Sugar Dark ~ Français : Fosse 3 - Chapitre 4

From Baka-Tsuki
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4[edit]

Soudain, Mole sentit un changement dans l'atmosphère. Il força sur ses yeux et sonda l'obscur cimetière, mais il ne put voir la moindre différence. Puis, il regarda en direction de la mer de pierres tombales, avant de déplacer son regard vers les arbres de la sombre forêt, mais une fois encore, il n'aperçut aucun monstre bizarre en forme de tête, ni même un monstre de chair sur pattes, ni quoi que ce soit du même acabit.

C'est mon imagination ou c'est juste que je suis trop tendu ?

Mole baissa les yeux vers le trou qu'il avait creusé. Il était si immense qu'une personne normale ne se dirait jamais que c'est une tombe. Elle ressemblait plus à un site d'excavation de ruines ou à une tranchée à grande échelle. Et Mole avait l'impression que si un monstre suffisamment grand pour remplir ce trou approchait, n'importe qui serait en mesure de le reconnaître, quelle que soit la distance qui les séparait.

Mais est-ce qu'un truc pareil pourrait vraiment exister ?

À ce moment-là, Mole ne put penser à la moindre blague.

— Monsieur le galérien, dit une voix rauque.

Le visage du vieil homme sans nez était si pâle qu'on aurait dit qu'il avait perdu tout son sang. Il tenait un pistolet noir dans sa main droite tremblante, un doigt rachitique posé sur la gâchette.

— Répondez-moi ! Où avez-vous caché la gardienne ?

Bien que le canon était pointé vers lui, Mole regarda à peine en direction du vieil homme.

— Vous ne l'avez pas trouvée ? C'est bête, ça.

Le garçon esquissa un petit sourire défiant.

— Je veux dire, où est-ce qu'elle pourrait bien se cacher ici ?

— Ce n'est pas le moment de jouer au plus fin. Cette chose s'approche déjà d'ici ! Elle va-

— Ah bon ? Tant mieux alors, le coupa Mole en tournant son visage vers Daribedor. Enfin, dans ce cas, pourquoi ne pas aller vous cacher ? Je pense pas que le monstre fasse la différence entre un gardien, un galérien ou un vieillard obstiné.

— Vo... Votre collier, s'écria Daribedor, en remarquant que celui-ci avait disparu.

Bien que les jambes de Mole étaient extrêmement lourdes, il fit une longue enjambée en direction du vieil homme. Et un coup de feu sec retentit.

Daribedor tira deux balles, la première se logea à droite du nombril de Mole et la deuxième en plein milieu de son estomac.

À ce moment-là, Mole sentit une crampe, comme si de puissantes pinces lui tordaient les entrailles. Grognant du fait de la douleur, il agrippa le cou de Daribedor, et comme il était parvenu à le faire avec Corbeau plusieurs jours auparavant, il fit tomber l'homme de petite taille dans le profond trou.

Daribedor poussa un hurlement. Peut-être était-ce dû à sa haine envers l'individu, mais pour Mole, ce cri lui avait paru hideux. Il était possible que du fait de la chute, il s'était cassé une jambe ou quelque chose d'autre.

Mole se mit sur ses genoux, en posant sa main sur son estomac transpercé avec un sourire aux lèvres.

— Je suis désolé... vous n'êtes pas blessé j'espère ?

De la bave ensanglantée remonta dans la gorge de Mole et jaillit dans sa bouche. La douleur semblait provenir d'hémorragies dans son corps. Peut-être qu'à l'intérieur, de son estomac transpercé s'écoulait de l'acide gastrique qui brûlait ses organes.

Mole pouvait entendre l'homme proférer des obscénités du fond du trou et il aurait voulu avoir de quoi le faire taire. Mais vu qu'il avait conçu le trou avec l'idée d'un puits en tête, le vieil homme ne pourrait jamais s'en sortir sans équipement ou assistance, quoi qu'il fasse.

— Arg.

Mole s'allongea sur le sol tout en grognant de douleur.

C'était sûrement la première fois qu'il connaissait une telle douleur de toute sa vie.

En temps normal, une balle aurait été suffisante pour le tuer. Mais peu de temps après, il fut en mesure de se lever, et dès que ses jambes furent suffisamment fortes pour soutenir son poids, il s'en alla.

Une fois encore, le vent semblait s'être renforcé. Et Mole sentait un frisson tandis qu'il soufflait sur ses vêtements imbibés de sang. Les nuages s'avançaient très rapidement. Le vent balayait les arbres, agitant les branches et faisant hurler leurs feuilles de concert.

Bien que le temps était compté, Mole ne pouvait rien faire d'autre qu'attendre.

J'ai rien oublié, je crois, pensa Mole spontanément.

Quelque part au loin, Mole entendit le hurlement de Dephen. Corbeau avait emmené ce satané chien quelque part durant la journée. Il ignorait ce qu'il lui avait fait, mais au moment où ses mains d'enfant caressèrent l'animal, ce dernier devint aussi docile que s'il avait été castré. D'une certaine façon, ces pupilles noires paraissaient même plus claires que d'habitude.

Surpris, Mole avait demandé à Corbeau comment il avait dompté le chien, mais celui-ci se contenta d'éclater de rire et sauta sur le dos du chien. Si Mole avait tenté de faire la même chose, Dephen lui aurait sûrement mordu l'entrejambe.

Je me demande ce que fiche Corbeau maintenant...

Au final, il avait l'impression que Corbeau avait totalement esquivé sa question sur sa véritable identité. En y repensant de façon rationnelle, quelque chose d'aussi absurde que « l'association des victimes » était sûrement un autre mensonge improvisé.

Mais afin de voler le pouvoir de Meria — et pour qu'elle ne soit pas en mesure de résister — il était nécessaire d'empêcher Dephen d'interférer.

Tout ça pour qu'il puisse faire ça... à Meria.

Le vent devint petit à petit de plus en plus fort.

Mole tourna la tête et regarda autour de lui. Soudain, la terre trembla comme s'il venait d'y avoir un séisme.

Même si sur le coup il avait cru que c'était juste son imagination, la sensation monta subitement tel un volcan sur le point d'entrer en éruption. C'était une sensation accablante, comme cette nuit où il eut la chair de poule après avoir aperçu le monstre aux innombrables pattes pour la première fois. Mais qu'importe où, quand et comment le vent l'attaquait, il se tint prêt.

Puis, un hurlement métallique résonna rapidement dans ses oreilles. Il était manifestement trouble et semblait se répéter à l'infini comme le grincement d'une roue ou d'un engrenage tordu. Mais c'était sans conteste un son particulièrement désagréable.

Le vent violent torturait Mole. Et alors que ses pieds trébuchaient, son ombre sembla se troubler l'espace d'un instant. Puis, Mole leva les yeux et aperçu une ombre masquer la lune telle une éclipse.

... Par-delà le ciel étoilé, une fine faille dans les nuages se dessina vers le bas. À l'intérieur de celle-ci, quelque chose tortilla son corps horriblement long de part en part pendant qu'il volait sans ailes dans les airs.

Le vent était si fort maintenant que Mole avait l'impression qu'il allait s'envoler, mais déterminé, il agrippa ses genoux et observa la créature qu'il allait devoir combattre.

Celle-ci était un serpent géant constitué de milliers d'épées.

Peut-être du fait de la grande distance qui les séparait, du point de vue de Mole, contempler la créature nager dans les airs paraissait plus élégant que terrifiant. Son corps étrange alors qu'il serpentait depuis les cieux était si imposant qu'il semblait recouvrir la lune. Mais alors, sa descente changea et elle approcha à la vitesse d'une flèche. Et à mesure que la distance entre eux diminuait, l'ombre de la créature semblait grossir à l'infini sur le sol.

Son corps était tel un aimant qu'on aurait jeté au beau milieu d'innombrables aiguilles de couture — non, ce n'était pas exact — c'était plus comme s'il était composé d'épées sans manche à double tranchant d'un noir brillant. Bien qu'au premier abord, elles ressemblaient certes à des aiguilles au loin, alors qu'elles s'approchaient, il s'aperçut qu'en réalité chacune des lames était si grande que Mole ne pouvait les tenir, même avec ses deux mains.

Qui plus est, elles vibraient à la même vitesse qu'une tronçonneuse, donnant l'impression qu'elles étaient comme des poils recouvrant un gigantesque, long et étroit corps. Tandis que le corps du monstre ondulait d'avant en arrière dans les airs, les épées s'entrechoquaient par moment ce qui émettait un bruit strident. Dans le même temps, de violents éclairs bleutés, tel de l'électricité, jaillissaient et suivaient le serpent géant alors qu'il s'élançait dans les airs et fendait la nuit.

Cette scène était semblable à la descente du jugement dernier depuis les cieux.

Et Mole se tenait juste en dessous.

Il était telle une taupe prise dans une tornade ou quelque chose du genre. Et au moment du contact, il eut l'impression que son corps tout entier se désagrégeait, comme si on l'avait jeté dans un mixer géant, éparpillant sa conscience. Mais avant qu'il ne perde conscience d'où il se trouvait, il pouvait quand même sentir qu'il était en train de sourire.

... Ce fut une douleur à rendre fou à lier.

Mais vu que c'était la même douleur que Meria avait ressentie auparavant, Mole ne put s'empêcher de sourire.

Il aimait Meria.

Et si les deux vivaient dans des mondes différents, alors il allait se rendre dans le sien, même si cela signifiait dire adieu au monde de la lumière, celui-là même dans lequel il avait vécu depuis sa naissance. Plus rien n'avait d'importance à ses yeux... à part elle.

Malgré tous les subterfuges qu'il avait utilisés, lui et la fille étaient désormais liés l'un à l'autre et rien ne pouvait changer cet état de fait. Mais il était certain d'une chose : après ça, il n'y aurait plus de tours de passe-passe ou de supercheries.

Il souriait vraiment, même s'il semblait que toutes ses méthodes, ses objectifs, en gros la liste des priorités de sa vie tout entière avait été complètement chamboulée. Il s'était approché d'elle au début uniquement dans le but de s'enfuir d'ici. Et maintenant, il venait de choisir de faire en sorte de pouvoir rester à ses côtés.

Les bouts de son corps qui avaient volé et étaient éparpillés ici et là se rattachèrent petit à petit. Sans même pouvoir détourner le regard de l'attaque, il contempla le gigantesque serpent sans visage se servir de son corps constitué d'innombrables lames pour transformer le sien en charpie.

Les vibrantes épées à double tranchant étaient affreusement aiguisées et pouvaient sans le moindre mal trancher ses muscles, mais également ses os, comme si c'était du beurre. Et en l'espace d'à peine dix secondes, Mole avait été découpé en milliers de morceaux de viande. Puis, alors que son corps retrouvait lentement son état initial, il se retrouvait instantanément réduit en bouillie. Et la scène se répéta encore et encore.

Mole vit ses entrailles gicler sur le sol. Il vit la couleur de ses organes et celle de son sang au loin. Il vit l'intérieur de ses os et son liquide cérébral ainsi que ses méninges qui protégeaient son cerveau. Il était content d'avoir retiré son casque avant cette épreuve.

Quand son cerveau fut fendu, sur l'instant, il se sentit comme piégé dans une obscurité d'un rouge pur et profond tandis que le temps semblait s'écouler lentement. Mais peu après, la douleur atroce le ramena sur terre. C'était comme si toutes ses dents de sagesse quittaient son crâne dans un acte de rébellion.

Néanmoins, cette expérience n'était pas vaine.

Mole souriait tout en hurlant. La plupart des gens qui avaient goûté à ce genre de douleur n'y avaient pas survécu, mais Meria avait sûrement connu la même chose, elle aussi. Et donc, peut-être que c'était une façon de se rapprocher d'elle. Mole sourit alors que ces étranges pensées lui traversaient l'esprit.

Puis, il se mit à crier sous le choc d'avoir son corps réduit en mille morceaux et éparpillé ici et là. S'il avait les poumons ou la bouche pour hurler, alors il le faisait, et s'il avait encore ses bras, il s'agrippait au sol comme un beau diable. Et s'il avait toujours sa conscience, alors il pensait à Meria. Il pensait à la couleur de ses cheveux, à ses francs yeux bleus, au goût de son baiser sur le casque qu'elle portait sur la tête, à la chaleur de sa joue pressée contre lui, et au son des battements de son cœur contre son dos. Toutes ces pensées l'aidaient à maintenir sa santé mentale à travers les innombrables blessures qu'il subissait.

Au moment où son visage fut coupé en deux telle une pomme, il se rendit compte que certaines lames du corps du serpent s'étaient arrêtées de bouger, comme si elles étaient mortes. C'était un signe que peut-être que cet enfer n'allait pas durer éternellement. À mesure que sa conscience revenait, Mole se rattachait à cet espoir. Il tendit son bras droit encore attaché et tenta d'arrêter une des lames qui l'attaquait. Quand il agrippa la lame vibrante, ses doigts explosèrent comme du popcorn, et une douleur traversa son corps diagonalement de son épaule droite à son torse.

Il faut que ça aille un peu plus vite... pensa Mole alors qu'il vomissait du sang mousseux et qu'il tombait à la renverse sur le sol. Les innombrables épées du serpent géant étaient toujours là.

Il faut que ça se termine avant l'aube. Sa conscience s'évanouit du fait du manque de sang. C'était comme s'il s'endormait. Je crois que ça ira maintenant, pensa Mole. Jusqu'à ce que ses jambes ne reviennent, il ne pouvait pas bouger de toute façon.

Mole ouvrit les yeux et les leva au ciel. Les nuages s'étaient dispersés avant qu'il ne s'en rende compte.

Et le ciel étoilé était somptueux.



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