La princesse et le pilote : Chapitre 6

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Chapitre 6

De l'autre côté du pare-brise, au-delà du nez de l'appareil, les blancs cumulonimbus se détachaient en un net contraste sur le ciel bleu. On aurait dit une carte postale, mais Charles, agrippé au manche, avait l'air mécontent.

Il jeta un coup d'oeil à l'altimètre. Ils étaient actuellement à 4.500 mètres. La hauteur du cumulonimbus qui leur faisait obstacle était au moins de 10.000 mètres. Heureusement, il n'y en avait qu'un, si bien qu'il décida de le contourner.

Pour la première fois depuis qu'ils avaient décollé ce matin-là, Charles décrocha le tube acoustique.

Il n'avait pas du tout parlé à Fana depuis ce réveil des plus choquants. Il ressentait le besoin de lui parler, même s'il devait se forcer. Il ferma les yeux, tentant de se calmer, puis il ouvrit la bouche, s'ordonnant à lui-même de parler normalement.

« Ma… Mademoiselle…. »

Mais ses mots trébuchaient malgré lui. Il se mordit la lèvre. Il faisait un effort pour parler de façon naturelle, quand la voix de Fana lui parvint à travers le métal.

« Que… Que se passe-t-il ? »

La voix de Fana tremblait elle aussi. Il n'était pas surprenant qu'elle ressente la même chose. Charles tenta de faire comme si rien ne s'était passé.

« Euh… Un cumulonimbus nous barre la route. Je vais donc changer légèrement de cap.

- Vraiment ?

- Oui. On dirait un nuage d'orage, je ne veux pas plonger à l'intérieur.

- Oh. Effrayant. »

Fana parlait de façon embarrassée, en choisissant ses mots, mais il savait qu'elle faisait de son mieux pour que sa voix paraisse normale.

«  Une fois que nous aurons dépassé ce nuage, je m'attends à voir des avions ennemis. Comme la dernière fois, je vous confie nos arrières, Mademoiselle. »

- Entendu. »

Ce fut la fin de cette conversation pleine de gêne.

Charles raccrocha le tube acoustique et soupira. Le fardeau qui pesait sur ses épaules depuis le matin s'était un peu allégé grâce à cet échange – peut-être. Il n'était pas vraiment nécessaire qu'il dise à Fana ce qu'il venait de lui dire, mais il voulait un retour à la normale pour le reste du voyage.

Chaque fois qu'il laissait tomber sa garde, la vision du matin lui revenait à l'esprit.


Ce matin-là, le ciel à l'est se colorait d'hyacinthe. Charles était dans le demi-sommeil qui précède le réveil.

Une brume épaisse s'était levée de l'océan avant l'aube, c'était l'heure la plus froide de la journée. Il frissonnait, et tira sa couverture jusqu'au menton. Sentant sur son épaule une douce chaleur, il s'inclina dans cette direction d'un mouvement automatique.

Ça sentait bon, un parfum très pur. Il reprenait peu à peu conscience, mais il ne voulait pas sortir de la couverture. Il enfouit son visage dans cette chaleur. Ses neurones portèrent ce parfum jusqu'à son cerveau, qui réagit de façon très naturelle, en envoyant à son sexe l'ordre de se dresser. Charles ouvrit lentement ses yeux ensommeillés.

Et il s'aperçut que la douce chaleur venait des seins de Fana, qui dormait contre son bras gauche.

N'en croyant pas ses yeux, il s'écarta brutalement et regarda une seconde fois le spectacle qui s'offrait à lui. Dans son maillot de bain blanc, Fana dormait encore, paisiblement. Sa couverture avait glissé à côté d'elle, et tous les deux avaient fini par partager la même.

Et il ne portait qu'un sous-vêtement de coton !

Il avait dormi peau contre peau avec la fiancée du prince impérial, et avait partagé la même couverture…

« Que... » bredouilla-t-il.

Et en réponse Fana ouvrit les yeux.

Tous les deux, à demi nus, se regardèrent.

Les yeux de Fana s'élargirent, et elle baissa le regard vers son sexe qui, continuant d'obéir à l'ordre du cerveau qu'il avait reçu plus tôt, s'offrit avec une évidence criante à sa vue pure et virginale.

Charles l'entendit très clairement s'étrangler.

Et les yeux couleur d'argent revinrent à son visage.

Et il vit devant lui s'ouvrir toute grande la bouche de Fana.

Peut-être devrais-je mettre des bouchons d'oreille, pensa-t-il distraitement.

« AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA !!! »

Charles affronta stoïquement ce hurlement déchargé à bout portant, sans que pour autant son sexe se relâche.

Lorsqu'elle se fut calmée, il lui expliqua ce qui s'était passé, que c'était une réaction naturelle chez les hommes, et qu'il ne pouvait vraiment pas l'empêcher. Il insista avec fermeté sur le fait que cela n'avait rien à voir avec sa volonté. Fana à son tour lui présenta ses excuses pour son insouciance de la nuit précédente, et dans le silence gêné qui suivit, ils enfilèrent tous les deux leur combinaison de vol. Sans autre parole ils décollèrent pour la troisième étape de leur voyage.


Ils dépassèrent le cumulonimbus et se retrouvèrent devant un stratocumulus, qui couvrait de son extrême largeur la plus grande partie de la perspective et empêchait de voir l'océan. En outre, le ciel au-dessus était dégagé, si bien qu'ils seraient très probablement aperçus par l'ennemi s'ils volaient plus haut.

Après réflexion, Charles décida de descendre sous l'épais nuage. Le pare-brise se couvrit de blanc, et peu de temps après la surface sombre de l'océan apparut devant eux..

A 1.000 mètres d'altitude, il corrigea le cap pour prendre la direction du nord-ouest. Après quelques heures, ils devraient voir la Grande Chute et feraient le point à ce moment-là.

Sous le nuage il pleuvait. L'eau ruisselait sur le pare-brise, mais du fait de la rapidité de l'appareil, les gouttelettes coulaient vers l'arrière. La visibilité était mauvaise. Charles scrutait sans relâche le ciel devant lui.

Ils entraient dans des parages dangereux.

Au nord se trouvait Awashima, au sud Iyojima, ces deux îles étant de gigantesques bases aériennes d'Amatsukami. Leurs avions pouvaient décoller en un rien de temps pour maintenir le blocus, et si le Santa Cruz était découvert, il serait pourchassé par d'innombrables Shinden en provenance de ces deux bases. Et pour couronner le tout, les flottes envoyées en patrouille à la recherche de Fana seraient aussi alertées, les mettant en danger d'être pris dans une toile.

La première priorité était donc de ne pas se faire apercevoir.

Ils devaient oublier les événements du matin et se concentrer sur la tâche qui les attendait.

Il y avait des trouées dans le stratocumulus qui les surplombait, à travers lesquelles on pouvait apercevoir de temps en temps le ciel bleu au dessus, tout à fait normal jusque là.

Plus ils avançaient, plus le brouillard s'épaississait.

La visibilité à l'avant comme à l'arrière devint encore plus mauvaise. Charles ne voulait pas descendre plus bas, parce qu'il ne pouvait pas voir la surface de l'océan, et restait donc juste en dessous du nuage.

Chez les pilotes, le talent, l'expérience et l'instinct sont tous les trois nécessaires à la survie.

Rares sont les pilotes qui ont de façon innée un sens primitif inexplicable, la capacité de sentir les adversaires cachés et indétectables. De sentir la tension des aviateurs ennemis quand ils s'efforcent de rester dissimulés, et l'intention meurtrière qui émane d'eux. Etre capable de les repérer, d'agir le premier et de frapper plus vite était la marque des anciens as de l'aviation.

Charles sentait une intention meurtrière.

Sa peau fourmillait sous l'effet de cette sensation anormale. Sa main se crispa sur le manche, couverte de sueur. Il parcourut les environs du regard, mais ne vit rien. Il saisit le tube acoustique.

« Mademoiselle, pourriez-vous jeter un nouveau coup d'oeil ? Quelque chose s'approche.

- Entendu… Humm.

- Oui ?

- Je ne sais pas si cela vaut la peine de le signaler…

- Signalez tout et n'importe quoi. C'est moi qui verrai…

- Humm, la trouée dans les nuages était noire.

- Quoi ?

- J'ai vu que le ciel était bleu à travers le nuage, mais la trouée que nous venons de dépasser était noire. »

Charles cessa de transpirer. Un frisson lui parcourut la colonne vertébrale.

« Mademoiselle, c'est l'ennemi.

- Quoi ?

- Un dirigeable ennemi vole au dessus du nuage ; c'est la raison pour laquelle la trouée était noire !! »

Charles raccrocha brutalement le tube acoustique et regarda le nuage derrière lui.

Il le vit se fendre de haut en bas, comme si un harpon avait été jeté depuis les hauteurs célestes.

A travers cette brèche, un torrent de soleil coula sur l'océan.

Mais ce n'était pas seulement derrière.

Tout autour du Santa Cruz, en un cercle d'un rayon d'environ 4 km, le nuage se déchirait de place en place, la lumière dorée se déversant dans les flots à travers les ouvertures.

C'était comme un sublime tableau de maître, mais ce n'était pas une légion d'anges qui descendait sur les rayons du soleil. C'étaient des êtres plus malveillants, plus humains.

«  Bordel… ! »

Charles avait finalement compris ce qui se passait. Sans utiliser le tube acoustique, il cria à Fana : « Un vaisseau ennemi descend sur nous ! Il coupe à travers le nuage. Mademoiselle, baissez la tête ! Qu'ils ne voient pas votre visage ! »

Ils avaient été découverts depuis un bon moment. Ils avaient sans doute été repérés par le radar du navire ennemi.


Leur espace aérien se trouvait en plein milieu de la formation ennemie !

A l'évidence, le message codé avait été déchiffré. L'ennemi stationnait pour attendre le Santa Cruz. Tout autour de l'appareil, des dirigeables qui arboraient l'emblème des Amatsukami descendaient en éventrant le nuage. Les aéronefs, qui ressemblaient à de gigantesques doryphores, réverbéraient la lumière du soleil, et leurs ventres gris clair renvoyaient des lueurs de cuivre.

L'aspect menaçant de leur corps d'acier, le bruit sourd produit par le lourd métal fendant les airs donnaient l'impression qu'ils étaient d'essence divine. C'étaient les tout derniers croiseurs Amatsukami, les San'un.

En tout, il y en avait huit qui qui encerclaient le Santa Cruz, volant à peu près à la même vitesse que lui.

Charles plissa les yeux. Chaque croiseur ouvrit sous son ventre trois sabords pleins de malveillance.

Ses cheveux châtain se dressèrent sur sa tête.

« Des kuurai ! »

Les huit vaisseaux en tirèrent simultanément vingt-quatre.

Les missiles à percussion, profilés en ogives, fendaient la pluie en direction du Santa Cruz. Ils étaient propulsés chacun par une hélice fonctionnant avec une batterie à hydrogène.

Dans le nez de chaque kuurai se trouvait un capteur qui détectait la chaleur émanant des batteries à hydrogène. Ce capteur permettait au missile de pourchasser sa cible jusqu'au contact, ou jusqu'à l'épuisement de sa propre batterie.

Il n'existait qu'un seul moyen de leur échapper.

Charles poussa le manche aussi loin qu'il le pouvait, et plongea vers l'océan.

Il ne voyait rien à cause du brouillard, mais ce n'était pas le moment de se plaindre.

Son estomac accusait la vitesse de la descente, il gardait les yeux fixés sur l'altimètre et l'indicateur de vitesse, tentant de deviner le moment où il devrait redresser juste à temps pour éviter l'océan.

La soudaineté de la chute faisait hurler le pare-brise. L'appareil craquait et gémissait.

Il entendit Fana crier derrière lui : « Les missiles nous prennent en chasse ! »

« Gardez la tête baissée! Je n'ai plus besoin de vous au poste d'observation ! » hurla-t-il en réponse, concentrant toute son attention à ce qu'il voyait devant lui.

A travers la pluie, il distingua la surface argentée de l'océan. Il jeta un rapide coup d'oeil à l'arrière. D'innombrables missiles les poursuivaient.

Dès qu'il eut confirmation de tous ces paramètres, il tira le manche de tout son corps.

L'hélice gémit quand le nez du Santa Cruz se releva, et comme s'il prenait son élan pour se stabiliser, l'avion bleu glissa sur l'eau à toute vitesse.

A travers le pare-brise retentit un grondement de tonnerre. Pas qu'une seule fois. Deux, trois, quatre fois, davantage encore, le bruit sourd d'explosions sous-marines fit vibrer le ciel.

En tout, dix-huit kuurai se précipitèrent dans l'océan, faisant jaillir des geysers d'eau, dans l'incapacité de suivre les mouvements du Santa Cruz.

Mais six missiles le pourchassaient encore...

( A suivre)