Iris on Rainy Days (FR) : Renaissance - Jour 83

From Baka-Tsuki
Jump to navigation Jump to search

Jour Quatre-Vingt-Trois[edit]

Ce jour a commencé comme les autres.

Réveillés par les contremaîtres au petit matin, nous sommes sortis de l'entrepôt telles des fourmis alignées les unes derrière les autres, avant de nous atteler à notre inlassable et morne travail.

C'est alors que cet après-midi-là... Après que la sirène ait indiqué la fin de la pause déjeuner, Lilith et moi sommes sur le point de mettre un terme à notre conversation.

— Iris.

Le regard de Lilith s'est soudainement changé.

— Qu'est-ce qui se passe ?

— Regarde ça.

Elle me fait un signe du regard.

Ah...

Après avoir suivi le regard de Lilith, je jette un œil vers la tour de contrôle, et j'aperçois « l'homme ». C'est le « VIP du siège social » qui donnait des ordres au contremaître l'autre jour. Il tient un téléphone à la main.

— Qu'est-ce qu'il peut bien raconter ?

— Aucune idée...

Puis, le coup de téléphone de l'homme prend fin.

Le bruit d'un engin motorisé résonne dans le chantier. Après avoir regardé aux alentours, je vois un véhicule bien plus grand que les camions utilisés pour transporter les déchets garé sur la colline devant le chantier — au niveau des « intestins ». Une aura étrange émane du véhicule noir, son apparence solide rappelant les camions blindés de la police.

— Halte !

Le rugissement des contremaîtres retentit, et la centaine de robots s'arrête tous en même temps.

— Bien, à l'appel de votre numéro, rassemblez-vous aux « intestins » ! Numéro Deux, Six, Sept, Neuf...

Comme s'il est en train de lire une liste d'admission à un concours, le contremaître énonce les numéros les uns après les autres.

— Treize, Seize, Dix-Sept...

Le numéro quinze, celui de Volkov, a été sauté.

— Qu'est-ce qui se passe...?

Je regarde en direction de Lilith, mais elle ne semble pas savoir non plus. Puis, le numéro trente-huit de Lilith est à son tour sauté.

J'observe calmement. — Quatre-Vingt-Six, Cent-Deux, Cent-Cinq, Cent-Onze... Le mien aussi a été sauté. Je ne comprends pas ce que cela signifie.

— Cent-Quinze, Cent-Dix-Huit. ... C'est tout ! Ceux qui ont entendu leur numéro doivent se rassembler sur le champ ! Et que ça saute !

Le nombre total de numéros appelés est de quarante-et-un, presque le tiers des robots présents.

En moins de cinq minutes, les quarante-et-un robots se sont alignés devant l'imposant véhicule noir. On croirait une queue devant un magasin en vogue.

— Allez, en avant ! crie le contremaître, avant que la porte du camion noir ne s'ouvre.

À l'ouverture, on aperçoit alors un immense cylindre qui tourne sur lui-même tout en produisant un énorme boucan. La scène me rappelle les camions-poubelles de la ville. Sachant qu'ici, le camion devant nous fait plusieurs fois leur taille.

Le premier à entrer est numéro Deux. Le robot quadrupède ressemble à cheval trottinant derrière son maître, il suit le contremaître de près.

— Monte.

Après avoir dit ça, le contremaître pointe le camion derrière lui avec son pouce. La bruyante mâchoire métallique qui tourne sur elle-même l'attend. L'espace d'un instant, numéro Deux ne semble pas savoir ce qu'il doit faire, et regarde silencieusement en direction du contremaître.

— Plus vite ! C'est un ordre !

Après ça, le corps de numéro Deux se fige comme s'il est frappé par la foudre. Puis, ses quatre pattes se dirigent de manière forcée en direction du rouleau-compresseur.

— ... Dites-moi que je rêve.

Je ne peux m'empêcher de dire ça, tandis que numéro Deux fait son premier pas vers le menaçant cylindre.

Et à ce moment-là.

Un bruit de craquement et de froissement de métal résonne dans le chantier, et les jambes avant de numéro Deux sont broyées et arrachées par le cylindre. Puis, celles-ci sont découpées en morceau avant d'être aspirée dans le camion. Son corps est ensuite petit à petit aplati comme une crêpe. La cruelle mâchoire métallique produit alors un grincement, avant de réduire le robot en pièces.

Choquée, je regarde cette scène d'exécution sommaire. Personne ne bouge.

Finalement, le corps de numéro Deux est avalé par le cylindre, alors que son corps semble à l'envers, ses jambes arrières pointant vers le ciel. Puis, ces dernières font à leur tour un craquement, un son qui fait penser à quelqu'un qui mâcherait du gravier résonne, et plusieurs vis et écrous volent, comme si elles sont recrachées par le démon noir. Moins de dix secondes se sont écoulées entre le moment où numéro Deux a fait un premier pas et le moment où son corps a complètement disparu. Mais de mon point de vue, c'est comme si la scène s'est passée au ralenti.

Numéro Deux et moi ne nous sommes jamais parlés.

Malgré tout, je l'avais aperçu de temps en temps durant ces trois mois, ce qui explique que je sois capable de le reconnaître parmi la centaine de robots. Il est quadrupède, c'est un vieux modèle produit en masse à une époque, HRP006.

Il a complètement disparu maintenant. Je ne pourrai plus jamais le revoir. La peur qui s'est emparée de moi me fait trembler.

— Suivant, numéro Six !

Au moment où le cri du contremaître retentit, le corps de numéro Six frémit.

Je connais également celui-là. Il a des chenilles tout comme moi, mais pas de tête, il une sorte de télescope installée sur le torse en guise de système visuel, c'est un robot ouvrier d'un assez vieux modèle. La seule fois où l'on a été en contact est la fois où il avait accidentellement glissé sur un tas de boue et m'était rentré dedans. Cette fois-là, il avait dit de façon instinctive « pardon », et sa voix électronique ressemblait beaucoup à la mienne.

C'était la seule et unique fois que nos chemins se sont croisés.

Hélas, notre relation n'allait pas pouvoir aller plus loin-

— Entre ! C'est un ordre !

Numéro Six tend ses bras comme s'il tient un cadeau dans les mains. Au moment où ses doigts touchent le cylindre, ses deux bras sont happés à l'intérieur d'un coup, et réduits en miettes dans un fracas métallique assourdissant. Après que ses bras aient été aspirés jusqu'aux épaules, son corps se soulève comme celui de numéro Deux juste avant lui, sa position inclinée faisant tournoyer ses chenilles dans le camion. Peu après ça, plusieurs petites pièces jaillissent de l'arrière du véhicule comme s'il crache les pépins d'un fruit qu'il vient d'engloutir.

En l'espace de cinq secondes, numéro Six n'était plus.

— Suivant, numéro Sept !

Les mises à mort se poursuivent. Même s'ils n'ont rien dit, nous comprenons tous que le but est de transformer les anciens robots inefficaces en tas de ferraille. Le quadrupède numéro Deux, numéro Six à chenilles, et numéro Sept qui vient juste d'être appelé, ils avaient tous du mal ces derniers temps. Ils étaient lents, et faisaient souvent tomber des déchets par terre, ce qui leur valaient des remontrances de la part des contremaîtres.

— Ensuite, numéro Neuf !

Le démon noir rugit bruyamment, tout en avalant inlassablement robot après robot. Sans pitié, il réduit en miette leurs bras, jambes et corps, et recrache de temps à autre quelques morceaux d'eux. Un tas de « nourriture » s'amoncèle derrière le camion.

Le macabre spectacle continue ensuite jusqu'au dernier robot.

— Eh ben alors ! Grouille-toi de monter !

Le dernier robot, numéro Cent-Dix-Huit, se tient devant le camion. Il est arrivé même après moi au chantier, c'est un bipède très lent qui marchait les bras ballants tel un zombie. Même quand il n'était qu'effleuré par les autres robots, il s'étalait par terre. Mais cela était manifestement dû à une absence de maintenance de la part de son précédent maître.

— Hé ho, numéro Cent-Dix-Huit ! Qu'est-ce qui t'arrive ? C'est un ordre !

En entendant le hurlement impatient du contremaître, le corps de numéro Cent-Dix-Huit se met à se balancer violemment.

Puis, tout son corps est pris de convulsion, avant de s'accroupir tout en serrant sa tête avec ses bras sveltes.

— Hé, qu'est-ce que tu fous ? Debout, numéro Cent-Dix-Huit ! C'est un or-

Et à ce moment-là.

Numéro Cent-Dix-Huit bondit telle une balle en caoutchouc et se met à fuir rapidement.

— Que...!

Le contremaître est abasourdi par la scène. De ce que je sais, c'est le premier robot qui ose ignorer un ordre et s'enfuir en public. Sûrement parce que ses circuits de sécurité ne fonctionnent pas correctement, numéro Cent-Dix-Huit s'est rebellé contre les humains et s'est enfui en titubant mais rapidement. Il descend la colline vers la liberté.

Mais les contremaîtres ne le poursuivent pas, ils n'ordonnent pas non plus aux autres robots de le faire. C'est parce que numéro Cent-Dix-Huit a déjà commencé à grimper sur le grillage entourant le chantier.

Aah, pas de ce côté !

Numéro Cent-Dix-Huit est en train d'escalader le grillage de cinq mètres de haut. Au moment où sa main touche la pointe des barbelés au-dessus, des étincelles et de la fumée blanche se mettent à jaillir, et numéro Cent-Dix-Huit tombe alors du haut de la barrière. Son corps vient de se prendre une très forte décharge de courant.

Tout en se relevant frénétiquement, il lance un juron. Hélas, son corps tremble comme s'il est paralysé, sûrement du fait que certains de ses circuits internes aient été court-circuités, l'empêchant de se déplacer correctement.

Finalement, un robot se met à l'attacher suite à l'ordre du contremaître. Puis, le robot le transporte comme s'il est un déchet, avant de le ramener silencieusement. C'est une scène qui s'était répété des milliers de fois. Sauf que cette fois-ci, c'est numéro Cent-Dix-Huit qui est transporté, ce dernier hurle « Non, non, je ne veux pas mourir ! ».

En voyant son visage, je ne peux m'empêcher de repenser à ma tentative de suicide dans le laboratoire de recherches du manoir Umbrella. Cette peur accablante et ces convulsions qui font surface au moment où l'on voit la mort en face. « Non, je ne veux pas mourir ! » — c'est un fort désir de survivre.

— E-Euh !

Au moment où je reprends mes esprits, je m'écrie soudainement. Je ne sais pas vraiment si je veux sauver numéro Cent-Dix-Huit. C'est juste que ce fût plus fort que moi, quand je l'ai vu gémir.

Malgré tout-

Alors que je suis sur le point de faire bouger mes chenilles, quelqu'un m'agrippe par derrière avec une force surprenante, me retenant sans ménagement au sol.

Hein ?

Je lève la tête, et j'aperçois Lilith. Elle fronce les sourcils au-dessus de ses yeux ronds, et son visage arbore une expression effrayante que je n'ai jamais vue avant, avant de dire d'une voix nette

— Ne bouge plus !

Plaquée sur le sol, je la fixe avec un regard vide. Son visage devient rapidement triste, puis elle continue d'une voix tremblante :

— Je t'en supplie, reste tranquille pour l'instant...

Je me mure alors dans le silence.

Numéro Cent-Dix-Huit est transporté jusqu'au camion, où il est jeté à l'intérieur. Le bourreau métallique ouvre sa mâchoire, et se met à mâcher lentement les jambes de Cent-Dix-Huit comme s'il mange un bonbon. Durant tout ce temps, des hurlements désespérés résonnent dans le chantier, perçant les tympans de tout le monde. Au final, numéro Cent-Dix-Huit est tout de même mort.

Après que le démon ait gobé les quarante-et-un robots, il ne reste plus qu'un tas de débris métalliques.

Le contremaître nous ordonne ensuite de retourner au travail. Notre première tâche consiste à nettoyer les entrailles et chairs de nos feux collègues qui gisent sur le sol.

Nous travaillons en silence. Lilith et Volkov se baissent silencieusement pour ramasser les restes de nos confrères qui suintent l'huile de moteur.

Je ramasse le système visuel de Cent-Dix-Huit. Soudain, les lentilles que je tiens dans mes mains se transforment en poussière sans faire de bruit, avant d'être emportées par le vent.

Cette nuit-là, nous décidons de nous enfuir.


Renaissance : Jour 78 Page Principale Exécution : La veille au soir