j'ai demandé à Ibara, « Qu'est-ce que tu penses de cette couverture en tant que membre du Club d'Étude de Mangas ? »

« Je pense que c'est superbement dessiné. Le design de l'illustration a brillamment écarté toute notion de perspective vis-à-vis des distances… Hum, c'est excellent. J'aime beaucoup. »

J'étais un peu surpris, vu qu'il n'est pas normalement possible pour Ibara de clairement dire si elle aime ou elle n'aime pas quelque chose. De plus, l'illustration lui a fait une sacré impression. Comme si elle regrettait d'avoir dit qu'elle aimait ça, elle me tendit le livre et commença à se justifier,

« Ahh, ‹ aimer › n'est pas le bon terme. Vu que le style n'est pas très attrayant… Et le dessin a l'air assez menaçant. Et je ne parlais pas d'un point de vue artistique mais plutôt médiatique… »

Pendant ce temps, Chitanda n'avait pas particulièrement l'air enjouée à l'idée avoir enfin dans les mains les tant voulues éditions précédentes. On aurait plutôt dit que ses expressions avaient été aspirées par un vampire.

J'ai répété ma question, « Est-ce que tu as un soucis, Chitanda ? »

Après m'avoir entendu, elle m'a attiré vers un coin de salle et m'a dit, « Ceci. »

« Quoi ? »

Plutôt que de scintiller de curiosité, l'expression claire de notre élégante demoiselle baignée dans le coucher de soleil orange ressemblait plutôt à celle de quelqu'un découvrant un secret. Elle murmura, « J'ai trouvé ceci. C'est ce que mon oncle souhaitait me montrer. Si j'ai cet objet, je devrais être capable de découvrir ce que mon oncle m'avait dit. »

Je vois.

« Donc tu te souviens de quelque chose ? »

À la place de répondre, elle pointa vers le ‹ HYÔKA Tome 2 › que j'avais en main.

« Ceci mentionne quelque chose à propos de mon oncle. Il semble que quelque chose soit arrivé au Club de Littérature classique il y a 33 ans… Regarde à l'intérieur. »

J'ai fait ce qu'elle m'a dit et ai ouvert le livre, un avant-propos y était écrit.



Avant-propos


Et voilà qu'arrive à nouveau le Festival Culturel cette année.


Cela fait un an que Sekitani nous a quittés.

Durant cette année, Sekitani s'est inscrit dans la légende et est devenu un héros. Résultat, le Festival Culturel de cinq jours va débuter comme à son habitude.

Néanmoins, à mesure que la légende s'est éparpillée, je me suis plongée dans de profondes réflexions. Dans dix ans, les gens se souviendront-ils encore du guerrier silencieux et du gentil héros ? Tout ce que Sekitani nous a laissés, c'est cette anthologie ‹ HYÔKA ›, qu'il a nommé lui-même.

Tel un sacrifice du conflit, même son sourire suivra le cours du temps vers l'éternité.

Non, peut-être que nous ferions mieux d'oublier. Cela n'avait pas la vocation d'être un conte héroïque.

Une fois que toute subjectivité aura disparue, cette histoire deviendra un classique transcendant toute perspective historique.


Viendra-t-il un jour où nos histoires deviendront un classique pour quelqu'un dans le futur ?


13 octobre 1968 Yôko Kôriyama



« C'est… »

« Le ‹ un an › auquel ce texte fait référence correspond à il y a 33 ans aujourd'hui. Dans ce cas, le ‹ Sekitani › dont il est question doit être mon oncle. Qu'est-il arrivé à mon oncle à l'époque ? Si la réponse que mon oncle m'a donnée avait quelque chose en rapport avec le Club de Littérature classique, alors… »

Je souriais, et je ne me suis pas demandé pourquoi Chitanda ne souriait pas quand j'ai dit, « Ce n'est pas génial ? Tu devrais pouvoir t'en souvenir maintenant. »

Mais cette Chitanda sans expressions laissait s'échapper une once de tristesse et essayant d'articuler ces mots doucement,

« Mais, je n'y arrive pas. Même en étant si proche. Ma… Ma mémoire est-elle vraiment si mauvaise ? Que mon oncle m'a-t-il dit ? Que lui est-il arrivé il y a 33 ans ? »

Je ne pouvais pas savoir si sa voix étouffée venait de son rhume ou de ses larmes.

Chitanda…

J'ai décidé de parler, « Allons enquêter là-dessus. »

Je ne pensait pas l'avoir dit froidement.

L'anthologie ‹ HYÔKA Tome 2 › que j'ai repris à Chitanda date d'il y a 32 ans. Dessus était écrit l'étrange nom ‹ HYÔKA › qui lui avait été donné par Jun Sekitani, en plus d'une mention à propos d'un accident oublié.

C'était un excellente chance. Ces indices étaient comme des lumières éclairant le chemin sombre dans lequel nous marchions à tâtons. Dans le but de rendre à Chitanda son passé, j'ai fermement cru que nous ne devions pas les laisser de côté.

C'est pourquoi, je le redis encore, « Alors nous n'avons qu'à enquêter sur ce qu'il s'est passé il y a 33 ans. »

« Mais, »

Chitanda laissa tomber ses épaules.

« Mais l'avant-propos dit que les gens feraient mieux d'oublier. »

J'étais surpris de la voir s'arrêter sur des détails comme celui-ci.

« Mais tu veux t'en souvenir, n'est-ce pas ? »

« Bien sûr, mais si l'on poursuit l'enquête plus loin, »

Elle fit une pause avant de continuer, « … Si l'on poursuit l'enquête, on pourrait finir par découvrir quelque chose de déplaisant. Il y a des choses qu'il vaut mieux oublier, n'est-ce pas ? »

« … »

C'est parce que tu es trop gentille, Chitanda.

« Même quand ça date d'il y a plus de 30 ans ? »

« Ce n'est pas vrai ? »

J'hochais ma tête.

« Non. Après tout, le texte le dit lui-même, pas vrai ? ‹ Une fois que toute subjectivité aura disparue, cette histoire deviendra un classique transcendant toute perspective historique. › »

« … »

« En d'autres termes, il y a une date d'expiration pour ces choses. »

Je lui ai souri. Mais Chitanda ne m'a pas retourné le sourire, elle acquiesça doucement de la tête.

« … D'accord. »

Et donc.

Oui, et donc, je gloussais intérieurement tout en gardant le sourire. Enquêter là-dessus ne devrait pas demander trop d'efforts. Si le deuxième tome parle de ‹ l'an dernier ›, tout ce que nous avons à faire c'est de lire dans le premier tome ce qui est arrivé à Jun Sekitani. Ce sera fait en un rien de temps. J'ai du mal à décider laquelle des deux options est la plus facile : éviter ou résoudre le problème.

… J'étais naïf de penser ça. Ibara terminait de faire le tour des tomes restant quand elle dit indignée,

« Qu'est-ce que… ? Où est le Tome 1 ? »

Il me fallait un peu de temps pour digérer ce que je venais d'entendre.

Translator's notes and references[edit]

  1. Une marque de cahiers populaire au Japon - Image, Official Site
  2. 狡兎死して走狗烹らる (Kôtoshishi sôkuniraru) expressions japonaise importée directement depuis la même expression chinoise, en référence aux empereurs victorieux éradiquant impitoyablement leurs généraux après qu'ils aient accompli leur devoir en vainquant l'ennemi.
  3. Hyôka (氷菓) signifie ‹ douceurs gelées › comme de la crème glacée.


6 - Les Vieux Jours du Glorieux Club de Littérature Classique[edit]

Nous étions fin juillet et les vacances d'été avaient commencé. Aujourd'hui, j'étais à vélo en direction, comme d'habitude, du Lycée Kamiyama. Il me fallait vingt minutes pour me rendre de chez moi à l'école à pied mais je n'avais aucune idée de combien de temps cela prendrait à vélo. Je me suis arrêté pour acheter une canette de café dans un distributeur et faire une pause. J'ai ensuite suivi la rivière et tourné à l'hôpital avant d'arriver en face de Kamiyama. Je me tenais là, incrédule.

Les vacances d'été étaient supposées avoir déjà commencé.

Mais les terrains de sport étaient recouverts d'équipement et des étudiants de leur uniforme d'été. Je pouvais entendre de la musique sortant de divers instruments à vent, de guitares électriques et de flûtes en bambou. Même si le bloc spécialisé était à distance conséquente de ma position, je voyais bien que des élèves emplissaient ses corridors. Ils étaient bien sûr tous là afin de préparer le Festival Kanya. Le côté énergique de Kamiyama avait pris l'ascendant maintenant que les vacances d'été avaient commencé. Des foules gens s'agitaient dans tous les sens comme des fourmis l'air de dire : ‹ Allez les gens, le festival arrive à grands pas ! Maintenant que ces cours ennuyeux sont terminés, on peut tout donner ! ›

Je regardais tout ce petit monde débordant d'énergie quand j'ai repéré une personne trottant dans ma direction. C'était Satoshi Fukube. Il portait sur lui des vêtements normaux, une chemise à manches courts et un short, et derrière lui un petit sac à dos semblant destiné aux sportifs.

« Yo, »

« Désolé ! Je t'ai fait attendre ? »

J'écoutais gaiement la musique du club de chant a cappella en pleine répétition sur le cour central, et il fallait que Satoshi me fasse me retourner avec une voix à vous en hérisser le poil. J'ai envisagé de tourner mon vélo et rentrer, mais j'ai décidé de marcher vers lui et de feindre un coup de pied.

« Wow, Hôtarô ! D'où vient cette soudaine férocité ? »

« Tu peux parler. Tu n'as donc aucune honte à ne pas savoir quand ne pas troubler la paix d'autrui ? »

Satoshi haussa les épaule.

Il semble qu'il n'en ait bien aucune.

« Désolé, la réunion du club d'artisanat a joué les prolongations. »

« Qu'est-ce vous pouviez bien discuter de tout façon ? »

« On va tricoter un tapis mandala style bouddhiste pour le Festival Kanya. Quelques soucis sont survenus et on a dû organiser une réunion d'urgence. »

Dur, dur, tout ça. Et pas seulement pour toi, mais aussi pour Tôgaito, ou toute l'école pourquoi pas.

« Alors, tes notes sont prêtes ? »

J'ai sèchement demandé à Satoshi mais il n'a fait que renvoyer la balle dans mon camp.

« Et toi alors ? C'est pas quelque chose que tu as l'habitude de faire. Tu as quelque chose à l'esprit ? »

La question m'embarrassait un peu, j'ai donc répondu :

« Eh bien, on peut dire ça. »

« Oh ? Voilà qui est inhabituel. Normalement tu cherches des excuses pour ne pas répondre à ce genre de questions… Bon, je vais chercher mon vélo donc tiens le coup encore un peu. »

Et Satoshi partit chercher son vélo en trottinant insolemment vers le parking à deux-roues, me laissant l'attendre là.



Pour connaître la raison pour laquelle j'attendais Satoshi dehors durant un précieux jour de vacances durant lequel je devrais dormir chez moi comme si c'était la dernière fois, il fallait revenir une semaine en arrière, au jour où nous étions proches de découvrir la vérité sur Jun Sekitani alors qu'il ne nous restait plus qu'à lire le premier tome de l'anthologie de notre club, Hyôka, avant de découvrir que l'édition en question était absente du lot. Vu que nous n'arriverions nulle part sans le ce tome, je pensé que je n'aurait pas à tout mettre en œuvre pour trouver la réponse. Mais il était trop tard, j'avais déjà ouvert la boîte de Pandore sans le réaliser.

Je savais que je n'arriverais pas à dissuader Chitanda, je lui ai donc proposé un compromis. Si nous devons enquêter sur cette histoire, nous deux seuls ne sera pas suffisant. Après tout, comme on dit, on n'est vraiment plusieurs qu'à partir de trois. C'était peut-être un peu dur pour elle, mais je l'ai convaincue que nous aurions une meilleur chance avec l'aide de Satoshi et Ibara.

Chitanda finit par accepter de la tête.

« J'imagine que nous n'avons pas le choix. »

Même en aillant accepté de garder cette requête entre nous durant notre discussion au café, j'ai fini par la décevoir. Je ne sais pas si c'est parce que Chitanda réalisa vraiment que nous aurions besoin d'aide, ou parce qu'elle ne voyait plus les indices que nous avions comme important, ou encore si elle a agi sur un autre coup de tête, mais dans tous les cas, elle a demandé une réunion d'urgence entre les membres du club de littérature classique le jour suivant.

Ce jour-là, elle répéta ce qu'elle m'avait dit à moi et conclut par :

« Ce qui est arrivé à mon oncle il y a 33 ans m'intrigue vraiment. »

Ibara accepta le défi immédiatement.

« L'image de couverture m'intéresse. Si l'on peut découvrir ce qui se cache derrière, je pourrais même m'en servir comme matière à sujet de publication pour le club d'étude des mangas. »

Satoshi suivit :

« Le secret d'un conte héroïque déterré par les descendants du Club 33 ans plus tard, hein ? Figurez-vous que je recherchais des informations à propos de cette époque. »

Et approuva l'idée les deux mains levées au ciel. Bien que je n'avais aucun intention de parler vu que j'étais privé d'un quelconque droit de veto, j'ai tout de même décidé d'insérer quelques mots dans la conversation pendant que nous y sommes.

« Vu que l'on a pas encore décidé de quoi écrire dans notre essai anthologique, pourquoi ne pas se servir de l'histoire de Chitanda pour en remplir les pages… Hum, je veux dire, faire d'une pierre deux coup… Désolé, je veux dire, écrire quelque chose d'éloquent à ce sujet. »

Ma proposition économe en énergie, bien que prospective, a été acceptée unanimement. Et voilà comment enquêter sur l'incident du club de littérature classique d'il y a 33 ans est devenu la priorité numéro une du club de littérature classique d'aujourd'hui.



Satoshi roulait sur un vélo tout terrain. Il portait un short, je pouvais donc voir ses jambes et remarquer que sa musculature était plutôt vigoureuse à cet endroit, ce qui n'allait pas avec sa petite taille. Pour un polyglotte comme lui, le seul sport auquel je ne l'aie jamais su intéressé est le cyclisme.

Au passage, mon vélo est ce que l'on appelle communément un wagon familial[1], il n'y pas vraiment de remarque à faire à son propos.

Nous avons suivi la rivière, loin de la rue principale. Lentement, les espaces entre les maisons étaient remplacés par d'énormes rizières. Nous arrêtant à l'ombre d'un marchand de tabac pour échapper au soleil un instant, je sortis un linge de mon sac pour essuyer la sueur qui avait émané de mon corps le long du trajet.

Ahh, quelle agréable sueur.

Quelque chose que je ne dirai jamais. Plutôt, je me demande pourquoi les gens doivent-ils se déplacer pour arriver à destination. ‹ La révolution de l'information n'est pas encore un succès. Camarades, vous devez continuer ! ›[2]

« Satoshi, on y est bientôt ? »

Satoshi rangea son mouchoir dans sa poche et répondit :

« Yep. On y est presque. Si on se réfère à ta vitesse, bien sûr. »

Il sourit.

« Tu seras surpris en voyant leur demeure. Les Chitanda sont l'un des plus grands propriétaires de la ville. »

J'imagine que j'ai hâte. J'aimerais surtout entendre comment se passe le ménage de printemps dans un endroit comme celui-là. Après avoir essuyé plus de sueur avec mon linge, je remis mes pieds sur mes pédales et continuais d'avancer.

Une fois en route à nouveau, Satoshi pris les devants pour nous guider. Après avoir passé de nombreux feux de signalisation, nous arrivâmes sur une route en ligne droite, sur laquelle nous roulions l'un à côté de l'autre. Cela faisait maintenant un moment que nous ne voyons plus que des terres agricoles aux alentours.

Satoshi commença à fredonner gaiement en faisant tourner ses pédales. Sourire était son expression de base mais il semblait particulièrement enchanté aujourd'hui. J'ai décidé de lui demander :

« Satoshi, »

« Oui ? »

« Tu es heureux ? »

Satoshi se tourna vers moi et répondit avec joie :

« Bien sûr que oui. J'aime faire du vélo. Regarde ce ciel bleu ! Ces nuages blancs ! Peut importe à quel point ils peuvent avoir l'air monotones, la joie de les regarder sur un vélo à pleine vitesse est comme de… »

J'ai rapidement interrompu la tentative de faire une blague de Satoshi.

« J'ai cru que ta vie de lycéen était moyenne au mieux. »

Satoshi avait soudainement l'air attristé quand il répondit :

« Oh… Tu parles de cette histoire avec la teinte de rose. »

En voilà une bonne mémoire, sachant que nous avons abordé ce sujet pourquoi la dernière fois il y a pratiquement trois mois. Satoshi ralentit un tantinet et dit en regardant vers l'avant :

« Tu sais, dans l'ensemble, je pense que ma vie de lycéen est plutôt rose. »

« Je dirais plutôt quelque chose comme fuchsia fluo. »

« Haha, c'est bien aussi. Dans ce cas, la tienne est grise. »

« Tu l'as déjà dit, ça. »

M'ayant à peine fait entendre, Satoshi ne s'est pas mis à siffloter d'allégresse.

« J'ai dit ça ? Ne le prends pas mal, je ne voyais pas cela comme un insulte quand j'ai dit que ta vie de lycéen était grise. »

« … »

« Par exemple, si ma vie fuchsia fluo, alors personne ne peut la peindre en rose. Je ne les laisserai pas faire. »

J'ai raillé son visage souriant dans l'instant.

« Vraiment ? J'ai cru qu'elle avait déjà été peinte. »

« Bien sûr que non ! »

Satoshi dit cela avec une surprenante fermeté en continua :

« Elle ne l'a pas été, Hôtarô. Je suis déjà bien occupé avec le comité général du conseil des étudiants et le club d'artisanat, tu penses que j'accepterais un truc pareil ? Déconne pas. Qu'il s'agisse d'organiser le calendrier du Festival Kanya ou de tricoter le tapis mandala, j'ai apprécié chacun de ces moments. Autrement, qui voudrait sacrifier une joyeuse balade à vélo un dimanche ou ses vacances d'été pour aller à l'école ? »

« Ils n'iraient pas ? »

« Il y a des moments où une homme doit savoir prêter ses compétences et sa présence pour le bien d'une meilleure société. Mais même dans ce cas, tu ne bougerais pas d'un pouce, pas vrai ? Si quelqu'un de gris comme toi voyait un porteur de drapeau déclarer que ‹ tout le monde est rose ›, tu agiterais ta main en disant : ‹ ne compte pas sur moi. › »

Après avoir dit tout cela en une seule inspiration, il se calma un peu et continua :

« Si je voulais vraiment t'offenser, j'aurais dit que ta vie n'a pas de couleur. »

Satoshi se tut après ça. J'ai ruminé tout ce qu'il venait de dire pendant que le soleil brûlait ma peau.

« … »

Et fit un visage morne.

« Je ne vais pas dire que j'aimerais être comme toi ou quelque chose dans le genre, tu sais. »

« Nan, c'est pas ce que je voulais dire. »

Satoshi donna de la voix et ria. Il dit ensuite :

« Regarde, Hôtarô, nous sommes arrivés à la résidence Chitanda ! »



Digne de sa description, la ‹ demeure › des Chitanda se situait au milieu d'une vaste rizière. Elle était construite tel un bungalow de style japonais et entourée de haies. Le son de l'eau qui coule suggère la présence d'un étang dans le jardin, qui était lui-même entouré de pins bien taillés. Et devant le grand portail ouvert, il y avait des gens qui aspergeaient de l'eau autour d'eux de manière rituelle[3].

« Alors, qu'est-ce que t'en penses ? Plutôt impressionnant, hein ? »

Même si je n'y connaissais rien en architecture ou en jardinage japonais, Satoshi dit cela en gonflant son torse. Je n'avais aucune idée d'à quel point cette propriété était impressionnante, mais je sentais bien l'élégance et la dignité qui s'en dégageait.

J'ai jeté un œil à ma montre pendant que nous nous émerveillions sur l'endroit. Nous étions pile à l'heure… Non, il semblerait que nous étions un petit peu en retard.

« Allons-y, les filles nous attendent. »

« Ah, ouais… Mais, Hôtarô, »

« Quoi encore ? »

« On ne devrait pas attendre qu'un domestique ou deux viennent nous accueillir ? »

J'ai décidé d'ignorer sa remarque. J'ai mis le pied sur le porche et ai sonné à la porte.

« … Un instant~ »

Après cet instant, la porte nous a été ouverte par nul autre que Chitanda elle-même. Elle parlait avec sa voix habituelle, son rhume d'été devait donc être de l'histoire ancienne. Ses long cheveux étaient détaché et glissaient librement sur ses épaules, elle était habillée d'un une-pièce vert clair adéquat à la situation et la météo.

« Pardon de vous avoir fait attendre. »

Je pouvais entendre Satoshi faire claquer sa langue, probablement déçu qu'aucun domestique ne soit venu nous accueillir.

Après avoir laissé nos chaussures à l'entrée en béton, nous avons suivi Chitanda le long d'un corridor en bois.

« Où avez-vous laissé vos vélos ? »

« Où est-ce que l'on aurait dû les laisser ? »

« N'importe où convient. »

Alors pourquoi tu demandes ?

Nous avons rapidement atteint une paire de portes en papier coulissantes, une brise fraîche s'est échappée de la pièce en les ouvrant. Le plafond de cette dernière étant haut, l'air à l'intérieur agréablement frais. La pièce elle-même devait faire environ… quinze mètres carrés. C'est énorme.

« Vous êtes en retard. »

Ibara était déjà arrivée. Il semble qu'elle avait quelques affaires à régler à l'école avant de venir car elle portait son uniforme. Elle était assise à une table marron sombre qui réfléchissait la lumière de manière assez terne. Par-dessus celle-ci étaient empilées plusieurs feuilles de papier ; probablement les notes d'Ibara. Elle devait être assez motivée.

« Asseyez-vous où vous le souhaitez s'il vous plaît. »

Après que Chitanda nous en ait donné la permission, je me suis assis en face d'Ibara. Chitanda était assise à la place de l'hôte, Satoshi prit donc la place restante. C'était assez rare de voir quelqu'un avec un sac à dos s'asseoir dans une alcôve de réception style japonais traditionnel[4]. Il en sortit de nombreuse feuilles de papier. J'ai également ouvert mon sac bandoulière et sorti mes propres notes. Ibara jouait avec son stylo l'air prête à en découdre. Chitanda posa alors une pile de papiers sur la table.

« Et maintenant, »

Chitanda prit la parole,

« commençons notre réunion d'investigation. »

Nous avons tous salué en nous inclinant.



Naturellement, la réunion était dirigée par notre présidente de club, Chitanda.

« Vérifions notre agenda pour aujourd'hui. Tout a commencé avec une réminiscence de ma part. Ensuite, après la découverte de l'anthologie ‹ Hyôka ›, j'ai réalisé que ce qui est arrivé au club de littérature classique il y a 33 avait un rapport avec cette réminiscence. L'objet de cette réunion sera de spéculer sur ce qui est arrivé il y a 33 ans. En outre, tous les faits qui auront été confirmés seront utilisés comme base pour l'essai de l'anthologie du club de littérature classique de cette année. »

Bien qu'Ibara s'intéressait principalement au design de l'illustration de la couverture, elle n'avait pas l'air mécontente l'annonce de Chitanda. Peut-être a-t-elle réalisé que le dessin avait lui-même un rapport avec l'incident, ou Chitanda l'avait-elle briffée à l'avance ?

« Durant cette dernière semaine, nous avons tous collecté des documents de recherche de toute sorte. Nous allons donc exposer nos trouvailles et spéculer sur l'incident d'il y a 33 ans. Nous mettront enfin en commun tout ce que nous savons pour en déduire l'hypothèse la plus probable. »

Hein ? C'est vraiment ce qui était prévu ? Que je sache, Chitanda nous a seulement dit de ramener tout la documentation que nous pourrions trouver. Je ne me souviens pas avoir entendu quoi que ce soit à propos de déduire une conclusion… Mais j'étais visiblement le seul à être surpris, je devais donc être celui qui n'avait pas fait attention. Zut, j'imagine que je vais devoir improviser, mais j'ai un nœud à l'estomac maintenant.

Sans aucun aide-mémoire avec elle, Chitanda nous regardait un à un et nous expliquait sans saccades :

« Nous allons chacun à notre tour présenter un compte rendu de nos trouvailles, s'en suivra potentiellement des questions des autres membres, établir une hypothèse et critiquer la dite hypothèse. Poser des questions durant le compte rendu est défendu… Cette règle est là pour éviter que l'on se perde dans ce que l'on dit, vous comprenez bien. Maintenant, écoutons le premier compte rendu. »

Hé, c'est qu'elle est plutôt douée comme présidente. Qui sait, elle a peut-être un talent naturel pour ce genre de choses.

Non, elle m'a bien dit être du genre à vouloir comprendre l'entier d'un système, ce n'est pas si surprenant de la voir si bien informée des procédures dans une réunion.

« Peut-on commencer le premier rapport… Ah ? »

« Chi-chan, qui est censé commencer ? »

« Hum, qui donc en effet ? »

… Et après elle ajoute quelque chose comme ça. Je me demande vraiment si elle est facile à comprendre ou si son organisation est simplement limitée à sa propre personne. Je me suis manifesté à une Chitanda confuse.

« Peut importe. Pourquoi ne commences-tu pas ? »

Normalement, le président de l'assemblée est celui qui débute la conversation, non ? Ce n'est pas comme si Chitanda n'avait rien à présenter. Et vu qu'elle est celle à avoir décidé de la façon de procéder, elle peut montrer l'exemple pour que tout se passe sans encombres. Elle acquiesça et dit :

« Oui, tu as raison. Très bien alors… nous allons suivre le sens des aiguilles d'une montre en commençant par moi. »

Elle distribua ses notes l'instant après avoir dit cela.

Un simple coup d'œil me dit qu'il s'agissait de la source de son investigation, l'avant-propos de ‹ Hyôka Tome 2 ›. Je vois, commençons par le commencement, c'est ça ? Mais je ne dirais pas que ça colle à son style. Je relis donc ce paragraphe que je connaissais déjà.



Avant-propos


Et voilà qu'arrive à nouveau le festival culturel cette année.


Cela fait un an que Sekitani-sempai nous a quittés.

Durant cette année, Sempai s'est inscrit dans la légende et est devenu un héros. Résultat, le Festival Culturel de cinq jours va débuter comme à son habitude.

Néanmoins, à mesure que la légende s'est éparpillée, je me suis plongée dans de profondes réflexions. Dans dix ans, les gens se souviendront-ils encore du guerrier silencieux et du gentil héros ? Tout ce que Sempai nous a laissés, c'est cette anthologie ‹ Hyôka ›, qu'il a nommé lui-même.

Tel le sacrifice du conflit qu'il fut, même son sourire finirait par suivre le cours du temps vers l'éternité.

Non, peut-être que nous ferions mieux d'oublier. Cela n'avait pas la vocation d'être un conte héroïque.

Une fois que toute subjectivité aura disparue, cette histoire deviendra un classique transcendant toute perspective historique.


Viendra-t-il un jour où nos histoires deviendront un classique pour quelqu'un dans le futur ?


13 octobre 1968
Yôko Kôriyama



Après s'être raclée la gorge, Chitanda débuta son explication :

« Ce extrait nous vient de l'essai anthologique ‹ Hyôka ›. Afin de déterminer le contenu d'une édition annuelle de, une personne devrait lire l'avant-propos mentionnant les sujets abordés à l'intérieur. Cela étant dit, ce paragraphe est malheureusement la seule et unique mention de l'incident d'il y a 33 ans. Il se pourrait que le détails soient écrit ailleurs, mais nous n'avons pas le premier tome… Dans tous les cas, j'ai résumé les principales informations contenues dans cet avant-propos sur cette page… »

Qu'elle nous distribua.



  1. ‹ Sempai › nous a quittés. (D'où ?)
  2. ‹ Sempai › est devenu un héros il y a 33 ans, il était devenu une légende l'année suivante
  3. ‹ Sempai › était un ‹ guerrier silencieux › et ‹ gentil héros ›
  4. ‹ Sempai › nomma cette anthologie ‹ Hyôka ›
  5. Il y avait un conflit et des sacrifices ont été faits (‹ Sempai › = sacrifice ?)



« Waou. »

Voilà qui était bref et direct. Je n'ai pas pu m'empêcher de soupirer interrogativement, mais quand j'y pense, Chitanda peut bien être l'incarnation de la curiosité, elle est aussi une étudiante distinguée. Si elle ne savait pas si bien résumer les choses, elles n'aurait pas d'aussi bonnes notes.

Après avoir vérifié que tout le monde avait fini de lire, Chitanda continua son explication.

« Tout d'abord, ce ‹ Sempai ›, mon oncle, a quitté le Lycée Kamiyama. Le dernier diplôme qu'il ait obtenu est son diplôme du collège. J'espère que vous me suivez tous. »

Bien que ce soit la première fois que j'entende Chitanda mentionner le fait que Jun Sekitani a quitté le Lycée Kamiyama, je n'étais pas particulièrement surpris. Ce n'était pas difficile de faire le lien entre ça et la première phrase de l'avant-propos : ‹ Sekitani-sempai nous a quittés ›.

Enfin bon, elle ne sait probablement pas pourquoi son oncle a quitté le lycée… Non, elle ne sait définitivement pas. Si elle le savait, elle l'aurait déjà mentionné. En y repensant, elle a mentionné au café Sandwich à l'Ananas que les Chitanda et les Sekitani n'avaient plus de contacts entre-eux.

« Ensuite , l'avant-propos met particulièrement l'élément du temps en avant. Troisième point, fait intéressant, bien que ‹ Sempai › soit décrit comme silencieux, il est aussi décrit comme un ‹ guerrier › et comme un ‹ héros ›. Que se battait-il pour ? Le cinquième point réaffirme simplement que ‹ Sempai › s'est battu dans un conflit, est devenu un héros, et a été sacrifié. Pour ce qui est du quatrième point… Bien qu'il m'intrigue, il est sans rapport avec le sujet pour l'instant. Voilà qui conclut mon rapport. Y a-t-il des question ? »

Vu que ce n'était pas beaucoup sorti des sentiers battus, je n'ai pas grand chose à demander.

Bien qu'il n'aurait pas été inhabituel pour notre excentrique (comprenez Satoshi) de lever sa main durant une classe, lors d'un petit rassemblement comme celui-ci où tout le monde se connaît, il n'a pas trouvé utile de le faire. À sa place, Ibara s'est empressée de questionner Chitanda :

« Hum, pourquoi cette ligne, ‹ Cela n'avait pas la vocation d'être un conte héroïque. ›, n'a pas du tout été retenue ? »

Satoshi connaissait évidemment la réponse. Bien qu'il souhaitait parler, il s'est retenu et m'a regardé. Il peut être très poli quand la situation le demande, ne voulant pas interrompre Chitanda dans sa réponse.

De l'autre côté, Chitanda étant celle à qui la question a été posé, répondit immédiatement :

« Cette phrase n'était qu'un image mentale, sachant que tout le monde n'a pas forcément la même idée quant à ce qu'est un conte héroïque. »

« De plus, »

Après avoir patienté le temps que Chitanda termine sont explication, Satoshi ajouté juste derrière :

« cela veut probablement dire que ce n'était rien d'aussi romantique qu'un conte héroïque, mais que c'était plus proche d'un combat sans merci. Donc je pense que ce n'était pas seulement une image mentale. »

Ibara était convaincue d'une manière ou d'une autre.

Il n'eut pas d'autres questions.

« Je vais donc maintenant formuler mon hypothèse. »

Chitanda n'avait ni l'air confiante, ni hésitante, elle était comme à son habitude. Elle n'avait pas un seul mémo quand elle commença :

« Mon oncle a été impliqué dans un quelconque conflit, et après cela, il a quitté l'école. Je ne suis pas sûre de cela mais je pense que le conflit en question est la raison pourquoi il a quitté Kamiyama. Il y a un point supplémentaire à considérer en plus des cinq autres dont j'ai déjà fait mention : la phrase d'ouverture ‹ Cela fait un an que ›. »

« Cela veut dire que mon oncle quitta l'école un an avant le Festival Kanya. Autrement dit, pendant le festival de l'année d'avant. Une information supplémentaire, un ami fréquentant le Lycée Commercial de Kamiyama m'a raconté qu'il y avait eu un incident durant leur festival culturel l'an dernier. »

Satoshi ajouta gaiement :

« Le Déchaînement du Festival Culturel, je crois qu'ils l'ont appelé. Des stands avaient été menacé et des marchandises ont disparu. »

Chitanda acquiesça.

« Un dicton raconte qu'aussi longtemps qu'il y aura un système en place, il y aura des entités pour aller contre. Qu'il d'agisse du festival culturel ou sportif, ou de la cérémonie de remise des diplômes, il y aura occasionnellement des gens qui seront contre ces événements annuels. Encore une chose, regardez s'il vous plaît à la page vingt quatre du manuel de l'élève du Lycée Kamiyama. »

Même après qu'elle ait dit cela, aucun d'entre nous n'avais pu sortir son manuel. C'était un fait, quel élève garde-il sur lui un tel objet en permanence.

« … Y a-t-il un problème ? »

« Malheureusement, nous avons laissé nos manuels chez nous. Qu'y avait-il d'écrit à l'intérieur ? »

« … Se pourrait-il que vous ne les gardiez pas avec vous tout le temps ? Oh, ça ne fait rien. Hum, il est dit : ‹ comportements violents strictement proscrits ›. Donc, voici ma théorie. »

Chitanda continua avec toujours le même ton dans sa voix :

« Il pourrait y avoir eu une malheureuse perturbation durant le Festival Kanya de cette année-là, et il se pourrait que mon oncle y ait répondu par la force. Bien qu'il soit devenu un héros, il a dû prendre ses responsabilités vis-à-vis de son recourt à la violence. Le résultat tragique qui en découla fit qu'un éloge fut écrit par ses juniors[5]. »

… Hum…



Satoshi et moi avons réagi simultanément.

« Non, rejeté. »

« Désolé, Chitanda. »

Ibara s'est tournée, nous pas vers Chitanda mais vers nous, se demandant qu'est-ce qu'on pouvait bien être en train de penser.

« Mon hypothèse n'est pas bonne ? Pouvez-vous m'expliquer pourquoi s'il vous plaît ? »

Chitanda parlait doucement et me regardait sérieusement. J'ai haussé mes épaules et répondu :

« Tu as dit qu'il y a des gens qui iraient à l'encontre du système et perturberaient le déroulement du festival. Mais cela requiert que les stands aient quelque chose de suffisamment de valeur pour justifier le larcin. Tu te souviens ce que j'ai dit quand tu as proposer que l'on publie un essai anthologique ? »

Chitanda fit rouler ses yeux lentement.

« Tu as dit que c'était bien trop de travail. »

« Non, pas ça. Autre chose. »

« Autre chose ? Hum… Tu as aussi dit que trois auteurs c'était un peu trop, mais nous en avons quatre. »

… Devrais-je la complimenter sur son incroyable mémoire ? Comme si je le ferais. Chitanda, je reconnais ta capacité à se souvenir de tout cela, mais techniquement, quand j'ai dit cela, nous n'étions encore que trois membres.

« Quoi d'autre ? »

« … Tu as proposé des alternatives à publier quelque chose, comme, »

Elle arrive finalement où je veux en venir. Elle colla ses mains devant sa poitrine et s'est souvenue :

« Mettre en place un stand, et j'ai dit, »

« Tu as dit que les stands de vente sont traditionnellement interdit. Je m'en souviens aussi. Ce qui veut dire qu'il n'y a pas d'activités à but lucratif au Festival Kanya. Tu penses que des gens pourraient trouver quelque chose de valeur à dérober à un événement pareil ? »

Comme si elle n'était pas convaincue, Chitanda pencha sa tête intimement et dit :

« Mais il y a un possibilité. »

« Laquelle ? »

« Même si quelque chose n'a pas de valeur monétaire, il peut tout de même avoir une valeur d'une autre nature. »

Arg.

… Eh bien, elle marque un point. Si elle le dit comme ça, je ne peux rien dire.

Satoshi ria.

« Tu es sans espoir, Hôtarô. Tu ne peux pas convaincre Chitanda-san comme ça. »

« Vraiment ? Et toi alors, quel est ton argument ? »

« Quelque chose qui je sais, au moins, ne sera pas réfuté. »

Satoshi prétendit se racler la gorge et commença :

« ‹ Pour tout système existant, il y a des gens qui iront contre › ; c'est une façon intéressante de voir les choses, Chitanda-san. C'est même probablement exact. Mais les méthodes de résistance dépendent aussi de la mode des époques.
Bien qu'à plusieurs occasions des incidents ont eu lieu durant des festival culturels, et la plupart du temps, les auteurs ont agi avec l'objectif d'un gain matériel en tête. Cela ne veut pas dire que les perturbations ne peuvent pas être causées pour des motifs immatériels. Tu dois garder en tête que c'est arrivé il y a 33 ans, l'hypothèse de l'appât du gain comme motif de perturbation est très improbable. »

La mode des époques ? Comme dans style de résistance ?

Qu'est-ce qu'il essaie de dire ? Je pouvais sentir quelque chose derrière sa tête. Ibara et Chitanda l'ont également senti, elles regardaient perplexe notre ami.

« … Pourquoi ça ? »

Ibara poussa Satoshi à continuer qui se contentait de son importance toute trouvée et ne disait plus rien. Satisfait, il hocha sa tête et dit :

« Cela ne vous frappe probablement pas si je dis 33 ans en arrière. Mais si je dis les années '60 ? »

Satoshi prit un air triomphal. Normalement, je ne m'aviserais pas de gaspiller autant d'énergie à essayer de rivaliser avec lui en termes de connaissances générales, mais c'est juste déprimant de le voir d'aussi bonne humeur quand il fanfaronne avec. Malheureusement, l'histoire n'est pas ma tasse de thé.

« Alors, Mayaka ? Tu as une idée maintenant ? »

Ibara était probablement dans le même bateau que moi. Elle prit une pose résignée et serra ses poings.

« Désolée, Fuku-chan. Rien ne me vient à l'esprit. »

« Vraiment ? Et si je rajoute Bâtiment de la Diète nationale à Tokyo ? … Vous voulez plus d'indices ? Est-ce que affiches et manifestations font-ils sonner une cloche dans votre tête ? … Je parle du mouvement étudiant là. »

« Hein ? »

Nous étions tous désorientés.

Alors que je tentais de découvrir quelle genre de blague il essayait de faire, Satoshi n'avait pas l'air découragé le moins du monde. J'ai glissé une plaisanterie à mon tour :

« Satoshi, pourquoi est-ce que tu t'es tout d'un coup lancé dans un leçon d'histoire japonaise moderne ? Si tu veux jouer aux questions-réponses avec nous, on peut le faire après avoir réglé le problème actuel. »

Mais Satoshi resta sérieux et dit :

« Eh bien, je suis en train d'essayer là. Écoutez, ce genre de violence à l'école dont il est fait mention dans l'hypothèse de Chitanda-san était plutôt banal dans les années '60. C'était une époque où il y avait des montagnes de conflits entre mouvements pro-ceci et mouvements anti-cela, donc quelqu'un peut avoir imité leurs actions et s'être défoulé sous ce prétexte. Ce n'était pas un cas à part. »

« … Dis pas ça comme si t'y avais été. »

« Je te l'ai dit, ça fait un moment que je fais des recherches sur cette période. »

Satoshi me montra son habituel sourire d'invincibilité.

Hum, même sans le petit cours d'histoire de Satoshi, je pense avoir plus ou moins compris. Cela n'avait rien de choquant qu'un incident ait lieu durant le festival culturel, il y a 33 ans. Bien que je n'avais aucun moyen de vérifier la véracité de ce propos sans une sorte de capacité d'investigation (pas que je m'en soucie vraiment), les blagues de Satoshi mises de côté, cette théorie n'est pas inconcevable.

« … Hum, je vois… Il est vrai que je n'ai pas pris en considération l'histoire contemporaine… »

Chitanda semblait bouleversée par les attaques de Satoshi sur ses points faibles. Son hypothèse avait maintenant autant de chances de survie que la flamme d'une bougie face au vent.

Cela dit, Ibara prit la parole avec enthousiasme en soutien à Chitanda :

« Excuse-moi, Chi-chan, »

« … Quel est le problème ? »

« Je suis désolée mais ta théorie ne tiendra probablement plus une fois que j'aurai exposé ce que j'ai trouvé. Je suis la suivante, donc si possible, je vais continuer où tu t'es arrêtée. »

Pour être honnête, j'étais un peu énervé. Pourquoi fallait-il que tu dises quelque chose d'aussi inutile, Ibara ? Mais Chitanda souria gentiment et dit :

« Ne le sois pas, mon hypothèse n'était déjà plus viable après examen. »

Une attitude respectable.

« Quoi qu'il en soit, je dois renoncer à mon hypothèse pour l'instant. Écoutons donc maintenant ce qu'Ibara-san a à nous dire. »

Personne ne s'y opposa. Il avait été sage de commencer par Chitanda. Vu qu'elle a désisté de sa propre théorie, c'est au tour d'Ibara de nous convaincre que la sienne est la bonne. Étant une personne prudente, Ibara parlera sûrement d'une manière simple à comprendre.

« Eh bien, nous t'écoutons, Ibara-san. Si tu veux bien commencer. »



Les fiches qu'Ibara nous a distribuées étaient, comment dire, elles étaient écrite d'une manière totalement différente et facile à comprendre. Les polices et la typographie étaient chic, bien que leurs manque de courbe rendait les mots difficiles à lire. Les lignes suivantes étaient écrites sur le papier format B5 :



En d'autres mots, nous, les masses, pouvons continuer nos activités indépendantes et anti-bureaucratiques sans obstruction. Mais cela n'était en aucun cas une dérive vers la violence.

Malgré le conflit majeur qui a eu lieu en juin dernier, grâce au soutient héroïque du président du club de littérature classique, Jun Sekitani, envers notre pragmatisme audacieux, la vue du pouvoir en place se ridiculisant face à leurs calculs qui s'étaient retournés contre eux est restée fraîche dans nos mémoires.



« Ceci est l'une des vielles anthologies du club d'étude des mangas. Elle s'appelle ‹ Unité et Salutations Tome 1 ›, bien qu'il n'y ait eu en fin de compte que deux tomes de publiés au total. Tout comme le livre de Chi-chan, elle a également été publiée il y a 32 ans. J'ai pensé que si ‹ Hyôka › mentionnait l'incident, je trouverais peut-être quelque chose en cherchant à la bibliothèque. Comme je m'y attendais, peu de club ont survécu plus de 30 ou 40 ans. J'ai d'abord pensé que le club d'étude de mangas n'existait sûrement pas encore à cette époque mais je suis finalement tombée sur ceci… Incroyable, n'est-ce pas ?

Je n'avais aucune idée de si la découverte de cette anthologie était ce qu'elle trouvait incroyable ou alors il s'agissait de l'anthologie elle-même. Unité et Salutations… C'est donc ce genre de titres qu'ils utilisaient à l'époque ? J'étais méfiant à cette idée. Et ce style de prose qu'ils utilisaient à l'époque ! Ça ressemble plutôt à ce que le club de littérature utiliserait.

D'un autre côté, il était clair pourquoi la théorie de Chitanda ne tenait plus. Tout simplement, le festival culturel du Lycée Kamiyama a lieu chaque année au mois d'octobre, et ce passage mentionne que l'incident a eu lieu en juin. On voit ce qu'Ibara sous-entendait.

Ibara sortit un bloc-notes style universitaire de la poche de son uniforme.

« Désolée, je n'ai pas écrit de résumé comme Chi-chan, je vais juste le dire à voix haute. D'abord, ‹ nous, les masses, › a été accusé d'être anti-institutionnel. Une ‹ quéraile ›[6] a eu lieu durant le mois de juin de l'année précédente. Ils ont été assistés par Jun Sekitani, et ont recouru à une quelconque forme de pragmatisme grâce à cela. Ce qui a mis dans l’embarras le ‹ pouvoir en place ›. Le reste du passage peut être intéressant mais ne semble pas avoir un quelconque lien avec l'incident. »

Je n'avais aucune objection quant à ces affirmations mais qu'est-ce que c'est qu'une ‹ quéraile › ? J'ai cherché à travers tout le vocabulaire contenu dans ma tête mais n'ai rien trouvé. Pas que mon vocabulaire soit particulièrement riche.

Pendant que je me demandais ce que ça pouvait vouloir dire, Chitanda prit la parole dans cette réunion :

« En as-tu terminé avec ton rapport ? »

« Oui. »

« Alors… Des questions ? »

J'ai immédiatement demandé :

« Qu'est-ce que ‹ quéraile › veut dire ? »

Satoshi m'a demandé peu après :

« Qu'est-ce que tu veux dire par ‹ quéraile › de toute façon ? »

Pourquoi toi, tu es celui qui devrait le savoir. Il a ensuite pris ma copie de ‹ Unité et Salutations › et a pointé du doigt un mot dessus.

« C'est ça qu'elle veut dire, ‹ conflit ›. »

Alors il savait ce que ça voulait dire. Sans regarder la copie qu'il avait dans les mains, il a continué sans délai :

« Ça devrait se lire ‹ que-relle ›, comme dans ‹ querelle sanglante ›, un conflit âpre. »

Mais Satoshi n'était pas en train de m'apprendre quoi que ce soit. Bien qu'il me regardait, il semblait plutôt durement critiquer ma mauvaise prononciation du mot, et j'ai réalisé qu'il m'utilisait pour critiquer indirectement Ibara. Qu'il le fasse bien ou non, Satoshi savait se montrer délicat. Mais je n'avais aucune intention de l'aider, j'ai persisté :

« Désolé, je sais que j'ai seulement 15 ans de vocabulaire, mais je n'ai jamais vu ce mot où que ce soit. »

« Bien sûr. Normalement, on aurait plutôt utilisé les mots ‹ conflit › ou ‹ dispute ›. Il semblerait que ‹ querelle › était un mot plutôt populaire à l'époque. Il est encore utilisé de nos jours mais principalement par des yakuzas. »

Je vois, maintenant qu'il le dit… Des mots comme ‹ se diriger › pour dire ‹ aller mettre une raclée à quelqu'un ›, leur usage sonne ancien et élégant mais pas vraiment à la fois.

Satoshi racla ensuite sa gorge bruyamment et ajouta :

«… Mais cette anthologie, on croirait avoir une imitation. »

Ibara a réagi d'une voix agacée.

« Qu'est-ce que tu veux dire par ‹ imitation › ?

Satoshi laissa s'échapper un gémissement. Normalement, il était confiant dans ses bluffs, il était donc rare de le voir troublé au point de répondre docilement :

« Non, je ne dis pas que c'est un faux.

Bien sur qu'il n'est pas faux ! Comment dire? Basiquement, l'auteur du passage ne semble pas du tout avoir pris part aux événements mentionnés. On dirait plutôt qu'il était allé voir un événement sportif entre des équipes universitaires et qu'il avait écrit à quel point il avait été impressionné. Ce n'est pas un faux, c'est… »

J'ai demandé :

« Alors, qu'est-ce que c'est ? »

« Ah, non, rien, juste mon imagination. Désolé, Chitanda-san, pouvons-nous continuer ? »

La présidente acquiesça et tout le monde consentit.

« Eh bien, y a-t-il d'autres questions ? »

Il semblerait que non. Ibara avait l'air nerveuse quand elle commença à frénétiquement chercher dans ses notes, pour annoncer son théorie.

« Hum, très bien, voici mon hypothèse. Bien qu'elle rejette la théorie de Chi-chan. Vous allez comprendre en entendant. »

Vu que juin et octobre étaient bien trop éloigné, un silence lui fit part de notre accord.

« L'auteur mentionne que les plans du pouvoir en place se sont retournés contre eux grâce aux pragmatistes. Le résultat fut le départ du président du club de littérature classique comme il l'est mentionné dans ‹ Hyôka ›.

Maintenant quelle action des pragmatiques provoqua son départ ? Je concorde avec Chi-chan sur ce point : la violence. S'il s'agissait d'un événement récent, cela aurait pu être des vitres brisées mais Fuku-chan aurait probablement quelque chose à en dire. Les victimes seraient… le pouvoir en place. Pour ce qui est de l'anti-institutionnel, on entend souvent cela quand on parle d'aller contre le gouvernement, donc quelque chose dans ces eaux. Le reste est simple, le président du club de littérature était à leur tête et affronta les enseignants, et enfin… »

Elle serra ses poings et feignit un coup de poing.

« ‹ Ping ›, leur en colla une. Mais on ne sait pas s'ils ont été agressés sérieusement ou pas, ils ont du faire quelque chose de similaire. Bien sûr, ce n'était pas leurs intentions. Le premier paragraphe que j'ai mis en évidence est important. Basiquement, il souligne leur volonté d'indépendance. Pour une raison ou une autre, il y a 33 ans, leur indépendance était menacée, et pour la protéger, le président du club de littérature n'avait d'autre choix que d'organiser la résistance. »

Ibara termina en fermant son bloc-notes et en regardant dans notre direction.



« Hum… C'est frustrant. »

La présidente, qui devait être en train de digérer ce qu'elle venait d'entendre, pensa à voix haute. J'ai exprimé mon accord de la tête.

« Frustrant ? Qu'est-ce qu'il l'est ? »

Chitanda répondit :

« Ibara-san, ce que tu viens de nous dire tourne autour de comment les enseignants ont menacé la manière de vivre des étudiants, et ont les conduits à avoir recours à la violence pour résister à cette menace, c'est cela ? »

Ibara réfléchit un instant avant de répondre :

« Oui, c'est exact. »

« Néanmoins, comment devrais-je te le dire, bien que j'en comprenne certaines parties, je ne comprends pas l'ensemble. »

Bien que je comprenne en partie ce que tu veuilles dire, dans l'ensemble, je ne comprends pas non plus ce que tu viens juste de dire. Comme je l'ai dit, ce n'était pas totalement incompréhensible. Elle voulait simplement dire que la théorie d'Ibara n'est pas très convaincante. J'ai ajouté au commentaire de Chitanda :

« Ton hypothèse est trop abstraite. D'ailleurs, un peu plus et tu ne fais qu'analyser le passage. »

« T'as raison. C'est un peu ça, mais… »

Même en l'ayant admis, Ibara ne voulait pas se laisser démonter.

« Attendez, vous voulez dire qu'il y a une contradiction ? »

Il semblait qu'elle souhaitait défendre sa théorie un peu plus que Chitanda.

Malheureusement, j'avais remarqué une contradiction.

« Yep. »

J'ai dit cela en me redressant. Ça n'avait rien à voir avec l'ambiance un peu tendue vu que l'on devait se contredire les uns les autres. Mes jambes commençaient à s'engourdir, c'est tout.

« Pour faire simple, tu as rejeté la théorie de Chitanda en disant que l'incident avait en lieu en juin et non pas pendant le festival culturel, en octobre. Toutefois, si l'on vient à croire ‹ Hyôka › et ‹ Unité et Salutations ›, bien que l'incident ait eu lieu en juin, le départ aurait eu lieu en octobre. Mais la théorie de Chitanda ne fait aucune mention de cela. Mais ne trouves-tu pas étrange que l'on ait attendu quatre mois pour exclure quelqu'un ayant eu des comportements violents ? »

Si le cas avait été laissé en attente pendant ce temps, ce serait une autre histoire, j'ai ajouté dans ma tête.

« Mais, c'est, »

Ibara semblait avoir compris mais retorqua.

« Il se pourrait que ‹ Hyôka › soit inexact. ‹ Unité et Salutations › mentionne clairement le mois de juin alors que ‹ Hyôka › se contente de mentionner ‹ Cela fait un an que… ›. L'incident peut avoir eu lieu en juin, suivi du départ durant le même mois, et le festival en octobre. Ce n'est pas trop irraisonnable comme possibilité ? »

Une marge de quatre mois, hein ? Ça sonne bien comme un des arguments tirés par le cheveux d'Ibara.

Pendant que j'hésitais, Chitanda et Satoshi ont présenté leurs jugements respectifs.

« Je pense que l'on ne peut pas ignorer un intervalle aussi long. »

« Moi aussi. Le festival culturel était mentionné juste avant la phrase ‹ cela fait un an que › après tout. Donc je pense que son départ a bien eu lieu durant le mois d'octobre. »

J'ai acquiescé silencieusement, les deux autres ont exprimé leur accord.

Trois contre un. Ibara avait l'air contrariée.

« Ugh—, vous faites trop attention aux détails. »

Bien que cette réaction mignonne ne collait pas tellement au personnage, elle aida à alléger un peu l'atmosphère. Satoshi essaya d'aider à faire passer la pilule en disant dans un ton bon enfant :

« Mais je pense que ton approche au moins était bonne. »

Chitanda fit disparaître son regard sérieux et approuva d'un sourire.

« En effet. Les critiques n'ont pas à être trop catégoriques. »

Je pense aussi. Comment dire, c'était comme de suivre une carte au milieu d'un labyrinthe dans le brouillard et se frustrer si quelque chose ne se passe pas comme prévu. Si ‹ Hyôka › et ‹ Unité et Salutations › étaient notre seule documentation, la théorie d'Ibara ne serait pas si limitée. Il ne restait maintenant plus que les données de Satoshi et moi pour en terminer. Et si une quelconque contradiction fatale était découverte, je n'aurais plus qu'à trouver une solution avant mon tour.

Maintenant que j'y pense, de quoi parlaient mes notes déjà ? Tout ce que je savais c'était que nous devions préparer matière à parler, mais je n'ai pas vraiment fait le tour du contenu des miennes.

« J'imagine que mon tour est terminé ? »

Chitanda acquissa à la question d'Ibara.

Suivant le sens des aiguilles d'une montre, le suivant devrait être Satoshi. Sur la demande de Chitanda, il commença a distribuer ses notes. Il s'est soudainement arrêté avant de joyeusement dire :

« Ah, c'est vrai. J'ai oublié de dire que certaines de mes notes contredisent l'hypothèse de Mayaka. »



Les fiches que nous avons reçues étaient des copies du ‹ Mensuel de Kamiyama ›. Ça me rappelle que Tôgaito nous avait dit qu'il approchait leur 400ème publication. S'ils en publient une dizaine par année en moyenne, cela veut dire que le journal existe depuis bien 40 ans. J'aurais dû réaliser qu'ils devaient forcément avoir une édition d'il y a 33 ans… L'un des articles était entouré d'un cercle au stylo.

Seule une petite partie de la copie avait un lien avec notre sujet mais elle était clairement suffisante pour réfuter la théorie d'Ibara. Telle était la base de la confiance qu'avait Satoshi quand il dit cela. Il essayait peut-être de maintenir une certaine uniformité dans le déroulement de la discussion… Jetant un rapide coup d’œil à Ibara, elle avait une expression assez peu claire au visage. Ce n'était ni du bonheur, ni du mécontentement. C'était à prévoir avec Satoshi qui commençait son explication en commentant sa théorie et non pas celle de Chitanda. Mais Satoshi ne faisait qu'imiter Ibara et la façon qu'elle a eu de réfuter l'hypothèse précédente. Naturellement, c'était une facette habituelle de son humour.



 ▼ En conséquence aux perturbations dans le bloc spécialisé, la semaine dernière, qui a sali l'honneur et la fierté des clubs artistiques du Lycée Kamiyama, deux des responsables ont été suspendu et cinq autres ont reçu un sérieux avertissement. ▼ Bien sûr, l'honneur existe également chez les voleurs. Le club d'étude de la cinématographie a affirmé qu'ils allaient pas rester muets à cette punition sévère. Le club de photographie a quant à lui fermement déclaré être à 100 % innocent. Notre rédaction n'ira pas jusqu'à confirmer la véracité de ce propos. Reste le problème du fait que ce conflit ait été résolu avec les mains. Ignorant les efforts faits pour le résoudre par le dialogue, certaines personnes aux pensées extrémistes ont décidé de choisir la voie facile mais pathétique de la violence. ▼ Nous encourageons fortement les membres de troisième année du club d'étude de la cinématographie à se repentir de leur agression insensée contre Yukiko Sachimura-san (club de théâtre moderne, classe 1-D), qui était la médiatrice durant la négociations. À l'heure où nous publions ceci, Sachimura-san est actuellement hospitalisée.▼ Les mouvements légendaires d'il y a deux ans n'auraient jamais eu recours à une telle violence. Même si les événements récents nous rendent tous furieux, nous ne devons pas les laisser faire voler en éclat notre solidarité, notre mouvement de désobéissance civile doit persévérer. ▼ Uniquement à ce moment-là nous pourrons vivre conscients d'être à la hauteur de nos traditions et notre honneur.



Satoshi commença à expliquer calmement :

« Mes trouvailles nous viennent d'une ancienne édition du ‹ Mensuel de Kamiyama ›. Je suis tombé sur ce document qui hibernait dans les archives de la bibliothèque. J'ai donc décidé de le lire pour tuer un peu le temps après les cours. Néanmoins, il ne fait aucune mention directe de l'incident d'il y a 33 ans, et ceci est tous ce que l'on peut en tirer. Pour être honnête, je pense que nous tournerons en rond avec ce papier. C'est une ancienne édition mais elle est à moitié illisible dû aux mauvaises conditions de conservations et il y a toutes sortes de notes écrites dessus au stylo-feutre. Mais on y peut rien donc voici les points principaux : »



◯ L'incident n'a pas été résolu par la violence.
◯ L'incident a concerné et affecté toute l'école.
◯ Durant cet incident, ‹ nous › se sont unis.
◯ De la désobéissance civile a été observée tout au long de l'incident.



« Les premier et dernier points peuvent sembler contradictoire mais ils sont lié à la même chose. Puisque l'incident n'a pas été résolu par la violence, c'est ici que la théorie de Mayaka a besoin d'être revue. Les deux points du milieu sont veulent pratiquement dire la même chose. Même s'il n'est pas sûr que ce ‹ nous › soit bien toute l'école, je pense que l'on dire sans problème que cela n'a pas grande importance. »

Vraiment… ?

Je n'étais pas vraiment satisfait de cette explication. Comme s'il l'avait senti, Satoshi ajouta :

« Je veux dire, si ‹ nous › veut dire toute l'école, alors tout le corps étudiant est impliqué. Sinon, cela veut tout de même dire que ‹ nous › a décidé de soutenir quiconque cela concerne. J'ai pas raison ?

Je vois.

« Voilà qui conclue mon rapport. Des questions ? »

Un silence s'en suivi. Chitanda demanda encore une fois pour être sûre :

« … Y a-t-il des questions ? »

Ah ouais. J'ai pensé à quelque chose et ai donc levé ma main.

« Satoshi, ce ‹ mouvement légendaire › mentionné ici, est-ce qu'il est totalement différent de l'incident qu'on est en train d'investiguer ? C'est pas clair en ayant que ce document. »

Je demandé cela dans le but de confirmer quelque chose. Comme prévu, Satoshi hocha sa tête.

« Je ne sais pas. Il n'y a aucune preuve qu'il s'agisse bien de l'incident que l'on cherche. »

« Tu ne sais pas, tu dis… »

Bien qu'il avait dit cela calmement, sa réponse était plutôt téméraire. Bien que ses connaissances étaient riches et profondes, il peut être plutôt indifférent à comment s'en servir…

« Alors tes informations sont pratiquement inutiles. »

« En effet, c'est aussi ce que j'ai pensé. »

« Comment ça, c'est aussi ce que tu as pensé ?! »

Ibara interrompit :

« Il n'y a aucune preuve pour pilier après tout. »

« Vraiment ? »

« Un tollé conséquent a été causé par l'incident que l'on cherche, pas vrai ? Nous savons cela grâce aux anthologies de deux clubs. Cet incident et le ‹ mouvement légendaire › sont deux événements différents puisque même s'ils sont similaire, l'un d'entre eux est clairement décrit comme ‹ légendaire › ici, n'est-ce pas ? »

Satoshi tapa ses mains ensemble.

« Ah, c'est vrai. Donc c'est pour ça. T'es incroyable Mayaka. »

Non, je doute que tu aies ne serait-ce qu'essayé d'y réfléchir. Je vois, ce que dit Ibara est bien vrai. Quand on réfléchit logiquement, si on ne peut pas confirmer que deux objets sont les mêmes, alors on présume qu'ils sont différents. De plus, je ne gaspillerais pas mon énergie dans le seul but de trouver des preuves. J'ai fait signe de la main que j'acceptais cette explication.

Il n'y avait pas d'autres questions.

« Alors, écoutons ton hypothèse. »

Mais Satoshi révéla un sourire amer en entendant cette requête.

« Hum, un hypothèse, hein ? »

« Y a-t-il un problème ? »

« Chitanda-san, je ne souhaite en aucun cas perturber le déroulement de la réunion, mais je ne crois pas être en mesure d'établir une quelconque théorie. Bien que j'aie dit que ne ferions chacun nos recherches, tout ce que j'ai trouvé c'est ce document… Le mieux que je pouvais faire c'était amender la théorie de Mayaka. Après tout, »

Je savais que Satoshi allait nous sortir une de ses devises : On ne peut tirer aucune…

« On ne peut tirer aucune conclusion à partir seulement de bases de données. »



En fin de compte, Satoshi n'avait aucune hypothèse. On n'y peut rien j'imagine. Ce n'est pas comme si j'attendais grand chose de sa part au début.

À présent, le problème reposait sur moi. Mince, maintenant je regrette de ne pas avoir lu mes documents. J'avais déjà une théorie en tête cependant, j'ai donc ignoré mon mal-être et ai pris en main la réunion.

« Eh bien alors, Oreki-san, tu peux commencer. »

J'ai acquiescé et distribué les copies en jetant un œil à ma propre copie en même temps. Tout comme Satoshi, le contenu ne relatait pas en majorité à l'incident. C'était juste une liste de faits ennuyeux ; les informations que j'avais cherché.



1967


Événements au Japon et dans le monde.

  • Le produit national brut du Japon dépasse les 45 billions de yen et le pays devient la troisième économie du monde capitaliste. La prise de la deuxième position à l'Allemagne de l'Ouest est attendue pour 1968
  • La foudre frappe un groupe d'étudiants du Lycée Fukashi à Matsumoto, préfecture de Nagano, alors qu'ils faisaient une randonnée au Mont Nishiho[7], faisant 11 morts.
  • L’activisme étudiant à l'Université Waseda s'intensifie avec des étudiants participants des rassemblements massifs.

Événements aux Lycée Kamiyama.

◯ Avril : Dans un discours du directeur Takasu Eida : ‹ Nous ne devons pas nous autoriser à être complaisants et laisser notre école stagner. La culture du talent devrait être la priorité absolue du système éducatif. L'enseignement secondaire se devrait de préparer ces talents à l'enseignement supérieur. › Allusion à un changement de la direction de l'école.
◯ 13 juin : ‹ Comité d'examen du festival culturel › tenu après les cours.
◯ Juillet : ((voyage d'étude)) en Amérique (Organisé par Manninbashi-sensei)
◻ 13 au 17 octobre : festival culturel.
◻ 31 octobre : festival sportif.
◻ 15 au 18 novembre : voyage d'étude des deuxièmes années – Takamatsu, Miyajima et Akiyoshidai.
◯ 2 décembre : À la lumière des récents accidents de la circulation consécutifs, les étudiants doivent se déplacer en groupe afin d'assurer leur sécurité mutuelle.
◯ 12 janvier : Le cagibi des équipements de sport a été partiellement endommagé par les fortes chutes de neigee.
◻ 23 au 24 janvier : Sorties à ski des premières années.



« Hôtarô, c'est… »

J'ai répondu, aigre :

Ouais, ça vient de ‹ Lycée Kamiyama : 50 ans de marche commune ›. C'est comme vous l'avez vu… »

Ayant vu comment les trois autres avaient présenté leur matériel, si je voulais les imiter, il me fallait résumer le contenu.

……

… Mais il n'y a pas vraiment matière à résumer.

Ce n'est pas comme si j'avais amené ce matériel avec de grandes idées derrière la tête. En le regardant d'un autre œil, il n'avait même pas grande signification en soi.

Les instants suivants se sont écoulé avec moi cherchant quoi faire ensuite. Vu qu'il ne s'agissait que de la demande d'une étudiante, et une tâche de club, je n'allais pas me crisper. C'était plus mon style de dire ‹ Désolé les gens, je n'arrive à rien. › et laisser Chitanda et Ibara prendre les choses en mains.

Mais même cette option était un peu trop grise pour moi.



« Excusez-moi. Avant de continuer, je dois aller à la salle de bain. »

Chitanda n'a pas pu s'empêcher de glousser.

« Oui, bien sûr. »

« T'es nerveux ? »

Dit Satoshi comme s'il cherchait à me calmer, mais je n'avais pas l'intention de lui laisser ce plaisir. Chitanda se leva et me montra le chemin. En la suivant, j'ai glissé nonchalamment ma copie dans ma poche.

J'ai commencé à réfléchir en arrivant à la large salle de bain.

Quatre copies de papier. Quatre pièces de documentation.

Et après, le débat qui s'en suivra.

Quelle est la réponse qui les lie tous ? Que s'est-il passé il y a 33 ans ?

Je me plongeais dans mes réflexions…

Et suis finalement arrivé à une conclusion.



« Désolé les gens, comme je n'ai pas suivi la même démarche que vous, je n'ai pas cherché d'hypothèse. Donc est-ce que je peux juste sauter à la conclusion comme je suis le dernier à parler ? »

En entendant ma suggestion, Satoshi sourit malicieusement.

« Hôtarô, t'as quelque chose en tête ? »

« Arrête de lire dans ma tête… De toute façon, je vais expliquer brièvement. »

« Je, »

Chitanda prit une inspiration avant de continuer.

« Brièvement, ce n'est pas assez suffisant. S'il y a quelqu'un qui peut arriver à une hypothèse sans aucune contradiction, c'est toi, Oreki-san, »

……

Eh… Eh bien, je ne sais pas pour cela.

« Laisse-nous écouter ta théorie, Oreki-san. »

« Oui, allez. Dis-nous tout de suite. »

« Après tout ce qu'on a discuté, je suis assez impatient aussi. »

Ils n'en font tous qu'à leur tête… Même si je ne suis pas vraiment sous pression, c'est assez difficile de parler quand ils me fixent tous comme ça. Bon alors, par où est-ce que je commence ? J'ai réfléchi un instant et dit :

« Très bien, on va y aller par la bonne vieille méthode des six questions. Quand, où, qui, pourquoi, quoi, comment… Je n'en ai pas oublié, n'est-ce pas ?

Chitanda acquiesça.

« Bien. Tout d'abord, ‹ quand ›. Nous savons que c'est arrivé il y a 33 ans, mais nous ne savons pas si c'est arrivé en juin ou en octobre. Si ‹ Unité et Salutations › est exact, alors ce serait juin, mais selon la description dans ‹ Hyôka ›, on croirait plus à octobre. Néanmoins, vu que les deux sources sont assez sûres, je dirais que l'incident a eu lieu en juin et le départ de ‹ Sempai › en octobre. »

L'air mécontent, le sourcils d'Ibara se dressèrent car j'avais il n'y a pas si longtemps mis en évidence les contradictions dans sa théorie. Je l'ai ignorée et ai continué.

« Ensuite, ‹ où ›. Cette fois-ci, la réponse est claire : au Lycée Kamiyama. ‹ Qui ›. D'après ‹ Unité et Salutations ›, nous savons que le personnage principal est Jun Sekitani, le président du club de littérature classique de l'époque. Permettez-moi de développer un peu ici : le personnage principal est en fait l'entier du corps étudiant, Sekitani n'étant qu'un des nombreux protagonistes. »

Bien que j'étais assez certain de n'avoir commis aucune erreur jusque là, je jetais occasionnellement un coup d’œil à mes notes en parlant. Tout vas bien jusqu'ici. On passe au choses sérieuses maintenant.

« ‹ Pourquoi ›. Si l'entier du corps étudiant était uni, alors leur adversaire devrait naturellement être le corps enseignant. Pour citer Ibara, ‹ leur indépendance était menacée ›.

Et la cause de l'incident est le festival culturel lui-même. »

En présentant ma conclusion, je pouvais tous les sentir me dévisager avec de regards interrogatifs. Je me suis senti comme si je pouvais avoir une arrêt cardiaque à tout moment.

« … C'était mentionné quelque part ? »

« Bien qu'il soit mentionné que l'exclusion a eu lieu pendant le festival culturel, rien ne nous dit qu'elle ait un quelconque rapport avec le festival lui-même. »

J'ai hoché ma tête.

« Non, ça a tout à voir avec le festival. Ma conclusion vient d'une conversation qu'ont eu les étudiants avec les enseignants et la direction, qui amena le festival culturel à avoir lieu en octobre comme d'habitude. »

Le regard de Satoshi s'orienta vers ‹ Lycée Kamiyama : 50 ans de marche commune › et commenta :

« Tu parles de ce ‹ comité d'examen du festival culturel ›, n'est-ce pas ? Mais pourquoi tu crois que c'est la cause de l'incident ? Mais même sans ce truc, le festival culturel aurait quand même eu lieu comme chaque année, non ? »

« Non, tu fais erreur. Vu que j'ai pris le temps de copier du contenu de ce document, regarde plus attentivement. »

Pas seulement Satoshi mais Chitanda et Ibara ont aussi jeté un œil, puis :

« Chaque événement est marqué d'un carré ou d'un cercle ! »

«… Je comprends ! Les carrés indiquent des événements réguliers alors que les cercles des événements qui n'ont eu lieu que cette année-là ! »

« C'est presque ça. Tu trouverais probablement ce genre d'événements qui ne collent pas avec les événements habituel dans l'historique d'autres années. »

Je suis ensuite passé de mon document à ‹ Hyôka › et continuai :

« Pourquoi y avait-il ce comité d'examen il y a 33 ans ? Pour répondre aux exigences des étudiants concernant le festival culturel. Quelle demande pouvait avoir provoqué la mise en place d'un tel comité ? Un indice se trouve dans ‹ Hyôka ›. »

J'ai pris un style à bille et souligné quelques mots.

« Ici, ‹ Durant cette année, Sempai s'est inscrit dans la légende et est devenu un héros. Résultat, le Festival Culturel de cinq jours va débuter comme à son habitude ›, vous ne trouvez pas un détail étrange dans cette ligne ? »

Vu que personne de dit quoi que ce soit, j'ai continué :

« Nous savions que le festival culturel aurait lieu comme d'habitude. Alors pourquoi l'auteur aurait-il ajouté un détail aussi inutile ? Notre attention ne devrait pas se diriger vers ‹ comme à son habitude › mais vers ‹ cinq jours ›. »

«… De quoi tu parles ? Je ne comprends pas. Je ne vois pas où tu veux en venir, Oreki. Ils ont quoi ces mots ? »

« Je dis que la prouesse du héros est d'avoir fait que le festival culturel aurait lieu pendant cinq jours. Retournons un instant sur le document ‹ Lycée Kamiyama : 50 ans de marche commune › et observez le discours du directeur en avril. Si on le prend littéralement, c'est juste un message d'encouragement pour que les élève se concentrent sur leurs activités académiques. Néanmoins, j'aimerais que vous lisiez entre les lignes.

Le festival culturel de notre école est tenu durant la semaine, pendant cinq jours entiers. C'est particulièrement long quand on compare au festival d'autres écoles. C'est pourquoi le festival est devenu le symbole de nos activités de club. Et si le directeur insinuait que les étudiants devraient se concentrer plus sur leurs études que leurs clubs… Cela amènerait le festival à être raccourci. Mais les étudiants iraient évidemment contre. Voilà pourquoi ils étaient ‹ furieux ›. Voilà la cause de l'incident — le ‹ pourquoi ›.

J'ai soupiré et remarqué que je commençais à avoir la gorge sèche. Je voulais une tasse de café d'orge… Mais je vais d'abord en finir avec ça, je ferai avec ma salive pour l'instant.

« Maintenant, ‹ comment ›. ‹ Grâce au soutient héroïque du président du club de littérature classique ›, les étudiants ont pu faire mener à bien leur ‹ pragmatisme audacieux ›. Finalement, ‹ quoi ›. En colère face à la décision de la direction, les étudiants ont mis en place un politique de ‹ désobéissance civile › tout en s'abstenant de tout comportement violent. Résultat, le comité a été mis en place et les cinq jours de festival ont été conservés. Au sens strict, ce résultat a été atteint sans qu'aucun recours à la violence n'ai eu lieu. On ne peut pas dire cela pour le contexte large par contre. Je ne suis pas entièrement sûr mais des protestations non-violentes massives doivent avoir impliqué des choses comme… grèves de la faim, manifestations et absence des élèves aux cours. Je suis certain que Satoshi est plus au courant à ce sujet. Au final, l'école a cédé aux pressions des élèves et a accepté de ne pas raccourcir le festival. Mais le prix a payé fut le départ du ‹ héros › Jun Sekitani.

J'ajoutai encore une chose.

« Pour ce qui est de l'écart entre l'incident et son départ, je dirais que vu qu'il était un pilier du mouvement en juin, s'ils l'avaient exclu immédiatement, le tollé se serait probablement intensifié. Son exclusion a donc été retardée jusqu'après le festival culturel, quand tout le monde serait finalement calmé.

Je pris une brève respiration après avoir fini de parler.

« Fiou. »

Je sentais la chaleur de l'été recommencer à s'emparer de moi.

Voilà qui terminait à peu près mon explication.

Quelqu'un tapa dans ses mains, indifféremment. C'était Satoshi.

« Waou, c'était vraiment stupéfiant, Hôtarô. Je comprends maintenant. »

Ibara commença silencieusement à récupérer ses notes. Elle avait l'air mécontente, mais c'était bien son attitude habituelle.

Pour ce qui est de Chitanda.

Comme un enfant tout excité après être sorti du cirque, notre demoiselle ouvrit sa bouche et dit :

« C'était magnifique, Oreki-san. Tu es arrivé à une telle conclusion avec uniquement le matériel que nous avions ici… J'ai eu raison de demander ton aide ! »

Même moi j'apprécie de me faire complimenter. Et je me sentais un peu embarrassé.

On dirait bien que le problème de Chitanda est résolu et nous avons de quoi écrire notre anthologie maintenant. Après avoir discuté avec Chitanda fin avril, toute cette histoire est enfin terminée.

Dans son rôle de présidente, Chitanda continua et demanda :

« Y a-t-il un quelconque autre question ? »

Comme rien ne vint en réponse, Chitanda hocha grandement sa tête et conclut :

Alors notre essai anthologique aura pour base les conclusions d'Oreki-san. Nous discuterons des détails durant une autre occasion. Nous en avons donc terminé pour l'instant… Merci à tous pour votre travail. »

Nous nous sommes tous salués.



Chitanda me guida vers l'entrée alors que j'allais partir. Son sourire me disait tout de sa satisfaction quant au déroulement de la réunion.

« Je suis profondément reconnaissante. »

Elle dit cela et s'inclina infiniment.

« Je n'étais pas seul, »

Je dis en mettant mes chaussures. Satoshi, qui était sorti avant moi, me faisait signe de me dépêcher. Comme je n'étais familier avec le trajet, je n'avais de choix que de le laisser me guider.

« Nous nous reverrons à l'école, »

« Ouais, au revoir. »

J'ai fait signe d'à la revoyure à la résidence Chitanda.



J'étais déjà parti, naturellement, je n'avais aucune idée de ce que comptais faire Chitanda après cela.

Alors que je m'éloignais, elle se tenait à l'entrée avec l'expression de quelqu'un venant juste de réaliser quelque chose, je ne savais donc pas ce qu'elle avait bien pu se murmurer à elle même.

Elle dit probablement quelque chose comme, « Mais… pourquoi ai-je pleuré ce jour-là ?



Notes du traducteur et références[edit]

  1. Mamachari (ママチャリ), de ‹ mama › (mère) et ‹ chari › (vélo - jargon). Terme japonais utilisé pour désigner les vélos avec un grand panier à l'avant dans lesquels des mères mettent leurs bébés. - Source (en anglais)
  2. Probablement une référence à une citation du révolutionnaire chinois Sun Yat-sen.
  3. Uchimizu
  4. Tokonoma
  5. Kôhai dans la version originale.
  6. Ici et dans les paragraphes suivant, il est question d'un mot peu utilisé de nos jours (en japonais évidemment), mal prononcé par Ibara et provoquant un quiproquo sur sa signification. Je tenterai de retranscrire l'erreur au mieux en français plus tard.
  7. Le Mont Nishiho fait partie des Monts Hida dans la préfecture de Nagano.


7 - La Vérité de l'Historique Club de Littérature Classique[edit]

Status: Incomplete

En cours (~60%)

Le soir, après un débat interminable, je pédalai tranquillement au milieu des champs inondés par l’orange du crépuscule, m’efforçant d’écouter la faible voix de Satoshi.

« Pour être honnête, je suis plutôt surpris, Hōtarō. Effectivement, je suis surpris par ce que tu as dit tout à l’heure. Si tu as raison, alors notre Festival Kanya doit son existence aux dépends de la vie lycéenne de quelqu’un. Mais ce qui me surprend le plus, c’est que tu aies deviné tout cela. »

« Tu doutes de mes capacités ? »

J’avais répliqué en plaisantant, mais pour une fois Satoshi ne sourit pas quand il répondit : « Tu n’as résolu que des devinettes depuis ton entrée au lycée Kami. Pendant notre première rencontre avec Chitanda-san, ou l’affaire du livre populaire que personne ne lit, comme celle du président du Club du Journal du Mur. »

« Ce n’est arrivé que par hasard. »

« Pourtant les résultats montrent que ce n’est pas important. Mais le problème est : Pourquoi quelqu’un comme toi, qui trouve pénible de résoudre des énigmes, finit par les résoudre ? La réponse est simple quand on y pense. Tu le fais pour Chitanda-san. »

Je tournai la tête, et me demandai si c’était le cas.

“Le faire pour Chitanda” n’était pas vraiment exact ; je pense que je l’accepterais mieux comme “C’est la faute de Chitanda”. Je me souviens de Satoshi dire quelque chose d’aussi pertinent auparavant, que je ne passerais à l’action que si on me le demande. Bien qu’elle ne me l’a pas demandé directement, j’ai fini par faire quelque chose de pénible pour elle, mais…

« Aujourd’hui était différent. »

Oui, aujourd’hui était différent.

« Tu peux être doué pour attirer l’attention sur toi, tu sais ? Aujourd’hui, la résolution de l’énigme devait être partagée équitablement parmi nous quatre. Tu aurais pu choisir de t’enfuir en disant que tu n’y comprenais rien, et personne n’aurait dit quoi que ce soit. Alors pourquoi as-tu cherché la réponse par toi-même en prétextant aller aux toilettes ? »

Le soleil continuait de se coucher, et je pouvais sentir la brise du vent. Je détournai mes yeux de Satoshi et regardai devant moi.

« Ce n’était pas parce que tu le faisais pour Chitanda-san ? »

La question de Satoshi était plutôt légitime. En temps normal, je ne me serais pas donné la peine de résoudre ce casse-tête. Je suppose que j’ai été extrêmement actif aujourd’hui.

Oui… ça doit être cela.

Pourquoi ai-je agi comme je l’ai fait ? Je crois en comprendre plus ou moins la raison, et cela n’a pratiquement rien à voir avec Chitanda. Pourtant, comprendre quelque chose moi-même était différent de le faire comprendre à quelqu’un d’autre. Sans affiner mes connaissances et mon vocabulaire, j’étais incapable de transmettre mes pensées aux autres, même pas à un télépathe comme Satoshi.

Ou plutôt, je pense que c’est parce que je connais Satoshi depuis si longtemps que lui expliquer devient difficile. Puisque mes actions et mes motivations aujourd’hui étaient loin de mon modus operandi habituel.

Toutefois, je n’avais aucune obligation de me justifier. J’aurais pu lui dire que cela ne le concernait pas. Pourtant j’eus envie de lui répondre, comme d’organiser mes pensées pour mon propre bien. Alors après un long silence, je lui répondis en prenant soin de bien choisir mes mots.

« … J’imagine que je suis juste fatigué d’avoir une vie grise. »

« ? »

« Depuis que j’ai rencontré Chitanda, mes niveaux d’efficacité énergétique son tombés au plus bas. Elle prépare une anthologie en tant que présidente du club, passe ses examens en tant qu’étudiante et recherche son passé en tant qu’être humain. C’est trop fatigant pour moi. Ibara et toi êtes pareils, à dépenser du temps à toutes sortes d’efforts inutiles. »

« Eh bien… je suppose. »

« Mais tu sais, parfois je pense que l’herbe est plus verte de l’autre côté de la clôture. »

Je m’arrêtai de parler, en réalisant que j’aurais pu le formuler d’une meilleure manière. Toutefois, je ne pus penser à rien de mieux, alors je repris : « Quand je vous regarde, je n’arrive pas à me calmer. Je voudrais rester calme, mais je ne trouve rien d’intéressant à ça. »

« … »

« Alors au minimum, je voulais, comment dire, résoudre l’énigme. Je voulais goûter à votre mode de vie. »

Je me tus après cela. Entre le son des pédales et la brise, Satoshi ne dit rien. Satoshi était bavard d’habitude, mais il y avait des occasions où il pouvait ne rien dire, et j’en fus plutôt soucieux, puisque j’espérais une réponse. Je trouverais une excuse plus tard, je ne pouvais plus supporter ce silence.

« Alors, dis quelque chose. »

Je pouvais sentir Satoshi sourire même sans le voir quand il finit par parler.

« Je pense… »

« Hmm ? »

« Je pense que tu es en fait jaloux de ceux qui ont une vie rose. »

Je répondis sans réfléchir : « Peut-être. »



Je fixais le plafond de ma chambre, blanc comme d’habitude.

Je réfléchissais à ce qu’avait dit Satoshi plus tôt.

Même moi j’aimais entendre des choses agréables, ce qui incluait des blagues idiotes et de la musique populaire. Même si je me suis fait avoir par Chitanda, cela restait un bon moyen de tuer le temps.

Cependant, avec tout le respect que je dois aux comédies là-dehors, si je devenais obsédé par ces choses sans tenir compte de mon temps et de mon énergie… Aurait-ce été plus divertissant ? En aurait-ce valu le coup bien qu’au détriment de mon efficacité énergétique ?

Par exemple, Chitanda et la recherche de son passé.

Et plus important, comment le “héros” Jun Sekitani finit par protéger le Festival Kanya trente-trois ans plus tôt, d’après mon raisonnement.

Mon regard ne pouvait pas se concentrer sur un seul point. C’est ce que je pensais, à chaque fois que j’y réfléchis, je n’arrive pas à rester calme. Je tournai mes yeux du plafond vers le sol sur lequel j’étais allongé et vis la lettre que ma sœur m’avait envoyée posée là.

Mon regard fut attiré par une des phrases qui y étaient écrites.

Je suis sûre que dans dix ans, quand je repenserai à chacun de ces jours, je n'en regretterai aucun.

Dix ans plus tard, pour un pauvre humain comme moi, n’est qu’un futur flou après tout. J’aurai vingt-cinq ans. Et me regardant dix ans plus tôt, je me demande si je méditerai aux choses que j’ai faites et que j’aurais pues faire. Peut-être que Jun Sekitani, à vingt-cinq ans, regarda en arrière ses quinze ans avec certains regrets.

Je…

Soudainement le téléphone sonna.

Non, ce n’est pas comme si je n’avais jamais entendu un téléphone sonner auparavant. J’étais juste tellement absorbé dans mes pensées que cela parut soudain. Je laissai mes inquiétudes derrière moi quand mon esprit retourna à la réalité, me levai et descendis décrocher le téléphone.

« … Allô, ici Oreki. »

« Hein ? Hōtarō ? »

Je sentis mon échine frissonner de nervosité. C’était une voix familière, une voix qui pouvait mettre ma vie en l’air et m’impliquer dans toutes sortes de problèmes d’un autre niveau. C’était un appel de Tomoe Oreki, vagabondant quelque part en Asie Occidentale et se cachant au consulat du Japon de la traque d’agents du Mossad. Étant un appel international, il était difficilement audible, mais il s’agissait d’elle à coup sûr.

Inévitablement, je donnai ma réaction sincère au fait d’entendre la voix que je n’avais pas entendue depuis si longtemps.

« Alors t’es encore vivante ? »

« Quel malpoli, tu penses que je me ferais tuer par un ou deux bandits ? »

Alors ça lui est vraiment arrivé ? Je ne peux pas dire que je sois surpris.

Pensant probablement au coût de l’appel, ma sœur enchaîna rapidement.

« Je suis arrivée à Pristina hier. C’est en Yougoslavie[1], au passage. Les finances et la santé sont en bon état et mes projets se déroulent comme prévu. Je t’écrirai en arrivant à Sarajevo. Si je voyage tranquillement, j’y serai dans deux semaines. Fin du rapport. Alors, comment ça se passe là-bas ? »

Ma sœur semblait aussi heureuse qu’à son habitude. Bien qu’elle soit émotionnellement instable en ce qu’elle peut être vraiment furieuse, ou pleurer comme s’il n’y avait pas de lendemain, ou être extrêmement joyeuse, elle est habituellement juste heureuse.

Je donnai une chiquenaude au cordon du téléphone et répondit : « Rien d’inhabituel au Commandement de l’Extrême Orient. »

« Je vois, alors… »

Ma sœur était sur le point de raccrocher. Cela ne m’aurait pas dérangé, mais j’ajoutai :

« On publie une anthologie, “Hyōka”… »

« … Hein ? Quoi ? »

« On a fait des recherches sur Jun Sekitani. »

Ma sœur parla rapidement : « Jun Sekitani ? Quel nom nostalgique. Hmm, je ne pensais pas que cette histoire serait encore transmise. Est-ce que le nom “Festival Kanya” est encore tabou ? »

Je ne comprenais pas ce qu’elle voulait dire par là.

« Qu’est-ce que tu veux dire ? »

« C’est une tragédie. Je n’aime pas ça. »

Tabou ? Tragédie ? N’aime pas ça ?

De quoi elle parle ? Qu’est-ce qu’elle veut dire ?

« Attends un peu, on parle de Jun Sekitani, non ? »

« Bien sûr. Le “gentil héros”. Tu saisis, n’est-ce pas ? »

Cette conversation était vaine. Bien que nous parlions du même sujet, nous ne pouvions nous entendre.

Quant au pourquoi, je réalisai instinctivement que j’avais pu me tromper. Peut-être que la conclusion à laquelle j’étais arrivé à la résidence Chitanda était erronée ou imprécise. Pourtant je n’étais pas inquiet, puisque ma sœur saurait ce qui était arrivé au lycée Kamiyama trente-trois ans plus tôt.

« Frangine, qu’est-ce que tu sais sur Jun Sekitani ? »

J’avais décidé de lui demander sérieusement.

Tout ce que je reçus fut une simple réponse.

« J’ai pas le temps pour ça ! À plus ! »

Clic. Bip, bip.

J’éloignais le combiné de mon oreille et le regardai comme un idiot.

« … »

… Pourquoi…

« Idiote de frangine ! »

J’écrasai le combiné sur le téléphone, le faisant trembler avec un bruit fort. Mon irritation était à présent doublée, grâce à ma sœur.



Je ne me souvenais plus exactement de ce que ma sœur avait dit, puisque la conversation s’était déroulée si rapidement que je n’avais pu confirmer quoi que ce soit. Néanmoins, la partie où elle avait répondu négativement à propos de l’incident était fraîche dans mon esprit.

Je retournai à mon lit et sortis de mon sac tout ce que le Club de Littérature avait rassemblé concernant l’incident. “Hyōka”, “Unité et Salutations”, le “Mensuel de Kamiyama” et le “Lycée Kamiyama : 50 ans de marche commune”… Je plaçai également à côté de ceux-ci la lettre que ma sœur avait envoyée d’Istanbul, en relisant cette phrase qui avait retenu mon attention.

Je suis sûre que dans dix ans, quand je repenserai à chacun de ces jours, je n'en regretterai aucun.

Dans dix ans, hein ? Si Jun Sekitani est encore en vie, puisqu’il était président il y a trente-trois ans, il devrait en avoir cinquante maintenant. Regarderait-il encore sa vie de lycéen sans regrets ?

Je pense que non. Le “héros” qui se sacrifia pour la passion de ses camarades et abandonna son choix de continuer le lycée ne regretterait pas cette décision. Depuis ma déduction à la résidence Chitanda, c’est ce que je pensais.

Mais était-ce vraiment le cas ?

Ce n’était qu’un festival culturel, pourtant ce festival tourna l’école contre lui et changea sa vie. Si la vie au lycée est rose, une vie si intensément rose peut-elle être interrompue et encore appelée rose ?

La partie grise au fond de moi me dit que ce n’était pas le cas. Se sacrifier pour que ses camarades soient pardonnés, un héros l’endurerait-il ? Cette pensée émergea dans mon esprit. Même si j’y résistais, je ne pouvais ignorer le fait que ma sœur avait qualifié l’incident de tragédie.

Je devais revoir cela une fois de plus. Je repris tous les articles qui mentionnaient l’incident.

Et ainsi, je commençai à chercher si la vie de Jun Sekitani était réellement rose il y a trente-trois ans.



Le jour suivant, j’allai au lycée en tenue décontractée. Pour confirmer quelque chose, j’avais aussi appelé Chitanda, Ibara et Satoshi. Je leur avais simplement dit : « Il y a quelque chose que je dois ajouter à ma conclusion d’hier pour que cette histoire soit complètement terminée. J’attendrai dans la salle de géologie. »

Et ainsi vinrent-ils tous les trois. Ibara traita inévitablement le fait que je soulève un problème supposément résolu avec sarcasme, et bien que Satoshi sourît, on pouvait observer un regard plein de surprise face à mon comportement inhabituel. Quant à Chitanda, elle dit en me voyant :

« Oreki-san, j’ai le sentiment qu’il y a encore quelque chose que je dois savoir. »

Je ressentais la même chose. En acquiesçant, je posai ma main sur son épaule.

« C’est bon. Je pense qu’on devrait pouvoir régler ça aujourd’hui. Tiens juste un peu plus longtemps. »

« Qu’est-ce que tu veux dire par “ajouter à ta conclusion d’hier”, Oreki ? »

« Je veux dire faire le dernier pas pour compléter quelque chose d’encore incomplet. »

« Je ne comprends pas, tu veux dire qu’on a pris le problème de travers ou qu’on est arrivé à la mauvaise conclusion ? »

« Écoute, juste. »

Alors que je pris mes notes, j’y jetai un œil moi-même plutôt que de les montrer aux autres.

« … “Hyōka” était censé être écrit comme quelque chose de plus important. Pas pour rapporter la vie de Jun Sekitani ou en faire un conte héroïque, c’est ce que dit la préface de toute façon. »

C’était la partie traitée par Satoshi la veille. Sans surprise, il prit la parole :

« Ce n’est pas de ça qu’on a discuté hier ? »

« Oui, mais on a peut-être été induit en erreur. »

« Qu’est-ce que tu veux dire ? »

« Ce passage, “Tel le sacrifice du conflit qu'il fut, même son sourire finirait par suivre le cours du temps vers l'éternité”. Le terme sacrifice ne désigne pas un abandon volontaire, mais plutôt une offrande. »

Ibara leva un sourcil.

« Mais ils n’auraient pas utilisé “victime” plutôt que “sacrifice” dans ce cas ? »

“Victime”, hein ? Mais je n’eus pas à expliquer, puisque Chitanda le fis pour moi.

« Non, un “sacrifice” peut aussi être forcé. C’est ce que ça voulait dire dans le passé. »

Comme on pouvait s’y attendre d’une élève modèle, c’était rapide. Et j’étais sur le point de prendre un dictionnaire.

Satoshi commenta avec un soupir : « … Je vois ce que tu veux dire à propos d’un autre sens de ce mot, mais est-ce que ce n’est pas évident ? En plus, aucun moyen de savoir quel sens est le bon sans demander à l’auteur. »

Bien sûr, la différence de sens n’était pas un problème purement linguistique. Puisque le langage n’est jamais aussi précis que les mathématiques, il est normal que les mots puissent avoir plus d’un sens. Alors il est impossible de conclure définitivement sur le sens d’un mot.

Il y avait cependant un moyen de résoudre ceci. J’acquiesçai avec confiance et répondis : « Dans ce cas, demandons à l’auteur. »

« … Qui c’est ? »

« Celle qui a écrit cette préface, évidemment. Yōko Kōriyama-san était une élève de seconde il y a trente-trois ans. Elle devrait avoir quarante-huit ou quarante-neuf ans maintenant. »

Chitanda écarquilla les yeux.

« Alors tu l’as trouvée ? »

Je hochai brusquement la tête.

« Pas besoin. Puisqu’elle est tout proche. »

Ibara leva la tête. Comme prévu, elle fut la première à comprendre.

« Oh ! Je vois ! »

« C’est ça. »

« Qu’est-ce que tu veux dire ? »

« Qu’est-ce que tu as compris ? »

Ibara me regarda, et je lui fis signe de la tête pour qu’elle leur explique.

« … C’est Itoikawa-sensei, la bibliothécaire en chef, c’est ça ? Yōko Itoikawa-sensei, son nom de jeune fille doit être Kōriyama. Je me trompe ? »

Ibara étant elle-même bibliothécaire, elle connaissait le nom complet d’Itoikawa, d’où la vitesse à laquelle elle avait réalisé.

« Exactement. Si tu entendais le nom “Satoshi Ibara” sans voir l’orthographe, tu n’aurais aucun moyen de savoir si Satoshi a adopté le nom d’Ibara[2]. Mais puisqu’on sait que le nom d’Itoikawa s’épelle “Yōko”, et que son âge correspond, deviner son nom de jeune fille devient élémentaire. »

Croisant les bras, Ibara commença à cracher ses sarcasmes.

« T’es vraiment bizarre. Même moi je n’avais pas remarqué alors que je la fréquente régulièrement, et pourtant tu as réussi. Peut-être qu’on devrait laisser Chi-chan regarder dans ton crâne. »

Comme je l’ai dit plus tôt, j’ai eu de la chance et un éclair d’inspiration. Et je ne veux pas être lobotomisé par Chitanda.

Pendant ce temps, Chitanda rougissait de plus en plus.

« A-alors, si on demande à Itoikawa-sensei… »

« On saura ce qu’il s’est passé il y a trente-trois ans. Pourquoi ce n’était pas un conte héroïque, pourquoi la couverture a été dessinée ainsi, et pourquoi l’anthologie a été intitulée “Hyōka”… On aura toutes les réponses sur ton oncle. »

« Mais, tu as des preuves que c’est réellement Itoikawa-sensei ? Ce serait gênant si c’était en fait quelqu’un d’autre… »

On ne se trompera pas. Je jetai un regard à ma montre et considérai que c’était l’heure.

« En fait, je m’en suis déjà assuré. Elle était présidente du club en première. J’ai pris rendez-vous pour en parler avec elle. Ça doit être à peu près l’heure maintenant. Allons à la bibliothèque. »

En me tournant pour partir, je pus entendre Ibara murmurer : « T’es vraiment enthousiaste ».

J’imagine que je le suis.



Durant les vacances d’été, les stores de la bibliothèque sont baissés pour protéger les livres d’une exposition aux intenses rayons du soleil. Dans cet environnement intérieur modérément ventilé, la bibliothèque restait bondée d’étudiants préparant le Festival Kanya et de terminales se préparant aux examens d’entrée aux universités. On pouvait voir Itoikawa écrire quelque chose, assise derrière le comptoir et portant une paire de lunettes que nous n’avions pas vue la dernière fois. Sa silhouette était plutôt petite, et des rides étaient visibles sur son visage, preuve qu’elle avait quitté le lycée il y a presque trente-et-un ans.

« Itoikawa-sensei… »

Elle se tourna et remarqua alors que nous l’appellions. Levant la tête, elle sourit.

« Ah, le club de littérature. »

Elle balaya la bibliothèque des yeux et dit : « C’est noir de monde ici. Et si nous allions dans mon bureau ? »

Et elle nous conduisit dans un bureau derrière le comptoir.

Son bureau était un lieu confortable et suffisamment grand pour qu’une personne puisse travailler, bien que la climatisation y soit considérablement plus petite. Les stores étant ouverts, elle alla les baisser en nous faisant signe de prendre place sur le canapé réservé aux invités. On pouvait sentir un doux parfum, provenant d’un pot de fleur placé sur l’unique table de la pièce. C’était une fleur très commune et facile à manquer, et était probablement destinée à être admirée, non pas par ses invités, mais par elle.

Malgré sa taille, le canapé n’était pas assez grand pour nous quatre. Itoikawa décida donc de déplier une chaise et de la placer à côté du canapé. Mais pourquoi fut-ce moi qui dut m’asseoir sur cette chaise tandis que les trois autres s’asseyaient sur le canapé ? Itoikawa s’assit sur sa chaise pivotante. Posant ses coudes sur la table, elle nous fit face et demanda gentiment : « Eh bien, de quoi vouliez-vous me parler ? »

Puisqu’elle s’adressait à tout le club de littérature, il était naturel que je parle au nom du club. Je m’efforçais d’ignorer ce désir de croiser les bras et les jambes face à une situation à laquelle je n’étais pas habitué, et répondit avec courtoisie : « Oui, il y a quelque chose que nous souhaiterions vous demander. Mais d’abord, nous aimerions confirmer quelque chose. Votre nom de jeune fille est-il bien Kōriyama ? »

Elle acquiesça.

« Donc ceci a été écrit par vous, n’est-ce pas ? »

Je sortis la copie de ma poche et la lui remis.

« Oui, c’est moi. Mais je suis surprise qu’elle ait été préservée. »

J’eus l’impression qu’elle baissa son regard.

« Je crois savoir de quoi vous vouliez discuter avec moi. Pour que des étudiants du club de littérature me demandent mon nom de jeune fille, j’avais une idée de ce qu’il se passait… Vous voulez des informations sur le mouvement d’il y a trente-trois ans, c’est cela ? »

Bingo, elle sait.

Cependant, contrastant avec les attentes sur nos visages, elle se contenta de soupirer.

« Mais, pourquoi poser des questions sur un événement aussi lointain ? Cela aurait été mieux de l’oublier. »

« Eh bien, c’est principalement à cause de Chitanda, ici présente, qui ne laisse passer aucun détail étrange, comme une détractrice. Autrement, je n’y aurais même pas prêté attention. »

« Une détractrice ? »

« Pardon, je voulais dire comme une détective[3]. »

Itoikawa et Satoshi sourirent tous les deux, tandis qu’Ibara donnait un regard exaspéré. Chitanda protesta légèrement, mais je l’ignorai. Itoikawa sourit tendrement à Chitanda et lui demanda : « Et pourquoi es-tu intéressée par ce mouvement ? »

Je remarquai Chitanda serrer ses poings sur ses genoux. Elle était probablement nerveuse et répondit brièvement : « Jun Sekitani était mon oncle ».

Itoikawa laissa échapper un halètement.

« Oh, je vois, Jun Sekitani… Un nom plein de nostalgie. Comment va-t-il ? »

« Je n’en ai aucune idée ; il a été porté disparu en Inde. »

Elle haleta de nouveau : « Oh ». Peut-être vivre cinquante ans signifiait qu’elle avait tout vu ?

« Je vois. Et j’avais toujours voulu le revoir une fois de plus. »

« Moi aussi. Je voulais juste le revoir encore une fois. »

Jun Sekitani était-il une personne digne d’être rencontrée une fois de plus ? Je ne pouvais m’empêcher de me demander si je devais moi aussi le rencontrer.

Comme emplie d’émotions, Chitanda parla lentement : « Itoikawa-sensei, dites-moi s’il vous plaît, que s’est-il passé il y a trente-trois ans ? Pourquoi l’incident dans lequel mon oncle fut impliqué n’était-il pas un conte héroïque ? Pourquoi l’anthologie du club de littérature est-elle intitulée “Hyōka” ? Les déductions d’Oreki-san sont-elles correctes ? »

« Ses déductions ? »

Itoikawa me demanda : « Que voulez-vous dire par là ? »

Satoshi répondit : « Sensei, Oreki a réussi à déduire ce qui a pu se passer il y a trente-trois ans à partir du peu d’informations que nous avions rassemblées. Peut-être que vous devriez l’écouter. »

On dirait que je dois répéter ce que j’ai dit hier. Non, même si j’avais prévu de le faire, je n’avais pas encore réalisé que ce n’était sans doute que spéculations pour quelqu’un qui avait effectivement vécu l’incident. Malgré ma confiance en mes déductions, une part de moi pensait que j’aurais pu avoir tort. Je léchai mes lèvres et commençai mon explication en utilisant la même méthode que la veille.

« D’abord, le personnage principal de l’incident… »

Notes du traducteur et références[edit]

  1. Hyōka a été publié en 2000, avant la dissolution de la Yougoslavie et l'indépendance du Kosovo [4]
  2. Un même nom ou prénom peut s’écrire de plusieurs façons différentes en japonais. Par exemple, Yōko : ようこ, 八子, 呼虹, 夜子… Il existe plusieurs dizaines d’orthographes différentes pour écrire “Yōko”
  3. Jeu de mot original : 猛獣 (bête sauvage, bête de proie)/亡者 (les morts)


Chapitre 08 - Le Quotidien du Futur Club de Littérature Classique[edit]

Et ainsi, le festival culturel approchait lentement. Regardant le ciel d'automne depuis la salle de géologie, je trouvais difficile à croire que les vacances d'été s'été terminée il y a pas si longtemps. Depuis que nous avions déterrer les regrets de Jun Sekitani derrière la signification du titre ‹ Hyôka › , nous avions commencé à travailler sur la compilation de notre anthologie.

Actuellement, nous n'en avons pas encore terminé avec.

Alors que j'écrivais en réponse à la lettre de ma sœur d'il y a des mois, une scène de carnage avait lieu près d'où je m'étais assis.

« Fuku-chan, tu n'as pas encore fini ? On est bientôt à la fin du délai que l'éditeur nous a donné. »

Ibara criait presque sur Satoshi car il n'avait toujours pas fini les pages qui lui avait été attribuées. Même Satoshi, habituellement si calme, commençais à montrer de l'anxiété.

« Laisse-moi juste un peu plus, juste un peu plus de temps. J'y suis presque. »

« C'est aussi ce que tu as dit la semaine dernière. »

Bien que la rédactrice en chef de notre antholgie soit officiellement Chitanda, Ibara était celle qui avait été chargée de distribué le travail et communiquer avec l'éditeur, ayant déjà de l'expérience dans le domaine. Sous son planning strict, le progrès de notre travail sur cette édition de ‹ Hyôka › a été régulier. Bien que je n'aie pas encore lu la part d'Ibara, elle a sûrement écrit une critique ou ses impressions sur un classique du manga. Si je me souviens bien, ça s'appelait tera, mu ou nombres, ou quelque chose comme ça. Mais j'ai l'impression qu'elle a juste choisi un titre au hasard.[1]

De son côté, le manuscrit inachevé pour lequel Satoshi était fouetté par Ibara avait été décrit comme une comédie reposant sur le paradoxe de Zénon[2]. Ça semblait un peu hasardeux mais en feuilletant les anciens numéro de ‹ Hyôka ›, il semblerait bien que tout et n'importe quoi peut être publié. Satoshi a donc décidé que son ‹ paradoxe classique › respecte les critères, bien que je pense qu'il aurait pu trouver quelque chose de mieux. Déjà occupé avec son club d'artisanat et le comité du conseil étudiant, seule un petite part des pages qui lui avaient été attribuées sont couvertes d'encre. Il semblerait donc que Satoshi ne soit pas particulièrement doué pour écrire. Je découvrais un point faible surprenant.

Alors qu'il s'attelait à son manuscrit le sourire rigide, Ibara faisait les cent pas derrière lui les yeux sur sa montre. Comme si elle venait de se souvenir de quelque chose, elle s'est tournée pour d'adresser la parole.

« Au fait, où est Chi-chan ? Je dois lui parler du budget. »

Satoshi avait l'air de vouloir dire quelque chose mais se remit rapidement au travail après qu'Ibara l'aie jeté un regard noir. Je n'avais d'autre choix que de m'arrêter d'écrire et lui répondre :

« Elle est allée rendre une visite au cimetière. »

« Cimetière ? »

« La tombe de Jun Sekitani. Elle voulait offrir ces manuscrits en honneur à sa mémoire. »

‹ Ces manuscits › faisait référence à une conclusion que nous avions écrit à propos des évènements d'il y a 33 ans. J'avais rédigé celle-ci avec l'aide de Chitanda. Je me suis abstenu de toute réthorique superflue et ai gardé le texte sec et en prose.

« Je vois. »

Dit Ibara sans son habituel sarcasme.

« Qu'a-t-elle dit d'autre ? »

« Elle n'a rien dit d'autre. »

Ce n'était pas un mensonge. Quand je lui remis les manuscrit durant les funérailles, et quand elle est retournée visiter sa tombe aujourd'hui, elle n'a montré aucune émotion. Elle les masquait peut-être mais je ne pense pas que ce soit le cas. Le jour où la signification de ‹ Hyôka › avait été révélée, Chitanda avait considéré cette affaire résolue. Elle a sûrement accepté mon explication depuis. Je n'ai pas idée de savoir.

« Ughh… Fuku-chan, ta main s'est arrêtée. Il nous reste cinq minutes ! »

« Cinq minutes ! Mayaka, c'est trop dur ! »

Alors que le sketch à côté de moi reprennait, je plongeais dans mes pensées. Pour commencer, cet incident ne concernait pas seulement Chitanda, Ibara et Satoshi avait également fait leur part dans la résolution du mystère.

Et moi alors ?

… Ayant fini ma lettre, je la rangeais dans mon sac. Le vent d'automne m'avait rendu somnolent. Non pas à cause du crêpage de chignons de Satoshi et Ibara, mais je décidais de rentrer tout bientôt.



C'est quand cela arriva.

La porte s'ouvrit et quelqu'un fit irruption dans la pièce. Elle semblait très troublée. C'était notre présidente, Chitanda, occupée à reprendre son souffle penchée en avant. Nous étions tous restés bouche bée devant son arrivée soudaine. Après que sa respiration soit revenue à la normal, elle nous fit finalement face.

« Chitanda-san, tu n'étais pas allée au cimetière ? »

Elle hôcha la tête affirmativement à la question de Satoshi.

« Oui. Mais, il y a quelque chose à propos duquel je suis curieuse. »

Curieuse ?

J'avais comme un mauvais pressentiment. Non, ce n'était pas un pressentiment, c'étais mon expérience qui me disait que quelque chose allait arriver. Un peu de sueur satinait ses cheveux et son visage était légèrement rougi. Et ces yeux, scintillants, était si pleins de vie. C'était le signe que sa curiosité allait exploser.

« Chi-chan, qu'est-ce que tu veux dire ? »

Ne lui demande pas !, me disais-je alors que Chitanda se préparait à quitter la pièce.

Je pensais que c'est ce qu'elle allait faire mais rien ne lui échappe. J'ai vu mon poignet se faire capturer par sa main.

« Oreki-san, allons-y. Direction le hall de tir à l'arc, on y arrivera peut-être à temps. »

« Quoi ? Qu'est-ce qui se passe ? »

J'avais protesté tout en sachant que c'était inutile. Mais Chitanda hocha la tête à ma demande d'explications.

« C'est plus rapide à voir qu'à expliquer. »

C'est pas la peine. Une fois qu'elle est dans cette état, il est plus économe de la suivre dans ces caprices. Satoshi sourit et Ibara haussa les épaules en nous regardant. Abandonnant, je dis :

« D'accord, d'accord, je viens. Vu que tu m'a attrapé le poignet, ça veut dire que ça, n'est-ce pas ? »

Chitanda s'arrêta et me regarda. Alors que ses immenses yeux me fixaient, elle répondit doucement :

« Oui, c'est exact… Ça m'intrigue beaucoup. »

Notes du traducteur et références[edit]

  1. Besoin de contrôler l'original pour ça.
  2. https://fr.wikipedia.org/wiki/Paradoxes_de_Z%C3%A9non


Chapitre 09 - Lettre à Sarajevo[edit]

Chère Soeur,



Je t'écris car il y a quelque chose que j'aimerais te demander. J'espère que l'hôtel où tu m'as dit être installée t'aura remis ceci.



Combien tu en sais à propos du club de littérature classique ?

Pourquoi tu m'as fait le rejoindre ?



Tu connais très bien mon style de vie. Pourtant, depuis que je suis au lycée, je suis entouré de Satoshi et d'autres personnes que tu ne connais pas encore. Et je me sentais un peu mal à l'aise les regardant aborder la vie de manière si différente. Je n'aurais jamais ressenti ça si je n'avais pas rejoint le club de littérature classique. Si j'étais resté sans affiliation, je n'aurais probablement jamais envisagé de questionner mon style de vie.

Est-ce que tu t'attendais depuis le début à ce que je vacille ?



Et puis il y a ‹ Hyôka ›.

J'ai rejoint le club de littérature classique conformément à ta lettre de >>Benares, et j'ai cherché dans le coffre de la salle de biologie conformément à ta lettre d'Istanbul. Mais ça ne s'arrête pas là. En ouvrant ce coffre, je me suis embarqué dans une recherche de la vérité d'il y a 33 ans concernant Jun Sekitani.

Pour faire court, les étudiants d'il y a 33 ans vivaient activement et débordaient d'énergie. La prétendue >>"vie en rose" prendrait ses racines dans le style de cette époque et dans le style de ‹ Hyôka ›. Depuis que j'ai découvert la vérité sur cette histoire, je ne me sens plus si mal à l'aise. Bien que je ne dirais pas que mon style de vie est le bon, je sais maintenant qu'il n'est pas si mauvais.

Frangine, je…



Non, c'est pas possible.

On croirait à une mauvaise blague, on croirait que t'essaies de me manipuler. Impossible.

Enfin bref, ne te tracasse pas avec ça. J'ai écris tout ce que je pouvais sur mon état actuel. En faire plus serait juste ennuyeux pour moi.



Amuse-toi bien.



Cordialement,

Hôtarô



P.S. : Merci du conseil.

Notes du traducteur et références[edit]


Postface[edit]

Salutations. Je suis Honobu Yonezawa.



Environ 60% de ce livre est pure fiction, le reste est basé sur des faits réels. Cette histoire est basée sur des faits divers relayés par des journeaux locaux.

Au passage, à propos de fusionner fiction et faits réels, n'importe quelle conclusion à laquelle vous pouvez arriver serait de la fiction alors que les faits historiques sont des parts dont vous n'aurez rien pu tirer. C'est un peu près ça. Néanmoins, pour ce livre, bien que basé sur des faits historiques, j'ai eu un peu de mal à trouver des idées pour résoudre la partie fiction.

Pour terminer une histoire, on doit imaginer une spirale déflationniste. Je pense que Sabrina, l'apprentie sorcière, qui a été diffusé sur NHK-E il y a quelques temps, fait un meilleur travail à ce niveau.



Ce livre n'aurait jamais vu la lumière du jour sans l'aide de diverses personnes. Particulièrement des suivantes :

Yamaguchi-san et Nakai-kun qui m'ont fourni de précieux indices à la dernière minute. Saitou-san, qui me poussa à rendre cette histoire intéressante et agréable. Tada-san, qui m'a patiemment attendu tout ce temps. Akiyama-kun, qui m'a averti sans relâche de ne pas me sentir trop satisfait.

J'offre mes sincères remerciements à ces personnes. Merci à vous tous. C'est presque la saisons des yellowtail sushi, vous êtes donc tous cordialement invités à venir en manger quelques uns chez moi.



Deuxièmement.

À tous ceux du commité de séléction qui ont donné sa chance à ce livre, de S-san en charge de toute la chose, jusqu'à Uesugi-san qui a illustré la couverture (de la première édition), Hyôka n'aurait pas été possible sans votre contribution. Vous avez ma plus profonde gratitude.



D'ailleurs, l'autre jour, un ami m'a invité à aller manger sushi. Comme les sushis là-bas était du même calibre que leur prix, j'étais content qu'il m'offre de m'emmener. Malgré tout, mon ami ne semblait pas du tout pressé en prenant la voiture.

À mesure que l'heure du dîner approchait, le parking se remplissant jusqu'à être plein. Pour être honnête, c'était troublant, peu importe à quel point j'essayais de presser mon ami, rien ni fit, il se contenta d'un sourire ambiguë en conduisant doucement.

Je savais que mon ami n'était pas du genre à taquiner les gens, il était plutôt sérieux et avisé. Je n'avais donc aucune idée de quelle mouche lui avait piqué ce jour-là.



Peut-être révèlerai-je la vérité à une opportunité prochaine.

Jusque là, merci d'avoir lu.



Honobu Yonezawa

Notes du traducteur et références[edit]