Sword Art Online:Aria dans la Nuit sans Étoiles

From Baka-Tsuki
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Partie 1

Je n’ai vu qu’une fois une vraie étoile filante.

Ce n’était pas pendant des vacances. C’était depuis la fenêtre de chez-moi. Pour les gens qui vivent dans des villes à l’air froid et piquant et aux nuits véritablement noires, les étoiles filantes ne sont pas rares. Mais, malheureusement, Kawagoe, dans la préfecture de Saitama, où j’ai passé toutes les quatorze années de ma vie, n’a aucune de ces qualités. Pendant les nuits sans nuages, même une étoile de magnitude[1] 2 y est à peine visible à l’œil nu.

Mais, un soir, tard, au milieu de l’hiver, j’ai jeté par hasard un coup d’œil par la fenêtre et je l’ai vue. Durant cette nuit noire presque dépourvue d’étoiles, les lumières de la ville formaient une voûte blanchâtre recouvrant le ciel. Mais, en un instant, elle fut coupée par un flash rapide de lumière. L’élève de CM2 que j’allais bientôt devenir eut cette idée enfantine : « Je dois faire un vœu… ». Jusque-là tout allait bien ; mais le vœu qui apparut à mon esprit fut : « Je souhaite que mon prochain monstre drope[2] un objet rare. » C’est le genre de souhait qu’aucune personne raisonnable ne ferait. J’imagine que ça m’est venu à cause d’un MMORPG que j’aimais et auquel je jouais à l’époque. L’étoile filante que j’ai aperçue ce jour-là, je l’ai revue une nouvelle fois, trois (ou peut-être quatre) ans plus tard―luisant de la même couleur, se déplaçant à la même vitesse.

Cependant, cette fois, je ne l’ai pas aperçue à l’œil nu ; et je n’étais pas non plus sous le ciel gris foncé de la nuit.

Je l’ai vue à travers le Nerve Gear―la première interface de réalité virtuelle entièrement sensorielle au monde―, au fond d’un donjon virtuel lugubre.


* * *

On pourrait dire de ce combat qu’il était à glacer le sang.

Le monstre humanoïde de niveau 6, « Soldat Kobold[3] des Ruines », donnait des coups avec une hache grossière ; et la personne qui combattait le Kobold arrivait à peine à les éviter. J’ai senti un frisson me parcourir le dos en observant ce combat. Mais, après que le joueur ait évité trois coups consécutifs, le Kobold perdit complètement son équilibre et, au lieu d’utiliser cette occasion pour s’enfuir, la personne lança de toutes ses forces une technique d’attaque pour épée.

Cette technique était la première technique de rapière qu’apprenaient les joueurs : l’attaque en un coup, « Linear[4] ». Cette technique d’épée était activée en tenant une épée devant soi avec sa main dominante, en se concentrant dessus, puis en plongeant l’épée droit devant soi. C’était une technique simple et basique, mais sa rapidité était géniale. Manifestement, la rapidité ne dépendait pas uniquement du système d’assistance aux mouvements, mais était augmentée par les commandes de mouvement du joueur.

Pendant les bêta-tests, j’avais vu de nombreuses fois, de mes propres yeux, beaucoup de coéquipiers et de monstres ennemis utiliser cette même technique d’épée ; mais, cette-fois, je n’arrivais pas à voir la rapière, seulement la trajectoire dessinée par l’effet spécial de lumière de la technique d’épée. Ce flash d’un blanc pur tranchant l’obscurité du donjon faiblement éclairé me rappela l’étoile filante de ce jour-là.

Le rapiériste[5] continua à éviter le combo en trois coups du Kobold puis contrattaqua avec « Linear ». Après s’être servi de ce schéma d’attaque et de défense encore trois fois, le joueur acheva indemne l’un des monstres les plus forts de ce donjon, un homme-bête armé. Malgré ça, le combat n’avait pas eu l’air facile. Le coup fatal traversa sa poitrine en son centre et le monstre s’effondra en arrière puis disparut en particules. Le rapiériste vacilla comme s’il était repoussé par les éclats polygonaux immatériels et se pencha en arrière contre le mur du couloir, se laissant glisser lentement le long du mur pour s’asseoir. Puis il commença à haleter.

La personne ne semblait pas remarquer que je me tenais 15 mètres plus loin, à l’angle d’une intersection.

M’éloigner sans rien dire à la recherche de ma propre proie, était ma façon habituelle de faire les choses. Il y avait un mois de cela, en ce jour marquant, j’avais décidé de vivre égoïstement en tant que joueur solo[6]. Et, après ça, je n’avais jamais approché quelqu’un de seul. Je ne faisais d’exception que quand je voyais un joueur clairement en danger au milieu d’un combat ; pourtant les PV de ce rapiériste étaient encore presque pleins. Tout du moins, la personne ne semblait pas nécessiter l’aide d’un fouineur.

Malgré tout…

Après environ cinq secondes de délibérations, j’ai quitté l’ombre de l’intersection et marché en direction du rapiériste encore assis. Très mince, plutôt élancé. Le torse était équipé d’une tunique en cuir rouge foncé et d’une cuirasse légère en cuivre, tandis que la partie inférieure du corps était vêtue d’un pantalon droit en cuir et de bottes remontant jusqu’aux genoux. Une cape à capuche enveloppait le corps depuis la tête jusqu’aux alentours de la taille, donc le visage n’était pas visible. A part la cape, l’équipement semblait être celui d’un fleurettiste, très semblable à mon équipement de sabreur. Ma chère épée, « Lame Détrempée »―la récompense d’une quête difficile―, étant très lourde, pour bénéficier de la finesse de mes techniques, je portais une très petite armure en métal―une légère protection sur la poitrine et une veste en cuir gris foncé par-dessus uniquement.

En entendant mes pas approchants, les épaules du rapiériste sursautèrent brusquement mais ne bougèrent pas davantage. Le fait que je n’étais pas un monstre était normalement indiqué par un curseur de couleur verte dans la vision de cette personne. Son visage était bien enfoncé derrière ses genoux dressés et il dégageait très fortement le sentiment « Contente-toi de passer et va-t-en »… Je me suis arrêté à environ deux mètres du rapiériste et j’ai ouvert la bouche :

« …C’était un overkill[7] extrême. »

Les petites épaules recouvertes par le tissu épais de la cape bougèrent légèrement à nouveau. La capuche tressauta, remonta d’environ 5cm, dans l’obscurité à l’intérieur, deux pupilles me fusillèrent durement. Je ne pouvais distinguer que les iris marron clair, la forme du visage n’était pas du tout visible.

Le rapiériste continua à me regarder pendant quelques secondes avec le même regard perçant qu’il avait plus tôt dans la bataille ; puis il inclina légèrement sa tête sur la droite―un mouvement de type « je ne vois pas ce que tu veux dire ».

En voyant ça, je me suis dit : « C’était donc ça ».

Il y avait une incohérence énorme dans ce jeu qui avait tout l’air d’un jeu de solo .

Le « Linear » utilisé par le rapiériste était si parfait que je n’avais pas pu m’empêcher de frissonner. Le premier et dernier mouvements étaient courts et, par-dessus tout, la vitesse était telle que je n’avais pas pu les voir. Je n’avais jamais vu une technique d’épée aussi belle et redoutable avant.

Donc, au départ, j’ai cru qu’il s’agissait d’un autre béta-testeur. Avant que ce monde ne se transforme en jeu de mort, il avait fallu acquérir une longue expérience du combat pour atteindre cette rapidité.

Cependant, en voyant « Linear » une seconde fois, j’ai remis ma supposition en cause. La technique était parfaite mais le rythme de combat était dangereux. Il est clair que des « pas de défense très économes » offrent une plus grande rapidité de contrattaque que parer ou bloquer ; et la durabilité des armes/armures ne diminuait pas. En échange, quand la défense échouait, le risque était plus grand. Au pire, des « contre-dommages » étaient infligés en plus d’un état d’hébètement. Dans les combats en solo, un hébètement était fatal.

La technique d’épée parfaite et les tactiques de défense dangereuses s’accordaient mal. Pour une raison que j’ignore, je voulais savoir pourquoi, à tout prix. C’est pourquoi je m’étais rapproché pour demander ; demander si l’utilisation répétée de la tactique était un overkill.

Cependant, la personne ne semblait pas comprendre ce terme extrêmement courant dans les jeux en ligne. Cela voulait dire que le rapiériste devant mes yeux n’était pas un béta-testeur. Non seulement ça, mais il n’avait peut-être même jamais joué à un MMO avant de venir ici.

J’ai inspiré légèrement et repris :

« « Overkill » veut dire…comparé aux PV qui restaient au monstre, les dommages infligés étaient vraiment trop élevés. Le Kobold de tout à l’heure était presque mort après le deuxième « Linear »… Non, il était pratiquement déjà mort. Il ne restait plus que deux ou trois barrettes dans sa jauge de PV. Au lieu de le finir avec une technique d’épée, une attaque légère normale aurait été plus que suffisante. »

Dans ce monde, ça faisait des jours que je n’avais pas autant parlé…des semaines. Tout en pensant à ça, j’ai arrêté de parler.

Après avoir écouté mon discours―le fruit d’un grand effort et de mes pauvres aptitudes conversationnelles―, le rapiériste n’eut aucune réaction pendant plus de dix secondes. Juste au moment où je me suis dit que je n’avais pas réussi à me faire comprendre, une petite voix est finalement sortie de la capuche baissée.

« … « Overkill », ce n’est pas bien ? »

A ce moment, j’ai finalement compris que le rapiériste blotti devant moi, au fond de ce donjon, était l’une des extraordinairement rares « Joueuses » de ce monde.


Partie 2

Un mois avait déjà passé depuis le lancement officiel du premier VRMMORPG au monde, « Sword Art Online ».

Dans un MMO classique, à l’heure actuelle, des joueurs ayant atteint le niveau maximum auraient été sur le point d’apparaître et la carte du monde aurait été explorée d’un bout à l’autre. Mais, dans SAO, le groupe actuel des meilleurs atteignait à peine le niveau 10… Je ne savais pas si c’était le maximum ; mais ça ne pouvait pas être le cas. Le décor du jeu, le château flottant Aincrad, n’avait été conquis que de quelques pourcents au total.

Cela était dû au fait que le SAO actuel était un jeu sans en être un ; dans un sens, c’était devenu une « prison ». La déconnexion manuelle était impossible et la mort de l’avatar résultait en la mort réelle du joueur. Dans ces conditions, peu de gens entraient dans les donjons remplis de monstres et de pièges dangereux.

De plus, depuis que le Maître du Jeu avait changé le sexe des avatars pour qu’il corresponde à celui des joueurs dans ce monde, les filles étaient devenues très rares. Je pense que la plupart d’entre elles vivaient encore dans la « Ville du Début », même après un mois. Dans l’immense premier donjon, « Dédale du Rez-de-chaussée », je n’ai vu des joueuses que deux ou trois fois, et elles faisaient toutes partie de grands groupes.

C’est pourquoi je n’aurais jamais imaginé que le rapiériste solo rencontré dans une zone inexplorée du donjon était une joueuse.


* * *

Pendant un instant, j’ai envisagé de marmonner une excuse et de quitter la zone. Je ne dirais pas que j’étais le genre de gars à parler à toutes les joueuses qu’il voyait ; j’aimerais sincèrement éviter d’être vu comme ça.

D’un autre côté, si la personne m’avait dit quelque chose comme : « C’est mon choix » ou « Laisse-moi tranquille », j’aurais dit : « Je vois » et je serais parti aussitôt. Cependant, la courte réponse de la rapiériste était une question ; donc, j’ai à nouveau répondu avec délicatesse et sérieux :

« …L’overkill n’est pas grave et n’entraine aucune pénalité par le système mais…ça réduit l’efficacité. Les techniques d’épées demandent de la concentration ; les utiliser en continu est mentalement fatigant. Il faut aussi rentrer, donc il vaut mieux se battre sans trop se fatiguer. »

« …Rentrer ? »

A nouveau, une voix interrogative sortit du fond de la capuche. La fatigue la rendait très faible et l’intonation était aussi frêle, mais j’ai quand même pensé que sa voix était belle. Bien entendu, je ne l’aurais pas dit à voix haute.

Donc j’ai continué à expliquer :

« Oui. A partir d’ici, il faut environ une heure pour quitter le donjon et, de là, il reste environ 30 minutes jusqu’à la ville la plus proche, même en avançant rapidement. La fatigue augmente les erreurs. Tu as l’air d’une joueuse solo et, étant seule, la moindre erreur pourrait te coûter la vie. »

Tandis que ma bouche bougeait, je me suis demandé : « Pourquoi je lui parle avec autant d’ardeur ? » La personne était une fille…mais ça ne pouvait pas être à cause de ça, vu que j’avais parlé longuement avant de le découvrir.

Si la situation avait été inversée et qu’une personne d’un rang plus élevée m’avait fait la leçon comme ça, j’aurais dit : « C’est mon choix, laisse-moi tranquille » ou quelque chose dans le genre. Ma personnalité étant en désaccord avec mes actions, j’étais sur le point de me mettre à paniquer quand la rapiériste a finalement répondu :

« …Dans ce cas, pas de problème. Je…ne reviendrai pas. »

« Quoi ? …Tu ne reviens pas en ville ? Mais…refaire le plein de potions, réparer son équipement…et dormir…, ai-je demandé, abasourdi. »

La rapiériste a secoué légèrement les épaules.

« Je n’ai pas besoin de remèdes tant que je ne prends pas de dommages ; et j’ai acheté cinq épées identiques. …Et, pour le repos, j’utilise la zone sûre à proximité. »

Le murmure s’est éteint et je suis resté sans voix pendant quelques temps.

Les zones sûres étaient quelques salles dans un donjon où les monstres n’apparaissaient pas. On pouvait les reconnaitre grâce aux torches de couleur particulière placées aux quatre coins des murs. Pour chasser et cartographier, c’était un endroit appréciable ; mais on ne pouvait les utiliser que pour un court repos d’environ une heure. Le sol était fait d’une pierre froide et il n’y avait, bien sûr, pas de lit, et on entendait fréquemment les pas et les grondements des monstres des environs. Peu importait à quel point un joueur était courageux, il était absolument impossible d’atteindre le sommeil profond.

Mais, d’après ce que je venais d’entendre, cette rapiériste avait utilisé les zones sûres comme des auberges, afin de rester dans le donjon… Est-ce que…qu’est-ce que ça voulait dire ?

« …Ça fait combien d’heures ? ai-demandé avec inquiétude. »

La rapiériste a répondu après avoir pris une longue inspiration :

« Trois jours…ou quatre jours… C’est tout ? Les monstres du coin vont bientôt revivre. Je vais y aller. »

En s’appuyant contre le mur avec sa délicate main gauche, enveloppée par un gant en cuir épais, elle se redressa en chancelant.

La fine épée encore dégainée piqua lourdement du nez, comme si elle tenait une épais à deux mains dans une seule, et la rapiériste s’éloigna derrière-moi.

La cape qui s’éloignait en se balançant était en lambeaux, indiquant qu’elle avait perdu une bonne part de sa durabilité. Non, pour un équipement en tissu utilisé pendant une expédition de chasse de quatre jours, le simple fait d’avoir gardé sa forme était un miracle. Son « tant que je ne prends pas de dommages » de tout à l’heure, n’était peut-être pas une exagération…

Après avoir réalisé ça, j’ai lancé des mots impensables dans son dos gracile :

« …Si tu te bats comme ça, tu vas mourir. »

La rapiériste s’est arrêtée, a appuyé son épaule contre le mur de droite et s’est retournée lentement. Du fond de la capuche, ses yeux noisette se sont braqués sur moi avec un léger fond rouge.

« …On mourra tous au bout du compte, de toute façon. »

La voix enrouée et cassée parvint à refroidir l’air déjà frais du donjon.

« En seulement un mois, 2 000 joueurs sont morts. Mais, pourtant, on n’a même pas passé le rez-de-chaussée. Il est impossible de finir ce jeu. Où et comment on meurt, tôt…ou tard, c’est là la seule différence… »

Son plus long et plus émotif discours jusque-là se troubla au milieu avant d’être coupé.

Devant moi, qui avait avancé par réaction, la rapiériste fut frappée par une attaque paralysante invisible et tomba lentement à terre.


Partie 3

Tandis qu’elle s’écroulait sur le sol du donjon, une idée pragmatique lui traversa l'esprit : « Comment peut-on s’évanouir dans un espace virtuel ? »

La perte de conscience signifie que le flux normal de sang dans le cerveau est momentanément interrompu. Ça peut être causé par une défaillance du cœur ou des vaisseaux sanguins, de l’anémie ou une pression basse, de l’hyperventilation et bien d’autres choses… Mais, quand on est dans un monde de réalité virtuelle en FullDive[8], le corps physique se repose sur un lit ou un siège inclinable. Le corps physique des joueurs emprisonnés par ce jeu de mort, « SAO », est probablement dans un hôpital à l’heure qu’il est ; leur santé doit, bien évidemment, être contrôlée et continuellement surveillée. Si nécessaire, des médicaments seront utilisés. Il est difficile de croire que la perte de conscience puisse être liée au corps physique.

Tandis que sa conscience s’éteignait, elle en arriva là de sa réflexion avant de se dire, finalement : Peu importe ce qui arrive, je m’en fiche.

Oui, peu importe ce qui arrive maintenant, je m’en fiche.

Car elle mourrait ici. Après s’être évanouie dans un labyrinthe rempli de monstres violents, il était impossible qu’elle s’en sorte indemne. Il y avait un autre joueur à proximité mais elle ne pensait pas qu’il risquerait sa vie pour aider une personne tombée.

De toute façon, comment pouvait-il l’aider ? Dans ce monde, le poids maximal qu’un joueur seul peut porter est strictement limité par le système. Dans les profondeurs d’un donjon, tout le monde transporte des remèdes et des équipements supplémentaires jusqu’à la limite de poids, en laissant de la place pour les drops des monstres tels que l’or et les objets. Une fois tout ça combiné, il est absolument impossible de porter un corps entier.

…Après s’être dit ça, elle se rendit finalement compte de quelque chose.

Elle était frappée par une violente impression de vertige et ce qu’elle pensa en s'écroulant fut : Je vais enfin avoir droit à un long repos. Sous son corps, elle aurait dû sentir le sol de pierre dur du donjon ; mais, pour une raison ou une autre, la sensation dans son dos était étrangement moelleuse et douce. Son corps était chaud et une légère brise caressait sa joue…

Elle ouvrit les yeux si vite que ça fit un bruit.

Elle n’était plus dans un labyrinthe bordé de murs épais. Il y avait de vieux arbres recouverts de mousse dorée et des broussailles épineuses avec de petites fleurs. C’était une clairière en pleine forêt. Au centre d’un espace rond d’environ 7 ou 8 mètres, sur un tapis d’herbe doux, elle avait perdu conscience…non, elle dormait.

Mais…pourquoi ? Comment l’avait-on déplacée jusqu’à ce champ éloigné après sa chute dans les profondeurs d’un donjon ?

Elle trouva la réponse à cette question lorsqu’elle tourna son regard à 90 degrés à droite.

Au bout de la clairière, collée contre la racine d’un arbre majestueux, se trouvait une ombre grise. Il tenait une épée à une main plutôt large entre ses bras et le fourreau sous sa tête. De longs cheveux bruns couvraient son visage, de telle sorte qu’on ne pouvait pas le voir ; mais, d’après son équipement et son physique, il n’y avait pas d’erreur possible, c’était le joueur qui lui avait parlé avant qu’elle ne s’évanouisse dans le donjon.

Cet homme avait peut-être trouvé une méthode pour la sortir du labyrinthe et l'amener dans cette forêt après sa chute. Elle regarda au-delà de la forêt. A gauche, environ 100 mètres plus loin, une immense tour touchait le ciel… Le labyrinthe du rez-de-chaussée d’Aincrad se dressait là, menaçant.

Elle ramena son regard à droite. Remarquant du mouvement, les épaules de l’homme, couvertes par la veste en cuir gris foncé, se secouèrent et il redressa légèrement la tête. Même dans la forêt lumineuse du midi, les deux yeux de l’homme restaient aussi noirs qu’une nuit sans étoiles.

Au moment où son regard croisa ses yeux bruns, elle sentit un feu d’artifice éclater dans sa tête.

En serrant les dents, Asuna…Asuna Yuuki, s’efforça de dire, d’une voix basse et enrouée :

« Effort…inutile. »


* * *

Après avoir été enfermée dans ce monde, Asuna se l’était demandé des centaines de milliers de fois.

Ce jour-là, pourquoi avait-elle touché à cette nouvelle console qui ne lui appartenait même pas ? Pourquoi l’avait-elle mise sur sa tête, s’était-elle couchée sur la chaise en filet à haut dossier et avait-elle dit la commande de démarrage ?

L’extraordinaire interface de réalité virtuelle qu’était cette maudite machine tueuse, le « Nerve Gear », et son immense prison à âme, le disque du jeu « Sword Art Online », n’avaient pas été achetés par Asuna mais par son grand frère, Koichiro. Pourtant, il n’était pas dans les habitudes de son frère de jouer à des MMORPG. Sa vie tournait autour d’autres choses et il n’avait joué à aucun « jeu » depuis son enfance. Fils ainé du PDG de l’immense constructeur d’engins électroniques, « Recto », en tant que successeur de son père, il avait été énormément formé dans les domaines nécessaires et avait été forcé d’abandonner tout le superflu en grandissant. Pourquoi son frère s’intéressait-il au Nerve Gear… non, à SAO, c’était quelque chose qu’encore maintenant elle ne comprenait pas.

Pourtant, ironiquement, Koichiro ne pourrait pas jouer au tout premier jeu qu’il avait acheté de sa vie. Le premier jour de la mise en service officielle du jeu, il avait été envoyé en voyage d’affaires à l’étranger. Le jour d’avant son départ, quand leurs regards s’étaient croisés autour de la table à manger, il s’en était plaint en rigolant ; mais elle avait senti qu’il le regrettait vraiment.

Moins extrême que Koichiro, pour Asuna qui était 3ème, les seuls jeux qu’elle avait expérimentés étaient les jeux gratuits auxquels elle jouait sur son portable de temps en temps. Elle savait qu’il existait des jeux en ligne mais, les examens d’entrée au lycée approchant, elle n’avait ni l’intérêt ni la motivation de jouer à ces jeux…du moins, elle était censée n’en avoir aucun.

Dans ce cas, pourquoi ce jour-là, un mois plus tôt, le 6 novembre 2022, était-elle entrée dans la chambre vide de son frère, avait-elle pris le Nerve Gear entièrement configuré sur son bureau et l’avait-elle mis sur sa tête avant de dire : « Lien Engagé » ? Jusqu’à ce jour, elle ne comprenait toujours pas la raison qui l’avait poussée à faire ça.

Avec ces seuls mots, tout avait changé ce jour-là…non, tout « s’était fini », pourrait-on dire.

Au début, Asuna s’était enfermée dans une chambre d’hôtel de la Ville du Début, attendant que l’incident passe mais, après deux semaines sans message du monde réel, elle avait abandonné l’espoir d’être sauvée par l’extérieur. De plus, à la même époque, plus de mille joueurs étaient morts et elle découvrit qu’on n’avait même pas dépassé le premier labyrinthe. Elle comprit que s’enfermer en attendant que quelqu’un finisse le jeu était inutile.

Le seul choix qu’il lui restait était : « le type de mort », uniquement.

Se contenter de rester dans la seule ville sûre pendant des mois, non, des années, pouvait être une solution. Cependant, personne ne pouvait être certain que la règle « les monstres ne peuvent pas entrer dans les villes » durerait toujours.

Au lieu de se terrer dans une petite chambre obscure en redoutant l’avenir, il valait mieux sortir et utiliser pleinement sa capacité à apprendre, s’entrainer et se battre. Si elle finissait par mourir, à bout de force, elle n’aurait au moins plus à s’inquiéter du passé ni à regretter un futur perdu.

Cours. Fonce tout droit. Puis disparais. Telle une météorite s’embrasant en entrant dans l’atmosphère.

S’accrochant à cette seule pensée, Asuna quitta l’auberge et sortit dans les étendues sauvages du monde des MMORPG, dont elle ne connaissait pas la moindre phrase. Elle choisit son arme et, ne se reposant que sur la seule technique qu’elle avait apprise, elle atteignit le fond du labyrinthe où personne n’avait jamais été.

Puis, aujourd’hui, vendredi 2 décembre, à 4h du matin, probablement épuisée par ses incessants et imprudents combats, elle s’est évanouie à cause de réflexes neuronaux. Et son chemin aurait dû s’arrêter là. Dans le « Palais de Fer Noir » de la Ville du Début, sur le « Monument de la Vie », vers la gauche, une ligne horizontale aurait alors creusé lentement le nom « Asuna » et tout aurait été fini…aurait dû. Et pourtant.


* * *

“Inutile…”

Asuna s’efforça à nouveau de dire ce mot. Environ quatre mètres plus loin, le manieur d’épée à une main aux cheveux bruns baissa ses yeux couleur nuit. Elle avait l’impression qu’il était un peu plus âgé qu’elle mais ce mouvement naïf la fit involontairement plisser le front.

Cependant, quelques secondes plus tard, la bouche de l’homme révéla un sourire cynique qui remplaça son impression précédente.

« Je ne t’ai pas sauvée. »

Une voix basse et calme. Elle semblait jeune mais quelque chose en elle camouflait aussi son âge.

« …Alors, pourquoi tu ne m’as pas laissée là-bas ? »

« Ce que j’ai sauvé c’étaient les données cartographiques que tu avais. En restant quatre jours sur les lignes de front, tu as dû cartographier une bonne partie du donjon inexploré. C’est un peu trop important pour disparaitre avec toi. »

Confrontée à la logique et l’efficacité, elle inspira profondément. Jusqu’à maintenant, quand les gens, en ville, lui parlaient de l’importance de la vie et de l’entraide, elle les repoussait tout bonnement―bien entendu, juste verbalement. Elle envisagea de le faire mais ne parvint pas à trouver une réponse convenable.

« …Dans ce cas, tu n’as qu’à les prendre, marmonna-t-elle doucement. »

En même temps, elle ouvrit une fenêtre. Naviguant à travers les onglets, auxquels elle s’était enfin familiarisée récemment, elle accéda à ses données cartographiques et les copia toutes vers une « feuille de peau de mouton ». Elle transforma le rouleau en objet et le jeta à côté des pieds de l’homme.

« Avec ça, ton objectif est atteint, non ? Dans ce cas, je vais y aller. »

Repoussant l’herbe de ses mains, elle se leva en oscillant légèrement. D’après l’horloge de la fenêtre, elle calcula qu’elle avait dormi sept heures depuis sa chute ; mais elle ne s’était pas encore remise de la fatigue. Pourtant, il lui restait encore trois des rapières qu’elle avait préparées. Elle avait décidé plus tôt qu’elle ne quitterait la tour qu’une fois sa dernière rapière arrivée à la moitié de sa durabilité.

Elle avait un tas de questions sans réponse. Le manieur d’épée à une main à la veste grise, quel genre de méthode avait-il utilisé pour l'amener des profondeurs du labyrinthe jusqu’à cette clairière dans la forêt ? Quitte à la déplacer, pourquoi ne l’avait-il pas amenée dans une zone sûre du labyrinthe au lieu de s’embêter à la sortir du donjon ?

Malgré tout, elle ne trouvait pas que ça méritait qu’elle se retourne pour demander. Elle fit un pas à gauche pour retourner au sombre labyrinthe dressé…mais, avant ça.

« Attends, Rapiériste-san. »

« … »

Elle l’ignora et avança de quelques pas ; mais ce qu’il dit ensuite l’a fit involontairement s’arrêter.

« Toi aussi, en gros, tu fais de ton mieux pour finir le jeu, non ? Ce n’est pas juste pour mourir dans le labyrinthe. Dans ce cas, est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux venir à la « Réunion » ? »

« …La réunion ? »

Après avoir marmonné ça, le dos toujours tourné, elle entendit l’épéiste, sur un ton changé porté par la brise légère de la forêt :

« Cet après-midi, à « Tolbana », la ville la plus proche du labyrinthe, doit se tenir la première « conférence stratégique contre le boss du rez-de-chaussée ». »

Notes de traduction

  1. La magnitude est une échelle de mesure de la luminosité des étoiles. Elle va de 0 à 6. 6 étant la limite de visibilité à l’œil nu.
  2. Droper : Terme de jeu désignant le fait qu’un monstre laisse derrière-lui en mourant, des objets.
  3. Le Kobold est un esprit de la mythologie germanique à l’apparence humaine mais à la taille d’un enfant.
  4. Linear : Linéaire
  5. Rapiériste : Utilisateur de rapière.
  6. Joueur solo : Personne jouant sans coéquipier.
  7. Overkill : Terme de jeu désignant le fait d’utiliser une puissance de feu exagérée par rapport à la résistance de l'ennemi.
  8. FullDive : Immersion Totale


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