Gekkô : Quelques observations concernant le rhume

From Baka-Tsuki
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Quelques observations concernant le rhume[edit]

Gekkou ss1.jpg

C'était le début de l'automne, cette époque de l'année où le vent froid souffle à travers la ville et où les piétons sont emmitouflés dans des vêtements chauds. Même si c'était sa première visite depuis des mois au café Victoria, l'incarnation de la « frivolité » se plia en deux et, à peine entré à l'intérieur, fit résonner un énorme « atchoum ! » dans la pièce éclairée par une lumière cramoisie, sans le moindre mot d'excuse. Après avoir fait son entrée en grandes pompes, il dit « Hé, ça faisait un bail », tout en s'essuyant le nez avec l'écharpe rouge qu'il avait autour du cou.

Quel manque de manières, décidemment.

— Comment va mon Nonomura-kun ?

— Qui sait ? J'ignore comment va Nonomura, mais Nonomiya se porte très bien, commentai-je simplement en réponse à l'homme insouciant qui semblait apprécier se tromper dans les noms des gens. En parlant de ça, c'était quoi cet énorme éternuement, Konan-san ? Quelqu'un serait en train de répandre de sales rumeurs à votre sujet ?

Je posai une tasse fraîchement remplie de café chaud sur sa table sans même prendre la peine de prendre sa commande.

— T'as vraiment pas changé, hein ? dit-il les sourcils levés avec un sourire aux lèvres. Mais si la raison derrière mes éternuements serait des rumeurs, ça ne peut venir que de bonnes rumeurs. Je parie que toutes les jolies femmes parlent de moi, le Casanova de la ville, répliqua-t-il, après avoir siroté son café avec grand plaisir.

Vous n'avez vraiment pas changé, dis-je en secouant la tête.

Konan éclata de rire et répondit :

— Je suppose que c'est valable pour nous deux !

Afin d'éviter de me retrouver embarqué dans une nouvelle de ses pénibles discussions, j'étais sur le point de me retourner après avoir lancé un sommaire « amusez-vous bien ». Mais avant que j'eus la chance d'exécuter mon plan, il percha son menton sur sa main et poussa un profond soupir.

— ... Ah, c'est affreux. J'ai attrapé un rhume, tu sais. Éternuements, nez qui coule, et même si j'ai de la fièvre, j'ai aussi des frissons — la totale. C'est le pire rhume que j'ai attrapé depuis un bon moment.

— Oui, dernièrement, la maladie se propage à vitesse grand V.

Il y avait beaucoup de reportages télé expliquant que le rhume se propageait partout dans le pays. En fait, tous les autres membres de ma famille étaient malades, et le nombre de tables vides à l'école était sans équivoque. J'étais persuadé que les hôpitaux devaient être au bord de la saturation avec tous ces patients pâles portant des masques blancs.

— Toi, par contre, tu sembles en parfaite santé, hein ? dit Konan.

— Oui. Ce n'est pas pour me vanter, mais je sais prendre soin de moi et de ma santé.

— Le summum de la vantardise, répondit-il en haussant faiblement les épaules. Ah, c'est vrai ! Tu sais pourquoi le rhume se propage autant en ce moment ? dit-il en esquissant soudain un « sourire », se défaisant complètement de cette impression de faiblesse.

... Qu'est-ce qu'il manigance encore ?

Je ne savais que trop bien que ce n'était jamais bon signe quand cet énergumène se mettait à sourire comme ça.

Jugeant que c'était une perte de temps, je lâchai rapidement un « pardon, j'ai du travail qui m'attend » et m'éloignai de Konan. Immédiatement après ça, je fus retenu par le poignet.

Konan avait ce sourire inébranlable sur le visage et demanda :

— Pourquoi ne pas me consacrer une minute pour écouter ce que j'ai à dire ?

Ma seule réponse fut de pousser un soupir exaspéré derrière mon plateau.

— La météo en début du mois de septembre laisse penser que la nature nous a gratifiés d'un allongement de l'été. Bien entendu, les gens acceptent ce cadeau avec plaisir et maintiennent leur train de vie estival. Mais récemment, le calendrier a finalement repris les choses en main et la température est tombée d'un coup, pas vrai ? Ce froid soudain a dû prendre tout le monde par surprise, expliqua-t-il avant de continuer avec un sourire amer. Presque comme une nana qui ne montre son véritable visage qu'après avoir commencé à sortir avec toi, grommela-t-il.

— Aha, marmonnai-je.

S'il divague au sujet du froid, alors c'est vraiment une perte de temps. Je peux en apprendre autant, si ce n'est beaucoup plus, en allumant la télé.

— Bref ! Je suis convaincu que la cause de ce rhume est… dit-il joyeusement, ignorant le fait que mes yeux fixaient avec impatience l'horloge.


— … Le sexe.


Quelqu'un dans l'assistance aurait-il l'amabilité de m'expliquer ce que cet énergumène baragouine ?

On parle souvent de « déchet humain », mais c'était la première fois que je voyais quelqu'un qui y ressemblait littéralement.

— Bien joué, Nonomiya-kun ! J'aime ta réaction ! ria Konan de bon cœur, en voyant mon expression ouvertement et complètement dégoûtée.

Mes peurs avaient été avérées. Je ne pus que me demander qui avait bien pu être à l'origine de cette règle douteuse qui veut que pire est notre pressentiment, plus il a de chances d'arriver.

— Oh, eh ben, je tenais tellement à voir ton visage soucieux ! J'ai vraiment bien fait de venir ici ! J'ai l'impression que mon rhume s'en est pas remis ! C'est vraiment plus efficace que d'aller voir un toubib ou de prendre des cachetons !

— ... Pourriez-vous rentrer chez vous maintenant ?

Ça aurait été une grossière erreur que de ressentir ne serait-ce qu'une once de compassion à son égard.

— T'énerve pas, va ! C'est pas tout ce que j'avais à dire, exhorta-t-il en posa ses longs bras sur mes épaules avant de me tirer vers lui.

Il me murmura alors à l'oreille :

— Autrement dit, le problème vient de ce qui arrive sous les draps ! Les gens sont nus quand ils le font, pas vrai ? Bon, enfin, y'en a qui ne veulent le faire qu'habillés. D'ailleurs, et toi, Nonomiya-kun ?

— ... Pas la peine de me demander !

— Bah, gardons tes histoires avec Yôko-chan pour une autre fois ! répondit Konan avec un sourire espiègle. Quoi qu'il en soit, il est question d'être nu. C'est une évidence quand on fait l'amour, mais on ne se rhabille généralement pas immédiatement après avoir fini. Hommes et femmes aiment sentir la peau de l'autre pendant quelques temps. Pour tout te dire, je trouve ça vraiment lamentable que beaucoup de nos confrères ne réalisent pas que ces confortables moments sont ce qu'il y a de plus importants quand on fait l'amour — une seconde, ça a rien à voir avec ce que je voulais dire, non ?

— J'aimerais n'avoir rien à voir avec quoi que vous puissiez dire.

— Bref ! C'était parfait pendant l'été ! Ouais, l'été ! Même quand on est nus ! Parce qu'il faisait chaud !

Mes mots étaient tombés dans l'oreille d'un sourd.

— Mais maintenant qu'il fait froid, on peut plus rester nus dans son lit pendant trop longtemps. Les gens comprennent pas ça, et c'est pour ça que ce rhume circule. Aucun doute là-dessus.

— Pourriez-vous arrêter de transposer vos propres problèmes au monde entier ?

— Oh, c'est faux. Si on laisse de côté les vieillards et les gamins, la raison pour laquelle les mecs et les nanas tombent malades est la même partout. Crois-en la parole d'un défenseur de la justice qui arpente les rues nuit et jour !

— La fin du monde est proche, soupirai-je, expirant lentement tout l'air contenu dans mes poumons.

À ce moment-là, Konan baissa soudainement la voix d'un cran.

— ... Jette un œil à la table là-bas. Tu vois cette jolie étudiante ?

Je suivis son regard vers les tables devant nous, et aperçus une jeune femme avec des cheveux châtains soyeux qui travaillait sur un exposé. Elle tenait un criterium, et mit soudain sa main pour couvrir sa bouche avant de tousser.

— T'as vu ? C'est marrant, hein ?

Incapable de comprendre ce qui le faisait autant rire, je ne pus qu'exprimer ma perplexité avec un « Hein ? »

— Non, écoute, c'est pas excitant d'imaginer qu'une fille aussi mignonne soit tombée malade parce qu'elle était nue dans son lit ?

— Je vois. Vous avez vraiment beaucoup d'imagination, dites-moi... Une imagination à l'esprit vraiment détourné, bien entendu.

Même si j'étais en parfaite santé, je commençais à avoir mal à la tête.

— Mais il vaut mieux voir le rhume comme ça plutôt que de s'en faire pour des virus ou autres, non ? C'est un coup à mourir d'inquiétude. C'est bien plus sain d'avoir des pensées absurdes !

Je ne voyais pas où Konan voulait en venir, mais comme je n'avais pas envie d'écouter sa diatribe plus longtemps, je me débarrassai de ses mains avec un bref « continuez sans moi » et m'en allai.

Alors que je me rendais à la cuisine, j'entendis un énorme « Atchoum ! » derrière moi. Je n'avais même pas envie de faire la moindre remarque.



Le café Victoria n'échappait pas à la règle, lui non plus, alors la majorité des employés était tombée malade. Le patron Kujirai passait son temps à tousser. Saruwatari-san était en train de préparer des spaghettis napolitains, mais semblait éprouver de la difficulté à respirer à cause de son masque chirurgical et de son reniflement constant.

En cet après-midi, les seuls employés qui n'étaient pas encore malades étaient-

— On dirait que tu étais absorbé par une discussion avec Konan-san, hein ?

… elle et moi.


Elle se tenait là derrière moi avec un sourire si parfait qu'aucune maladie n'aurait jamais osé s'approcher d'elle.

Il n'y avait aucune faille dans ses cheveux noirs soyeux parfaitement brossé, sa peau douce était blanche comme neige, et ses yeux légèrement humides en forme d'amande luisaient comme des gemmes éclairées par la lune.

Autrement dit, ce n'était qu'un jour ordinaire dans la vie de Yôko Tsukimori.

— Je suis désolé d'avoir négligé mon travail, mais qu'est-ce que je pouvais faire d'autre ? On parle bien de Konan-san, non ? Tu le connais suffisamment bien pour savoir qu'il n'est pas du genre à lâcher le morceau.

Du fait du sujet de la conversation, je me sentais très mal à l'aise bien qu'elle ne m'ait rien vraiment reproché.

— Oh ? Qu'est-ce qui te prend, Nonomiya-kun ? Tu es bizarrement bavard tout d'un coup. Me cacherais-tu quelque chose ? demanda-t-elle immédiatement avant de me lancer un regard aussi perçant que celui d'une détective experte.

Ses yeux étaient si tranchants qu'ils semblaient tout découper sur leur chemin jusqu'aux tréfonds de mon âme. Incapable de supporter son regard, je détournai le mien.

— Maintenant que j'y pense, vous n'étiez pas en train de fixer du regard cette jeune femme en souriant à pleines dents ? Pourrais-tu m'expliquer de quoi il en retourne ? Je suis vraiment curieuse.

— On a fait ça ? Ça me dit rien.

— Tu as une mémoire bien sélective !

— Pas faux. Mais si tu veux te plaindre, fais-le à Konan-san. Ses paroles doivent avoir le pouvoir d'effacer ma mémoire.

En réalité, j'aurais souhaité du plus profond de mon cœur pouvoir oublier cette discussion absurde avec Konan.

Soudain, elle s'approcha de moi à tel point que son nez touchait pratiquement ma joue, et esquissa un sourire radieux.

— Je ne comprends pas pourquoi, mais je viens juste de me rappeler que tu es vraiment doué pour cacher des mensonges derrière ce visage impassible, Nonomiya-kun.

Exactement comme tous les jours, un sourire littéralement parfait se dessinait sur son visage — mais elle était manifestement mauvaise langue aujourd'hui. Il était difficile de dire si les expressions extérieures de Yôko Tsukimori reflétaient avec précision ses sentiments réels, mais je la connaissais suffisamment bien pour en arriver à une certaine conclusion :

Elle n'était probablement pas de très bonne humeur.

C'était compréhensible. Elle devait s'être énervée parce que j'avais passé plusieurs minutes avec Konan au lieu de faire mon travail.

Après tout, le service du soir était normalement très chargé, sans compter que Tsukimori et moi étions les seuls à ne pas être malades. Malgré tout ça, j'avais laissé tout le travail à Tsukimori, ce qui devait être une charge considérable malgré qu'elle fût en bonne santé. Je lui en aurais sans aucun doute voulu si j'avais été à sa place.

Bon, et maintenant, que faire ? Je cogitais sur la question, quand tout à coup :

— Kchu !

Un éternuement des plus adorables semblable à celui d'un enfant avait résonné depuis la cuisine.

Je me demandais à qui pouvait appartenir cet éternuement, alors je regardai autour de moi et échangeai des regards avec Saruwatari-san et notre patron. Leurs regards m'indiquèrent que ce n'était pas eux. Qui avait bien pu éternuer alors ? Bien entendu, ça ne pouvait pas être Tsukimori ou moi, vu que nous étions en parfaite santé.

La liste des possibilités s'était donc naturellement réduite à une personne. Tous nos regards se posèrent sur son dos élancé.

La pâtissière au centre de notre attention était en train de décorer une assiette de cheesecake avec un coulis de myrtille. Sa bouche était également couverte par un masque chirurgical.

— Kchu !

Devant nos yeux attentifs, son second éternuement confirma qu'elle était également la source du premier.

— Hum... Mirai-san ?

— B-Bah quoi ?! Un problème, Nonomiya ?!

Mirai Samejima, cette petite brute, faisait vraiment honneur à son nom <--!Samejima contient les caractères « requin » (鮫) et « île » (島)--> et répondit à ma calme question par un grommellement, sans même daigner se retourner vers moi.

— Il n'y a aucun problème, Mirai-san. C'est juste que tu m'as surpris avec un éternuement plus mignon que je-

— L-La ferme ! J-J'ai le droit d'éternuer comme je veux ! s'écria-t-elle, en me coupant la parole.

Sa nuque était plus rouge que la canneberge au-dessus du cheesecake.

Et c'est là que Mirai-san éternua pour la troisième fois, « kchu ! »

Je ne pus m'empêcher de sourire en voyant cette facette d'elle inattendue, qu'elle avait dû prendre soin de cacher à tout le monde. En fait, je n'étais pas le seul ; le patron et Tsukimori recouvraient également leur bouche pour masquer leur sourire, et Saruwatari éclata même de rire.

— Saaruuwaataaaariiiiii !

— O-Oui, chef ?!

Cependant, dans la situation actuelle, cet acte était aussi insensé que de sauter dans la cage d'un tigre affamé avec de la viande fraîche dans les mains.

— Toi ! Tu viens de te moquer de moi ! rugit-elle tel un lion, et jeta un regard en direction de Saruwatari-san aussi meurtrier que celui d'un prédateur au sommet de la chaîne alimentaire en train de montrer les crocs.

Son visage se mit à pâlir petit à petit, jusqu'à devenir blanc comme un linge.

— ... Ah, euh, hum, c-c'est que... UWAAA ! Mirai-san, repose ce couteau, tu veux ?! C'est dangereux ! Vraiment !

— Pas bougé ! HÉ !

Un Saruwatari au visage livide se rua hors de la cuisine tel un lièvre, suivi de près par une Mirai-san en furie qui le poursuivait tel un namahage, armée de deux couteaux. <--!Les namahage sont des sortes de démons féroces issus du folklore japonais souvent armés de fendoir.--> Les deux semblaient particulièrement plein de vie malgré leur maladie.

Ne parlons plus de ça, décida l'ensemble des employés sauf Saruwatari-san, en échangeant des regards sérieux.

Cependant — sûrement parce que nous avions du éviter cet éléphant — chaque fois que Mirai-san éternua ce jour-là, tout le monde eut à se couvrir la bouche pour étouffer son rire ou à regarder au plafond jusqu'à ce que l'envie passe.

Cela dit — appelons ça un heureux coup de chance — cela avait d'une certaine façon redonner à Tsukimori sa bonne humeur.

Comme tous les autres, Tsukimori avait également frissonné de temps en temps pendant le travail et recouvert sa bouche.



Le lendemain matin, la première chose que j'entendis en entrant dans la classe fut un bruyant éternuement qui me donna envie de retourner sur mes pas. Kamogawa reniflait lamentablement.

Ma bonne humeur ce matin-là était complètement partie en fumée. Je me dépêchai de m'assoir à ma table en me persuadant de n'avoir rien entendu ; que cette personne nommée Kamogawa n'existait pas.

Sur le chemin, je me rendis compte que le siège de Yôko Tsukimori était toujours vide — ce qui était rare pour quelqu'un d'aussi bien élevé qu'elle.

Au moment où je m'assis, « nyakchun », j'entendis un bruyant éternuement qui ressemblait au chant du cygne d'un chat qu'on écrabouillait avec un rouleau compresseur.

— Ah, zalut, Nyonomifia.

Tout en pressant plusieurs mouchoirs blancs contre son nez rouge, la fille ouistiti pygmée à côté de moi me parlait dans un langage inconnu. Ce devait être du ouistitien.

Kamogawa et Usami n'étaient pas les seules victimes. Après avoir jeté un œil autour de moi, je remarquai qu'un grand nombre de sièges étaient vides et que tous ceux qui étaient présents semblaient malades.

— T'as attrapé un sacré rhume, pas vrai, Usami ? dis-je en en regardant la boîte de kleenex sur sa table.

— ... Ouais, j'aurais peut-être dû rester chez moi... murmura-t-elle en s'affalant sur sa table.

Tout en étant conscient qu'il était déplacé de penser ça d'une personne malade, je constatai avec grand plaisir qu'une telle apparence affaiblie convenait à Chizuru Usami comme à personne d'autre.

Hélas, ce plaisir ne fut que de courte durée ; je me remémorai soudain ce que m'avait dit Konan la veille.

Je détournai immédiatement mon regard d'elle. Déroutée par mon étrange comportement, Usami regarda dans ma direction avec des yeux inquisiteurs innocents et inclina sa tête ronde sur le côté.

Je bafouillai une excuse, mais cela ne fit que la rendre encore plus perplexe et elle inclina à nouveau sa tête, en disant :

— Hein ? Pourquoi tu...?

Bien que c'était juste dans ma tête, je lui avais fait une chose impardonnable. Qu'elle soit aussi plate...

Je me sentais coupable, comme si j'avais fait quelque chose que je n'aurais pas dû. C'était ce que je ressentais.

— Mais tu as l'air en bonne santé, Nonomiya. Je t'envie...

— C'est parce que les idiots tombent jamais malade !

Je corrigeai immédiatement la bêtise proférée par un idiot nommé « Kamogawa » en répliquant :

— Je fais gaffe à ma santé.

— ... Gaffe, hein... Je me demande si c'est à grâce à ça... murmura-t-elle à elle-même, pensant évidemment à tout autre chose, tout en reniflant avec les yeux aussi brillants que ceux d'un lapin.

Sûrement parce que les paroles de Konan résonnaient toujours dans ma tête, je fis une petite bourde :

— Me dis pas que c'est parce que tu te balades nue ? dis-je, avant d'immédiatement me rendre compte que j'avais gaffé.

Je fis rapidement marche arrière en ajoutant :

— Fais comme si j'avais rien dit.

Hélas, Usami démarra au quart de tour et cria avant même que je puisse me corriger :

— C-Comment tu sais ça ?!


— Comment tu sais que je me masse les seins tous les jours après le bain ?!


J'avais invoqué une tempête qui avait transformé ma bourde en petite brise de printemps. Il allait sans dire qu'elle était devenue le centre d'attention de toute la classe, garçons comme filles.

— ... N-Ne faites pas attention à moi... murmura Usami rouge comme une tomate à la classe.

Elle recouvrit sa table de mouchoir pour faire un coussin juste avant de poser sa tête dessus, et s'arrêta de bouger.

Comme j'en avais perdu mon latin, je me contentai de tapoter sa petite tête ronde pour lui remonter le moral... à divers niveaux.


Je terminai mon travail et me dirigeai vers la station de métro. Mais, sur le chemin, Tsukimori brisa soudain son mutisme.

— ... Nonomiya-kun. N'y a-t-il pas quelque chose que tu devrais me dire ? demanda-t-elle avec une mine extrêmement sérieuse après s'être brusquement arrêtée de marcher.

Elle tourna son corps et ses larges yeux en forme d'amandes dans ma direction, tout en dessinant un élégant cercle avec sa jupe.

Je répliquai avec un regard méfiant, car je n'avais pas la moindre idée de quoi elle voulait parler.

Alors que je contemplais l'énigme qu'elle m'avait posée, Tsukimori continua :

— Je suis très patiente, alors je ne dirai rien avant que tu le découvres par toi-même, Nonomiya-kun.

J'avais vraiment du mal avec son regard ferme posé sur moi, alors il ne fallut pas longtemps avant que je ne rende les armes et demande un indice.

Tsukimori poussa immédiatement un long soupir, exprimant sa déception, et dit d'une traite :

— Chizuru.

Au moment où j'entendis ce nom, mes yeux se posèrent machinalement sur ses seins.

Après tout, la révélation fracassante de Chizuru ce matin-là trottait toujours dans ma tête, mais à en juger par la poitrine bien proportionnée de Yôko Tsukimori, personne ne pourrait jamais atteindre pareille perfection.

Mais laissons ça de côté. Je commençai à farfouiller ma mémoire à la recherche de ce que cet indice pouvait bien désigner.

Je trouvai instantanément — et me crispai.


— Est-ce que par hasard... tu fais référence à sa déclaration d'amour ?


Je n'avais pas eu l'intention de le lui cacher ; j'avais simplement oublié de le lui dire à l'époque parce que mon esprit était préoccupé par les recettes de meurtres.

Et puis, c'était ma vie privée. Rien ne m'obligeait à le lui raconter, vu que nous n'avions pas de relation particulière. Et donc, il n'y avait aucune raison pour moi de me sentir coupable non plus-

— ... Ce, c'est juste que j'ai pas eu l'occasion de t'en parler. C'est tout.

... Et pourtant, je me mis à me sentir extrêmement nerveux. Mon discours devint assez confus, et j'avais peur de la regarder dans les yeux.

Étant vive d'esprit, Tsukimori devait déjà savoir au sujet de cette déclaration d'amour, et attendait patiemment le jour où je le lui en parlerai de mon propre chef.

Dis comme ça, c'était la même chose que lorsque j'avais eu affaire avec Konan ; sans parler du fait qu'elle était d'humeur étrange ces derniers temps. J'avais également l'impression qu'elle avait été assez calme récemment. Peut-être qu'elle commençait à perdre patience parce que je ne semblais toujours pas disposé à la mettre au parfum.

Hélas, maintenant qu'elle avait enfin fini par me faire cracher le morceau, Yôko Tsukimori devait ressentir une grande satisfaction.

Avec ces pensées amères en moi, je jetai un œil dans sa direction.

— ... Hein ?

Un cri de stupéfaction s'échappa de ma bouche.

Tsukimori avait fait tomber son sac et était complètement figée sur place, les yeux complètement écarquillés. Si je devais décrire son apparence actuelle en un seul mot, le plus approprié serait « abasourdie ».

De même, j'étais tout autant confus, vu que j'étais profondément convaincu que j'allais la voir esquisser son habituel sourire démoniaque.

Au moment où elle remarqua mon regard, elle arbora une expression de surprise l'espace d'une seconde.

— J'ai accidentellement fait tomber mon sac, expliqua-t-elle de façon maladroite et peu naturelle alors qu'elle plia les genoux pour le ramasser.

Cependant, elle resta dans cette position, sans montrer signe de vouloir se relever.

Alors que je la regardais avec perplexité, Tsukimori leva ses menus doigts jusqu'à son front blanc. Elle s'accroupit soudain comme un enfant qui joue à cache-cache derrière un toboggan.

— ... Hein, oh...? murmura-t-elle faiblement comme si elle tentait désespérément de garder conscience.

Réalisant que quelque chose clochait, je me ruai vers elle et m'accroupis en demandant ce qui n'allait pas. J'écartai les cheveux de son front pour jeter un œil à son visage précédemment masqué.

Il était si blanc qu'il me rappela la lueur argentée de la lune. Je posai instantanément ma main sur son front.

— ... Hé, t'es brûlante de fièvre. T'étais malade ?

Mais je n'arrivais pas à me souvenir de signes de maladie chez elle récemment.

— Exact, murmura-t-elle à mon visage surpris. Tu t'en es enfin rendu compte.

Comme si elle avait utilisé toutes ses dernières forces, elle appuya sa petite tête mignonne contre mon torse et ferma lentement ses longs cils.

... L'instant d'après, je me retrouvai baigné dans un concert de klaxons parce que j'avais sauté sur la route pour arrêter un taxi.



Yôko Tsukimori est comme réglée comme du papier à lettre, alors la fièvre doit l'avoir perturbée. C'est ce que j'avais espéré au plus profond de moi. Tout du moins, je refusais de croire que c'était ce qu'elle était vraiment.

Ce fut vraiment la croix et la bannière pour la transporter jusqu'à son lit une fois chez elle.

À la seconde où on arriva, elle commença à se plaindre apathiquement, du genre « Je me sens mal... » ou « J'ai chaud... », et commença à se déshabiller de façon maladroite.

— J'espère que t'as pas oublié que je suis toujours là, dis-je complètement interloqué, mais elle acquiesça de façon indifférente en retour et me tourna le dos en me demandant de but en blanc :

— Tu peux défaire mon soutien-gorge, Nonomiya-kun ?

J'en restai sans voix, et après un long silence, elle ajouta impatiemment :

— Dépêche-toi !

Finalement, je réussis plus ou moins à la forcer à enfiler son pyjama toute seule et à la mettre au lit — mais cela ne faisait que marquer le début du round suivant. Elle refusa catégoriquement d'avaler le moindre cachet anti-fiévreux, en détournant la tête en se plaignant :

— Je ne veux pas de ce truc amer.

Alors que je tentai de la persuader, en lui expliquant qu'elle n'irait pas mieux si elle ne prenait pas de médicament, elle suggéra témérairement :

— Je pourrais reconsidérer la question si tu me donnes un coup de main.

Bien entendu, sa proposition ne me disait rien qui vaille, mais je me pliai à contrecœur parce qu'elle était malade. Je tenais le verre d'eau dans une main, et le médicament dans l'autre. Mais, pour une raison ou une autre, elle secoua rapidement la tête. Après ça — que Dieu me vienne en aide — elle souleva le menton et tendit ses lèvres avec passion dans ma direction telle un oisillon dans son nid attendant d'être nourri, puis elle ferma les yeux.

Une fois de plus, il allait sans dire qu'un profond soupir s'échappa de ma bouche.

Ce rhume était le prétexte parfait pour elle pour me faire faire ses quatre volontés. Je commençai même à la soupçonner d'avoir uniquement fait semblant d'être malade pour me taquiner. Si je n'avais pas senti son front brûlant plus tôt, je serais déjà parti depuis longtemps sans demander mon reste.

J'en ai ma claque de tout ça. Ignorant sa tentative de résistance, je la poussai de force dans son lit et la fit avaler son cachet. Pendant un moment, elle marmonna mécontente des choses comme « beurk, c'est amer » et « tu es trop méchant », mais dès que je lui posai une serviette humide sur son front blanc, elle finit enfin par se calmer, en disant « ça fait du bien ».

À cause d'elle, je me sentais comme un père avec son enfant gâté, et j'étais également sur le point de bouillonner d'embarras.

— ... Pourquoi tu n'as rien fait plus tôt pour ta fièvre ?

— Parce que je m'étais dit que tu allais peut-être t'occuper de moi si je me retrouvais clouée au lit, Nonomiya-kun.

Elle gloussa faiblement face à mon air ébahi. « C'est débile- » étais-je sur le point de dire, mais je m'arrêtai avant d'ouvrir la bouche.

Quand personne ne disait rien, on pouvait le remarquer immédiatement — à quel point la spacieuse maison était silencieuse. Je réalisai une fois de plus qu'elle était toute seule maintenant. Ça ne changeait pas même quand elle était malade.

Si je ne l'avais pas accompagnée, elle aurait passé la nuit toute seule comme toujours.

Peut-être que sa récente mauvaise humeur est imputable à sa maladie ? Je suppose qu'elle ne voulait pas que ça se sache, alors elle a fait semblant d'être en bonne santé malgré sa situation familiale.

— Repose-toi bien jusqu'à ce que tu sois guérie. T'en fais pas pour le travail et les cours.

Je m'étais dit que ce n'était pas si mal d'être gentil avec elle dans ce genre de situations, mais...

— Mais je ne pourrais pas te voir dans ce cas, non ?

Elle déclara ça avec une mine parfaitement sérieuse. Je n'avais pas idée de comment lui répondre.

— ... Nonomiya-kun ? dit-elle de façon curieusement brusque. ... Quand est-ce que Chizuru t'a fait sa déclaration ?

Elle me jeta un regard noir plein de reproches, ses yeux accusateurs me dévisageant de derrière sa couverture.

J'avais naïvement cru que la déclaration d'amour d'Usami était tombée aux oubliettes avec ce qui venait de se passer, mais elle s'en souvenait toujours. Vu qu'il était inutile de cacher quoi que ce soit en l'état actuel des choses, je lui donnai la date exacte.

— Je vois. Dans ce cas, souviens-toi bien d'une chose, Nonomiya-kun, dit-elle avant de me regarder droit dans les yeux.


— C'était moi la première.


Son ton était à moitié en colère, à moitié boudeur. Je lâchai involontairement un rire.

— Qu'est-ce qu'il y a de si drôle ? Je t'en veux vraiment de m'avoir caché ça !

Je trouvai ça encore plus amusant quand je la vis froncer les sourcils et plisser ses lèvres.

Son actuelle demande d'attention était réellement puérile et n'était pas en phase avec son comportement habituel. Ses actions déviaient manifestement des manières que la parfaite Yôko Tsukimori avait pour habitude de montrer.

Mais c'était plus fort que moi ; je trouvais cette version puérile d'elle fort charmante.

— Ouh là là. Que faire pour me faire pardonner ? ris-je, ce après quoi elle cacha son visage sous sa couette et marmonna en réponse :

— ... Si tu restes à mes côtés cette nuit, je te pardonnerai pendant quelques temps.

J'étouffai mon rire, et répondis avec la même politesse dont je faisais preuve au café :

— Comme tu voudras.

Puis, je m'assis à son chevet.

Quand elle ressortit à nouveau la tête de sous sa couette, sa bouche formait joyeusement un sourire en forme de croissant de lune. Elle ferma alors confortablement ses yeux.

Dans un silence suffisamment intense pour comprimer mon âme, j'observai son visage faiblement éclairé par la lune avec grand intérêt. Dans son sommeil, elle avait l'air bien plus jeune qu'habituellement. Elle passait d'une beauté mature à une jolie fille enjouée... Non, peut-être qu'elle paraissait simplement avoir son véritable âge maintenant.

Il semblerait qu'elle avait du mal à respirer. Ses joues étaient également toutes rouges, et malgré son visage jeune, cette nuit-là, elle parut bien plus sensuelle et séduisante que jamais.

Au début, je me contentai de la regarder alors qu'elle était allongée là, sans défense, mais avant que je ne m'en rende compte, mes doigts touchaient ses lèvres chatoyantes et pulpeuses. Sa respiration chaude chatouillait le bout de mes doigts. Soudain, je me remémorai la conversation avec Konan, et mon cœur se mit à battre à tout rompre.

Je venais d'entendre un démon me susurrer à l'oreille : maintenant, tu peux faire ce que tu veux d'elle. Ma gorge se noua.

Soudain- « kchu », elle éternua doucement.

À ce moment-là, je repris mes esprits et secouai vigoureusement la tête. Je me sentais coupable — je n'étais pas moi-même.

Sous le poids des remords et de la gêne, j'en conclus que je ne pouvais pas rester plus longtemps à côté de Tsukimori et me levai.

Mais, je fus arrêté dans mon élan. Comme si elle était déterminée à m'empêcher de m'enfuir, elle était fermement agrippée à l'ourlet de ma chemise même dans son sommeil.

En rendant les armes, je me tins la tête entre mes mains et m'adossai contre le lit une fois de plus. Ignorant tout du conflit intérieur qui me rongeait, Tsukimori dormait d'un air heureux avec un sourire bien plus innocent que d'habitude.



Le lendemain matin, je fus réveillé par les rayons brillants du soleil matinal qui passaient à travers les rideaux, le parfum de rose et quelque chose qui me chatouillait le nez.

Ma vision s'éclaira peu à peu alors que je me frottais les yeux. La première chose que mes yeux aperçurent fut le sourire gracieux d'un ange.

— Qui est-ce ? demandai-je complètement surpris avant de faire un bond en arrière, me faisant perdre le soutien procuré par le lit et tomber à plat dos sur le sol.

Devant moi se trouvait Yôko Tsukimori.

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— ... Ah, je vois.

J'avais enfin saisi la situation. J'avais passé la nuit dans la chambre de Tsukimori.

Après avoir jeté un second regard, je remarquai qu'elle m'observait tel un chat sur ses quatre pattes, vêtue d'un tablier à volants par-dessus son uniforme ce qui donnait l'impression qu'elle était une jeune mariée.

Avant même que je ne puisse demander à quoi elle jouait, elle me salua avec un doux sourire et un bonjour.

— Tu étais tellement adorable que j'en ai oublié de te réveiller et que je me suis mise à admirer ton visage à la place, Nonomiya-kun.

Sans la moindre hésitation, elle avait prononcé une phrase sirupeuse qui faisait rougir rien qu'à l'entendre. Contrairement à la veille, son visage avait repris des couleurs.

— ... Tu te sens déjà mieux ?

— Oui, bien mieux. C'est grâce à toi, Nonomiya-kun ! dit-elle, en esquissant un vif sourire pour confirmer ses dires.

C'était comme si quelqu'un venait d'exorciser le mauvais esprit qui la hantait.

— Il faut vraiment que je te rende la pareille.

Elle inclina légèrement la tête, plongée dans ses pensées, et à en juger par son visage, elle avait trouvé une idée.

— Je t'offre le droit de vivre dans cette maison.

— ... Tsukimori. Laisse-moi te donner un conseil qui pourrait éclairer un peu ta lanterne, dis-je en écartant la couverture sur moi avant de me relever difficilement.

Puis, en regardant la fille à quatre pattes, je dis :

— Un « cadeau » est censé faire plaisir.

— Oui. Alors il n'y a pas de problème.

Elle s'assit sur les genoux, les jambes écartées, et me regarda avec des yeux de chien battu.

— Après tout, ça me ferait vraiment plaisir si tu vivais ici.

C'est un cadeau pour qui au juste ?

— Non merci. Je ne veux rien en retour.

Je n'avais jamais attendu la moindre récompense. Je m'étais trouvé là par hasard quand elle s'était effondrée — c'était tout.

Réalisant visiblement son erreur, elle se leva tout en secouant la tête légèrement.

— ... Tu as raison. Je suis désolée. C'était vraiment déplacé de ma part, dit-elle, mais ajouta immédiatement avec une voix claire, Après tout, quoi de plus normal qu'un petit ami s'occupe de sa chérie !

— Exactement. Pour une personne normale, quoi de plus naturel que de s'occuper de sa collègue malade, la corrigeai-je directement.

Adoptant une parfaite indifférence à mon regard froid, elle me demanda avec un sourire si je voulais prendre une douche.

— Non merci. Je suis sûr que tu vas essayer de te rincer l'œil, lui dis-je d'emblée.

— C'est bizarre. Comment est-ce que tu as deviné ?

Son visage était sérieux.

En massant mes tempes, je secouai vigoureusement ma tête. Quelle fille. Où était passée la faible fille de la veille ? Elle s'est à peine remise, et elle se comporte déjà comme ça.

— T'as encore de la fièvre ? Sinon, je crois que la seule explication est que les effets secondaires du médicament t'ont fait perdre la tête.

— C'est ce que tu penses ? J'ai toujours été comme ça, répondit-elle tout en ouvrant les rideaux.

Je détournai le regard du fait du flot aveuglant de lumière qui pénétrait par la fenêtre.

— Ouais, maintenant que j'y pense, t'as toujours été bizarre.

Oui, depuis notre première véritable conversation dans la bibliothèque.

— Tu es un peu long à la détente, mon cher Nonomiya-kun, dit-elle en gloussant gaiement en réponse à ma remarque sarcastique.

Incapable de laisser passer ça, je lui jetai un regard noir. Baignée dans la lumière du soleil matinal, Yôko Tsukimori m'esquissa un sourire radieux, et ma vision devint floue-

— Si je suis bizarre, je me demande bien à qui la faute...?


... Son sourire était même encore plus aveuglant que le soleil lui-même.



Après ça, elle me prépara le petit déjeuner et nous allâmes en cours. J'avais espéré qu'elle fut nulle en cuisine, mais malgré le fait qu'elle se soit excusée de n'avoir utilisé que ce qu'elle avait sous la main, elle battait ma mère à plates coutures. Peut-être qu'elle avait hérité des talents de sa mère, qui fut professeur dans une école culinaire en son temps.

Durant toute la journée, je ne pus me concentrer pendant les cours ; tandis que j'ignorais si c'était dû à la mauvaise position dans laquelle j'avais dormi ou si c'était parce que j'étais sur le sol, je me sentais épuisé.

— Nonomiya, tu te sens pas bien ?

Usami se pencha vers moi depuis son siège et me regardait avec des yeux inquiets — je devais vraiment avoir une sale mine.

— Non, c'est juste que j'ai pas assez dormi, dis-je en haussant les épaules. Mais, et toi d'ailleurs, comment tu te sens ?

Alors qu'elle semblait s'inquiéter pour moi, elle n'avait pas l'air d'aller bien mieux que la veille, elle non plus.

— Mmm... Ma fièvre est un peu tombée, alors je me sens un peu mieux ! m'assura-t-elle, avant de rapidement prendre ma main pour la placer sur son front. Tu vois ?

Ce qui m'étonna plus que tout fut le fait que sa peau était aussi douce que celle d'un bébé.

Cela dit, je me demandai si le petit animal avait réalisé que je n'avais aucun moyen de savoir étant donné que j'ignorais à quel point son front était chaud la veille. Qui plus est, j'étais le garçon qu'aimait Usami. Ça ne la dérangeait pas que ce soit la main du garçon en question qui la touchait ?

— Qu'est-ce qu'il y a ?

Ça me traversa l'esprit, alors qu'elle me regardait perplexe face à mon mutisme tout en couvrant son nez avec un mouchoir, qu'il était inutile de m'en faire pour ça. La phrase « sacrée Usami » chassa toutes mes inquiétudes comme si c'était une loi naturelle.

... Cela s'était déroulé juste après les évènements de la veille. Alors qu'il n'y avait pas de sens profond derrière ma discussion avec Usami, je me demandais tout de même comment elle l'avait vécu.

Mon regard se posa machinalement vers Tsukimori. Elle était absorbée par une joyeuse conversation avec plusieurs filles de la classe. Ce qui venait d'arriver n'avait pas l'air de l'avoir spécialement affectée.

Du fait qu'elle était guérie, je la soupçonnais d'être en bien meilleure humeur que la veille. En fait, elle était de bonne humeur depuis la matinée. Quoi qu'il en soit, l'inquiétude causée par la déclaration d'amour d'Usami semblait totalement absente de la Yôko Tsukimori d'aujourd'hui.


La nuit était tombée.

Je travaillais depuis quelques heures au café, en forçant mon corps lessivé à se mouvoir. Konan entra soudainement avec un visage dynamique qui criait quasiment qu'il était en pleine forme.

— J'ai claqué 3 000 yens pour acheter cet aphrodisiaque — j'en ai pris une bonne dose, fais une sieste, et maintenant, ça roule, ma poule !

— Ravi de l'entendre, proférai-je d'un air indifférent, ce qui fit tiquer Konan.

— Oh, on dirait que tu te sens pas bien aujourd'hui, hein ? demanda-t-il, alors je lui dis que je me sentais fatigué depuis le matin.

— Nonomiya-kun, t'as attrapé un rhume ! déclara-t-il.

Parce que pour une fois, ce qu'il avait dit paraissait sensé, j'acquiesçai, en murmurant :

— Je vois...

— Je parie que quelqu'un te l'a refilé, hein ?

— ... Qui sait ? C'était sûrement pas volontaire.

Si quelqu'un m'avait contaminé, c'était probablement la personne avec qui j'avais passé la nuit. Évidemment, jamais je ne pourrais dire à ça à Konan.

Cela dit, il était évident que j'allais entendre ce nom sortir de sa bouche que je garde le silence ou pas.

— Bah, ce doit être de Yôko-chan, non ? Vous avez couché ensemble, pas vrai ? Allez, crache le morceau, Nonomiya-kun !

Je répondis calmement tout en gardant un œil vers Tsukimori, qui s'occupait d'une table à l'autre bout de la salle :

— Dans ce cas, laissez-moi vous poser la question : pour quelqu'un comme vous, qui prétend avoir une expérience riche en la matière — vous pensez vraiment qu'on la fait ?

— Mmmm, grommela Konan pendant quelques instants. ... Haah... Ouais, on dirait que t'as toujours pas franchi le pas.

Je posai une tasse de café sur sa table et me retournai en direction de la cuisine. Mais Konan me cria quelque chose dans mon dos.

— ... Ah, c'est vrai, y'a une autre possibilité que j'ai oublié de suggérer.

Je l'ignorai et me dirigeai vers la cuisine, convaincu que cela n'en valait pas la peine.


— Tu savais qu'un baiser suffit pour être contaminé ?


Je fis un sourire narquois quand j'eus la confirmation que cela n'en avait effectivement pas valu la peine. Comme je ne me remémorai pas d'une telle chose, je me contentai de répondre par un signe de la main.

Soudain, je sentis une odeur de rose me chatouiller le nez et je me retournai. Juste derrière moi se tenait la souriante Yôko Tsukimori.

— Tu n'as pas l'air d'aller bien ; serais-tu tombé malade ? C'est à mon tour de m'occuper de toi maintenant. Pas la peine de te retenir, tu peux te reposer sur moi autant que tu le voudras !

— Ça ira, merci. J'ai pas envie d'avoir une dette envers toi.

— Allons, allons, Nonomiya-kun, ce que tu peux être têtu des fois !

J'ignorai sa bouderie et commençai à sortir les additions. Mais je m'arrêtai sur le coup.

Devant moi, je vis Yôko Tsukimori sortir un labello de son tablier avant de commencer à en appliquer sur ses lèvres.

Visiblement, elle remarqua mon regard.

— L'air est sec à cette époque de l'année, alors mes lèvres ont tendance à gercer si je ne les humidifie pas régulièrement, tu vois, expliqua-t-elle en pressant ses lèvres l'une contre l'autre à plusieurs reprises pour bien étaler le baume.

Mes yeux suivirent chacun des mouvements de ses lèvres pulpeuses.

— ... Tsukimori.

— Mm ? Tu en veux, toi aussi ?

— Ah, non, j'en ai pas besoin...

Je détournai le regard, presque comme pour m'enfuir.

— Tu te comportes bizarrement, Nonomiya-kun. Peut-être que tu devrais rentrer chez toi ? gloussa-t-elle.

— Je crois que je vais faire ça... répondis-je en secouant la tête.

Je ne me pensais pas être en mesure de travailler plus longtemps. J'avais attrapé une forte fièvre. Non seulement je sentais que ma tête rougissait, mais j'avais même chaud aux oreilles.

J'avais une question qui pendait sur le bout des lèvres, mais j'étais loin d'être en état de la poser. Cependant, il y avait plusieurs faits qui m'avaient déjà parus clairs.

Primo, elle était parfaitement guérie.

Secundo, elle était de très bonne humeur depuis ce matin.

Enfin-

C'était arrivé au moment où j'étais passé à côté de Tsukimori en me rendant à la salle de repos. À un volume uniquement audible pour nous deux, elle m'avait murmuré à l'oreille :

— Je suis désolée, Nonomiya-kun...


— ... L'éternuement d'hier soir... J'ai vraiment tout fait pour le retenir.


... Je fus alors pris de vertige.

... Yôko Tsukimori n'était décidément pas une fille comme les autres.

Je continuai à regarder dans une autre direction, parce que ma « fièvre » n'était pas prête de tomber tant que je serais près d'elle.

Maintenant, je ne pouvais plus garder la tête froide en sa présence.



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