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Tabi ni Deyou:Ailes (FR)
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== Chapitre 2 : Ailes == <br /> Le garçon leva la tĂȘte en direction dâĂ©pais nuages noirs dans le ciel.<br /> Ă peine quelques instants plus tĂŽt, le ciel Ă©tait encore d'un bleu Ă©clatant, mais les nuages s'Ă©taient peu Ă peu amoncelĂ©s et le paysage sâĂ©tait assombri. Tout cela se produisit Ă une vitesse folle et la couleur bleu n'Ă©tait dĂ©jĂ plus qu'un lointain souvenir, il Ă©tait dĂ©sormais impossible de savoir oĂč Ă©tait le soleil.<br /> Impassible, le vert environnant n'avait pas changĂ© d'un iota. De temps Ă autre, ils tombĂšrent sur des fermes dĂ©vastĂ©es par les chutes de neige de l'hiver prĂ©cĂ©dent, mais aucune ne pouvait leur servir d'abri.<br /> â ... Eh ben, on dirait qu'il va bientĂŽt se mettre Ă pleuvoir. J'espĂšre juste qu'on aura trouvĂ© un toit d'ici lĂ ...<br /> â T'en fais pas ! On m'a toujours dit que j'Ă©tais bĂ©nie par le soleil.<br /> â Dommage. Moi, on m'a toujours surnommĂ© « l'attire-pluie ». Je te laisse deviner pourquoi.<br /> â Allons bonâŠ<br /> La fille gloussa tout en se retournant. La masse de nuages qui s'Ă©paississait au fil des secondes semblait ĂȘtre sur le point de les bombarder d'eau d'un instant Ă l'autre.<br /> Certains pourraient se demander en quoi ĂȘtre un peu mouillĂ© pourrait poser problĂšme. Mais c'est toujours plus facile de se dire ça quand on sait qu'on a une tasse de cafĂ© chaud et une serviette sĂšche qui nous attend Ă la maison.<br /> Il leur fallait utiliser de l'essence pour allumer un feu digne de ce nom, et ainsi se rĂ©chauffer et sĂ©cher leurs vĂȘtements. Sans compter qu'ils auraient de gros problĂšmes s'ils venaient Ă tomber malade. MĂȘme sans considĂ©rer le pire scĂ©nario possible, les deux courraient le risque de mourir de faim si jamais ils Ă©taient forcĂ©s de rester Ă un mĂȘme endroit pendant plusieurs jours.<br /> â Si ça continue comme ça, on va tous les deux attraper la crĂšve. Et qui va jouer le docteur du dimanche du coup ?<br /> â GĂ©nĂ©ralement, c'est celui qui est le moins malade qui doit s'occuper de l'autre.<br /> â Alors c'est un concours pour savoir qui guĂ©rira le premier !<br /> â Mouais... Mon petit doigt me dit que c'est toi qui gagneras ce concours, mais au final, c'est moi qui rira le dernier.<br /> â ... Comment ça ?<br /> â Bah, je t'imagine dĂ©jĂ retomber malade aprĂšs t'ĂȘtre dĂ©clarĂ©e gagnante en te prĂ©tendant « guĂ©rie » un peu trop vite. Mais il n'en sera rien, Ă©videmment.<br /> â ...........<br /> Il avait vu juste. La fille avait tendance Ă ĂȘtre tĂȘtue et aller un peu vite en besogne de temps en temps. Effectivement, la situation qu'il avait dĂ©crite Ă©tait tout Ă fait Ă mĂȘme de se produire.<br /> â Et donc, je mangerai la pastĂšque tout seul ! AprĂšs tout, ça te donnerait mal au ventre sinon, pas vrai ?<br /> â N'importe quoi ! On mangera la pastĂšque qu'aprĂšs avoir procĂ©dĂ© Ă un concours de piñata ! Compris ?!<br /> La grosse pastĂšque que le directeur leur avait offerte, comme il l'avait prĂ©dit, Ă©tait presque mĂ»re, produisant un joli bruit quand on toquait dessus. Alors que le garçon attendait simplement le meilleur moment pour la manger, la fille avait apparemment dĂ©jĂ pris sa dĂ©cision. La tenue d'un concours d'Ă©clatement de pastĂšque Ă©tait prĂ©vue â sans avoir pris l'avis du garçon en considĂ©ration.<br /> â Je dois dire que ton idĂ©e a l'air pas mal... Sauf que tu te rends compte qu'on n'a pas de batte ?<br /> â Hum... Pourquoi ne pas utiliser ça ? dit la fille, en donnant un petit coup de pied dans le silencieux de Cubby.<br /> â Mais t'es folle ou quoi ? On risque de le casser.<br /> En vĂ©ritĂ©, Cubby pourrait trĂšs bien survivre sans silencieux, mais il prit bien garde de le lui dire. Primo, il n'avait pas la moindre intention de rouler avec le bruit assourdissant d'un gang de motard, et deuxio, amputer sa chĂšre Cubby juste pour une pastĂšque alors qu'il venait enfin de la rĂ©parer quelques jours plus tĂŽt lui paraissait bien trop cruel.<br /> â Mh, pas le choix alors. On va devoir trouver une batte digne de ce nom par terre.<br /> â Pourquoi vouloir Ă tout prix la casser avec une batte ? C'est pas comme si c'Ă©tait impossible avec un couteau.<br /> HĂ©las, son idĂ©e n'avait aucune chance d'ĂȘtre approuvĂ©e. La fille avait dĂ©jĂ pris sa dĂ©cision et celle-ci Ă©tait irrĂ©vocable. Et lui n'avait pas son mot Ă dire.<br /> â Ah, un endroit avec de l'eau serait parfait. Je veux la manger froide.<br /> La fille, qui avait (comme prĂ©vu) complĂštement ignorĂ© son avis, tapota la pastĂšque posĂ©e sur le porte-bagage.<br /> Le garçon Ă©tait parfaitement d'accord avec elle sur le fait que la large pastĂšque atteindrait tout son potentiel culinaire qu'une fois dĂ©coupĂ©e en bonne et due forme. Ăa aurait Ă©tĂ© du gĂąchis d'en faire un simple dessert. Sur ce point-lĂ , les deux Ă©taient sur la mĂȘme longueur d'onde.<br /> C'est juste que le garçon n'Ă©tait pas aussi optimiste que la fille.<br /> MĂȘme en faisant abstraction de la batte, il lui semblait improbable de tomber si facilement sur un endroit avec de l'eau fraĂźche. Bien sĂ»r, un cours d'eau pourrait faire l'affaire, mais il fallait Ă©galement prendre en compte l'Ă©tat actuel du ciel. Il Ă©tait bien trop dangereux de se trouver prĂšs d'une riviĂšre dans ces conditions.<br /> Mais il prĂ©fĂ©ra se taire, comme il ne voyait pas de raison de la dĂ©courager.<br /> <br /> Peu aprĂšs, les deux voyageurs et leur Super Cub continuĂšrent leur bonhomme de chemin pendant un moment, traversant occasionnellement des carrefours Ă toute allure sans mĂȘme prĂȘter attention aux feux tricolores.<br /> Ăvidemment, la faute en revenait Ă la mĂ©tĂ©o. Le temps n'avait de cesse de se dĂ©grader, avec des nuages toujours plus Ă©pais que l'instant d'avant : mĂȘme s'il Ă©tait midi passĂ©, il faisait dĂ©jĂ aussi sombre que le soir, et de temps Ă autre, ils pouvaient apercevoir un Ă©clair tomber d'entre les nuages, qui ressemblaient dâailleurs Ă des moutons serrĂ©s les uns contre les autres. De ce qu'ils pouvaient en juger, il ne restait que peu de temps avant que l'orage n'Ă©clate.<br /> Puis, vers quatre heures passĂ©es, un peu plus loin sur l'interminable route en ligne droite, ils aperçurent quelque chose.<br /> â C'est quoi ça ? On dirait un entrepĂŽt ou quelque chose comme ça, non ?<br /> â Aucune idĂ©e... Difficile Ă dire d'ici.<br /> Un peu plus loin, il y avait un chemin de terre en angle droit avec la route principale qui traversait le paysage verdĂątre. Et plus loin encore, il pouvait apercevoir quelque chose qui ressemblait Ă un entrepĂŽt constituĂ© de tĂŽles de mĂ©tal complĂštement rouillĂ©es.<br /> Ă l'Ćil nu, il ne pouvait Ă©videmment pas mieux voir que la fille qui avait les jumelles, mais ils avaient dĂ» voir Ă peu prĂšs la mĂȘme chose Ă cette distance.<br /> Par ailleurs, s'il Ă©tait capable de pouvoir le voir sans jumelle, cela voulait dire que cela ne prendrait que quelques minutes avec Cubby pour l'atteindre. Ătant donnĂ© qu'ils n'avaient pas vraiment de meilleure alternative, ils dĂ©cidĂšrent de s'approcher du bĂątiment.<br /> <br /> Quelques minutes plus tard.<br /> [[Image:Tabi_ni_Deyou_P0084.jpg|thumb|Il Ă©tait clairement rongĂ© par la rouille, mais il n'y avait pas de trous visibles, ni sur les murs, ni sur le toit.]] <br /> En mĂȘme temps que le cri de protestation des freins de Cubby, ils s'arrĂȘtĂšrent et leur lourd chargement fit profondĂ©ment plier la suspension avant. Une chaleur vaporeuse s'Ă©chappa du moteur, ce qui venait sĂ»rement du fait que le garçon nâavait pas lĂąchĂ© lâaccĂ©lĂ©rateur de tout le trajet.<br /> L'entrepĂŽt en question Ă©tait dans un bien meilleur Ă©tat que prĂ©vu ; il Ă©tait clairement rongĂ© par la rouille, mais il n'y avait pas de trous visibles, ni sur les murs, ni sur le toit.<br /> La fille descendit de la moto et le garçon gara la Super Cub sous un abri situĂ© dans une zone de dĂ©chargement.<br /> Il Ă©tait sur le point de pleuvoir, alors on peut dire qu'ils l'avaient Ă©chappĂ© belle.<br /> â Pfiou, dieu merci, on est arrivĂ©s Ă temps, dit la fille, visiblement soulagĂ©e.<br /> â Ouais. Il ne pleut pas encore, mais je crois qu'on devrait ĂȘtre tranquilles ici.<br /> Il jeta un Ćil en direction de l'entrepĂŽt derriĂšre lui.<br /> Le bĂątiment en tĂŽles, qui se tenait au milieu d'une verdure sans fin, n'Ă©tait en fait pas si grand que ça. En termes de taille et de forme, il Ă©tait similaire Ă un petit gymnase.<br /> Devant se trouvait une porte coulissante en mĂ©tal par laquelle pouvait transiter toutes sortes d'objets de taille plus ou moins importante, mais comme le bĂątiment en lui-mĂȘme, elle Ă©tait dĂ©vorĂ©e par la rouille. Ă vue de nez, l'endroit n'Ă©tait pas trĂšs entretenu. Normalement, on se serait attendu Ă trouver au moins l'enseigne de la sociĂ©tĂ© propriĂ©taire du lieu, mais il n'y avait rien qui y ressemble, alors il y avait de fortes chances pour que personne n'utilisait cet entrepĂŽt Ă ce moment-lĂ .<br /> AprĂšs avoir Ă©teint le moteur et retirĂ© son casque, un gros camion Ă cĂŽtĂ© de l'entrepĂŽt attira son regard.<br /> GarĂ© le long du bĂątiment dĂ©crĂ©pi de la tĂȘte au pied qui semblait sur le point d'ĂȘtre rĂ©duit en poussiĂšre d'une seconde Ă l'autre, le camion avait un container argentĂ© accrochĂ© Ă lui. Il Ă©tait en bien meilleur Ă©tat que le reste de l'endroit et n'Ă©tait pas visible depuis la route, car garĂ© sous un auvent.<br /> â ... Il y a un camion. On dirait qu'on va pouvoir mettre la main sur un peu d'essence.<br /> â Pourquoi ne pas prendre le camion ? Un voyage avec la clim, ça serait le pied !<br /> â Mais oui. T'as cru que j'avais le permis camion ? dit le garçon avec un sourire narquois, puis il mit la bĂ©quille de la moto aprĂšs l'avoir dĂ©placĂ©e plus prĂšs du bĂątiment, afin qu'elle ne soit pas trop mouillĂ©e par la pluie.<br /> Bien entendu, il avait fait attention Ă vĂ©rifier l'Ă©quilibre du tout du fait de leurs bagages fragiles.<br /> â On s'en fout d'avoir le permis. On nâa pas croisĂ© le moindre bonhomme en uniforme, ni mĂȘme de voiture de police pendant notre voyage. Et puis, aucun de nous deux n'a le permis moto non plus et on conduit quand mĂȘme une Super Cub.<br /> â Ce que je veux dire, c'est que j'ai pas la moindre idĂ©e de comment ça se conduit ! Ce truc a rien Ă voir avec une mobylette oĂč tu peux te dĂ©brouiller Ă partir du moment oĂč tu sais conduire un vĂ©lo. Tu crois vraiment que je vais pouvoir conduire un quatre tonnes comme ça alors que j'ai encore jamais mis les pieds dans un seul d'entre eux de toute ma vie ?<br /> â Dans ce cas, demande Ă quelqu'un qui sait de t'apprendre, dit la fille, lĂ©gĂšrement intimidĂ©e.<br /> Le garçon haussa les Ă©paules.<br /> â Bien entendu. Le jour oĂč on rencontrera quelquâun qui sait ça.<br /> â Eh bien, lĂ ! dĂ©clara-t-elle, attirant le regard du garçon dans sa direction.<br /> Un air incrĂ©dule se lisait sur son visage.<br /> â Regarde, des empreintes de pas, dit la fille, tout en pointant du doigt les traces Ă ses pieds. <br /> Les empreintes sĂšches semblaient diffĂ©rentes de celles de leurs baskets et il y en avait un peu partout sur le sol.<br /> â Ă en juger par la taille, c'est un homme. Il semble porter des chaussures de sport, alors il est vraisemblable qu'il ait notre Ăąge. Ă vue de nez, je dirais que ces empreintes datent du dernier orage, il y a deux semaines.<br /> â ... En gros, il y avait quelqu'un ici y'a pas longtemps et peut-ĂȘtre qu'il est toujours dans le coin ?<br /> â Exactement ! Alors qu'est-ce que tu dis de ça ? C'est ce que j'appelle un raisonnement Ă la Sherlock Holmes dans toute sa splendeur.<br /> Elle prit ses grands airs, tout en posant ses mains sur ses hanches, tandis que le garçon poussa un soupir.<br /> â ... Mais s'il a notre Ăąge, y'a peu de chances qu'il sache conduire un camion, non ?<br /> â ...<br /> La fille se figea sur place.<br /> â Et puis, si ces traces de pas Ă©taient celles d'un adulte qui sait conduire un camion, tu crois vraiment qu'il aurait abandonnĂ© celui-lĂ ici ?<br /> Elle resta sans voix.<br /> MĂȘme la fille savait Ă quel point il Ă©tait risquĂ© d'abandonnĂ© son vĂ©hicule au milieu de cette terre barbare... Non, disons plutĂŽt cette terre « immense ».<br /> Bien sĂ»r qu'elle le savait ! Comment pourrait-elle oublier leurs dĂ©boires avec le moteur de Cubby qui les avait lĂąchĂ©s quelques jours auparavant ?<br /> â Bah, si on a de la chance, on pourra au moins rĂ©cupĂ©rer un peu d'essence. Mais il me semble que les camions de ce genre roulent au diesel, alors y'aura-t-il de l'essence ?<br /> â ........<br /> Sa bouche Ă©tait toujours fermĂ©e. Apparemment, le fait que son raisonnement se retrouve entiĂšrement dĂ©montĂ© point par point ne lui faisait pas vraiment plaisir.<br /> Il tourna le dos Ă sa boudeuse de partenaire et se mit Ă crier :<br /> â HĂ©hooooooo ? Y'a quelqu'un ?<br /> Aucune rĂ©ponse. Les murs Ă©taient faits en tĂŽle, alors il y avait de grandes chances pour que sa voix puisse les pĂ©nĂ©trer sans problĂšme.<br /> â Bon, et si on entrait, tant qu'il pleut pas encore ? Et puis, peut-ĂȘtre qu'on trouvera un bĂąton qui pourra faire office de batte pour Ă©clater la pastĂšque.<br /> <br /> Un Ă©norme grincement se fit entendre Ă l'ouverture de la porte.<br /> Ils choisirent d'entrer par la grande porte qui semblait avoir Ă©tĂ© conçue pour faire passer divers objets de grande taille. Il Ă©tait difficile pour le garçon de l'ouvrir Ă mains nues, mais la porte principale juste Ă cĂŽtĂ© Ă©tait scellĂ©e avec des barbelĂ©s enroulĂ©s autour de la poignĂ©e et la porte arriĂšre Ă©tait fermĂ©e. Par consĂ©quent, c'Ă©tait la seule entrĂ©e possible. Bien entendu, ils auraient trĂšs bien pu se contenter de casser une fenĂȘtre, mais ils n'avaient pas envie d'en arriver Ă de telles extrĂ©mitĂ©s.<br /> Ils ignoraient si la porte scellĂ©e Ă©tait du fait des « habitants », mais Ă en juger par la rouille qui recouvrait les barbelĂ©s, elle ne semblait pas avoir Ă©tĂ© ouverte depuis des mois.<br /> Mais, la mĂȘme chose pouvait s'appliquer Ă la porte coulissante. Cela devint une Ă©vidence quand de la rouille commença Ă tomber du haut de la porte Ă mesure que le garçon l'ouvrait avec difficultĂ© en poussant de ses mains et de ses pieds.<br /> Et donc, celle-ci ne semblait pas ĂȘtre utilisĂ©e trĂšs souvent non plus. Le propriĂ©taire des lieux devait sĂ»rement utiliser la porte arriĂšre.<br /> â Eeeet... voilĂ ...!<br /> Dans le mĂȘme temps, de la rouille pleuvait sur sa tĂȘte.<br /> Il finit par rĂ©ussir Ă ouvrir la porte en enfonçant son Ă©paule et ses jambes dans l'entrebĂąillement qu'il avait rĂ©ussi Ă crĂ©er. Comme quoi, l'usage de la force n'est pas un moindre mal de temps en temps.<br /> â Bon, eh bien voilĂ ... HĂ©hooooooo ? Y'a quelqu'un ?<br /> La fille entra dans l'entrepĂŽt sans mĂȘme essayer de comprendre le mal qu'il s'Ă©tait donnĂ© pour ouvrir la porte. En ce qui le concernait, il Ă©tait en train d'Ă©tirer ses jambes sur le sol et haletait fortement. Et la cerise sur le gĂąteau Ă©tait la rouille qui le recouvrait de la tĂȘte aux pieds.<br /> De ce qu'ils pouvaient voir, il n'y avait aucun trou par lequel la pluie pouvait pĂ©nĂ©trer et le bĂątiment semblait suffisamment solide pour supporter l'orage. Il faisait Ă©galement assez frais, donnant un sentiment gĂ©nĂ©ral de « confort » â en faisant abstraction du reste ! HĂ©las, en raison de l'odeur nausĂ©abonde de moisissure et de l'atmosphĂšre sombre et lugubre qu'il y rĂ©gnait, ils leur Ă©taient parfaitement impossible de qualifier cet endroit de « confortable ».<br /> Vu de dehors, on aurait dit un simple bĂątiment de tĂŽles, mais ce n'Ă©tait pas exactement le cas. Alors que le sol avait Ă©tĂ© laissĂ© tel quel, des isolants thermiques avaient Ă©tĂ© utilisĂ©s pour le plafond et il y avait Ă©galement des lampes fluorescentes, Ă©teintes pour le moment. Il y avait mĂȘme des hottes de refroidissement sĂ»rement Ă des fins de travail.<br /> En tous les cas, cet endroit Ă©tait mille fois mieux que camper dehors. Et c'est pourquoi ils dĂ©cidĂšrent de se servir de l'entrepĂŽt comme toit pour la nuit.<br /> Tout en s'Ă©poussetant la rouille qu'il avait sur les mains, le garçon regarda autour de lui.<br /> â On dirait bien que ce bĂątiment ne sert pas d'entrepĂŽt.<br /> â Comment ça ?<br /> Tout en dĂ©tachant ses cheveux â elle utilisait un Ă©lastique parce qu'ils pouvaient gĂȘner sinon â elle se tourna vers le garçon.<br /> â Est-ce que tu vois la moindre marchandise ici ? Ou ne serait-ce qu'une trace ? Tout ce qu'il y a ici...<br /> Il parlait des objets assez inhabituels que l'on pouvait voir ici et lĂ . Par exemple, il y avait des sortes de points de fixation artisanaux. Sur des bureaux, des Ă©tablis apparemment, il y avait des outils bien, bien meilleurs que ceux qu'il possĂ©dait, et divers ustensiles Ă la forme Ă©trange ainsi que des instruments de mesure.<br /> Dans l'ensemble, c'est comme s'ils servaient Ă quelque chose de bien particulier.<br /> Oui, c'Ă©tait comme si...<br /> â ... Un garage ?<br /> â Ouais. Je pense que ces outils servent Ă la maintenance ou l'assemblage de quelque chose.<br /> Tous les outils Ă©taient orientĂ©s en direction des points de fixation au centre de la piĂšce et le tout dĂ©gageait une certaine cohĂ©rence. Le garçon ignorait ce qui Ă©tait censĂ© y ĂȘtre attachĂ©, mais il avait le sentiment que cet endroit devait avoir Ă©tĂ© arrangĂ© de façon Ă permettre Ă beaucoup de gens de travailler sur un mĂȘme objet.<br /> <br /> â Qui est lĂ ?<br /> <br /> Les deux furent surpris par la soudaine voix et orientĂšrent rapidement leur regard de l'autre cĂŽtĂ© de l'entrepĂŽt, et une fois encore, ils n'Ă©taient pas au bout de leur surprise.<br /> â Tss...! Vous ĂȘtes pas gĂȘnĂ©s, vous, Ă ouvrir la porte des gens et Ă vous installer chez eux sans permission... Qu'est-ce que vous foutez chez moi ?<br /> <br /> Il devait avoir dans les vingt-cinq ans. Il portait un simple pantalon et un T-shirt, et sans aller jusqu'Ă dire qu'il avait un corps d'Apollon, on sentait qu'il Ă©tait sportif.<br /> Mais.<br /> Mais ce qui les choqua plus encore Ă©tait son visage.<br /> Il Ă©tait d'un blanc pur. La dĂ©coloration du directeur n'avait rien Ă voir avec celle-ci. Tout ce qu'on pouvait voir de sa peau Ă©tait complĂštement blanc, comme s'il sortait tout droit d'une photo en noir et blanc.<br /> Non, Ă©tant donnĂ© qu'il y avait des contrastes, il serait inappropriĂ© de dire blanc pur. Il lui manquait tellement de couleurs qu'on avait l'impression de le regarder Ă travers un filtre monochromatique.<br /> â Bah quoi ? C'est si rare les visages comme le mien ?<br /> â ... Oui, assez. C'est la premiĂšre fois que je vois quelqu'un chez qui c'est allĂ© aussi loin...<br /> â Je suis pas une bĂȘte de foire. Alors dĂ©gagez si vous avez rien Ă voir avec moi.<br /> â Oh, en fait, si. On dirait qu'il va bientĂŽt pleuvoir et notre moto ne pourra pas nous mener bien loin. Pourriez-vous nous laisser passer la nuit ici ? Ah, et pourrions-nous Ă©galement vous emprunter un bĂąton ou quelque chose du genre qui pourrait servir Ă Ă©clater une pastĂšque ?<br /> L'homme fronça les sourcils.<br /> â ...... Un bĂąton ?<br /> â Oui. Une gentille personne que nous avons rencontrĂ©e en chemin nous a offert une Ă©norme pastĂšque, mais nous n'arrivons pas Ă mettre la main sur de quoi lâĂ©clater, vu que nous nous sommes dit qu'il serait plus amusant de faire comme ça. Malheureusement, nous n'avons pas ce qu'il faut dans nos affaires, dit la fille d'une traite avec un sourire parfaitement mielleux tandis que l'homme la fixa du regard quelques instants d'un air suspicieux.<br /> â ... Servez-vous, vous pouvez prendre ce que vous voulez, mais pas touche aux trucs dont je me sers ! dit-il, aprĂšs qu'il eut abandonnĂ©, et prit congĂ© d'eux en se dirigeant vers un lit qui Ă©tait installĂ© au fond de la piĂšce.<br /> Apparemment, il utilisait un coin de l'entrepĂŽt, qu'il avait isolĂ© du reste, comme une salle de repos.<br /> La fille poussa un lĂ©ger soupir et se tourna vers le garçon.<br /> <br /> â T'as entendu le monsieur, ''Garçon'' ? Profitons de sa gĂ©nĂ©rositĂ© et allons chercher un bĂąton.<br /> â O-Ouais...<br /> Un frisson lui ayant parcouru le dos, il se joignit aux recherches. Il faut dire que son sourire insistant laissait supposer qu'elle ne lui laissait pas le choix.<br /> AprĂšs tout, il Ă©tait prĂ©fĂ©rable de ne pas la dĂ©fier dans ces moments-lĂ .<br /> Pour commencer, les deux se dirigĂšrent vers une rangĂ©e de rails, oĂč Ă©taient stockĂ©s des outils et d'autres choses, et commencĂšrent Ă chercher un objet qui pourrait faire l'affaire.<br /> â ''Garçon'' ? Qu'est-ce que tu dis de ça ?<br /> â T'as l'intention de couper une pastĂšque avec une clĂ© anglaise ? ... Et, en plus de ça, c'est beaucoup trop court.<br /> â Et ça alors ?<br /> â Un marteau, hein... Tu veux en faire de la bouillie ou quoi ?!<br /> â Mmmhh... Dans ce cas, ça sera ça.<br /> â Qu'est-ce que t'as l'intention de faire avec un dĂ©nudeur ?<br /> Le garçon Ă©tait un poil estomaquĂ© par la fille qui lui montrait tous les objets qui lui tombaient sous la main.<br /> Mais il remarqua que lĂ aussi, les outils Ă©taient un peu Ă©tranges.<br /> Il y en avait de toutes sortes, mais ils Ă©taient tous assez petits. Il pensait pouvoir trouver des boulons et des Ă©crous de diffĂ©rentes tailles, mais mĂȘme les plus gros Ă©taient bien plus petits que les standards.<br /> <br /> L'homme Ă©tait assis sur une chaise en tubes d'acier et les regardait avec des yeux ternes alors qu'ils s'activaient dans leurs recherches.<br /> â ... Hmph. Une virĂ©e en amoureux hein ? Rien Ă foutre de l'Ă©cole, c'est ça ? Les jeunes de nos jours...<br /> La fille avait trĂšs bien entendu le marmonnement derriĂšre elle.<br /> Sans arrĂȘter ses gestes maladroits, elle s'aventura dans une contre-attaque avec une petite voix.<br /> â Vraiment ? Je pense que c'est toujours mieux que d'ĂȘtre un poivrot incapable de tenir sur ses deux jambes Ă cette heure de la journĂ©e.<br /> La tension monta d'un cran. Il l'avait parfaitement entendue.<br /> â ... Comme si une gamine comme toi pouvait me comprendre...<br /> â Oh, mais je crois pouvoir vous comprendre au moins un tout petit peu !<br /> Elle se leva rapidement et se tourna vers lui â elle lui lança quelque chose si rapidement qu'il Ă©tait impossible de savoir ce que c'Ă©tait.<br /> L'objet qui avait atterri aux pieds de l'homme avec ses pages ouvertes voltigeant dans les airs Ă©tait sans aucun doute son carnet d'Ă©tudiant, qu'elle gardait toujours sur elle.<br /> â Regardez bien la premiĂšre page.<br /> â ........ Ă quoi bon...<br /> L'homme ramassa le carnet Ă contrecĆur mais Ă©carquilla les yeux quand il l'ouvrit â comme s'il voyait quelque chose qui n'avait pas de sens.<br /> La photo qui Ă©tait collĂ©e en premiĂšre page Ă©tait tellement dĂ©colorĂ©e qu'il Ă©tait difficile de dire s'il y avait quelque chose dessus.<br /> Son nom et son numĂ©ro d'Ă©tudiant avaient entiĂšrement disparu, ce qui montrait que cela faisait un certain temps qu'elle avait commencĂ© à « disparaĂźtre ».<br /> L'homme Ă©carquilla ses yeux encore plus.<br /> â Mes symptĂŽmes ne sont pas aussi poussĂ©s que les vĂŽtres, mais ce n'est qu'une question de temps si vous voulez mon avis ! se vanta-t-elle pour une obscure raison, ce aprĂšs quoi l'homme la regarda bizarrement, mĂȘme s'il dĂ©tourna le regard presque immĂ©diatement aprĂšs.<br /> â .... Hmph. C'est vraiment juste un peu...<br /> â Que...!<br /> Pour l'empĂȘcher de riposter, il lui rendit son carnet en le lui lançant et leur tourna le dos.<br /> â ..... Vous feriez mieux de manger cette pastĂšque en vitesse et de dĂ©gager d'ici.<br /> Sur ces mots, il se leva, tira le rideau et disparut de leur champ de vision.<br /> <br /> <div style="text-align: center;">â±</div><br /> <br /> Leurs recherches s'avĂ©rĂšrent bien plus difficiles que prĂ©vues ; la montre indiquait dix-neuf heures quand ils quittĂšrent l'entrepĂŽt abandonnant leurs recherches Ă l'intĂ©rieur.<br /> Il ne pleuvait toujours pas, mais comme il n'y avait pas de soleil, il faisait tellement sombre dehors que personne ne pouvait rien faire sans lampe.<br /> â Raaah !! Pour qui il se prend, ce vieillard ivrogne ?!<br /> â Ătant donnĂ© son Ăąge, « vieillard » est un peu fort, tu trouves pas ?<br /> â Quoi ? T'es de son cĂŽtĂ© maintenant ?<br /> Le garçon esquissa un sourire narquois, en la voyant donner un coup de pied dans un poteau de l'entrepĂŽt en forme de H pour se dĂ©fouler.<br /> â Tu peux dire ce que tu veux, mais... il nous laisse bien lui emprunter un bĂąton quand mĂȘme.<br /> â En attendant, toujours aucun signe de ce fichu bĂąton ! C'est pour ça que je t'avais dit de prendre ce truc lĂ -bas.<br /> â Mais ce « truc » comme tu l'appelles, c'est le tuyau d'Ă©vacuation de la clim. Et elle marchera plus trĂšs bien si on enlĂšve ça !<br /> â Et alors, qu'est-ce qu'on s'en fout ?<br /> â Dis pas ça ! dit le garçon en rigolant et en se saisissant de deux lampes de poche qui Ă©taient dans le sac attachĂ© Ă la Super Cub, avant dâen tendre une Ă la fille.<br /> â Comment se porte notre pastĂšque ? marmonna-t-il avant de tapoter cette derniĂšre avec un doigt.<br /> Elle rĂ©pondit par un merveilleux son Ă©touffĂ© ; elle Ă©tait parfaitement mĂ»re. On pouvait sans aucun doute affirmer qu'il leur restait jusqu'au lendemain pour la manger dans les meilleures conditions. Ce aprĂšs quoi, elle allait ĂȘtre trop mĂ»re. S'ils ne trouvaient rien d'ici lĂ , ils allaient devoir la couper Ă la main.<br /> Soudain, le garçon se rappela du camion qui Ă©tait garĂ© Ă cĂŽtĂ© de l'entrepĂŽt.<br /> Il s'arrĂȘta un moment pour rĂ©flĂ©chir et remonta la fermeture Ă©clair du sac.<br /> â Alors au final, qu'est-ce qu'on fait maintenant ?<br /> â Mh... Et si on allait jeter un Ćil Ă ce camion ?<br /> â Le camion ? Ah, celui qui est dehors ?<br /> â Il y a des chances pour qu'il y ait des choses dedans, dĂ©clara-t-il â l'air sĂ»r de lui, au grand Ă©tonnement de la fille qui le suivit dâun air perplexe.<br /> AprĂšs qu'ils eurent refermĂ© la porte rouillĂ©e en se dirigeant vers le camion, le rideau de la salle de repos bougea lĂ©gĂšrement.<br /> <br /> Comme il faisait vraiment trop sombre, le garçon alluma sa lampe.<br /> Vu de loin, il avait vraiment l'impression que c'Ă©tait un camion normal, mais une fois devant, il Ă©tait en fait bien plus grand que prĂ©vu.<br /> Le container argentĂ© contrastait vraiment avec l'Ă©tat dĂ©labrĂ© de l'entrepĂŽt. Le fait que les roues du camion Ă©taient Ă peine sales montrait que ce dernier n'Ă©tait pas souvent utilisĂ©.<br /> â On dirait que c'est un camion de location. Tu vois ce caractĂšre sur la plaque<ref>Au Japon, la plupart des voitures de location ont le caractĂšre ă sur leur plaque.</ref> ? dit la fille en pointant cette derniĂšre du doigt.<br /> â Mh, c'est lui qui l'a louĂ© ? Je me demande bien pourquoi.<br /> â Bah, sĂ»rement pour transporter quelque chose. Mais je suis sĂ»re que la date de fin de location est dĂ©jĂ dĂ©passĂ©e. Ce type est un voleur, c'est moi qui te le dis.<br /> Ils l'examinĂšrent sommairement, tout en faisant le tour, puis se rendirent compte qu'au moins, le container n'Ă©tait pas fermĂ©.<br /> MĂȘme s'ils ignoraient ce qu'il y avait Ă l'intĂ©rieur, ils pouvaient tenter de le deviner. AprĂšs tout, c'Ă©tait un camion de location garĂ© le long d'un entrepĂŽt arrangĂ© pour y monter quelque chose.<br /> â ... Alors... Ă l'intĂ©rieur, il y a quelque chose qui Ă©tait dans l'entrepĂŽt ?<br /> â Je pense. S'il n'est plus dans l'entrepĂŽt, c'est qu'il doit ĂȘtre lĂ , expliqua-t-il en attrapant simplement la poignĂ©e du container.<br /> Il sauta sur la marche et tira la poignĂ©e aussi fortement que possible, ce aprĂšs quoi la double porte s'ouvrit avec un lĂ©ger grincement.<br /> Le garçon avait failli tomber parce qu'il avait utilisĂ© trop de force, mais il rĂ©ussit plus ou moins Ă se rattraper en se tenant Ă la porte.<br /> <br /> â ......... Hein ? C'est quoi ça ?<br /> â ... Ce doit ĂȘtre...<br /> <br /> Le garçon en restait bouche bĂ©e. Non pas parce qu'il Ă©tait déçu, mais parce que justement son contenu dĂ©passait ses attentes.<br /> Les deux se hissĂšrent jusqu'au container comme s'ils Ă©taient irrĂ©sistiblement attirĂ©s par ce dernier.<br /> La lumiĂšre froide de sa lampe torche Ă©clairait le container et Ă©tait rĂ©flĂ©chie par le film translucide qu'il y avait sur une longue planche. MĂȘme si l'objet, qui Ă©tait constituĂ© de matĂ©riaux de couleur blanc neige, Ă©tait extrĂȘmement petit, sa longueur Ă©tait telle qu'il remplissait toute la place du container du camion quatre tonnes.<br /> Dans cet harmonieux jeu d'ombres et lumiĂšres, le simple mais trĂšs sophistiquĂ© film et ses courbes artistiques Ă©taient la grĂące incarnĂ©e.<br /> â ..... Touchez pas à ça.<br /> Ils se tournĂšrent immĂ©diatement et aperçurent l'homme.<br /> La fille Ă©tait quelque peu déçue parce qu'elle s'attendait Ă une nouvelle prise de bec comme lors de leur rencontre. Elle descendit du camion, mais pour une raison ou une autre, le garçon n'en fit pas de mĂȘme.<br /> L'homme se tourna vers lui et lui dĂ©cocha un regard louche.<br /> â ... Tu sais ce que c'est ?<br /> â Oui. C'est un avion Ă propulsion humaine. Pour de longues distances en plus de ça, rĂ©pondit-il briĂšvement, faisant perdre sa langue Ă l'homme.<br /> Oui. Cet objet extrĂȘmement long en forme de planche Ă©tait en fait l'aile principale d'un avion Ă propulsion humaine. La transparence Ă©tait due au fin film polymĂšre qui Ă©tait collĂ© Ă sa surface, afin d'augmenter son aĂ©rodynamisme.<br /> L'objet aurait dĂ» ĂȘtre noir du fait de sa composition en polymĂšre renforcĂ© de fibres, mais celui-ci Ă©tait blanc.<br /> â ... Exact. Il Ă©tait censĂ© participer au vol en huit au Pas-de-Calais.<br /> â Trop fort !<br /> Le garçon se tourna Ă nouveau vers l'intĂ©rieur.<br /> Un avion Ă propulsion humaine classique a une envergure moyenne de trente mĂštres, mais une seule des ailes de celui-ci faisait dĂ©jĂ dans les vingt mĂštres. C'Ă©tait sans conteste un avion longue distance.<br /> â ... Alors cet entrepĂŽt servait Ă assembler cet avion..., dit la fille en soupirant, avant de s'Ă©loigner du camion maintenant qu'elle avait tout compris.<br /> Cependant, un dĂ©tail la turlupinait et elle s'arrĂȘta.<br /> â ...? Hein ? Pourquoi l'assembler dans un endroit aussi Ă©loignĂ© ? Vous aviez quand mĂȘme pas l'intention de voler du Japon jusqu'en Angleterre, si ?<br /> â C'Ă©tait juste pour un vol d'essai. Le Pas-de-Calais est situĂ© entre l'Angleterre et la France, alors c'est pas Ă©vident d'obtenir un permis de voler. Je suis pas assez fou pour me rendre Ă un truc pareil sans m'entraĂźner avant, rĂ©pondit-il en se grattant lĂ©gĂšrement la tĂȘte.<br /> â ... Pourquoi est-ce qu'il est toujours en piĂšces dĂ©tachĂ©es alors ?<br /> â ... C'est parce que tous mes collĂšgues ont disparu le jour mĂȘme oĂč on est arrivĂ©s ici, murmura-t-il, laissant la fille sans voix. Alors que le projet Ă©tait Ă moitiĂ© terminĂ©, tous les membres furent touchĂ©s chacun leur tour par la maladie. Presque tous avaient quittĂ© leur job, vu que la plupart en avait un, et on continuait Ă travailler sur le projet en utilisant l'argent qu'on avait mis de cĂŽtĂ© pour nos vieux jours. Bah, au final, on aura juste rĂ©ussi Ă terminer les diffĂ©rentes piĂšces de l'avion..., continua-t-il avec un ton indiffĂ©rent, alors que la fille avait inconsciemment dĂ©tournĂ© le regard. Je suis le dernier Ă avoir chopĂ© cette saloperie et donc le dernier encore en vie. Et il doit pas me rester bien longtemps... HĂ©, gamin, quand est-ce que tu vas descendre de lĂ ?<br /> Mais le garçon ne semblait pas ĂȘtre de cet avis.<br /> â ... Vous n'allez pas le faire voler ?<br /> Il regardait l'homme du haut de la plateforme du camion.<br /> â C'est pas que je veux pas, c'est que je peux pas. Comment est-ce que je pourrais monter ce truc tout seul, hein ? Et puis, c'est pas vos oignons.<br /> <br /> Le garçon poussa un long soupir, puis dit :<br /> â Ok. Dans ce cas, on peut s'en servir pour couper notre pastĂšque alors, non ?<br /> <br /> Il venait de dire quelque chose de complĂštement aberrant.<br /> â Hein ?!<br /> La premiĂšre personne Ă douter de sa raison mentale par un cri de stupeur fut la fille.<br /> â T'as pas Ă©coutĂ© ce qu'il vient juste de dire ?! ''Garçon'' ! C'est quelque chose de trĂšs important pour lui ! C'est le fruit de la collaboration entre cet ivrogne et ses collĂšgues !<br /> â Mais c'est plus qu'un tas de ferraille si personne ne va l'utiliser, non ?<br /> La fille pouvait virtuellement ressentir la colĂšre qui envahissait l'homme Ă cĂŽtĂ© d'elle. Sa gorge se noua et elle fit un pas en arriĂšre.<br /> â Gamin... Est-ce que tu peux au moins ne serait-ce qu'imaginer la quantitĂ© de travail que ça nous a demandĂ©...?<br /> â Pas vraiment ! Mais je sais que fabriquer un truc aussi incroyable sans le moindre soutien financier est loin d'ĂȘtre Ă©vident.<br /> â Alors pour-...<br /> Le garçon lui coupa la parole :<br /> â Mais pourtant, vous n'allez pas le faire voler, n'est-ce pas ? Vous avez vous-mĂȘme dit qu'on pourrait utiliser tout ce qui ne vous sert Ă rien. Et vous ne l'utilisez pas, je me trompe ?<br /> L'homme resta de marbre.<br /> â Au final, qu'on y touche ou pas, ça reviendra exactement au mĂȘme vu que tout votre dur labeur aura Ă©tĂ© pour rien ! Si de toute façon, vous allez le laisser pourrir ici, autant qu'on s'en serve pour notre pastĂšque.<br /> â ..... Raconte pas de conneries !<br /> Surprise par son accĂšs de colĂšre, la fille fit un nouveau pas en arriĂšre. Bien que sa devise Ă©tait « Une dispute ? GĂ©nial ! Me voilĂ ! », elle n'Ă©tait pas trop faite pour les attaques qui reposaient sur la logique.<br /> Le garçon, quant Ă lui, Ă©tait bien meilleur qu'elle pour frapper son adversaire lĂ oĂč ça fait mal.<br /> â Des conneries ? Vraiment ? Je pense que la connerie ici, c'est de laisser moisir cet avion dans ce camion jusqu'Ă la fin des temps. Il ne va pas se bonifier comme du bon vin, aprĂšs tout.<br /> Il arborait un sourire machiavĂ©lique au contraire de l'homme, dont le visage Ă©tait contorsionnĂ©.<br /> â ... Dans ce cas... qu'est-ce que je suis censĂ© faire, hein ?!<br /> â Ben, par exemple... Est-ce que ça serait pas mieux de l'utiliser ce pour quoi il a Ă©tĂ© conçu ?<br /> â ... Quoi...?<br /> â Faisons-le voler !<br /> L'homme resta coi â la fille Ă cĂŽtĂ© de lui arborait un visage mĂȘlant surprise et confusion.<br /> Le ton provocateur du garçon avait soudainement disparu et il continuait Ă sourire comme s'il parlait Ă un bon ami :<br /> â Vous avez besoin d'aide pour l'assembler, pas vrai ? Vous nâĂȘtes plus seul maintenant, on est trois !<br /> L'homme desserra son poing et dirigea son regard vers l'avion dans le container.<br /> â ........ T'es en train de me dire de voler dans ce truc tout seul, malgrĂ© la disparition de mes collĂšgues...? murmura-t-il.<br /> Le garçon sourit malicieusement.<br /> â Ăvidemment. Il a Ă©tĂ© conçu pour une seule personne de toute façon. Vous faites vous aussi partie de cette Ă©quipe, pas vrai ?<br /> â ........ C'est trop tard pour se rendre Ă Douvres maintenant. Alors ça ne sert plus Ă rien de le faire voler, tu sais...<br /> â Mh, voyons voir... La vitesse de disparition varie d'une personne Ă l'autre... mais vous ĂȘtes clairement en phase terminale. De toute façon, ça aurait dĂ©jĂ pas Ă©tĂ© de la tarte de se rendre Ă Douvres vu la situation actuelle, mĂȘme avec une bonne dose de chance.<br /> â On Ă©tait allĂ©s aussi loin... parce qu'on voulait battre le record de traversĂ©e du Pas-de-Calais... Voler ici ne battrait aucun record... Et mĂȘme si ça avait Ă©tĂ© le cas, j'aurais emportĂ© ce record avec moi au moment de ma disparition...<br /> Il semblait plus parler Ă lui-mĂȘme qu'au garçon.<br /> â Je vois. Mais pourquoi abandonner ses plans pour le lendemain juste parce qu'on risque de mourir le surlendemain ? On va le faire ce vol d'essai, comme prĂ©vu !<br /> â MĂȘme s'il restera un simple vol dâessai ?<br /> â Oui. C'est mille fois mieux que de tout abandonner.<br /> Le garçon descendit de la plateforme et se tint Ă cĂŽtĂ© de la fille.<br /> â ... Et qu'est-ce que vous auriez Ă y gagner...?<br /> â Hum... En Ă©change de notre aide, nous vous demandons de partager un peu de votre essence et de votre nourriture avec nous, rĂ©pondit le garçon sans rĂ©flĂ©chir bien longtemps â Ă la grande surprise de l'homme.<br /> â ... Je vois. Alors vous n'allez pas le faire gratuitement.<br /> Puis, pour la premiĂšre fois, il esquissa un sourire.<br /> <br /> Il avait Ă peine bougĂ© ses muscles faciaux, alors on ne pouvait pas vraiment appeler ça un sourire, mais c'Ă©tait le premier qu'ils voyaient de sa part depuis qu'ils l'avaient rencontrĂ©.<br /> <br /> <div style="text-align: center;">â±</div><br /> <br /> â On dirait que tu nous as trouvĂ© du travail sans avoir demandĂ© mon avis, hein ?<br /> â Je... Je suis dĂ©solĂ© !<br /> Il s'Ă©tait prĂ©parĂ© Ă prendre quelques coups, mais ce fut finalement encore pire. La fille avait glissĂ© son bras droit sous le sien et pressait trĂšs fort contre ses cĂŽtes.<br /> â Maintenant, Ă©coute bien. Contrairement Ă toi, j'y connais rien aux avions, alors en assembler un, n'en parlons mĂȘme pas. PigĂ© ?<br /> â B-Bah, moi non plu-... AĂŻeeeeeeeeeeuh !!<br /> â Mais je dis pas non plus que ça m'intĂ©resse pas, tu sais.<br /> Le garçon fut alors libĂ©rĂ© de sa terrible torture. Alors qu'il tomba par terre tout en toussant, elle lui murmura avec un sourire :<br /> â Ouais, ça c'est quelque chose... un avion...<br /> <br /> Les deux allĂšrent jusqu'Ă leur moto et commencĂšrent Ă prĂ©parer ce dont ils allaient avoir besoin pour manger et dormir. Vu qu'ils avaient perdu beaucoup de temps Ă chercher un bĂąton, il Ă©tait assez tard.<br /> Heureusement, l'orage s'Ă©tait un peu calmĂ© et il nâavait toujours pas plu. La chorale bruyante des insectes qui se cachaient dans les herbes autour de l'entrepĂŽt avait visiblement pris fin ; ils avaient semble-t-il dĂ©cidĂ© de reprendre leur souffle.<br /> â Tu m'as bien surpris, ''Fille''. Alors comme ça, tu t'intĂ©resses aux avions ?<br /> â Bah, pas plus que ça. J'en ai vu qu'un seul dans ma vie, quand j'Ă©tais en voyage.<br /> â Un voyage scolaire ?<br /> â Nan. Un voyage en famille. Vers une Ăźle du sud.<br /> â Je vois... C'Ă©tait comment ?<br /> Il Ă©tait difficile de dire s'il demandait ses impressions sur l'Ăźle ou sur le vol, mais la fille considĂ©ra que c'Ă©tait la deuxiĂšme option.<br /> â Oh eh bien... Je ne pouvais mĂȘme pas voir dehors parce que j'Ă©tais assise tout au milieu ! En plus de ça, il y avait des passagers qui avaient peur de voler. Alors imagine l'agitation qu'il y avait.<br /> â Aah... Pas de bol. C'est vraiment dommage.<br /> â Ouais, exactement. Je veux pas paraĂźtre mĂ©chante, mais grĂące Ă un passager qui ne voulait pas arrĂȘter de crier, je suis restĂ©e plutĂŽt calme tout le long du vol ! dit-elle avec un sourire en coin avant de se saisir d'une couverture.<br /> â MĂȘme si ça me fait de la peine pour cette personne qui a dĂ» prendre l'avion tout en en ayant peur.<br /> â Pas faux.<br /> Un sourire s'Ă©chappa de ses lĂšvres quand elle se remĂ©mora le souvenir vague mais cocasse de ce jour-lĂ .<br /> ''Je me demande...''<br /> ''S'il y a toujours des gens sur cette Ăźle.''<br /> ''Est-ce que les gens plein de joie et les magnifiques filles du casino se portent bien ?''<br /> <br /> â DĂ©solĂ© de vous dĂ©ranger en pleine rĂ©flexion, mais vous aurez mĂȘme pas le loisir de vous en faire pour la peur de l'altitude quand vous serez sur cet avion.<br /> Ils se retournĂšrent en entendant la voix derriĂšre eux.<br /> â AprĂšs tout, il faut produire sa propre Ă©nergie cinĂ©tique ici. Si on pĂ©dale pas comme un tarĂ© avant de se faire dessus, c'est le crash assurĂ©.<br /> Il leur fallut quelques secondes pour se rendre compte que c'Ă©tait l'homme.<br /> Il avait rasĂ© sa barbe dĂ©braillĂ©e et avait troquĂ© son T-shirt sale contre un nouveau. MĂȘme ses cheveux, qui Ă©taient courts Ă la base, avaient l'air soignĂ©, maintenant qu'il s'Ă©tait apparemment coiffĂ© avec un peigne.<br /> Pour eux, il avait l'air d'avoir rajeuni de quatre ou cinq ans par rapport au moment oĂč ils l'avaient vu plus tĂŽt. Maintenant, il pourrait mĂȘme se faire appeler « Aniki<br /><ref>Aniki signifie littĂ©ralement grand frĂšre en japonais.</ref> ». â Oh, vous ĂȘtes plus beau gosse que je le pensais.<br /> â ... Je suis pas assez fou pour monter sur notre avion avec ce look de minable, tu sais.<br /> « Beau gosse » faisait Ă©videmment rĂ©fĂ©rence Ă son apparence naturelle, mais l'homme semblait l'avoir pris comme un commentaire sur son apparence soignĂ©e. Seulement, personne n'a envie de rĂ©pĂ©ter un compliment une deuxiĂšme fois. D'autant plus quand on est sincĂšre.<br /> La fille demeura dĂ©libĂ©rĂ©ment silencieuse, tout en sortant les draps du garçon et en les roulant sous son bras.<br /> â Alors, qu'est-ce qui se passe ? demanda le garçon, avec un sourire qui, bien entendu, Ă©tait bien loin de son attitude dĂ©sobligeante prĂ©cĂ©dente.<br /> L'homme fut assez Ă©tonnĂ© par ce sourire, et dĂ©tourna le regard tout en se grattant la tĂȘte.<br /> â ... Je sais que notre accord porte juste sur le vol d'essai, mais vous faites dĂ©sormais partie de l'Ă©quipe. Et ça me dĂ©rangerait si jamais vous attrapiez froid Ă dormir par terre. Y'a des petits lits Ă l'intĂ©rieur, vous pouvez les utiliser.<br /> Ils saisirent le sens de son murmure aussi lentement qu'une lampe halogĂšne met de temps Ă s'allumer.<br /> â Hein, sĂ©rieux ?! Mais il en reste au moins un pour vous, j'espĂšre, ''Boss'' ?!<br /> â ''Boss'' ? s'exclama l'homme en fronçant les sourcils en entendant le ton joyeux de la fille.<br /> â Vous avez dit qu'on formait une Ă©quipe, non ? C'est comme ça qu'on appelle celui qui la dirige !<br /> â Non, je crois que c'est juste un a priori...<br /> Mais la remarque du garçon fut totalement ignorĂ©e.<br /> â « Boss » fera l'affaire. Il faut qu'on dĂ©cide d'un nom de toute façon.<br /> â Dans ce cas, choisissez un truc du genre « responsable » ou « directeur »...<br /> â Non. Ăa fait trop intellectuel.<br /> En gros, elle sous-entendait qu'il n'avait pas l'air intelligent.<br /> Au final, tous les autres avis n'avaient pas d'importance et le surnom de l'homme devint « Boss ». Ă cet Ă©gard, elle n'avait pas le droit de critiquer le garçon qui choisissait de façon unilatĂ©rale leur trajet. Ce qu'il se garda bien de dire Ă©videmment. Le garçon n'Ă©tait pas fou.<br /> â ... Ah, et vous pouvez faire un peu de cuisine. Il y a une petite cuisine dans l'annexe.<br /> â Ok, ''Garçon'' ! Je m'occupe du dĂźner !<br /> â T'es sĂ»re ?<br /> â Ouaip. PrĂ©pare nos lits pendant ce temps !<br /> La fille Ă©trangement joyeuse balança les draps dans les bras du garçon et se rua vers l'arriĂšre de l'entrepĂŽt.<br /> Elle devait sĂ»rement ĂȘtre ravie de pouvoir enfin dormir dans un vrai lit. Et s'il devait ĂȘtre honnĂȘte, lui aussi Ă©tait du mĂȘme avis.<br /> <br /> â ... Dis...<br /> Le garçon se retourna. Le boss, qui regardait la fille partir, continua :<br /> â Vu qu'elle « en » souffre, j'imagine que toi aussi, pas vrai ?<br /> â Oui. C'en est qu'au stade prĂ©liminaire, mais mon nom a dĂ©jà « disparu ». Et j'imagine que je serai bientĂŽt mĂ©connaissable sur ma photo, dit-il d'un ton neutre.<br /> La rĂ©ponse se fit un peu attendre.<br /> â ... Qu'est-ce que vous cherchez ? Pour quelle raison vous ĂȘtes venus ici au milieu de nulle part ?<br /> Sa question avait Ă©tĂ© noyĂ©e dans le bruit du vent balayant les prairies autour d'eux, enveloppĂ©es dans l'obscuritĂ©.<br /> â ... Je veux voyager jusqu'Ă la fin du monde, avec elle.<br /> Cela ressemblait vraiment Ă un fantasme. Mais ce qu'il avait dit nâavait rien dâincongru et, par-dessus tout, il Ă©tait sĂ©rieux.<br /> â ... Et qu'est-ce que vous comptez faire quand vous l'aurez atteint ?<br /> â On trouvera bien la rĂ©ponse sur le chemin ! ... Mais bon, peut-ĂȘtre que ça sera un voyage autour du monde pour montrer la suprĂ©matie de la Super Cub au monde entier !<br /> â Ăa a l'air d'ĂȘtre une chouette idĂ©e.<br /> Il esquissa un sourire complice, il Ă©tait loin d'ĂȘtre ironique et somme toute honnĂȘte. La confiance du garçon sortait vraiment de nulle part, mais elle tĂ©moignait d'une volontĂ© sans faille.<br /> Peu importe si c'Ă©tait du domaine du possible ou pas, car lĂ n'Ă©tait pas son rĂȘve aprĂšs tout. Mais le boss sentait que cela allait ĂȘtre amusant, plus que n'importe quel jeu ou travail.<br /> Il Ă©tait dĂ©sormais incapable d'en faire de mĂȘme.<br /> Mais il avait son propre rĂȘve.<br /> Il se tourna et se dirigea en direction de l'entrepĂŽt.<br /> â Ok, pour aujourd'hui, allez manger un morceau et reposez-vous. On commencera le travail demain. Ăa nous prendra au moins la moitiĂ© de la journĂ©e pour l'assembler, alors le vol pourrait avoir lieu aprĂšs-demain.<br /> â On va pas s'ennuyer, hein ? ... Ah, c'est vrai ! Est-ce que vous avez de l'eau ici qu'on puisse utiliser pour garder notre pastĂšque au frais ?<br /> â Il y a une citerne avec de l'eau purifiĂ©e. Enfin, c'est loin d'ĂȘtre de l'eau froide, mais ça devrait faire l'affaire.<br /> â Parfait. ... Ah, mais on a toujours pas trouvĂ© de bĂąton.<br /> â Mh... Et ça alors ?<br /> Il pointa du doigt le tuyau d'Ă©vacuation qui Ă©tait rattachĂ© au climatiseur au plafond â ce mĂȘme tuyau que la fille voulait utiliser un peu plus tĂŽt. Mais...<br /> â La clim marchera plus si on l'enlĂšve, non ?<br /> â GnĂ© ? Tout le courant qu'on a provient de la dynamo, je te signale ! Il faudrait ĂȘtre fou pour allumer la clim en sachant ça. Ăa serait du gĂąchis, lĂącha-t-il, en faisant tomber le tuyau avec un bon coup de pied.<br /> Quelques vis rouillĂ©es volĂšrent avec un lĂ©ger craquement, et le moment d'aprĂšs, un tuyau mĂ©tallique tomba dans les mains du garçon. Il faisait un peu plus d'un mĂštre de longueur, ce qui Ă©tait idĂ©al pour ce dont ils avaient besoin.<br /> â ... Je sais pas pourquoi, mais je sais pas trop quoi penser de tout ça...<br /> Le reste de son monologue ne fut pas entendu.<br /> <br /> DisposĂ©s en cercle autour du feu qu'ils avaient fait Ă partir de bouts de bois qu'ils avaient placĂ©s au centre de l'entrepĂŽt, les trois avaient commencĂ© leur rĂ©union tout en mangeant. Malheureusement, les provisions du boss Ă©taient certes diffĂ©rentes en quantitĂ©, mais pas en qualitĂ© : le menu du jour Ă©tait des biscuits secs.<br /> â Tss. C'est ce que vous entendiez par « provisions » ? Et moi qui m'attendais Ă un festin...<br /> â C'est pas comme si c'Ă©tait tout ce que j'avais, mais le reste est encore emballĂ©. Ăa prendrait du temps de tout dĂ©baller.<br /> â OĂč avez-vous mis la main sur ces biscuits d'ailleurs ?<br /> Les Ă©tiquettes des boĂźtes Ă©taient en anglais, avec la traduction japonaise juste en-dessous. En outre, il y avait le logo de l'ONU dessus.<br /> â Les villes de coin Ă©taient dĂ©jĂ dĂ©sertes quand on est arrivĂ©s. Alors du coup, on est allĂ©s y faire un tour, si vous voyez ce que je veux dire, expliqua-t-il en mimant des guillemets avec ses doigts.<br /> Son caractĂšre venait de devenir un peu plus douteux encore Ă leurs yeux.<br /> â Bah quoi ? demanda le boss en fronçant les sourcils.<br /> â Ah, rien, laissez tomber.<br /> Ils esquissĂšrent un sourire espiĂšgle et continuĂšrent Ă manger.<br /> Voler Ă©tait un crime bien sĂ»r, mais ils ne pouvaient pas lui en vouloir. S'introduire dans des boutiques abandonnĂ©es pour ramasser quelques objets ici et lĂ n'avait rien de rare, car c'Ă©tait le seul moyen de survie en ces temps troublĂ©s.<br /> <br /> â Au fait, ça consiste en quoi au juste, assembler un avion ? demanda la fille, ce aprĂšs quoi le boss mit sa boĂźte de cĂŽtĂ©.<br /> â ... Hum... Dâabord, on va devoir assembler l'ossature. Puis viendront les piĂšces mobiles et leurs rĂ©glages. Enfin, on fera un test au sol puis Ă©videmment en l'air. On devrait pouvoir s'en sortir vu qu'on a un manuel explicatif, mais ça prendra toute la journĂ©e.<br /> â Est-ce que ça demande des compĂ©tences particuliĂšres ?<br /> â Pas pour la partie assemblage. Mais il y a des choses qui demandent de l'expĂ©rience, alors vous vous occuperez principalement des petites tĂąches mineures.<br /> â Est-ce que je pourrai monter Ă bord, moi aussi ?<br /> â Non. C'est mon avion, refusa-t-il Ă la maniĂšre dâun enfant, suite Ă quoi la fille gonfla ses joues.<br /> â Quel radin. Alors donnez-nous votre camion !<br /> â DĂ©solĂ©, ça va pas ĂȘtre possible non plus.<br /> â Pourquoi ça ?<br /> â Y'a plus d'essence parce que j'ai pas pu faire le plein dans le village le plus proche. En plus de ça, j'ai utilisĂ© beaucoup d'essence pour des petites choses comme faire du feu, alors vous vous retrouveriez Ă sec avant d'atteindre la prochaine ville, expliqua-t-il simplement.<br /> â E-EspĂšce d'idiot ! s'Ă©cria-t-elle, Qu'en est-il de notre super voyage avec toit, lit et air conditionnĂ© inclus ?! On a encore moins de raison de vous aider maintenant !<br /> â Moi, j'aime beaucoup notre Super Cub...<br /> â Toi, LA FERME !<br /> Le garçon, qui avait dĂ©sormais mĂȘme perdu le droit Ă la parole, n'avait plus qu'Ă se concentrer sur son repas â ce qui Ă©tait hĂ©las, plus facile Ă dire qu'Ă faire. Le boss et la fille Ă©taient occupĂ©s Ă voler la part de l'autre.<br /> â Ma promesse de vous donner de l'essence tient toujours ! Il en reste encore plein dans la dynamo. Assez pour que vous puissiez atteindre la prochaine ville.<br /> â Et qu'en est-il de la nourriture ?<br /> â Il reste encore quelques boĂźtes de conserve. Vous n'allez pas cracher sur un peu plus de nourriture en conserve, pas vrai ?<br /> â Hum... Ăa me paraĂźt Ă©quitable, dans ce cas...<br /> Le garçon se leva d'un coup.<br /> â Oh, oĂč tu vas ?<br /> â Je veux pas que nos bagages soient mouillĂ©s par la pluie, alors je les ramĂšne Ă l'intĂ©rieur. Je vais aussi voir comment Cubby s'en sort, on l'a pas mĂ©nagĂ©e aujourd'hui !<br /> â Mh, compris. Te fais pas attraper par des chupacabras<ref>De l'espagnol « suceur de chĂšvres ». CrĂ©ature qui est dĂ©crite par des tĂ©moins comme ayant des yeux rouges, deux trous pour les narines, une bouche avec des crocs saillants vers le haut et vers le bas et qui serait couverte de poils noirs. Elle fait partie de la culture populaire dans toute l'AmĂ©rique latine, notamment au Mexique et sur l'Ăźle de Porto Rico.</ref> !<br /> â Comme s'ils existaient !<br /> <br /> Le garçon sortit par la porte entrouverte et poussa un bref soupir. Il Ă©tait soulagĂ© que la tension entre la fille et le boss se soit apaisĂ©e.<br /> Non pas qu'il s'attendait Ă ce que tout le monde soit ami avec tout le monde, mais comme il Ă©tait impossible de rencontrer le monde entier de toute façon, il voulait au moins crĂ©er une relation positive avec les gens qu'ils rencontraient.<br /> Sa provocation un peu plus tĂŽt entrait Ă©galement dans cette optique. Enfin, ils se sont retrouvĂ©s avec une tĂąche loin d'ĂȘtre de tout repos, mais ils n'Ă©taient pas pressĂ©s, aprĂšs tout.<br /> Ils allaient passer les jours suivants ensemble, alors autant que ce soit dans une ambiance aussi bonne que possible.<br /> Du moins, c'est ce qu'il se disait Ă ce moment prĂ©cis. HĂ©las, quand il revint une vingtaine de minutes plus tard, aprĂšs avoir fait un peu de maintenance, il leur en voulut un peu.<br /> <br /> â Oh allez quoi ! Vous deux alors, franchement...<br /> â Hein...? C'est quoi ton problĂšme, ''Garçooooon'' ?<br /> Elle avait soudainement mis son bras autour de son cou, ce qu'il se dĂ©pĂȘcha d'enlever. La fille avait tendance Ă trop se lĂącher une fois saoule.<br /> â OĂč est-ce qu'il cachait ça...?<br /> â Il a dit qu'ils en avaient achetĂ© un tas pour fĂȘter la rĂ©ussite du vol d'essai ! Mais tout est dĂ©jĂ pĂ©rimĂ©... Mais c'est toujours bon, tu sais ?<br /> â Ăcoute, ''Fille''. On est toujours lycĂ©ens, tu te rappelles ? Alors l'alcool...<br /> â Tout le monde s'en cogne de cette vieille loiiii de nos joooours... rĂ©pondit la fille en rigolant, sa peau bronzĂ©e ayant virĂ© au rouge vif.<br /> Les canettes de biĂšre et de shĆchĆ«<ref>Boisson alcoolisĂ©e japonaise distillĂ©e Ă partir de riz, d'orge, de sarrasin, de pomme de terre ou de patate douce, principalement. Contient environ 25 % d'alcool (parfois jusqu'Ă 43 %).</ref> vides Ă©talĂ©es par terre autour des deux compĂšres Ă©taient la preuve qu'une beuverie avait eue lieu pendant les vingt minutes oĂč le garçon avait Ă©tĂ© en train de faire la maintenance de leur moto.<br /> â Mais tu sais, boire trop d'alcool en pĂ©riode de croissance va avoir des effets nĂ©fastes sur...<br /> â J'ai dĂ©jĂ seize ans, tu sais. Comme si j'Ă©tais encore en pĂ©riode de croissance !<br /> La fille gloussa tout en s'agrippant Ă son dos.<br /> Elle n'avait pas forcĂ©ment tort, mais Ă en juger ce poids sur son dos, certaines parties de son corps avaient tout de mĂȘme besoin de grandir. Mais le garçon n'Ă©tait pas fou, alors il prĂ©fĂ©ra se taire. Il tenait bien trop Ă la vie.<br /> Dâailleurs, le garçon Ă©tait un non-buveur d'alcool invĂ©tĂ©rĂ©. Ă tel point que sa peau avait virĂ© au rouge vif quand on lui avait appliquĂ© un coton imbibĂ© d'alcool lors d'une visite mĂ©dicale au collĂšge.<br /> Pour ce qui Ă©tait du boss, qui Ă©tait manifestement un habituĂ©, il buvait sa biĂšre sans dire mot. MĂȘme si son visage avait l'air sĂ©rieux quand il regardait en l'air, il Ă©tait assurĂ©ment saoul, Ă©tant donnĂ© la rougeur de sa peau. Il Ă©tait sĂ»rement du genre Ă devenir silencieux une fois ivre.<br /> â Ăa fait longtemps quâon nâa pas bu d'alcool... Et on sait pas quand on en aura l'occasion la prochaine fois...<br /> Le garçon abandonna l'idĂ©e de convaincre la fille qui ne sâarrĂȘtait pas de glousser.<br /> Il jugea alors qu'il Ă©tait prĂ©fĂ©rable de ne pas s'occuper de ces deux-lĂ plus longtemps. Et puis, comme aucun des deux n'avait encore tentĂ© de le faire boire, les dĂ©gĂąts demeuraient encore limitĂ©s.<br /> Le garçon dĂ©cida alors de s'Ă©clipser rapidement en direction de la zone de repos oĂč il pourrait Ă©crire dans le journal avant d'aller se coucher.<br /> <br /> « Zone de repos » sonnait peut-ĂȘtre bien, mais c'Ă©tait en fait juste un coin de l'entrepĂŽt divisĂ© en cloisons contenant au total cinq lits. Mais pour le garçon et la fille, qui n'avaient pratiquement que dormi sur des draps posĂ©s Ă mĂȘme le bitume, c'Ă©tait le paradis.<br /> Il se coucha sur un lit et tira une couverture sur lui pour ne pas attraper froid. Il fut rapidement assailli par la fatigue pendant qu'il Ă©crivait dans le journal.<br /> Peu aprĂšs, la seule voix encore perceptible, celle de la fille, s'Ă©teignit petit Ă petit et le garçon tomba dans un lĂ©ger sommeil.<br /> <br /> <div style="text-align: center;">â±</div><br /> <br /> Le jour s'Ă©tait levĂ©.<br /> Un bruit d'une Ă©norme intensitĂ© rĂ©veilla en sursaut le garçon et la fille.<br /> â Q-Qu'est-ce qui se passe ?!<br /> Le garçon, complĂštement abasourdi, sortit en trombe de la salle de repos, tirant les rideaux sur le cĂŽtĂ©, et comprit l'origine du bruit.<br /> Le boss Ă©tait en train de garer le camion en marche arriĂšre au niveau de l'entrĂ©e principale pour faciliter le dĂ©chargement de son contenu.<br /> Dehors, le silence Ă©tait tel qu'il pouvait entendre les oiseaux chanter au loin. Apparemment, il faisait beau.<br /> â HĂ©, vous deux ! Vous allez vous lever ou quoi ? On va commencer !<br /> â O-Oui !<br /> OĂč Ă©tait passĂ©e sa morositĂ© de la veille ? Il se dĂ©pĂȘcha d'enfiler une chemise et passa une de ses jambes dans son pantalon tout en sautillant avec l'autre.<br /> La fille qui dormait dans le lit d'Ă cĂŽtĂ© goĂ»tait avec dĂ©plaisir aux rĂ©jouissances de la gueule de bois.<br /> En laissant de cĂŽtĂ© sa tenue hautement provocante, qui ne consistait qu'en un chemisier et des sous-vĂȘtements, ses yeux vides Ă©taient ceux d'un mort. Son corps tout entier suintait l'odeur de l'alcool et ses cheveux Ă©taient tellement en pagaille qu'on aurait pu la prendre pour la MĂ©duse.<br /> Elle avait apparemment continuĂ© Ă boire encore mĂȘme aprĂšs que le garçon soit parti se coucher, en tĂ©moignaient les profondes cernes sous ses yeux qui ne faisaient que s'ajouter Ă sa chute de tension.<br /> â Hum... Bah, tu nous rejoindras quand tu te sentiras mieux !<br /> Il prit une boĂźte d'aspirine de leur trousse de premier secours et la posa Ă cĂŽtĂ© de la fille qui s'Ă©tait partiellement transformĂ©e en zombie.<br /> Son expĂ©rience personnelle le faisait penser qu'il lui faudrait quelques heures avant d'ĂȘtre Ă nouveau opĂ©rationnelle. Il y avait de fortes chances pour qu'elle n'ait mĂȘme pas entendu ce qu'il venait de dire.<br /> Le moteur s'arrĂȘta avec un bourdonnement de l'autre cĂŽtĂ© des rideaux.<br /> Il mit ses vĂȘtements en ordre et referma les rideaux. Il ne le fit pas par considĂ©ration pour la demoiselle, mais plutĂŽt par crainte des consĂ©quences douloureuses qu'un tel manque de considĂ©ration envers elle pourrait avoir.<br /> <br /> â Ok, ''Boss''. Par quoi on commence ?<br /> â ... Le mĂ©nage.<br /> â Le mĂ©nage...?<br /> Il Ă©tait sur le point de demander Ă quoi bon faire le mĂ©nage alors qu'ils n'avaient encore rien fait, mais il fut immĂ©diatement estomaquĂ© par la scĂšne que lui offrait le hall.<br /> Il y avait le feu qu'ils avaient allumĂ© la veille au centre de l'entrepĂŽt. Enfin, il Ă©tait presque Ă©teint, vu qu'ils ne l'avaient pas utilisĂ© pour se rĂ©chauffer de toute façon, mais le problĂšme rĂ©sidait en ce qui se trouvait autour.<br /> Un nombre impressionnant de canettes vides et d'emballages en tous genres trĂŽnaient Ă mĂȘme le sol. Et le pire restait le vomi Ă©parpillĂ© ici et lĂ .<br /> â Vous Ă©tiez pas obligĂ©s de boire jusqu'Ă en vomir...<br /> â J'ai pas d'excuse... Pardon, mais je me souviens pas bien.<br /> Tout comme le boss, le garçon laissa tomber ses Ă©paules en poussant un soupir.<br /> Il se demandait sĂ©rieusement si le cerveau de la fille Ă©tait dotĂ© d'une capacitĂ© d'apprentissage aprĂšs ce qui lui Ă©tait arrivĂ© avec l'histoire du maĂŻs quelques jours auparavant.<br /> â Enfin bon, je m'occuperai de nettoyer... ce truc. J'ai encore deux-trois choses Ă faire, alors occupe-toi de ranger l'intĂ©rieur en attendant.<br /> â PigĂ©...<br /> AprĂšs avoir poussĂ© un nouveau soupir, il se dirigea vers le casier qui se trouvait dans un coin de la salle et oĂč Ă©taient entreposĂ©s des balais et autres brosses.<br /> â ... Au fait, qu'est-ce qui lui arrive Ă la petite ?<br /> â Elle rĂ©cupĂšre de sa gueule de bois. Et croyez-moi, elle bougera pas d'un pouce avant quelque temps !<br /> â ...<br /> DĂ©contenancĂ©, le boss Ă©pongea les mares avec une serpilliĂšre et jeta cette derniĂšre dans un seau.<br /> ''Vous allez le dire que vous regrettez de lui avoir servi de l'alcool ?!'' murmura le garçon Ă lui-mĂȘme tout en le regardant vider le seau, la mine plein de dĂ©goĂ»t comme s'il portait un tas de dĂ©chets hautement radioactifs.<br /> Quoi quâil en soit, il Ă©tait temps de se mettre au travail, mais il y avait quelque chose Ă faire avant cela.<br /> Le garçon, de bonne humeur, s'accroupit devant leurs affaires et en sortit un cochon. Il Ă©tait bien entendu question du cochon anti-moustique en cĂ©ramique !<br /> Qu'on soit Ă l'intĂ©rieur ou Ă l'extĂ©rieur, on n'est jamais trop prudent. Ils n'y avaient pas prĂȘtĂ© trop attention quand ils Ă©taient Ă moto, mais Ă©tant entourĂ©s de prairies, il y avait plein d'insectes. Il Ă©tait donc nĂ©cessaire de prendre certaines mesures quand on reste dans un mĂȘme endroit pendant un certain temps.<br /> Ainsi, il plaça le serpentin anti-moustique au centre de l'entrepĂŽt oĂč le feu avait Ă©tĂ© allumĂ© et commença Ă nettoyer le sol.<br /> <br /> Contrairement au garçon qui avait commencĂ© Ă travailler dans la joie et la bonne humeur, le rĂ©veil de la fille fut accompagnĂ© d'une pĂ©nible sensation.<br /> Sa tĂȘte lui faisait horriblement mal et elle souffrait de brĂ»lures d'estomac.<br /> La raison Ă©tait Ă©vidente. C'Ă©tait sĂ»rement dĂ» au fait qu'elle avait ingurgitĂ© beaucoup trop d'alcool la veille â tout du moins, il n'y avait que peu d'autres possibilitĂ©s.<br /> Folle de joie Ă la vue de l'alcool qu'elle n'avait pas vu depuis belle lurette, elle s'Ă©tait laissĂ© aller sans le vouloir. Ou pour ĂȘtre prĂ©cis, elle ne se souvenait mĂȘme pas de s'ĂȘtre trop laissĂ© aller, alors peut-ĂȘtre que c'Ă©tait la pire cuite qu'elle n'avait jamais eue ?<br /> Elle Ă©tait dĂ©sormais d'accord avec le fait qu'il faut boire avec modĂ©ration â enfin, Ă la base, une fille de son Ăąge ne devrait pas ĂȘtre autorisĂ©e Ă boire.<br /> â ... Ueh... gh...<br /> Elle se couvrit instinctivement la bouche en ressentant du vomi remonter lentement dans sa gorge, et rĂ©ussit Ă Ă©viter ainsi de salir sa prĂ©cieuse couverture tout en se frottant l'estomac.<br /> â On dirait... Que je me suis un peu laissĂ© emporter...<br /> Elle avait un arriĂšre-goĂ»t bizarre dans la bouche et ses dents Ă©taient Ă©trangement lisses, ce qui laissait supposer qu'elle avait vomi plusieurs fois. Pire, elle avait le ventre vide malgrĂ© le fait qu'elle avait mangĂ© et bu tard la veille. En plus de ça, sa gorge Ă©tait sĂšche et sa voix dans un sale Ă©tat.<br /> Mais comme on dit, l'avenir appartient Ă ceux qui se lĂšvent tĂŽt ! Tout en mettant de cĂŽtĂ© sa couverture, elle enfila les baskets qui Ă©taient Ă cĂŽtĂ© de son lit.<br /> C'est alors que quelque chose tomba Ă ses pieds avec un lĂ©ger bruit.<br /> Tout en fronçant les sourcils, elle le ramassa tant bien que mal.<br /> â ... Des cachets d'aspirine...?<br /> Sur le paquet Ă moitiĂ© vide, il y avait une petite note qui disait « N'en fais pas trop et repose-toi » avec une Ă©criture qui lui Ă©tait familiĂšre. Elle n'Ă©tait pas signĂ©e, mais il Ă©tait aisĂ© de deviner qui en Ă©tait l'auteur.<br /> Soudain, elle remarqua la bouteille d'eau sur la table basse Ă cĂŽtĂ© de son lit.<br /> C'Ă©tait une de leur bouteille de deux litres qu'ils utilisaient pour stocker l'eau. Juste Ă cĂŽtĂ©, se trouvait un verre Ă l'envers.<br /> â ... Pff... Monsieur se montre bienveillant aux moments les plus inattendus... dit-elle avec un sourire en coin avant de verser de l'eau dans le verre.<br /> Elle tint la bouteille contre elle quelques instants pour faire tomber la tempĂ©rature de son corps, elle pouvait sentir l'eau rafraĂźchissante Ă travers la fine paroi en plastique.<br /> Puis, acceptant la faveur faite par le garçon, elle prit deux cachets du paquet et les lança dans sa bouche. AprĂšs les avoir avalĂ©s avec de l'eau, une sensation de froid parcourut son estomac.<br /> Avec ses manches, elle essuya les gouttes d'eau qui coulaient le long de sa bouche et trouva un autre objet sur la table basse.<br /> Une serviette mouillĂ©e.<br /> â Il voulait que je m'Ă©ponge ? ... SĂ©rieux... Je connais personne de mieux prĂ©parĂ© que lui... soupira-t-elle dans un mĂ©lange de joie et stupeur et accueillit Ă bras ouvert sa bienveillance une fois de plus.<br /> <br /> Midi. Le ciel Ă©tait bleu et dĂ©gagĂ©.<br /> <br /> â Oh, c'est toi ? T'as dĂ©jĂ rĂ©cupĂ©rĂ© de ta gueule de bois ? dit le boss, qui venait juste de poser une pelle Ă poussiĂšre dans un coin de la salle, tout en s'Ă©pongeant la sueur avec la serviette qu'il avait sur les Ă©paules.<br /> â Oui. C'est pas encore ça, mais je me sens beaucoup mieux.<br /> Elle ne mentait pas. GrĂące aux mystĂ©rieux effets de l'aspirine, la douleur qui tourmentait ses tempes et son front avait presque entiĂšrement disparu, et elle se sentait fraĂźche et dispo aprĂšs s'ĂȘtre lavĂ©e et avoir enfilĂ© des sous-vĂȘtements propres. MĂȘme si elle n'Ă©tait pas encore pleinement opĂ©rationnelle, c'Ă©tait dĂ©jĂ suffisant pour de petites tĂąches.<br /> â Enfin bon ! DĂ©solĂ©e de vous avoir fait nettoyer le bazar que j'ai laissĂ© derriĂšre moi.<br /> â Y'a pas de lĂ©zard, ma petite. Et puis, on peut pas vraiment savoir qui de nous deux a fait ça de toute façon.<br /> â Pas faux.<br /> Elle en aurait bien rigolĂ©, si elle ne se souvenait pas vaguement avoir Ă©tĂ© responsable d'au moins la moitiĂ© des dĂ©gĂąts.<br /> â Au fait, oĂč est ''Garçon'' ?<br /> â Il est allĂ© jeter les ordures. Il devrait revenir d'une minute Ă l'autre.<br /> Par ordures, il sous-entendait sĂ»rement canettes vides et autres emballages de la veille. Il semblerait que c'Ă©tait un nouveau signe de sa dĂ©pendance envers les bons soins du garçon.<br /> â Sinon, vous avez du travail Ă me donner ? demanda-elle en regardant le sol â qui Ă©tait dĂ©sormais propre.<br /> La plupart des restes de la beuverie de la veille avaient Ă©tĂ© nettoyĂ©s. Il ne restait plus que des cendres et un peu de charbon de bois au centre. Il Ă©tait probable qu'elle nâallait pas avoir Ă se joindre au mĂ©nage.<br /> â Hum... Ăa te dit de me donner un coup de main sur du vrai travail ? dit le boss avec un grand sourire.<br /> Elle hĂ©sita un peu, mais elle le suivit malgrĂ© tout jusqu'au container du camion.<br /> â Ok, on va dĂ©charger les piĂšces de l'avion.<br /> â O... Ok...<br /> Ils montĂšrent dans le container. Sans trop savoir pourquoi, l'avion Ă propulsion humaine dĂ©montĂ© lui semblait bien plus grand que la veille. Elle connaissait ce genre de vĂ©hicule uniquement de nom. Elle n'avait pas la moindre idĂ©e des fonctions de chaque piĂšce.<br /> â T'en fais pas. Je te demande pas de le monter toute seule.<br /> â Mais...?<br /> â Assemble juste les piĂšces que je te donne comme c'est indiquĂ© dans le manuel lĂ -bas. On va commencer par les petites, on s'occupera des plus grosses quand le garçon sera revenu, dit-il en s'enfonçant un peu plus dans le container.<br /> Bien que l'avion chargĂ© dans le quatre tonnes fĂ»t assez large, son volume n'Ă©tait pas particuliĂšrement important. Il y avait beaucoup dâespace vide, alors il leur Ă©tait aisĂ© de se dĂ©placer. En termes de poids, l'avion Ă©tait plus lĂ©ger que la fille. Elle n'en revenait pas.<br /> â Ok. Voici la premiĂšre. Tu peux la mettre sur le plan de travail ?<br /> Il lui tendit une piĂšce. Elle n'y connaissait peut-ĂȘtre rien en mĂ©canique, mais elle pouvait reconnaĂźtre celle-ci. C'Ă©tait un axe fusionnĂ© avec deux pales â plus connue sous le nom de « hĂ©lice ».<br /> â Compris.<br /> Au moment oĂč elle s'en saisit, elle comprit immĂ©diatement pourquoi il l'avait manipulĂ©e avec autant de facilitĂ©.<br /> Elle Ă©tait vraiment lĂ©gĂšre. Elle fut surprise â non seulement parce qu'elle Ă©tait aussi fine qu'une feuille de papier, mais aussi par le fait qu'elle pouvait la tenir avec juste deux doigts, malgrĂ© que les deux pales fassent dans les 1,40 mĂštres de long.<br /> â Incroyable...<br /> â Pas vrai ? On peut presque dire que l'hĂ©lice dĂ©termine si tu vas avoir besoin de beaucoup pĂ©daler ou pas, alors on a passĂ© beaucoup de temps dessus.<br /> Il y avait un petit quelque chose dans son regard qui fixait l'hĂ©lice. La fille ne savait pas grand-chose de lui et de ses collĂšgues, mais elle se dit que toutes ces piĂšces, et mĂȘme la planche extra lĂ©gĂšre, transpiraient leur rĂȘve et leur dĂ©termination.<br /> Vu sous cet angle, l'hĂ©lice dans ses mains parut soudain peser une tonne.<br /> Jusqu'Ă atteindre le plan de travail, elle la mania comme si elle tenait un bĂ©bĂ© dans ses bras, avec les plus grands soins â non pas par considĂ©ration pour le boss, mais plutĂŽt parce qu'elle en avait envie.<br /> â Mais dites, c'est normal la forme bizarre qu'elle a ?<br /> Pour la fille, une hĂ©lice Ă©tait normalement composĂ©e de deux ou trois pales de rotor droites. Ou plutĂŽt, c'Ă©tait comme ça qu'elle les imaginait.<br /> Mais, l'hĂ©lice sous ses yeux Ă©tait certes Ă deux pales, mais la forme Ă©tait quelque peu non conventionnelle. Les pales formaient une courbe en demi-lune et du coup, ressemblaient plus Ă celles de la ventilation d'une cuisine que celles d'une hĂ©lice. Aussi, elle se demandait pourquoi elle Ă©tait peinte en jaune, alors que toutes les autres piĂšces Ă©taient blanches.<br /> â Ah, c'est vrai, c'est un autre de ses points forts. Elle a Ă©tĂ© conçue de façon Ă ĂȘtre optimale Ă faible vitesse de rotation.<br /> â Mais pourquoi il y en a deux ?<br /> Oui, c'est ce qui l'Ă©tonnait le plus : il y en avait deux.<br /> â Euh... C'est... un secret.<br /> â Beuh, c'est pas sympa.<br /> Le boss fit alors un grand sourire tout en regardant la fille vexĂ©e.<br /> â Un peu de patience. Tu verras quand tout sera fini. Sinon, voilĂ la suivante. Va la placer sur le point de fixation marquĂ© « A ».<br /> â Whoa whoa !<br /> Il lui tendit une sorte dâĂ©norme bloc depuis le container, qu'elle tenta, surprise, de prendre dans ses mains.<br /> C'Ă©tait un objet fuselĂ© qui ressemblait un peu Ă un parallĂ©logramme avec des bords arrondis, il Ă©tait constituĂ© d'un matĂ©riau blanc et faisait la taille du boss.<br /> Cependant, il Ă©tait aussi lĂ©ger qu'une plume, contrairement Ă l'impression laissĂ©e par son apparence. La fille pouvait presque le tenir d'une main.<br /> Tout en le maintenant en l'air, elle l'amena jusqu'Ă l'endroit demandĂ© tout en tremblotant un peu. Tout semblait avoir Ă©tĂ© conçu spĂ©cialement pour l'objet, alors il s'insĂ©ra parfaitement dans le point de fixation.<br /> â Mais ce bloc est fait... en plastique ?<br /> Le matĂ©riau qui constituait le bloc Ă©tait complĂštement blanc et au toucher, Ă sa connaissance, il Ă©tait fait en plastique.<br /> â Ouais, c'est ça. Mais c'est pas du plastique ordinaire, mais du PRF.<br /> â Du PRF ?<br /> â Du plastique renforcĂ© de fibres. C'est une « ossature » faite de fibres de carbone qui sont pour ainsi dire tissĂ©es en elle. Et c'est vraiment solide, tu peux me croire, expliqua-t-il avec un petit sourire satisfait.<br /> Il donna un petit coup dans l'objet blanc en souriant comme un petit garçon qui venait de recevoir un nouveau jouet.<br /> â ... Haa... Dire que je vais pouvoir voler avec cet engin... J'ai l'impression de rĂȘver !<br /> â Vous voulez que je vous pince ? Peut-ĂȘtre que ça vous rĂ©veillera, dit la fille entre ses dents.<br /> Le boss Ă©clata de rire tout en continuant Ă travailler.<br /> â Je suis dĂ©solĂ© de te dĂ©cevoir, mais je volerai avec cet engin que ce soit un rĂȘve ou pas.<br /> Elle inspira un grand coup.<br /> Elle pouvait sentir que cet avion lĂ©ger comme une plume Ă©tait le travail de toute une vie, le rĂȘve mĂȘme de l'homme en face d'elle.<br /> â Tiens, voilĂ la premiĂšre aile. Prends l'autre cĂŽtĂ©.<br /> â Ouah !<br /> Elle se dĂ©pĂȘcha de saisir un des bouts de l'aile qui apparut du container.<br /> L'aile, qui avait l'air d'un squelette, Ă©tait couverte d'une matiĂšre qui semblait ĂȘtre du vinyle transparent. Ă tel point qu'elle murmura sans le vouloir :<br /> â On dirait des baguettes dans leur emballage...<br /> â T'as pas tort en fait, vu que c'est juste une sorte de film macromolĂ©cule qu'on a enveloppĂ© autour du squelette en PRF.<br /> ComparĂ©e au bloc qu'elle avait transportĂ© juste avant, l'aile Ă©tait bien plus imposante et pesait assez lourd. Comme il en Ă©tait de mĂȘme avec sa longueur, le boss et la fille devaient se dĂ©placer avec la plus grande prudence.<br /> â E-Elle est pas un peu trop longue ? Ăa risque pas de se casser en l'air ?<br /> â Elle va se plier, mais t'en fais pas : on l'a conçue pour qu'elle ne casse pas. Et puis, il faut qu'elle soit aussi longue pour pouvoir voler ! Si on considĂšre son rapport hauteur/largeur...<br /> â Ăpargnez-moi les dĂ©tails. La physique et moi, ça fait deux.<br /> La fille avait immĂ©diatement abandonnĂ© toute tentative de comprendre les principes de fonctionnement de l'avion et posa avec attention le cĂŽtĂ© qu'elle tenait sur l'Ă©tau prĂ©vu Ă cet Ă©gard.<br /> â Mais c'est cool, la physique, tu sais. Et ça sert dans ta vie de tous les jours.<br /> â Je prĂ©fĂšre la gym.<br /> â Gh... C'est sĂ»r que c'est pratique aussi...<br /> Tout en acceptant sa rĂ©ponse pour une raison douteuse, il posa Ă son tour le cĂŽtĂ© qu'il tenait.<br /> Maintenant qu'ils avaient placĂ© quelques piĂšces, il devenait clair que les fixations avaient Ă©tĂ© positionnĂ©es de façon Ă ce que l'avion se tienne en diagonale dans l'entrepĂŽt, plutĂŽt que face Ă l'entrĂ©e.<br /> Ce qui pouvait ĂȘtre comprĂ©hensible, vu que c'Ă©tait la seule façon de faire tenir les gigantesques ailes dans la salle.<br /> â Bon, ensuite, l'aile gauche. Montre-moi ce que tâas dans le ventre, l'accro du sport.<br /> â Ok !<br /> La fille, qui s'Ă©tait maintenant habituĂ©e au travail, monta dans le container.<br /> <br /> <div style="text-align: center;">â±</div><br /> <br /> â Pfiou... Ăa m'a pris plus de temps que prĂ©vu.<br /> Le garçon s'effondra sur un tatami, tout en regardant le vif feu Ă cĂŽtĂ©.<br /> Il se trouvait dans une petite remise en prĂ©fabriquĂ© derriĂšre l'entrepĂŽt. Apparemment, elle servait Ă l'origine de salle de repos pour les travailleurs et Ă©tait en fait assez bien construite. Il y avait mĂȘme une arrivĂ©e d'eau, mĂȘme si elle ne fonctionnait plus.<br /> Dehors, il y avait un bidon sur un bloc de ciment, en dessous de quoi le feu brĂ»lait. Ăa ressemblait beaucoup au traditionnel bain-baril â sauf qu'ici l'eau Ă©tait bouillante, ce qui en faisait plus une marmite qu'autre chose.<br /> Il y avait un couvercle sur le baril, qui Ă©tait connectĂ© par un tube central Ă un autre baril, positionnĂ© un peu plus bas. Sur le cĂŽtĂ© de ce second baril, se trouvait un autre tube, qui lui Ă©tait connectĂ© au couvercle d'un troisiĂšme plus petit baril.<br /> MĂȘme si un habitant d'un monde civilisĂ© se serait sans aucun doute demandĂ© quel genre de rite c'Ă©tait, dans le Japon de nos jours, ce n'Ă©tait pas rare de voir ce genre de dispositif. C'Ă©tait un Ă©purateur d'eau.<br /> Les deux premiers barils contenaient de l'eau de pluie. L'eau du premier Ă©tait bouillie, produisant de la vapeur qui allait ensuite dans le deuxiĂšme baril pour ĂȘtre refroidie par l'eau fraĂźche qui entourait le tube. Au moment d'atteindre le troisiĂšme et dernier baril, le tout s'Ă©tait Ă nouveau transformĂ© en eau.<br /> En gros, en utilisant la vapeur une fois Ă©vaporĂ©e, ils obtenaient de l'eau purifiĂ©e de toute pollution ou bactĂ©rie.<br /> Il y avait beaucoup d'eau au Japon, mais la grosse majoritĂ© n'Ă©tait pas suffisamment pure pour ĂȘtre bue. Seul un petit nombre de conduits d'eau demeuraient intacts en ces sombres temps de ruines, alors ils avaient souvent aperçu ce genre d'Ă©purateur durant leur voyage â et avaient fini par s'y faire.<br /> Soit dit en passant, le combustible utilisĂ© par cet Ă©purateur Ă©tait des dĂ©chets. La raison Ă©tait apparemment pour se dĂ©barrasser de ces derniers tout en purifiant de l'eau dans le mĂȘme temps. Le garçon s'inquiĂ©tait un peu pour l'Ă©mission de dioxine, mais il se rassura en se disant qu'il n'y avait pas tant de dĂ©chets que ça. Ce n'Ă©tait pas comme s'il n'avait utilisĂ© que des ordures ; il avait Ă©galement mis quelques morceaux de bois.<br /> S'il Ă©tait fatiguĂ©, c'Ă©tait parce qu'il avait dĂ» verser l'eau de pluie stockĂ©e dans les barils. Ils n'Ă©taient pas si gros que ça, mais ils pouvaient contenir dans les quarante-quatre gallons, ce qui faisait deux cent litres. Ătant donnĂ© que le seau qu'il avait utilisĂ© pouvait contenir environ cinq litres, il avait dĂ» rĂ©pĂ©ter pas loin de quarante fois le mĂȘme geste. MĂȘme si son jeune Ăąge lui Ă©pargnait des douleurs aux lombaires, il allait tout de mĂȘme souffrir de quelques courbatures le lendemain matin.<br /> Mais le travail seul avait ses bons cĂŽtĂ©s : le garçon s'installa confortablement au sol, tout en Ă©tirant au maximum ses bras et ses jambes.<br /> L'odeur du tatami en dessous de lui et la lĂ©gĂšre brise lui donnaient envie de dormir.<br /> Il Ă©tait enveloppĂ© par un sentiment de lĂ©thargie et sentait qu'il pouvait s'endormir Ă tout instant. La seule chose qui maintenait, de peu, ses yeux ouverts, c'Ă©tait le chant des cigales au loin.<br /> MĂȘme si cela faisait longtemps que le garçon avait abandonnĂ© l'idĂ©e d'enfiler la veste de son uniforme d'hiver, la tempĂ©rature estivale Ă©tait devenue difficilement supportable.<br /> Il se trouvait certes dans une rĂ©gion nordique, mais l'Ă©tĂ© Ă©tait tout de mĂȘme chaud ici, ce qui pouvait ĂȘtre dans un sens l'avantage d'habiter un pays avec quatre saisons.<br /> Soudain, le garçon remarqua en Ă©carquillant les yeux une diffĂ©rence avec sa cravate, qui Ă©tait d'un bleu ordinaire et qui faisait partie de l'uniforme imposĂ© par son Ă©cole. La chaleur l'avait tellement desserrĂ©e qu'on aurait dit un employĂ© de bureau Ă une fĂȘte un peu arrosĂ©e.<br /> La cravate Ă©tait censĂ©e avoir l'emblĂšme de l'Ă©cole cousu dessus.<br /> Mais, il n'y avait aucune trace de ce dernier Ă l'endroit oĂč il devait se trouver, la transformant en vulgaire cravate toute bleue.<br /> â .... Haa. Finalement, mĂȘme le nom de mon lycĂ©e a disparu, hein...<br /> Le phĂ©nomĂšne qui rongeait petit Ă petit le monde n'avait pas de nom officiel.<br /> Ni dans le monde mĂ©dical, qui Ă©tait toujours Ă mĂȘme de donner de longs noms Ă coucher dehors Ă tout et n'importe quoi, ni dans la communautĂ© scientifique, qui essayait gĂ©nĂ©ralement de trouver des formules compliquĂ©es, on n'avait baptisĂ© le phĂ©nomĂšne.<br /> MĂȘme les mĂ©dias de masse qui adoraient tant donner des noms de mauvais goĂ»t n'avaient pas rĂ©ussi Ă trouver un nom Ă ce mystĂ©rieux phĂ©nomĂšne.<br /> Un jour, quelqu'un commença Ă utiliser le terme gĂ©nĂ©rique « la disparition », qui finit par se propager jusquâĂ ĂȘtre adoptĂ© par tout le monde.<br /> Personne ne semblait en mesure d'expliquer d'oĂč venait la maladie.<br /> Des chercheurs renommĂ©s de toute la planĂšte avaient depuis tentĂ© d'en percer les mystĂšres de toutes leurs forces, mais jusqu'ici, aucun n'avait trouvĂ© d'explication rationnelle. Personne non plus ne savait pourquoi les symptĂŽmes Ă©taient diffĂ©rents entre les hommes et les animaux.<br /> La maladie commence en fait sans vĂ©ritable dĂ©gĂąt.<br /> Primo, on perd son « nom ». Personne n'arrive Ă s'en rappeler, pas mĂȘme la personne atteinte par la maladie. Le nom disparaĂźt sans laisser de traces de tout livre, documents numĂ©riques, et partout ailleurs.<br /> Deuxio, on perd son « visage », c'est-Ă -dire qu'on disparaĂźt de toutes les photos oĂč l'on apparaĂźt. Peu importe si c'est une photo numĂ©rique, une peinture ou mĂȘme la mĂ©moire des autres.<br /> Tertio, c'est au tour de notre « couleur ». Notre apparence devient monochrome comme si on Ă©tait un acteur d'un film en noir et blanc.<br /> Quarto, on perd son « ombre » et mĂȘme la lumiĂšre nous traverse.<br /> Enfin, on perd son « existence » mĂȘme et on disparaĂźt dans le nĂ©ant. Tout ce que l'on a transmis disparaĂźt, que ce soit des peintures, des textes, des impressions ou des enregistrements.<br /> La seule chose qu'il reste, ce sont les souvenirs des gens qui nous ont connu, sous la forme de sentiment du genre « tu me rappelles quelqu'un ». Un souvenir ambigu qui ne comprend ni nom ni visage. Tout est fini si ces souvenirs viennent Ă s'effacer complĂštement Ă leur tour.<br /> Tout ce qu'on a laissĂ© en ce monde, et mĂȘme soi-mĂȘme, disparaĂźt sans laisser la moindre trace.<br /> La vitesse de progression varie grandement d'un individu Ă l'autre. Certains disparaissent le jour mĂȘme oĂč la maladie se dĂ©clare, alors que pour d'autres, la maladie s'arrĂȘte d'un coup, leur permettant de rester en vie. Mais on peut dire qu'en gĂ©nĂ©ral, elle progresse extrĂȘmement lentement. Quatre mois avaient dĂ©jĂ passĂ© depuis que le garçon avait « perdu » son nom.<br /> Il n'y a aucun point commun entre les personnes qui en sont atteintes â la maladie se propage de façon complĂštement alĂ©atoire. Alors que le gouvernement sâĂ©tait retrouvĂ© dans l'incapacitĂ© de faire le moindre progrĂšs dans leurs recherches â il Ă©tait mĂȘme impossible d'Ă©valuer le nombre de victimes de la maladie â le pays s'Ă©tait petit Ă petit arrĂȘtĂ© de fonctionner correctement.<br /> Un peu plus d'un an s'Ă©tait Ă©coulĂ© depuis. Le gouvernement n'existait plus et la production de vivres Ă©tait devenue incertaine.<br /> Les habitants qui restaient ici et lĂ avaient dĂ» commencer Ă travailler presque bĂ©nĂ©volement, tout en se battant pour maintenir une zone habitĂ©e en vie.<br /> Mais l'ambiance ici au nord Ă©tait complĂštement diffĂ©rente du dĂ©sordre rĂ©gnant dans la ville oĂč le garçon et la fille habitaient.<br /> Il n'y avait aucun signe de dĂ©vastation, ce qui Ă©tait vraisemblablement dĂ» Ă une faible densitĂ© de population, et seul l'Ă©trange fait qu'il n'y avait personne marquait les esprits.<br /> <br /> â HĂ, ''GARĂON'' !! ArrĂȘte de glander ! Debout lĂ -dedans !<br /> â Ouah ?!<br /> Le cri Ă©nervĂ© qui provenait de la fenĂȘtre ouverte avait fait sursauter le garçon.<br /> â EspĂšce de feignasse... Comment oses-tu te taper une sieste en me laissant faire tout le sale boulot ?<br /> Il Ă©tait littĂ©ralement mort de trouille sous le regard meurtrier de la fille qui le fixait par la fenĂȘtre.<br /> ''Je vais en prendre pour mon grade. Danger.''<br /> â P-PigĂ©. J'arrive !<br /> â Alors mets-toi au boulot ! Et que ça saute !<br /> MenacĂ© par un martĂšlement sur la fenĂȘtre, il enfila ses baskets et sortit de la remise.<br /> â Pas la peine d'ĂȘtre aussi Ă©nervĂ©e... T'as fait la grasse mat' ce matin, toi...<br /> â Parce que je me suis couchĂ©e tard hier.<br /> â ... Volontairement, par contre.<br /> Ce aprĂšs quoi il fut frappĂ© par un coup rapide comme l'Ă©clair et non retenu qui le transperça avec une extrĂȘme prĂ©cision lĂ oĂč ça fait le plus mal, lui faisant voir une pluie d'Ă©toiles.<br /> <br /> Quand ils revinrent, le boss leur lança un regard interrogateur.<br /> â Hein ? Maintenant c'est toi qui es blanc comme un linge ?<br /> â ... Fichez-moi la paix !<br /> Le boss resta perplexe en entendant la voix super aigĂŒe du garçon, mais il se remit rapidement au travail.<br /> â ... Alors, oĂč en ĂȘtes-vous depuis tout Ă l'heure ?<br /> â On a sorti toutes les piĂšces et tous les outils. C'Ă©tait pas de tout repos, tu sais, fanfaronna-t-elle en pointant du doigt les piĂšces parfaitement agencĂ©es.<br /> Le camion qui occupait jusqu'ici une grosse partie de l'assez spacieux entrepĂŽt avait dĂ©jĂ Ă©tĂ© garĂ© ailleurs. Tout un chacun pouvait se demander, au regard du poids des objets ici prĂ©sents, s'il Ă©tait vraiment nĂ©cessaire d'avoir recours Ă un quatre tonnes pour les transporter.<br /> Cependant, la taille de chaque piĂšce n'y Ă©tant pas Ă©trangĂšre, il fallait bien ce container et sa capacitĂ© pour les ranger.<br /> â Un avion Ă propulsion humaine pourrait ĂȘtre composĂ© de plus petites piĂšces, non ?<br /> â Mm ? Ah, jette un coup d'Ćil à ça.<br /> Le boss se dirigea vers le plan de travail et rapporta avec lui ce qui ressemblait Ă un plan. Il n'Ă©tait pas trĂšs dĂ©taillĂ©, sĂ»rement destinĂ© Ă indiquer comment assembler les piĂšces entre elles.<br /> â Plus tu as de composants, plus tu as besoin de piĂšces pour faire la jointure. D'un point de vue poids, mais aussi d'un point de vue stabilitĂ©, c'est pas gĂ©nial. ParticuliĂšrement parce que les matĂ©riaux utilisĂ©s sont en plastique â et on ne peut pas vraiment utiliser des boulons et des Ă©crous ici, vu que ça risque d'endommager les piĂšces.<br /> â Alors cette grande aile est... une piĂšce en elle-mĂȘme ?<br /> â Ouaip ! On a utilisĂ© une mĂ©thode Ă base de plastique renforcĂ© de fibres et de moulage par injection pour grosses piĂšces qu'on a passĂ© des nuits Ă dĂ©velopper.<br /> â ... Ă base de quoi ? demanda la fille sans enthousiasme, ayant du mal Ă le suivre mais n'ayant pas l'air vraiment intĂ©ressĂ©e en mĂȘme temps.<br /> Le boss, lui, dĂ©gaina une fois de plus. S'il n'avait pas perdu ses couleurs, son visage aurait sans doute rougi d'excitation. Ouais, aucun doute lĂ -dessus.<br /> â Ok, ma petite, ouvre grand tes oreilles : quand on modĂšle le plastique, en gros, on assemble deux gros moulages ensemble et on injecte le matĂ©riau, mais on les a construits de façon Ă ce que les parties mobiles soient dĂ©jĂ prĂȘtes au moment d'enlever les moulages.<br /> â Ah bon ? C'est gĂ©nial ça... Je crois ?<br /> Sa rĂ©ponse creuse Ă©tait aussi vague qu'elle en avait l'air, Ă mi-chemin entre la comprĂ©hension et l'incomprĂ©hension, mais elle voulait probablement qu'il s'arrĂȘte lĂ . Cela pouvait littĂ©ralement se lire sur son visage.<br /> â Et c'est vous-mĂȘme qui avez dĂ©veloppĂ© cette technique ?<br /> â Ouais. On s'est inspirĂ© de techniques existant dĂ©jĂ , mais on est les seuls Ă avoir fait un truc de cette taille... rĂ©pondit-il au garçon en bombant le torse... avant de laisser tomber ses Ă©paules.<br /> â ... Sauf que... Y'a juste un petit hic.<br /> â U-Un hic ?<br /> Le garçon fut surpris par la vitesse Ă laquelle le boss se retrouva dĂ©moralisĂ© alors qu'il venait de se vanter. Apparemment, il Ă©tait souvent sujet Ă des sautes d'humeur.<br /> Le boss reposa le plan sur la table de travail et donna un petit coup sur le fuselage qui Ă©tait attachĂ© aux points de fixation.<br /> â ... Les matĂ©riaux ne peuvent pas ĂȘtre recyclĂ©s.<br /> â RecyclĂ©s ?<br /> â Ouais. Tu sais sĂ»rement qu'il est difficile de recycler du plastique, pas vrai ? Le meilleur moyen est de le faire fondre et de lui donner une nouvelle forme, mais ici, il y a des nanotubes de carbone Ă l'intĂ©rieur. Du fait de ces composants, on ne peut pas le recycler. Et Ă cause du carbone, il n'est pas Ă©vident de le casser en morceau et de le jeter dans une dĂ©charge, oĂč l'on se dĂ©barrasse gĂ©nĂ©ralement des dĂ©chets plastiques.<br /> â ... Donc en gros, il est difficile de le jeter ?<br /> â Exactement. Pire, malgrĂ© son extraordinaire souplesse et Ă©lasticitĂ©, ça reste du plastique, donc ça manque de soliditĂ©. Et donc, il prĂ©sente le gros dĂ©savantage d'ĂȘtre difficile Ă dĂ©truire tout en Ă©tant facile Ă casser ! De nos jours, c'est pas Ă©vident de se faire de l'argent avec des technologies qui ne prennent pas en compte l'Ă©cologie... dit-il en soupirant et tout en continuant de tapoter le fuselage.<br /> Peut-ĂȘtre que c'Ă©tait sa personnalitĂ© qui Ă©tait Ă l'origine de l'Ă©tat vĂ©gĂ©tatif dans lequel il se trouvait quand ils l'ont rencontrĂ©.<br /> â Laissons le passĂ© oĂč il est, ''Boss''. Allons manger plutĂŽt.<br /> ''Bien jouĂ©, Fille !'' Comme quoi, sa gloutonnerie d'habitude inquiĂ©tante pouvait s'avĂ©rer utile de temps Ă autre. Le garçon lui tendit le pouce dans sa tĂȘte.<br /> â Mh ? C'est dĂ©jĂ l'heure ?<br /> â Il est dĂ©jĂ une heure ! J'ai pas mangĂ© de petit dĂ©j', je crĂšve la dalle du coup.<br /> Elle se vautra dans une chaise en tube, et se frotta l'estomac.<br /> La gueule de bois du fait de sa cuite de la veille ne semblait plus ĂȘtre qu'un lointain souvenir pour elle. Si on pouvait mesurer la puissance de son estomac, le rĂ©sultat obtenu serait sans aucun doute immense. MĂȘme ce plastique machin-bidule qui posait problĂšme au boss pourrait sĂ»rement ĂȘtre digĂ©rĂ© par son estomac.<br /> â Hm... C'est pas une mauvaise idĂ©e. Enfin, j'ai que des trucs en conserve, alors Ă part des nouilles instantanĂ©es, j'ai pas grand-chose Ă vous offrir...<br /> â Ah ! Ăa me va ! J'ai envie d'en manger !<br /> La fille avait ouvert la voie, et mĂȘme le garçon commençait Ă s'en lĂ©cher les babines.<br /> â Q-Quoi ? Ăa a quoi de spĂ©cial ?<br /> â Eh bien, vous savez, on voyage en moto. Et du coup, on peut pas transporter beaucoup d'eau avec nous, et on doit donc Ă©viter les plats qui en nĂ©cessitent beaucoup...<br /> Entre parenthĂšses, le garçon et la fille avaient chacun leurs tĂąches respectives. Tandis que le garçon Ă©tait le chauffeur et responsable de la maintenance de la moto, la fille Ă©tait la cuisiniĂšre et en charge des provisions. Le garçon n'avait pas son mot Ă dire dans le contrĂŽle de leurs rĂ©serves ni sur le menu. Elle Ă©tait Ă©tonnamment stricte Ă ce sujet. Vraiment.<br /> â Bah, si vous y tenez tant, allons dĂ©jeuner. J'en ai mangĂ© une bonne partie, alors il doit pas en rester des masses, mais ça devrait ĂȘtre suffisant.<br /> â GĂ©nial ! HĂ©, ''Garçon'' ! De l'eau chaude, et que ça saute !<br /> â Oui, oui.<br /> Le garçon partit prĂ©cipitamment, poussĂ© par une fille insistante.<br /> <br /> â ... Ăa fait bizarre de se retrouver Ă court d'eau parce que malgrĂ© les Ă©clairs menaçants d'hier, il n'a pas plu.<br /> Il appuya sur le bouton et une flamme bleue commença Ă caresser le fond de la bouilloire.<br /> Le garçon et les deux autres Ă©taient assis dans la salle de repos de trente mĂštres carrĂ©s de la remise. GrĂące Ă une ventilation naturelle, il faisait bien plus frais Ă l'intĂ©rieur que dehors, malgrĂ© l'absence de climatiseur. Une humiditĂ© plus faible aurait vraiment Ă©tĂ© la cerise sur le gĂąteau, mais c'Ă©tait dĂ©jĂ bien suffisant.<br /> â Dire qu'il y a une semaine, on aurait pu se noyer tellement il pleuvait fort... C'est vraiment rageant de toujours devoir Ă©conomiser notre eau quand on en a le plus besoin !<br /> â D'ailleurs, au dĂ©but, j'ai essayĂ© de boire directement l'eau de pluie.<br /> â ... Et qu'est-ce qui s'est passĂ© ?<br /> â Enfin, je l'ai filtrĂ©e d'abord. Mais ça n'a pas suffi, vu que j'ai eu la courante le lendemain et j'ai perdu plus d'eau que j'en avais bue.<br /> â Beurk..., fit la fille de dĂ©goĂ»t en rĂ©ponse Ă la description crĂ»e du boss.<br /> Il sortit un large sac en plastique et se saisit de divers types de nouilles instantanĂ©es. Il y avait des sachets de toute sorte, sĂ»rement parce qu'il les avait achetĂ©s tous en mĂȘme temps.<br /> â Mais je m'en sors mieux depuis que j'ai construit ce chauffe-eau. Heureusement qu'il y a des tas de barils qui traĂźnent dans le coin. Et on peut mĂȘme se contenter d'herbe sĂšche pour nourrir le feu.<br /> â Une fois de plus, je me rends compte Ă quel point c'est difficile de rester au mĂȘme endroit...<br /> â Tout comme les voyages, ajouta le garçon.<br /> Une atmosphĂšre songeuse s'installa.<br /> Comme pour briser ce silence pesant, la bouilloire sur le rĂ©chaud portable en face d'eux se mit Ă siffler.<br /> Comme on dit, « Tout vient Ă point Ă qui sait attendre », et parler d'autre chose les avait bien aidĂ© Ă patienter.<br /> La discussion sĂ©rieuse n'Ă©tait plus qu'un lointain souvenir : les bĂȘtes affamĂ©es se ruĂšrent sur leurs paquets en moins de temps qu'il n'en faut pour dire ouf, les ouvrirent et attendirent que le garçon ne leur verse de l'eau chaude. La fille rĂ©ussit mĂȘme Ă Ă©tonner ces deux messieurs en demandant de l'eau dans deux gobelets en mĂȘme temps.<br /> Puis, le silence s'installa de nouveau entre eux.<br /> L'appĂ©tit dĂ©cuplĂ© par la faim aprĂšs un dur labeur, et bien sĂ»r, du fait qu'ils n'avaient pas mangĂ© de nouilles depuis un moment, les baguettes du garçon et de la fille bougeaient sans s'arrĂȘter.<br /> â Burp... Je me suis bien rempli la panse...<br /> â ... Tu pourrais pas dire l'estomac pour changer ? J'ai l'impression que t'oublies que t'es une fille des fois...<br /> â Pas la peine de chipoter.<br /> Cependant, se pencher en arriĂšre en s'Ă©ventant tout en ayant deux gobelets vides devant elle faisait qu'elle ressemblait comme deux gouttes d'eau Ă un homme dĂ©braillĂ© d'Ăąge moyen, et la scĂšne aurait mĂȘme sĂ»rement refroidi le premier de ses prĂ©tendants.<br /> Si la mansuĂ©tude du garçon n'Ă©tait pas aussi grande que l'ocĂ©an, il l'aurait sĂ»rement repoussĂ©e avant mĂȘme de considĂ©rer dĂ©clarer sa flamme.<br /> â Mais n'empĂȘche, peut-ĂȘtre que c'Ă©tait une erreur de manger des nouilles avec cette chaleur moite... Je suis couverte de sueur.<br /> â Pour ton info, y'a une baignoire, fit remarquer le boss.<br /> Son visage s'illumina d'un coup.<br /> â C'est vrai ?<br /> â Ouais. Je vous prĂ©parerai un bon bain une fois qu'on aura terminĂ©.<br /> â Yahou !<br /> Elle bondit de joie, lança en l'air l'Ă©ventail et agrippa le garçon par le bras.<br /> â On n'a pas une seconde Ă perdre ! Il faut qu'on finisse le boulot pour pouvoir prendre un bon bain !<br /> â T-T'en as tant envie que ça ?<br /> â Ăvidemment, banane ! Les trois plaisirs de la vie sont « manger », « prendre un bain » et « dormir » !!<br /> â Tu ferais une horrible femme au foyer.<br /> Sa remarque incisive fut silencieusement ignorĂ©e, et Ă la place, il fut poussĂ© en direction de l'entrepĂŽt sans mĂȘme avoir le temps d'enfiler ses chaussures correctement.<br /> <br /> <div style="text-align: center;">â±</div><br /> <br /> MĂȘme si leurs avancĂ©es n'Ă©taient pas sans difficultĂ©s, il n'y eut aucun contretemps majeur.<br /> D'aprĂšs le boss, la personne qui avait Ă©crit les instructions dâassemblage Ă©tait du genre pointilleuse et avait non seulement calculĂ© l'angle des points de fixation, mais avait aussi pris en compte la position des outils et l'Ă©tat mental des travailleurs. MĂȘme les amateurs qu'Ă©taient le garçon et la fille pouvaient voir le sens du dĂ©tail avec lequel elles avaient Ă©tĂ© Ă©critesâ il aurait Ă©tĂ© vraiment difficile de faire quelque chose de travers.<br /> Ils n'Ă©taient certes pas sĂ»rs d'avoir voulu avoir cette personne en face d'eux, mais les deux apprentis ingĂ©nieurs en aviation Ă propulsion humaine ne pouvaient suffisamment le remercier.<br /> Ils finirent d'inspecter chacune des piĂšces et purent enfin s'atteler Ă lâassemblage.<br /> Avec grand soin, ils attachĂšrent la queue de l'avion Ă l'arriĂšre de l'ossature au centre de l'entrepĂŽt, qui correspondait par ailleurs Ă la colonne vertĂ©brale chez les hommes. En connectant la queue â Ă©tonnamment en forme de Î et non de V â au fuselage, dont la coupe transversale devenait plus fine vers le bas, comme un triangle renversĂ©, on avait vraiment l'impression que l'avion Ă©tait Ă l'envers.<br /> â ... Dites... J'y connais pas grand-chose en avions, mais... normalement, la queue devrait pas ĂȘtre orientĂ©e vers le haut ?<br /> Sa question, qui omettait â comme Ă son habitude chez la fille â toute considĂ©ration technique, fit Ă©clater de rire le boss.<br /> â Bah, celles que tout le monde connait, ouais. GĂ©nĂ©ralement, on veut que le centre de gravitĂ© soit au centre de l'engin parce que ça rend l'avion plus maniable. Mais on change rarement d'angle quand on vole en APH<ref>Avion Ă propulsion humaine.</ref>, c'est pour ça qu'on met la queue vers le bas, pour que le tout soit plus stable. Comme ça, on peut voler horizontalement sans problĂšme.<br /> Ce type de queue en forme de Î Ă©tait nĂ©anmoins peu utilisĂ© en pratique, du fait des problĂšmes liĂ©s au dĂ©collage et Ă l'atterrissage. Il Ă©tait par ailleurs quelque peu ironique que le seul cas connu qui utilise ce procĂ©dĂ© soit un drone de reconnaissance pilotĂ© Ă distance d'un certain grand pays.<br /> â ... Autrement dit, c'est la mĂȘme chose que les avions en papier qui n'ont pas de queue verticale ?<br /> â Hmm, eh bien, on peut dire ça, mĂȘme si c'est pas exactement ça non plus.<br /> La fille le regarda avec un air dubitatif.<br /> Il prit deux cĂąbles fins Ă la base de la queue et tira doucement dessus.<br /> Avec un bon dĂ©clic, une paire de roues sortit des deux extrĂ©mitĂ©s orientĂ©es vers le bas.<br /> â Le train d'atterrissage est Ă l'intĂ©rieur. C'est bien mieux que de construire un container Ă part, pas vrai ?<br /> â Quoi ? Cet avion peut atterrir ?<br /> â Tu t'attendais Ă quoi ?<br /> â Je pensais que vous alliez voler jusqu'Ă Douvres.<br /> â ... HĂ©, gamine, ne me dis pas que tu croyais que ce truc sortait tout droit du show du lac Biwa<ref>RĂ©fĂ©rence au « Birdman Rally », une compĂ©tition de deltaplanes, planeurs et APH artisanaux ouverte Ă tous. Cette compĂ©tition sâest notamment tenue en 2006 au lac Biwa au Japon.</ref>.<br /> â C'est pas le cas ?!<br /> â Ben, le record qu'on veut battre demande de tout faire tout seul, du dĂ©collage Ă l'atterrissage. Contrairement Ă cette compĂ©tition, il faut pouvoir faire ça aussi.<br /> Tout en continuant son explication, il appela le garçon et lui demanda de l'aider Ă fixer la queue de l'avion.<br /> Apparemment, le garçon savait ce qu'il y avait Ă faire ; il ouvrit la boĂźte Ă outils Ă cĂŽtĂ© et sortit quelques outils dont une clĂ© anglaise et un tournevis, puis commença Ă aider le boss.<br /> â ... Mais ce genre de queue ne peut pas servir de gouvernail, non ? demanda le garçon tout en continuant son travail.<br /> Le boss lui rĂ©pondit tout en serrant un boulon. Les deux Ă©taient assez pro.<br /> â Les ailes feront l'essentiel de la navigation. La queue ne sert vraiment que pour l'Ă©quilibre. En fait, on aurait pu se contenter d'une seule aile volante, mais l'Ă©quilibre est vraiment pas Ă©vident Ă garder.<br /> â ... HĂ©, vous parlez en quelle langue, les gars ?<br /> La fille les regardait avec un regard mal Ă l'aise et un peu solitaire, sĂ»rement du fait que la conversation qu'ils avaient en parallĂšle de leur travail Ă©tait parsemĂ©e de mots qui lui Ă©taient inconnus.<br /> Ă mesure qu'ils progressaient et qu'ils s'habituaient Ă leur travail, chacun commença Ă s'atteler Ă une tĂąche diffĂ©rente.<br /> Le boss faisait le gros du travail, tandis que le garçon le soutenait dans sa tĂąche. La fille, quant Ă elle, Ă©tait chargĂ©e de leur apporter diverses petites piĂšces et des outils. Et quand il y avait besoin de force, ils s'y mettaient ensemble.<br /> Par exemple, le raccord des grandes ailes, qui occupaient toute la diagonale de l'entrepĂŽt, Ă l'ossature avec leurs forces unies fut conclu par un tonnerre d'applaudissements et de cris de joie. Principalement venant de la fille, bien entendu.<br /> HĂ©las, dĂšs qu'ils eurent fini d'attacher le cockpit en forme de cageot en dessous du fuselage, elle n'avait plus grand chose Ă faire ; ne restait dĂ©sormais que du travail de prĂ©cision.<br /> â Est-ce que le siĂšge est bien en place ? demanda le boss.<br /> Le garçon vĂ©rifia alors la stabilitĂ© de la selle de vĂ©lo en essayant de la secouer. Cette derniĂšre Ă©tait bien plus solidement fixĂ©e qu'on aurait pu s'y attendre Ă©tant donnĂ© qu'elle Ă©tait simplement attachĂ©e au corps en plastique.<br /> â Ăa m'a l'air bien. C'est stable.<br /> â Ok, dans ce cas, pourrais-tu procĂ©der au cĂąblage du gouvernail principal ? Mais fais attention avec les cĂąbles s'il te plaĂźt ; c'est vraiment pĂ©nible de les changer une fois cassĂ©s. Il y a suffisamment de matĂ©riel de rechange dans le camion, mais on manque de temps.<br /> â ... PigĂ©.<br /> Le garçon, maintenant assez tendu, tira lentement le cĂąble en nylon qui pendait au-dessus de lui jusqu'au manche Ă balai, en le dĂ©roulant via plusieurs poulies qui Ă©taient positionnĂ©es dans le cockpit.<br /> â Quelle chance... J'ai envie de m'asseoir lĂ , moi aussi.<br /> â On fait pas ça pour s'amuser, tu sais.<br /> â Mais c'est le cas pourtant, c'est un passe-temps, quoi que t'en dises.<br /> Elle disait vrai. Il faisait ça sans contrepartie, alors c'Ă©tait juste pour s'amuser. Le boss voulait lui rĂ©torquer quelque chose, mais il ne savait pas quoi rĂ©pondre, Ă©tant donnĂ© qu'elle avait vu juste.<br /> â Il faut faire avec. Si elle pĂšte un cĂąble maintenant, elle va rĂ©duire l'avion en mille morceaux avant qu'on termine de l'assembler, expliqua le garçon au boss, ce qui irrita la fille.<br /> â Pour qui tu me prends au juste ?<br /> â Une bĂȘte fĂ©roce.<br /> L'instant d'aprĂšs, un gros bruit rĂ©sonna et le poing de la fille heurta le garçon.<br /> Il avait Ă©tĂ© envoyĂ© voler hors du cockpit, dont les parois n'avaient pas encore Ă©tĂ© fixĂ©es, et tomba sur le sol.<br /> â ... On dirait qu'il n'est plus en Ă©tat de travailler. Je vais prendre sa place.<br /> â ... Comme tu voudras.<br /> Plus quâune approbation, câĂ©tait plutĂŽt une supplication de ne pas abĂźmer sa machine adorĂ©e qui se lisait sur le visage du boss, horrifiĂ© comme s'il regardait un animal carnivore dĂ©vorer sa proie.<br /> â Ces cĂąbles contrĂŽlent la courbure des ailes, d'accord ? Raccorde celui avec un embout rouge Ă l'avant du manche Ă balai et celui avec un embout bleu Ă l'arriĂšre.<br /> â La courbure ?<br /> MalgrĂ© sa grande curiositĂ©, ses mouvements Ă©taient trĂšs minutieux. MĂȘme la fille savait Ă quel point il tenait Ă cet avion.<br /> Elle avait manifestement fait attention Ă ce que son coup de poing quelques instants plus tĂŽt n'abĂźme pas la machine.<br /> â Cet engin n'a ni gouvernail ni de moyen de prendre de la hauteur, alors c'est l'orientation des ailes qui fait l'essentiel du travail.<br /> â Elles vont vraiment bouger avec ce mĂ©canisme ? L'avion ne risque pas de se crasher ?<br /> â T'en fais pas. Je vais juste faire un aller-retour, alors j'ai pas vraiment besoin de changer de trajectoire ! Enfin, le dĂ©collage et l'atterrissage seront assez difficiles, mais ça dure que quelques instants.<br /> â Et vous allez faire un looping ?<br /> â T'as cru que j'allais faire des cascades avec un avion qui peut Ă peine voler ?<br /> Il lui donna un petit coup de coude, ce qui la fit rire.<br /> La fille continua sa tĂąche â avec une Ă©tonnante habiletĂ© â tout en riant, et elle finit de raccorder les cĂąbles en un rien de temps.<br /> â Est-ce qu'on doit les ajuster maintenant ?<br /> â On s'en chargera quand on aura fini d'assembler le reste. Ensuite, on va s'occuper du moteur... Enfin, c'est juste quelques roues dentĂ©es assemblĂ©es entre elles.<br /> La fille s'Ă©merveilla devant la boĂźte de vitesses qu'il lui tendit.<br /> â Boss, elles sont aussi en plastique ?<br /> Ă sa connaissance, les roues dentĂ©es Ă©taient gĂ©nĂ©ralement faites en mĂ©tal.<br /> Les engrenages dans la boĂźte qu'il lui avait donnĂ©e semblaient cependant faits en un matĂ©riau qui ressemblait Ă du plastique, alors que la boĂźte en elle-mĂȘme Ă©tait en acrylique. Chacun d'entre eux Ă©tait plein de petits trous et pas aussi lourds qu'ils en avaient l'air.<br /> â C'est du polystyrĂšne. La boĂźte est en acrylique. Tu vois, ils n'ont pas besoin de tourner vite, et comme ça, on peut presque se passer d'huile.<br /> â ... Vous tenez vraiment Ă ce qu'il soit le plus lĂ©ger possible, hein...<br /> â Ăvidemment ! Plus c'est lĂ©ger, mieux c'est. Sinon, ça ne marcherait pas Ă propulsion humaine.<br /> â Il serait possible d'installer le moteur de Cubby dessus et de voler jusqu'Ă l'Ă©tranger ?<br /> â Non.<br /> Elle Ă©tait persuadĂ©e que c'Ă©tait une idĂ©e gĂ©niale, mais celle-ci fut immĂ©diatement balayĂ©e du revers de la main.<br /> ''Dommage. J'aurais vraiment voulu voyager Ă l'Ă©tranger.''<br /> <br /> Quand ils eurent fini d'attacher le moteur, le boss reprit les choses en main, Ă©tant donnĂ© que la connexion entre le moteur et les ailes demandait beaucoup de doigtĂ©.<br /> La courroie du moteur, qui ressemblait Ă une chaĂźne de vĂ©lo, Ă©tait connectĂ©e Ă l'axe principal juste en dessous du fuselage, le tout avait enfin lâair de « quelque chose susceptible de voler ».<br /> â Bizarre. Les hĂ©lices sont pas Ă l'avant d'habitude ? dit la fille en tapotant le fuselage blanc neige.<br /> Elle ne trouvait pas illogique le fait que les ailes s'Ă©tendaient au-dessus du cockpit. Mais les hĂ©lices ne se trouvaient pas tout Ă l'avant, mais sur une piĂšce mĂ©canique qui Ă©tait situĂ©e au milieu du fuselage.<br /> â On pourrait tout aussi bien les mettre Ă l'avant. En fait, ça aurait Ă©tĂ© plus simple et plus stable.<br /> â Dans ce cas, pourquoi ne pas l'avoir fait ?<br /> â C'est une question d'efficacitĂ©. Si on les mettait Ă l'avant, le vent produit toucherait partiellement l'avion en lui-mĂȘme. Ă part ça... une prĂ©fĂ©rence personnelle peut-ĂȘtre ?<br /> â Mais la prĂ©fĂ©rence ne devrait pas passer en second plan quand il est justement question d'efficacitĂ©...?<br /> â Qu'est-ce que tu racontes ?! cria le garçon Ă la fille au sourire de travers.<br /> AprĂšs s'ĂȘtre fait Ă©jecter du cockpit, il n'avait eu plus d'autre choix que de ranger les points de fixation non utilisĂ©s pendant que les deux autres continuaient Ă s'atteler Ă la tĂąche, mais maintenant, il serrait le poing et se lança dans un discours enflammĂ©.<br /> â Rah, les filles, j'vous jure ! Vous comprenez rien Ă la beautĂ© de la mĂ©canique ! Les hĂ©lices ne sont que des dĂ©corations sur un avion Ă propulsion humaine, tu sais ! On ne peut certes rien pour ces longues ailes Ă©lĂ©gantes, mais on peut faire ce qu'on veut avec ces hĂ©lices !<br /> â ... Ah... Ok. J'ai pigĂ©. Je veux pas perdre une miette de cette conversation, alors va nous chercher du thĂ©.<br /> â ... Ok.<br /> Sa passion restait incomprise. Avec une bouilloire pour l'instant bien lĂ©gĂšre dans une main, il se dirigea vers la remise, oĂč ils avaient prĂ©parĂ© du thĂ© d'orge.<br /> â ... Haa, c'est si difficile de comprendre toutes ces passions bizarres que les hommes ont tendance Ă avoir... soupira la fille en sentant que quelque chose qu'on pourrait appeler motivation ou moral avait quittĂ© son corps en mĂȘme temps que son soupir.<br /> â Bah, c'est normal. C'est sans doute une question de sexe.<br /> â Ah bon ? Vous ne croyez pas que l'environnement dans lequel on a grandi a une influence ?<br /> â Ăa pourrait ĂȘtre le cas, du moins, en partie. Mais qu'est-ce que tu penses de tous ces gamins Ă travers le pays qui sont fans des effets spĂ©ciaux, des mĂ©chas et tout ça ? Ăa ne viendrait pas de leur nature ?<br /> La fille gĂ©mit en entendant ses mots.<br /> â T'en fais pas. La passion pour les machines et les aventures est au moins aussi profondĂ©ment ancrĂ©e dans notre ADN que celle pour les femmes.<br /> â Quelle galĂšre.<br /> Sa voix, qui aurait pu ĂȘtre un soupir ou un lĂ©ger rire en mĂȘme temps, se mĂ©langea aux chants des cigales qui traversaient les murs de tĂŽles, et disparut sans atteindre qui que ce soit.<br /> <br /> Ils progressaient petit Ă petit, et Ă la nuit tombĂ©e, quand la tempĂ©rature Ă©tait un peu plus agrĂ©able, ils avaient terminĂ© Ă 90%.<br /> Pendant ce temps, ils avaient fait preuve d'une excellente capacitĂ© de communication, bien plus qu'on ne pouvait en attendre de personnes qui venaient de se rencontrer la veille. Par exemple, quand il fut question d'inspecter l'avion, le garçon, qui avait perdu sa place au profit de la fille, fut de nouveau mis Ă contribution, et leur premiĂšre tĂąche collective commença avec le boss leur donnant des instructions.<br /> Ă ce moment-lĂ , le garçon se trouvait dans le cockpit.<br /> Il Ă©tait en train d'examiner ce que lui disait le boss tandis que ce dernier Ă©tait en train de feuilleter un Ă©pais manuel qui contenait la liste des choses Ă vĂ©rifier.<br /> â Ensuite, pousse le manche vers la droite.<br /> â Vers la droite ? Ok.<br /> Au moment oĂč il poussa le manche en bois vers la droite, les cĂąbles en nylon se tendirent en grinçant, et les ailes de chaque cĂŽtĂ© se courbĂšrent dans des directions opposĂ©es.<br /> â C'est fait.<br /> â Tout est nickel, dit le boss en apposant un tampon sur la check-list. Maintenant essaye de la bouger vers la gauche.<br /> â Ok, vers la gauche.<br /> Simple et prĂ©cis, mais Ă©galement monotone â la fille avait immĂ©diatement rendu les armes, comme ce n'Ă©tait pas le genre de tĂąche qui lui convenait, et Ă©tait en train de les observer, assise sur un des lits qui Ă©taient disposĂ©s pour faire une sieste.<br /> Silencieusement, elle les regardait progresser lentement mais sĂ»rement, tout en faisant attention Ă ne pas les dĂ©ranger. Ătait-ce dĂ» au fait de les voir trĂšs bien se dĂ©brouiller sans elle ? Ou Ă©tait-ce de la jalousie ? Incapable de faire le point sur ses sentiments, elle s'Ă©tala sur le lit. Elle saisit la couverture roulĂ©e en boule qui faisait office d'oreiller et la posa sous sa tĂȘte.<br /> Le garçon et le boss ressemblaient Ă deux frĂšres ayant une certaine diffĂ©rence d'Ăąge quand ils travaillaient comme ça ensemble.<br /> Sans faire attention Ă la fille et comme s'ils Ă©taient obsĂ©dĂ©s par quelque chose, mais tout en ayant les yeux brillants d'un enfant, ils mettaient littĂ©ralement corps et Ăąme dans cet avion.<br /> Peut-ĂȘtre qu'ils Ă©taient plus comme un senpai et un kohai<ref>Senpai dĂ©signe une personne qui a plus dâexpĂ©rience que soi, kohai dĂ©signant lâinverse.</ref>. Cela faisait trois mois que le garçon et la fille avaient quittĂ© l'Ă©cole, mais l'image qu'elle en avait n'avait pas encore perdu sa couleur.<br /> HĂ©las, elle avait dĂ©jĂ oubliĂ© les visages de la moitiĂ© des personnes de sa classe. Elle Ă©tait incapable de savoir si c'Ă©tait dĂ» à « la disparition » ou simplement suite Ă un oubli naturel.<br /> Si on lui demandait si elle s'inquiĂ©tait pour eux, elle aurait rĂ©pondu « oui ». Qu'est-ce qu'ils Ă©taient devenus ? Les centaines de kilomĂštres qui les sĂ©paraient Ă©taient comme un monde en ces temps troublĂ©s oĂč Internet n'existait plus et oĂč les tĂ©lĂ©phones ne fonctionnaient plus.<br /> Ăa aurait sĂ»rement Ă©tĂ© une distance insurmontable de leur vivant sans l'aide de Cubby. Il y avait mĂȘme des chances qu'ils fussent dĂ©jĂ morts Ă l'heure qu'il est sans elle.<br /> La fille n'avait aucune intention de rentrer chez elle.<br /> Elle ignorait ce qu'en pensait le garçon, mais elle voulait continuer leur voyage.<br /> Leur voyage n'avait pas de destination prĂ©cise. Plusieurs personnes leur avaient demandĂ© oĂč leur pĂ©nible voyage les menait, mais ils avaient toujours rĂ©pondu la mĂȘme chose :<br /> « Ă la fin du monde. »<br /> Elle ne se demanda jamais le sens de leur voyage, pas plus qu'elle ne s'inquiĂ©tait pour les problĂšmes Ă venir. Pas une seule fois elle n'avait pensĂ© Ă leur destination.<br /> La fille n'Ă©tait pas spĂ©cialement fan de lecture, mais il y avait une citation, que le garçon lui avait apprise, qui l'avait particuliĂšrement touchĂ©e.<br /> C'Ă©taient les paroles d'une certaine reine du pays des miroirs<ref>RĂ©fĂ©rence au roman De l'autre cĂŽtĂ© du miroir de Lewis Carroll qui fait suite aux Aventures d'Alice au pays des merveilles.</ref>. <br /> « Ici, tu vois, tu dois courir aussi vite que tu peux pour rester immobile. Si tu veux aller ailleurs, tu dois courir au moins deux fois plus vite que cela ! »<br /> La fille continuait le voyage afin de pouvoir rester avec le garçon.<br /> Elle avait abandonnĂ© tout ce qui pouvait la gĂȘner. La seule option qui lui restait, c'Ă©tait d'aller de l'avant.<br /> S'ils venaient Ă revenir dans leur ville, ça aurait Ă©tĂ© aprĂšs qu'ils aient fait le tour du monde.<br /> <br /> â ContrĂŽle terminééééé !<br /> Le boss balança la check-list en l'air, alors que le garçon poussait un gros ouf de soulagement avant de s'asseoir sur une chaise.<br /> Contrairement Ă la phase d'assemblage, il n'y avait quasiment pas de travail physique, mais ils avaient pu se rendre compte assez rapidement que fatigue physique et fatigue mentale n'Ă©taient pas forcĂ©ment Ă©quivalentes.<br /> Ils avaient priĂ© les cieux pendant leur contrĂŽle pour que la machine qu'ils avaient montĂ©e de leurs propres mains fonctionne correctement, alors rien dâĂ©tonnant Ă ce quâils aient mal au cou.<br /> â C'est bon, on a fini ?<br /> â Ouais. On a vĂ©rifiĂ© les rĂ©glages du GPS et de l'anĂ©momĂštre et de tout le reste. Les piĂšces ont l'air de fonctionner Ă merveille. Il ne reste maintenant plus que le vol en lui-mĂȘme, dit-il avec un grand sourire tout en tapotant gentiment le fuselage de l'avion.<br /> Du haut de ses 38,2 mĂštres de large, ses 10,4 mĂštres de haut et ses 30 kilogrammes, le mince avion Ă propulsion humaine, qui transpirait la fiertĂ©, la passion et l'attachement du boss et de ses dĂ©funts collĂšgues, Ă©tait fin prĂȘt.<br /> â Comment vous sentez-vous ? Heureux...?<br /> â Non, infirma le boss, ce aprĂšs quoi le garçon le regarda.<br /> Le boss posa doucement sa main sur l'aile et la caressa gentiment comme si c'Ă©tait son propre enfant.<br /> â Pas avant le vol. Les danses de joie, ce sera pour demain, aprĂšs le vol. Cet engin est un avion aprĂšs tout, pas un bibelot, pas vrai ? dĂ©clara-t-il avant de se retourner en direction du garçon avec un visage qui, contrairement Ă ses dires, cachait maladroitement son excitation.<br /> â ... Oui. C'est un avion. On l'a pas montĂ© ensemble pour qu'il pourrisse dans un coin.<br /> â Ouais. Il est encore trop tĂŽt pour se rĂ©jouir. Sa vĂ©ritable valeur se mesure en vol.<br /> Ces paroles n'Ă©taient pas adressĂ©es au garçon, mais Ă lui-mĂȘme. Et donc, le garçon se retint de rĂ©pondre et Ă©pongea la sueur sur son front, juste avant d'expirer un bon coup.<br /> â J'espĂšre qu'il fera beau demain.<br /> â Tu plaisantes ? Bien sĂ»r qu'il fera beau ! Sinon, j'attaque le ciel en justice.<br /> Il Ă©tait presque obligĂ© de rire.<br /> ''Oh lĂ lĂ , je ferai mieux de faire un teru teru bĂŽzu<ref>Petite poupĂ©e artisanale fabriquĂ©e avec du papier ou du tissu blanc que l'on accroche aux fenĂȘtres des maisons avec une corde les jours de pluie au Japon en chantant une comptine traditionnelle qui tient lieu de priĂšre pour le beau temps.</ref> avec quelques mouchoirs. C'est loin d'ĂȘtre une bonne idĂ©e d'utiliser ça sans savoir quand on pourra en retrouver, mais une fois de temps en temps, ça ne fait pas de mal.''<br /> <br /> â Oufwah !<br /> La premiĂšre chose qui se fit entendre aprĂšs cet Ă©trange cri fut un bruit sourd, qui venait de la fille tombant de son lit. Apparemment, elle s'Ă©tait assoupie sans le vouloir alors qu'elle s'Ă©tait allongĂ©e.<br /> Elle s'assit nĂ©gligemment et son regard erra jusqu'Ă atterrir entre eux et l'avion.<br /> â ... Fini ?<br /> â Ouais, on a fini.<br /> â ... Bravo, les fĂ©licita-t-elle, toujours Ă moitiĂ© endormie, avant de s'approcher de l'avion. ... Et câest quoi son petit nom ?<br /> â Hein ?<br /> â Celui de l'avion.<br /> Le garçon et le boss s'Ă©changĂšrent un regard.<br /> Sa question les avait vraiment pris par surprise.<br /> â ... Raaah ! Fallait s'y attendre... Vous pensiez qu'Ă l'assembler, au point d'en oublier le plus important !<br /> GĂ©nĂ©ralement, ce sont plutĂŽt les hommes qui ressentent le besoin de baptiser les objets inanimĂ©s, mais le bon sens ne s'appliquait pas Ă elle.<br /> â Avec vos camarades, vous avez pas rĂ©flĂ©chi Ă un nom...? Ah, je vois. Il a disparu, hein ?<br /> En abandonnant les deux hommes silencieux, elle farfouilla dans une boite Ă outils qui Ă©tait Ă cĂŽtĂ© d'elle.<br /> â Allez, Ă vous de dĂ©cider, ''Boss'', lui dit-elle tout en lui tendant un banal marqueur noir Ă pointe trĂšs Ă©paisse.<br /> Enfin, il n'y avait rien d'autre pour Ă©crire, Ă©tant donnĂ© qu'ils n'avaient ni pistolet Ă peinture, ni bombe.<br /> â Je dois vraiment dĂ©cider tout seul ?<br /> â En Ă©change, y'a intĂ©rĂȘt Ă ce que ce nom nous plaise. Si vous lui donnez un nom pourri, vous allez mâentendre.<br /> Le boss haussa les Ă©paules, marcha sur le cĂŽtĂ© du cockpit, et fixa du regard le film en polymĂšre transparent.<br /> AprĂšs quelques instants d'hĂ©sitation, il dĂ©boucha le marqueur et commença Ă Ă©crire. Les lettres finales Ă©taient...<br /> â ... « Jonathan », hein...? dit le garçon avec de gros yeux, puis le boss se retourna.<br /> â Ouais. C'est le nom de la mouette la plus connue du monde.<br /> Cinq caractĂšres en katakana Ă©taient Ă©crits sur le film coupe-vent translucide.<br /> â ... Mais votre Ă©criture ressemble vraiment Ă des gribouillis... Et pire, c'est en katakana ! Pourquoi ne pas avoir utilisĂ© des caractĂšres latins ? Surtout si vous voulez voler avec en Europe !<br /> â M'en fiche. Je vais voler ici. Et puis, c'est toi qui m'as dit de trouver un nom !<br /> â ... Je sais pas, c'est juste que c'est du gĂąchis, comme si on avait voulu ajouter la touche finale en lui ajoutant une paire d'yeux, mais en se retrouvant sans le vouloir avec des poils de nez Ă la place.<br /> â C'est si nul que ça ?!<br /> â Oh, et puis zut. Allons manger. Ma sieste m'a ouvert l'appĂ©tit.<br /> â ... Les femmes changent vite de sujet, hein...<br /> â Mais c'est pas pour vous dĂ©plaire, pas vrai ? Quoi qu'il en soit, on va fĂȘter ça ce soir ! Mais si c'est encore de la nourriture en conserve, je fais grĂšve.<br /> Le boss poussa un soupir et regarda successivement la fille, puis l'avion. Puis il posa ses mains sur ses hanches.<br /> â Ăvidemment... Ce soir, c'est le rĂ©veillon du vol d'essai, vu qu'on a fini les prĂ©paratifs avec succĂšs. Enfin, il me reste pas grand-chose niveau nourriture, alors on va devoir se contenter de curry.<br /> â Du curry ?! Et pas du curry en boĂźte, hein ?!<br /> â Ouais. On nâaura pas le choix pour les carottes et la viande, mais les pommes de terre et le riz sont frais, et qui plus est, le roux est un mĂ©lange spĂ©cial d'Ă©pices.<br /> Du curry. Ă la seconde mĂȘme oĂč ce simple mot atteignit leurs oreilles, leur corps commença Ă produire une quantitĂ© phĂ©nomĂ©nale de salive dans leur bouche. Cela faisait des mois qu'ils n'avaient pas mangĂ© du vrai curry prĂ©parĂ©.<br /> â Un mĂ©lange spĂ©cial d'Ă©pices...<br /> â C'est le type qui a Ă©crit le manuel qui l'a fait. Il aimait cuisiner Ă ses heures perdues, vous savez. Il venait tout le temps me voir en me disant qu'il avait essayĂ© d'utiliser 2% de plus de curcuma ou qu'il avait augmentĂ© la dose de ses poivres noirs...<br /> â ...<br /> Le garçon pouvait plus ou moins compatir avec lui, tout comme il Ă©tait en mesure de deviner Ă quel point il n'Ă©tait pas Ă©vident d'avoir un ami aussi bizarre.<br /> <br /> Ils dĂ©cidĂšrent de faire la cuisine ensemble. Une des raisons Ă cela Ă©tait bien entendu par souci d'Ă©conomie d'Ă©lectricitĂ©, maintenant que le soleil Ă©tait couchĂ©, les cris de famine de leurs estomacs vides n'Ă©taient pas non plus Ă sous-estimer. Et il Ă©tait Ă©galement vrai qu'ils n'avaient plus rien d'autre Ă faire.<br /> Le riz fut lavĂ©, les pommes de terre Ă©pluchĂ©es, les boĂźtes de carottes et de bĆufs ouvertes, et deux feux allumĂ©s, ce sur quoi ils posĂšrent une casserole pour faire cuire le riz et une autre pour le curry.<br /> Ils commencĂšrent Ă cuisiner sans se soucier des rĂŽles de chacun, et aprĂšs un temps exceptionnellement court, ils avaient terminĂ© de prĂ©parer le dĂźner.<br /> Bien que la quantitĂ© d'ingrĂ©dients utilisĂ©e fĂ»t trĂšs faible, il y en avait largement pour tout le monde. Ils sautĂšrent ensuite sur leur repas, visiblement dĂ©terminĂ©s Ă vider les deux casseroles de leur contenu.<br /> Comme le garçon n'avait pas spĂ©cialement envie de voir une bouillie collante infĂąme qui ressemblerait Ă du nattĆ<ref>Aliment japonais traditionnel Ă base de haricots de soja fermentĂ©s, consommĂ© le plus souvent comme accompagnement du riz nature dans la cuisine japonaise, notamment au petit dĂ©jeuner.</ref> le lendemain matin â ce en quoi le riz au curry se serait transformĂ© Ă cause de la chaleur et de l'humiditĂ© de l'Ă©tĂ© â il se trouva que mĂȘme lui, qui essayait gĂ©nĂ©ralement de ne remplir son estomac qu'Ă 80%, mangea pour deux.<br /> Soit dit en passant, ils avaient plus ou moins rĂ©ussi Ă trouver un endroit frais pour la pastĂšque que le directeur et la secrĂ©taire leur avaient donnĂ©e, le rĂ©sultat fut d'une maturitĂ© exceptionnelle. La fille insista pour ĂȘtre la premiĂšre Ă essayer de la casser et s'Ă©tait mĂȘme dĂ©jĂ bandĂ©e les yeux. Tout en ignorant complĂštement les instructions incomprĂ©hensibles du boss au profit de celles trĂšs claires du garçon, elle cassa la pastĂšque d'un coup sec.<br /> Il va sans dire que son goĂ»t dĂ©passa toutes leurs espĂ©rances.<br /> <br /> Quand le grand rush fut terminĂ© et une fois les assiettes vidĂ©es de leur contenu, le boss demanda tout Ă coup alors qu'il se saisissait d'une deuxiĂšme part de pastĂšque :<br /> â Est-ce que vous comptez aller dans la ville voisine ?<br /> â Mh, sĂ»rement. Ou plutĂŽt, ça va ĂȘtre difficile de continuer notre voyage si nous ne visitons pas toutes les villes sur notre passage. On a fait plusieurs arrĂȘts en chemin, alors le suivant sera sĂ»rement ce village, ouais.<br /> â Je vois.<br /> â Pourquoi cette question ? Y'a un problĂšme ? demanda la fille tout en se frottant son estomac ballonnĂ©.<br /> Tout en croquant dans sa part, le boss lui rĂ©pondit :<br /> â Non, du tout, au contraire. Ăa serait une erreur, mĂȘme si c'est assez vivant lĂ -bas.<br /> â Vivant ?<br /> â Des rĂ©fugiĂ©s se sont rassemblĂ©s lĂ -bas et ont créé une communautĂ© autonome. C'est juste sur la cĂŽte, et ils avaient dĂ©jĂ expĂ©diĂ© plusieurs bateaux de pĂȘche quand j'y Ă©tais il y a quelques mois, alors j'imagine que la ville doit prospĂ©rer encore mieux qu'avant.<br /> â ...<br /> Le garçon et la fille s'Ă©changĂšrent un regard.<br /> En ces temps-lĂ , une grande concentration de population impliquait dĂ©jĂ beaucoup de choses. Il Ă©tait difficile pour une personne d'obtenir de la nourriture juste pour elle, mais il Ă©tait bien plus facile pour une centaine de personnes d'obtenir de la nourriture pour cent.<br /> AprĂšs tout, l'union fait la force.<br /> Quand il y a des gens, il y a de la richesse. Et les deux voyageurs allaient ĂȘtre sur le point de pouvoir en bĂ©nĂ©ficier Ă leur tour.<br /> <br /> <div style="text-align: center;">â±</div><br /> <br /> Le temps que le garçon et la fille soient repus aprĂšs avoir annihilĂ© toute trace du curry, du riz mais aussi de la pastĂšque, la nuit Ă©tait dĂ©jĂ tombĂ©e et les coassements rafraĂźchissants des grenouilles autour de l'entrepĂŽt se faisaient entendre.<br /> La lune et les Ă©toiles dans le vaste ciel dĂ©gagĂ© brillaient de mille feux, ils s'attendaient donc Ă ce qu'il fasse beau le lendemain.<br /> HĂ©las, il allait falloir encore un peu de temps avant que l'humiditĂ© ambiante ne commence Ă diminuer. Tous trois transpiraient Ă grosses gouttes Ă cause du curry qui avait fait monter leur tempĂ©rature corporelle.<br /> â HĂ©, ''Boss'', vous pouvez me dire oĂč est le bain ? demanda soudainement la fille en se rappelant de leur conversation un peu plus tĂŽt.<br /> Oui â ça lui Ă©tait complĂštement sorti de la tĂȘte Ă cause du festin au curry, mais Ă la base, elle voulait finir le travail aussi vite que possible afin de pouvoir prendre un bain.<br /> â Bien sĂ»r, il est derriĂšre la remise. Je l'ai rempli d'eau et j'ai allumĂ© un feu, ça devrait ĂȘtre bon maintenant.<br /> Tout en Ă©tant le seul Ă qui il semblait rester un peu de place dans l'estomac, le boss se leva et leur fit signe de le suivre.<br /> Le garçon devait l'avouer : il avait bien trop mangĂ© ce soir-lĂ . Tout en se tenant l'estomac, qui se plaignait bruyamment d'un taux de remplissage trop important, il suivit le boss jusqu'Ă l'arriĂšre de la remise.<br /> Et lĂ , ils trouvĂšrent le bain.<br /> Comme le garçon l'avait prĂ©vu, les attentes de la fille volĂšrent en Ă©clat.<br /> â On dirait que c'est Ă la bonne tempĂ©rature. Je vous laisse y aller les premiers.<br /> <br /> Ce qu'ils dĂ©couvrirent Ă©tait sans l'ombre d'un doute un baril qui faisait office de baignoire.<br /> <br /> C'Ă©tait une installation sophistiquĂ©e sans Ă©gale, longĂ©e ici et lĂ par des tĂŽles en mĂ©tal et Ă©clairĂ©e par une simple ampoule nue. Pour couronner le tout, il y avait mĂȘme du shampoing et des serviettes qui n'attendaient qu'Ă ĂȘtre utilisĂ©s. L'absence de toit donnait une vue imprenable sur le ciel Ă©toilĂ© et sur les alentours tout en pataugeant dans l'eau chaude.<br /> â ... Aaah...<br /> Ă en juger par les sentiments contradictoires facilement lisibles sur son visage, il semblait ĂȘtre intĂ©ressĂ©. Mais, mĂȘme le garçon n'avait encore jamais pris de bain de cette façon.<br /> ''On devrait demander s'il y a une marche Ă suivre'', pensa le garçon.<br /> â ''Boss'', comment on rentre lĂ -dedans ?<br /> â Ben, comme d'habitude ! Y'a une chaise en bois Ă l'intĂ©rieur pour que ce soit pas trop chaud, tout ce qu'il y a Ă faire, c'est allumer un feu et entrer dedans. Et je veux pas entendre de plainte quant Ă l'absence de douche.<br /> Ayant apparemment remarquĂ© dans la voix du garçon leur absence d'expĂ©rience en la matiĂšre, il donna un petite tape amicale dans le dos de la fille.<br /> â O-Ok...<br /> â Ah, et au fait, celui qui ne se baigne pas doit mettre du bois sur le feu.<br /> Il leur fallut un long moment avant de comprendre ce qu'il venait de dire l'air de rien. Comme cela dĂ©passait leur comprĂ©hension, il leur Ă©tait nĂ©cessaire d'imaginer la scĂšne dans leur tĂȘte.<br /> â Une seconde... Vous nous dites de prendre un bain ensemble ?!<br /> â ... Hein ? Parce que tu crois pouvoir rentrer Ă deux dans ce petit baril ? Un de vous deux va devoir surveiller le feu pendant que l'autre est dans le bain. Comme un apprenti cuistot.<br /> â Vous rigolez ? Je suis une fille, vous savez ?!<br /> â Bah, je sais bien. Mais ça te dĂ©range pas si c'est lui, pas vrai ? Vous sortez ensemble aprĂšs tout.<br /> â ... Qui a dit ça ?!<br /> Alors saisi par le col, le boss Ă©tait complĂštement abasourdi.<br /> â J-Je me trompe ? J'Ă©tais persuadĂ© que vous sortiez ensemble vu que vous voyagez que tous les deux...<br /> Tout en grognant, elle le lĂącha.<br /> Bien que la situation Ă©tait effectivement troublante, l'idĂ©e qu'ils soient vus comme un couple ne la dĂ©rangeait pas tant que ça. Mais, ce n'Ă©tait pas le moment. Il Ă©tait encore trop tĂŽt.<br /> â ... Je ne peux pas mettre le bois moi-mĂȘme ?<br /> â Non, regarde la hauteur du baril. Tu peux pas toucher le sol une fois dedans, si ?<br /> Ăvidemment. Comme il l'avait dit, le baril rouillĂ© Ă©tait dĂ©jĂ plutĂŽt grand en soi, mais comme il Ă©tait en plus posĂ© sur des blocs de bĂ©ton pour le feu en dessous, il Ă©tait impossible de toucher le sol une fois dedans. Qui plus est, ça aurait Ă©tĂ© loin de son tant attendu paradis si elle devait sans cesse penser au feu.<br /> â Effectivement... Je vois qu'il n'y a pas d'autre choix, il va devoir s'occuper du feu.<br /> â Euh...<br /> Ăvidemment, ce genre de dĂ©cisions importantes Ă©taient sans cesse prises sans l'avis du garçon. Il y Ă©tait habituĂ©.<br /> En ce qui le concernait, la peur de « se faire tuer s'il regardait » surpassait de loin son dĂ©sir de le faire quand mĂȘme.<br /> <br /> <div style="text-align: center;">â±</div><br /> <br /> â Je te tue si tu regardes, compris ?<br /> MenacĂ© exactement comme il l'avait imaginĂ©, le garçon acquiesça d'un air gĂȘnĂ©.<br /> Ses mains Ă©taient attachĂ©es dans le dos et ses yeux couverts par un bandeau, il se sentait tel l'otage d'un terroriste. Tout en se demandant s'il allait entendre une autre demande inconsidĂ©rĂ©e du genre « Bouge pas ! Mains en l'air », il soupira.<br /> â Ăcoute, je vais pas regarder. Si tu me laisses comme ça, comment je vais faire pour m'occuper du feu ? Et tu veux pouvoir profiter au maximum du bain, pas vrai ?<br /> â Je te dĂ©tacherai qu'une fois que je serai dans l'eau, alors tiens-toi tranquille jusque-lĂ .<br /> La fille se trouvait quant Ă elle plutĂŽt coopĂ©rative.<br /> Ătant donnĂ© leur relation, qui n'Ă©tait pas encore au stade de l'amour, cette situation Ă©tait, comment dire... trop stimulante ! C'Ă©tait quelque chose qui ne devrait arriver qu'une fois avoir passĂ© chaque Ă©tape une Ă une.<br /> Quoi qu'il en soit, la fille commença Ă se dĂ©shabiller suffisamment loin du garçon pour qu'il ne puisse pas l'atteindre quoi qu'il fasse. Elle aperçut un caillebotis tout neuf sur le sol et posa ses chaussures dessus.<br /> MĂȘme si c'Ă©tait l'Ă©tĂ©, ils se trouvaient au nord d'une Ăźle. La nuit Ă©tait fraĂźche et le vent soufflait sur sa peau nue.<br /> Ă ce propos, elle avait Ă©galement considĂ©rĂ© la possibilitĂ© que le boss puisse regarder et avait donc demandĂ© au garçon de surveiller.<br /> Il fallait par contre se demander comment le garçon Ă©tait censĂ© faire avec les yeux bandĂ©s, mais elle Ă©tait persuadĂ©e qu'il pourrait au moins l'entendre approcher.<br /> Une fois dans le plus simple appareil, elle s'enroula une serviette plutĂŽt large autour d'elle et partit Ă la rencontre de l'inhabituel bain.<br /> Elle monta sur les marches en blocs de bĂ©ton sur la pointe des pieds et entra doucement dans la baignoire.<br /> â Oh, c'est pas aussi chaud que je l'aurais cru.<br /> â Bah, Ă©videmment ! AprĂšs tout, si tu m'avais pas attachĂ©, j'aurais pu ajuster la tempĂ©rature pendant ce temps.<br /> Elle ne pouvait pas s'en empĂȘcher, mais le baril avec sa forme cylindrique posĂ©e sur le feu lui rappelait dĂ©sespĂ©rĂ©ment la casserole de curry.<br /> Heureusement, il y avait un caillebotis et une chaise en bois dans l'eau, alors elle pouvait entrer sans trop dâeffort.<br /> Elle trouvait dommage le fait de ne pas pouvoir allonger les jambes, mais elle n'allait pas faire la fine bouche.<br /> â Ok, ''Garçon'', approche-toi, je vais te dĂ©tacher.<br /> AprĂšs s'ĂȘtre traĂźnĂ© dans sa direction dans une position semi-assise, il fut libĂ©rĂ© des cĂąbles de nylon qui entravaient ses poignets.<br /> AprĂšs s'ĂȘtre calmĂ©, il chercha Ă tĂątons la chaise en tubes mĂ©talliques qui Ă©tait prĂȘt de lui et s'assit dessus.<br /> â ''Fille'', comment est l'eau ?<br /> â Excellente, excellente. Mais elle serait encore mieux si elle Ă©tait un peu plus chaude.<br /> â Ok d'ac'. Vos dĂ©sirs sont des ordres, madame !<br /> Il se saisit d'un morceau de bois et le jeta dans le feu sous le baril. Le bandeau qui Ă©tait fermement attachĂ© autour de sa tĂȘte l'empĂȘchait de voir, mais il Ă©tait toujours en mesure de situer oĂč se trouvait le feu grĂące Ă la chaleur et la lumiĂšre qu'il produisait.<br /> Quand il l'attisa, le feu s'embrasa et brĂ»la plus fort.<br /> â Hah...<br /> â Alors ? Il est comment ton premier bain dans un baril ? demanda le garçon avec un sourire en coin tout en Ă©coutant la voix trĂšs dĂ©tendue de la fille.<br /> â Oh... C'est encore meilleur que je le pensais... C'est la premiĂšre fois que je me retrouve dans une baignoire aussi profonde, par contre.<br /> â Pas Ă©tonnant.<br /> â Mais maintenant, je crois que je sais ce que ressentent les ingrĂ©dients.<br /> â Hahaha.<br /> Il pouvait seulement entendre sa voix, mais il lui Ă©tait aisĂ© d'imaginer son visage. Elle devait ressembler Ă une loque. C'Ă©tait ce que son instinct lui disait.<br /> [[Image:Tabi_ni_Deyou_P0169.jpg|thumb|Il pouvait seulement entendre sa voix, mais il lui Ă©tait aisĂ© d'imaginer son visage. Elle devait ressembler Ă une loque.]] Comme elle n'avait pas pu profiter du bain chez le directeur alors qu'elle adorait ça plus que n'importe qui au monde, il savait que ça devait lui faire encore plus plaisir que d'habitude.<br /> <br /> â ... ''Garçon''...? Est-ce que tu crois qu'il volera vraiment demain ?<br /> Quelque temps aprĂšs qu'il eut commencĂ© Ă s'occuper du feu, la fille lui adressa soudainement la parole. Il s'arrĂȘta d'attiser le feu.<br /> â ... Pourquoi cette question ?<br /> â Pour rien, vraiment. C'est juste que... ça paraĂźt si irrĂ©el.<br /> S'ensuivit une Ă©claboussure, et la tĂȘte du garçon se retrouva trempĂ©e.<br /> Avec la lumiĂšre qui venait juste de s'estomper, il pouvait en juger qu'elle regardait dans sa direction.<br /> â Ce que je veux dire, c'est que c'est pas trop notre domaine de compĂ©tence. Quand on est en contact avec eux, c'est gĂ©nĂ©ralement de façon indirecte, non ? Par exemple, quand on suit une traĂźnĂ©e des yeux, ou quand on monte dedans pour partir en voyage.<br /> â Tu veux dire que tu penses pas qu'il puisse voler ?<br /> â C'est pas tout Ă fait ça, rĂ©pondit-elle avant de continuer avec une voix calme et rĂȘveuse. Tu sais, construire un avion, c'est un peu de la magie. <br /> Du moins, pour moi. C'est pas comme si j'Ă©tais incapable d'imaginer la logique qu'il y a derriĂšre. Mais je sais pas, j'ai du mal Ă accepter que ce truc puisse voler.<br /> â ... En gros, cet avion, c'est un peu le « balai de la sorciĂšre ».<br /> â ... Plus ou moins. Ăa rĂ©sume plutĂŽt bien ma pensĂ©e â on dirait que ça revient au mĂȘme si quelqu'un m'explique que ça marche avec telle ou telle force ou par magie. Mais plus sĂ©rieusement, est-ce que ce truc peut vraiment voler ? Il ressemble plus Ă une grosse carcasse vide, demanda la fille avec un sourire narquois.<br /> Tout en souriant Ă son tour, le garçon rĂ©pondit :<br /> â Bien sĂ»r ! C'est le rĂȘve du boss et mĂȘme le nĂŽtre.<br /> â Nos rĂȘves pourraient lui donner du plomb dans l'aile.<br /> â Peut-ĂȘtre bien. Mais je suis sĂ»r que le boss saura surmonter ça avec sa force mentale.<br /> MalgrĂ© le bandeau, il pouvait voir trĂšs clairement l'image du sourire de la fille alors qu'elle gloussait.<br /> â ... Aaah ! J'aimerais bien pouvoir monter dedans, moi aussi !<br /> â Alors c'est à ça que tu pensais, en fait ? dit le garçon en rigolant avant de jeter un nouveau morceau de bois dans le feu.<br /> â Oh, la ferme. Moi aussi, j'ai mes rĂȘves. J'ai le droit, non ? Tu monopolises dĂ©jĂ Cubby pour toi tout seul, aprĂšs tout. Je rĂȘverais de pouvoir t'emmener Ă la fin du monde avec cet avion.<br /> â Il est monoplace, je te rappelle.<br /> â No soucy. Je t'attacherai juste quelque part sur le toit.<br /> â C'est du suicide...<br /> â Mais pas du tout ! ... Ah, au fait, tu peux m'aider Ă me laver les cheveux ?<br /> â Les yeux bandĂ©s ?<br /> â Ouaip. Mais fais gaffe, ok ? Si jamais du savon entre dans mes yeux, tu vas m'entendre. Et pas qu'un peu.<br /> â ...<br /> Du fait de la succession interminable de demandes insensĂ©es de la fille, il Ă©tait condamnĂ© Ă plus de dur labeur que pendant la journĂ©e, et n'avait pas le temps de tergiverser.<br /> Le temps que la fille quitta le bain, il Ă©tait dĂ©jĂ complĂštement lessivĂ©. Bien entendu, Ă cause de la tension permanente qui dĂ©passait le fait de devoir surveiller le feu.<br /> Environ une heure s'Ă©tait Ă©coulĂ©e depuis que la fille l'avait dĂ©tachĂ© et il pouvait enfin pousser un ouf de soulagement dans l'entrepĂŽt.<br /> â ... Je suis crevĂ©.<br /> â Quoi ? Mais quelle chochotte celui-lĂ . Juste Ă cause de ça...?<br /> ''Elle est pas croyable, celle-lĂ . Vraiment. Et d'aprĂšs toi, câest Ă cause de qui, hein ?''<br /> AprĂšs avoir dĂ©fait son bandeau aprĂšs plus d'une heure, mĂȘme l'entrepĂŽt Ă©tait aveuglant, alors qu'il Ă©tait peu Ă©clairĂ©.<br /> Enfin, la fille qui sortait du bain et qui portait donc son chemisier sans l'avoir mis dans sa jupe Ă©tait dans un certain sens aveuglante, elle aussi.<br /> â Raah... Pourquoi les filles passent-elles autant de temps dans le bain ?<br /> Tout Ă coup, la vision de la fille fut bouchĂ©e. Ses cheveux Ă©taient essuyĂ©s de façon grossiĂšre avec une serviette qui avait Ă©tĂ© posĂ©e sur sa tĂȘte.<br /> â ''B-Boss'' ! ArrĂȘtez... Ăa suffit ! se plaignit-elle d'ĂȘtre traitĂ©e comme une gamine avant de s'Ă©chapper de ses griffes.<br /> Mais sa tentative fut couronnĂ©e de succĂšs ; l'humiditĂ© de ses cheveux n'Ă©tait plus, laissant derriĂšre elle uniquement une impression de confortable chaleur.<br /> â Vous voulez y aller maintenant, ''Boss'' ? Ăa me dĂ©range pas d'y aller en dernier.<br /> â Non, je vais faire une petite sieste d'abord. Je suis super crevĂ© parce que j'ai dĂ» bouger le camion tĂŽt ce matin... Ah, au fait, les gars, vous couchez pas trop tard ! Il devrait faire beau demain, Ă en juger le ciel, mais le meilleur vent souffle tĂŽt le matin. Ah, et pour finir : j'ai l'habitude d'utiliser cette baignoire, alors j'ai pas besoin d'aide.<br /> â Ă quelle heure on devrait se lever ?<br /> â Vers quatre heures. Soyez pas en retard !<br /> La fille Ă©carquilla les yeux en l'entendant.<br /> â Si tĂŽt que ça ?! C'est mort ! Jamais je pourrai me lever Ă une heure pareille !<br /> â T'en fais pas. Y'a un rĂ©veil.<br /> â C'est pas le problĂšme ! rĂ©torqua-t-elle, en criant presque d'horreur, ce aprĂšs quoi le garçon lui tapota le dos.<br /> â ... Je te rĂ©veillerai, ok ?<br /> Le garçon Ă©tait parfaitement conscient de l'ampleur de la tĂąche qui lui Ă©tait imposĂ©e.<br /> â Il est seulement neuf heures. Si on s'arrange pour dormir d'ici une heure, ça devrait ĂȘtre possible, tu penses pas ?<br /> â Euh...<br /> Le garçon poussa un bref soupir, voyant qu'elle Ă©tait toujours sceptique.<br /> â Ok, pendant que je vais piquer un roupillon, va prendre un bain. Ah, et ''Garçon''. Je parie qu'elle a bien profitĂ© de toi, pas vrai ? Maintenant, c'est Ă ton tour dâen faire de mĂȘme avec elle ! dit le boss avant de se tourner en direction de la zone de repos.<br /> La fille voulut rĂ©pondre, mais le garçon n'aurait ĂŽ grand jamais ratĂ© une occasion pareille. Il s'approcha rapidement d'elle et lui banda les yeux au moyen de la serviette qu'il avait dans les mains.<br /> â Whoa ! HĂ© !!<br /> â « Je te tuerai si tu regardes », pas vrai ? Faisons en sorte que tu ne puisses rien voir.<br /> â P-Pas la peine de faire ça lĂ !<br /> â Oh, c'est pas grave. Allons-y. Ă cause de toi, je suis trempĂ© !<br /> Pour une fois que c'Ă©tait lui qui menait la danse, sur sa bouche se dessinait un sourire machiavĂ©lique. S'elle n'avait pas eu un bandeau sur les yeux, la fille aurait dĂ©couvert le cĂŽtĂ© obscur du garçon Ă ce moment-lĂ .<br /> Tout en lâemmenant presque comme un otage, il tira la fille avec lui.<br /> â Attends ! Je vais tomber ! Allez, laisse-moi l'enlever pour l'instant !<br /> â Tout ira bien, t'en fais pas.<br /> <br /> Le garçon avait feint l'ignorance jusqu'au bout, en faisant comme s'il n'avait pas remarquĂ© que le boss n'avait plus d'ombre quand il se tenait Ă la lumiĂšre.<br /> C'Ă©tait lĂ l'une des derniĂšres Ă©tapes avant la « disparition ».<br /> <br /> <div style="text-align: center;">â±</div><br /> <br /> Le garçon se rĂ©veilla en sursaut. Il ignorait complĂštement la raison pour laquelle il s'Ă©tait rĂ©veillĂ©, alors c'Ă©tait sĂ»rement la meilleure façon de le dĂ©crire.<br /> Tout ça lui semblait bizarre parce que derniĂšrement, il n'Ă©tait rĂ©veillĂ© que par les coups de la fille quand elle bougeait en dormant ou encore par des bruits. Sans raison apparente, sans mĂȘme ĂȘtre passĂ© par un Ă©tat de somnolence, il s'Ă©tait rĂ©veillĂ© d'un coup.<br /> Il se redressa lentement et s'extirpa de sa couverture.<br /> Les aiguilles lumineuses du chronographe indiquaient deux heures du matin, alors il n'y avait rien d'Ă©tonnant Ă ce que le soleil ne soit pas encore levĂ©.<br /> Comme il ne semblait pas pouvoir se rendormir, il dĂ©cida de se lever pour le moment. Son jeune corps ne ressentait aucune fatigue, ce qui pouvait ĂȘtre dĂ» au festin qu'il avait eu, ou tout simplement au fait qu'il s'Ă©tait couchĂ© tĂŽt.<br /> Par contre, cela ne s'appliquait pas Ă la fille qui dormait encore Ă poings fermĂ©s dans le lit voisin.<br /> Elle Ă©tait couchĂ©e dans le lit, toujours dans la mĂȘme position que quand elle Ă©tait en train dâĂ©crire dans le journal, qui se trouvait Ă cĂŽtĂ© de son oreiller, et ronflait fortement. Qui plus est, le pantalon qu'elle avait l'habitude d'utiliser comme pyjama Ă©tait au niveau de ses genoux, laissant ses fesses Ă dĂ©couvert, uniquement couvertes par sa culotte blanche.<br /> Il sourit intĂ©rieurement Ă la vue de cette puĂ©rile position, et tira la couverture sur elle de façon Ă ce qu'elle n'ait pas trop froid. Soit dit en passant, il jeta Ă©galement un Ćil au journal, oĂč il tomba sur un passage assez hilarant.<br /> Le contenu en soit n'avait rien de spĂ©cial, mais le texte devenait de plus en plus obscur vers la fin : le mĂȘme mot apparaissait trois fois dans la mĂȘme phrase, une autre phrase n'Ă©tait pas terminĂ©e, et plus loin, le texte Ă©tait complĂštement incomprĂ©hensible, son Ă©criture s'Ă©talant sur toute la page. Il y avait mĂȘme de mystĂ©rieuses lignes en dehors de la page. Ăa prouvait qu'elle avait essayĂ© de lutter contre le sommeil.<br /> AprĂšs avoir poussĂ© un gloussement, il versa un peu d'eau d'une bouteille et but une petite gorgĂ©e.<br /> Le son qui lui parvenait de l'autre cĂŽtĂ© du mur en tĂŽles lui indiquait comment Ă©tait le temps â il pouvait entendre le vent souffler le long des prairies. Il semblait ne pas pleuvoir.<br /> Certes, ils avaient Ă©tĂ© en mesure de prĂ©voir la mĂ©tĂ©o avant cela, mais en voyant que leur prĂ©vision sâavĂ©rait exacte, il avait l'impression que c'Ă©tait comme si leurs priĂšres avaient Ă©tĂ© exaucĂ©es. ''Il va vraiment falloir que je remercie le teru teru bĂŽzu qu'on a accrochĂ© avant de dormir.''<br /> Puis, poussĂ© par un soudain pressentiment, il glissa sa main entre les rideaux qui sĂ©paraient la zone de repos du reste de l'entrepĂŽt et les tira lĂ©gĂšrement sur un cĂŽtĂ©.<br /> Il y avait un avion blanc immobile au centre, dont les ailes Ă©lĂ©gantes Ă©taient lĂ©gĂšrement courbĂ©es par la gravitĂ©. Bien qu'il ait assistĂ© Ă son assemblage quelques heures auparavant, la vue Ă©tait toujours Ă couper le souffle.<br /> Devant l'avion, il aperçut le boss assis en tailleur en face du nez.<br /> Il n'Ă©tait pas certain de son contenu parce qu'elle Ă©tait cachĂ©e par l'ombre des ailes, mais il y avait une canette de biĂšre dans la main du boss et environ dix autres sur le sol, formant un cercle avec lui.<br /> Le boss Ă©tait immobile, et ce qu'il ressentait demeurait un mystĂšre pour le garçon. Au final, il ne put se rĂ©soudre Ă interrompre la scĂšne.<br /> Un peu plus tard, le garçon se rendormit.<br /> Il ne se souvint pas avoir eu de rĂȘve cette nuit-lĂ .<br /> <br /> <div style="text-align: center;">â±</div><br /> <br /> Le lendemain matin, les trois protagonistes sortirent l'avion Ă grandes ailes hors de l'entrepĂŽt et procĂ©dĂšrent Ă une derniĂšre inspection.<br /> MĂȘme s'il manquait au moins cinq mĂštres de largeur Ă l'entrĂ©e principale par rapport Ă la largeur totale de l'avion, en suivant les lignes blanches dessinĂ©es sur le sol tel que dĂ©crit dans le manuel, ils rĂ©ussirent finalement Ă le sortir, un peu comme s'ils rĂ©solvaient un casse-tĂȘte chinois.<br /> â ... J'en reviens pas.<br /> â Ouais, je me demande sĂ©rieusement Ă quoi ressemblait son cerveau ! murmura le boss tout en fixant du regard l'avion sur la route en ligne droite.<br /> â Le cerveau de qui ?<br /> â Du type qui a Ă©crit ce manuel.<br /> â ...<br /> Est-ce que celui qui avait Ă©crit ce parfait et prĂ©cis manuel d'instructions, dont plus personne ne se souvenait ni du visage ni du nom, avait rĂ©ellement rĂ©flĂ©chi au transport de l'avion pendant la phase de prĂ©paration ? Elle ignorait complĂštement qui il Ă©tait, mais elle aurait bien aimĂ© le rencontrer. Enfin, ce n'Ă©tait hĂ©las plus vraiment possible.<br /> En premier lieu, ils commencĂšrent Ă retirer les roulettes de transport comme dĂ©crit dans le manuel.<br /> Celles-ci avaient Ă©tĂ© dĂ©tachĂ©es des points de fixation, et Ă©taient maintenant retirĂ©es avec des outils spĂ©cifiques afin de ne pas endommager la machine. Sans effort particulier, ils rĂ©ussirent Ă toutes les enlever.<br /> Sans mĂȘme avoir recours Ă un cric ou autre, l'Ă©lĂ©gant corps de l'avion se tenait sur ses propres roues, pointĂ© vers l'horizon sur la longue route de bitume. C'Ă©tait une vue vraiment splendide.<br /> â ... C'Ă©tait quoi ça ? Un tour de magie ?<br /> â Qui sait. Enfin bref, les prĂ©parations sont terminĂ©es.<br /> Le boss se tourna en direction du garçon, qui Ă©tait en train de prendre quelques mesures, notamment la vitesse du vent, et qui Ă©tait en train de revenir en trottinant.<br /> <br /> Tous les prĂ©paratifs Ă©taient fin prĂȘts.<br /> <br /> â ''Boss'', vous ĂȘtes prĂȘt ? Surtout mentalement, demanda la fille.<br /> â Non, j'ai l'impression que mon cĆur pourrait sortir de ma poitrine Ă n'importe quel moment, rĂ©pondit-il en rigolant tout seul.<br /> Son corps Ă©tait dĂ©jĂ dans le cockpit. La derniĂšre vĂ©rification Ă l'avant de l'avion Ă©tait opĂ©rĂ©e par le garçon qui tenait le manuel dans ses mains. AprĂšs tout, le boss Ă©tait le moteur de cet engin â une piĂšce primordiale. Le contrĂŽle devait donc impĂ©rativement passer par lui aussi.<br /> â De vraies paroles de casse-cou. De toute façon, c'est impossible d'ĂȘtre prĂȘt mentalement, alors dĂ©pĂȘchez-vous de monter.<br /> â T'as pas tort.<br /> Le boss esquissa un sourire en entendant les encouragements indiffĂ©rents de la fille et jeta un coup d'Ćil dans le cockpit.<br /> Il y avait un siĂšge pour lui dans une cage faite en PRF. ConstituĂ© entiĂšrement de plastique et de film transparent, le siĂšge Ă©tait de couleur blanc neige. Les seuls objets de couleur noire Ă©taient le GPS, l'altimĂštre, l'anĂ©momĂštre et l'Ă©metteur-rĂ©cepteur pour la communication. Tous Ă©taient attachĂ©s Ă cĂŽtĂ© du manche.<br /> Le fin film de polymĂšre entourant la cage Ă©tait Ă©clairĂ© par la lumiĂšre aveuglante du soleil matinal et luisait intensĂ©ment.<br /> Il Ă©tait forcĂ© de plisser les yeux. Une atmosphĂšre mystĂ©rieuse et solennelle semblable Ă celle Ă la vue d'une vitre tĂąchĂ©e dans une Ă©glise emplit l'air de l'Ă©troit cockpit â mais fut complĂštement dissipĂ©e quand le garçon entra soudainement sa tĂȘte dedans.<br /> â Je vais fermer la porte, boss ! Vous avez votre mouchoir, pas vrai ? Et votre panier repas ?<br /> â J'en ai pas besoin !<br /> â Ok, s'il vous reste autant d'Ă©nergie, tout ira bien. Bonne chance, dit le garçon en rigolant avant de refermer le grand pare-brise sur lui.<br /> Vu que tous les Ă©quipements et fonctionnalitĂ©s avaient Ă©tĂ© rĂ©duits Ă leur strict minimum, il n'y avait Ă©videmment pas de porte ouvrante. Il Ă©tait donc nĂ©cessaire de visser le pare-brise aprĂšs ĂȘtre montĂ© Ă bord de l'avion.<br /> Il Ă©tait obligĂ© de leur demander de l'enfermer dans cet espace Ă©troit.<br /> MalgrĂ© le sentiment d'ĂȘtre prisonnier, bizarrement, il ne ressentait aucune pression. Uniquement une interminable euphorie.<br /> Sur le moment, il se sentait capable de soulever des montagnes.<br /> â Le pare-brise est attachĂ©. Maintenant, c'est quand vous voulez.<br /> Il entendit une voix dans l'oreillette Ă son oreille.<br /> â ParĂ© au dĂ©collage. Je vais commencer Ă pĂ©daler maintenant, retire le butoir Ă mon signal, dit-il avant de poser ses pieds sur les pĂ©dales.<br /> Afin de ne pas trop accabler inutilement le moteur relativement sensible, il commença lentement, puis augmenta petit Ă petit la vitesse de rotation. Dans le petit miroir attachĂ© Ă l'intĂ©rieur du cockpit, il pouvait voir les hĂ©lices contrarotatives dont il Ă©tait si fier tourner.<br /> ''Vous en faites pas, il va dĂ©coller !''<br /> â Maintenant !<br /> â Ok.<br /> C'Ă©tait un ordre simple et prĂ©cis.<br /> Le vĂ©ritable combat Ă©tait sur le point de commencer. Ses camarades avaient construit l'avion, le garçon et la fille l'avaient montĂ© avec lui, et il devait le faire voler.<br /> C'Ă©tait son premier et ultime devoir. Le monde qui allait s'ouvrir Ă lui n'allait appartenir qu'Ă lui et Ă lui seul.<br /> <br /> <br /> â Allez, ''Garçon'', plus vite ! dit la fille en courant.<br /> Elle avait terminĂ© son travail rapidement et s'Ă©tait rendu jusqu'Ă la Super Cub, qui Ă©tait arrĂȘtĂ©e sur le cĂŽtĂ© de la route. Les bagages avaient presque tous Ă©tĂ© retirĂ©s afin de pouvoir rouler Ă cĂŽtĂ© de l'avion.<br /> â Je sais. T'en fais pas, il s'envolera pas comme ça !<br /> Il essaya tant bien que mal de calmer la fille, mais apparemment, il Ă©tait lui-mĂȘme bien excitĂ© : il Ă©prouva du mal Ă insĂ©rer la clĂ© dans le contact.<br /> Quand il parvint finalement Ă tourner la clĂ© et Ă dĂ©marrer le moteur, le cĆur de Cubby commença Ă rugir bruyamment. Il actionna la pĂ©dale plus violemment que d'habitude, appuya lĂ©gĂšrement sur l'accĂ©lĂ©rateur et sâengagea sur la route.<br /> Cependant, l'avion Ă©tait encore lĂ , avançant tout droit Ă la vitesse d'un lent vĂ©lo.<br /> Les hĂ©lices contrarotatives jaunes tournaient correctement, coupant le vent, mais il n'y avait toujours pas de signe de prise de hauteur.<br /> Pour l'instant, il choisit de suivre l'avion par l'arriĂšre en diagonale Ă la mĂȘme vitesse, afin de ne pas le gĂȘner.<br /> â Est-ce que tout va bien ? Est-ce qu'il va voler ?<br /> En rĂ©ponse Ă la question de la fille inquiĂšte, le garçon dit tout en rigolant :<br /> â T'en fais pas. Il va bientĂŽt atteindre une pente, et il a mĂȘme un vent contraire. Il va voler !<br /> Comme le garçon l'avait annoncĂ©, dĂšs que l'avion arriva Ă la pente, l'accĂ©lĂ©ration jusqu'ici trĂšs lente commença Ă augmenter petit Ă petit.<br /> Ce nâĂ©tait pas comme si le garçon savait ce qui Ă©tait nĂ©cessaire pour le dĂ©collage d'un avion Ă propulsion humaine. Mais il pouvait deviner qu'une vitesse suffisamment importante Ă©tait nĂ©cessaire.<br /> Le compteur de Cubby indiquait vingt kilomĂštre-heure. Il supposait que l'avion n'allait pas tarder Ă commencer Ă planer.<br /> Le boss, qu'ils pouvaient voir Ă travers le pare-brise transparent, ne leur prĂȘtait pas la moindre attention. Il regardait droit devant lui, tout en pĂ©dalant de toutes ses forces.<br /> Ă cet instant, il vit le boss tirer sur le manche.<br /> Les cĂąbles de nylon qui Ă©taient reliĂ©s Ă ce dernier transmirent le mouvement aux ailes et les firent se courber lĂ©gĂšrement.<br /> La lĂ©gĂšre ascension qui s'en suivit fit planer lĂ©gĂšrement au-dessus du sol l'avion ultra lĂ©ger.<br /> â Il vole !<br /> â Pas encore !<br /> Tout en rĂ©primant la fille qui Ă©tait sur le point de sauter de joie, il laissa un peu plus d'espace entre lui et l'avion, juste pour ĂȘtre sĂ»r.<br /> L'avion, qui planait au ras du sol, rentra ses roues sous sa queue et le cockpit, et continua son instable vol Ă une hauteur inquiĂ©tante.<br /> Pour le moment, l'avion planait simplement grĂące Ă l'effet de sol gĂ©nĂ©rĂ© par la position des ailes par rapport Ă la route. Il lui fallait s'Ă©lever plus haut pour que ce soit un « vol ».<br /> Le boss pĂ©dalait comme un dĂ©ratĂ©, mais la hauteur augmentait Ă peine.<br /> â Est-ce que ça va vraiment aller pour lui ?<br /> â T'en fais pas. Il y est presque. Il est presque Ă vingt-cinq kilomĂštre-heure.<br /> Sa voix Ă©tait plus forte qu'il l'avait voulue, mais il s'en fichait pas mal.<br /> ''Il va voler ! Il ne va pas tomber !''<br /> Comme pour montrer sa confiance inĂ©branlable, le garçon appuya sur l'accĂ©lĂ©rateur de Cubby. Tandis que la fille, surprise, s'accrochait Ă lui, il dĂ©plaça la moto Ă cĂŽtĂ© des ailes.<br /> Si l'avion venait Ă tomber, ils allaient sĂ»rement ĂȘtre pris dans le mouvement.<br /> Mais il n'y avait pas de « si » qui tiennent. Le boss allait s'en sortir d'une façon ou d'une autre. Il en Ă©tait persuadĂ©.<br /> Puis, enfin, l'ascension provoquĂ©e par les longues ailes s'accentua suffisamment pour soutenir le poids de l'avion grĂące Ă la vitesse.<br /> Le vol instable se stabilisa d'un coup et les ailes de presque quarante mĂštres de large s'Ă©levĂšrent comme si elles Ă©taient tirĂ©es vers le ciel.<br /> â Il a dĂ©collĂ© !<br /> â Il a rĂ©ussi !<br /> Ils criĂšrent presque en mĂȘme temps, ce qui fit zigzaguer Cubby qui se retrouvait alors sans conducteur.<br /> [[Image:Tabi_ni_Deyou_P0185.jpg|thumb|L'avion s'Ă©leva comme s'il Ă©tait aspirĂ© par le ciel et reflĂ©ta le soleil matinal.]] L'avion s'Ă©leva comme s'il Ă©tait aspirĂ© par le ciel et reflĂ©ta le soleil matinal.<br /> Il se dirigeait droit vers le nord Ă une altitude aux alentours de quarante mĂštres. Le vol s'Ă©tait entiĂšrement stabilisĂ©.<br /> <br /> â Vous avez rĂ©ussi, ''Boss'' !<br /> â Ouais, je l'ai fait !<br /> Ils pouvaient entendre une voix aux anges dans l'Ă©metteur-rĂ©cepteur. Il n'Ă©tait pas difficile d'imaginer son visage au son de sa voix excitĂ©e.<br /> â C'est sensas...! Comme si c'Ă©tait mon premier vol... Non, mĂȘme encore mieux !<br /> â Savourez-le jusqu'Ă la derniĂšre miette alors. On ne va pas pouvoir en profiter, aprĂšs tout.<br /> La fille, elle aussi, souriait sans le vouloir en entendant lâivresse de sa voix.<br /> â J'ai l'impression de pouvoir aller jusqu'au bout du monde... Je pourrais jamais assez vous remercier, les gars...<br /> â Remerciez-nous comme il se doit alors. Avec de l'essence.<br /> Sa remarque matĂ©rialiste ne fut pas cependant pas sujette Ă une rĂ©ponse ironique.<br /> â Bien sĂ»r ! Prenez tout ce que vous voulez ! Cette sensation, c'est tout ce dont j'ai besoin ! ... Je voulais montrer ce paysage Ă tout le monde aussi, mais... MĂȘme s'ils Ă©taient lĂ maintenant, il n'y a de la place que pour moi... Alors au final, quoi quâil arrive, ça n'aurait Ă©tĂ© que pour moi, hein...<br /> L'avion devant la Super Cub commença Ă tanguer vers la gauche et la droite.<br /> Le boss Ă©tait sĂ»rement en train de jouer avec le manche Ă cause du trop plein d'Ă©motions. Cependant, l'avion Ă©tait conçu pour des vols en huit ; tout en supportant la plupart des mouvements, il n'Ă©tait pas capable d'en faire de petits.<br /> Mais malgrĂ© tout, l'immense avion blanc Ă©tait d'une beautĂ© qu'aucun mot ne pourrait dĂ©crire alors qu'il dessinait une courbe tout en s'inclinant lĂ©gĂšrement.<br /> <br /> â Hum, ''Boss'' ? Vous pouvez me laisser voler avec, moi aussi ?<br /> Le garçon rĂ©pondit au marmonnement de la fille dans l'Ă©metteur-rĂ©cepteur par un petit coup de coude.<br /> â HĂ©, ''Fille'', c'est l'avion du boss ! On n'a pas le droit de lui demander ça...<br /> â Mais on l'a aidĂ©, non ? Je veux monter dedans au moins une fois !<br /> â Tu sais pas le piloter, non ?<br /> â Mais y'a quelqu'un qui sait ici, non ? ''Booooss'', s'il vous plaĂźt !<br /> Ignorant sa tentative de la retenir, elle s'adressa au boss au travers de l'Ă©metteur-rĂ©cepteur avec une voix implorante.<br /> Enfin, ce n'Ă©tait pas comme si le boss allait cĂ©der si facilement, alors le garçon la laissa faire sans broncher.<br /> â Bah, sans problĂšme ! J'ai envie de vous montrer ça, les gars !<br /> â Hein ?! lĂącha le garçon avec une voix bizarre, ses prĂ©dictions s'avĂ©rant complĂštement fausses.<br /> Apparemment, la bonne humeur du boss dĂ©passait complĂštement ses attentes.<br /> De son cĂŽtĂ©, la fille saisit cette opportunitĂ© et parla tout en se penchant en avant vers l'Ă©metteur-rĂ©cepteur :<br /> â Hum... Si jamais je me crashe, vous me pardonnerez, pas vrai ?<br /> â Mais bien sĂ»r ! Une ou deux bosses seront faciles Ă rĂ©parer ! On a mĂȘme un fuselage de rechange ! On peut le rĂ©parer autant de fois qu-<br /> <br /> Sa voix se tut d'un coup.<br /> <br /> â ''Boss''...? demanda la fille, incrĂ©dule.<br /> Aucune rĂ©action.<br /> â Qu'est-ce qui se passe ?<br /> â Aucune idĂ©e. Le son a coupĂ© d'un coup.<br /> Le garçon se saisit de l'Ă©metteur-rĂ©cepteur avec la main gauche et regarda l'Ă©cran LCD. La batterie n'Ă©tait pas vide. Le boss Ă©tait toujours Ă portĂ©e de signal. Et il ne semblait pas cassĂ© non plus.<br /> â ... Hein ? ''Garçon'', qu'est-ce que...?<br /> La fille pointa du doigt le ciel. Pour ĂȘtre plus prĂ©cis, elle pointait l'avion blanc neige.<br /> Les hĂ©lices contrarotatives, que le boss avait fiĂšrement peintes en jaune pour les rendre visible de loin, avaient presque arrĂȘtĂ© de tourner. Elles ne semblaient pas bouger d'elles-mĂȘmes, mais Ă cause du vent.<br /> Le magnifique avion blanc qui avait arrĂȘtĂ© de bouger commença Ă descendre petit Ă petit, en penchant sur le cĂŽtĂ©.<br /> Il s'Ă©crasa sur sol vert inĂ©gal.<br /> <br /> <div style="text-align: center;">â±</div><br /> <br /> â ''Garçon'' !<br /> â Je sais !<br /> La fille s'agrippa rapidement Ă ses hanches, tandis que le garçon appuyait sur l'accĂ©lĂ©rateur de la Super Cub comme pour lui rĂ©pondre.<br /> Il tourna le guidon sur le cĂŽtĂ© et quitta la route pour ce quâon pourrait appeler de lâherbe haute.<br /> Ils se ruĂšrent vers le site du crash qu'ils pouvaient apercevoir de loin tout en arrachant l'herbe sur leur passage, qui leur arrivait environ au niveau des hanches.<br /> Les lames aiguisĂ©es de l'herbe coupaient leurs joues et leurs bras nus, mais ils nây prĂȘtĂšrent aucune attention.<br /> Puis, Cubby arriva Ă l'endroit oĂč l'herbe Ă©tait plus basse.<br /> Inconsciemment, ils retinrent leur souffle.<br /> Ă cet endroit, qui Ă©tait de la taille d'un petit square, se trouvait l'avion blanc neige.<br /> Son nez Ă©tait enfoncĂ© dans le sol, le siĂšge du cockpit avait Ă©tĂ© complĂštement dĂ©truit, l'aile Ă©tait cassĂ©e Ă cause de la violence de l'impact, et le film transparent s'agitait dans le vent.<br /> Les seules piĂšces qui avaient survĂ©cu au crash, le fuselage en lui-mĂȘme et la queue, Ă©taient coincĂ©es dans le sol, en pointant vers le ciel, le tout ressemblant presque Ă une sculpture futuriste.<br /> Les deux jeunes gens, qui Ă©taient complĂštement figĂ©s sur place, reprirent finalement leurs esprits et descendirent de la Super Cub et se ruĂšrent vers le « truc qui avait Ă©tĂ©, fut un temps, un avion », sans se soucier de Cubby, qui tomba sur le sol.<br /> â ''Garçon'' ! Est-ce qu'on peut le bouger ?!<br /> â Ouais ! Prends ce cĂŽtĂ© !<br /> Ils saisirent lâengin qui Ă©tait coincĂ© dans le sol et le soulevĂšrent en faisant levier dessus.<br /> Ils pouvaient clairement entendre les ailes se tordre, mais encore une fois, ce n'Ă©tait pas le problĂšme.<br /> La queue toucha le sol tandis que le cockpit fracassĂ© fit son apparition.<br /> â ''Boss'' !<br /> La fille arracha littĂ©ralement le pare-brise et jeta un Ćil Ă l'intĂ©rieur â il n'y avait personne.<br /> Pas mĂȘme ses vĂȘtements.<br /> <br /> Ils n'Ă©changĂšrent quasiment aucun mot aprĂšs cela. Tout simplement parce qu'il n'y avait qu'une seule possibilitĂ©.<br /> Le boss avait « disparu ». Pas seulement lui, mais Ă©galement ses vĂȘtements et chaussures. Le micro de l'Ă©metteur-rĂ©cepteur qu'il portait Ă©tait Ă©galement introuvable.<br /> Les deux savaient ce que cela signifiait.<br /> Le boss avait « disparu ».<br /> En un minimum de mots, ils dĂ©cidĂšrent de ramener les dĂ©bris de l'avion dans l'entrepĂŽt. Cela ne servait pas Ă grand-chose, mais pour une raison ou une autre, ils n'avaient pas envie de le laisser dehors comme ça, et donc ils s'y attelĂšrent sans mĂȘme vraiment en discuter.<br /> Comme il ne restait plus grand chose de l'avion, le transport en lui-mĂȘme fut assez simple.<br /> Ils dĂ©montĂšrent ce qu'ils purent et coupĂšrent Ă coups de hachette Ă bois ce qu'ils ne pouvaient pas dĂ©monter, et rapportĂšrent ensuite les piĂšces avec eux.<br /> Le peu de temps que cela leur prit sembla improbable aprĂšs les efforts que cela leur avait demandĂ©s pour l'assembler.<br /> Le grand ciel bleu et le soleil brillant sans fin n'avaient pas changĂ© en une heure, mais sans trop savoir pourquoi, ils leur paraissaient bien fades.<br /> Ils se tenaient devant les dĂ©bris de l'avion dans l'entrepĂŽt.<br /> â ... Je me demande oĂč est parti le boss, murmura la fille.<br /> Le garçon hocha la tĂȘte de gauche Ă droite.<br /> â DĂ©solĂ©. Je n'en sais rien.<br /> â ... Personne ne sait. Peu importe Ă qui on pose la question, personne ne sait oĂč ils disparaissent.<br /> Aucun d'eux ne suggĂ©ra qu'il pouvait tout simplement avoir disparu dans le nĂ©ant, car c'Ă©tait ce qu'ils craignaient, eux et le reste du monde.<br /> Ils ne croyaient pas non plus Ă l'enfer et au paradis, mais ils ne voulaient pas non plus croire que ceux qui avaient disparu s'Ă©taient simplement volatilisĂ©s comme le mot le sous-entendait.<br /> â Qu'est-ce qu'on va faire... de ça ? demanda la fille en s'accroupissant devant les dĂ©bris de l'avion et en fixant du regard son Ă©tat dĂ©tĂ©riorĂ©.<br /> Le cockpit qui consistait en un minimum de matĂ©riel avait complĂštement perdu sa forme originelle Ă cause de l'impact direct avec le sol.<br /> Les pĂ©dales et le moteur Ă©taient encore plus ou moins intacts, mais la dĂ©formation et les dĂ©gĂąts de ces derniers Ă©taient importants, signifiant qu'il y avait peu de chances qu'il puisse revoler un jour.<br /> Les ailes s'Ă©taient complĂštement disloquĂ©es, et ils ignoraient comment rĂ©parer leur armature tordue ou le film dĂ©chirĂ©. Le fuselage Ă©tait toujours en un morceau, mais les piĂšces qui le reliaient aux ailes et au moteur, qui Ă©tait lui attachĂ© au cockpit, Ă©taient complĂštement dĂ©formĂ©es. Les hĂ©lices jaunes Ă©taient cassĂ©es en morceaux et il manquait deux pales. Du fait que l'avion s'Ă©tait crashĂ© tĂȘte la premiĂšre, la queue Ă©tait intacte, mais cela ne changeait pas grand-chose.<br /> La fille n'y connaissait rien en mĂ©canique, mais elle pouvait facilement deviner le destin qui attendait ces dĂ©bris.<br /> â Je crains qu'il n'y ait pas grand-chose Ă faire.<br /> â ... J'imagine.<br /> â Mais comme l'a dit le ''Boss'', il y a des piĂšces de rechange dans le container, murmura le garçon.<br /> La fille leva la tĂȘte.<br /> â Est-ce qu'on peut le rĂ©parer alors ?<br /> â J'en sais rien. Il a dit qu'il y avait suffisamment de piĂšces pour construire un deuxiĂšme avion, mais sans vĂ©rification, on ne sait pas si ça sera rĂ©ellement suffisant.<br /> La faible lueur en vue Ă©tait bien trop frĂȘle pour ĂȘtre qualifiĂ©e d'espoir.<br /> Les deux n'avaient fait que suivre les instructions du boss. Ils ignoraient complĂštement comment devait ĂȘtre assemblĂ© l'avion ou les choses auxquelles ils devaient faire attention. Et par-dessus tout, cela ne servait plus Ă rien de monter un deuxiĂšme avion vu que le boss n'Ă©tait plus lĂ .<br /> â On s'en va alors ? suggĂ©ra la fille en se levant.<br /> â OĂč ça ? demanda le garçon.<br /> La file lui rĂ©pondit avec un sourire lĂ©gĂšrement forcĂ© :<br /> â On reprend notre voyage. Le boulot du boss est terminĂ©, mais notre voyage ne l'est pas encore, pas vrai ?<br /> AprĂšs avoir rajustĂ© ses vĂȘtements, elle se dirigea vers la zone de repos.<br /> â ... C'est vrai. Ouais, on a encore du chemin Ă faire, dit-il avant de secouer la tĂȘte pour reprendre ses esprits.<br /> Oui. Ils se dirigeaient vers la fin du monde, aprĂšs tout. Ils nâavaient ni de raison ni le temps de se morfondre ici.<br /> La fille sortit un petit morceau de film de sa poche.<br /> C'Ă©tait un tout petit morceau de film polymĂšre, qui ressemblait Ă un emballage Ă premiĂšre vue. Dessus, Ă©tait Ă©crit en noir « Jonathan » avec un marqueur. Dans ces gribouillis, ils pouvaient sentir son aura.<br /> Elle insĂ©ra le morceau de film comme un marque-page dans l'Ă©pais manuel d'instruction et posa ce dernier devant les dĂ©bris de l'avion blanc.<br /> Les deux se dirigĂšrent ensuite vers la zone de repos pour rassembler leurs affaires.<br /> Comme elles Ă©taient en pagaille aprĂšs ces deux derniers jours, il leur fallut un certain temps, mais comme ils y Ă©taient nĂ©anmoins habituĂ©s, ils rĂ©ussirent Ă charger le tout sur Cubby en une vingtaine de minutes.<br /> Comme ils en avaient convenu avec le boss, ils remplirent le rĂ©servoir de Cubby d'essence et dĂ©cidĂšrent Ă©galement d'emporter un peu de nourriture, comme quelques boĂźtes de conserve qui semblaient pouvoir tenir quelque temps et du riz, avec eux.<br /> AprĂšs ça, dâun commun accord silencieux, ils commencĂšrent Ă faire un peu de mĂ©nage dans l'entrepĂŽt et dans la remise.<br /> Le temps de finir les prĂ©paratifs et de se retrouver devant leur Super Cub devant l'entrepĂŽt, il Ă©tait huit heures du matin.<br /> â Qu'est-ce qu'on va faire du camion ? demanda la fille.<br /> â Est-ce qu'on en a vraiment besoin ? Pas vraiment, non ?<br /> â ... Allons bon ! Alors le voyage crevant sur Cubby est pas prĂȘt de s'arrĂȘter, hein...<br /> â Dis pas ça, ou Cubby va bouder et tomber en panne !<br /> â Et on serait mal, dit-elle avec un sourire malicieux tout en inspectant leurs provisions de nourriture.<br /> â Il nous reste de l'eau ?<br /> â Ouais, j'ai rempli nos bouteilles.<br /> Le garçon avait terminĂ© de vĂ©rifier la Super Cub, lui aussi, et avait enfilĂ© son casque.<br /> â Ok. On est prĂȘts ?<br /> â Ah...<br /> Le garçon enfonça un casque sur sa tĂȘte alors qu'elle poussait un cri Ă©trange.<br /> â Quoi ? Il manque quelque chose ?<br /> â Hum... Non, je crois pas. Normalement, rĂ©pondit-elle de façon ambigĂŒe.<br /> Le garçon demeura pantois et demanda s'ils devaient rester un peu plus longtemps, mais sa proposition fut rejetĂ©e.<br /> â D'aprĂšs ce que le ''Boss'' nous a dit, la ville la plus proche est assez loin, non ? Plus tĂŽt on partira, mieux ce sera.<br /> â Ouais, t'as pas tort. Alors t'es vraiment sĂ»re de toi ?<br /> â Ouais. Allez, allez !<br /> Tout en se faisant tapoter dans le dos, le garçon s'assit sur Cubby.<br /> Il tourna la clĂ© de contact, puis s'ensuivit un lĂ©ger toussotement qui rĂ©sonnait comme d'habitude.<br /> AprĂšs s'ĂȘtre assurĂ© que la fille s'agrippait bien Ă lui, il appuya sur l'accĂ©lĂ©rateur et la moto s'Ă©loigna, tout en rĂ©sistant Ă la faible poussĂ©e qui en rĂ©sulta.<br /> En y repensant, ils n'avaient passĂ© que deux jours ici.<br /> C'Ă©tait sĂ»rement ce qu'on ressentait quand on quittait un endroit Ă contrecĆur. Tout en sachant qu'il n'y avait pas le moindre intĂ©rĂȘt Ă rester dans cet entrepĂŽt, ils avaient l'impression d'abandonner quelque chose â quelque chose qui leur Ă©tait cher. Ils ne pouvaient rien faire pour cette rĂ©ticence qui les animait.<br /> Il sentit que la fille pressait sa tĂȘte contre son dos et serra fort la poignĂ©e.<br /> Il ne fallut que quelques minutes avant que l'entrepĂŽt ne disparut des rĂ©troviseurs derriĂšre les collines.<br /> <br /> <br /> === Interlude === <br /> Le garçon ne s'Ă©tait pas arrĂȘtĂ©, mĂȘme quand le soleil eut fini son tour dans le ciel et Ă©tait en train de disparaĂźtre Ă l'horizon. Il Ă©tait Ă©galement vrai qu'ils avaient pris du retard parce qu'ils avaient par erreur prit la mauvaise route, mais la raison principale Ă©tait d'ordre Ă©motionnel.<br /> Quand il fermait les yeux, tout ce dont il pouvait se souvenir du visage du boss Ă©tait devenu affreusement vague Ă cause de la disparition. La mĂȘme chose pouvait s'appliquer Ă sa stature, sa voix et la façon dont il s'adressait Ă eux. Presque tout ce qui dĂ©finissait le boss avait perdu forme comme de la glace qui fond au soleil, se mĂ©langeant alors aux divers souvenirs du garçon.<br /> Ă chaque fois qu'il essayait de se souvenir de son apparence, qui avait dĂ©jĂ perdu sa forme, il ne pouvait que ressentir une sensation de dĂ©jĂ -vu. Quand il fouillait plus profondĂ©ment, cet effort indĂ©fini se tordait et disparaissait, ne laissant derriĂšre lui qu'une inconfortable nausĂ©e.<br /> â Et si on se reposait ici ?<br /> Il ne pouvait se rĂ©soudre Ă Ă©mettre cette suggestion.<br /> Il caressait souvent les mains de la fille qui Ă©taient enroulĂ©es autour de ses hanches pendant qu'il conduisait. La perte d'un ĂȘtre proche avait Ă©veillĂ© en lui une inquiĂ©tude quant Ă lâexistence de la fille, surtout aprĂšs avoir partagĂ© pratiquement tout avec elle lors de ces trois derniers mois. Rien que de penser au fait qu'elle allait disparaĂźtre Ă son tour, il Ă©tait frappĂ© par une insĂ©curitĂ© qui lui dĂ©chirait les entrailles et ressentait le besoin de lui caresser Ă nouveau la main.<br /> Dans sa tĂȘte, il comprenait trĂšs bien qu'il y avait peu de chance qu'elle disparaisse du jour au lendemain Ă©tant donnĂ© qu'elle n'Ă©tait atteinte que des premiers symptĂŽmes. NĂ©anmoins, il avait lâimpression qu'elle pouvait disparaĂźtre Ă n'importe quel moment si jamais il venait Ă l'oublier et n'arrivait pas Ă se calmer.<br /> Visiblement consciente de ses sentiments, la fille s'accrochait fermement Ă lui, en pressant son corps contre le sien.<br /> En voulant lui parler, il ouvrait la bouche Ă la recherche d'un sujet de conversation, la fermait puis la rouvrait pour finalement la refermer. AprĂšs avoir rĂ©pĂ©tĂ© plusieurs fois cet inutile ballet : <br /> <br /> â ... ''Garçon'' ?<br /> <br /> Surpris par sa voix soudaine, ses mains gelĂ©es se crispĂšrent et actionnĂšrent les freins.<br /> Elle cria Ă cause de ce soudain freinage et la Super Cub commença Ă devenir hors de contrĂŽle. Ce fut apparemment suffisant pour rĂ©veiller son cortex moteur primaire â il se dĂ©pĂȘcha de reprendre le contrĂŽle de la moto et l'arrĂȘta.<br /> â ... D-DĂ©solĂ©. Rien de cassĂ© ?<br /> â HĂ©... T'es sĂ»r que ça va ?<br /> Le garçon doutait de son Ă©tat mental avant mĂȘme sa question. Ce qui Ă©tait arrivĂ© au boss ne pouvait justifier Ă lui seul sa rĂ©action.<br /> Il serra les dents, vexĂ© dâavoir un esprit aussi fragile, et regarda en direction du ciel.<br /> â ... Hum. Et sinon, qu'est-ce que tu voulais me dire ?<br /> â ... Regarde aux alentours, on dirait pas un village ?<br /> Elle Ă©tira ses bras puis tourna le guidon.<br /> Les feux avant de leur Super Cub Ă©clairĂšrent les environs et rĂ©vĂ©lĂšrent un bĂątiment abandonnĂ©.<br /> â T'as raison...<br /> Ils ne pouvaient pas voir clairement du fait que la lumiĂšre produisait beaucoup d'ombre, mais c'Ă©tait clairement la maison de quelqu'un. Et il n'y en avait pas qu'une ou deux. Maintenant qu'il y pensait, le paysage de prairies sans fin s'Ă©tait soudainement arrĂȘtĂ©, au profit de bosquets ou de champs.<br /> La fille sortit la carte de leur sac et y jeta un coup d'Ćil.<br /> â Ouais. C'est difficile Ă dire car les noms ont disparu, mais il s'agit sĂ»rement d'un petit village !<br /> Le garçon arrĂȘta le moteur et sortit deux lampes de poche.<br /> ĂclairĂ© par ces deux sources de lumiĂšre, l'apparence du village prit forme.<br /> <br /> Il entendait la fille retenir son souffle derriĂšre lui.<br /> <br /> Des ruines. Ils Ă©taient tombĂ©s sur des ruines.<br /> Ă la base, ce devait sĂ»rement ĂȘtre un village d'une taille honorable. Il y avait de grands champs, plusieurs maisons, et de grands locaux â comme d'habitude sur cette Ăźle â avec de petits camions garĂ©s Ă cĂŽtĂ©.<br /> HĂ©las, il n'y avait pas Ăąme qui vive. Il n'y avait pas un chat dans ce village.<br /> La plupart des bĂątiments s'Ă©taient Ă©croulĂ©s Ă cause des chutes de neige de l'hiver dernier, ce qui donnait l'impression qu'ils avaient Ă©tĂ© piĂ©tinĂ©s par un gĂ©ant, et ceux qui ne l'Ă©taient pas avaient des trous dans leur toit. Les linges qui Ă©taient encore accrochĂ©s sur les cordes Ă linge s'Ă©taient transformĂ©s en chiffons.<br /> Ă un endroit, ils aperçurent un petit camion dont la porte Ă©tait ouverte. Autre part, ils dĂ©couvrirent un cartable au beau milieu de la route. Au milieu d'un champ, il y avait un tracteur qui tombait en ruine.<br /> MĂȘme s'il y avait des traces de signes de vie ici et lĂ , il n'y avait personne. Seuls les cris des insectes et le bruit du vent emplissaient l'air.<br /> Il sentait que son cĆur commençait Ă battre difficilement. Il connaissait ce sentiment.<br /> La capitale, cette mĂ©tropole sans nom qu'ils avaient abandonnĂ©e, cette ville qui avait perdu plus de 80% de sa population et l'ensemble de ce qui la caractĂ©risait, Ă©tait dans le mĂȘme Ă©tat.<br /> La supĂ©rette sur le chemin de l'Ă©cole, la passerelle au-dessus du grand carrefour qui s'Ă©tait vidĂ© de ses voitures et oĂč les feux tricolores avaient arrĂȘtĂ© de fonctionner, le gratte-ciel sans lumiĂšre qu'il regardait depuis l'Ă©cole au coucher du soleil.<br /> Son cĆur Ă©tait dĂ©chirĂ© par le pĂ©nible manque de gens lĂ oĂč il devrait y en avoir.<br /> â ... ''Garçon''.<br /> Elle tira sur la manche de sa chemise.<br /> Il se retourna et vit la fille collĂ©e Ă lui, tremblant comme une feuille morte.<br /> â ''Garçon''... Je n'aime pas cet endroit, marmonna-t-elle tout en regardant fixement quelque chose en particulier.<br /> L'objet qui la terrorisait tant Ă©tait un cartable rouge qui traĂźnait par terre dans la rue.<br /> â Partons d'ici. Je ne veux pas rester plus longtemps.<br /> â ... Ouais...<br /> Il acquiesça et rangea rapidement la lampe dans sa poche.<br /> Il dĂ©marra le moteur, enfila son casque, accĂ©lĂ©ra assez violemment et s'engagea Ă nouveau sur la route nocturne.<br /> Ce village ressemblait tellement Ă leur ville.<br /> Des souvenirs enfouis avaient refait surface et cela leur donnait froid dans le dos.<br /> <br /> Le silence enveloppa Ă nouveau le village.<br /> <br /> === Notes === <references /> <noinclude> {| border="1" cellpadding="5" cellspacing="0" style="margin: 1em 1em 1em 0; background: #f9f9f9; border: 1px #aaaaaa solid; padding: 0.2em; border-collapse: collapse;" |- | [[Tabi_ni_Deyou:RĂȘve (FR)|Chapitre 1 : RĂȘve]] | [[Tabi ni Deyou, Horobiyuku Sekai no Hate Made ~ Français|Page principale]] | [[Tabi_ni_Deyou:Voyage (FR)|Chapitre 3 : Voyage]] |- |} </noinclude>
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