Kyoukai no Kanata:Tome 1 Chapitre 1

From Baka-Tsuki
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Chapitre 1[edit]

Partie 1[edit]

« Celui-là est plein de cadavres. »

J’en avais assez de tout ça. J’ai encore poussé un soupir, amenant le total pour aujourd’hui à qui-sait-combien.

« Je suppose que l’idée ici est que tuer des gens de toutes sortes de manières atroces attirera des lecteurs. Pourtant, franchement, ce genre de cruauté vide de sens me semble de mauvais goût. »

« Alors comment veux-tu qu’ils soient tués ? »

« Tant qu’il y a une relation claire entre les actes du tueur et son mobile, peu importe. Je ne peux tout simplement pas supporter ces histoires dans lesquelles tout le monde se fait tuer sur un coup de tête ou autre. »

« Je vois, » dit Mitsuki.

Elle en avait marre, elle aussi. Je ne savais pas avec certitude si sa colère était dirigée contre moi et ma vision de la littérature, ou contre la personne qui avait écrit le récit plein de cadavres. Quoi qu’il en soit, un voile d’ennui est descendu sur nous. Il ne montrait pas non plus de signes d’un départ proche.

« Que c’est pénible. »

J’ai lancé sur la table les papiers que j’avais à la main. Comme ils n’étaient pas attachés ensemble, un certain nombre d’entre eux a glissé de la table et a voleté doucement jusqu’au sol. Je ne me suis pas particulièrement soucié de les ramasser.

« Akihito, montre un peu de respect pour les vieux papiers. Nos prédécesseurs ont mis tout leur cœur et leur âme dedans. »

« Quand tu les appelles "vieux papiers", je ne peux pas me résoudre à m’en soucier le moins du monde, peu importe le nombre d’âmes qu’il y a dedans. »

La réprimande de Mitsuki m’a arraché un rire tendu alors que je ramassais les papiers.

Mercredi 11 avril – pause déjeuner.

Voici devant vous le club de littérature.

Le club faisait paraître un magazine trimestriel appelé "Dame de la Nuit". Le numéro de printemps de cette année serait le 200ème, et pour fêter ça, nous avons compris que nous devions faire quelque chose pour celui-ci. Nous en avons discuté avec les autres membres du club et le conseiller du personnel, et au final, nous avons décidé que nous ferions de ce numéro un numéro commémoratif. En tant que tel, nous allions parcourir nos numéros passés – ce qui signifiait que nous devions les exhumer des montagnes de boîtes en carton s’accumulant dans la salle de club – et n’en sélectionner que les meilleures histoires pour les inclure au numéro.

Et c’est ainsi que Mitsuki, la présidente du club, et moi, le vice-président, nous sommes retrouvés à travailler dur pour sélectionner des histoires de nos anciens numéros.

Contrairement aux salles de classes normales, la salle du club de littérature avait de longues tables et des chaises pliantes. De vieilles copies de "Dame de la Nuit" et d’autres papiers occupaient l’équivalent de deux tables. J’ai feuilleté un nouvel ensemble de feuilles. Ce que nous faisions était d’une stérilité. Pas seulement le fait que nous ne soyons que deux à essayer de nous faire une idée de plus d’un millier d’histoires, même si c’était déjà terrible en soi. N’en demeure que quelques récits ne semblaient même pas couler logiquement et de façon cohérente. Ça, c’était stérile. Alors, pour l’instant, je les jugeais d’après la qualité de leur organisation et celle de leur rédaction. Tout le reste était une préoccupation secondaire. À propos, notre club possédait aussi trois autres membres, mais ils étaient tous bizarres d’une façon ou d’une autre, alors ça importait peu qu’ils soient là ou non… En y repensant, s’ils avaient été dans le coin, en fait, ils auraient pu nous ralentir.

« Et nous avons là un mystère avec des tours de science fiction négligés partout et aucun mobile pour le criminel en vue. »

« Si c’est ce que tu penses de ça, jette-le juste. »

Ai-je soupiré. Mistuki a incliné la tête, de manière dramatique.

« J’avais l’impression que les romans de mystères et ceux pour jeunes adultes étaient une meilleure option. Ou est-ce que tu veux dire que tout ce qui est intéressant convient ? Même les histoires d’action violentes et les histoires d’horreur ? »

« Fais juste preuve de tact pour ce genre de choses. »

« Si tu le dis, » a dit Mitsuki.

Puis elle m’a passé une pile de papiers.

« Celui-là est un conte de fées, mais c’est assez intéressant. »

« Oh ? Comment il s’appelle ? »

« Le Petit Chaperon rouge sans Chaperon. »

« Elle est quoi, alors !? »

Ai-je rétorqué par réflexe. Le Petit Chaperon rouge sans son chaperon ? Le chaperon était son seul signe distinctif. Quelque chose devait clocher avec elle. Bon, d’un autre côté… selon la façon dont on regardait les choses, l’absence du chaperon pouvait être en elle-même un nouveau signe distinctif. Dans tous les cas, je n’avais qu’une chose à dire.

« Est-ce que tu prends ça au sérieux ? »

« Bien sûr. C’est la première fois que je sélectionne des histoires pour "Dame de la Nuit", par contre, alors je n’ai pas encore le coup de main pour ça. »

Mitsuki a tout d'un coup semblé sérieuse.

Oh… Je comprends. Je n’aurais pas dû dire ça. Ce n’est pas comme si j’étais vraiment meilleur, d’ailleurs. Bien sûr, nous jugions les histoires d’après la qualité de leur organisation et de leur rédaction, mais notre évaluation de ces qualités était déjà subjective pour commencer. C’étaient des paramètres terriblement vagues. C’était une sélection impartiale qui n’en avait que le nom. En toute honnêteté, nous ne choisissions que les histoires que nous aimions.

« Pardonne-moi, » me suis-je excusé.

J’étais allé trop loin. Après ça, j’ai fourré mon déjeuner dans ma bouche : un sandwich à l’escalope venant du magasin de l’école. Bien sûr, je devais quand même continuer à parcourir les papiers de ma main libre tout en mâchant. Nous aurions dû réaliser à quel point ça allait être dur quand nous avons compris que nous ne pourrions pas tout terminer pendant les heures de club après l’école.

« Bon Dieu. Celui-ci devrait être reconnu comme nouvelle forme de torture, » a grommelé Mitsuki.

Elle a jeté sur la table le numéro de "Dame de la Nuit" qu’elle feuilletait. Elle s’est enfoncée dans sa chaise et a regardé le plafond d’un air absent. Respectant les lois de la nature, la façon dont elle s'est cambrée contre le dossier de sa chaise a rendu les protubérances de sa poitrine encore plus proéminentes. Mon regard était attiré vers elle. C’était vraiment quelque chose. Je ne pense pas que je comprendrai un jour ce que certaines personnes voyaient dans les poitrines plates. D’un autre côté, je ne comprends pas non plus pourquoi les gros seins sont la priorité numéro un de certains.

« Hé, Akihito. »

Mitsuki s'est lentement redressée et m'a regardé droit dans les yeux avec ses yeux blancs. C’était comme si elle regardait un tas de crotte de chien sur le côté de la route. Je savais que je devais me montrer ferme, séance tenante.

« Oui, quoi ? » ai-je répondu.

Mon regard n'a quitté sa poitrine à aucun moment. Si j’avais détourné les yeux, elle aurait sûrement interprété ça comme un aveu de culpabilité. Pour éviter ça, je n’avais d’autre choix que de continuer à regarder sa poitrine.

« Tu es impudique. »

« Mais j’ai travaillé si dur ! »

J’ai laissé tomber mes épaules en plaisantant. Il ne semblait pas que Mitsuki veuille me réprimander davantage.

Ça montrait à quel point nous étions proches.

Nase Mitsuki. C’était une deuxième année au lycée. Sa famille possédait pas mal de terres dans le coin. La première chose que j’aurais dû mentionner à son propos est qu’elle exsude en permanence l’élégance. Elle était le portrait craché d’une jeune demoiselle de la haute société. Sa peau pâle était aussi lisse que de la porcelaine. Elle avait de grands yeux ronds, du type grande-sœur-canon-d’un-ami. Enfin, elle devait être l’héritière de l’empire de sa famille ; mais pour l’instant, en tant que deuxième année au lycée, elle était la présidente du club de littérature. Il y avait un flux sans fin de personnes frappant à la porte de la salle de club, tous enchantés par la superbe silhouette et la poitrine voluptueuse de Mitsuki. Je n’allais pas laisser ces vagabonds polluer notre littérature. En tant que membre chargé de recevoir les visiteurs, je m’assurais de faire partir ces dépravés en toute hâte. J’étais un parfait gentleman à ce sujet, bien sûr. Vous savez quoi ? Laissez-moi corriger ça. Je refusais fermement l’accès du club à tout arrivant, utilisant un langage que vous n’entendriez même pas venant d’un petit voyou au collège.

Une plainte m’est brusquement parvenue des magnifiques lèvres de Mitsuki : « … Si seulement nous avions quelques nouveaux membres, ce serait beaucoup plus facile. »

Tout était la faute de ce numéro commémoratif. Si nous n’avions pas décidé de faire ça, nous ne serions pas en train de perdre notre temps sur cette montagne de papiers.

« Nous avions juré de ne pas parler de ça, non ? Nous nous étions mis d’accord sur le fait que nous terminerions ça avec seulement quelques personnes efficaces. »

« C’est le problème. Pour le moment, nous sommes juste ‘quelques’ ; pas ‘efficaces’. »

Je ne savais plus quoi dire.

C’était tout ce que j’avais en ma faveur : l’efficacité. Et maintenant, je n’ai même pas ça ? Quelle façon cruelle de parler. Juste à ce moment, l’alarme que j’avais réglée sur mon téléphone a sonné. J’ai sorti mon téléphone et ai éteint la sonnerie. Je ne voulais pas en faire toute une histoire, mais je savais que je devais quitter la salle de club.

« Je reviens tout de suite. »

« Tu m’abandonnes tout ce travail ? »

Mistuki a levé les yeux par-dessus les papiers et m'a fixé, les yeux plissés. Alors que je me levais, j’ai répondu :

« Bien sûr que non. Je rattraperai mon retard après l’école. »

« Je ne veux pas de tes excuses. Dis-moi pourquoi tu dois partir, » a-t-elle exigé.

Elle avait un air effrayant au visage. Je n’allais pas pouvoir sortir de là impuni avec une blague ou deux. Voyant que je n’avais pas d’autre choix, j’ai inventé une excuse désespérée.

« Eh bien, c’est un phénomène naturel en quelque sorte. Tu sais, ça. »

« … Qu’est-ce que tu veux dire par "en quelque sorte" ? D’ailleurs, si tu souffres de "phénomènes naturels" à chaque fois qu’une alarme sonne, tu devrais vraiment faire vérifier ça. »

Quelle pagaille.

Bon, elle n’avait pas tort. Même les chiens de Pavlov seraient surpris si j’étais vraiment conditionné pour souffrir d’un "phénomène naturel" à chaque fois qu’une alarme sonnait. Au fait – on donnait de la nourriture aux chiens de Pavlov à chaque fois qu’une cloche sonnait. Donc, à chaque fois que la cloche sonnait, les chiens commençaient à baver même s’il n’y avait aucune nourriture. Telle était la vie à la résidence Pavlov.

Bah, peu importe. Ce n’est pas le problème. En l’état actuel des choses, je n’avais pas le luxe de sélectionner et de choisir mes excuses. Je devais sortir de la salle de club et m’éloigner de Mitsuki aussi vite que possible.

« Quoi qu’il en soit, je suis sur le point d’exploser, alors je sors. Tu ne veux pas me voir avoir un accident, n’est-ce pas ? »

« … »

Il allait sans dire que j’ai senti un regard plein de mépris derrière moi. Ça allait. À peine quelques secondes plus tard, j’ai été certain d’avoir pris la bonne décision. Car, vous voyez, au moment où j’ai posé un pied hors de la salle de club, j’ai senti quelqu’un d’autre me regarder depuis quelque part. C’était une bonne chose que j’aie mis un peu de distance entre Mitsuki et moi. Pour le moment, j’ai décidé d’adopter une attitude d’attente. J’ai commencé à errer dans la direction générale des toilettes. J’étais sûr d’être suivi. J’ai vérifié les alentours tout en m’étirant, afin d’éviter d’alerter mon poursuivant.

J’ai aperçu une petite fille se cachant dans l’ombre de la cage d’escaliers. Elle me regardait fixement. Je pense qu’elle s’imaginait s’être cachée de moi. Si c’était le cas, elle sous-estimait mes sens aiguisés. Je la soupçonnais de s’être procurée de nouvelles lunettes à montures rouges à l’occasion de son entrée au lycée. C’étaient ces lunettes rouges qui l’avaient dénoncée. Elle pensait pouvoir se cacher de moi – moi, qui pouvais identifier n’importe qui à ses lunettes ! Une terrible erreur de sa part.

Enfin, bref.

Laissez-moi être totalement honnête. Depuis ce jour, Kuriyama Mirai m’avait traqué. C’est un peu comme cette légende urbaine. Vous savez : "L’appel vient de l’intérieur de la maison !" Certes, nous n’étions pas assez proches pour nous appeler l’un l’autre, mais après trois jours à subir ses combines, je suppose que je m’étais habitué à elle, ou peut-être simplement préparé mentalement à elle.

« Quelle galère, » ai-je murmuré.

J’ai recommencé à marcher, agissant comme si rien ne s’était passé. Après un court instant, j’avais le sentiment que j’étais sur le point d’être attaqué par surprise, alors j’ai fait volte-face. Je suppose que son réflexe n’a pas été être assez rapide. La moitié de son corps dépassait de derrière l’une des colonnes du couloir. Bon sang. Elle paraissait vraiment suspecte. Encore plus effrayant, elle n’a même pas essayé de se cacher à nouveau plus soigneusement. Elle s’est simplement tenue là, clouée sur place.

« Bon, ça devait à coup sûr être mon imagination, » me suis-je dit à voix haute.

J’ai continué à parcourir le couloir. Peu de temps après, je me suis retourné, juste pour la trouver se tenant là immobile, les deux mains contre le mur. Franchement, son corps tout entier était visible. Elle me regardait directement, les yeux immobiles, ressemblant à s’y méprendre à une statue de cire. Elle était tellement mauvaise pour ça que c’en était terrifiant. De mon point de vue, une fille à qui les lunettes allaient bien était catégoriquement plus mignonne qu’une fille pour laquelle ce n’était pas le cas. Et elle réussissait quand même à m’inspirer de la peur… Ce devait être l’œuvre du diable.

J’ai avancé un peu plus loin dans le couloir et me suis tourné à nouveau. Elle s’était arrêtée avec un pied en l’air. Ne me dites pas qu’elle pense que je ne peux voir que les objets en mouvement. Qu’est-ce que je suis, une grenouille ? Cette fois, j’ai fait mine de recommencer à marcher, mais j’ai à la place regardé par-dessus mon épaule. Et elle était encore aussi immobile qu’une statue. Bonsangbonsangbonsang. Est-ce qu’on joue à un deux trois soleils maintenant ?!

Est-ce que c’est un test ? Est-ce qu’elle essaye de voir combien de temps je peux tenir sans lui faire de remarque ?!

« … »

Une minute a passé, nos yeux rivés l’un sur l’autre. Je n’arrivais pas à deviner ce qui pouvait bien lui passer par la tête. En tout cas, le point problématique était qu’elle se trouvait à bout portant. Si je l’offensais, la situation globale se terminerait de la même façon que sur le toit l’autre jour. Mauvaise fin. Même si j’aurais aimé considérer le bâtiment de l’école comme un endroit sûr pendant les heures de cours, je ne pouvais tout simplement pas. Pas après avoir vu toutes les choses bizarres qu’elle avait faites au cours des derniers jours.

J’ai détourné les yeux d’elle, afin de me diriger vers un endroit avec moins de monde. Et alors.

Elle a ouvert à la volée la porte d’un placard de rangement et a sauté dedans pour se cacher. Elle a dû se prendre les pieds dans un saut ou quelque chose, d’après le fracas horrible qui a suivi. Elle est retombée dans le couloir, couverte de balais, de serpillières et de choses de ce genre. Dans une situation comme celle-là, un adolescent typique pourrait essayer de regarder sous sa jupe. Moi, d’un autre côté, je ne le ferais pas. Non, j’étais bien plus préoccupé par ses lunettes à montures rouges – étaient-elles tombées ? Est-ce que quelque chose leur était tombé dessus et les avait cassées ? Les voyant intactes, j’ai ressenti une sorte de joie monter lentement en moi. Ce n’était pas le moment d’éclater de rire de soulagement, bien sûr. Je savais qu’elle ne voulait pas m’entendre dire ça, mais je l’ai dit quand même.

« Est-ce que ça va ? »

Elle a lentement soulevé du sol le haut de son corps.

Tout en ajustant ses lunettes, elle a répondu : « Oh, senpai. Quelle coïncidence. »

« Coïncidence, mon œil ! Si "c’était une coïncidence" expliquait assez bien la raison pour laquelle tu viens juste de tomber d’un placard de rangement, "Quelle coïncidence" serait la devise universelle des intrus ! »

« C’est déplaisant. »

Elle méprisa encore une fois ma réplique intelligente. Utilisant un chiffon de nettoyage de verres, elle essuya les taches de ses lunettes. Nettoyer ses lunettes à un moment pareil ? Ça demandait un sérieux cran. Je me suis tenu là silencieusement pendant un moment, la regardant nettoyer ses lunettes sans mot dire. Elle n’avait pas l’air d’avoir fini de sitôt. D’une certaine manière, j’ai fini par réaliser ce qu’elle manigançait.

Je lui ai lancé une pique : « Je ne pense pas que tu trouveras de bonnes excuses cachées dans ces lunettes. »

« Q-Q-Q-Q-Quoi ? Je n-ne cherchais pas d’e-excuses. »

« Regarde-toi ! Tu sembles louche comme tout ! »

« Parce que tu m’as désoririentée ! » a-t-elle dit en boudant.

Elle jouait à la victime, maintenant. Je n’avais aucune idée de pourquoi elle était fâchée contre moi. Je dois dire, par contre, qu’une fille à lunettes à l’air renfrogné faisait un joli tableau. Alors que ces pensées me traversaient l’esprit, elle inclina la tête.

« Est-ce que tu écoutes ce que je dis ? » a-t-elle demandé.

« Ouais, ouais, j’écoute. Le potentiel caché des lunettes et tout, pas vrai ? »

« Je n’ai jamais rien dit à propos de ça ! Je parlais du fait que je devrais penser ou non à une bonne excuse ! »

« Oh… c’est vrai. Alors, est-ce que tu as trouvé quelque chose de bien ? »

« Eu-eu-euh. À-À-À plus t-tard ! »

Et sur ce, elle s’est enfuie en courant à toutes jambes. Je lui ai dit au revoir avec un ricanement. Bien sûr, elle jouait la comédie comme un manche, mais une fois que vous appreniez à la connaître, elle était assez mignonne. J’étais sur le point de retourner à la salle de club, quand j’ai remarqué les entrailles du placard de rangement du coin de l’œil. Vu que la coupable s’était déjà enfuie, j’ai dû me dévouer à ranger son bazar. J’ai soupiré avec force. Le couloir était vide, alors personne ne m’a entendu.

Partie 2[edit]

Après les cours ; dans la salle du club de littérature.

« Pouah. »

Je travaillais dur à la sélection d’histoires pour "Dame de la Nuit". Tourner une page. Lire une page. Tourner une page. Lire une page. Tourner une page. Lire une page. Le temps ne faisait que s’écouler tranquillement, satisfait de me laisser avec une montagne de papiers sans fin. Au milieu de tout ce silence, j’ai dû commencer à halluciner. C’était comme si la trotteuse d’une vieille horloge avançait à intervalles irréguliers. La simple idée d’appeler la feuille de papier dans ma main une "histoire" m’irritait. J’étais assez clairement au bout du rouleau.

J’ai compris que je devais refiler un peu du boulot aux autres membres du club, même si je n’arrivais pas à m’imaginer cela comme une aide.

« Où sont les trois autres ? »

« Comme si je le savais, » a répondu Mitsuki.

Elle a joué avec ses cheveux et les a rejetés par-dessus son épaule. Bien sûr, elle regardait les anciennes copies de "Dame de la Nuit", mais je n’étais pas si sûr qu’elle soit en train de travailler dessus. Nous arrivions à l’expiration de notre motivation, rapidement, et notre efficacité chutait en tandem. Comprenant qu’il était temps de s’arrêter pour aujourd’hui, j’ai regardé l’horloge du mur. Il était presque vingt heures. Ça pourrait être normal pour un club sportif, mais nous étions un club scolaire. Nous avions passé assez de temps ici. J’ai attrapé mon sac sur l’étagère et j’ai rassemblé toutes mes affaires pour rentrer chez moi.

« Ah oui, Akihito – est-ce que tu sais ce que sont les "tsundere"[1] ? »

« Ça sort de nulle part. Quoi, les tsundere ? … Tu sais, je ne m’attendais pas du tout à entendre ce mot dans la vraie vie. »

« Je ne comprends comment pensent les tsundere. Elles sont énervantes, et après, elles sortent des trucs comme : "je ne faisais pas ça pour toi" ou "je te déteste vraiment, compris ?". Si elle l’aime, pourquoi est-ce qu’elle ne se contente pas de le lui dire ? »

Je ne savais pas quoi répondre à ça. Elle n’aurait pas dû dire ça. Quelques secondes ont passé.

« Tu devrais éviter de dire des choses comme ça, » ai-je suggéré. « De nombreuses personnes des quatre coins du pays vont réclamer ta tête. Si tu étais une célébrité, des trolls auraient déjà conduit ton blog dans les enfers profonds à l’heure qu’il est. »

« … »

La fille aux cheveux noirs s’est tue d’un coup. Il y avait un air sombre sur son visage qui accentuait sa charmante silhouette. Elle faisait comme si elle était terriblement apprivoisée. Ça m’a fait me sentir quelque peu mal dans ma peau.

« Ah, désolé, ne t’en fais pas pour ça. Ce n’est pas important. »

« Non, c’est juste que les gens me préfèrent quand je suis silencieuse comme ça. »

« Quelle réplique du tac au tac ! »

Elle avait déjà à l’esprit un plan pour changer ses soi-disant ennemis en supporteurs. Bon sang. Mistuki n’était pas vraiment une tsundere – elle avait plutôt une vision perverse du monde. Bon, je suis content que mon inquiétude soit injustifiée. Il n’aurait pas été bon pour cet endroit qu’il y ait de l’animosité entre nous, puisque nous étions les seules personnes présentes.

« Bah, tous les goûts sont dans la nature, tu sais ? »

« C’est vrai. »

Alors que nous parlions, Mitsuki a jeté un coup d’œil aux bouts de papiers étalés autour de nous. C’étaient bien sûr des numéros de "Dame de la Nuit" qui avaient été créés par d’anciens membres du club. Peut-être l’héroïne de l’une de ces histoires était-elle une tsundere. Ça expliquerait pourquoi nous nous étions égarés sur ce sujet en premier lieu. Pour une raison quelconque, Kuriyama Mirai m’est venue à l’esprit juste à l’instant. Elle produisait une épée rouge sombre à partir de rien et m’attaquait avec avant même que je ne puisse dire un mot. Et les lunettes lui allaient à merveille.

Elle était quelqu’un d’étrange ; ça, c’était sûr.

Même si nous nous rencontrions "par hasard" à peu près tous les jours, je n’arrive pas à comprendre ce qui lui passe par la tête. Je me suis habitué à interagir avec elle, mais c’est à peu près tout. Je n’essaye pas activement de l’éviter, mais s’occuper d’elle est un peu contraignant, alors c’est vraiment agaçant quand je la croise alors que je suis pressé.

« Akihito, » a dit Mitsuki, me tirant de ma rêverie.

Mes pensées ayant été perturbées, j’ai regardé Mitsuki.

« Si tu ne persévères pas, tes rêves ne deviendront jamais réalité, tu sais. Ton rêve dans lequel je confesse mon amour pour toi à la cérémonie des diplômes, en particulier. Ou bien aurais-tu rencontré une autre fille dont tu aimerais te rapprocher ? »

Quelle perspicacité ! Il était évident à ses yeux que je pensais à une autre fille. Ou peut-être que ce genre de choses pouvaient être décelées sur mon visage ? Bon, commençons par le commencement : il est temps que je réplique.

« Depuis quand est-ce que je rêve que tu confesses ton amour pour moi ? »

« Oh, préférerais-tu professer ton amour à la place ? » s’est enquise Mitsuki, un air indifférent au visage.

Jamais à court de répliques.

« Ce n’est pas ce que je veux dire. C’est toute ton hypothèse en premier lieu qui est erronée. »

« Mes plus humbles excuses. J’aurais dû savoir qu’un don Juan de ton envergure donnerait la chasse à quiconque posséderait de gros seins. Bien sûr, tu ne serais pas particulièrement exigeant avec les miens. »

« Ma vie ne se résume pas à ça ! »

« Ne crie pas, s’il te plaît. Ne peux-tu voir que ton adorable amie d’enfance se sent jalouse ? »

Elle a souri avec espièglerie. Je me sens écrasé pour une raison quelconque. Incidemment, Mitsuki et moi ne nous connaissions que depuis le début du lycée. J’avais pas mal déménagé, alors je n’ai pas d’amis datant de quand j’étais petit.

« Est-ce que me chahuter doit devenir ton passe-temps ? »

« C’est vraiment plus une corvée qu’un passe-temps. C’est mon destin. Que veux-tu que j’y fasse ? »

« Pour l’amour de… Là n’est pas le problème ! Tu me harcèles, en fait ! »

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Alors que j’étais occupé à répliquer, un sourire plein d’autodérision a glissé sur mon visage. Je suppose… que nous étions devenus trop amicaux l’un envers l’autre. Nous avions oublié nos places respectives. Bien que nous soyons, en un sens, des rivaux, nous n’avions certainement aucune mauvaise volonté à l’égard de l’autre. En fait, si on nous jetait tous les deux dans une pièce fermée, nous nous entendrions très bien. C’était certainement quelque chose dont on pouvait se réjouir. En même temps, par contre, il y avait quelque chose de dangereux à propos de ça.

« Au fait, Akihito. »

« Ouais, quoi ? » ai-je répondu.

« À propos de Kuriyama Mirai. »

Soudainement et sans avertissement, Mitsuki ne plaisantait pas. Pris au dépourvu, j’étais sans voix. En y repensant, pourtant, je n’aurais pas dû être surpris qu’elle me demande ça. Il était impossible que la famille Nase n’ait pas eu connaissance de quelqu’un comme elle… quelqu’un qui n’était pas un humain ordinaire. Notre conversation toute entière jusque là avait dû être un prélude à cette question.

« … Alors tu étais vraiment au courant pour elle. »

« Probablement avant que tu ne le sois, » a-t-elle froidement répondu.

Mitsuki a posé son exemplaire de "Dame de la Nuit" sur la table. Mon petit doigt me picotait – il y a avait du danger dans l’air.

« Elle n’est pas une ikaishi malveillante, pas vrai ? »

« C’est un moment difficile pour nous. Nous avons encore du mal à le découvrir. »

« Hein ? »

« Il est inutile que je te le répète à nouveau… mais, tu sais à quel point nous autres de la famille Nase avons prospéré en construisant en espace exclusif rien que pour nous ? C’est pourquoi nous abhorrons absolument ceux qui nuiraient à notre domaine. »

« Bien sûr, mais tout de même ― est-ce que ça ne fait pas énormément d’agitation pour une simple lycéenne ? »

« Évidemment, nous ne nous inquiétons pas seulement d’une fille. »

« On dirait que tu sous-entends quelque chose. »

« Un grand nombre d’ikaishis approchent de cette zone à l’heure où nous parlons. Nous savions qu’ils venaient, et que cela en lui-même n’était pas particulièrement inquiétant. Néanmoins, jusqu’à ce que nous sachions ce qu’ils veulent exactement, nous ne pouvons pas nous permettre de nous détendre. »

« … et Kuriyama-san est l’une de ces ikaishis ? »

« Provisoirement, oui. Pour le moment, nous ne savons pas s’ils travaillent ensemble, ou s’ils agissent séparément. »

« Est-ce que tu as le droit de parler de tout ça avec moi ? »

« Je te fais confiance, Akihito. »

Un éloge de la part de Mitsuki ― ça, c’est une surprise. Et alors, d’une vois robotique, elle a déclaré :

« Alors ne deviens pas mon ennemi. »

Et sur ce, elle s’est levée et a attrapé son sac. Elle a quitté la pièce. Élégamment. Vous pouviez dire rien qu’en voyant la façon dont elle se comportait qu’elle venait d’une maison de bonne réputation. Ceci dit, le bureau était encore couvert de feuilles de papier. Puisqu’il ne restait que moi, j’ai posé avec réluctance mon sac de côté pendant que je nettoyais la pièce. Je ne me suis pas embêté à faire un ménage sérieux ou quoique ce soit : je voulais juste que la pièce soit assez propre pour être présentable.

« Nous allons nous y remettre demain, de toute façon. »

J’ai éteint les lumières, ai fermé la porte, et alors---

« Senpai. »

Ce couloir, dans lequel se trouvaient les salles des divers clubs scolaires, était assez silencieux. Si j’avais été à n’importe quel autre endroit qu’ici, j’imagine que je n’aurais pas réussi à entendre cette voix calme. Je n’avais même pas besoin de me retourner. Quand j’ai jeté un coup d’œil dans la direction d’où venait la voix, j’ai vu une fille qui s’y tenait, portant des lunettes à montures rouges. Il fut un temps où j’aurais été ravi que des nouvelles élèves me parlent. Ces jours étaient passés depuis longtemps. Je devrais écrire un éloge à leur propos, un jour--- Je ne peux pas dire que la situation actuelle me ravissait.

Il n’était pas difficile de voir pourquoi. La personne qui m’avait appelé était, bien sûr, Kuriyama Mirai.

« Est-ce que tu ne peux pas t’en tenir à une rencontre par jour ? »

« Tu t’es bien moqué de moi pendant le déjeuner, mais je suis prête, cette fois. »

Elle a complètement ignoré ma réclamation, et allons bon, je ne m’étais "moqué" de personne pendant la pause déjeuner. Elle s’enfonçait juste davantage. Si je le précisais, par contre, ça ne ferait qu’empirer les choses. Et ainsi, je lui ai juste demandé ce que j’avais toujours voulu lui demander.

« Qu’est-ce que tu veux ? »

« Penses-tu vraiment qu’une famille d’exterminateurs de youmu professionnels laisserait un possédé en liberté ? »

« La façon dont tu penses être liée aux affaires de ta famille m’inquiète un peu. D’ailleurs, je n’ai pas été possédé par un youmu. Je suis mi-youmu et mi-humain --- unique en mon genre, quoi. Je ne suis pas contrôlé par un youmu. C’est juste que mon corps est un peu inhabituel. À part ça, je suis un lycéen ordinaire. Je pensais qu’une pro comme toi pouvait se permettre de m’ignorer. »

« C’est déplaisant. »

Kuriyama-san a ensuite levé le bras gauche à la hauteur de sa poitrine. Elle portait énormément de bracelets au poignet. Elle les a enlevés, et a déroulé le bandage rouge qui se trouvait en dessous d’eux. Du sang frais a commencé à couler de l’entaille sur son poignet. Ça semblait tellement douloureux que je n’ai pas pu m’empêcher de détourner les yeux. Le plus étrange ne s’était pas encore produit.

Tout d’abord, le sang a commencé à remonter son bras en serpentant jusqu’à son coude, comme si on lui avait donné vie. Il semblait presque doué de sens. Ensuite, le fluide écarlate s’est rassemblé vers la paume de sa main. Enfin, celle-ci s’est remplie de sang. Puis le sang a changé de forme, pour se transformer en un solide rouge sombre. Son sang cristallisé a commencé à se remodeler en lame d’environ un mètre de longueur.

C’était une méthode absurde pour créer une épée fantasmagoriquement absurde.

Elle allait aussi loin que se battre avec une arme mystérieuse composée de son propre sang. C’était comme si elle se fichait bien de mourir, du moment qu’elle avait accompli sa mission jusqu’à bout. Même un demi-youmu comme moi ne pouvait qu’être surpris par ce dangereux style de combat.

Il y avait une sensation de danger imminent se dégageant de nous (grâce à elle) alors qu’elle préparait sa lame rouge sombre. Elle avait à peu près la taille d’un shinai, mais sa forme variait de façon remarquable. Il était donc difficile de juger quelle distance séparait la lame de mon corps. Pire, cette lame était parfaitement capable d’assener un coup mortel. Ça faisait trop pour que je m’en occupe. J’ai énergiquement haussé les épaules et ai essayé de lui parler.

« De toutes les personnes qui ont su pour ma particularité, tu es la première à continuer à essayer de me combattre. »

« La flatterie ne te sauvera pas. »

« Non non, je ne te flattais pas ! »

Elle a remonté ses lunettes à montures rouges, arborant sur le visage un air qui démentait mes mots. Non pas que j’aie tendance à savoir ce à quoi pensait Mitsuki, mais je n’ai vraiment aucune idée de ce qui traversait la tête de Kuriyama-san.

« En ce moment, nous sommes les seules personnes dans ce couloir, » a déclaré Kuriyama-san.

On dirait qu’elle voulait dire par là : « … alors nous pouvons faire ce que nous voulons. »

« ---Battons-nous. »

Depuis des temps immémoriaux, il y avait des gens dont le devoir était d’envoyer certains êtres dans l’autre monde - les youmus et ceux qui, après avoir été possédés par un youmu, cessaient d’être humain. Ces personnes sont connues sous le nom d’ikaishis. De nos jours, nous pensons souvent avoir la liberté d’exercer la profession que nous souhaitons. Les ikaishis, en revanche, n’ont pas cette liberté. Si je ne me trompais pas, Kuriyama-san faisait partie d’une longue lignée ininterrompue d’ikaishis.

« Je suis l’héritière d’une famille d’ikaishis, » m’avait-elle dit un jour.

Quand elle voit un youmu ou un possédé, je suppose qu’elle se sent l’obligation de faire quelque chose à ce propos. Je ne sais pas si elle est née ainsi, ou si on lui a appris à penser de cette manière plus tard dans sa vie. De toute façon, si elle ne peut pas les ignorer physiquement, je suppose qu’il serait juste de dire qu’un sort avait été lancé sur son sang. Ça avait l’air d’une blague, mais ce n’était franchement pas matière à rire. Pourquoi ? Eh bien, disons juste que les contes impliquant des youmus et des possédés avaient tendance à ne pas bien se finir. Et pire encore, elle devait les combattre. Si j’y pense simplement, je suis accablé d’émotions désagréables. Imaginez-vous lisant la pire histoire de tout l’univers, pour toujours. C’était en gros ce qu’on ressentait.

Mon combat avec Kuriyama-san --- bon, j’étais plus en train de fuir pour sauver ma peau alors qu’elle m’attaquait impitoyablement, ce qui n’était pas très acceptable --- s’est achevé au bout de trente minutes. Nous n’étions même pas censé courir dans les couloirs, sans parler de se battre. Si quelqu’un nous avait trouvé, nous aurions eu de la chance de ne nous en sortir qu’avec une suspension. Voyant qu’elle était assez visiblement épuisée, j’ai décidé de me montrer gentleman.

« Est-ce que ça va ? Tu sembles toute rouge. »

Ses épaules se soulevaient quand elle respirait.

« Tu n’arrêtais pas de courir dans tous les sens ! » a-t-elle dit tout en me fixant.

« Alors c’est de ma faute, maintenant, hein. »

J’ai soupiré profondément.

« Est-ce que tu n’es pas fatigué après toute cette course ? » a-t-elle demandé, magnifique avec ses lunettes, comme toujours.

« Pas vraiment. J’ai plus d’endurance que la plupart des gens, » ai-je-répondu, prétendant ne pas savoir où elle voulait en venir.

Certes, Kuriyama-san manquait d’endurance, mais j’ai compris que sa fierté en prendrait un coup, alors j’ai omis ce passage.

« … »

Silencieusement, elle a retransformé la lame rouge sombre en fluide, et l’a absorbée dans son corps à travers la blessure sur son poignet. Enfin, elle a enroulé le bandage autour de son poignet et a remis les bracelets dessus. Je l’ai juste regardée, abasourdi, alors qu’elle exécutait ces gestes.

Un pouvoir inhumain.

Une lignée d’ikaishis qui chassaient les youmus, utilisant leur propre sang comme arme.

Kuriyama Mirai --- une fille vraiment inhabituelle. Bon, en tout cas, son épée ayant disparu, j’ai deviné que le combat était fini.

« C’est la première fois que je vois un possédé immortel comme toi, senpai. »

« Ouais, eh bien, c’est la première fois que je vois une ikaishi aussi agressive et friande de combats que toi, Kuriyama-san. Et combien de fois dois-je te dire que je ne suis pas un possédé ? Je suis juste un lycéen sortant légèrement de l’ordinaire. Rien de plus. »

J’ai haussé les épaules exagérément. Sortant juste légèrement de l’ordinaire --- cette formulation en disait long sur combien j’étais bâtard. Ni humain, ni youmu. Kuriyama-san ne paraissait pas me croire.

« Quelque chose te dérange ? »

« Ton immortalité ne te donne pas la jeunesse éternelle, pas vrai ? »

« C’est ça. Je ne peux simplement pas mourir de maladie, ou de dégâts infligés à mon corps. Je vieillirai exactement comme un humain normal, et quand le temps sera venu, j’imagine que je mourrai comme un humain normal. »

« Oh, je vois. »

Kuriyama-san a acquiescé. Je suppose que ça l’avait impressionnée. Quand elle n’était pas en mode combat, tout ce qu’elle faisait était féminin. J’ai compris qu’une chance pareille ne se représenterait pas, alors je lui ai posé une question.

« La façon dont tu changes ton sang en lame fait assez youmu. Comment manipules-tu exactement ton sang, au fait ? »

« Je ne sais pas vraiment. D’aussi loin que je me souvienne, je pense que j’ai été capable de le manipuler, alors --- »

Kuriyama-san a tressauté, comme si elle était brusquement revenue à la raison. Elle était mignonne avec ses lunettes de travers. J’étais un peu confus, alors je me suis juste assis là, attendant attentivement qu’elle continue.

« Pou-pou-pou-pou-pourquoi devrais-je te raconter ça !? »

A-t-elle haleté, vexée, en s’enfuyant. Notre relation était vraiment déroutante. Que c’était pénible. J’ai soupiré pour la nième fois aujourd’hui et suis rentré chez moi.

Partie 3[edit]

Jeudi 12 avril - pause déjeuner.

Ma destination : la cafétéria. J’achète mon déjeuner à la cafétéria et mange là-bas assez souvent, alors ce n’était pas une expérience particulièrement originale.

Peut-être notre école profitait-elle du fait que nous ne nous trouvions pas dans une zone particulièrement urbanisée. Même si la cafétéria de notre école n’était absolument pas grande, elle l’était certainement assez pour répondre à nos besoins. À chaque pas que vous faisiez en direction de la cafétéria, le grondement sourd des bavardages animés devenait de plus en plus fort. C’était un endroit à la fois vigoureux et doux. Là-bas, des élèves de tous niveaux déjeunaient tous ensemble. J’ai attrapé l’un des plateaux près de l’entrée et ai dépassé le coin des pains et des accompagnements. Au fond, il y avait une fenêtre où l’on pouvait commander des bols de riz et des nouilles --- vous leur disiez ce que vous vouliez, et ils improvisaient quelque chose juste pour vous. Tout au bout de la file, il y avait quatre registres, où ils faisaient le compte des articles que vous aviez sur votre plateau et vous enregistraient.

Alors que je me tenais à côté de la fenêtre pour commander des nouilles, j’ai remarqué une fille à qui les lunettes allaient à merveille. On dirait qu’elle avait déjà commandé : de la fumée s’élevait du kitsune-udon sur son plateau. Quand je l’ai vue, se mêlant à la foule, je n’ai rien pu voir d’autre en elle qu’une fille délicate. Bien sûr, j’avais souvent tendance à fermer les yeux sur ce détail, étant données les rencontres perturbantes que nous avions d’habitude. Je me serais senti mal-à-l’aise si j’avais prétendu ne pas la connaître, alors je me suis dit que je devais aller lui dire bonjour.

« Salut. »

Mon plateau à la main, j’ai souri à Kuriyama-san quand elle s’est retournée pour me faire face. Tout d’un coup, elle a semblé pressée. Elle paraissait avoir remarqué que le plateau qu’elle tenait occupait ses deux mains, l’empêchant donc de m’attaquer… ou quelque chose comme ça. Son bol d’udon a un peu penché, et le bouillon a commencé à se renverser. Heureusement pour moi, il y avait des élèves qui faisaient la queue derrière elle pour accéder à la fenêtre, la privant alors d’un endroit où poser don plateau. Elle frémissait et regardait frénétiquement à droite à gauche. Avec un profond soupir, je lui ai demandé :

« Tu veux que je te tienne ça ? »

« Me-Merci beaucoup. »

Je lui ai poliment pris le plateau des mains. Kuriyama-san a serré les poings et a adopté une posture de combat. Dans ma main, par contre, je tenais son plateau, sur lequel il y avait le kitsune-udon pour lequel elle n’avait pas encore payé. Elle était de toute évidence troublée par cette situation. Elle a levé les yeux vers moi, un air amer dans les yeux, comme si elle me maudissait. Tu pourrais me remercier au lieu de me maudire, bon sang.

« … (Je ne peux pas l’attaquer)… »

« … (Oh, ce pauvre kitsune-udon)… »

Même si elle ne l’avait pas dit à voix haute, je savais ce qu’elle pensait. Après quelques secondes, elle s’est mordu la lèvre d’un air vexé et a filé comme un lièvre.

« Attends, attends, attends ! Tu veux que je fasse quoi de ce kitsune-udon !? »

Hélas, ma voix ne l’a pas atteinte. Bon, dans une situation pareille, il n’y avait qu’une chose à dire.

« Foutu slime métallique… Bon, je suppose que je mange du kitsune-udon ce midi. »

J’ai payé l’udon et ai quitté la queue. Il y avait un certain nombre de longues tables recyclées pour servir de sièges de bar, ainsi que quelques isoloirs pour deux ou quatre personnes. J’ai rapidement inspecté la cafétéria, et ai aperçu la personne que je cherchais dans l’un des isoloirs pour quatre personnes.

« En quel honneur m’as-tu demandé de venir ? On ne se voit pas à la cafétéria, d’habitude. »

« On dirait que tu sous-entends que je passe d’ordinaire ma pause du déjeuner terrée dans la salle de club. »

« N’est-ce pas le cas ? »

Je me suis assis en face de Mitsuki. Elle avait un plat de spaghetti aglio e olio et une salade sur son plateau. Apparemment, la taille de poitrine n’était pas directement proportionnelle à l’apport de calories. Elle m’a regardé d’un air triste.

« Je comprends. Je ne le nierai pas. Ma vie est pathétique. Je n’ai personne à tyranniser à part toi, Ô Akihito, l’homme qui mange son déjeuner sur les toilettes. »

« Attends un peu ! La personne la plus pathétique là-dedans, c’est moi ! Et c’est quoi, ce qualificatif, "l’homme qui mange son déjeuner sur les toilettes" ! Je n’ai jamais été salué avec autant de condescendance auparavant ! »

« "Auparavant" ? Ça donne presque l’impression que tu as des amis. »

Ouaip. C’est un démon. Elle ressemble presqu’à une fille aux cheveux noirs ordinaire, mais c’est un démon.

« … Ne sommes-nous pas amis, Mitsuki ? »

« Je n’ai pas entendu. Parle un peu plus fort, s’il te plaît. »

« Ne sommes-nous pas amis, Mitsuki !? »

« Quoi qu’il en soit, calme-toi, Akihito. Contrôle-toi. Les conversations bruyantes ne sont pas appréciées à la cafétéria. »

J’ai regardé autour de nous. Tous les autres étaient absorbés par leurs propres conversations. Il ne semblait pas que nous ayons attiré la moindre attention ; néanmoins, j’aurais probablement dû être un peu plus silencieux, nous n’étions pas dans la salle de club. Attendez. C’était une question affreusement embarrassante qu’elle m’avait fait hurler. Et elle n’allait même pas y répondre ?

« Si tu n’es pas sûr d’être ami avec quelqu'un, est-ce que ça ne veut pas dire en soi qu’il n’est pas vraiment ton ami ? Par conséquent, je devrais avoir un milliard d’amis. »

La première partie faisait sens. Pas la seconde.

« Eh bien, en matière d’amis, je préfère la qualité à la quantité. »

« C’est une expression bateau parmi les personnes qui manquent d’amis. »

« Le S. S. Akihito vient de mettre ses canots de sauvetage à la mer ! Ne les coule pas, eux aussi ! Quoi qu’il en soit, arrêtons-nous là. »

« Très bien. Nous ne faisons que nous blesser l’un l’autre. »

« Alors c’était prémédité !? »

Elle est vraiment difficile à gérer. Je parie qu’elle porte une épée à double tranchant sur elle. J’ai pris une gorgée d’eau et ai parsemé un mélange de sept délicieuses herbes et épices sur mon udon. Les nouilles desséchées ne sont pas drôles à manger, après tout.

« Akihito, » a dit Mitsuki, me sortant de ma rêverie.

« Ouais ? »

« Ça m’embête de te le dire, mais c’est le récipient de poivre noir, malgré ce que dit l’étiquette. »

« Purée, tu as raison. »

Le tofu dans mon udon était couvert de grains noirs. Quoique ce ne soit pas la mer à boire.

« Eh bien, les gens mangent aussi de l’udon au poivre noir. »

J’ai mélangé le poivre noir dans l’udon avec mes baguettes et ai porté le bol à mes lèvres. J’ai bu le bouillon. C’était bon --- pas trop poivré. En tombant sur Kuriyama-san, je pense que j’avais découvert mon nouveau plat préféré.

« Oh. Tu es plus sage que tu n’y parais, Akihito. Je m’attendais complètement à ce qu’un pitre sorte quelque chose de grossier du genre : "Ouah ! Il y a du poivre noir dans le récipient de l’assortiment d’épices ! Ce doit être l’œuvre de cette maudite Mitsuki !" »

« Tu m’imaginais certainement à la place de ce "pitre", pas vrai. »

« Bah, ça n’a pas vraiment d’importance de toute façon. »

Mitsuki a rejeté mon accusation comme Galilée a rejeté l’héliocentrisme. Cela arrive tout le temps, en fait, alors je m’en fichais un peu. J’ai bu une gorgée de mon kitsune-udon au poivre noir en attendant qu’elle en vienne au sujet principal. J’ai supposé qu’il devait y avoir une raison pour qu’elle veuille me parler dans la cafétéria bruyante. C’était sans doute quelque chose qu’elle ne pouvait pas me dire dans la salle de club.

« Je dois assister à quelque chose après l’école, alors je ne viens pas au club aujourd'hui. »

Je me suis figé, un morceau de tofu entre mes baguettes. La raison pour laquelle elle ne venait pas était évidente. Après tout, hier à peine, elle m’avait parlé de l’affluence des ikaishis dans la région. Pour couronner le tout, Kuriyama-san était l’une de ces ikaishis. Tout bien considéré, il n’était pas étonnant qu’elle ne puisse pas se reposer tranquillement.

« Est-ce que c’est lié à ce dont nous avons parlé hier ? »

« J’imagine. S’il te plaît, continue à étudier les vieilles histoires, Akihito. »

« Est-ce que tu es sûre qu’il n’y a rien que tu veuilles me dire ? »"

« Est-ce que je ne viens pas juste de te le dire ? »

Un air hésitant sur le visage, Mitsuki a fait tourner sa fourchette dans ses spaghettis. Une fois qu’elle en a eu adroitement enfilé assez, elle l’a portée à sa bouche. C’était la même façon de manger que n’importe qui, mais il y avait une certaine élégance dans la manière dont elle le faisait. J’ai insisté, espérant continuer notre conversation.

« Tu ne m’as certainement pas demandé de déjeuner avec toi ici juste pour me dire que tu ne seras pas là après les cours ? »

« Je n’ai pas de très hautes opinions de tes demandes indiscrètes de renseignements. Mais tu as raison. J’ai quelque chose à te dire. »

Son expression a changé brutalement. Le reste de la cafétéria était aussi animé que d’habitude, mais l’isoloir dans lequel nous nous trouvions y semblait quelque peu étranger.

« À partir de maintenant, je ne fais que penser à voix haute. »

« D'accord. »

« Pourrais-tu ne pas intervenir que je pense à voix haute ? »

« … »

« Alors ? Qu’as-tu à répondre ? »

Choisis ce que tu veux, bon sang.

« Compris. »

« J’ai mentionné le fait qu’il y avait un certain nombre d’ikaishis voyageant ici, n’est-ce pas ? Il est clairement excédentaire au besoin actuel d’ikaishis. Ce n’est pas normal qu’il y en ait autant à venir ici en même temps. »

J’ai réfléchi fort en mangeant mon kitsune-udon au poivre noir. Elle avait dû commencer par cette préface élaborée pour se donner le temps de préparer ce qu’elle allait dire ensuite. Ou peut-être qu’elle ne faisait qu’exposer ce qu’elle allait dire. Il ne pouvait y avoir qu’une seule explication à ses paroles.

« Tu ne devrais pas fourrer ton nez là-dedans, Akihito. »

Partie 4[edit]

Après l’école ; devant la salle du club de littérature.

Jusque là, nous sommes passés sans arrêt de la pause déjeuner à la fin des cours. Dans la mesure où les élèves sont restreins par les cours, qui sont, après tout, le but principal de l’école, il ne restait qu’un petit peu de temps pendant lequel l’histoire de nos vies pouvait avancer. Cela devait expliquer pourquoi les romans de vie scolaire qui avaient pour personnage principal un lycéen se déroulaient généralement pendant l’été, ou pendant d’autres longues vacances, ou sur des jours de repos, ou après que l’école est terminée pour la journée.

Pendant que j’étais occupé à réfléchir à ces questions de structure narrative, j’ai entendu quelqu'un derrière moi.

« Kanbara-senpai. »

« ...... »

Je venais juste de la rencontrer pendant le déjeuner ! Alors que je la regardais, j’ai essuyé mon front. Mitsuki avait dû prévoir que cela arriverait, d’où son avertissement. Elle s’est tenue là, la tête inclinée, comme si elle ne savait pas ce que je faisais. Naturellement, les lunettes lui allaient bien pendant tout ce temps. De mon point de vue, celui de quelqu'un n’étant pas familier avec les habitudes des ikaishis, il semblait impensable que Kuriyama vienne mettre le bazar dans la cour de la famille Nase, pour ainsi dire. Là encore, même si Kuriyama était là pour faire quelque chose de mal, elle n’arrêtait pas de rater. Elle était inoffensive, un peu comme un personnage mascotte chevelu.

« Senpai ? »

« Kuriyama-san, est-ce que tu as une minute ? » ai-je demandé en pointant la porte de la salle de club du doigt.

Un point d’interrogation est apparu au-dessus de sa tête. Si elle était curieuse à propos de quelque chose, j’ai compris que je devais l’aider. J’ai fait un tour dans la salle de club, ai posé mon sac sur la table, et me suis laissé tomber sur ma chaise habituelle. Kuriyama a semblé submergée par les hautes bibliothèques alignées le long du mur ― qui étaient incidemment les seuls biens possédés par le club de littérature. Peut-être qu’elle n’était pas habituée à voir des bibliothèques de cette taille. Les étagères étaient remplies de toutes sortes de livres récupérés par les membres du club de littérature au fil des ans, allant des œuvres classiques de littérature aux œuvres de fiction pour jeunes adultes et même quelque romans graphiques. Ils étaient rangés serrés, apparemment au hasard, avec des livres aux mérites académiques variés. Bien sûr, nous avions quelques collections d’essais ; des guides pratiques ; et même des documents techniques ― une très large variété.

Les gens de type A[2] de part le monde deviendraient probablement fous en voyant notre collection de livres. Kuriyama, d’un autre côté, l’a juste regardée, silencieusement. Vous savez, avec sa petite carrure et la façon dont elle paraît formidable avec des lunettes, elle pouvait parfaitement passer pour un rat de bibliothèque. Tout du moins, elle ne semblait pas être une ikaishi qui combattait les Youmus avec une épée faite à l’aide de son propre sang. Non pas que j’aimerais une fille qui ressemblait vraiment à une ikaishi.

C’était la première fois que j’étais seul avec une fille dans la salle de club, Mitsuki exclue. Elle a continué à fixer les étagères, mais j’ai compris que je devais en venir aux faits.

« Kuriyama-san. »

« Qu’y a-t-il ? »

Tout en répondant, Kuriyama-san a retiré un petit livre de poche d’une étagère. C’était un roman policier, un roman qui avait aidé son auteur à percer dans le monde de la littérature. Il serait mieux de ne pas laisser ce livre l’emporter sur la conversation, par contre. Hélas, dans la vraie vie, on ne pouvait pas revenir à une conversation avec l’expression magique : "Pour en revenir au sujet…".

« Quelqu'un t’a-t-il demandé de venir ici ? »

« … Qu’est-ce que c’est censé vouloir dire ? » a-t-elle répliqué, suspicieuse.

« Quelqu'un m’a dit implicitement que je devrais éviter d’avoir affaire à toi, tu vois. »

Peut-être cela a-t-il fait dérailler le train de ses pensées. Elle a lâché le livre qu’elle tenait.

« Kuriyama-san ? »

« De toute façon, je sais que tu me trouve désagréable. Mais bon, les gens ont inondé mon blog et mon compte Twitter de commentaires déplaisants, alors voilà. »

« Ressaisis-toi, Kuriyama-san ! Je te suivrai sur Twitter, » ai-je dit, essayant de mon mieux de l’apaiser.

Elle passait son index le long des rangées de livres. On ne croirait pas qu’elle savait même ce qu’était un double-clique, mais regardez-la ! Quelle enfant moderne ! Je devais me demander pourquoi des gens inonderaient de commentaires son blog ou son compte Twitter, mais… Bon, étant donnée la manière dont agit Kuriyama-san, je suppose que ça ne devrait pas me surprendre. C’est une gentille fille, et elle n’est pas impolie ou quoique ce soit, mais il lui manque terriblement la qualité la plus importante : le bon sens.

« Enfin bref, peut-on en revenir au sujet ? »

« Mê-Même si tu es mon aîné, je ne vais pas te donner l’adresse de mon blog comme ça. »

« Je n’en ai absolument rien à faire, de l’adresse de ton blog ! Ce que je veux savoir, c’est qui t’a demandé de venir ici ! »

Mordant sa lèvre, elle a vacillé comme une gelée géante.

« Tu mens tu mens tu mens ! Tu vas regarder mon blog plus tard ! » a-t-elle dit. Elle ajouta ensuite d’un ton monotone : « oh, ça va être tellement drôle. »

Enfin bref, pour en revenir au sujet…

« Mais encore, peut-être que tu es venue ici de ton plein gré ? »

« Même si j’étais ici à la demande de quelqu'un… Penses-tu que je te dirais qui ils sont aussi facilement ? »

Il y avait quelque chose de dangereux émanant de Kuriyama-san, tout d’un coup. Comme si une fille ordinaire s’était changée en ikaishi en un instant. Papoter était une chose, mais ce ne serait pas un mince exploit que de lui arracher des informations sur les youmus.

« Si tu as une dette envers moi, je peux t’offrir de nouvelles lunettes au cas où celles que tu portes se cassent. »

« J’ai des lunettes de rechange à la maison. »

Par les étoiles ! Elle a des lunettes que je n’ai jamais vues !? J’ai réprimé en moi l’envie soudaine et irrépressible qui montait en moi.

« Kuriyama-san, pourrais-tu m’en dire un peu plus à propos de ces lunettes ? »

« Pardon ? »

« Tout ce que je demande, c’est une explication en 400 mots de la beauté des lunettes que tu gardes chez toi. Non, tu as raison… même si ce ne sont que des paires de rechange, tu auras besoin de plus de mots que ça pour vraiment faire passer leur beauté. Un gros roman devrait faire l’affaire. Essaye juste de l’écrire en moins de 10 000 mots. »

« … Ce sont juste des lunettes ordinaires de série. »

« Même des lunettes de séries gagnent leur propre personnalité individuelle au fur et à mesure que tu les utilises, pas vrai ? En d’autres termes, ce que je veux vraiment connaître, c’est ta vie, telle qu’elle est vue à travers tes lunettes. »

« C’est déplaisant. »

Elle arborait vraiment une expression troublante. On n'aurait pas vraiment dit que mes singeries l’ennuyaient, mais plutôt qu’il y avait quelque chose dans son passé qu’elle ne voulait pas que je sache. Je n’ai plus eu envie de la chahuter. Comme c’est moi qui étais en tort, j’ai compris que je devais aborder un nouveau sujet de conversation.

« En tout cas, tu n’es pas là pour m’abattre, n’est-ce pas ? »

« Exact. On ne m’a pas demandé une telle chose. Je ne m’attendais pas à ce que quelqu'un comme toi soit ici, après tout. »

« Pourrais-tu peut-être ne pas essayer de tuer quelqu'un que tu ne t’attendais pas à rencontrer ? »

Non mais vraiment… mets-toi à ma place de presque-macchabée, veux-tu ?

Mais quoi qu’il en soit, si j’interprétais correctement la réponse de Kuriyama-san, est-ce que ça ne voulait pas dire qu’on lui avait demandé de faire quelque chose ? Elle a superbement ignoré ma réponse et est retourné parcourir les étagères. Cherchait-elle quelque chose en particulier ? En tout cas, j’ai entretenu la conversation.

« Puis-je te poser une autre question ? »

« Vas-y. »

« As-tu l’intention d’aider les autres ikaishis ? »

« D'autres ikaishis sont-ils venus ici ? »

Kuriyama-san a semblé surprise. Étant donnée la confusion sur son visage, elle ne semblait pas mentir. Bon sang, comment peut-on être aussi mauvais pour poser les questions principales ? J’ai haussé les épaules et ai marmonné quelque chose de vague pour répondre. Elle a semblé réfléchir à quelque chose pendant un moment, puis a fini par répondre.

« Est-ce que ça ne pourrait pas n'être qu'une coïncidence ? »

« D'après quelqu'un de bien informé, ça fait quelques semaines maintenant que des ikaishis arrivent dans cette zone. Et apparemment, ils sont tous ici parce que trop d’entre eux ont répondu à la demande de quelqu'un. »

Elle m’a regardé d’un air absent. Je devais vérifier deux fois avec elle, quoique le faire me rendait mal-à-l’aise.

« Tu ne sais vraiment rien à ce sujet ? »

« Je ne mentirais pas à propos de quelque chose comme ça, » a-t-elle immédiatement répondu.

Je lui ai posé une dernière question, en utilisant un ton plus gentil.

« Dans ce cas, j’ai juste une dernière question. Pourquoi n’arrêtes-tu pas de me suivre ? »

« Il y a quelque chose d’intéressant chez toi, Senpai. »

« Intéressant ? Chez moi ? »

Ma voix a craqué. C’était la première fois qu’une fille plus jeune à qui les lunettes allaient à ravir me disait quelque chose comme ça. Bon, la façon dont je le dis suggère que c’était la première fois que quelqu'un de sexe féminin ; plus jeune que moi ; et en plus splendide avec des lunettes me disait quelque chose comme ça. C’est une tournure de phrase pouvant un peu induire en erreur. Permettez-moi de me corriger. C’était la première fois que j’entendais quelque chose comme ça venant d’une file à qui les lunettes allaient bien, ou venant d’une fille plus jeune que moi, ou venant d’une fille ikaishi. Sapristi, aucune fille ne s’était intéressée à moi, d’aussi loin que je pouvais m’en souvenir.

Oh zut, maintenant, je me sens un peu triste.

« Qu’est-ce qui ne va pas, Senpai ? »

« Ne t’en fais pas, ce n’est rien. Enfin bref, qu’est-ce qui est intéressant chez moi ? »

« Je pensais te l’avoir déjà dit… Je n’avais jamais vu de personne immortelle avant. »

Ah… Elle avait bel et bien mentionné ça. J’ai un peu boudé.

« M’as-tu agressé pour voir si j’étais vraiment immortel ? »

« Agressé ? »

Il y avait à nouveau un air bizarre sur son visage. Je devais la gronder, même si elle était éblouissante avec des lunettes. Parce que, vraiment, j’étais à court d’idées quant à la façon de l'aborder.

« Est-ce que tu m’agressais inconsciemment ou quelque chose comme ça ? »

« Non, je testais juste l’effet de simple exposition[3], » a-t-elle déclaré.

Elle était assez claire à ce sujet. J’ai fouillé mon cerveau à la recherche d’une définition de ce concept.

L’effet de simple exposition.

Un phénomène psychologique selon lequel une exposition répétée à quelque chose permet de développer une opinion plus favorable envers la chose en question. Cela s’applique même quand la première exposition à la chose était défavorable.

« Pourquoi ne t’exposes-tu pas simplement à moi, dans ce cas ! Tu n’as pas besoin de m’agresser pour ça ! »

Elle a penché la tête et m’a regardé avec un air interrogateur. Hm… Une camarade de lycée qui me tourmente mentalement en toute connaissance de cause, et une cadette qui me blesse physiquement sans en avoir particulièrement l’intention… quelle équipe. Aucun bien ne peut ressortir de ça.

Je suppose qu’un peu de mal le peut, par contre ― elles ont accompli un travail d’enfer à faire de moi leur victime !

Enfin bref. Avec ça, je comprenais pourquoi Kuriyama-san m’attaquait. Elle n’avait jamais donné l’impression de vraiment essayer de m’exterminer. Si elle avait utilisé toute sa force formidable dès le départ, ma tête aurait roulé dans un coin ou l’autre. Non pas que ça m’aurait tué non plus.

« Alors… tu sais, peut-être que ce serait mieux si nous ne faisions qu’une simulation de combat. »

Kuriyama-san m’a regardé d’un air dubitatif, comme si elle disait "Choisis ce que tu veux, la fin."

« Écoute, j’ai mes raisons. Si tu veux en savoir plus à propos de mon immortalité, tu vas devoir travailler avec moi ici. »

« Ah. D'accord. »

Je devais l’avertir d’une autre chose. Même si j’étais unique en mon genre, je n’étais pas exactement fils de millionnaire.

« Si tu finis par abîmer mon uniforme, mon retour sur investissement de toute cette affaire ne va pas être vraiment génial. As-tu des vestes chez toi dont tu ne veux pas ? »

« Non, je n’en ai pas. Ne peux-tu pas juste enlever ton uniforme avant que nous ne commencions ? »

« Un type courant nu dans toute l’école. J’aime cette idée ! »

« Pourquoi devrais-tu être nu ? »

Ok, pas faux, je n’aurais pas à l’être.

Elle m’a regardé bizarrement et a penché la tête. J’ai essuyé la sueur qui perlait sur mon front tout en essayant de chercher comment me sortir de la position délicate dans laquelle j’étais fourré. Même si, vraiment, au moment où j’ai mentionné la nudité, j’ai eu l’impression que mon destin était scellé.

Je sais ― Je vais changer de sujet.

« Dis, Kuriyama-san, nous cherchons de nouveaux membres pour le club de littérature. Veux-tu nous rejoindre ? »

« Afin que nous puissions nous voir plus souvent ? »

« Eh bien, je suppose, mais le club est en gros la tanière des ikaishis, » ai-je répondu en montrant la salle de club.

Tout le monde au club avait une sorte de situation unique. J’avais été très ferme en ce qui était de refuser aux gens ordinaires l’entrée dans le club, et pas seulement parce que je ne voulais pas que d’autres garçons s’approchent de Mitsuki. Ce qui était leur but dans presque tous les cas. Disons, 90% environ.

« Regarde les choses de cette façon : tu as plus de chances d’être exposée à moi de cette façon. C’est tout bénef’ pour toi, non ? »

« C’est vrai. Mais je n’ai pas l’intention de me faire des amis. »

« Mais moi, ça ne te dérange pas ? »

« Tu m’as traitée normalement même après avoir vu mes pouvoirs d’ikaishi, alors non. »

J’aurais pu lui dire essentiellement la même chose. Beaucoup, beaucoup de personnes cessaient de me traiter normalement une fois qu’ils connaissaient ma particularité. Si Kuriyama-san n’avait pas eu peur de moi quand elle avait appris que j’étais immortel, ce devait être parce qu’elle avait fait les frais de ce genre de traitement auparavant.

Kuriyama-san savait à quel point il était effrayant d’être complètement rejeté.

Alors qu’elle se tenait là, la tête tournée, sa silhouette délicate paraissait vraiment pitoyable. Et pas parce qu’elle avait enfin rencontré quelqu'un qui pouvait la comprendre. Non, c’était comme si elle disait que c’était la fin pour elle. Quelle tragédie.

« Pourquoi ne te jettes-tu pas à l’eau et ne nous rejoins-tu pas ? » ai-je demandé, de la façon la plus ridicule que je pouvais. « Tu peux juste dire que je t’ai dupée pour que tu le fasses. »

« Non merci, » a-t-elle répondu immédiatement. « Comme je l’ai déjà dit, je n’ai pas l’intention de me faire des amis. »

Il y avait un côté tranchant dans sa voix. C’était un tranchant sombre et inamical, un tranchant qui signifiait son rejet de toute forme de relation avec d’autres personnes. Je n’ai rien pu faire d’autre que hausser les épaules et l’accepter.

« Eh bien, si jamais ça te disait un jour, n’hésite pas à passer. »

Partie 5[edit]

Mon studio glauque.

Il n’y avait personne à l’intérieur. Personne pour dire "Bon retour !" ou demander "Comment s’est passée ta journée ?". J’ai déverrouillé la porte et suis rentré. Par habitude, j’ai allumé la télé. Des rires bruyants sont sortis de l’écran. C’était probablement une émission de variété quelconque. Le son s’échappait de la télé derrière moi alors que j’enlevais mon uniforme. J’ai posé mon sac à sa place habituelle, ai commencé à préparer le dîner et me suis fait couler un bain.

Au menu aujourd'hui : une omelette mousseuse sur du riz, avec une salade à côté.

C’était un dîner parfait pour un lycéen. Une fois que le bain fut assez rempli, j’ai fermé le robinet et ai commencé à manger. J’ai laissé la télé allumée pour échapper à la solitude. Au final, je ne m’en suis senti que plus isolé. Quoique j’y fus habitué. J’ai passé trente minutes à manger ce que j’aurais pu avoir avalé en quinze. J’ai fait la vaisselle et me suis déshabillé. Il y avait des moments après que j’avais commencé à vivre ici où j’avais été mêlé à divers conflits. Néanmoins, comparée aux années de ma vie que j’avais passées en nomade, ma situation actuelle était totalement paisible.

« Pfiou. »

Je me suis laissé tremper jusqu'à la taille pendant un bon moment avant de sortir. Après m’être essuyé, j’ai rassemblé les vêtements que j’avais enlevés. Je dormais avec les vêtements que je portais à la maison, m’épargnant donc la peine d’avoir une autre tenue prête. C’est un bon truc à retenir si vous voulez réduire la quantité de lessive à faire. Je me suis assis sur mon lit, ne portant que mon caleçon. Pendant que je séchais mes cheveux, j’ai regardé les informations. Apparemment, l’équipe locale de ligue mineure de baseball avait perdu les dix premiers matchs de la saison.

Dieu merci, Mitsuki se fichait du baseball. Si elle avait été fan d’une des équipes locales, Dieu seul savait sur quel genre de choses elle se serait s'énervée. Mais si cela peut paraître difficile à comprendre pour un déménageur régulier comme moi, beaucoup de gens ressentent un profond attachement pour l’endroit où ils sont nés et ont grandi.

Tout d’un coup, le visage de Kuriyama-san a surgi dans mon esprit.

« Je ne sais pas vraiment. D'aussi loin que je me souvienne, je pense que j’ai été capable de le manipuler, alors --- »

Pour monsieur Tout-le-monde, ça n’aurait pas vraiment paru être une explication. En revanche, moi, je n’étais pas comme tout le monde. Ce qu’elle avait dit était très juste. Je n’avais rien à répondre. D'aussi loin qu’elle pouvait se souvenir, elle avait été capable de le manipuler… Je suppose qu’elle voit ça comme quelque chose de parfaitement normal à faire. Pourquoi ne serait-ce pas le cas ?

La même chose valait pour moi.

J’étais immortel depuis ma naissance, et je m’étais convaincu qu’il n’y avait rien d’inhabituel à cela. Réfléchissez. Même le plus grand des non-conformistes est normal s’il n’a personne à qui se comparer. Ce n’était que plus tard que j’avais rencontré des personnes qui étaient vraiment normales, et avais été obligé d’accepter le fait que c’était moi qui était atypique. Ça avait été une prise de conscience soudaine. Un jour, mon monde s’était effondré autour de moi, ne me laissant rien en quoi croire. Je n’ai pas encore oublié l’angoisse que j’avais ressentie à ce moment-là.

J’ai arrêté de me sécher les cheveux un moment. « Que faire, que faire, » me suis-je dit.

Kuriyama Mirai… Ce n’était pas juste une fille à qui les lunettes allaient bien. Je l’avais su depuis le début. Quand nous nous étions rencontrés sur le toit ce jour-là, j’avais pu le voir dans ses yeux : elle voulait vraiment me tuer.

« Tu m’as traitée normalement même après avoir vu mes pouvoirs d’ikaishi, alors non. »

Elle paraissait si seule quand elle m’avait dit ça. C’était une raison suffisante pour que je veuille la protéger.

Je ne voudrais pas que Kuriyama-san disparaisse juste comme ça un jour. En plus, avec Mitsuki qui me tenait à distance, ce n’était probablement qu’une question de temps avant que ma relation avec elle ne devienne aigre. Je devais faire quelque chose. Mais… cela compterait-il comme une rupture de ma promesse à Mitsuki ? Je n’en suis pas sûr. Je suis sûr d’une chose, par contre : j’ai la mauvaise habitude de fourrer mon nez là où il ne faut pas. Ce n’est pas l’altruisme qui motive ce comportement. Au contraire, en me rendant indispensable aux autres, je préserve mon sentiment d’identité. Et c’est un sentiment dont je manque pas mal, n’étant ni humain, ni youmu ― n’étant absolument personne, en effet. Quand d’autres personnes sentent qu’elles ont besoin de moi, j'éprouve un sentiment de salut.

Même moi, je peux m’avérer utile pour eux ?

Cette seule pensée est suffisante pour me donner la sensation que ma vie a un sens.

Partie 6[edit]

Vendredi 13 avril - pause déjeuner.

Je me serais dirigé droit vers la salle de club, mais j’avais quelque chose à faire avant. Je n’en avais pas envie, mais je suis allé vers le toit. Permettez-moi de faire une petite digression. Comme les scènes sur le toit sont des passages quasi-indispensables des romans de vie scolaire, il doit sûrement y avoir quelques auteurs qui refusent absolument d’inclure des scènes sur le toit dans leur œuvre. Si vous y réfléchissez sous le bon angle, cela semble indiquer que le toit exerce un certain attrait ― on ne peut pas s’empêcher de vouloir placer une scène dessus. C’était un bavardage futile, mais c’est ce qui m’est venu à l’esprit quand je montais les escaliers vers le toit.

Passons.

Le toit était, en théorie, hors limites, la porte y menant étant maintenue fermée par un cadenas à combinaison, mais la séquence de déverrouillage était apparemment connue de quelques élèves plus âgés, et cette connaissance s’était répandue à partir de là. Il apparut que quelqu’un était déjà sur le toit ― le cadenas se balançait à la porte en mode déverrouillé. Il y avait un risque que quelqu’un verrouille à nouveau la porte, mais si cela arrivait, l’administration de l’école ferait probablement plus d’administration, et je ne pouvais m’imaginer un élève qui le souhaiterait.

Ceci étant le cas, j’ai enfreint les règles et suis allé sur le toit afin de rencontrer une certaine personne. Si je ne me trouvais pas dans cette situation extraordinaire, je n’aurais pas eu à prendre la peine d’aller le voir. Permettez-moi d’être clair sur un point dès maintenant. Quelle que soit la force d’un sens de la moralité ou de la justice que je pourrais avoir, je suis fondamentalement le genre de personnes qui n’aiment pas les ennuis. Que je lui rende visite pourrait très bien avoir été calculé afin de frapper le premier coup. Quelle galère. Alors que je questionnais encore et encore la sagesse de mes actions, j’ai aperçu ma cible du coin de l’œil.

C’était la mi-avril, et pourtant, il avait une écharpe fantaisiste enroulée autour du coup alors qu’il gisait à un bout du toit. J’ai rassemblé mon courage et l’ai appelé.

« Hiromi. »

« C’est Hiromi-senpai pour toi, » a-t-il répondu, soulevant le haut de son corps.

Il était en dernière année, et en tant que tel, se tenait au sommet du corps étudiant. Il m’a regardé. Je ne voulais pas le regarder. Mais j’avais un message à transmettre, et je le transmettrais coûte que coûte.

Nase Hiromi, aussi pimpant que d’habitude. Rien ne m’oblige à décrire en de plus fins détails le physique de Hiromi, cependant, alors je m’arrêterai là. La vérité est une maîtresse sévère, particulièrement en ce qui concerne Hiromi. Comme vous pourriez en faire la conjecture d’après son nom de famille, la vérité, c’est qu’il est, malheureusement, le grand-frère de Mitsuki. Dame Chance, femme cruelle.

« N’as-tu pas à étudier pour tes examens d’entrée ? Ne devrais-tu pas faire autre chose que somnoler là-haut ? »

« Les ikaishis n’ont aucun besoin d’aller à l’université. D’ailleurs, il y a une tonne d’endroits qui m’accepteraient uniquement sur recommandation. »

Oui, peut-être, mais ce n’est pas ce que je veux dire. Peu importe. Je ne suis pas venu ici pour mépriser Hiromi. Pas cette fois, en tout cas. Il valait mieux ne pas s’attarder sur le futile et passer en vitesse sur l’important.

« J’ai une question à te poser, » ai-je dit, annonçant la raison de ma présence.

« Je m’en doutais. C’est à peu près la seule raison pour laquelle tu me rendrais visite, Akky. »

« Ouais, et tu veux savoir pourquoi ? »

« Pourquoi ? Parce que les ikaishis et les youmus sont de parfaits opposés, » a-t-il brusquement répondu.

« Faux ! » ai-je riposté, élevant la voix. « C’est parce que tu m’as donné ce stupide surnom passé de mode ! »

« Akky, vilain petit garçon. Sous l’agréable chaleur du soleil de début d’après-midi, la plupart des gens seraient submergés par la somnolence. Tu es le seul type qui serait d’assez bon poil pour envoyer ces répliques pleines d’esprit à un moment pareil. Moi, c’est sûr que je ne pourrais pas y arriver. »

« Nous n’avons parlé que pendant 30 secondes et je regrette déjà d’être ici. Rends-moi le temps que j’ai perdu ! »

« Ah, on dirait qu’on est hors-sujet, là. »

Hiromi a tapé dans ses mains et a soupiré laborieusement.

« Laisse-moi deviner. Tu veux fourrer ton nez là où il ne faut pas. »

« Et si c’était le cas ? »

Il était inutile que je lui cache mes intentions, mais j’ai tout de même répondu de façon ambiguë, pour l’irriter. Hiromi s’est levé avec lassitude. Il n’avait pas l’air de quelqu’un taillé pour se battre. On n’aurait pas dit qu’il s’en tirait bien en combat. Mais je savais mieux que quiconque qu’il était un excellent ikaishi. Nos yeux se sont rencontrés.

« Je ne poserai pas la main sur toi, » a-t-il dit sèchement, ébouriffant sa frange. « En échange, tu ne t’allieras à personne. »

Je n’oublierais jamais ces mots.

Un ikaishi et un hanyou s’étaient rencontrés en bataille rangée. Hiromi et moi nous étions rencontrés pour la première fois de la même façon. Pas même le plus puissant des ikaishi pouvait espérer battre un immortel comme moi. Nous nous étions combattus pendant très, très longtemps. Notre bataille s’était finalement achevée sur un cessez-le-feu de durée indéterminée ― un dénouement ambigu. À ce moment-là, nous en étions arrivés à un accord, dont les termes étaient ce que Hiromi venait d’énoncer.

« Oh, qu’il fait froid. Mes membres sont en train de geler. »

Hiromi a soufflé de l’air chaud sur ses mains. Quoique c’était juste une distraction.

« Nous nous sommes bien entendus jusque là, n’est-ce pas ? » a-t-il demandé, préparant le coup de grâce.

« ...... »

Je n’avais pas de réponse. Il insinuait que nous devions pouvoir bien nous entendre par la suite aussi.

« Nous n’avons jamais placé de date d’expiration à notre accord, n’est-ce pas ? » a demandé Hiromi avec lassitude.

« Bien sûr que non. Comme si j’allais te laisser y mettre une date d’expiration, Hiromi. »

Ce n’était pas un mensonge ; c’était vraiment ce que je ressentais. S’il n’avait pas fait cette proposition totalement inattendue, je ne serais pas ici aujourd’hui, à bavarder avec lui. C’étaient les Nase, pas moi, qui avaient proposé un marché, marché dans lequel ils accepteraient qu’un hanyou unique en son genre vive sur leurs terres. Étant les défenseurs de la paix et de l’ordre dans cette région, il était incroyable qu’ils autorisent un élément aussi dangereux que moi à rester ici. Probablement sans précédent. Le moment où nous avions fait cet accord était celui où j’avais enfin trouvé un endroit où je pouvais mener une vie calme ; le moment où j’avais cessé d’être un nomade, transféré d’une école à l’autre.

« Hmm. »

Jamais je n’aurais imaginé que les quelques secondes que j’avais passées à me remémorer ces souvenirs se montrerait fatales. Le temps que je le réalise, il avait fourré ses bras sous mes aisselles. Par réflexe, j’ai tourné la tête pour regarder derrière moi. Hiromi avait un air nonchalant au visage, un peu comme un vieux shnock sirotant du thé pour passer le temps sur une véranda. Mon Dieu, que ça me rendait furieux.

« Tu as des aisselles spéciales, Akky. »

« Qu’est-ce que tu fiches ! »

Hiromi m’a regardé avec amusement alors que je me débattais, essayant de dégager ses mains.

« Allons, en quoi un homme enfonçant ses mains sous les aisselles d’un autre homme est-il surprenant ? »

« Tout est surprenant là-dedans ! »

« Tu sais, la propreté et la chaleur de tes aisselles est la seule chose que j’approuve chez toi. »

« Suis-je censé en être heureux !? Et si la seule chose que tu apprécies chez moi sont mes aisselles, pourquoi te gêner ? Dis tout de suite que tu me tiens complètement en horreur ! Ce serait un peu rafraîchissant, au moins ! »

« Je prendrai tes aisselles par la force s’il le faut. »

« Tu es fou ! »

Ce n’était pas matière à rire ― il avait vraiment l’air quelque peu sérieux alors qu’il se rapprochait de moi. Une magnifique petite sœur qui me bombarde d’insultes et un grand frère qui attaque mes aisselles… Que suis-je censé faire de ça ? Et une fois de plus, je perds et personne ne gagne.

« Quoi qu’il en soit, est-ce que ce n’est pas un peu étrange pour un gars d’être sensible au froid ? » ai-je signalé, essayant de le faire s’arrêter.

« Je ne souffre pas d'une sensibilité au froid habituelle, » a-t-il répondu, fourrant ses mains dans ses poches.

Il y avait une signification cachée dans ce qu’il disait. Un genre de sensibilité extraordinaire au froid ― ce devait être un problème rencontré uniquement par les ikaishi ; peut-être seulement par Hiromi.

« Alors les remèdes habituels ne fonctionnent pas ? »

« En effet. Akky, ta chaleur est la seule chose qui puisse me sauver, maintenant. »

« Arrête tes sous-entendus ! »

Quelle terrible façon de présenter les choses. Il aurait au moins pu préciser que c’était de la chaleur de mes aisselles qu’il parlait. La conversation tournait vite mal. Je devais y mettre un terme aussi vite que possible.

« Quoi qu’il en soit, pouvons-nous en revenir au sujet ? »

« Mm ? Quoi, tu veux savoir pourquoi la sensibilité au froid est plus commune chez les femmes ? »

« Un petit peu, oui, mais ce n’est pas ce dont je parlais ! »

« D’accord, d’accord. Je suppose que je me suis assez amusé avec tes répliques pleines d’esprit pour le moment. »

Au moment où le dernier mot passait ses lèvres, son expression a changé. Puis, comme une condition préalable à la conversation qui s’ensuivait, il a posé une question :

« Est-ce Mitsuki qui t’a demandé de faire ça ? »

« Pas du tout. C’est de mon propre fait. »

« Dans ce cas, je n’ai rien à te dire. »

Il m’a regardé d’un air entendu. Il se montrait sans doute distant parce qu’il avait un secret à garder.

« Allez, tu ne peux pas m’aider ? Tu as quelques informations, pas vrai ? » l’ai-je pressé, alors même que je savais ma requête déraisonnable.

« Tu ne comprends vraiment pas. Laisse-moi être franc avec toi. Toi et moi ne sommes ni amis, ni alliés. Nous sommes juste deux partis d’un cessez-le-feu. Je préférerais que tu ne te montres pas si familier avec moi. Ce privilège est réservé aux ikaishi avec qui nous nous sommes alliés. »

On n’aurait pas dit qu’il se montrait méchant. C’était juste ce qu’il ressentait vraiment, probablement. C’est pourquoi je n’ai rien eu à répondre. Une créature comme moi ne pourrait jamais se fondre parmi les humains, et en particulier parmi les ikaishi. Il était inutile ne serait-ce que d’espérer qu’il puisse en être autrement.

Pour commencer, le simple fait que je sois un monstre étrange ― un hanyou ― est une raison suffisante pour qu’ils me haïssent. Bien sûr, un mélange bâtard d’humain et de youmu rendrait les gens mal-à-l’aise. En tant que hanyou, je me tenais sur la frontière séparant les hommes et les youmus. En tant que membre d’aucun des deux groupes, il n’y avait nulle part où je puisse me reposer.

Partie 7[edit]

Après que les cours étaient finis, Mitsuki et moi sommes retournés dans la chambre de torture, où nous avons à nouveau été soumis à la tache cruelle et inhabituelle qui consistait en la sélection d’histoires pour "Dame de la Nuit". Je n’avais pas croisé Kuriyama-san. Il était huit heures passées quand nous avons rangé et sommes rentrés chez nous.

À propos, je louais un appartement en ville. Je vivais seul. Même si le complexe immobilier n’était pas exclusivement pour les femmes, la sécurité était étroite. Les portes ne s’ouvraient pas sans clé magnétique, et les boîtes aux lettres étaient verrouillées solidement et fermement. Cela étant le cas, je n’avais pas à m’inquiéter de récupérer le courrier à intervalles réguliers. J’attendais que la boîte aux lettres soit pleine à craquer, puis je sortais tout le lourd amas d’un coup.

Alors, aujourd’hui.

J’ai eu envie de jeter un œil au courrier ― peut-être parce que j’ai été tenté par un démon-lettre ― alors je me suis arrêté devant les boîtes aux lettres sur le chemin de ma chambre, et j’ai jeté un coup d’œil dans la mienne. Les factures pour mon électricité, le gaz, les factures d’eau étaient mélangées à un paquet de courrier direct. Pour information, toutes mes factures sont programmées pour être débitées automatiquement sur mon compte, alors je n’ai pas besoin de les payer moi-même. J’ai commencé à jeter tout le courrier indésirable dans la poubelle que je tenais sous mon bras. Ce faisant, j’ai remarqué une carte postale dans la montagne de papier. Mise à part mon adresse, elle était blanche.

« ------- »

J’ai tressauté. Ça venait de mes parents. Ils envoyaient l’une de ces cartes postales de temps en temps pour me faire savoir qu’ils étaient toujours en vie.

Le cachet de la poste indiquait fin mars. Aujourd’hui, c’était le 13 avril. Ça voulait dire que j’avais laissé une carte postale dans la boîte aux lettres pendant presque deux semaines. C’était ma faute parce que j’étais paresseux, oui, mais mes parents pouvaient certainement se permettre d’être un petit peu moins négligents à propos de ce genre de choses. La façon dont ils envoyaient ces cartes postales on-est-toujours-vivants était tout simplement bizarre. Quelquefois, j’en recevais trois en un mois, et d’autres fois, il s’écoulait presqu’un an sans que je reçoive la moindre nouvelle. Elles arrivaient d’ordinaire juste au moment où j’étais sur le point de les oublier totalement, ce qui signifiait qu’elles ne faisaient pas un super boulot pour ce qui était de me faire savoir que mes parents étaient vivants. Malgré tout, ce n’était que les jours où je recevais ces cartes postales que je me sentais vraiment à l’aise. Assez bizarre.

J’ai glissé la carte dans mon sac.

« Toujours vivants, hein. » J’étais tellement soulagé que ces mots m’ont juste glissé des lèvres.

Je suis sorti de l’appartement et ai regardé le ciel. Un croissant de lune et un vaste champ d’étoiles emplissaient les cieux. Par une nuit pareille, ce n’était pas correct de broyer du noir. Avec la bénédiction de la lune et des étoiles, je suis sorti pour une promenade sous le ciel nocturne. C’était une expérience qui m'était étrangère.

Partie 8[edit]

Une confiserie assez ancienne, située dans un certain quartier résidentiel tranquille, se dressait devant moi. On aurait dit le genre d’endroit qui serait cher même à raser, presque comme s’il avait été laissé là dans un état proche de l’abandon jusqu’à ce que quelqu’un ait une idée de quoi faire avec. Quoiqu’il ne soit pas tard au point que les gens désertent les rues, il n’y avait personne aux alentours. Je savais pourquoi. J’ai pénétré dans la confiserie, qui suintait vraiment la décrépitude.

Elle était ouverte aujourd’hui, bien qu’elle ne fasse pas d’affaires, comme d’habitude. L’intérieur était couvert d’un papier-peint à motif de bois. Ceci, ainsi que les portes en cloison, donnait une atmosphère très Japonaise traditionnelle à l’endroit. Une cloche était installée sur la caisse bien tenue, de même qu’un certain nombre de produits à vendre. L’idée était vraisemblablement que les clients examinent avec attention les biens eux-mêmes avant d’appeler le commerçant.

J’ai fait sonner la cloche deux fois. Peu après, la commerçante ― une femme dans sa prime jeunesse ― est sortie de la pièce du fond. Elle portait un kimono noir soigné orné de motifs de fleurs. Ses cheveux brun roux étaient noués derrière sa tête et tenus en place avec une pince à cheveux pourpre décorative. Même si elle était très attirante, elle n’était pas seulement là pour l’effet. Vue la façon dont elle se tenait, il semblait qu’elle pourrait faire les gens affluer vers elle si elle le désirait. Et pourtant, elle ne vendait rien. Admettons, sa boutique n’était pas au meilleur des endroits, mais il y avait une raison complètement différente à son impopularité. Bon, pour être précis, ce n’était pas que la boutique n’était pas populaire ― elle ne voulait pas qu’elle le soit.

Les apparences peuvent être trompeuses. Elle aussi était une ikaishi : Shindo Ayaka.

« Est-ce que tu as érigé une nouvelle barrière répulsive ? Il n’y a personne dans le coin. »

« Maint’nant qu’tu l’dis, oui. L’ancienne dev’nait rouillée et j’recevais plus de clients. J’préfère vivre seule. Je n’veux pas être mêlée à la vie citadine. Tu comprends c’que j’veux dire, Kanbara-kun ? »

Implicitement, il y avait dans sa réponse le sentiment qu’elle n’était pas heureuse de ma visite.

« Eh bien désolé. Ce n’était pas mon intention d’amener la vie citadine avec moi. »

« T’inquiète pas. D’ailleurs, c’est moi qui t’ai dit de v’nir me voir si tu voulais parler. Et puis, tu es un jeune homme. Je n’suis pas surprise.

« Qu’est-ce que tu veux dire par là ? »

Tout ça me donnait un mauvais pressentiment.

« Tu es tellement pris par tes fantasmes sur moi qu’tu n’pouvais t’empêcher d’venir me voir en chair et en os, hein ? » a-t-elle dit en levant la tête.

« Comme si j’allais fantasmer sur toi nue ! »

« Alors tu fantasmais sur ‘’quelqu’chose’’ de nu, pas vrai ? »

Silence. C’était une question piège sacrément empotée.

« Dans "pervers", il y a "vert". En gros, je suis pour la sauvegarde de l’environnement. »

« Tu sais, Kanbara-kun, t’es probablement l’seul homme dans c’monde à m’donner une excuse aussi stupide. Ou t’as qu’que chose d’mieux en réserve ? »

La fin approchait. J’ai été saisi de l’envie de retourner d’où je venais, de prendre de la distance tout en sifflotant.

À ce moment, quand j’étais sur le point de mourir d’humiliation, Ayaka m’a lancé un regard impitoyable entendu.

« Alors, qu’est-c’qui t’amène ici ? »

C’était comme si elle était une personne complètement différente, maintenant, et non plus la commerçante nonchalante qu’elle était avant. Et si je devais choisir, je dirais que cette version était plus proche de la véritable Ayaka. En tant qu’ikaishi, elle voulait savoir ce qui pouvait bien amener un hanyou comme moi au pas de sa porte.

« J’ai une question pour toi, » ai-je dit, exposant ma requête.

« Eh bien, inutile d’rester d’bout ici. Entrons nous asseoir. »

Elle m’a conduit dans une petite pièce de style japonais, d’une superficie suffisante pour contenir quatre tatamis et demi. Il n’y avait rien de charmant dans sa literie ― elle ne s’était pas embêtée à la ranger. Ayaka a amené une théière et une tasse de thé et s’est assise en face de moi à la table basse. De la vapeur s’est élevée du thé vert fraichement versé. Tout en m’offrant une tasse de thé, Ayaka a été la première à briser le silence.

« J’présume que j’sais pourquoi t’es là, mais vas-y, dis-moi. Fais court, s’il t’plaît. Tes exposés sont toujours trop mous. »

« Arrête ça. »

Enfin bref.

Je lui ai parlé du certain nombre d’ikaishi qui arrivaient ici depuis un moment. Au passage, je lui ai aussi parlé de Kuriyama Mirai. À la fin de mon explication, elle a acquiescé calmement.

« Kanbara-kun, ça t’dérange qu’je t’demande que’qu’chose ? »

« Non ? »

« Vu qu’tu as fait tout c’chemin pour v’nir me voir, j’suppose qu’il est inutile qu’je d’mande, mais tes copains ikaishi n’savent rien là-d’ssus ? »

« Ils m’ont juste averti de ne pas fourrer mon nez là-dedans. »

« J’vois… S’ils veulent ton bien, on n’y peut rien, hein ? » a-t-elle dit, souriant d’un air glacial.

Il semblait qu’elle avait compris ce que Mitsuki et Hiromi me cachait, quoi que ce fusse. Si je pouvais découvrir ce dont il s’agissait exactement, je pourrais probablement comprendre aussi ce pour quoi Kuriyama-san était là.

« Sais-tu pourquoi les ikaishi se rassemblent ici ? »

« Une accalmie arrive. »

« Une accalmie ? Comme lorsque le vent s’arrête et que la mer est calme ? »

« T’as tout bon. Même chose, sauf qu’c’est pour les youmu. Les youmu d’viennent moins actifs p’dant une courte période. »

Je comprenais ce qu’elle me disait, mais ça n’avait toujours pas de sens.

« Est-ce que ce n’est pas une bonne chose ? Est-ce qu’il ne serait pas souhaitable que les youmu soient moins actifs ? »

« Les gens ordinaires l’souhaiteraient, ouais. Et c’est pour ça qu’ça met certaines personnes dans la panade. »

Je me suis tu. Bien sûr qu’il y avait des gens qui ne voudraient pas que les youmu soient moins actifs. Comme, par exemple, l’ikaishi se tenant droit devant moi : Shindo Ayaka, exterminatrice de youmu professionnelle. La confiserie n’était qu’une façade pour cacher sa véritable identité. Elle n’en tirait probablement aucun bénéfice profitable. Si le besoin en ikaishi diminuait à cause de l’accalmie, alors elle se retrouverait très certainement fauchée.

« L’accalmie va-t-elle durer longtemps ? »

« Nan, pas plus d’un mois, environ. »

« Est-ce que tu vas t’en sortir, Ayaka ? »

« J’devrais pas être embêtée par une accalmie ou deux, p’tit. » a-t-elle répondu.

Elle a ensuite sorti une pipe de son kimono et l’a portée à ses lèvres. Son apparence, avec le kimono et la pipe sur laquelle elle tirait, avait un petit quelque chose. Elle avait l’air détendu face à l’accalmie qui s’approchait et le manque de travail qu’elle affronterait ; Et ce à un tel point qu’il était clair qu’elle était une ikaishi de forte stature. Je ressentais qu’elle dégageait une atmosphère particulière ; une atmosphère qui me donnait un aperçu de son caractère incroyable, avec ses barrières répulsives et tout le reste. Son rôle en tant que propriétaire d’une confiserie en faillite n’était vraiment qu’une façade.

« J’sais pas si t’as remarqué, mais les bonbons japonais durent longtemps. Si j’les rationne correct’ment, j’devrais t’nir à peu près jusqu’à l’heure d’la récolte. »

« Ok, temps mort. Tu avais l’intention de subsister avec des bonbons à la gelée et des confiseries gelées !? Je n’arrive pas à croire que j’ai gaspillé mon admiration sur toi ! » « Kanbara-kun, t’oublierais pas pourquoi t’es là ? » m’a-t-elle averti.

Elle a ensuite fermé l’œil gauche. Elle peut voir la véritable forme des youmu quand elle se concentre, mais seulement à travers son œil droit, je crois. Si c’était le cas, alors le fait qu’elle me regarde ainsi n’avait pas vraiment de sens. Elle savait déjà qui j’étais. Je suppose que ça devait être utile pour identifier les youmu déguisés en humains, par contre. Ou bien peut-être pouvait-elle faire autre chose avec son œil droit ?

Tout d’un coup, j’ai pensé à quelque chose.

« Est-ce que mes pouvoirs de youmu vont faiblir pendant l’accalmie ? »

« Probablement p’tit. Mais c’est pas ce dont j’parlais. »

« Il y a quelque chose de plus important encore ? »

J’ai dégluti. Je ne pouvais pas penser à quelque chose de pire que l’affaiblissement de mes pouvoirs de youmu.

« Bon, j’aimerais m’faire un peu d’sous. Passons aux choses sérieuses. »

Elle a sorti un tableau intitulé "liste de prix" et l’a posé sur la table. Il y avait toutes sortes de détails dans le tableau ― le prix d’une consultation ; une liste de prix pour des boulots d’extermination de youmu, ordonnée selon la difficulté du travail en question ; et même quelques compléments à la carte.

« Tu vas me faire payer pour ça ? Est-ce vraiment le genre de relation que nous avons !? »

« Le genre de r’lation qu’nous avons est la façon dont j’gagne de l’argent, Kanbara-kun. »

Silence. "Le genre de relation que nous avons" était une relation dans laquelle elle m’avait presque chassé pour une prime.

« Si tu veux, tu peux t’allonger avec moi pendant qu’nous parlons. Tu veux ? »

« Bien sûr que non ! »

Quoi qu’il en soit, revenons-en au sujet…

« T’vois, j’ai seulement mentionné qu’certaines personnes s’raient dans la panade pour t’faire penser aux ikaishi. La vérité, c’est qu’aucun ikaishi n’serait à l’hospice des pauvres à cause d’une accalmie ou deux. Franchement, ça donne une bonne occas’ d’dépenser le pognon qu’t’as en trop. »

Ayaka continuait à fumer sa pipe. Je suis resté silencieux, attendant qu’elle continue.

« En aparté, une accalmie offre d’nouvelles opportunités pour les ikaishi. Y a pas d’autre moment pour combattre des youmu qui s’raient trop puissants pour toi d’habitude. Pour les jeunes ikaishi qui veulent d’venir célèbres, c’est une opportunité en or. »

Ayaka a serré les doigts de sa main droite en un poing. Apparemment, elle avait une télévision. Son niveau de vie n’avait pas d’importance, apparemment. Ce qui en avait, c’était qu’elle avait dit qu’une accalmie était une opportunité en or pour les jeunes ikaishi qui voulaient devenir célèbres.

« Alors tu veux dire… Tu veux dire qu’il y a un youmu surpuissant dans le coin ? »

« T’es intelligent. Tous les ikaishi qui sont v’nus par ici doivent avoir dans l’idée d’utiliser l’accalmie pour combattre des youmu. »

« Ce qui veut dire que Kuriyama-san est ici afin de combattre le youmu surpuissant, elle aussi ? »

« Je sais pas. Elle n’savait pas non plus qu’d’autres ikaishi v’naient, non ? »

« C’est vrai. »

Ayaka a acquiescé.

« J’peux pas imaginer qu’elle essaye d’combattre un d’ces gros youmu à elle toute seule. L’appel d’ikaishi et leur surabondance paraissent aussi importants. Tant que t’es pas absolument sûr d’ce pourquoi elle est là, tu f’rais bien d’être prudent. »

« Bon, je n’y connais pas grand-chose à la manière de faire des ikaishi, alors ça pourrait être une question stupide. Est-ce que c’est si honteux de se faire voler la vedette par d’autres ikaishi ? »

« C’est pas ça, p’tit. Y a des gens qui utiliseront l’accalmie pour faire le mal. Y en a toujours eu. »

« Le mal… »

Cela expliquerait le fait que le clan Nase s’occupe du flux entrant d’ikaishi avec force prudence. Il restait quelque chose qui n’était pas clair pour moi, par contre. Pourquoi Kuriyama-san était-elle venue ici ? Qu’était-elle venu accomplir ?

« Y a de sales types dans le coin, » a-t-elle tout d’un coup mentionné.

Il y avait clairement une signification profonde dans ce qu’elle avait dit. Sur ce, elle a ouvert son œil gauche. Pour un observateur extérieur, cela aurait pu paraître hautain, mais elle était très probablement juste en train d’attendre de voir comment je réagirais.

« Qu’est-ce que c’est censé vouloir dire ? »

« C’que ça voulait dire. C’est tout, » a-t-elle répondu, balayant ma question sans hésiter une seconde.

Bon, peu importe. À la longue, je finirais bien par obtenir une réponse de Kuriyama-san elle-même, et qui sait, peut-être était-elle vraiment arrivée ici sans connaître la situation. Pour le moment, ce qui était le plus important, c’était que je ne doute pas d’elle. Ça suffirait.

« Au fait, à quel point mon immortalité va-t-elle diminuer ? »

J’ai enfin ramené sur le tapis le problème qui avait été dans un coin de ma tête pendant toute la conversation : l’immortalité. Je n’avais pas un corps élastique ou une quelconque capacité au combat. Mon immortalité était vraiment la seule chose qui faisait de moi quelque chose d’autre qu’humain.

« J’peux pas en être sûre, petit. Pour t’dire la vérité, j’en ai pas la moindre idée. Y s’pourrait qu’tu restes immortel tout du long, ou qu’tu perdes complètement ta capacité d’régénération. »

« Je vois. »

Même avec toute son expérience, elle n’avait pas dû rencontrer de cas inhabituels comme le mien très souvent. C’était à prévoir. Je ne pouvais pas y faire grand-chose. Si le monde grouillait de youmu immortels, avoir des ikaishi dans le coin ne serait pas d’une grande utilité en premier lieu. J’ai sorti mon téléphone pour regarder l’heure.

Il était vingt-et-une heures cinq.

D’une manière ou d’une autre, nous avions réussi à passer presqu’une heure à discuter. Si elle n’avait pas d’autre information pour moi, il n’était pas utile que je reste plus longtemps. J’étais sur le point de me lever pour partir quand Ayaka a dit :

« Dis, Kanbara-kun, t’as eu des nouvelles d’ta mère et ton père ? »

Elle m’avait percé à jour. Elle était vraiment quelque chose. La carte postale on-est-toujours-vivants m’est venue à l’esprit. Il ne serait cependant pas dans mon intérêt de répondre positivement tout de suite.

« Pourquoi cette question ? Tu t’es souvenue de quelque chose ? »

« Ni les youmu, ni les ikaishi n’peuvent ignorer une accalmie, p’tit. »

Ses soupçons semblaient être légitimes. Je n’ai pas pu m’empêcher de soupirer bruyamment. J’ai sorti la carte postale de mon sac et l’ai posée sur la table.

« On dirait qu’y a que’qu’chose de psychique incrusté d’dans. J’peux te montrer c’qu’il y a à l’intérieur ? »

C’était une véritable experte. Elle m’avait déjà parlé des psyclones auparavant, mais une personne ordinaire regardant la carte postale n’y verrait rien d’inhabituel. Ayaka, pourtant, l’avait reconnue à l’instant où elle avait posé les yeux dessus ― elle n’avait même pas eu besoin de la manipuler physiquement.

« Il pourrait y avoir des informations sur l’accalmie là-dedans. »

« J’suppose, oui. »

Ayaka semblait d’accord avec ma supposition. Elle a retourné la carte et l’a reposée sur la table. Un psyclone a émergé du rectangle blanc et vierge. Quelques secondes plus tard, il était entier. L’image d’une vraie personne était clairement visible, quoiqu’elle soit réduite à une hauteur de trente centimètres. Fait particulier, la personne en question avait des oreilles de chat lui sortant de la tête. C’était aussi ma mère.

« Youhou♪ J’ai un message impronrontant pour toi, alors écoute bien♪ »

J’ai retourné silencieusement la carte. Le côté avec mon adresse était maintenant visible. Nous étions dans une petite pièce de style japonais, située à l’arrière d’une confiserie calme, localisée dans un certain quartier résidentiel tranquille. Une ikaishi en kimono était assise en face de moi à une table basse. Je n’avais qu’une chose à dire.

« Peut-on prétendre que ce n’est jamais arrivé ? »

Le monde est devenu silencieux.

Si un météore tombait des cieux et détruisait la terre maintenant, je pense que ça ne me dérangerait pas. J’ai fait de mon mieux pour essuyer la sueur froide qui suintait de tout mon corps. Aucun de nous n’a parlé pendant ce qui a paru une éternité. Finalement, Ayaka a solennellement brisé le silence.

« C’était ta mère ? »

« Oui ! Elle a toujours été un peu bizarre ! Pendant une visite des parents à l’école primaire, elle a été la seule à s’asseoir parmi les écoliers. Elle a même levé la main pour poser des questions ! Elle a une personnalité absolument pas conventionnelle ! »

« Allons bon, Kanbara-kun. Qu’est-c’qui t’met dans c’t état ? »

Impertinente, comme d’habitude. Pour préserver l’honneur de la famille Kanbara, je devrais la faire disparaître… Mais il fallait garder cette conversation pour plus tard. Il est difficile de comprendre un récit possédant trop de buts disparates, après tout. Il était important que j’extraie toute information utile à propos de Kuriyama-san et de l’accalmie, etc. Sceller les lèvres d’Ayaka était une préoccupation secondaire. Bon, en plus, ce n’était pas le genre de choses qui devaient m’urger de commencer à réfléchir à l’exécution d’un meurtre en chambre close. C’était le genre de choses qui m’éjecteraient d’un concours de nouveaux auteurs au premier tour.

Il faudrait que je lave le nom de ma famille plus tard.

« Écoutons-en un p’tit peu plus, p’tit. »

« … Attends, Ayaka. »

Il semblait qu’elle avait mal compris quelque chose. C’était un point d’honneur important pour la famille Kanbara.

« C’est mon père, le youmu. Ma mère est une ikaishi, comme toi. »

Ayaka a juste cligné des yeux, la pipe toujours aux lèvres. Après un moment, elle a enfin posé une question.

« Alors pourquoi est-ce qu’elle a ces oreilles d’chat ? »

« Sans doute un accessoire. »

« Et pourquoi on dirait des vraies ? »

« Elle est pointilleuse sur les choses, bon sang ! En plus, en tant qu’ikaishi, elle a déjà dû voir la vraie bestiole ! »

« Vraiment ? »

Je n’étais pas sûr qu’Ayaka m’ait vraiment cru ; dans tous les cas, elle a retourné la carte avant que j’ai eu la chance de dire non. Le psyclone a émergé au-dessus de la table. Ma tête est tombée. Même si je n’étais pas conscient de ce dont j’avais l’air à ce moment-là, je devais avoir le visage de quelqu’un faisant face à la fin du monde.

« Youhou♪ J’ai un message impronrontant pour toi, alors écoute bien♪ »

Sa première phrase a de nouveau été jouée. Cela équivalait à une nouvelle forme de torture.

« Ta mère est sacrément pas conventionnelle, hein ? Est-c’qu’elle a jamais pensé à gagner un jeu d’cache-cache en remuant l’derrière ? »

« Alors quoi, le premier trouvé gagne ? Attends, tu veux dire que ma mère semble si peu conventionnelle !? »

« Mais t’sais, j’suis un tantinet jalouse. Elle a un fils au lycée, donc elle doit au moins avoir la trentaine, hein ? Elle a l’air bien plus jeune qu’ça. Ça m’impression qu’les oreilles d’chat lui aille aussi bien. »

« J’apprécie les compliments sur ma mère, mais est-ce qu’on pourrait revenir à ce qu’elle disait ? »

Ayaka a soufflé un peu de fumée et a acquiescé. Elle a posé sa pipe, peut-être pour indiquer qu’elle allait en finir avec les bavardages inutiles. J’ai mis mon embarras de côté et me suis concentré sur l’écran de pensées.

« Tu manges bieeeeen ? J’espère que tu ne manges pas des aliments emballés tout le temps, jeune homme. Si tu ne cuisines pas toi-même de temps en temps, tu n’auras pas une alimentation équilibrée. Et je pense que tu le sais parfaitement, mais assure-toi de ne rien faire d’illégal. Ça rendrait Ya-chan horonronblement triste♪ »

La silhouette à oreilles de chat dans le psyclone a serré sa poitrine généreuse entre ses bras. Je n’ai aucune idée de ce qui avait bien pu la pousser à exhiber son décolleté dans un message destiné à son fils. J’aurais aimé avoir un trou dans lequel me cacher… ou, zut, j’en creuserais un moi-même s’il le fallait. À propos, le nom de ma mère est Yayoi. Kanbara Yayoi ― aussi bizarre qu’elle puisse être, elle était quand même une ikaishi de renom.

« T’as une sacrée maman. On dirait qu’il lui manque une case, et elle a aussi une poitrine énorme, hein ? »

« Ne dis plus rien ! »

Pendant la trentaine de minutes qui a suivi, j’ai subi de la torture psychologique aux mains du psyclone.

J’ai remercié le bannissement des armes à feu au Japon. Si j’avais un pistolet chargé à la main, j’aurais appuyé sur la détente. Il n’y avait aucun doute. Je suis sûr qu’elle s’inquiétait à sa façon pour son fils qui vivait seul. Malgré tout, la manière dont elle montrait son affection était à côté de la plaque. Complètement à côté. Même si les oreilles de chat lui allaient bel et bien, la regarder elle, c’était comme regarder une vidéo-choc. Je voulais tellement détourner le regard. Ça n’avait rien de mignon du tout.

Enfin bref. Elle a fini par parler de l’accalmie.

« … Alors fais attentiooooon ! N’en fais pas tronron♪ »

Elle n’avait passé que cinq minutes dessus, bon sang. Le psyclone s’est évanoui.

Le silence s’est à nouveau installé. Ayaka a été la première à parler.

« On n’a pas tiré grand-chose d’ça. »

« Ne dis pas ça ! Quel sens dois-je donner à toute cette souffrance, maintenant !? »

« Eh ben, c’est parc’que j’suis une ikaishi. Elle a fait du bon boulot en résumant toutes les choses importantes sur l’accalmie en cinq minutes, hein ? Même un écolo comme toi a pu l’comprendre. »

Ayaka a ébouriffé sa frange.

« Les informations d’ta mère… d’Ya-chan étaient formidables, » a-t-elle continué. « Si tu n’me connaissais pas, t’en aurais eu b’soin. » C’était la vérité, purement et simplement.

« Ouais, mais tout ce que j’en ai tiré, c’était quelques trucs à propos de l’accalmie. »

« L’accalmie va bientôt commencer. Une tripotée d’ikaishi arrive ici pour chasser l’énorme youmu. Et aussi, y en a d’autres que personne n’attendait. Maintenant qu’tu sais tout ça, tu peux décider par toi-même c’que tu dois faire, pas vrai ? »

Elle n’avait pas tort. J’avais maintenant des informations sur l’accalmie, des informations que je n’avais pas pu obtenir des Nase. Grâce à ça, j’avais une assez bonne idée de ce qui se passait (les ikaishi arrivaient ici) et de ce qui pouvait éventuellement arriver (les ikaishi allaient détruire le youmu surpuissant).

« Ah, et puis, ça t’dérangerait qu’je jette un œil à cette lettre ? Si j’prends un peu d’temps, y s’pourrait qu’j’arrive à en tirer un peu plus. »

J’ai compris que je ne pouvais pas refuser. S’il y avait la moindre chance qu’elle puisse obtenir un peu plus d’informations de la lettre, il serait mieux de la laisser l’examiner plus attentivement. En ce qui concernait les informations, plus on en avait, mieux c’était.

« Quand tu en auras fini avec, rends-la-moi, d’accord ? Je préférerais vraiment la détruire immédiatement, mais, tu sais… »

« Aucun problème, p'tit. »

Ayaka a acquiescé tranquillement et a ramassé la carte postale. Il valait mieux laisser les problèmes techniques aux techniciens, en quelque sorte. Je devais juste faire tout ce que je pouvais, et rien de plus. J’ai récupéré mon sac et me suis préparé à partir. Juste à ce moment, quelque chose à laquelle Ayaka avait fait allusion m’est venu à l’esprit.

« Au fait, tu as mentionné quelque chose à propos de "sales types", non ? »

« Oui. Y a des types dans le coin qui sont assoiffés d’célébrité, à tel point qu’ils laissaient d’autres types s’sacrifer. »

« Ou des gens qui veulent devenir célèbres sans salir leurs propres mains. »

« T’as compris, hein ? P’t-être que j’t’ai un peu sous-estimé, p’tit. »

Ayaka a gloussé et m’a souri froidement. Un ramassis de bons à rien, hein.

« En tout cas, merci de m’avoir aidé. »

Je me suis incliné et me suis levé. Ayaka s’est aussi levée, sans doute pour me raccompagner à la porte.

Je n’étais pas sûr de l’évolution qu’allait prendre les choses, mais j’étais sûr de l’endroit où je devais aller. Qu’y avait-il de mieux pour savoir comment pensaient les bons à rien que de demander à un bon à rien lui-même ? Je connaissais quelqu’un qui remplissait parfaitement les critères. Me rétracter parce qu’il m’avait menacé à ce moment-là n’avait pas de sens. J’étais sur le point de sortir quand Ayaka m’a appelé.

« Kanbara-kun, attends. »

« Oui ? »

Je me suis retourné pour la regarder, et ai attendu qu’elle poursuive.

« Nan, peu importe, » a-t-elle dit, haussant ses épaules recouvertes par le kimono et secouant la tête.

« Si tu le dis. On aurait dit que tu allais dire quelque chose de sérieux, là. Ça n’avait pas intérêt à être tes derniers mots, ok ? »

« Kanbara-kun, tu dois… non, tu n’dois pas t’inquiéter pour ça maintenant. »

Tout va bien… pour le moment. D’un autre côté, ça voulait dire qu’il n’y avait pas moyen de dire comment les choses allaient évoluer à l’avenir. J’ai arraché mon regard d’Ayaka et ai quitté la confiserie. Il n’y avait personne dans les environs, grâce à la puissante barrière répulsive. Rien ne garantissait qu’elle resterait mon alliée du début à la fin.


  1. Tsundere (ツンデレ?) est un terme japonais utilisé pour définir une personnalité qui est au premier abord, distante, hautaine, voire pimbêche, puis qui devient affectueuse et tendre par la suite. (source : Wikipedia)
  2. Personnalité de type A
  3. Effet de simple exposition


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