Stereopticon Rotation Au bout du monde
- On a l'air d'être à la limite.
Ils s’éloignèrent un peu de Shibuya.
Ils s'arrêtèrent au niveau de la rivière Meguro.
Il semblerait qu’il n’était pas possible d’aller plus loin. Dû au mystérieux système altéré du mécanisme des cabines, peu importe à quel point l’on faisait attention, on se retrouvait forcer de changer de direction sans qu’on le remarque. Même si l'on prenait la voiture ou le train plutôt que d’y aller à pied, rien ne changeait.
Et bien évidemment, il n'y avait personne d'autre aux alentours. Les personnes qui vivaient et travaillaient dans le coin avaient surement été inconsciemment chassées d'ici pour être envoyées à l'intérieur de la ville isolée.
Il s'agissait de la limite atteignable si l'on essayait de s'approcher du mur extérieur depuis l'intérieur de cette immense cabine.
- Tiens.
Merinoe semblait avoir compris ce que Takumu s'apprêtait à faire, sans qu’il ait besoin de lui dire. Elle lui tendit un gros fusil aux formes arrondies, qu’il prit.
À l'origine, les armes à feu étaient des équipements créés par l'humanité afin de détruire quelque chose. L'arme que Merinoe avait sortie de son rêve avait vu sa fonction en tant que fusil être amplifiée à une échelle un peu anormale.
- Cimer.
Tandis qu’il sentait le poids lourd de l’arme dans sa main, il regarda le ciel lointain.
Il n'y avait rien d'anormal. À première vue.
Il n'y avait qu'un ciel bleu ordinaire. À première vue.
Des rues tranquilles. À première vue. Bien sûr, en réalité, ce n'était pas le cas. Tous ces paysages n'étaient que tromperie, mais...
- À l'intérieur de la cabine, personne ne ressent rien d'étrange en voyant le mur qui sert de limite. Ils ne voient rien d'anormal. Pour eux, le monde est comme d'habitude.
Il chargea une balle, et se mit en position de tir. Sa cible était le ciel vide à l'ouest, un peu plus haut que l'horizon.
Il enleva la sécurité, et posa son doigt sur la détente.
- Mais ça ne change rien au fait qu'il y a un mur ici.
Il prit une grande inspiration, calma les battements de son cœur, et...
Tira.
Un faisceau de lumière partit.
Ce dernier laissa de la vapeur en forme de spiral derrière lui, ainsi qu'une odeur piquante d'Ion, avant de disparaitre dans le cie-... Non, le faisceau de lumière ne disparut pas. Il heurta quelque chose dans le ciel censé être vide, à un endroit où l'on ne voyait que le bleu du ciel.
La lumière explosa.
À cet instant, quelque chose de caché sous le ciel bleu se décolla, comme du camouflage qui se retirait. Il s'agissait de peinture déguisée pour donner l’impression qu’il n’y avait rien. Derrière, un mur violet d'une brillance métallique apparue.
- Oh !
Le mur avait surement une fonction pour se réparer lui-même. Immédiatement, le ciel bleu autour gonfla, et cacha le mur. En l'espace d'à peine quelque secondes, le ciel bleu avait repris son apparence habituelle, comme si de rien n’était.
- Attends.
En regardant attentivement, il restait une légère trace de brulé. Sans le savoir à l'avance, la marque était tellement petite que l’on pouvait penser juste avoir reçu de la poussière dans les yeux.
- Pas mal.
Takumu afficha un sourire féroce.
Il tira une seconde fois. La balle atterrit juste à côté de l'endroit de tout à l'heure, créant une tache similaire.
- Je vois.
Juste à côté de lui, Merinoe regarda avec intérêt le ciel.
- En bien des sens, la cible était bonne, mais ça manque un peu de puissance de feu.
- ...Ouais.
Il baissa son arme. Les balles qu'il lui restait n'étaient pas illimitées. Et même s’il faisait plus d'éraflures, ça n'allait pas faire un trou dans le mur pour autant.
Mais malgré tout, ça n’avait pas été inutile.
Ils apprirent que, certes, le mur était très robuste, mais pas non plus complètement absurde pour autant, du moins à première vue. Avec une force suffisante, le mur était atteignable et endommageable. Ensuite, c'était une question de la puissance de feu disponible. Et de ce côté-là, ils pouvaient compter sur Hiiragi Goujuurou et Dorun Senju.—
— Dans son dos, à 7 heures, Takumu sentit quelque chose de dangereux.
- Takumu !
- Je sais !
Il avait déjà bougé avant même d’entendre l'avertissement de Merinoe. Il se jeta sur le côté, et sentit quelque chose de très rapide passer juste à côté de lui.
Caché derrière un arbre sur la route, il regarda son agresseur.
La première chose qu’il remarqua était quelque chose de visqueux au motif tacheté noir cendré et bleu-vert. Ensuite, des pieds et des mains ressemblant à ceux d'un lézard. Et enfin, que cette chose avait dans son dos des organes ressemblants à plusieurs tentacules.
Autrement dit, quelque chose de difforme que l'on ne voyait pas sur Terre d’ordinaire.
- Haha, il tombe bien lui !
Le médiateur lança son fusil à Merinoe, et dégaina son multicylindre qu’il avait ramené avec lui depuis le monde extérieur. Il ressemblait beaucoup au colt M1911, mais l'intérieur était complètement différent. C'était une arme créée non pas pour détruire des organismes vivants, mais pour les réprimer.
- Je pensais pas qu'on aurait un invité ! On dirait bien qu'on a réussi à provoquer quelqu'un !
L'agresseur sauta. Il réduisit la distance de presque 10 mètres qui le séparait de Takumu en un rien de temps . Ce dernier évita la charge du monstre en roulant, et appuya sur la détente au moment de croiser le lézard. La balle incapacitante manqua de peu l'agresseur. Elle perça un petit trou dans l'asphalte.
- T'es agressif, dis-moi. Tu pourrais au moins te présenter, on est entre personnes civilisées ici !
Takumu en profita pour lâcher une blague, mais elle ne semblait pas avoir atteint son opposant non plus.
Sans dire un mot, ses tentacules grotesques se déformèrent et attaquèrent Takumu. Ce dernier les évita en sautant dans une ruelle proche. Les tentacules frappèrent l'immeuble qui lui servait de couverture.
Un bruit de destruction.
Les tentacules brisèrent les fenêtres, et du béton éclata.
(Houla, ils sont violents ces tentacules !)
Il n'avait même pas le temps de détendre l'atmosphère.
De l'autre côté de là où ces morceaux volaient, Takumu regardait son agresseur avec une concentration telle qu'elle rallongeait le temps. La chose difforme avait ouvert grand sa bouche — du moins, le trou cylindrique qui était probablement à l'endroit de sa bouche. Takumu voyait des épines humides, et quelque chose de noir dissimulé au fond de ce trou.
- Hop là !
Takumu se laissa guider par son intuition, et sortit de sa couverture. Juste après, quelque chose transperça l'endroit où il se trouvait une seconde auparavant, et le bâtiment avec.
Une énorme quantité d'eau s'échappa des conduites d'eau détruites. Takumu réfléchit à ce qui venait de se produire, tandis qu'il était en train d'être trempé, la tête la première. Il n'y avait pas de brulures parmi les décombres. Il ne s'agissait donc pas d'un rayon de chaleur. Quelque chose avec un corps physique avait été tiré. Sa masse et rapidité était ahurissante, et le fait que ce quelque chose ait été tiré depuis un corps en chair et en os était absurde, mais c'était tout. Dans le principe, ça n’était pas différent d'une arme à feu ou d'un canon.
(Il tire ses propres fragments d'os, en leur donnant une super vitesse dans son corps ?)
Ou quelque chose comme ça, pensa-t-il.
Toutefois, même s’il avait une hypothèse sur le fonctionnement, il ne croyait pas que ça allait l'aider à le sortir de cette situation. Il pouvait peut-être espérer que le monstre s'affaiblisse s’il le laissait continuer de tirer, mais il était dangereux de se dire que l'adversaire n'avait pas envisagé ce cas. De plus, la ville allait être encore plus endommagée.
- Te déchaine pas trop, tu vas déranger les habitants du coin !
Le lézard n'avait pas l'air de réfléchir aux dégâts qu'il causait à la ville.
Ce qui voulait dire que c'était peut-être comme Takumu avait imaginé. Son agresseur avait peut-être quelqu'un derrière lui au courant pour la boucle, et qui se dit que de toute façon, vu que la ville va revenir dans son état normal, ça ne pose aucun problème de la détruire.
Takumu était intrigué, mais ce n'était pas le moment pour creuser la question. Il appuya sur la détente 3 fois de suite. Une balle fit mouche. La balle incapacitante traversa le dos de son agresseur. Si son corps n'avait pas une constitution spéciale, alors elle devrait pouvoir le paralyser de force. Aurait dû, pouvoir.
Ses tentacules se tordirent, et coupèrent la partie de son dos que le tir de laser de Takumu venait tout juste de bruler.
- Vraiment ?
C'était la même façon de faire que pour s'occuper de poison, mais ici, c'était la bonne réponse. Le principe était différent, mais les effets des balles incapacitantes étaient similaires aux anesthésiants. Autrement dit, les effets paralysants n'atteignaient pas les endroits qui n’étaient pas reliés par la chair.
- Sérieux là ? ...ça devient compliqué.
Takumu courut.
Le lézard attaqua rapidement à plusieurs reprises, comme s'il suivait Takumu. Quelque chose d'invisible qu'il crachait depuis son palais, les frappes de ses tentacules, sa charge avec son corps robuste pour percuter Takumu. À chaque fois que ce dernier évitait les coups, la ville subissait des dégâts.
Le médiateur courut dans une allée.
Il entra dans un supermarché vide et reprit sous souffle derrière des étagères. Heureusement, il semblerait que son adversaire ne pouvait pas tirer à répétitions avec son canon (?) ignorant les couvertures. Après avoir pris ses distances et s'être mis à un endroit où cette chose ne pouvait pas le voir, Takumu gagna un peu de sursis.
Merinoe pointa le bout de son nez juste à côté de lui, sans aucune goutte de sueur.
- Tu as besoin de quoi ?
Après avoir réfléchi un petit instant.
- Je sais pas ce qui marche sur lui. Donne-moi plein de trucs.
- Elle est difficile ta commande.
Merinoe laissa tomber 10 balles dans la main qu'avait tendue Takumu.
- Cimer.
Il n'avait pas le temps de vérifier laquelle faisait quoi. Il les fourra dans son chargeur sans réfléchir à l'ordre, et commença à courir. La fenêtre du magasin et les étages à produits éclatèrent en morceaux à chaque coup de canon reçu. Takumu se fraya un chemin à travers les magazines et la nourriture à grignoter qui volaient partout et sortit du magasin.
3 coups de feu.
Les balles tirées ne manquèrent pas leur cible. Chacune perça un petit trou sur le lézard.
Et depuis ces trous, 3 choses différentes commencèrent à en sortir.
Depuis l'un d'eux, des éclairs violets. Un choc électrique essayait d'empêcher la cible de bouger.
Pas d'effet.
Depuis un autre, un gaz vert pâle. Il s'introduisait directement dans son corps depuis la blessure de la balle, et essayait d'intoxiquer la cible.
Pas d'effet.
La dernière, des ronces rouges. Elles empêchèrent la cible de bouger en s'enroulant tout autour de son corps.
Et celle-ci... avait de l'effet. Les membres bloqués, l'agresseur tomba. Il se débattit violemment pour essayer d'arracher les ronces, mais puisqu'il avait déjà les mouvements obstrués, même y mettre de la force était difficile.
- Hop, bien.
Takumu resta vigilant. Il se rapprocha doucement, toujours prêt à tirer.
- Euh...toi, là. Je t'arrête pour tentative d'agression, détérioration des biens publics, et pleins d'autres trucs, enfin, t'es pris en flagrant délit en pleine violation de la loi sur le séjour sur Terre des Visiteurs, alors déclare-moi ton affiliation, ton nom et prénom, et ton ID de Visi…
Il s'arrêta.
La silhouette ressemblant à celle d'un lézard s'effondra, comme de la boue.
- Pardon ?
C'était comme une poupée d'argile qui aurait reçu de la pluie. Tandis que Takumu était stupéfait, la chose perdit tout ce qui pouvait ressemblait à des formes, ne laissant derrière elle qu'une botte de ronces ayant perdu leur proie, et un tas de mottes de terre.
- Je...l'ai...tué ?
- Non.
Apparue soudainement, Merinoe s'approcha de l'amas de terre d'un pas ne montrant aucune méfiance, et s'accroupit. Elle planta le bout des doigts dans la masse de terre, en ramassa comme si c'était de la glace, l'approcha de son nez et la renifla.
- Je vois, c'est comme je le pensais.
- Quoi donc ?
Elle se retourna vers Takumu.
- C'est un faux.
- ...Quoi ?
- C'est compliqué si on veut donner une définition exacte de ce qu'est la vie, mais du moins, ce n'est pas quelque chose qui correspondrait à un soi-disant Visiteur. Si je devais le décrire avec des mots proches, alors je dirais que...c'est un robot autonome.
- C'est une machine, ce truc ?
- Juste si je devais utiliser des mots qui s'en rapprochent. Mais...
Merinoe se leva.
- Cette technologie n'est pas si rare que ça. Qui, d'où et comment on l'a ramenée ici, ça je ne peux rien en conclure.
- Tu veux dire qu'il n'y a pas d'indice sur qui nous l'aurait envoyé ?
- C'est ça.
Merinoe agita légèrement la main pour retirer la boue, et retourna aux côtés de Takumu.
- Bon, on fait quoi ? Tu veux continuer de chercher ici ?
- ... Non.
Takumu rangea son pistolet dans sa poche intérieure.
Il jeta un coup d'œil du côté du ciel derrière lequel se cachait le mur violet, le mur extérieur de la cabine.
Puis Takumu regarda attentivement la direction opposée. La ville isolée à l'intérieur de la cabine.
- Comment dire, je suis pas sûr de tout avoir bien compris. Faut que je me remette les choses dans l'ordre. Je veux aller à un endroit un peu plus calme.
- Ah oui ?
Le visage de Merinoe s'illumina de joie.
- C'est l’heure du grand moment théâtral de déduction de Monsieur le détective, Takumu, c'est ça ? J'ai hâte, je vais me prendre quelques douceurs et écouter ça avec graaande attention.
- Tu comptes encore manger...
- C’est étrange ce que tu dis. Quand est-ce que j'ai mangé quelque chose de sucré ?
- Comment ça, t'as fait que de bouffer hier, alors qu'on n’avait pas d'argent.
- Hahaha, tu as oublié ? Le monde a été rembobiné, tu sais ?
Elle agita son index de droite à gauche comme pour dire ah là là, tu ne comprends pas.
- On est revenu dans le temps, ce qui veut dire que l’hier dont tu parles a disparu. Je n'ai pas encore mangé quoi que ce soit de sucré, pas une seule, dans cette ville fermée. De nos jours, on réclame haut et fort un certain bien-être pour les employés, tu sais ? Tu ne penses pas que la situation est grave ?
- ...Dis, tu serais pas en train de profiter à fond de la situation ?
- Je ne le nie pas.
Rigola-t-elle avec malice.
Enfin, tant pis. Elle change pas, pensa-t-il.
Après avoir abandonné pas mal de choses au sujet de cette Visiteuse, Takumu soupira.
- OK, mais va laver cette main avant.
De l'eau jaillissait depuis les conduites d'eau cassées à différents endroits de cette rue en miettes. Il pointa du doigt l'une d’entre elles.
- Et utilise du savon aussi. Je te laisse rien manger si elle est pas niquel.
- Compris.
Acquiesça-t-elle de bonne humeur, avant de courir.
Takumu poussa encore une fois un grand soupire en regardant le dos de sa partenaire.