Stereopticon Rotation Cet homme s’appelait Hiiragi Goujuurou
Lorsque le 20e siècle était sur le point de se terminer, les humains s'imaginèrent beaucoup de choses sur le nouveau siècle à venir. Qu'ils allaient peut-être se mettre à porter des vêtements ressemblant à des collants argentés. Que des routes semblables à des tubes seraient construites dans les airs, et que les voitures rouleraient dedans. Même en retirant les idées extrêmes comme celles-ci, les humains espéraient que des changements faciles à voir aller opérer dans la civilisation humaine, comme l'avancement de la digitalisation du cerveau humain, ou l'expansion à grande échelle dans l'espace. En parallèles de ces attentes, des idées de fin du monde se répandirent aussi, comme la dégénérescence de l’humanité, ou la destruction qui allait s'abattre.
Et tout le monde sait ce qui est réellement arrivé.
La dernière année du 20e siècle se conclut comme toutes les autres années ordinaires auparavant. La première année du 21e siècle démarra comme toutes les autres années ordinaires auparavant. Personne ne portait de vêtement argenté, et les voitures ne roulaient pas non plus dans des tubes.
Les humains furent déçus, rassurés, et se moquèrent un peu d'eux-mêmes et de ce qu'ils avaient bien pu penser un an plus tôt. Ils continuèrent leur vie de tous les jours. Ils commencèrent à vivre ce début de 21e siècle sans quasiment rien qui avait changé par rapport à la fin du 20e siècle.
------- C'était peut-être pour ça.
Une atmosphère particulière, étrange, régnait dans ce Tokyo de 2002. Comme si le monde était encore quelque peu agité...mais en même temps, un certain calme était aussi présent.
- Il faut qu’on fasse quelque chose pour notre budget.
Dit Merinoe pendant qu’elle dévorait sa crêpe en marchant dans l'avenue.
- Je suis d'accord, mais je veux pas l'entendre venant de toi alors que t'es littéralement en train de le gaspiller.
- Sois pas coincé comme ça, c'est des frais nécessaires.
- Tu dis l'inverse de ce que tu viens te dire il y a 5 secondes, tu sais ?
Lui fit remarquer Takumu sur un ton léger. Toutefois, le manque d'argent était un problème gênant. Puisque cette ville était opérationnelle, que ce soit pour collecter des informations ou faire autre chose, l'argent allait être nécessaire s'ils voulaient pouvoir agir librement.
- Tu connais le lieu comme ton jardin, non ? T'aurais pas caché des économies quelque part ?
- Noooon. Et même si j'en avais, c'est pas l'argent de poche d'un petit morveux qui va nous aider.
- Ah bon ? Tu me déçois.
- T'es au courant que c'est parce que t'as pas arrêté de te goinfrer qu’on n’a presque plus rien, pas vrai ? Bon sang, comment t’as pu perdre contre la faim alors qu'on est dans l'urgence là.
- Je vois, je vois. Tu as bien raison.
S'esclaffa-t-elle en acquiesçant.
- Il ne faut pas perdre contre nos désirs quand la situation est pressante. Je n'en attendais pas moins de l'homme qui a tout de suite couru après le derrière d'une fille dès qu'on est arrivé sur place. Très convaincant.
Ugh. Takumu ne savait plus quoi répondre.
- Non, mais, je veux dire, c'était...
- J'aurais voulu voir la tête de cette femelle mécréante qui a su capturer ton cœur.
- Fais attention à ta façon de parler, OK ?
Il était bel et bien toujours charmé par elle encore aujourd'hui, alors il n’objecta que fébrilement.
- Bien sûr, si c'est une femme barbante qui ne te mérite pas, alors je ne compte pas te laisser à elle.
- Tu penses être quoi pour moi ?
- Ça coule de source. Actuellement, je suis consciente d'être la femelle la plus proche de toi, que ce soit corps ou âme.
- Fais attention à ta façon de parler, OK ?
Effectivement, ils étaient corps et âme très proches l'un de l'autre, c'était la relation qu’ils avaient entre partenaires. Et donc une fois de plus, Takumu n'objecta que fébrilement.
Il marcha, déprimé.
- Enfin, je suis même pas sûr qu'elle me considérait comme un homme.
- Oh ? Elle te prenait pour quelqu'un du même sexe ?
- Mais non pas, pas dans ce sens-là. Je veux dire qu'elle me traitait comme son petit frère. Elle disait avoir toujours voulu un petit frère. Elle était fille unique.
- Je vois. Elle serait surprise de voir comment tu es maintenant.
Oh, elle n’a pas juste été surprise, elle m’a regardé avec une tête pleine de mépris, et m'a pris pour un pervers, se remémora Takumu.
- Au fait, vers où on se dirige là ?
Demanda Merinoe.
- Hm...Il faut qu'on se renseigne sur la situation. J'ai une idée à qui on pourrait demander.
- Ah oui ?
Merinoe rapprocha un peu sa tête, intriguée.
- De là où on est c'est pas si loin que ça en plus. C'est la première fois que j'y vais aussi, mais on peut s'attendre à des résultats, je pense.
- D’accord.
Le 5 juin 2002, énormément de Visiteurs vinrent d'un coup sur Terre. Cependant, il y avait aussi des Visiteurs venus sporadiquement avant ce jour. Ils ne s'étaient juste pas mis en avant dans l’Histoire humaine. Ils causaient beaucoup de problèmes, donc bien sûr, il y avait aussi des médiateurs à cette époque présents côté terriens pour les résoudre.
Évidemment, ils ne proclamaient pas haut et fort être des médiateurs. Apparemment, ils prétendaient en apparence avoir un autre emploi, afin de pouvoir agir en évitant l'attention du public.
- On va au commissariat de police.
◇
Évidemment, être pris au sérieux fut très compliqué.
Je viens du futur. Tokyo est en train d'être attaqué par un méchant extra-terrestre. En y réfléchissant calmement, ça ressemblait aux absurdités d'un conspirationniste de théories extrêmes. Mais ce qui était problématique, c'était que si Takumu essayait d'expliquer la situation franchement et précisément, il n'avait pas d'autres choix que d'en parler de cette façon.
- Haha !
On amena le duo dans une pièce où un homme visiblement de bonne humeur les attendait.
Il avait un peu plus de la quarantaine. Il avait un visage finement ciselé, une partie de ses cheveux était blanche, et il avait une barbe et une moustache bien taillée. On voyait par-dessus ses habits qu'il avait un corps musclé. Il avait à la bouche une petite cigarette, duquel de la fumée s'échappait lentement.
Lui, il est balèze, se murmura à lui-même Takumu dans sa tête.
Juste le voir debout laissait aisément supposer de sa force. Et pas le genre de force que l'on pouvait atteindre en s'entrainant. C'était une robustesse difficile à exprimer par des mots ou des chiffres. Elle était simplement le fruit d'une vie constamment passée en première ligne. Elle était définitivement différente d'une force visible en surface, comme les techniques de combats, ou les capacités de survie. Un jeune homme comme Takumu ne lui arrivait pas à la cheville. L’homme avait une prestance décorée par d'innombrables blessures.
Takumu avait entendu des rumeurs à son sujet. Avant que le nombre de Visiteurs n'augmente, le nom de cet homme était le premier que l'on donnait lorsque l'on parlait de médiateur célèbre. On racontait de lui qu'il était un vétéran inégalé, et qu’il avait résolu toutes sortes de problèmes. Il était également la plus inestimable des forces chez les terriens.
Je crois que son nom était Hiiragi Goujuurou, se rappela Takumu.
Il se disait tout le temps qu’il aurait voulu rencontrer cet homme dont on parlait comme étant une légende. Takumu n'imaginait pas voir son souhait réalisé sous cette forme.
- Bienvenue dans mon bureau ! C'est toi le fameux Takumu qui viendrait du futur ?
Hiiragi ouvrit grand les bras, et souhaita la bienvenue à Takumu.
- L'accueil m'a contacté. Apparemment, tu racontais des choses intrigantes. Par exemple, comme quoi ce monde isolé aurait été laissé derrière par le cours du temps, c’est ça ?
- Oui.
Acquiesça Takumu.
- Et je suis très sérieux. Je n'exagère rien.
L'homme se tenait à une distance de 5 pas de Takumu, et le regardait droit dans les yeux.
- ...Je vois. Je vois. Je vois. Bien ?
Il regarda ailleurs, et appuya sa cigarette contre le cendrier.
Il en sortit une nouvelle depuis la poche de sa poitrine, l'amena à sa bouche et l'alluma.
Probablement un assez gros fumeur. Le gros cendrier débordait déjà de mégots et cendres.
- Je me doute que vous n'allez pas me croire tout de suite.
- Oh, pas forcément.
L'homme pointa un doigt épais en direction de Takumu.
- Pas tous, mais il y a des éléments avec lesquels je suis d'accord.
- ...Hein ?
- Ce n'est pas pour autant que je gobe toute cette histoire. Actuellement, Shibuya est en proie à de mystérieuses anomalies, ça, c'est un fait dont nous sommes aussi au courant.
Hiiragi s'approcha du bord de la fenêtre, et ouvra un peu du bout des doigts le store fermé.
- Vous avez remarqué qu'il se passait quelque chose d'étrange dans cette ville, pas vraie ?
- Bien sûr que oui !
Hiiragi acquiesça, et ouvrit une nouvelle fois grand les bras avec exagération.
- Nous sommes coupés du monde extérieur. On ne peut pas partir d’ici, et personne ne peut venir de l’extérieur. On ne peut même pas prendre contact avec d’autres villes pour échanger des informations. Et pourtant, les infrastructures tiennent. Et le plus important, c’est que personne ne trouve ça étrange. Si ce n'est pas des ennuis, ça, alors je ne sais pas ce que sont des ennuis !
Il rigola joyeusement.
- Effectivement, les habitants de Tokyo sont habités au tumulte de leur vie quotidienne, et semblent peu sensibles aux changements. Mais c'est anormal d’être autant insensible.
- Les facultés cognitives ont probablement été altérées.
En effet. Acquiesça Hiiragi.
- Si nous sommes dans une cabine, alors je peux comprendre pourquoi ces choses ont lieu. À l'intérieur, les terriens normaux ne peuvent pas ressentir le sentiment d’inconfort d'être dans une cabine. C'est comme ça qu’elles fonctionnent.
- Mais vous, vous avez pu voir qu'il y a un problème.
- Bien sûr, j'ai le meilleur coopérateur possible avec moi. Quelqu'un en qui je peux avoir confiance. Tout comme cette adorable jeune fille est pour toi la meilleure partenaire possible.
- Tout à fait.
Pour une raison qui échappait à Takumu, Merinoa acquiesça fièrement.
- Meilleure est en trop par contre.
Takumu acquiesça également. Merinoe lui donna un petit coup de coude dans les côtes.
- J'hésitais un peu sur la marche à suivre, mais grâce à votre venue, j'ai pris ma décision. Si cette ville n'est qu'une cabine, et que le monde normal à l'extérieur va bien, alors détruisons-la.
Hiiragi imita un pistolet avec sa main droite, et la pointa tout droit vers le ciel.
- ...La détruire ?
Takumu crut avoir mal entendu.
- Je m'étais imaginé des choses. En supposant que cette ville ait été isolée. Et s'il n'y avait rien derrière les murs extérieurs ? Et s'il n'y avait que l'espace à perte de vue ? On est peut-être dans un vaisseau spatial avec Tokyo à bords. Et si on est bien dans un vaisseau, juste faire une fissure dans le mur nous condamnerait. Et puisque nous étions en manque d'information sur le monde extérieur, je ne pouvais pas complètement éliminer cette possibilité.
Takumu était dubitatif.
- Mais il semblerait que nous ne sommes pas dans le vaisseau spatial Tokyo. Dans ce cas, on va pouvoir s’en charger directement grâce à la lumière de Senju.
La lumière de Senju.
En entendant ce mot clé, Takumu se rappela des informations dont il avait un peu entendu parler dans le monde extérieur au sujet de Hiiragi Goujuurou. On raconte que ses gros exploits n'étaient pas seulement dus à sa propre force. Il était aussi beaucoup soutenu par celle de son partenaire, le Visiteur Dorun Senju.
Ce Visiteur possédait 2 capacités. La première, convertir la force mentale des humains en énergie, et la stocker. Et la seconde, relâcher cette énergie sous la forme de rayon de lumières.
- Vous n'allez quand même pas...
Surpris, Takumu ouvrit grand les yeux.
- Vous pouvez détruire le mur extérieur de la cabine !? Depuis l'intérieur, par vos propres moyens !?
Hiiragi courba les lèvres, et esquissa un sourire effronté. Il en profita pour prendre une nouvelle cigarette, et l'allumer.
- Notre slogan à Senju et moi c'est il n’y a rien que l'on ne puisse pas transpercer dans cette galaxie, tu vois.
C'était insensé. Takumu avait entendu dire que même cette femme vêtue de blanc avait eu besoin de plusieurs années afin d'ouvrir un trou depuis l'extérieur.
- Je vois. Ça tombe sous le sens.
À côté de lui, Merinoe commença à expliquer.
- Si l'on fabrique une fausse clef, ou cherche le mot de passe pour ouvrir la serrure d'un coffre, évidemment, ça va prendre du temps. Par contre, si l'on se contente de juste exploser la porte avec une puissance de feu absurde, ça ne demande pas beaucoup de temps. C'est ça, sa logique.
Nan mais je parle pas de ça ! s’exclama Takumu en son for intérieur.
Takumu Azekura était jugé par ses compères des temps modernes pour être un médiateur trop friand de la manière forte pour régler ses affaires. Il n'était pas ignorant de ce fait, et avait déjà réfléchi à améliorer ce point un jour.
Face à l'un des grands médiateurs de 2002, il se dit sincèrement.
Vous êtes trop bourrin !
- En revanche, on ne va pas non plus le faire tout de suite. Il faut qu'on regarde le niveau de renforcement du mur, qu'on charge suffisamment d'énergie pour le percer...au minimum, on en a pour 200 heures.
- 8 jours...
Honnêtement, c'était long. Mais par rapport à l'absurdité de ce qu'Hiiragi s'apprêtait à faire, c'était d'une rapidité jamais vue auparavant. On ne pouvait rien lui reprocher.
- Ce qui veut dire que l’on n’a rien que l’on puisse faire pour le moment, c'est ça ?
Néanmoins, Takumu ressentait comme une sorte de frisson dans son cœur.
Lui et Merinoe n'avaient plus besoin de faire quoi que ce soit de plus. Dans tous les cas, le problème sera réglé dans 8 jours. Ils risquaient même de mettre des bâtons dans les roues s'ils n'étaient pas prudents. Le mieux à faire était de tranquillement regarder les choses se dérouler. C'est ce que pensait Takumu, mais d'un autre côté, il réfléchissait aussi à l'inverse.
Il ressentait un énorme malaise d'être dans ce monde, impossible à ignorer, alors que ce dernier était déjà rempli de choses anormales.
- Je pourrais te dire que oui.
Hiiragi secoua la tête.
- Mais tu ne comptes pas rester les bras croisés, pas vrai ?
- Je vois que vous avez deviné.
- Je connais bien ceux de ton genre. Tu n'es satisfait que de ce que tu vois, entends, et frappes toi-même.
Dit-il en serrant le poing devant son visage.
Attendez un peu, pensa Takumu. Je vois que vous me considérez comme quelqu'un comme vous, et c'est un honneur pour moi, vraiment. Mais en même temps, pour ce qui est de réfléchir avec les muscles, j’ai pas envie d’être mis dans le même panier.
- ...C'est ça.
Il garda ses pensées pour lui, et acquiesça.
- Je vais vous prendre au mot alors, et agir à ma façon. Est-ce que je pourrais avoir l'autorisation, et si possible, quelque chose pour justifier de mon identité ?
- Pas de problème. Je vais faire passer le mot.
Dit Hiiragi tandis qu'il écrasa une fois de plus sa cigarette bien raccourcie dans le cendrier.
Takumu ne pouvait pas se servir de ses papiers médiateurs ici. Ils venaient du monde extérieur. Il demanda donc à ce qu'on lui fasse une pièce d'identité justifiant de son statut de coopérateur à la police. C'était quelque chose lui permettant à lui et Merinoe d'agir à leur discrétion sur l'enquête. Cependant, ils n'étaient pas aussi libres que des vrais enquêteurs. Takumu en profita d'ailleurs pour (et fut très reconnaissant) qu'on lui prête un peu d'argent.
- ...
Il sortit du quartier général du département des investigations criminelles en contemplant sa carte d'identification.
- Qu'est-ce qu'il y a ? Tu n'aimes pas ta photo ?
- Il y a de ça aussi, ouais.
Tout le monde est moche sur les photos de cartes d’identification. Takumu secoua la tête en regardant sa photo sur laquelle il avait les joues étrangement gonflées.
- Il y a quelque chose qui me dérange, mais je sais pas quoi.
- Je vois.
Merinoe acquiesça.
- Dans ce cas, tu ne devrais pas te renseigner un peu plus auprès du département d'investigation ? En plus, maintenant tu ne seras plus traité comme quelqu’un de louche.
Elle n'avait pas tort, cependant.
- Tu te méfies de quelque chose ?
- Non...
J'ai plutôt l'impression que c'est de nous qu’on se méfie, continua-t-il dans sa tête.
Que ce soit Hiiragi, ou même le reste du personnel, ils n'avaient pas tout dit à Takumu. Ils semblaient cacher beaucoup d'information capitale.
Toutefois, c'était bien sur une attitude normale envers des personnes étranges comme le duo. Au contraire, s'ils ne se comportaient pas comme ça, Takumu se serait inquiété. Il comprenait leur comportement, mais...
Malgré tout, il avait quelque chose qui le collait derrière la tête.
- Nan vraiment, je sais pas.
Takumu secoua la tête. Elle n'était pas faite pour réfléchir à des choses compliquées.
- Et donc, on fait quoi ?
- ...On a besoin d'informations. On va marcher un peu.
Déclara-t-il avant d'accélérer le pas.