Maria-sama ga Miteru (Français):Volume1 Chapitre1

From Baka-Tsuki
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Un Lundi de Maladresse[edit]

Partie 1[edit]

- Attends.

On était lundi.

C'est à l'endroit où le chemin encadré d'arbres ginkgo se divisait en deux, qu'une voix derrière Yumi lui demanda de s'arrêter.

C'était une voix froide, un peu aiguë, juste assez forte pour ressembler à une illusion. L'incident se produisit juste devant la statue de la Sainte Vierge et pendant un instant, Yumi cru que c'était Marie elle-même qui l'avait appelée.

Ici, quand quelqu'un vous adressait la parole, la règle était de s'arrêter, de répondre « oui » et de tourner son corps entier en direction de l'interlocuteur. Même si c'était inattendu, il ne fallait pas agir précipitamment. De plus, il était vulgaire de ne tourner que la tête. Aussi élégamment que possible. Aussi naturellement que possible. Afin de s'approcher un peu plus de la perfection des grandes sœurs. Ensuite, il fallait faire face à la personne en souriant et dire « Gokigenyô ».

Mais malheureusement, Yumi était incapable de dire « Gokigenyô ».

- ...

Elle avait reconnu la personne qui venait de l'appeler et cela la laissait muette de stupeur. Elle n'avait pas sursauté, c'était un pas en avant vers l'objectif qu'elle faisait de son mieux pour accomplir : se conduire comme une étudiante modèle de Lillian. Du moins... c'est ce qu'elle aurait aimé. La vérité était que sa surprise avait été si grande que son esprit s'était mis à tourner à toute vitesse et que son corps, dépassé, n'avait pu bouger.

- Heu... Est-ce à moi que vous parlez ? demanda Yumi avec un grand effort, toujours incrédule.

Bien sûr, elle savait qu'elle était la seule personne à portée de vue et qu'elle était donc la seule personne à qui l'on pouvait s'adresser. Mais malgré tout, cela restait difficile à croire.

- En effet. Je suis celle qui parle et tu es celle à qui je parle.

Elle avait dit « en effet ». Yumi, désespérée, mourrait d'envie de répondre qu'il devait y avoir une erreur et de s'enfuir en courant. Elle n'avait aucune idée de la raison pour laquelle elle l'avait interpellée et son esprit était au bord de la panique.

Elle avança droit vers Yumi, un petit sourire aux lèvres, sans se rendre compte de l'état de celle-ci. Elles étaient dans des années différentes et pour cette raison, Yumi n'aurait jamais du avoir l'occasion de voir ce visage de si près. C'était même la première fois qu'elle entendait sa voix si distinctement. Ses cheveux, qui lui arrivaient à la taille, brillaient si fort qu'on ne pouvait que mourir d'envie de lui demander quelle marque de shampoing elle utilisait, et ils étaient si bien coiffés qu'on ne trouvait aucune mèche rebelle.

- Tiens-moi ça.

Elle lui tendit son sac. Yumi, toujours interloquée, prit le sac tandis que les deux mains s'approchaient de son cou.

(Aaaah !)

Incapable de comprendre ce qu'il se passait, Yumi ferma les yeux, baissa le menton et se raidit.

- Ta cravate. Elle est mal faite.

- Quoi ?

Elle rouvrit les yeux ; le beau visage était toujours en face d'elle. Apparemment, elle redressait la cravate de Yumi.

- Tu dois toujours faire attention à ton apparence. La Vierge Marie nous regarde, tu sais.

Puis, elle reprit le sac des mains de Yumi, dit « Gokigenyô » et repartit en direction de l'école.

(Ce... Ce...)

Restée seule et toujours immobile, Yumi comprit enfin ce qui venait de se passer. Le sang remontait lentement dans son cerveau.

Son identité ne faisait aucun doute. Sachiko Ogasawara, élève de deuxième année, classe du pin. Par accident, son nom s'était retrouvé à la septième position sur la feuille de présence de la classe de Yumi. Elle était aussi connue comme « Rosa Chinensis en bouton ». Elle était au centre des attentions de toute l'école, et on se demandait toujours quand on parlait d'elle si on en avait vraiment le droit, alors qu'on était d'un rang si inférieur.

(Ce n'est...)

Yumi en rougissait de honte.

(Ce n'est pas juste !)

Elle n'avait pas bougé, abasourdie. C'était la première fois qu'elle échangeait des paroles avec la sœur qui l'avait tant inspirée. Et c'était un épisode horriblement embarrassant. C'était trop cruel.

Sainte Vierge, vous êtes méchante !

Yumi lança un regard de dépit vers la statue, mais celle-ci conserva son éternel sourire chaste et resta immobile, silencieuse, au milieu du petit jardin verdoyant.

Partie 2[edit]

- Oh, alors c'est ce qui s'est passé.

Katsura, assise en face de Yumi, se contenta d'un rire en entendant l'histoire.

- Tu avais l'air si morose quand tu es arrivée en classe, je me demandais si tu n'avais pas rencontré un pervers dans le train ou quelque chose dans le genre.

- J'aurais préféré un pervers.

- Pourquoi ?

- Il finit toujours par s'en aller.

- Yumi, ça se voit que tu n'as jamais rencontré de pervers.

- Oui, je prends le bus pour venir.

Les étudiantes de l'académie Lillian prenaient généralement le bus qui partait de la sortie nord de la gare M. de JR pour se rendre à l'école. Toutes deux étaient dans ce cas, mais Katsura prenait d'abord un train bondé pour se rendre à la gare M. alors que Yumi prenait un bus en direction de la sortie sud ; cela expliquait leurs réactions différents à ce genre de plaisanteries.

- Il n'y avait pas le projet d'un wagon spécial Lillian ?

- Oui, il y en avait un... Pour l'instant tu vois, le conseil Yamayurikai a plutôt demandé à tout le monde de se regrouper dans l'avant-dernier wagon. Mais, à cause des activités des clubs et des obligations scolaires, si tu pars trop tôt, il n'y a pas assez d'étudiantes et c'est complètement inutile.

Mais, beaucoup de rumeurs circulaient, et des étudiantes qui n'étaient pas de Lillian avaient aussi pris l'habitude de monter dans ce wagon, ce qui le rendait efficace contre les pervers. Bien sûr, il n'était pas réellement interdit aux hommes, mais le nombre de mâles ayant assez de courage pour rentrer dans un wagon plein à craquer de jeunes filles était assez limité. Et une fois à l'intérieur, ils pouvaient difficilement faire des mouvements suspects.

L'uniforme de Lillian était un vêtement d'un noir profond qui en paraissait vert sombre ; malgré cela, il était très raffiné. Le col marin ivoire, barré d'une seule ligne noire était noué comme une cravate. Pendant les saisons chaudes, la jupe taille basse arrivait à hauteur des genoux. Le tout combiné avec des chaussettes blanches et des ballerines en cuir et l'on obtenait un habit des plus traditionnels, très réputé, aussi bien auprès des personnes ordinaires que - bien sûr - des amateurs d'uniforme.

Cet uniforme montrait qu'on était une jeune fille d'un statut social élevé. Et attirait donc également des attentions non-désirées.

- Les trains sont toujours bondés, alors je fais toujours attention à mon apparence avant d'y rentrer.

Tout en parlant, utilisant Yumi comme miroir, Katsura fit mine de refaire ses couettes et d'arranger sa cravate. « Comme ça » semblait-elle dire.

- Je vois, je n'ai pas fait assez attention.

Yumi s'affala sur son bureau. Katsura lui tapota gentiment la tête, essayant de la consoler.

- A mon avis oui. Mais celles qui peuvent s'assoir élégamment en allant à l'école ne penseraient jamais à ce genre de choses. Ne t'inquiète pas pour ça, ce n'est pas grave.

- C'est très grave.

- Tant que tu oublies, tout va bien.

- Pourquoi ?

- Elle est la star de Lillian. Les stars ne se préoccupent pas des amateurs.

Stars et amateurs.

Même si c'était la vérité - ou plutôt, parce que ça l'était - cela faisait mal. Les réconforts de Katsura étaient toujours assez extrêmes.

Katsura était son nom, pas son prénom. A Lillian, les surnoms n'existaient pas. La coutume voulait que l'on parle à ceux qui était dans la même année que soi avec « san » et qu'on emploie « sama » pour les élèves des classes plus élevées.

- Ce n'est pas la peine de te torturer parce ce qu'elle t'a fait des remontrances. La seule élève de première-année de notre classe qui peut parler sans problème aux membres du Yamayurikai, c'est elle.

Katsura lança un coup d'œil derrière elle. Suivant son regard, Yumi vit Shimako Tôdô qui entrait dans la salle.

- Gokigenyô Katsura-san. Gokigenyô Yumi-san.

Tout en les saluant, Shimako s'avança élégamment vers sa place.

- Go-Gokigenyô.

Yumi et Katsura se regardèrent, se demandant silencieusement pourquoi elles étaient toutes deux si gênées.

Même si elles étaient de la même année, le fossé entre elles était énorme. Shimako était très jolie, d'un style différent de Sachiko. Il suffisait de la regarder pour que ton moral diminue. Les gens beaux le sont depuis leur naissance. L'espoir un peu fou qu'il suffisait de passer en deuxième année pour devenir aussi belle que Sachiko était soufflé comme ça, en quelques secondes.

- Tu as entendu ?

Comme Katsura commençait à chuchoter, Yumi baissa aussi la voix.

- Quoi ? Que Shimako-san est devenue Rosa Gigantea en bouton ? Elle a surpassé les deuxièmes-années.

C'était une histoire populaire : Shimako avait échangé ses vœux de Sœurs avec Rosa Gigantea alors qu'elle n'était qu'en première année.

- Pas ça.

- Pas ça ?

Montrant que c'était la dernière nouvelle, Katsura posa un doigt sur sa bouche et murmura : « C'est ce que ma Sœur m'a raconté ». Sa Sœur était membre du club de tennis et était dans la même classe que Sachiko.

- Apparemment, Rosa Gigantea n'est pas la seule à avoir fait sa demande à Shimako, Sachiko aussi !

- Héééé ?

- Yumi-san, tu parles trop fort !

Toutes deux se tassèrent le plus possible sur leur bureau. C'était un spectacle vraiment indigne pour des demoiselles, mais toutes deux n'y prêtaient pas attention - Sainte Vierge, pardonne-leur, mais depuis des générations les femmes ont toujours adoré les rumeurs.

Le système de Sœur de l'académie Lillian était né par soucis de l'école de respecter l'autonomie des lycéennes. Quand les étudiantes finissaient leur éducation obligatoire, pendant laquelle elles avaient vécu sous le contrôle des professeurs et des sœurs, elles se devaient de mener une vie de façon autonome. Le système de Sœur avait été adopté afin que les sœurs les plus vieilles puissent guider les petites sœurs inexpérimentées dans ces moments critiques. Le système s'implanta de plus en plus et - sans aucune réglementation stricte de l'école - la vie droite et vertueuse qu'on se devait de mener ici sse transmettait de génération en génération.

Sœur[1] signifiait sœur en Français. Afin d'éviter la confusion avec le mot sœur[2], elles évitaient l'emploi de l'anglais. A l'origine, toutes les étudiantes s'appelaient ainsi entre elles, mais petit à petit, cela devint un moyen de désigner deux filles très proches. Personne ne savait quand le vœu qui consistait à donner et recevoir un rosaire pour devenir Sœurs avait commencé.

- Apparemment, Sachiko lui a demandé la première, mais elle a préféré accepter la demande de Rosa Gigantea, même si elle est arrivée après.

Katsura semblait un peu dédaigneuse, mais elle était aussi très excitée par la rumeur qu'elle racontait.

- Elle a dû préférer le blanc au rouge...

- N'importe quoi. Tsss... Yumi, tu es vraiment bizarre. Tu te rends compte ? Quand tu es du niveau de Shimako, tu peux même cueillir la rose que tu souhaites.

- Cueillir ? Ce n'est pas très valorisant.

- Mais c'est la vérité. Sachiko a été rejeté.

- Huum.

Quelle horrible gâchis, pensa Yumi.

- Huum ? Tu ne trouves pas ça horrible ?

- Pourquoi ? Si tu as deux sœurs, il faut bien en choisir une.

- Et tu choisis celle qui est arrivée en dernier ?

- Ce n'est pas une course.

- Bien sûr que si ! dit Katsura, concluant la discussion avec un soupir.

Elle avait échangé ses vœux de Sœurs le jour même où elle avait rejoint le club de tennis.

- Et au fait, Rosa Foetida ?

- Rosa Foetida vit dans le calme et le repos avec une deuxième-année et une première-année.

- Je vois.

Pour Yumi, bien plus que de voir Rosa Gigantea et Rosa Chinensis se battre pour Shimako, c'était le fait qu'aucune d'entre elles n'aient déjà de petite sœur qui était le plus surprenant.

- Enfin, le fait est que Sachiko lui a demandé et qu'elle n'a pas tout de suite accepté, dit Katsura en regardant l'horloge.

La cloche allait sonner le début des prières matinales. Un hymne allait résonner dans toute l'école grâce au système de radio. En plus de la prière hebdomadaire qui se faisait au Sanctuaire, tout le monde priait quotidiennement dans sa salle de classe. On chantait l'hymne, on écoutait le discours du Principal, on se calmait et on offrait une prière à Dieu.

Laissez-moi vivre aujourd'hui de la plus vertueuse des manières.

Cependant, malgré sa prière, Yumi avait le sentiment qu'elle était sur le point de rompre avec sa paisible vie quotidienne.

Partie 3[edit]

- Yumi-san ! Yumi-san !

Quelqu'un interpella Yumi alors que celle-ci sortait de la salle de musique qu'elle venait tout juste de nettoyer.

- Ah, Tsutako-san. Tu as déjà fini de ranger la salle de classe ?

- Oui, je me suis dépêchée pour qu'on ne se rate pas. J'avais cru voir que tu avais pris ton sac avec toi.

Les salles de classe des première-années étant assez éloignées de la salle de musique, les première-années avaient pris l'habitude de prendre leur sac en y allant - après, c'était plus pratique pour se rendre dans les clubs ou rentrer chez soi, l'entrée et les salles de club n'étant pas loin.

- Tu voulais me voir ?

- Je dois te parler de quelque chose.

- Me parler ?

D'un mouvement sec de l'index, Tsutako remonta ses lunettes sur son nez, hocha la tête et dit : « oui ».

- Yumi-san, on va aux activités du club. Oh, et on ramènera le cahier des obligations scolaires à la salle des professeurs.

Les trois étudiantes qui l'avaient aidé à ranger la regardèrent avec douceur.

- Ah... Merci.

- Non, non. Ce n'est rien. Gokigenyô.

- Gokigenyô.

Les uniformes, semblables aux ailes sombres des corbeaux, s'éloignèrent lentement dans le couloir. Tsutako et Yumi restèrent seules.

- Je pense que tu sais que je fais partie du club de photographie ! demanda soudainement Tsutako en se tournant vers Yumi.

- Heu, oui.

Tsutako était connue pour ne jamais lâcher son appareil photo, à part pendant les heures de cours. Yumi l'avait déjà entendu se plaindre du sentiment de regret et de chagrin qu'elle avait quand elle manquait l’opportunité de faire une bonne photo : elle n'avait donc pas d'autres choix que de se promener partout avec son appareil. C'était la première fois que Yumi se retrouvait dans la même classe qu'elle, mais on lui avait déjà montré deux ou trois photos que Tsutako avaient prises de Yumi sans que celle-ci ne le sache. Même si elle ne savait pas très bien à quel point Tsutako était « douée » en photo, elle devait reconnaître qu'elle avait bien l'air 30% plus jolie sur ses photos.

- Tu sais que le festival de l'école approche. Pour cette raison, je viens plus tôt à l'école le matin pour prendre des photos.

Elle n'utilisait que des humains comme modèle. Plus particulièrement, les lycéennes. Elle avait aussi tendance à prendre ses photos en secret car selon elle : « les bonnes photos sont prises quand le modèle pose inconsciemment ».

- Tsutako-san, tu ferais mieux d'arrêter de prendre des photos comme si tu étais un paparazzi.

- Pourquoi ne pourrais-je pas profiter du privilège que j'ai d'être une étudiante active de Lillian ? Je ne veux que capturer la beauté dans toute sa splendeur, sans artifice ! Nous allons toutes vieillir, mais il est possible de conserver aujourd'hui un éclat de notre gloire ! C'est une mission qui m'a été confié par Dieu ! J'ai été choisi par cet appareil !

Elle leva un poing confiant.

- Ça ne change rien.

- Ne t'inquiète pas. J'ai toujours la permission de mes modèles ! Je brûle toutes les photos que je jette - même les négatifs. Et avant d'exposer celles que j'ai prise, je demande toujours l'accord des personnes concernées.

- L'accord ?

- Par exemple...

Tsutako tendit deux photographies à Yumi.

- Quoi ?

La scène de ce matin. La même scène qu'elle avait tant essayé d'effacer de sa mémoire.

Trois. Deux. Un. Ce furent les trois secondes que Yumi prit à réaliser ce qu'étaient ces photos.

- Hééé ?!

Elle avait élevé la voix bien plus que ce qui n'était généralement autorisé venant d'une étudiante de Lillian, et Tsutako lui couvrit la bouche de sa main.

- Ce... C'est...

Ah, c'était ça. La scène de ce matin. La même scène qu'elle avait tant essayé d'effacer de sa mémoire. Deux photos de Sachiko Ogasawara et de Yumi. Et c'était bien des photos de la membre la plus douée du club de photographie ; elle n'avait pas laissé passer sa chance cette fois. Les deux mains de Sachiko tenaient fermement la cravate de Yumi. On pouvait presque entendre le bruit du tissu qui se froissait. Les mains serrées sur son sac, Yumi la regardait, absorbant tout le reste de la photo. Sachiko était magnifique, comme d'habitude ; et en conséquence directe de sa présence, Yumi, juste en face d'elle, ressemblait à un ange.

- La première a été prise avec une lentille à gros zoom. Mais celle ci, où l'on peut voir ton corps en entier a quelque chose d'un peu plus « interdit » et elle rend mieux, tu ne trouves pas ? Ah ! Et le titre est « Apprentissage », ajouta Tsutako.

Yumi ne pouvait pas la contredire.

- Je peux les avoir ? demanda-t-elle.

Tsutako rit et reprit les photos. Elle regarda Yumi comme si elle venait de remonter sa canne à pêche et qu'un gros poisson frétillait, pendu à l'hameçon.

- Ça ne me dérange pas, mais à deux conditions.

- Conditions ?

- Première condition : tu m'autorises à utiliser cette photo pour l'exposition du club de photographie durant le festival de l'école.

- Heu...

Exposition ? Festival ? Elle était folle ?

Ou alors complètement inconsciente. Mettre ainsi à la vue de tous les élève, Yumi - la plus ordinaire des étudiantes, aussi bien en taille, poids, visage qu'en résultats scolaires - aux côté de Sachiko Ogasawara - qui excellait dans tous les domaines, c'était tout bonnement impossible.

- Tsutako-san, tu te fiches de moi ?

- Bien sûr que non. Je suis très confiante, je sais que c'est mon meilleur rendu de l'année. C'est même pour ça que j'ai développé le film au lieu d'aller déjeuner.

Son ventre laissa échapper un gargouillis qui n'avait rien d'élégant. Ah. Son déjeuner était encore dans son sac. Les passions prennent si souvent le dessus sur l'appétit.

- Mais une exposition...

Yumi baissa les yeux.

- Tu ne veux pas les photos ?

Tsutako agita les deux photos devant le visage de Yumi.

- Je sais que tu as toujours admiré Sachiko Ogasawara-sama en secret. Et je sais aussi que tu n'as aucune photo d'elle - si on ne tient pas compte d'une seule un peu minable. Tu étais très vexée, quand les photos du voyage scolaire ont été affiché dans la salle des professeurs et que tu as appris que tu ne pouvais pas en demander une copie car tu étais d'une année différente. En plus, comme tu ne fais pas parti d'un club, tu n'as pas pu demander à une élève de deuxième-année de les prendre pour toi. La seule photo que tu as a été prise pendant la rencontre sportive. On peut voir Sachiko-sama, en arrière-plan, qui attend son relais et - ce n'est pas pour être méchante - ce n'est vraiment qu'une ombre.

- Peut-être qu'elle a la taille d'un stylo mais c'est tout de même un trésor pour moi !

Tsutako aurait pu envisager une carrière de détective.

- Je me demande si tu pourras te satisfaire d'un stylo après ce que tu as vu aujourd'hui...

Un reflet rapide semblable à un flash d'appareil photo traversa ses lunettes.

- ... Tu es démoniaque.

Bien sûr que non, comment être satisfaite après avoir vu de si belles photographies.

- Mais... il y une chance que Sachiko-sama refuse, non ?

- C'est pourquoi !

Tsutako leva son index et rit, triomphalement.

- La seconde condition est que tu reçoives la permission de Rosa Chinensis en bouton.

- Hein ? Mais c'est impossible ! Absolument impossible !

Encore une fois elle disait si naturellement quelque chose de complètement surréaliste...

- Pourquoi ?

Tsutako écarquilla les yeux, surprise.

- Vous avez l'air si proche, on dirait des Sœurs.

- J'aimerais bien.

Yumi lui expliqua alors comment, ce matin, Sachiko l'avait soudainement appelé et - tandis qu'elle se demandait ce qui se passait - celle-ci l'avait critiqué sur son apparence.

- Bien. Et après, elle a refait ta cravate ? Tes camarades en seraient mortes de jalousie si elles savaient !

- Il n'y a vraiment pas de quoi être envieuse.

Elle s'empourprait en se rappelant l'incident.

- Sachiko-sama a du penser que j'étais une élève négligée.

Ce n'était pas censé se passer comme ça. La rencontre avec cette sœur-là aurait du être un instant magique. Comme dans un film par exemple. Une scène qui vous ferait toujours rougir, bien des années plus tard. Même si ce n'était que quelques secondes. Comme ramasser le mouchoir de Sachiko et lui rendre après qu'il ait été emporté par le vent. Ou quelque chose d'encore plus trivial. Mais un nœud de travers. En plus de ça, elle avait tellement paniqué sur le moment qu'elle avait été incapable de la saluer ou de la remercier. Elle était tombée au niveau de « première-année malpolie ».

- Une élève négligée... Et où est le problème ? Après tout, ça t'a permis de te rapprocher de ta sœur adorée.

- Oh.

Elle ne sut quoi répondre. C'est vrai que si son nœud n'avait pas été mal fait, elle n'aurait sans doute jamais été interpellée par Sachiko de toute sa vie.

- Pourquoi est-ce que tu ne négocies pas toi-même, Tsutako-san ? Tu le fais tout le temps, non ?

- Même moi qui suis pourtant sans peur et sans reproche, je suis intimidée face au conseil Yamayurikai.

Le Yamayurikai était le conseil des étudiants de Lillian. Les membres du conseil - les Roses Blanche, Rouge et Jaune - étaient d'un rang totalement différent de celui des lycéennes normales, comme des magistrats de la Cour. Sachiko était la petite Sœur de Rosa Chinensis.

- Je pense que ça sera plus facile si c'est toi qui négocie.

- Pourquoi ?

- Tu as attiré l'attention de Sachiko-sama.

- C'était à cause de ma cravate.

- Si une cravate mal-faite suffisait pour attirer l'attention de Sachiko-sama, alors toutes les étudiantes se promèneraient avec leur cravate de travers, répliqua Tsutako.

- N'importe quoi.

- J'ai déjà vu des première-années aussi calculatrices ! Elles prennent le risque de marcher devant Sachiko-sama avec une cravate pas même attachée, dans le seul but d'attirer son attention quelques secondes !

Tsutako énonçait chaque parole d'un ton grandiloquent, comme si elle était une actrice, débout sur la scène, sous les feux des projecteurs.

- Surtout avec Sachiko-sama, c'est une des plus maniaques de la propreté dans cette école ! Elle est connue pour détester les apparences négligées ; plus d'une a eu l'idée de faire une chose pareille !

Si tu veux avoir une âme pure, tu dois d'abord t'inquiéter de la pureté de ton apparence. Pendant 11 ans, depuis la maternelle, c'était un mantra qui était répété sans cesse. Et pourtant, elles bravaient l'interdit pour attirer l'attention de leur ainée, que celle-ci ne récompensait que d'un regard froid. Avant de les ignorer avec mépris.

Ou pire. Parfois, la Sœur de l'étudiante était prise à partie pour le négligemment de sa petite Sœur.

- Sachiko-sama... est effrayante.

- Tu viens de t'en rendre compte ? Sachiko Ogasawara-sama est effrayante. Mais bien sûr, seulement pour les choses qu'elle désapprouve.

- Et tu me demandes d'affronter cette Sachiko-sama-là ?

Yumi trouvait personnellement que Tsutako était tout aussi effrayante. Elle était déjà prête à s'enfuir. Ses chaussures étaient tournées en direction de la sortie.

- Tu ne comprends pas, Yumi-san ! Sachiko-sama n'est pas un démon. C'est un ange. Le saint archange Michel !

- Le saint archange Michel ?

Qu'est-ce qu'elle racontait, c'était complètement hors-sujet. Les yeux de Tsutako semblaient fixés sur un point situé très loin de Yumi.

- Elle est en réalité, magnifique et tolérante. Mais tout ce qui s'oppose à son sens esthétique est absolument impardonnable. Après tout, elle est née princesse. Elle a un sens très particulier des règles.

Tsutako s'éloignait seule vers d'autres horizons. Yumi ne pût que lever la main et dire après « heu » hésitant :

- Tsutako-san, j'ai des notes moyennes en japonais.

- Oui ?

- Peux-tu baisser le niveau et m'expliquer, s'il te plait ?

- Baisser le niveau ?

- En gros, est-ce que tu peux m'expliquer tout ça plus simplement ?

Tsutako baissa les bras et replongea dans ses pensées. Il était difficile pour elle d'expliquer à quelqu'un d'autre une théorie qui lui semblait si naturelle.

- Pour le dire plus simplement, Sachiko-sama n'est jamais énervée pour rien, alors tout va bien. Quand elle est en colère, elle a toujours une raison juste !

- Donc ?

- Ne t'inquiète pas et sois persuasive !

- Mais pourquoi moi ?

- Vous allez bien ensemble, toi et Sachiko-sama.

Tss, je ne comprends rien à la façon dont Tsutako pense.

- Et d'où est-ce que tu tiens ça ?

- D'où ? De nulle part. C'est de l'instinct ! De l'intuition !

Sachiko, qui ne se préoccupait jamais des cravates de ses camarades de classes, avait décidé spontanément ce matin de l'appeler, la réprimander et de renouer le nœud de Yumi de ses propres mains. Tsutako était certaine que c'était un évènement unique, un qu'on ne pouvait pas obtenir qu'avec de la chance.

- Même si les personnes concernées ne s'en rendent pas toujours compte, je pense que ceux qui sont liées se rapprochent toujours d'une façon ou d'une autre.

- Tu recommences à t'éloigner.

On aurait plutôt dit qu'elle essayait simplement de pousser Yumi à faire quelque chose qu'elle-même ne voulait pas faire.

- Si tu as vraiment des remords d'être passé pour une étudiante négligée, alors va redorer ton image ! Vas la remercier ! « Merci pour ton avertissement de ce matin » et tu redeviendras une jeune fille modèle.

- Tu sais être persuasive, Tsutako-san...

- Oh, merci ! J'ai déjà été invité par le club de débat !

Son rire triomphant était si magistral qu'elle aurait aussi pu être invité par le club de théâtre.

Dix minutes plus tard, Yumi se tenait devant la porte des quartiers du Yamayurikai : la Demeure des Roses.

Finalement, Yumi avait accepté son rôle de négociatrice, après que Tsutako ait envoyé un dernier coup fatal en disant « Alors, je jette les photos ? ».

Partie 4[edit]

Le conseil des étudiants du lycée de l'académie Lillian s'appelait le Yamayurikai – « conseil de la montagne aux lys » - en hommage à l'esprit de la Vierge Marie.

« L'esprit de la Vierge est un ciel bleu, est un chêne toujours vert, est un rossignol japonais, est un lys et est un saphir. » C'était la première chanson qu'on apprenait quand on entrait à l'école maternelle.

(Mais pourquoi un saphir ?)

Enfant, Yumi s'était souvent posée cette question et continuait encore aujourd'hui de se la poser. Un ciel, un chêne, un rossignol, un lys et... un saphir ?

Elle comprenait la comparaison de l'âme de Marie avec des jolies choses, mais un objet aussi concret et matériel qu'un joyau, à la suite d'une série de beautés naturelles comme le ciel, les plantes ou les animaux, semblait déplacé. Un saphir coûtait très cher, et si chacun pouvait lever les yeux pour admirer le ciel et sa beauté, seuls quelques élus pouvait porter un saphir.

(Quelqu'un comme Sachiko doit sûrement trouver que le saphir est à sa place.)

Voilà ce qui vint à l'esprit de Yumi alors qu'elle se tenait devant la Demeure des Roses.

Lillian était une école destinée à la bourgeoisie et était donc essentiellement fréquenté par des filles de riches familles. Yumi - qui était à Lillian depuis l'enfance - était la fille d'un dirigeant : son père était à la tête d'un bureau de conception.

Ce n'était pas très commun de parler du métier de ses parents à l'école, mais on en apprenait quand même un peu quand les gens laissaient inconsciemment échapper des indices dans des conversations banales, et ce n'était que filles de docteurs, avocats, présidents de petites entreprises, chefs de département d'entreprises plus importantes, professeurs d'université et autres titres remarquables.

Cependant, Sachiko Ogasawara était à un niveau complètement différent. Elle était la petite fille du président du groupe Ogasawara - qui possédait de nombreux grands magasins et parcs de loisirs - et sa mère descendait d'une ancienne lignée noble, ce qui faisait d'elle une princesse aux hautes origines.

La Demeure des Roses. On l'appelait une « demeure » mais ce n'était en fait qu'un petit bâtiment, qui devait faire la moitié d'une salle d'une classe et qui se dressait dans un coin de la cour du lycée. Ce titre de « demeure » venait du fait que c'était un bâtiment en bois sur deux étages, indépendant du lycée, et uniquement utilisé par le conseil des étudiants.

- Je me demande si Sachiko-sama est là... dit Yumi à Tsutako, baissant le poing qu'elle allait frapper à la porte.

- Et bien, elle n'était pas dans sa salle de classe et tout le monde sait que le Yamayurikai se réunit dans la Demeure des Roses à la fin de la journée pour préparer le festival de l'école.

Tsutako força Yumi à faire face à la porte. Apparemment, elle était venue uniquement pour l'accompagner. C'était à Yumi de faire le principal. Elle aurait voulu se plaindre - « à qui c'est la faute si on est là ? » - mais elle avait décidé de se retenir jusqu'à ce qu'elle ait les deux photos. Et puis Tsutako l'avait bien dit, si tout se passait bien, elle pourrait redorer son image, et si les choses se passaient vraiment bien, Sachiko et elles pourraient même devenir amies.

- Oui, elles viennent ici tous les jours...

Yumi ne pouvait plus faire marche arrière. Elle releva le poing, mais ne parvint pas à frapper à la porte.

(Aaah, je suis vraiment faible...)

A vrai dire, cela aurait demandé une bonne dose de courage à n'importe quelle étudiante normale de première année - Yumi ne faisait pas exception - de frapper à cette porte. C'est pour cette raison que Tsutako ne la pressait pas. Si Tsutako lui avait dit « Allez ! Frappe à la porte. » Yumi était déjà prête à contre-attaquer : « Bah vas-y toi ! ».

Sa main était humide de transpiration. Bizarre, il ne faisait pas si chaud. Elle sentait son cœur battre terriblement fort et ses jambes trembler. Le monde qui se trouvait de l'autre côté de cette porte était tellement différent...

- Vous venez voir le Yamayurikai ?

- Hein ?

Yumi et Tsutako se tournèrent en cœur en direction de la voix.

- Oh, mon dieu, désolé. Je vous ai surprise.

C'était Shimako Tôdô.

Yumi soupira, rassurée. Si à cet instant, Sachiko était apparue alors que sa détermination n'était pas parfaitement en place, elle se serait sans doute évanouie. Enfin, peut-être pas évanouie, mais elle aurait certainement fait preuve d'encore moins d'élégance que ce matin.

- Shimako-san... Pourquoi...

Tsutako la frappa doucement du coude en murmurant « Idiote ».

- Shimako-san est Rosa Gigantea en bouton, elle a toute les raisons d'être ici.

- Ah oui.

Ce n'était pas une première-année ordinaire.

- Yumi-san et moi aimerions parler à Rosa Chinensis en bouton. Tu pourrais nous servir d'intermédiaire, Shimako-san ?

Tsutako semblait vouloir profiter de l'apparition de Shimako et se mit immédiatement à lui parler. Shimako et Sachiko étaient toutes deux des Roses en bouton, mais la différence de confort pour parler à la blanche plutôt qu'à la rouge était énorme.

- Oh, bien sûr. Rentrez. Je pense que Sachiko-sama doit être au premier étage.

Ses cheveux bouclés se balançant derrière elle, Shimako ouvrit la porte et fit signe à ses deux camarades, toujours clouées à l'extérieur.

Elle n'était pas seulement belle mais aussi très gentille et mignonne, ce qui impressionna grandement Yumi. C'était très facile de comprendre pourquoi Sachiko et Rosa Gigantea se la disputait. Elle était - c'est vrai - ce genre de personne qu'on aimerait avoir à ses côtés, avec son teint pâle et ses cheveux bruns doux et bouclés. En comparaison, les cheveux de Yumi qui était de la même couleur, paraissaient indisciplinés. Pourtant, tous les matins, elle réussissait plus ou moins à les dompter en les séparant en deux couettes qu'elle attachait avec des rubans - comme on dompterait deux animaux sauvages.

- Entrez, leur dit Shimako, qui tenait toujours la porte.

- Allez viens, Yumi-san.

Tsutako avala sa salive et prit Yumi par le bras. Si elles allaient vers leur chute, alors Tsutako entrainerait Yumi avec elle.

A peine avaient-elles posé un pied à l'intérieur qu’elles furent comme aspirer dans un monde mystérieux.

- Ouah.

Le plancher était surélevé. A gauche, on pouvait voir un escalier raide qui montait au premier étage, où l'on apercevait un grand vitrail de la taille d'une porte. Le soleil couchant éclairait les marches et le rez-de-chaussée à travers celui-ci. Il n'y avait aucun signe de vie. Devant elles et à droite, ils y avaient quelques pièces mais, comme le dit Shimako, elles semblaient toutes être vides. Sachant cela, il était alors évident que si Yumi avait frappé à la porte, personne ne s'en serait rendu compte, ce qui aurait certainement fait flancher sa faible confiance avant même qu'elle n'ait commencé sa tache monumentale.

- Suivez-moi.

Shimako monta avec facilité les marches de l'escalier, relevant sa jupe pour qu'elle ne traine pas sur les marches. Yumi et Tsutako échangèrent un regard et un signe de tête et la suivirent.

Cela faisait moins d'une année que Yumi était lycéenne. Cette Demeure des Roses était un endroit dans lequel elle n'aurait jamais du poser les pieds.

- Heu... Shimako-san ? demanda-t-elle, anxieusement.

- Oui ?

- Est-ce que tu as vraiment le droit de faire entrer des étrangers si facilement ?

Shimako s'arrêta et se tourna, le pied posé sur la dernière marche, avec un air un peu surpris, avant de dire : « Oh, Yumi ».

- Pourquoi est-ce que tu te considères comme une étrangère ? Ce bâtiment est utilisé pour les quartiers du Yamayurikai, alors ce sont principalement les membres du conseil qui l'occupent, mais tous les étudiantes sont des membres du Yamayurikai. Nous sommes plus que ravies de recevoir des étudiantes qui souhaitent nous parler. Bien sûr, si des centaines d'élèves pénétraient ici en même temps, l'étage s'effondrerait sans doute !

Détendant un peu ses épaules, Shimako rit.

Comme elle le disait, le vieux plancher de bois ne semblait guère pouvoir supporter plus d'une cinquantaine de personnes à la fois. Yumi se demanda sous quelle ère le bâtiment avait été construit. Le lycée Lillian n'était pas récent, mais les escaliers ne grinçaient tout de même pas de la sorte.

Après avoir monté les escaliers, une porte en bois apparut à leur droite. Yumi et Tsutako suivaient Shimako dans cette direction quand elles entendirent une voix puissante.

- Et alors ?! Pourquoi est-ce que je devrais le faire ?!

C'était une voix très forte, qui leur était facilement parvenu malgré la porte en bois. Alors que Yumi se faisait la réflexion qu'une voix d'un tel décibel n'avait pas sa place dans la demeure des Roses, celle-ci se remit à s'exclamer.

- C'est de la tyrannie ! Sœurs, vous êtes mauvaises !

Le mot « mauvaise » et le petit panneau « Soyez silencieux, nous sommes en réunion » qui pendait à la poignée de la porte semblait curieusement en opposition.

Incroyable. Une étudiante capable de dire le mot « mauvaise » en s'adressant à ses ainées. Mais après tout, c'était la Demeure des Roses. Il n'y avait aucun doute que c'était la voix d'une des Roses ou d'un invité de marque. Une élève ordinaire n'aurait jamais pu assister à cette réunion et dire une telle chose.

- Oh, très bien. On dirait que Sachiko-sama est là.

Shimako tourna la poignée.

- Hein ?!

- Alors cette voix était celle de Sachiko-sama...

Cela stupéfia Yumi. Sachiko pouvait élever la voix, utiliser un mot comme « mauvaise » et être aussi énervée ? Tsutako semblait tout aussi surprise. Shimako, elle, sourit, ajoutant un « c'est toujours comme ça » et ouvrit la porte sans frapper.

Et c'est à ce moment précis.

- Je vois ! Si c'est tout ce qu'on me demande, et bien, je l'amène ici ! Oui, je vais l'amener ici sur le champ !

Après cet adieu un peu brutal, une étudiante sortit en trombe de la salle. Elle fit l'erreur de tourner la poignée alors qu'elle celle-ci était déjà ouverte de l'extérieur.

- Aaah !

- Ouaaah !

Yumi vit pendant une fraction de seconde quelqu'un en train de perdre l'équilibre, puis elle sentit un choc contre elle. Sa vue changea, le plafond s'éloigna et une douleur aigue lui traversa les fesses. Ignorant Shimako, qui avait utilisé la porte comme bouclier, et Tsutako, qui s'était reculé en arrière au dernier moment, le coup atteignit Yumi de plein fouet.

Le « Aaah » venait de la personne qui était tombée et le « Ouaaah » était la voix de Yumi.

- Est-ce que ça va ?

Yumi entendit indistinctement les voix de Shimako et de Tsutako.

- Hnnn... Hnnn...

La situation était confuse, elle ne comprenait rien à ce qui venait de se passer, à part qu'elle avait heurté le sol et que quelque chose de doux était appuyé contre son estomac et sa poitrine. Des cheveux qui n’étaient pas les siens lui couvraient le visage, et même si elle savait qu'elle était censée se relever sur le champ, elle n'arrivait plus à distinguer le haut du bas et avait perdu tout sens de l'orientation.

- Oooh... murmura la personne qui s'était écroulée sur elle en se relevant avec précaution.

La vision de Yumi s'éclaircit et la première chose qu'elle vit fut Rosa Chinensis en bouton, Sachiko Ogasawara. Elle aussi n'avait pas réalisé ce qui venait de se produire et s'était simplement assise, remuant doucement la tête.

Ses longs, lisses et noirs cheveux flottèrent quelques instants comme dans une publicité, avant de retourner petit à petit dans leur position d'origine. La seule différence qu'il y avait entre elle et une publicité était cette odeur fleurie qui accompagnait le mouvement.

- Oh ! Quelle chute ! Impressionnant !

- Elle a été emporté par les 50kg de Sachiko ? C'est ridicule !

- Hé bien ! Mademoiselle l'étudiante, êtes-vous toujours vivante ?

Les étudiantes qui étaient dans la salle s'étaient approchées, attirées par le bruit. Un défilé de jeunes filles qu'on ne pouvait voir qu'à une réunion du Yamayurikai. Rosa Chinensis, Rosa Foetida et Rosa Gigantea. Près de Rosa Foetida se tenait son bouton et la petite Sœur de son bouton.

- Oh, j'ai percuté quelqu'un... Est-ce que ça va ?

Comprenant ce qui venait de se passer, Sachiko se dépêcha d'aider Yumi à se redresser.

- Sachiko ! Il ne faut pas la déplacer comme ça. Si elle s'est cognée la tête, ça pourrait être désastreux.

Rosa Foetida en bouton se détacha du petit groupe. C'était une deuxième-année, élève n°30 de la classe du chrysanthème, nommée Rei Hasekura. Elle était la descendante d'une famille de maitres en art martiaux et ce n'était certainement pas la première fois qu'elle voyait quelqu'un chuter de la sorte. Malgré son nœud marin et sa jupe taille basse, on aurait dit qu'elle était habillé dans un uniforme d'homme - une rareté à Lillian. Elle avait une silhouette élancée et des cheveux très courts. Cet uniforme - qui ressemblait à celui d'une poupée traditionnelle - paraissait être sur elle comme un pantalon et une veste.

- Ah... je vais bien. Je me suis juste cognée.

Yumi se releva, les fesses encore douloureuses, faisant face à la tumulte.

- Tu es sûre ?

Sachiko la regarda avec des yeux inquiets.

Ah, je vais m'enfuir si tu me regardes comme ça. Tes beaux yeux vont être souillés.

- Oui, oui, je vais bien.

Incapable de supporter cette tension, Yumi se mit à esquisser quelques pas comme un phœnix renaissant de ses cendres. Elle détesta son comportement de clown, mais l'atmosphère faisait qu'elle avait l'impression que si elle n'avait pas agit de la sorte, les Roses auraient appelé une ambulance.

- Quel soulagement.

Apparemment très rassurée, Sachiko enlaça gentiment Yumi. Encore cette douce pression contre son corps. Aah, alors c'était la poitrine de Sachiko. L'uniforme avait tendance à uniformiser les différents physiques, mais elle se rendait compte maintenant que sa poitrine était plutôt importante... Mais ce n'était pas le moment de réfléchir à une chose pareille ! En ce moment-même, Sachiko était bien en train de la serrer contre elle !

- Au fait, murmura Sachiko à l'oreille de Yumi. Tu es en première année, n'est-ce pas ? Est-ce que tu as une Sœur ?

- Hein ?

Yumi pensa à cette première-année qui s'était perdue moralement en portant une cravate de travers et à sa Sœur que Sachiko avait réprimandé. Mais... Est-ce qu'elle voulait réprimander une Sœur pour être tombé ? C'était un accident et en plus, c'était Sachiko qui avait percuté Yumi !

- Alors ? chuchota-t-elle avec empressement.

- Non... Pourquoi ?

Sentant que c'était une discussion qui devait rester secrète, Yumi baissa la voix pour répondre.

- Magnifique.

- Hein ? Quoi ?

- Ne t'inquiète pas, fais juste ce que je te dis.

Son ton était ferme et sans donner plus d'explication, elle traina Yumi devant le reste des membres.

- J'ai une déclaration à vous faire, mes sœurs.

Sachiko avait retrouvé son timbre de voix normal, cette voix froide si différente des cris hystériques que Yumi avait entendu à travers la porte.

- Et bien ? Qu'est-ce qui se passe ? demanda Rosa Chinensis avec un sourire moqueur.

Comme on pouvait s'y attendre venant de la Sœur de Sachiko. Elle avait l'aplomb et la présence de quelqu'un qui pouvait faire danser Sachiko dans la paume de sa main.

- Cette fille...

Sans finir sa phrase, Sachiko murmura à Yumi « Présente-toi », réalisant qu'elle ne lui avait même pas demandé son prénom.

- Ah ! Je suis Yumi Fukuzawa, première-année n°35 de la classe de la pêche.

Elle avait essayé de se présenter à Sachiko, mais celle-ci l'avait poussé de sorte qu'elle fasse face aux Roses.

- Je vois, Yumi Fukuzawa-san. Comment cela s'écrit-il en kanji ?

- Fukuzawa s'écrit de la même façon que Yukichi Fukuzawa. « Yu » s'écrit avec le kanji de la droite et le radical du dieu. « Mi » avec le signe de l'année du serpent[3].

- C'est un joli nom, dit Rosa Gigantea avec un sourire.

- Et ? dit Rosa Foetida qui dévisageait Yumi de haut en bas. Qu'y a-t-il avec cette Yumi Fukuzawa-san ?

En quelques secondes, Yumi fut cernée par trois Roses.

Une grenouille chassée par un serpent devait ressentir exactement le même sentiment. Ce n'était pas de sa faute si elle avait le signe du serpent dans son prénom... Les Roses n'étaient pas des serpents, plutôt une forêt d'épines. On disait que les jolies roses avaient toujours des épines et Yumi comprit en un instant qu'elles n'étaient pas des sœurs ordinaires.

Même si elle venait de tomber sur les fesses, sa tête bourdonnait de cette pression invisible que les Rosses exerçaient. Que comptait faire Sachiko maintenant qu'elle avait capturé une première-année sans défense ?

- Mes sœurs. Voudriez-vous arrêtez de dévisager Yumi de la sorte ? Elle a l'air absolument terrifiée.

(Yu-Yumi...?!)

Ouah, ouah.

Il y a quelques minutes, elle ne connaissait même pas son nom et voilà qu'elle l'appelait déjà uniquement par son prénom ? L'esprit de Yumi était en train de devenir complètement blanc.

Yumi.

La norme à Lillian était de rajouter « san » à la fin du prénom ; l'absence de « san » était réservée pour les relations les plus intimes. Même ses parents, qui avaient avec elle une relation amicale, l'appelaient Yumi-chan. La seule personne qui l'appelait simplement Yumi était son petit frère, très mal élevé.

Mais c'était assez agréable. Que Sachiko l'appelle Yumi.

Tellement agréable que - même si elle ne comprenait rien à ce qui se passait - Yumi décida de faire ce que Sachiko lui demandait. Si elle pouvait lui être utile, après tout...

- Oui, ça doit être désagréable, nous nous excusons... heu... Yumi Fukuzawa-san.

Rose Gigantea s'excusa en inclinant légèrement la tête. C'était une sœur de Shimako. Son visage était un peu plus exotique que celui de Sachiko, mais elle aussi était impressionnante à regarder de si près. Ses beaux cheveux mi-longs flottaient derrière elle, comme bercés par le vent.

- Mais, nous ne pouvons nous empêcher d'être curieuse de l'attitude de Sachiko, Rosa Chinensis en bouton. J'espère que tu comprends ?

- O... Oui.

Yumi comprenait parfaitement que les Roses s'intéressent à Sachiko. Mais alors, pourquoi est-ce que c'était elle que les Roses regardaient si intensément ?

- Rosa Gigantea. J'apprécierai que tu évites de parler à Yumi si glacialement.

Sachiko se plaça devant Yumi, comme pour la protéger.

- Oh ? Et depuis quand Yumi-san est-elle devenue une de tes propriétés personnelles ?

Rosa Gigantea leva un sourcil et eut un petit rire. Même Yumi, qui se trouvait derrière Sachiko, pouvait voir que le visage de cette dernière commençait à se crisper de colère.

- Voyons, Rosa Gigantea. Écoutons d'abord ce que Sachiko a à nous dire.

- Ah oui, c'est vrai. Elle a dit qu'elle voulait nous faire une déclaration.

Rosa Chinensis et Rosa Foetida calmèrent les esprits, et Sachiko hocha la tête.

- J'espère que vous allez tenir la promesse que vous m'avez faites toute à l'heure.

- Promesse ? demanda Rosa Chinensis.

- Si j'en choisi une maintenant, tout est réglé. Dans ce cas, je choisi Yumi.

Sachiko attrapa Yumi par les épaules et la poussa devant elle, comme si elle présentait un jouet qu'elle venait d'acheter.

- Heu...

Yumi n'avait aucune idée de qui c'était dit « tout à l'heure », elle n'avait donc aucune idée de ce qui se passait. Elle avait été emporté dans une histoire à laquelle elle ne comprenait rien. Elle échangea un regard avec Tsutako et Shimako dans l'espoir de secours, mais elles secouèrent toutes deux la tête. Elles étaient arrivées en même temps que Yumi et n'en savaient pas plus.

- « Tout à l'heure » est-ce la phrase que tu as hurlé avant de sortir de la salle ?

Les trois Roses regardaient Sachiko avec attention.

- Bien sûr.

Souriant triomphalement, Sachiko parla, et ses mots figèrent de stupeur toutes les personnes présentes.

- Yumi Fukuzawa est ma petite Sœur.

Partie 5[edit]

- Tiens.

Elles posèrent devant moi une tasse blanche, remplie d'un liquide orangé et fumant. C'était du thé noir.

- Tu veux du sucre ou du lait ?

Une jeune fille avec une queue de cheval, assez petite de taille, me montra tout en parlant le contenu d'un petit panier qu'elle portait. Elle était aussi en première année, si je me rappelais correctement. J'avais oublié sa classe et son prénom, mais elle était la petite sœur de Rei Hasekura alias Rosa Foetida en bouton. Son nom devait être Yoshino.

- Non, merci.

Du lait ? Qu'est-ce que c'était déjà ? Ah, j'étais dans un état second. Tout cela est si confus.

En effet, Yumi avait été de loin la plus surprise de toutes par la déclaration de Sachiko. Elle s'était complètement pétrifiée sur place quand elle avait parlé, oubliant totalement le tumulte qui enflait autour d'elle. Combien de fois Sachiko comptait-elle la pétrifier ainsi en une journée ?

Toutes avaient ensuite décidé de parler de la situation au calme. Elles étaient donc retournées dans la salle, passant la porte marquée du panneau « réunion ».

Sachiko, après avoir fait assez égoïstement sa déclaration, avait laissé seule sa petite sœur, Yumi, comme si elle avait été prise d'une crise temporaire et maintenant oubliée, et était rentrée avec colère dans la salle, prête pour une grande bataille.

- Bataille... Sachiko-sama...

Dans une telle situation, Yumi était-elle alliée ou ennemie ? Et de qui ?

- Oh, vraiment. Quelle sœur sans cœur, elle laisse sa petite Sœur derrière.

Quand Rosa Gigantea mis un bras sur les épaule de Yumi et la conduisit dans la salle, Sachiko sembla réaliser sa faute et se leva, tirant une chaise près d'elle et ordonnant : « Assis-toi ici ».

Puis, quand toutes se furent installées, elles servirent du thé noir. Et nous en étions là.

Cette pièce avait une atmosphère différente d'une salle de classe. Tout comme les escaliers et les couloirs, les murs et le sol étaient faits d'un bois ancien et usé. A part le mur qui collait au couloir, tous les autres étaient percés d'une fenêtre bordée de bois, encadrée de rideaux propres et maintenus ouverts par des fins rubans. La pièce faisait environ la moitié d'une salle de classe en superficie, et une table en occupait l'intérieur, assez grande pour que huit personnes puissent s'assoir autour et surmontée d'une composition florale. On aurait plus dit une ancienne salle à manger de style occidental, que la salle d’un conseil d'étudiant.

Bien sûr, les trois Roses étaient installées autour de la table, tout comme Sachiko, Yumi, Shimako et Tsutako, traitées en invitées. Rei et Yoshino prirent des chaises rangées contre le mur, près d'un lavabo.

De la bouilloire provenait un bruit d'ébullition. Je n'aurai jamais imaginé que des étudiantes pouvaient ainsi s'assoir confortablement et boire du thé noir dans un bâtiment de l'école. Elles étaient même en train de placer des cookies sur des petites assiettes.

Je ne savais pas qu'on était si bien traité quand on était membre du Yamayurikai.

- Ne te méprend pas, s'il te plait. Nous mettons beaucoup d'efforts à faire de cet endroit, un endroit confortable à vivre.

Sachiko murmura ces mots à l'oreille de Yumi comme si elle lisait dans son esprit. Le budget du Yamayurikai n'est pas dépensé pour le thé, semblait-elle dire. C'était les membres qui apportaient le thé, et les cookies étaient des donations des classes qui avaient eu leur cours de cuisine.

- Si tu préfères, nous avons aussi du café et du chocolat chaud. Mais, comme ce sont des instantanés, ils ne sont pas géniaux.

Rosa Chinensis sourit.

- Tu peux venir ici quand tu le veux. En tant que sœur de Sachiko, tu es bien sûr une amie chère.

Elles attendaient que Yumi baisse sa garde avant de revenir au sujet principal. Les Roses n'étaient pas des jeunes filles ordinaires.

(C'est... C'est vrai. Nous n'avons toujours pas parlé du véritable problème...)

La déclaration de Sachiko avait fait l'effet d'une bombe qui les avait toutes laissées sans voix. Yumi aurait sincèrement aimé oublier tout cela - mais elle en semblait incapable. En fait, en tant que victime d'un incident, elle ne comprenait pas pourquoi on lui avait demandé de s'assoir parmi elles. On aurait dit qu'elle avait été convoqué comme témoin dans un tribunal ou au parlement.

- Rosa Chinensis, tu acceptes donc la déclaration de Sachiko ?

- Rosa Foetida, si Sachiko a pris cette décision, nous n'avons aucun droit de nous y opposer. Non ? Rosa Gigantea, qu'est-ce que tu en penses ?

- Je pense que nous ne devrions pas tout de suite réfléchir à accepter ou non cette déclaration. Du moins, pas tant qu'une des protagonistes nous regarde avec des yeux ronds.

Immédiatement, tout le monde tourna les yeux vers Yumi.

(Pr-Protagoniste ? Elle parle de moi ?!)

- La pauvre, elle ne comprend rien à ce qui se passe.

Les Roses rirent. Yumi commençait à croire que le tout n'était qu'une blague inventée par les Roses.

(Oui, c'est ça. Ca ne peut être que ça...)

Elle avait du mal à croire que toutes ces merveilleuses jeunes filles aient prises la parole de Sachiko si sérieusement. Qu'importe dans quelle situation Sachiko se trouvait, c'était juste impossible qu'elle fasse de Yumi sa petite Sœur.

(Attendez, attendez...)

Peut-être que c'était une blague à laquelle même Sachiko participait. Bien sûr, c'était cela. Alors, tout prenait sens. « Nous sommes désolées, cette blague est allée trop loin ». Oui, si elles disaient cela, je pourrais rire avec elles et répondre « je trouvais ça 'vraiment' très bizarre » et partir au plus vite de cette pièce.

Mais.

- Peu importe ce que vous dîtes, Yumi est ma petite Sœur.

Sachiko refusait de revenir sur sa déclaration. Mais à quoi pensait-elle ?

- J'aimerai demander la même chose à Yumi, pas qu'à Sachiko.

- M-moi... ?!

Yumi tressaillit devant le soudain changement d'attention. Evidemment, Yumi n'était toujours pas au courant de la situation dans laquelle elle se trouvait. Elle aurait pu simplement répondre « je ne sais pas », mais elle sentait que cette réponse ne ferait que rendre les choses encore plus difficiles pour Sachiko.

- Heu...

Elle voulait être une alliée pour Sachiko. Mais comment combattre quand on ne sait pas qui sont les alliés et qui sont les ennemis ? Elle aurait aimé que Sun Tzu lui apprenne l'art de la guerre...

- Si je le dis, c'est qu'il en est ainsi. Il n'y a pas besoin de confirmer quoi que ce soit avec Yumi.

Sachiko tenait fermement sa position, elle ne semblait pas vouloir changer d'avis.

- Je... Heu...

- Ne dis rien pour l'instant.

Vlan. Même avec son alliée Yumi, elle était sans merci.

Bien sûr, si elles avaient été de vraies Sœurs, l'ordre de Sachiko aurait été absolu et elle serait restée silencieuse. Mais comme ce n'était pas le cas, Yumi aurait aimé que Sachiko soit un peu plus gentille.

- Il semble que tu souhaites continuer cette conversation sans Yumi, mais je ne t'autoriserai par à faire ça.

Les yeux de Rosa Gigantea étincelaient.

- Sachiko, tu viens d'intégrer une inconnue à toute cette histoire dans le seul but d'échapper au travail qui t'as été confié, n'est-ce pas ?

(Au travail qui t'a été confié...?)

Alors que Yumi tournait la tête sur le côté, une personne située à l'autre extrémité de la table leva la tête et dit : « Attendez ».

C'était Tsutako, dont Yumi avait complètement oublié l'existence.

- Qui a-t-il, Tsutako Takeshima-san ?

- Je suis honorée que vous connaissiez, Rosa Gigantea.

- Yumi est banale, mais toutes les étudiantes te connaissent, toi. Tu es célèbre.

Je suis désolée d'être banale - murmura intérieurement Yumi.

- J'en suis heureuse, continua Tsutako après avoir remonté ses lunettes. Mais, je sais que je ne suis en cet instant qu'une étrangère. Cependant, comme j'ai été autorisé à écouter cette conversation, j'aimerai demander quelque chose.

- Bien sûr.

- Je ne comprends rien à ce qui se passe.

Pourquoi Sachiko avait-elle déclaré que Yumi était sa Sœur ? Quelle connexion cela avait-il avec le travail que Sachiko devait faire ? C'était des questions auxquelles Tsutako désirait obtenir des réponses.

- C'est vrai. Pardonne-nous de ne pas avoir expliqué.

Rosa Foetida hocha la tête. Sachiko se leva en un éclair.

- Il n'y a pas besoin d'expliquer ! J'ai choisi une Sœur, c'est tout. La réunion est terminée !

- C'est très égoïste. Si tu veux terminer la réunion et bien rentre chez toi, mais seule. Yumi reste ici avec nous.

Sachiko n'avait pas d'autre choix que de se rassoir aux mots de Rosa Chinensis.

- Pour le dire simplement, Sachiko a décidé de rejeter un travail pour le festival de l'école qu'elle avait auparavant accepté.

- Vous avez changé les règles, coupa Sachiko mais Rosa Chinensis continua.

- Les règles n'ont pas changé. Tu n'avais pas certaines informations à ce moment, mais ton rôle n'a pas changé.

- Et... Quel était le rôle de Sachiko ? demanda Yumi.

- Ah, nous avons encore oublié quelques détails. Cette année, pour le festival del'école, nous allons jouer une pièce.

- Tout le Yamayurikai y participera.

Cela avait l'air extrêmement luxueux. Yumi espéra avoir l'occasion d'y assister.

- Comme nous, les Roses, sommes très occupées tous les jours comme organisatrices du festival, ce sont les boutons qui sont chargées de jouer les rôles principaux.

Rosa Foetida ajouta qu'elles comptaient emprunter des membres du club de danse comme suppléments.

- Club de danse ? Quelle pièce allez-vous jouer ? demanda avec enthousiasme Tsutako, dont les veines de photographe en herbe semblaient avoir pris feu.

- Cendrillon. Le ballet.

Ouah !

- Et le rôle principal ?

Oubliant la situation actuelle, Yumi était aussi très excitée. Dans ses veines brûlait le sang d’un fan absolu de Sachiko.

- Bien sûr, c'est Sachiko.

Kyaaa ! Sachiko en Cendrillon ! Alors, Rei devait jouer le Prince ? Une magnifique pièce entre deux boutons. C'était magnifique rien qu'à imaginer. Trop magnifique. Cela s'aventurait dans le territoire d'un Takarazura [Compagnie de théâtre japonaise composée uniquement de femmes.]. Il faut que je trouve à billet, à tout prix. Je me demande si ils distribuent des billets juste avant la pièce ? Il faudra que je me renseigne...

Mais attendez. Elles avaient dit que Sachiko avait rejeté le travail qui lui avait été confié. Cela voulait dire qu'elle ne voulait plus être l'actrice principale ?

- Cette année, nous avons décidé de recevoir un invité de Hanadera. Sachiko semble être contre cette idée.

- Invité ?

- C'est la coutume. Lillian et Hanadera sont des écoles voisines, qui se situent sur la même colline. Les élèves des conseils des deux écoles s'entre-aident au moment du festival de l'école. Nous les avons aidés le mois dernier pendant leur festival.

Cela ressemblait à des relations de voisinages qu'on retrouvait à la campagne. Les enterrements, les mariages, les incendies, les déménagements... Peu importe ce qui se passait, les gens s'arrêtaient tous de travailler pour s'aider. Le même genre de coutume...

J'avais été très surprise quand à la mort de mon grand-père, à Yamanashi, son voisin avait pris un congé à la banque où il travaillait - alors que c'était une période très importante pour lui en cette fin de mandat - pour aider à l'organisation des funérailles. Apparemment, c'était la même chose ici, sauf que les voisins étaient des écoles et des étudiants.

- Je n'ai aucune objection à cette invitation. Mais je ne vois pas pourquoi c'est le responsable du conseil de Hanadera qui devrait être le prince, murmura Sachiko.

Ah, je vois. Rei n'est pas le prince.

- Alors, quel rôle devrait-il avoir ? Cendrillon ? Et tu joueras le prince, Sachiko ?

Yumi ne fut pas la seule dans la pièce à penser que cette idée n'était pas complètement inintéressante.

- Pourquoi en arriver là ? Je me disais qu'il n'aurait pas forcément à être sur la scène, il pourrait s'occuper des accessoires dans les coulisses ou...

- Comment peux-tu oser demander à un invité de faire ce genre de travail ? Nous étions les juges pendant leur évènement principal. Même si ils auraient pu, ils ne nous ont pas appelé pour qu'on leur servent du thé. Mais peut-être que tu le savais pas, Sachiko, vu que tu n'étais pas la ce jour-là.

- Je ne peux pas supporter qu'on change la distribution des rôles à deux semaines de la représentation.

C'était une dispute entre Sachiko et Rosa Chinensis. Un duel entre Sœurs.

- Comme je l'ai dit, le rôle du prince a été confié dès le départ au responsable du conseil de Hanadera.

- C'est faux. Jusqu'à hier, c'est Rei qui récitait les lignes du prince.

- On m'avait dit depuis le début que je n'étais qu'une remplaçante.

Rei agitait la main pour disperser les vapeurs de la théière.

- Tu vois ? A part toi, tout le monde le savait. Si tu ne me crois toujours pas, tu peux demander au club de couture qui s'occupe des costumes. Le costume du prince est taillé pour aller au responsable du conseil de Hanadera.

- Alors, vous avez décidé de cela quand je n'étais pas là ?

Sachiko grinça des dents, frustrée de voir que sa position était de plus en plus désavantageuse.

- Oh, réveille-toi ! Il n'y a pas de réunion secrète ! Ah, mais si je me souviens bien, Sachiko, tu as loupé de nombreuses réunions. Nous avons dû décider de cela un jour où tu étais absente. Alors, tu ne peux t'en prendre qu'à toi. Tu n'es jamais là quand il y a un rendez-vous avec Hanadera. C'est ce qui arrive quand on n'essaye pas de lutter contre son dégoût des hommes.

(Dégoût des hommes ?)

Je comprends ! Yumi claqua des mains intérieurement. Si elle combinait tout ce qu'elle avait appris, Sachiko avait accepté le rôle principal comme le lui avait demandé les Roses. Mais - que ce soit intentionnel ou juste par manque de communication - seule Sachiko avait été mise à l'écart du fait que le rôle du prince serait tenu par le dirigeant du conseil d'Hanadera. Elle venait de l'apprendre aujourd'hui, s'était énervée - crachant des flammes comme un dragon - et avait déclaré qu'elle abandonnait le rôle de Cendrillon. La raison était... son dégoût des hommes.

(Mais, ne pas supporter les hommes...)

Yumi n'avait jamais imaginé cela, mais maintenant qu'elle le savait, il lui semblait que Sachiko et le « dégoût des hommes » collait parfaitement. Certaines étudiantes de la classe de Yumi avait avoué avoir une phobie des hommes - ou juste les détester - et elle-même ressentait un peu la même chose.

(Je me demande si elle déteste aussi son père...)

Alors qu'elle était complètement plongée dans ses pensées, Yumi sentit un regard posé sur elle, et en relevant la tête, elle vit Rosa Gigantea, la tête tournée vers elle, qui la regardait en souriant.

- Tu es drôle.

- Hein ?

- On comprend tout à tes pensées.

- Hein ?!

Yumi fit de son mieux pour lisser son visage de toute expression. Mais, c'était trop tard. Elle ne pouvait plus supprimer les « pensées » et son visage rougit intensément, amplifiant encore davantage son embarras.

- Tu es prévisible. C'est très amusant.

Ca... ce n'était pas un compliment. Même si mes notes en japonais ne sont que moyenne, je sais quand même m'en rendre compte, Rosa Gigantea.

- Hum, mais quel rapport y a-t-il entre Sachiko qui refuse le rôle et Yumi qui devient sa petite Sœur ? Il y a un panneau « en réunion » sur la porte, vous étiez en train de discuter d'un changement de rôle ?

Tsutako continuait de poser des questions aux Roses. Rosa Foetida sourit amèrement et détendit ses épaules.

- Oui, c'était une réunion, au départ...

Les membres du conseil se réunissaient à la Demeure des Roses chaque jour après les cours, afin de parler des problèmes en rapport avec le festival de l'école. Elles avaient commencé la réunion sans attendre l'arrivée de Shimako, qui allait arriver en retard (c'était son tour de s'occuper des tâches scolaires). De plus, en tant que bouton, sa présence n'était pas obligatoire.

Pour expliquer un peu les choses, le Yamayurikai était le conseil des étudiants, comme celui d'une école normale. Les membres officiels du conseil étaient les trois Roses : Rosa Chinensis, Rosa Gigantea et Rosa Foetida. Elles remplissaient les fonctions de présidente, vice-présidente, secrétaire et autres, selon un système qui se transmettait de génération en génération.

Personne ne savait quand les rôles des membres du conseil étaient devenus synonymes des Roses. C'était la même chose que pour savoir qui est arrivé le premier de la poule ou de l'œuf. Mais, quand quelqu'un parlait des membres du conseil, il sous-entendait les Roses rouge, jaune et blanche.

En plus du conseil des étudiants, elles s'occupaient aussi des festivals de l’école - organisant la fête d'accueil aux premières années ou la fête d'adieu aux graduées - du budget et de l'organisation des réunions d'étudiants, ainsi que d'autres tâches plus mineures ce qui était bien évidemment trop pour trois personnes. Alors, les Roses demandaient à leurs Sœurs de les aider comme assistantes. Les petites sœurs des Roses étaient appelées les « boutons » et personne ne s'opposaient à ce qu'elles succèdent plus tard aux Roses au Yamayurikai. Tout le monde les considérait comme des Roses qui n'avaient pas encore éclot.

- La plupart des décisions à prendre n'étaient pas compliquées et la réunion se déroulait bien.

- Et puis, Sachiko a commencé à se plaindre à propos de la pièce.

- Nous l'avons un peu embêté, pour la faire taire. Mais au contraire, elle a explosé, se plaignirent les Roses. Sachiko sait comment se comporter à l'école, se qui fait sa popularité, mais elle a en vérité un caractère plutôt violent et c'est très difficile de la calmer.

- Un peu embêté ? Ce n'était pas que des piques ! Plutôt des couteaux enfoncés dans la plaie !

Sachiko recommençait à s'énerver rien qu'à se souvenir.

- Vous avez dit que je n'avais pas le droit à la parole car j'étais incapable de trouver une petite Sœur !

- C'est ce que j'ai dit, mais je ne sous-entendais pas « Va trouver une petite Sœur, qu'importe qui elle est ». Attraper et amener ici la première première-année que tu vois en sortant, c'est trop rapide, trop simpliste. Tu n'es pas un Warashibe Chôja (conte japonais : Kannon, déesse de la Pitié aideun paysan travailleur mais malchanceux à échapper à la pauvreté. Elle lui demande de prendre la première chose qu'il verra et de voyager vers l'ouest - ce sera de la paille. Au fur et à mesure de son voyage, par bonnes actions, iléchange son bien contre d'autre qu'il re-échange, etc jusqu'à sa rencontre avecun millionnaire dont il épouse la fille).

(Warashibe Chôja...)

De la sueur commençait à apparaître sur le front de Yumi.

(Alors ça fait de moi de la paille...)

Grâce à elles, je commence à comprendre en partie ce qui se passe, mais ça devient ridicule.

- Warashibe Chôja ? Tant mieux. Cette histoire finit bien, n'est-ce pas ?

Sachiko, tu dis n'importe quoi...

- Oh, tu vas t'occuper de Yumi jusqu'à trouver une meilleure personne ? Je ne peux pas accepter une telle relation. En tant que ta grande Sœur, ma dignité en prendrait un coup fatal.

Rosa Chinensis eut un soupir, dégoutée. Mais, Sachiko répondit immédiatement, regardant sa Sœur droit dans les yeux.

- Je m'occuperai toujours de Yumi. Je l'entrainerai pour en faire une Rose magnifique. Il n'y a pas de problème, n'est-ce pas ?

Même si cela suivait la conversation, était-ce vraiment la peine de dire des choses si importantes ? Cela ne ferait que rajouter à sa honte quand elle devra faire face à la réalité.

- Arrête de parler sans réfléchir, Sachiko.

- Qu'est-ce qui te fais croire que je ne réfléchis pas ?

- Tu viens à peine de rencontrer Yumi-san. Comment peux-tu faire une telle promesse ?

Il y avait de l'électricité dans l'air. Mais elles étaient à trois contre un. Et de plus, elles étaient les trois troisièmes années les plus fortes du Lycée Lillian.

- Si je ne me trompe pas, tu ne connaissais même pas le nom de Yumi-san il y a quelques minutes ?

- C'est...

La voix de Sachiko diminua. Saisissant cette opportunité, Rosa Gigantea parla doucement.

- Ce n'est pas encore assez ? Ne sois pas têtue...

Elle avait raison, pensait Yumi. Il faut mieux admettre sa défaite avec un peu de dignité. Si elle ne voulait pas être Cendrillon, il y avait sans doute un autre moyen de régler le problème. Les petites Sœurs ne sont pas prises sur un coup de tête. Elle devait davantage y réfléchir et trouver une meilleure partenaire.

Si Sachiko choisissait une première-année, ça serait un vrai choc. Mais, même si c'était complètement arbitraire, Yumi avait été heureuse que Sachiko ait déclaré être sa Sœur.

- Attendez, s'il vous plait.

Shimako se leva.

- Je pense que Sachiko-sama et Yumi-san ne viennent pas de se rencontrer.

Jusqu'à là, elle était restée discrètement dans l'ombre comme si elle n'existait pas, tout comme Rosa Foetida en bouton et sa petite Sœur. Les boutons ne devaient pas prendre la parole sans prétexte. Sachiko semblait être la seule exception.

- Et pourquoi penses-tu cela ? demanda Rosa Gigantea à sa Sœur.

- Parce que Yumi-san est venue ici pour voir Sachiko-sama.

- Ah bon ? Je pensais que c'était toi qui les avais amenées ici.

Les yeux de Rosa Chinensis alternaient entre Yumi, Tsutako et Shimako.

- Il semble que nous ayons oublié de demander la raison de la venue de Yumi et de Tsutako.

Apparemment, toutes avaient pensé que Shimako avaient emmené des amies ou des étudiantes prêtes à aider pour le festival de l'école. Bien sûr, il n'y avait eu aucune aide, l'hystérie de Sachiko, la collision et la déclaration de Sœur ayant laissé tout le monde dans un état de confusion.

- C'est vrai ? demanda Rosa Gigantea directement à Yumi. - ... Oui.

La voix de Yumi était à peine audible. Même si elle n'avait rien fait de mal, elle n'aimait pas ce genre de situation. Comme si sa mère lui demandait des explications après une dispute avec son frère.

- J'ai moi aussi des preuves.

Tsutako saisit cette opportunité pour elle aussi participer à la conversation. Elle tendit quelque chose à Rosa Chinensis.

(Ah ! La photo de ce matin ...!)

Elle ne les vit qu'un instant, mais cela ne faisait aucun doute. C'était les deux clichés qu'elle lui avait montré plus tôt. Ah. La situation avait été sur le point de s'arranger mais ses deux camarades venaient de rejeter de l'huile sur le feu.

- Je vois, ce n'était pas votre première rencontre... Excusez-moi.

Les photos circulèrent et arrivèrent enfin jusqu'à Sachiko et Yumi. Au moins, Sachiko allait enfin savoir que les photos existaient. Yumi la dévisagea, curieuse de sa réaction. Quand elle saisit la photo, elle pencha légèrement la tête sur le côté avant de regarder lentement Yumi. Elle fronçait les sourcils mais le regard qu'elle lui jetait n'était pas un regard de colère...

(C'est un regard... d'étonnement...)

- Je me demande quand c'est arrivé, murmura-t-elle très discrètement à l'oreille de Yumi.

Je le savais ! Elle avait complètement oublié ! Même si cela ne s'était produit que le matin-même, elle avait oublié, preuve absolue que Yumi était trop fade pour créer un petit souvenir. Ou alors, Sachiko n'avait même pas pris la peine de se rappeler de quelque chose d'aussi trivial.

Mais, Yumi était quand même déçue. Si elle ne se souvenait même plus de son visage, c'était inutile d'essayer de redorer sa réputation. Au moins, les actions de Sachiko étaient plus compréhensibles. Elle avait juste attrapé la première première année qui passait par là et l'avait déclaré sa petite Sœur. Sachiko ne pouvait pas être en colère quand on l'appelait un Warashibe Chôja, c'était ce qu'elle était.

- Comme vous pouvez le voir sur cette photo, Yumi et moi avons déjà une relation assez intime.

Attendez une seconde. Maintenant que Sachiko avait une preuve, elle semblait s'être débarrassée de son hystérie et adopter un plan un peu plus réfléchi. Quel rebondissement. Le « je me demande quand c'est arrivé » avait dû se transformer en quelques secondes comme de l'eau en vapeur dans un fer à repasser.

Sachiko continuait sur sa lancée.

- De plus, je pense que vous n'avez aucun droit de vous opposer à qui je choisis comme Sœur.

Elle semblait vouloir continuer son mensonge jusqu'au bout. Non, ce n'est pas ça. Elle veut certainement faire de cette déclaration une réalité future. Difficile de savoir pourquoi, mais sûrement pour échapper au rôle de Cendrillon.

- En effet. Ce n’est pas de notre ressort d'accepter Yumi comme ta Sœur ou de vous séparer. Tu es avant tout une élève de Lillian comme une autre.

Mais Yumi sentait qu’elles avaient tout de même quelque chose à rajouter. Tout ça allait dans une trop mauvaise direction.

Sachiko était toujours Rosa Chinensis en bouton et était destinée à devenir Rose Chinensis dans moins d’une année. Qu’elle puisse appeler sa sœur cette première année si normale et banale, cela pouvait créer un scandale. Ce n’était pas la peine de l’envisager.

Sachiko tapa des mains sur la table avec assez de force pour renverser les tasses.

Tsutako est unique et serait un bien meilleur choix. Pourquoi ai-je été celle qui est rentrée dans Sachiko ?

- Très bien, je suis d’accord.

Rosa Chinensis parla enfin et le visage de Sachiko s’illumina. En quelques secondes, l’atmosphère tendue de la pièce se dissipa également. Comme dans la pièce de Cendrillon, quand elle se transforme en magnifique princesse.

- Cependant, continue Rosa Chinensis en souriant, cela ne veut pas dire que tu peux refuser le rôle de Cendrillon. Souviens-toi de ça. - Et la promesse ?!

Sachiko tapa des mains sur la table avec assez de force pour renverser les tasses. Comme Cendrillon, quand la magie s’en était allée.

- Promesse ?

Rosa Chinensis rit avec mépris.

- Tu as inventé ça tout seule. J’ai dit que les gens qui n’avaient pas de petites Sœurs n’avaient pas le droit de parler. Alors, oui, tu peux parler maintenant.

- S’il vous plait, laissez-moi abandonner le rôle !

- Non.

- Pourquoi ?

- Détester les hommes n’est pas une raison assez critique où l’unique solution serait de changer les rôles. Ce n’est pas comme si tu avais une réaction allergique à la vue d’un homme ou que tu avais envie de vomir, n’est-ce pas ? Ce n’est pas parce que tu dis « je ne veux pas » que le monde entier doit se conformer à tes désirs. C’est de l’égoïsme. Je suis sûre que tu t’en rends compte, en tant que prochaine Rosa Chinensis ?

Rosa Chinensis posa ses mains sur ses joues et prit un air exagérément désespéré.

- Tout cela vient de la mauvaise éducation que je t’ai donné. Je ne savais pas que tu ne comprendrais pas quelque chose d’aussi simple...

Quelle tristesse. Sachiko ne pouvait rien répondre. Les Roses étaient de plus en plus fortes au fil des successions. J’avais l’impression de vivre une vraie scène de ménage.

- Je m’en vais.

Sachiko se leva abruptement.

- Attends.

Rosa Chinensis resta assise, regardant sa Sœur qu’elle venait de vaincre.

- Laisse-moi confirmer une dernière chose. Qu’est Yumi-san pour toi ? - Pardon ? - Tu la considères toujours comme ta sœur ?

Rosa Chinensis demandait de façon détournée si, même si le rôle de Cendrillon n’était pas en jeu, Sachiko reconnaissait toujours Yumi comme sa sœur.

- Bien sûr que… - Je retire ce que je viens de dire. J’étais sûre que tu allais dire cela.

Après tout, elle voulait juste de Yumi comme sœur pour se débarrasser du rôle de Cendrillon. Si cela ne marchait pas, elle n’avait aucune raison de garder Yumi – dont elle ne connaissait ni le nom ni le visage. Cependant...

- Bien sûr que oui. Yumi est ma petite Sœur.

Sachiko dit quelque chose de totalement inattendu. Yumi se leva et chercha en hâte le regard de Sachiko, en attente de réponses. Elle s’était énervée et elle était confuse, peut-être avait-elle faite une faute de japonais. Elle voulait sûrement dire « Yumi n’est pas ma petite Sœur ».

- Mes Sœurs, pour qui me prenez-vous ? On dirait que vous pensez que j'ai pris Yumi comme sœur seulement pour l'utiliser ?

« Quoi, quoi, parce que ce n’était pas le cas ? » aurait voulu lui rétorquer Yumi, qui s’en abstient en se rappelant que sont interlocuteur aurait été Sachiko. Quelqu’un ne pourrait pas dire quelque chose à ma place ?

- Splendide, dit Rosa Chinensis en hochant la tête avec satisfaction. Si tu avais décidé de rejeter Yumi-san, j’aurai coupé tout lien de Sœurs entre nous.

Mais pourquoi tout cela prenait-il cette tournure ? Ce matin, quand je me suis réveillée, rien ne laissait présager de tout ça. En sortant de chez moi, en allant jusqu’à l’école, rien n’avait été différent de l’ordinaire. A part que ma cravate était mal-faite. Quelque chose de si trivial avait donné des conséquences si grandes. J’avais l’impression d’avoir passé un portail intergalactique - dont la galaxie ressemblait grandement à la réalité.

- Tu lui as déjà donné ton rosaire ?

- Pas encore. Mais nous pouvons pratiquer la cérémonie devant vous, si vous le souhaitez.

- C’est une bonne idée.

Attendez une seconde. Personne ne compte arrêter Sachiko ? A ce rythme, une personne des plus banales va devenir la petite Sœur de Rosa Chinensis en bouton. Ce n’est pas le moment de dire « c’est une bonne idée » en souriant et en buvant une gorgée de thé.

- Qu’est-ce qu’il y a ? On dirait qu’elle veut nous dire quelque chose.

Rosa Gigantea remarqua l’expression de Yumi.

- Je me demande si elle est d’accord pour faire la cérémonie devant nous tout de suite.

- Oh, vraiment ! Y-a-t-il une seule étudiante qui serait insatisfaite de recevoir un rosaire pour devenir une vraie Sœur ? plaisanta Rosa Foetida – comme si elle énonçait le fait le plus sûr du monde.

- Et bien… Certaines personnes préfèrent rester seules.

Ce n’est pas ce que je veux dire ! Ce n’est pas ce que je veux dire ! Mais, Yumi se rassit sans rien dire, incapable de couper les Roses dans leur discussion. Quand à Sachiko, alors que Yumi était en pleine hésitation, elle avait fouillé dans sa poche et en sortait son rosaire.

(Elle est sérieuse ?)

A partir du moment où l’on plaçait le rosaire autour du cou de sa petite sœur, on ne pouvait plus le reprendre. Cela semblait peut-être un peu exagéré, mais la cérémonie du rosaire était aussi importante dans l’esprit des étudiantes qu’un mariage.

Peut-être que c’est moi qui suis folle ? Tout ça n’est qu’un rêve. Un rêve. Et le réveil sonnera au moment où le rosaire sera autour de mon cou.

(Mais, est-ce qu’on sent la douleur en rêve ?)

Quand j’étais tombée par terre, tout à l’heure, j’ai vraiment eu mal. Et quand je me pinçais le bras… Oui, j’avais vraiment mal.

- Ne bouge pas, Yumi, ordonna Sachiko.

Le rosaire était ouvert dans ses mains, à quelques centimètres de la tête de Yumi. Si elle le met autour de mon cou, je vais devenir sa petite Soeur, moi qui l'ai toujours adoré. Comme ça, d’un coup. Comme si un serpent sortait d’une gourde. Non, pas plutôt comme si un cheval sortait d'une gourde. Un serpent, ce n’est pas si surprenant. Mais si tu en sors un cheval, tu serais forcément en train de demander « … Sérieusement… ? ».

Ah, ce n’est pas le moment de penser à tout ça ! Il n’y a qu’une chose à laquelle il faut réfléchir. Est-ce que c’est bien ? Est-ce que c’est bien de devenir une Sœur comme ça ?

Hum.

- Attendez !

Yumi et Shimako s'écrièrent simultanément.

- Sachiko, et vous aussi mes Sœurs, vous oubliez quelque chose d'important.

- D'important ?

- Oui, les sentiments de Yumi-san.

- Les sentiments de Yumi-san ?

Les Roses rirent.

- Tu penses qu'elle ne veut pas du rosaire ?

- Je n'en sais rien. Mais, il serait plus convenable de lui demander ce qu'elle ressent.

Shimako parlait bien. Son apparence ne le laissait pas présager, mais quand il le fallait, elle savait faire entendre son opinion. Ce qu'on pouvait attendre de Rosa Gigantea en bouton. C'était un trait qui avait de quoi rendre jalouses toutes les premières années.

Grâce à Shimako, la cérémonie s'interrompit.

- C'est vrai, même si c'est une demande de Rosa Chinensis en bouton, il existe des gens qui sont capables de répondre par un « je suis désolée ». Comme toi, Shimako.

Rosa Chinensis lança gentiment un petit pic à Sachiko. La rumeur semblait fondée.

- Mais, Yumi-san est une grande admiratrice de Sachiko-sama. Pourquoi refuserait-elle ? demanda Tsutako à Shimako, comme si celle-ci n’était pas présente.

- Je suis d'accord... Elle... Yumi, est une fan absolue de Sachiko, ça se voit rien qu'à l'observer.

Rosa Gigantea approuva de la tête. Je vois... Elle a vraiment observé toutes mes expressions tout à l'heure.

Dans ce cas, peut-être que Sachiko l'avait aussi remarqué en quelques secondes et cela expliquerait pourquoi elle n'avait pas hésité à entrainer Yumi dans toute cette histoire.

A ces côtés, Sachiko faisait rouler le rosaire dans ses mains, apparemment indifférente à la discussion. Elle semblait très sûre d'elle et du fait que Yumi allait accepter le rosaire.

- Mais il y a quand même une chance. Demandons-lui.

Rosa Chinensis se tourna alors vers Yumi et lui demanda abruptement :

- Sachiko veut que tu deviennes sa sœur. Est-ce que tu vas accepter ?

La demande était si directe que Yumi en perdit ses moyens. Devenir la petite Sœur de Sachiko, c'était comme un conte de fée, comme épouser une star d'Hollywood. Mais, c'était un rêve qui ne se réaliserait jamais, alors, ça ne faisait pas de peine de continuer de rêver.

Et là, tout de suite, on lui tendait un ticket express vers ce rêve. Elle mentirait en répondant « non ». Mais, tout au fond d'elle, une voix lui murmurait : « C'est vraiment ce que tu veux ? ».

Tout le monde regardait Yumi en silence. Alors, Yumi prit sa décision et parla.

- Je suis désolée. Je ne peux pas devenir la Sœur de Sachiko.

Toutes se mirent à murmurer entre elles.

- Voilà qui devient intéressant !

Rosa Gigantea laissa échapper un grand rire, Rosa Chinensis avait les yeux écarquillés et Rosa Foetida était pétrifiée, la bouche grande ouverte.

- Puis-je au moins savoir... pourquoi ?

La voix de Sachiko tremblait légèrement.

- Je suis, c'est vrai, une admiratrice de Sachiko-sama mais...

-Quoi ? Tu as peur d’elle maintenant que tu connais sa vraie personnalité ? interrompit Rosa Chinensis.

- Pas du tout.

Même si la vraie Sachiko était légèrement différente de l'image que Yumi s'en était faite, elle était heureuse d'avoir pu apercevoir son côté humain - la voir s'énerver ou bouder. Alors, elle ne voulait pas attribuer son rejet à la personnalité de Sachiko.

- C'est difficile à expliquer, mais... Ce n'est pas parce que je suis fan, que je suis prête à tout pour devenir sa petite Sœur.

- Huuum.

- J'ai de la fierté, en tant qu'admiratrice.

- Tu trouves ça peu gratifiant de suivre tous ses ordres, la queue entre les jambes ?

- Et bien, à peu près...

C'était difficile d'exprimer.

- Et bien, quoi qu'il en soit, Sachiko a été de nouveau rejeté.

- La pauvre, deux rejets de suite.

- Les premières années sont vraiment quelque chose cette année.

Les Roses entourèrent Sachiko. Plutôt que de la consoler, elles semblaient au contraire se moquer d'elle.

- Si vous me trouvez pitoyable, alors faite quelque chose pour la pièce.

Sachiko se força à sourire.

- Oh, chérie. Sachiko - qui déteste pourtant être prise en pitié - commence à nous supplier.

- C'est rare.

- Tu penses à quelque chose de précis quand tu dis « faire quelque chose » ?

Elles savaient pourtant. Si l'on pouvait faire un pas en arrière et admirer la scène dans son ensemble, on pourrait assister à un spectacle étonnant : Sachiko devenue un jouet pour les Roses.

- Retirez-moi ou retirez le président de la pièce.

- Oh, qu'est-ce que tu racontes ? Ce n'est pas parce que tu as été rejeté par Yumi que nous ressentons à ce point de la pitié pour toi.

Bien sûr, la tentative de Sachiko ne pouvait pas marcher. Mais, je commençais à trouver cela un peu cruel de la forcer à danser avec un homme. Elle avait à ce point peu envie de danser avec un homme qu'elle avait essayé de faire de Yumi sa petite Sœur.

- Heu, je...! s'exclama soudain Yumi. - Tu es encore là, toi ?

Encore blessée par son rejet, Sachiko avait le ton un peu amère. Mais elles se tenaient juste à côté l'une de l'autre, elle aurait quand même pu faire un peu plus attention à sa présence. Quel manque de gentillesse.

-Heu, est-ce qu'il ne serait pas possible de demander au président du conseil de Hanadera de se retirer de la pièce ?

- Tu essayes d'aider Sachiko, maintenant ?

Rosa Chinensis faisait balancer ses cheveux mi-longs avec ravissement.

- Ce n'est pas pour l'aider...

Yumi se surprenait elle-même, à contredire de la sorte Rosa Chinensis. Mais, pour une raison inconnue, elle se sentait différente de l'ordinaire.

- Nous lui avons demandé de nous rejoindre de façon très officielle, donc, non, ce n’est pas possible.

- Et si on échangeait les rôles maintenant ?

- Échanger les rôles ?

- Oui, par exemple, échanger les rôles de Shimako-san et de Sachiko-sama. Shimako-san est aussi belle que Sachiko-sama. Et elle est Rosa Gigantea en bouton.

Shimako, qui se retrouvait tout à coup mêlée à l’histoire, lui lança un regard de reproche. Yumi s'excusa auprès d'elle mentalement. Ce n'était qu'une proposition, c'était peut-être une mauvaise idée.

- Shimako, une première année, pour le rôle principal ? - Je pense que l'année dans laquelle elle se trouve n'a aucune importance. - C'est vrai...

Allez, encore un petit effort, pensa-t-elle. Rosa Chinensis avait les yeux levés vers le plafond, en pleine réflexion.

- C'était un problème de communication, et tout le monde semble rejeter la faute uniquement sur Sachiko. Je pense que tout le monde...

Mais, une voix l'interrompit.

- Silence !

Sachiko, s'était levée et s'était écriée avec force.

- Si tu continues, je ne te pardonnerais pas !

- Sachiko-sama...

Son ton avait été plus posé qu’hystérique.

- Je comprends que tu dises cela dans mon intérêt. Mais ne trouble pas les autres sœurs pour moi.

Sachiko posa une main douce sur l'épaule de Yumi, puis, d’un mouvement de la tête, s'excusa auprès des Roses.

- Je suis désolée. Je la réprimanderai tout à l'heure.

Yumi était triste. Même si elle avait essayé de l'aider, cela n’avait été qu’un échec cuisant.

- C'est vrai, murmura Rosa Gigantea. Ce que dit Yumi est vrai. Sachiko vient d'apprendre tout cela aujourd'hui, et la responsabilité pour son manque d'informations nous incombe en partie. Nous pourrions réfléchir un peu à une nouvelle répartition des rôles.

Les autres Roses commencèrent la lutte. Peu importe la raison, les costumes et les posters étaient déjà commandés, la date des essayages arrivaient à grands pas, il était trop tard pour une redistribution des rôles, etc... étaient leurs arguments.

- Mais, ce n'est pas juste de la forcer à danser avec un homme. Cela nous cause du tord, autant que ça lui en cause à elle.

- C'est vrai. Forcer des élèves à faire ce qu'ils n'ont pas envie ne correspond pas à ce que doit représenter le conseil des étudiants. De plus, « Cendrillon » est notre projet phare.

- Mais c'est trop difficile de changer les rôles maintenant.

Rosa Gigantea mit fin aux inquiétudes de Rosa Chinensis et Rosa Foetida.

- Nous n'avons qu'à faire de sorte que Sachiko accepte de jouer Cendrillon.

- Même si on ne peut pas changer de prince ?

- Oui. Et sans changer les rôles.

Rosa Gigantea se mit à expliquer son plan.

- Faisons un pari.

- Un pari ?

- La forcer à prendre le rôle de Cendrillon est injuste. Alors, nous allons donner une chance à Sachiko. Mais si elle perd, elle devra subir le gage.

Je vois. Mais le problème était qu'elle semblait sûre de la défaite de Sachiko. Rosa Gigantea murmura quelques mots à Rosa Chinensis et Rosa Foetida, semblant obtenir leur approbation rapide. Elle allait sûrement utiliser l'infériorité numérique de Sachiko à son avantage.

- Et si je gagne ? demanda Sachiko, imperturbable.

-Cette fois, je le promets. Si tu gagnes, tu pourras abandonner le rôle de Cendrillon.

- Je vois. J'accepte le pari.

- Sachiko-sama ! Vous acceptez le pari sans même savoir ce que c'est ?!

C'était peut-être indiscret, mais ça avait été plus fort que Yumi.

- Peu importe. De toute façon, si je perds, ça reviendra au même.

Etonnamment, Sachiko semblait être d'humeur joueuse. Malgré son aspect délicat, elle ne détestait pas les paris risqués.

- A la demande de Yumi, je vais expliquer les règles, dit Rosa Gigantea, retenant un rire. « Sachiko arrive à faire de Yumi-san sa Sœur ». Bien sûr, Sachiko pariera sur « oui ».

-Héé ?!

La plus surprise de toute fut Yumi elle-même.

(Je pensais que mon rôle était fini ?!)

- Tu as déjà été repoussé une fois. C'est quasiment impossible de la faire accepter ton rosaire avant le festival de l'école. Mais si cela se produit, tu es immédiatement disqualifiée du rôle. En échange, tu devras reprendre normalement les répétitions jusqu'à ce que ça se produise.

- Je vois, si je ne veux pas tenir les mains du président du conseil de Hanadera, je dois séduire Yumi le plus rapidement possible, c'est cela ?

- Exactement. Nous n'interviendront pas. C'est toi qui seras entièrement responsable de ta victoire ou de ta défaite. Je pense que les termes sont justes ?

- Ca me semble plus facile que prévu.

Sachiko semblait déjà très confiante de ses chances de réussite.

-Oh, et une dernière chose.

Rosa Gigantea se tourna vers Yumi pour parler.

- N'accepte pas le rosaire simplement pour rendre service à Sachiko. Au moment où tu accepteras, le rôle de Cendrillon deviendra vacant, et c'est toi qui le reprendras.

- Hein ? Pourquoi moi ?

- Evidemment parce qu'en acceptant le rosaire, tu deviens la Sœur de Sachiko. Et que c'est ton rôle d'accomplir les tâches que ta Sœur a laissé vacantes.

Elles sont folles ?

- Je... Je... Je ne peux pas remplacer Sachiko-sama ! C'est impossible !

- Ne t'inquiète pas. N'accepte pas le rosaire. Si tu te contentes de faire ça, Sachiko est sûre de perdre.

- Mais cela serait aussi très amusant - et très inquiétant - que le rôle retombe sur Yumi, ajouta Rosa Gigantea.

- Plutôt qu'un pari entre les Roses et Sachiko-sama, c'est plutôt un match entre Sachiko-samaet moi...!

- On peut le voir comme ça. Si tu veux regretter quelque chose, regrette ce cœur bouddhique qui t’a poussé à aider Sachiko.

Les mots « cœur bouddhique » employés par Rosa Foetida semblaient curieusement déplacés, ici, à l’académie catholique Lillian.


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-Incroyable, murmura Tsutako alors qu'elle marchait avec Yumi dans l'allée d'arbres ginkgo. Pourquoi n'as-tu pas accepté ? Si tu étais devenue sa petite Sœur, ça aurait été tellement simple de négocier.

Le soleil automnal se couchait rapidement, et quand Yumi fut enfin libérée de la Demeure des Roses, il faisait déjà presque nuit.

- Tu t'inquiétais plus pour les photos que pour moi, hein ?

- Bien sûr. Pour qui me prends-tu ?

Pour la membre la plus douée du club de photographie, Tsutako Takeshima...

- Mais, ça devient intéressant.

Tsutako répéta la phrase de Rosa Gigantea.

- Parce que tout cela ne te touche pas.

- Bien sûr. C'est plus simple si c'est quelqu'un d'autre. C'est finalement le tour de Yumi-san de payer son impôt. Je suis déçue de voir un sans-Sœur quitter ce monde mais... quand l'adversaire est Sachiko-sama, ce n'est plus qu'une question de temps. Cela aurait été plus amusant de proposer une date limite.

- Tsutako-san, tu pense que Sachiko-sama va gagner ?

- Tu as l'air si faible comparé à elle.

- ...

Pour être honnête, Yumi pensait la même chose. Si elle était attaquée de front, que pourrait-elle faire d'autre que d'hocher la tête pour accepter, comme écrasée par une force invisible ?

- Mais, il y a le rôle de Cendrillon. Je ne peux pas perdre.

Yumi leva le poing avec détermination et Tsutako lui dit « On dirait que tu as envie de jouer la pièce ».

Arrivée devant la statue de la Sainte Vierge, elles s'arrêtèrent et joignirent les mains. C'était une coutume. En arrivant et en partant de l'école, chaque jour. En fait, à chaque fois que l'on passait devant la statue, les étudiantes saluaient mentalement Marie.

(Vierge Marie, la journée d'aujourd'hui a été horrible. Si c'est possible, rends mes jours un peu plus paisibles…)

Yumi rouvrit les yeux, se tourna et...

- Attends.

C'était un déjà-vu. Tout comme ce matin, la même voix froide qui semblait sortir de la Sainte Vierge.

- Sachiko-sama...

Elle avait couru pour la rejoindre, et se tenait, haletante, à une dizaine de mètres de Yumi.

- Rappelle-toi de ça. Tu vas devenir ma petite Sœur.

Même au milieu des noix écrasées et odorantes de ginkgo, le défi proclamé par Sachiko était impressionnant.

- Gokigenyô. Rentre bien.

Ayant dit tout le nécessaire, Sachiko sourit et fit demi-tour en direction des bâtiments de l'école.

- Elle est vraiment très classe, plaisanta Tsutako en la regardant s'éloigner.

Et même Yumi sentit sa détermination légèrement flancher.


  1. En français dans le texte
  2. En anglais « sister » dans le texte, utilisé dans son sens religieux.
  3. Yukichi Fukuzawa 諭吉 福澤 est un penseur de l'ère Meiji. Yumi Fukuzawa s'écrit donc 祐巳 福澤 en kanji.