Goodbye to Multiverse Youth, Connect to the Only You : Tome 1 Chapitre 2 : Coulez, mes larmes ! s’écria mon amie d'enfance
1
En général, on ne remarque les signes que quand il est déjà trop tard.
Mais même en y réfléchissant maintenant, je pense que cet accident n'avait eu aucun signe avant-coureur.
Tout ce que je pouvais dire, c’était que tout commença par le cri d'une fille.
Un cri perçant me réveilla tôt dans la matinée. J'oubliai de faire mon zapping de monde parallèle et sortis de ma chambre en courant.
Au rez-de-chaussée, j'entendais mes parents criés et la voix colérique de Jiyuri me cassant les oreilles.
Que se passait-il ? Ils faisaient trop de bordel pour que ce soit juste un cafard.
Interrogatif, je descendis au salon. Je m'apprêtai à dire bonjour, mais ravalai mes mots en panique.
Ce qui aurait dû être une harmonieuse matinée en famille, était devenu une scène de bataille.
Mes parents et Jiyuri se regardaient face à face, chacun d'un côté de la table, et se disputaient à haute voix. D'ordinaire, ils s'entendaient bien. Et là pourtant, leur querelle était si enflammée qu'ils n'avaient même pas remarqué que j'étais là.
...On dirait que j'étais venu dans un monde bien particulier aujourd’hui.
- Arrêtez avec ça, moi ça me fait pas marrer ! Vous me reconnaissez pas !? Vous êtes pas vieux au point d'oublier le visage de votre propre fille quand même !
Les couettes de Jiyuri étaient redressées, et montraient la colère de leur propriétaire. Elle ressemblait à un chat qui redresse sa queue quand il est furieux.
-...Hmmm, je suis vraiment désolé, mais je ne me souviens pas de toi. On a juste un fils qui s’appelle Hideto… J'ai...j'ai pas raison, chérie ?
- Oui. ...Je n’ai pas non plus souvenir que tu as eu un enfant dans mon dos.
- Ri...rigole pas avec ça. Jamais je pourrais faire quelque chose d'aussi infidèle, tu le sais bien. D'ailleurs, pourquoi je suis à la maison ? Pourtant j'étais à New York hier.
- Elle est drôle ta plaisanterie. Pourquoi tu serais à New York ?
- Haha, c'est toi qui es une bonne blagueuse, chérie. J'ai été muté, alors on a laissé Hideto à la maison et on est parti vivre tous les deux à New York, non ? On avait aussi demandé à la fille de nos voisins de s'occuper d'Hideto. Tu sais, les Tomonaga.
Le couple se regarda.
Le sujet avait changé, et ils ignoraient Jiyuri pour plutôt commencer à se disputer.
- Attends. L'année dernière, tu as refusé de travailler à l'étranger, tu ne te souviens pas ? Tu disais que rester avec ta famille était plus important pour toi que ta réussite au travail.
- Qu’est-ce que racontes ? C'est toi qui m’as dit que vous m'encouragiez, toi et Hideto, à prendre cette promotion. Tu m'as menti ?
- Je n’ai pas souvenir d’avoir dit ça !
- Bon sang, écoutez-moi tous les deux !
Les revendications de chacun allaient à l’encontre de celles des autres. Elles ne correspondaient pas, et cela générait une dispute. Rien ne semblait pouvoir calmer la situation.
Effectivement, Jiyuri n'était pas leur vraie fille. C'était la fille du frère du côté de ma mère, et donc une cousine.
En réalité, on ne se connaissait réellement que depuis peu de temps.
Mon oncle se brouillait souvent avec mon grand-père au sujet de l'héritage. Ils ne s'entendaient pas. C’était quelque chose d'assez courant dans les familles. À cause de ça, mon oncle était distant avec ma mère.
Je n’ai vu qu’une seule fois mon oncle. C’était lors de l’enterrement de mon grand-père. Il était venu avec sa famille aussi, et c’est à ce moment-là que j'ai rencontré Jiyuri pour la première fois. À l'époque, j'étais à l'école primaire. Aujourd’hui, je ne me souviens quasiment plus de mon oncle et de sa femme, mais j'ai un vague souvenir de comment était Jiyuri à l’enterrement.
Elle comprenait encore moins la situation que moi. Elle regardait partout autour d'elle, comme un hamster. On ne s'était pas particulièrement parlé, on souhaitait juste que cet enterrement morose se termine rapidement.
Ce fut mes premiers souvenirs que j’eus de ma cousine, Jiyuri.
Et à partir de là, il s'agit des souvenirs du moi d'un certain monde parallèle.
Après cet enterrement, ce moi recroisa Jiyuri, mais cette fois-ci, en tant que nouveau membre de sa famille.
Dans ce monde parallèle, les parents de Jiyuri étaient morts deux ans avant que je n’entre au lycée. Pile au moment où elle allait entrer au collège, elle s’est retrouvée sans famille. Ma mère était devenue la seule famille proche sur laquelle elle pouvait compter.
Après de multiples processus dont le moi enfant n'avait eu aucun vent, les Yugami accueillirent Jiyuri dans leur foyer. Et ainsi, elle était devenue ma demi-sœur.
Certes, c’était une fille adoptive, mais ma famille ne l’avait jamais traitée froidement pour autant. Mes parents l'aimaient comme leur propre fille. Ce n'était pas des personnes qui diraient qu’ils n’avaient que moi comme fils, même pour plaisanter.
Qu’était-il en train de se passer ? Si les trois croyaient sérieusement en ce qu’ils disaient, alors cela voudrait dire qu’ils ont tous perdu la mémoire ? Jusqu'à aujourd'hui, j'avais vu toutes sortes d’univers parallèles, mais je n'avais jamais vu ce genre de bizarrerie.
Hm, ça n'allait servir à rien de rester à observer.
- Euh...bonjour...
J’affichai ma présence.
À cet instant, ils me regardèrent avec des yeux de prédateurs ayant trouvé une proie.
- Tu te souviens de moi, Hide, pas vrai ?
- Wow ! T’inquiète pas, je sais qui tu es. Pas la peine de me serrer comme ça.
D'ordinaire, Jiruyi n'approchait jamais dans un rayon d'un mètre. La puberté. Et là, elle m'avait sauté dessus directement.
Elle n’était jamais du genre sociable, mais à ma surprise, cette fois-ci, elle était câline. C’était plutôt mignon.
- Ugh...uhh...
Compter aussi franchement sur moi comme ça, ça me donnait envie de jouer les grands frères. Je la caressai gentiment derrière la tête.
Toutefois, si elle était venue comme ça sans hésiter dans mes bras, ça semblait aussi vouloir dire que mes parents et Jiyuri n’étaient pas en pleine conspiration pour me jouer un tour.
Leurs souvenirs sont réellement en contradiction ?
Tandis que je me creusais la tête, soudain, je sentis un regard posé sur moi dans mon dos, et me retournai.
Mes parents nous regardaient froidement et attentivement. Ils avaient le visage de parents lamentant que leur fils n’était pas net, qu’il aurait ramené une fille à la maison sans les prévenir, et lui avait demander de se faire passer pour sa petite sœur.
- Hi...hideto..pourquoi tu ramènes une fille ici...qu'est-ce que tu...
- ...Je...je ne me souviens pas t’avoir élevé pour que tu deviennes ce genre de pervers...
Et ils pleurent vraiment en plus !
Je ne connaissais pas la cause, mais mes parents ne se rappelaient réellement plus de Jiyuri.
Et ça ne s'arrêtait pas là, mon père pensait qu'il avait été muté à l'étranger, et ma mère, l'inverse. Même sur ce point, il y avait une contradiction dans leurs souvenirs.
- Ah ! C'est...c'est pas ce que vous croyez !
Jiyuri reprit son calme et me poussa. Je me cognai fort la hanche contre le coin de la table.
- Aaaaaie !
L’impact de la collision fit tomber la télécommande de la télévision, et par hasard, poussa le bouton On.
- Je répète, je vous prie de rester calme. Peut-être qu'en ce moment, quelqu'un que vous ne connaissez pas se trouve chez vous, que votre famille n'est plus celle dont vous vous souvenez, que vous vous trouvez dans un endroit que vous ne connaissez pas. Actuellement, ce chaos des souvenirs a lieu partout dans le monde. La cause est inconnue, mais je vous prie de garder votre sang-froid. S'il vous plait, agissez dans le calme.
Sur le programme d'info du matin, la présentatrice avait perdu son calme et criait tellement qu'on aurait pu croire qu'il ne s'agissait pas d’une diffusion sur une chaine publique.
Même lors de grand tremblement de terre ou d'ouragan, les présentateurs ne paniquaient pas autant.
- On me dit à l'oreillette qu'une conférence de presse va avoir lieu depuis le cabinet du Premier ministre, au sujet de cette situation d'urgence. Nous sommes en liaison. Allez-y.
L'image changea et afficha la salle de conférence de presse du cabinet du Premier ministre. On voyait souvent cette salle aux infos juste après un grand tremblement de terre.
Des hommes âgés d’une quarantaine d’années se tenaient alignés. Derrière eux, il y avait un rideau bleu.
...Alignés ?
Je ne me trompais pas. 6 hommes étaient en ligne les uns à côté des autres. Je les reconnaissais tous. Il s’agissait d'importants hommes politiques, chacun représentant leur parti. Ils avaient tous une tête huileuse, et tenaient un micro.
- ...Chers concitoyens, restez calmes et écoutez-moi attentivement. JE suis le Premier ministre du...
L'un d'entre eux commença à parler. À cet instant, les 5 autres avancèrent d’un pas en avant, comme pour protester.
- Ne l’écoutez pas. Comme vous le savez tous, JE suis le Premier ministre. Je suis membre du parti indépendantiste...
- Cher téléspectateur, ne soyez pas dupe. JE suis le vrai premier ministre.
- Non, c'est moi.
Les personnes s'appelant eux mêmes premiers ministres avaient commencé à discuter comme s'il s'agissait d'un sketch.
C'était quoi ce tintouin, le cabinet du gag ? Le but c’est de ne pas rire ?
Les autoproclamés Premiers ministres qui regardaient la caméra jusqu’à maintenant ne perdirent pas de temps, et foudroyèrent du regard les autres hommes.
- Bon sang, mais que racontez-vous, messieurs. Le parti indépendant a subi une défaite énorme lors des dernières élections, et fait partie de l'opposition maintenant.
- Qu'est-ce que vous dites. Le parti indépendant a remporté une immense victoire face au parti de l'opposition, et a gagné la majorité, vous savez ? Vous avez même perdu dans votre propre localité alors que tout le monde disait que votre victoire était certaine. Ce fut une grande humiliation pour vous.
- Je vous prie de mieux me parler, Monsieur ! Jamais, et je dis bien, jamais, les habitants de ma circonscription ne me trahiraient. De plus, vous me parlez de l’opposition, mais c'est vous, le parti de l'opposition maintenant.
Les Premiers ministres qui au départ avec les yeux tournés vers la caméra, se regardaient maintenant avec hostilité. Leur dispute chauffait, et le comportement qu’ils affichaient était honteux.
Ils avaient complètement oublié les journalistes présents à cette conférence de presse, mais aussi les citoyens qui regardaient la télévision. Même si ce n'était pas nouveau, certes.
- ...C’est un programme humoristique ?
- Aussi tôt le matin ? Mais d'habitude à cette heure-là, c'est les infos.
- Même pour faire un grand sketch plus vrai que nature, ils ne feraient pas venir au même endroit tous les grands noms de la politique.
Mes parents et ma sœur avaient arrêté de se quereller, et regardaient la télévision avec beaucoup d'intérêt.
Que se passait-il ? La confusion des souvenirs n'avait pas eu lieu juste chez moi, mais partout au Japon ? Non, partout dans le monde ? Un évènement majeur que même moi, qui avait vu d'innombrables mondes, n'était pas au courant et voyait pour la première fois ?
La rediffusion coupa, et une fois de la plus la présentatrice apparut.
- Il semblerait que pour le moment, un soutien national va mettre du temps à être mis en place. Alors je prie à chacun d'entre vous devant la télévision d'agir dans le calme s'il vous plait. Évitez peut-être les sorties qui ne pressent pas, et rester chez vous en attendant la suite des évènements.
-...Oui, mais...vu que je suis rentré de New York, il faut que j'aille au siège de mon entreprise pour demander ce que je dois faire maintenant...
Je n'en attendais pas moins de mon père. En matière d’esclave des entreprises, c’était un modèle à suivre.
- Tu as raison. Je dois aller à mon temps partiel aussi et faire les courses pour le repas de ce soir. Mais...
Mes parents regardèrent tous les deux Jiyuri, inquiets. Actuellement, pour eux, Jiyuri était une étrangère qui venait d’arriver soudainement. Ils semblaient être réticents à l’idée de la laisser chez eux en leur absence.
Peut-être que Jiruyi l'avait compris.
- C'est bon, j'en ai marre, je vais à l'école !
Cria-t-elle avant de sortir du salon en courant.
- Et pas la peine de vous excuser après !
Au moment où elle partit en déclarant ça, elle avait des larmes brillantes coulant depuis ses yeux bien fermés.
...Bon. C'était très stimulant tous ces évènements surnaturels qui s'enchainaient les uns après les uns, mais quand même, ça m'a fatigué.
La meilleure chose à faire dans ces moments-là, c'était de regarder le visage de mon amie d'enfance, me remémorer ma vie quotidienne, et faire partir ma fatigue.
Je fermai les yeux avec l'intention de faire une petite pause.
À cet instant, ma conscience se détacha de mon corps. Elle se débarrassa de l’emprise de toutes les lois physiques, comme la gravité, et partit pour une autre dimension.
Plein d'entrain, j'ouvris les yeux, et comme d'habitude, le monde des portes s'étendait devant moi. Il y avait devant moi une porte ouverte. Mon champ de vision se trouvait devant celle-ci.
Il y avait sur la surface de la porte d'innombrables couleurs peintes ici et là. Elle ressemblait à un vitrail.
Oh, on dirait de l'architecture contemporaine. D'ordinaire, les portes étaient monochromes. Cette porte était étrange. Tel monde, telle porte, j’imagine.
Mais bon, j’enquêterais sur ce monde plus tard, pour le moment, je vais aller à la porte d'à côté et...
- ...Pardon ?
Rien.
Toutes les portes, celles qui menaient à des univers parallèles, avaient disparu. Elles n'étaient nulle part, comme si elles n'avaient jamais existé.
Autrement dit, je ne pouvais pas aller dans d'autres mondes parallèles.
Non, mais attendez là, c'est une blague, c'est pas possible. Où est la caméra cachée ?
J’étais sous le choc. C’était comme si on m'avait frappé la tête avec une arme contondante.
- Mais...mais bordel dites-moi que je rêve !
Elles devaient forcément être quelque part. Je ne les avais juste pas trouvées. Elles étaient juste planquées.
C’est ce dont j’essayais de me persuader. Je continuai de courir sans destination dans un monde de pur blanc, et à l’horizon sans limites.
Mon irritation ne faisait que croitre, encore et encore, comme une boule de neige dévalant une pente. Elle grossissait tellement qu’elle pourrait m’écraser.
Combien de temps avais-je passé à courir ?
Je ne savais pas. Le temps ne s'écoulait pas dans le monde des portes. Tout ce que je savais, c’était que j’avais couru jusqu'à être à bout de souffle et ne plus avoir d'endurance. Je m’écroulai et tombai sur mes genoux. Au final, je n'étais pas parvenu à trouver les autres portes de couleur.
Tandis que je réfléchissais, complètement épuisé, je repensai à tout ce qui s’était passé jusqu’à maintenant.
Les souvenirs contradictoires de mes parents et Jiyuri. Les politiciens à la télé. Tous avaient l'air de croire du fond du cœur en ce qu'ils disaient.
Et pour en rajouter, la disparition des portes, la couleur excentrique de la seule porte qui était restée, et ce chaos de mémoire à l’échelle mondiale.
Une théorie envers cette situation étrange m'effleura l'esprit.
J’étais incapable d’en rire. Ce n’était pas impossible, mais…
...Les mondes parallèles ne feraient plus qu’un ?
2
J'étais resté, subjectivement parlant, toute une journée avec la tête dans les vapes. Toutefois, rien n'allait changer pour autant, alors par dépit, je traversai la seule porte qui existait encore, et retournai dans le seul monde existant.
Qui plus est, dans ce monde, même pas une seconde ne s'était écoulée depuis mon départ.
Le spectacle que j'avais vu hier était encore le même.
Mon salon, où rayonnait autrefois la lumière de la joyeuse petite famille, avait complètement disparu. Jiyuri s'en allait en pleurant, et mes parents la regardaient en étant mal à l'aise. Dans les univers où Jiyuri habitait chez moi, ça n’aurait jamais eu lieu.
Abandonnée, Jiyuri disparaissait lentement de l'autre côté de la porte d'entrée.
J'eus un frisson dans le dos en la voyant comme ça. D’horribles possibilités me traversaient l'esprit les unes après les autres.
Sans le pouvoir me permettant d’aller dans les mondes parallèles, j'étais juste quelqu'un de banal. Peu importe ce qui allait se produire à partir de maintenant, je ne pouvais plus aller dans un autre monde. En résumé, même si Jiyuri était victime d'un accident de la route ou avait d'autres problèmes, alors je ne pourrais pas la...
- Attends-moi, Jiyuri ! Je viens aussi ! On y va ensemble !
La porte qui avait commencé à se refermer s'arrêta.
- O...OK...
Jiyuri accepta docilement.
Je me préparai en vitesse, et sortis en courant. Nous ne marchions rien que tous les deux sur le chemin de l’école, entre frère et sœur.
D'ordinaire, Jiyuri n'aurait jamais marché à côté de moi, surtout en pleine période de puberté. Elle était surement confuse, et anxieuse d'aller à l'école toute seule.
À chaque pas, je ressentais une légère peur, comme si je marchais sur de la glace fine.
Quelle jambe devais-je d’abord bouger pour marcher ? La gauche ou la droite ? Juste cette différence pouvait provoquer un énorme changement dans le futur. Apparemment, on appelait ça l'effet papillon, ou la théorie du chaos. Mais outre ces choses un peu compliquées, j’avais déjà eu l’expérience de telles différences.
Parmi les innombrables univers qui existaient, dans certains, un tout petit détail avait provoqué un terrible accident, voire une grande infortune.
Avant, je pouvais juste ouvrir la porte d'un monde où tout se passait bien et j’étais tranquille, même face à ces malheurs. Mais désormais, je ne pouvais plus. Je devais être prudent.
- Tant qu’à faire, vu qu’on va à l’école ensemble, tu pourrais pas être un peu plus énergétique, non ?
Protesta Jiyuri. Néanmoins, je continuais d'être extrêmement prudent.
J'anticipais toutes les possibilités d'accident et de problèmes. Un camion qui pourrait glisser de la route et nous rentrer dedans. Un pot de fleurs qui pourrait tomber sur nos têtes.
- ...Regarde, sur le Net aussi, c'est le bordel. Je me demande vraiment ce qu'il se passe. Par exemple, cette personne dit sur son compte que ses parents l’ont oublié, comme moi.
Jiyuri m'informa de ce qu’elle avait trouvé sur le net avec son téléphone.
Le Web était rempli d'un nombre faramineux de messages de lamentations. Tout le monde racontait la situation dans laquelle chacun était tombé, et demandait si on les connaissait. Dans cet océan électrique, ils étaient comme des enfants perdus.
Dans ces messages, on trouvait beaucoup de cas comme Jiyuri, de personnes oubliées par leur famille, de cas où l'école et l'entreprise à laquelle des personnes appartenaient étaient différentes de celles dans leurs souvenirs, des cas où l'entourage d'une personne avait annoncé au concerné qu'il était censé être mort.
On dirait que ce chaos de la mémoire avait lieu partout dans le monde.
Dans ce cas, est-ce que vraiment les mondes parallèles avaient fusionné en un seul ?
Je repensai plusieurs fois à cette théorie dont j’avais eu l’idée, mais je ne savais pas si elle était correcte.
- Rends-la-moi s'il te plait ! Depuis quand tu es sorti de détention !?
Je regardai dans la direction de ces cris soudains, et devant une maison, un jeune couple se faisait face. Le père tenait la main à une petite fille qui semblait être la sienne, et la mère lui faisait des reproches.
- Comment ça, "quand" ? On a toujours vécu ensemble, non ? Et pourquoi tu me parles de détention, c’est inquiétant ce que tu me dis là.
- ...Frappe-moi autant que tu veux, mais s’il te plait, ne fais pas de mal à Akane... Rends-la-moi.
- Houlà, jamais je n’oserais te frapper. Qu'est-ce que tu racontes ? Tu trouves pas qu'elle est bizarre maman ?
- Euh papa. C'est qui la madame ? C'est pas maman.
La situation avait l'air inquiétante.
- Ça va aller ? Tu trouves pas qu'on devrait aller les arrêter ?
- Non. On va avoir des ennuis sinon. Laisse la police s'en charger.
Je tirai Jiyury qui regardait anxieusement le couple.
Il semblerait que comme sur le net, il y avait beaucoup de chaos en ville aussi.
On pouvait voir un vieillard aux cheveux blancs se promener avec surprise. De gentils passants l'avaient abordée en pensant qu'il s'était échappé de son établissement. La personne âgée leur cria dessus avec un ton menaçant « C’est le Japon ici ! Le pays des Dieux ! Alors pourquoi, le langage des démons s'est autant répandu !? ». Il pointait du doigt des mots de langue étrangère qu’on pouvait voir partout en ville.
On voyait des incidents du même genre ici et là, mais il y avait aussi beaucoup de personnes allant normalement à l'école ou travailler. Les habitants étaient bien plus calmes que lors d'un grand tremblement de terre ou le passage d'un ouragan. C'était typique des Japonais. Ça me rassurait un peu.
Jiyuri qui marchait devant moi s'arrêta.
- Moi c'est par ici, alors salut.
Sans m'en rendre compte, nous étions arrivés à l'embranchement de chacun de nos chemins pour aller à l'école.
- Ça va aller ? Je peux t'accompagner jusqu'au bout si tu veux.
- Je suis pas un gosse qui va à l’école tout seul pour la première fois, tu sais ?
Elle me regarda, exaspérée.
- Mais le monde est en bordel, tout peut arriver...
- Ça me fait plaisir que tu t’inquiètes pour moi, mais vraiment, ça va aller. Si je me dépêche pas, je vais être en retard. Merci de m'avoir accompagnée jusqu'ici.
Tandis que je regardais Jiyuri s'en aller, l'anxiété me gagnait.
- T'as pas oublié tes manuels et tes cahiers ? T'as des mouchoirs ? Si t'as envie d'aller aux toilettes, demande bien au professeur !
- Je suis pas en primaire, je t'ai dit !
Cria Jiyuri en se retournant. Je l'avertis en panique.
- Imbécile ! Regarde devant toi quand tu cours !
J'attendis jusqu'à ne plus voir Jiyuri, et repris ma route pour le bahut.
Je devrais peut-être mieux rester enfermer chez moi pour ma sécurité ? Mais la situation des autres m’inquiétait aussi, pas seulement celle de Jiyuri. Qu'en était-il d'Asami ? De Hinano ? J'avais aussi beaucoup d'autres amis à l'école, je ne pouvais pas rester enfermer en sachant qu'ils pourraient leur arriver quelque chose, alors je me préparai au pire et avançai.
Je commençais à apercevoir la porte du bahut, celle que j’avais l’habitude de voir. J'avais un peu l'impression que la vie était rentrée à la normale, et me détendis. Mais à cet instant, je remarquai une foule d'étudiants devant le bâtiment de l'école.
- Euh ? Où est mon casier ?
- Hein, pourquoi j'ai les chaussures de quelqu'un d'autre dans mon casier ?
- Bouge, c’est mon casier là.
- Dis pas n’importe quoi. Ça a toujours été le mien.
- C'est bizarre... Où est la salle de classe des 2e année 3 ?
- Qu’est-ce que tu racontes ? Il n’y a pas de 2-3 dans ce lycée.
Les incohérences entre les souvenirs et la réalité semblaient continuer. Le blocus s’était transformé en cailloux de sang et empêchait le flux d'étudiant d'avancer.
Atteindre ma salle de classe allait prendre du temps.
J'observais les étudiants faire un Oshikura Manju , et restais immobile sur place, résigné à devoir attendre.
- Salut, Hideto. On est bien embêté tous les deux, pas vrai ?
Cette charmante voix rauque résonna clairement dans mon système auditif, même dans ce chaos. Je me retournai, et devant moi se tenait Hinano.
Elle avait une cravate bien serrée jusqu'au col, et la jupe pile à la longueur réglementaire. Une élève modèle. Cette présidente du conseil des élèves affichait un regard étrangement provocateur, et ce, uniquement envers moi.
Elle m'avait appelé par mon nom, ce qui voulait dire qu'elle me connaissait.
Rassuré, je voulais lui répondre, mais je ne trouvai pas les mots.
...Euh, comment je m’adressais à elle jusqu'à aujourd’hui ? Quels étaient les bons mots à dire dans cette situation ?
J'avais l'impression d'être sous l'effet Gestaltzerfall.
Jusqu'à aujourd'hui, j'étais capable de recommencer mes discussions avec les autres grâce aux mondes parallèles. Si je voyais que j'avais dit une gaffe, il me suffisait d'aller dans un univers où je ne l'avais pas dite. Si j'allais dans un monde où j'avais murmuré les mots que la personne voulait entendre, je pouvais facilement construire de bonnes relations. J'étais devenu fort pour aller sur la route d'une fille., comme on dit dans le jargon.
Cependant, c’était du passé.
Juste avec un simple mot, il arrivait parfois de faire s'effondrer des relations de confiance de longue date. La psychologie humaine était complexe et mystérieuse. On ne sait pas ce qui peut énerver la personne en face. Maintenant que je n’avais plus les univers parallèles comme bouée de secours, si je ratais quelque chose, ne serait-ce qu'une seule fois, le résultat sera définitif et plus jamais changeable.
L'instant où j'eus cette réalisation, ma gorge se noua. Je n'arrivais plus à sortir, ne ce serait-ce qu'un son.
Je ne me doutais pas qu'une vie sans monde parallèle serait aussi peu pratique et suffocante !
- Qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi tu dis rien ? Tu m'aurais quand même pas oublié aussi ?
Hinano me regardait avec inquiétude. …C'était la première fois que je la voyais aussi fragile. Elle était mignonne comme ça.
Euh, c’est pas le moment d'être sous le charme. Si je continuais de garder le silence, on allait me prendre pour quelqu'un de bizarre. Il fallait que je réponde.
- Ça... ça va, je me rappelle bien. Tu t’appelles Hinano Minami, et tu es la présidente du conseil des élèves de notre lycée.
Elle sourit. De ses lèvres brillantes, on voyait ses dents blanches.
- Ouf, ça me rassure que tu sois bien le Hideto que je connaisse. J'aurais perdu la tête si tu m'avais oublié aussi. Mais quand même, jamais je n'aurais imaginé que le monde deviendrait comme ça en une nuit.
Elle restait calme, mais on voyait de l’agitation dans sa façon de se recoiffer ses longs cheveux noirs dont elle était fière. Il était évident qu’à sa façon aussi, la situation l’avait confuse.
Ce chaos à échelle mondiale avait même perdu Hinano. Ce petit soulagement rendit ma langue un peu plus légère.
- Ça...ça va de ton côté ? Avec ta famille et tout ?
- Pas du tout. Ma mère n’a pas souvenir de m'avoir donné naissance, et mon père est convaincu d’être encore célibataire. Il est parti quelque part en nous abandonnant, moi et ma mère. Je vais pas dire que de bases, on s'entendait bien, mais je ne me m’attendais pas à ce qu’il fasse ça.
- Ça a dû être dur pour toi.
- Et de ton côté ?
- Moi ça va, mais ma petite sœur est dans la même situation que toi. Mes parents ne l'ont pas reconnu.
- ...Ah bon, tiens, il me semble que tu étais fils unique pourtant. Elle est tombée du ciel ta sœur, c’est ça ?
- Pourquoi tu connais mon arbre généalogique comme si c’était normal !?
Non vraiment, elle me faisait peur.
- Hm. Quelqu'un se faisant passer soudainement pour ta petite sœur... Je vois. Qu'elle dise la vérité ou non, je suis ta propriétaire, alors j'aimerais la rencontrer à l'occasion. Mais tout de même, tu es rudement calme pour quelqu'un qui vient soudainement d'avoir une petite sœur. Comme si tu savais depuis le début qu'elle existait. D’ordinaire, ça surprend plus que ça, tu sais ?
Elle avait raison d’avoir des soupçons à mon sujet.
Toutefois, elle ne me croirait pas si je lui disais que j'avais en réalité le pouvoir de visiter des mondes parallèles, et que je connaissais un univers où j'avais une petite sœur.
Comment faire. Il fallait que je couvre bien mes arrières.
- Euh, c’est-à-dire que j’ai toujours voulu une petite sœur. Alors je suis plus content que surpris. Wouhou. Vive les petites sœurs !
La honte. Qu'est-ce que j'étais en train de raconter. J'ai fait une erreur, il faut que j’aille à une autre porte...Ah ! C’est vrai que je ne peux plus !
- Ts... C'était donc ça. Je ne t’intéressais pas parce que je fais plutôt grande sœur. Je vois. Je comprends mieux pourquoi tu ne tombais pas sous mon charme.
Hinano était sincèrement déçue.
Soudain, je sentis un choc à l’épaule droite. Il semblerait que quelqu'un m'était rentré dedans.
-Ah, pard...
J'allais m'excuser de suite, et regardai le visage de la personne m’ayant bousculé. Elle avait des larmes dans les yeux.
- Hideto, tu es là ! Qu’est-ce qu’il se passe ? Pourquoi ni ma manager ni les membres de Supest ne me reconnaissent ? Toi tu...tu te souviens de moi, pas vrai !?
Asami Tomonaga était là. Elle m'avait pris dans ses bras, et agitait ses cheveux ondulés et mi-longs. De plus, elle ne portait pas les habits qu’elle mettait pour ses sorties privées. Elle n’avait pas hésité à se montrer dans son costume de concert plein de froufrous, et insistait très fort être la numéro 1 des Supest.
- ...Tu...pourquoi t'es habillée comme ça ?
Le visage d'Asami brilla de joie.
- Tu te souviens de moi !? Vraiment !? Dis-moi mon nom !
- Ben, tu t’appelles Asa...Asami Tomonaga, non ? Dépêche-toi de cacher ta tenue.
J'étais tendu. Je ne savais pas quand les personnes autour de nous allaient remarquer Asami. Ou plutôt, on la regardait déjà curieusement.
Comment je fais ? Comment je fais ? Comment je fais ? Je vais me faire tailler en pièce si ses fans apprennent que j’ai une relation très proche avec elle.
Il y avait même eu un monde dans ce genre. Dans ce dernier, un magazine hebdomadaire avait révélé notre relation, et Asami et moi avions beaucoup souffert à cause de ça. À ce moment-là, j'avais immédiatement refermé la porte de ce monde et donc tout s'était terminé sans incident, mais les choses étaient différentes désormais.
- Tu te souviens pas d'autres choses à mon sujet ?
M'implora Asami, ignorante de ce que je pouvais bien ressentir.
- On...on verra ça plus tard, faut d'abord que tu partes d’ici.
- Je m'en moque, réponds-moi. Sinon je reste là.
Elle restait debout sans bouger, comme si elle avait pris racine sur place. Elle tenait fermement mon bras droit. À cause de ça, sa poitrine généreuse s'écrasait sur le haut de mon bras.
Elle n’allait pas me lâcher si je ne lui répondais pas !
- T’es...t’es la numéro 1 du groupe d'idol appelé les Super Strings ! Tu as terminé première au dernier concours de popularité ! Ton dernier single solo « Porte vers l'automne » sorti le mois dernier est premier depuis 4 semaines consécutives dans les ventes Oricon ! Et aussi, tu es mon ami d'enfance depuis la maternelle. Ça te va comme ça !?
- Oui, tu as tout bon ! Ouf ! Quelqu'un qui me connait ! Et en plus, ça tombe bien, c’est toi !
Elle ne s'éloigna pas, au contraire, elle mit sa main à mon cou et se rapprocha encore plus. Son visage était si proche que je pouvais compter chacun de ses cils.
- Attendez un peu vous deux. Vous étiez sur le point de faire quoi, là ? Et en plus devant la présidente du conseil des étudiants ?
La voix confuse, très rare, de Hinano résonna. Asami s'éloigna.
Elle tira Asami par le col comme une propriétaire de chat qui arrachait son matou collé à un invité.
- C'est...c'est pas ce que tu...penses...
Je ne trouvais aucune excuse, j’étais mal. De base déjà, je n’étais pas bon pour me justifier. Ou plutôt, quand il y avait un problème, je pouvais juste changer de monde, alors je n'avais pas besoin de réfléchir à ces choses-là. Du moins jusqu’à maintenant.
- Hideto. Je veux pas critiquer tes gouts en matière de filles, mais en plus d'aimer les petites sœurs, tu aimes les filles en cosplay aussi ? Je m'inquiète un peu pour ton avenir, tu sais ?
Hinano nous regardait Asami et moi avec un regard désapprobateur, comme quand quelqu’un regarde la pluie dehors en pleine saison des pluies.
- C'est...c’est pas du cosplay. C'est la tenue officielle des Supest !
Asami s’énerva.
- ...Même moi qui ne connait pas grand-chose en musique, je connais Supest. C'est un groupe d'idol connu. Et tu dis en faire partie ?
- Oui !
Dit fièrement Asami. Hinano la regarda de la tête au pied, comme si elle l'évaluait.
- Hm. Je ne m'y connais pas trop, mais je ne me souviens pas avoir vu quelqu'un comme toi parmi les membres. Tu es une cadette ?
- Je suis la numéro 1 !
- ...Faut penser à pas trop en faire quand on ment, tu sais ?
- Je mens pas ! Je m'appelle Asami Tomonaga! Mon nom ne te dit rien ?
- Non. Que ce soit le nom ou la tête, ça ne me parle pas.
Maintenant que j'y repense, dans les mondes où je trainais avec Hinano, Asami n'était pas membre des Supest. Logique qu’elle ne la connaisse pas.
- Hm. Alors demandons à ceux qui sont ici.
Hinano regarda les étudiants rassemblés.
- Écoutez-moi tout le monde, cette fille insiste être la numéro 1 des Supest, vous la connaissez ?
Soudainement, je regardai autour de moi. Les autres étudiants nous encerclaient.
À cet instant, toute trace d’émotion s’évapora du visage d’Asami.
Personne ici n’était surpris de voir Asami. Ils fronçaient juste les sourcils, interrogatifs, et la regardaient bizarrement. Ce n'était pas le regard que l’on donnait à une idol nationale, mais à une otaku fan de cosplay qui se serrait déguisée.
Parmi les curieux qui nous observaient, j’aperçus la tête de quelqu'un que je connaissais.
- Toi là.
- Quoi, qu'est-ce qu'il y a Yugami ? Pourquoi tu m’appelles soudainement ?
Le camarade de classe que j'avais attrapé était perplexe.
- T'étais au septième ciel quand t'as obtenu ton ticket premium pour le concert des Supest, pas vrai ?
- ? Ah, ça. Bah oui. Quoi, tu veux encore que je t'en parle ? OK, OK, je vais te la raconter encore une fois cette histoire chevaleresque de l'homme aimé de Dame Fortune.
- Non, pas ça. Toi, tu la connais Asami, non ? T'étais fan d'elle.
Asami qui regardait le sol, embarrassée, leva tout de suite la tête. Elle nous regarda, comme si elle espérait quelque chose.
Je me souvenais bien qu'il était un de ses fans hardcores.
Il faisait le fier à dire partout qu'il avait obtenu un ticket premium. Il était heureux de pouvoir voir Asami en vrai, et parlait des attraits d'Asami à tout le monde.
Donc si au moins lui se souvenait d’elle, alors...
- Hein ? Je la connais pas cette fille. En plus la numéro 1 des Supest c’est ma favorite du groupe, Kanna Hagisaka. Jamais quelqu'un avec une aura comme celle de cette cosplayeuse pourrait entrer chez Supest.
- ...Attends, regarde-la bien. Son costume, c'est clairement le vrai...
- À tous les coups, c'est une fan qui se fait des films. On en croise parfois des filles comme çà. Elles aiment tellement Supest qu'elles refont elles-mêmes le costume et font du cosplay avec. J'aimerais bien qu'elles arrêtent avec ça, c'est malaisant.
Il...il avait oublié de qu’il était fan ! À moins...qu’il venait peut-être d'un monde où Asami n'était pas la numéro 1 du groupe ?
Ça serait horrible. Je voulais sauver un peu l'honneur d'Asami, et au final, je n’ai fait que piétiner encore plus dessus.
Comme je le pensais, l’ambiance resta la même. Peut-être que si on demandait aux passants un par un, on trouverait peut-être quelqu'un qui connaissait Asami. Mais là, le monde était plongé dans le chaos. Combien y aurait-il de personnes d'accord pour répondre à nos questions ?
- Je...
Les larmes coulèrent, et le léger maquillage d’Asami tombait avec. C'était comme si on lui avait volé son estime de soi en tant qu'idol.
- Comment dire...je suis désolée. Ne sois pas triste... T'en fais pas, t’es aussi mignonne que Kanna. Un jour, tu pourras entrer chez les Supest toi aussi.
Incapable de garder le silence plus longtemps, Hinano posa la main sur l'épaule tremblante d’Asami, et la réconforta gentiment. Mais cette gentillesse était le genre de compassion que l'on avait envers les filles coincées dans leur monde. Actuellement, c’était ce qu'il y avait de plus cruel pour Asami.
- Hinano, je vais m’occuper d’elle.
Je demandai à Hinano de se pousser, allai aux côtés d'Asami et lui chuchotai :
- Ne t'en fais pas. Moi, je te connais. Tu es bien la numéro 1, aucun doute là-dessous. En plus, personne ne se souvient, mais c'est juste, parce que c'est le bordel partout dans le monde en ce moment, ça va leur revenir. T’en fais pas.
- ...D'accord. Désolée. Je dois pas pleurer, pas vrai ?
Asami leva enfin la tête. Elle avait le visage sale, car son mascara et fond de teint avait coulé à cause de ses larmes. Je lui tendis un mouchoir, qu’elle prit pour s'essuyer le visage. En dessous, son vrai visage qui avait un peu repris des forces apparut.
- Merci. Il n'y a vraiment que toi sur qui je peux…
Je n’entendis pas la suite. Mais elle s'effondra contre mon torse comme une enfant. Je l’attrapai et la serrai fort dans mes bras.
Les curieux qui nous regardaient s'emballaient. Des acclamations, des sifflements. Ils s'amusaient bien.
- Bien joué ça, tu profites qu’elle soit mentalement affaiblie pour la faire tomber dans tes bras.
Me casse pas les pieds toi. C'est à cause de toi qu'on en est là, parce que tu ne te rappelles pas. T'as intérêt à ne plus jamais dire que t'es un fan d’Asami. Je vais utiliser tous les points de mana qui sommeillent en moi et te lancer une malédiction pour que tu ne gagnes plus jamais de ticket premium pour les concerts de Supest.
- Pour aujourd'hui, va te reposer dans un endroit calme...
Chuchotai-je après avoir doucement relevé Asami. Elle montra un refus net en agitant sa tête comme une enfant. Elle me serra le bras droit.
- ...Ne me laisse pas toute seule, Hideto.
J’avais failli répondre « Bien sûr » sur le champ, mais je me retins tant bien que mal.
- Dé...désolé, mais je peux pas louper les cours...
- À quoi ça sert d’y aller dans cette situation ? C'est la pagaille, tu sais ?
Je sais, mais...
- Attends un peu, je ne peux pas laisser passer ça par contre. À la LIMITE, je peux t'autoriser à coller Hideto partout, mais en tant que présidente du conseil des élèves, je ne peux pas te laisser le gêner dans ses études.
Hinano entra dans la bataille. Elle tira mon bras gauche comme pour s'opposer à Asami.
- ...C’est quoi ta relation avec Hideto ?
- Maitre et servant.
Dis pas ça en étant aussi confiante, s’il te plait.
- Si tu es la servante d'Hideto, alors tu dois écouter mes ordres aussi.
- C’est moi, la maitresse !
La force me tirant des deux côtés était de plus en plus forte.
Aaaaaaie. Vous allez me déchirer et je vais finir en fromage à ce rythme-là.
Tandis que j'espérais ardemment qu’Ōoka Echizen vienne, quelqu'un me bouscula dans le dos une fois encore.
- Ah, Hideto, tu étais là. Qu'est-ce qu'il se passe ici ? Il y a plein de gens qui ne se souviennent pas de moi. Ils me disent des choses horribles, comme quoi il n'y a pas d'étranger dans cette école. Ils sont tous complètement différents d'hier.
- Oh, Elda, c'est toi ! Désolé, mais je suis occupé là.
- Ouf, tu te souviens de moi, pas vrai ?
Le sourire d'ange d'Elda, ressemblant à celui d’une peinture religieuse, était aveuglant. Mais actuellement, pour moi, il s’agissait plutôt du sourire du diable.
- Une...une étrangère ? Hideto ? Qu'est-ce que ça veut dire ?
Asami était furieuse.
- Haha, on ne peut pas te sous-estimer, Hideto. Je ne pensais pas que tu t’étais fait autant d’amis tout en passant au travers de mon réseau d'information. Tout de même, tu ne trouves pas que tu manques un peu de principe, là ?
Hinano rigola à haute voix, mais son regard était tout ce qu’il y avait de plus sérieux.
- Oh, tu es là, Yugami. Tu sais, même si le monde s'écroule, il ne faut pas sécher les entrainements matinaux du club de foot. Évidemment, tu te souviens de moi, n’est-ce pas ? C'est pas le moment de flâner avec des filles, mon grand.
- Attends, mais qu'est-ce que tu racontes toi. Hideto est notre 4e batteur. Je me trompe, Hideto ?
- Non, c'est le leader de notre team de basket. Tu peux être sûr que je vais pas le laisser partir.
Dans la foule, j'entendis la voix menaçante de Madame Shouko. Elle me faisait peur.
- On était ensemble au club d'athlétisme, non ?
Ah, c'était la voix de Leona.
- C’est le trompettiste de notre club d'instrument à vent.
- Dans notre club d'art, il était...
Soudain, en écoutant attentivement, j'entendis des voix m'appeler ici et là. Des voix de personnes qui me connaissaient. Des voix qui me demandaient si je me souvenais bien de ce dont elles parlaient. Elles venaient les unes après les autres, comme pour ne me laisser aucun répit.
Pour ceux qui faisaient face à une crise d’identité à cause des contradictions entre leur souvenir et la réalité, toute personne se souvenant d'eux était un support mental.
Je me souvenais du visage de tout le monde. Des visages que j'avais vus dans des mondes parallèles que j’ai visités.
J’en étais désormais convaincu.
Le phénomène actuel n'était pas une confusion générale des souvenirs, mais bien une fusion des mondes parallèles.
Pourquoi les mondes avaient-ils fusionné, ça, je ne le savais pas. Cependant, il était clair que les habitants des innombrables univers parallèles avaient été tous rassemblés dans un seul et même endroit. Les habitants de ces mondes avaient été balancés dans un seul et unique univers, alors évidemment que cela allait provoquer du chaos.
J’étais le seul qui les connaissait, car je m’étais rendu dans plein d’univers parallèles. Même si toutefois, je ne connaissais pas forcément tout le monde.
C'était pourquoi une foule commençait à se former autour de moi, à former un cercle, comme des zombies, en espérant que je leur dise que leurs souvenirs étaient les bons.
J'étais actuellement un simple fil de toile d'araignée suspendu en enfer, et auquel énormément de morts étaient accrochés.
- ...Haha.
J'abandonnai la résistance.
- Yugami, tu n’as pas oublié qu'on s'est promis de se marier quand tu auras fini le lycée, pas vrai ?
Attendez Madame la professeure, je me souviens pas avoir dit ça !
Je retire ce que j'ai dit. Je vais résister autant que je le peux !
3
Je fus pris en sandwich par plein de personnes, et questionné.
Grâce à la cloche du matin pour aller en classe, on m’avait libéré, mais à ce rythme-là, je m'inquiétais de ce qui allait se passer à la fin des cours.
- ...je veux qu’on reste ensemble.
Asami était restée collée à moi jusqu’au bout. Elle tenait la manche de mon uniforme, et n'avait aucune intention de la lâcher.
C'était peut-être la première fois que je la voyais sage comme ça. Elle avait sa fierté de top idol, alors maintenant qu’on lui avait brisé cette dernière, elle semblait perdue. Hm. D'un côté, c'était mignon. Mais au final, je sentais bien que quelque chose n'allait pas.
- OK, OK. Je vais nulle part. Pour le moment, viens avec moi en classe. Ça fait un bail que tu n’as pas été en cours, non ?
- ...............Si tu le dis, alors.
Après avoir grandement hésité, elle acquiesça doucement. On entra dans le bâtiment, main dans la main. Elle allait beaucoup trop attirer l'attention si elle restait en costume d'idol, alors j'empruntai un uniforme de réserve, et lui demandai de le porter.
Après moult péripéties, le cours de la première heure commença enfin. Néanmoins, le professeur d'anglais et de littérature moderne était tout deux en charge de notre classe à cette heure-ci. C’était encore le bazar, et cette fois concernant quelle matière enseigner.
Durant la pause intermédiaire, les élèves voulaient parler de cette situation étrange avec leurs amis, mais certains n'étaient même plus considéré comme un ami, ils avaient été oubliés, tandis que d'autres voyaient que leur cercle social avait changé. Ça n’en finissait pas.
Pour le moment, tout le monde faisait des efforts pour vivre normalement la vie en laquelle ils croyaient.
Cependant, les incohérences apportées par la vie quotidienne de chacun avaient créé une énorme zizanie.
Était-ce de ma faute ? Car je me suis baladé dans les mondes parallèles ?
Je n’étais pas certain d’être la cause de tout ce chaos, alors ça ne servait à rien que je me blâme seul de la situation. Toutefois, je ne pouvais pas m’empêcher d’être mal à l’aise. Je ressentais une culpabilité indescriptible.
Peu importe à quel point le monde sombrait dans la confusion, le temps continuait de s'écouler équitablement pour tous. Et donc, cette journée chaotique se teinta de la couleur du crépuscule en un rien de temps, et la cloche annonça la fin des cours. Mes camarades de classe rentrèrent en petit groupe.
Le chaos allait surement continuer. Peut-être qu'un ainé ou le coach du club leur dirait ne pas être inscrit à celui-ci, ou que juste le club n'existerait plus, et peut être qu'en rentrant chez eux, leur famille leur dirait la même chose.
Malgré ça, il fallait continuer de vivre la vie en laquelle l'on croyait.
- ...Hideto, dépêchons-nous de rentrer.
Dès l'instant où la cloche de fin des cours retentit, Asami était immédiatement venu à ma table. Au final, elle n'avait parlé à personne d'autre que moi de la journée, et était passée inaperçue en restant dans un coin de la salle.
- Euh...oui. OK, on rentre.
Je n'aurais jamais imaginé un jour avoir cette conversation avec Asami en public ni qu’on rentrerait ensemble.
Ça serait malvenu d'être heureux, vu la situation.
J'esquivai mes ainés de club, les capitaines, et le regard des autres filles, et m'enfuis discrètement de l'école avec Asami.
Sur le chemin du retour, Asami n'avait quasiment pas ouvert la bouche une seule fois. Après être descendus prudemment du bahut, nous arrivâmes là où Asami habitait.
- On est chez toi, regarde.
- ...
Mais Asami fixait juste sa porte d'entrée, et restait immobile.
- Qu'est-ce qu'il y a ? Tes parents t'ont oublié aussi ?
- Non. C'est pas ça. Ils se souviennent de moi. Mais ce matin, ils étaient bizarres. Je suis descendue au salon, et soudain, ils se sont mis à crier. Après, ils ont pleuré et m'ont prise dans leur bras. Je leur ai demandé ce qui n'allait pas, mais ils ne m'ont rien dit. Ça m'a fait un peu peur, alors j'ai dit que je devais aller au travail et me suis enfuie.
Juste en l'écoutant, je sentais que ses parents n’étaient pas dans leur état normal. Nos familles trainaient ensemble, alors je les connaissais bien. C'était des personnes affectueuses et calmes. J'avais du mal à les imaginer aussi émotifs, et encore moins pleurer et prendre Asami dans leur bras après l’avoir vu. Ils étaient surement venus d'un monde différent de cette Asami.
- J'ai peur de rentrer.
- Tu veux te reposer un peu chez moi ? C'était la panique ce matin, tu dois être fatiguée, non ?
- Oui, je vais faire ça.
Elle acquiesça docilement. Elle était adorable.
Et donc on partit chez moi en vitesse. J'habitais dans le voisinage, à 5 minutes environ à pied.
- ...Il se passe quoi là-bas ?
En s'approchant de ma maison, on aperçut une silhouette louche. Elle tournait en rond devant chez moi, tout en dessinant des 8 au sol.
- Asami, cache-toi.
- Fais...fais attention.
Dit Asami, inquiète. Je la laissai sur place, et m'avançai doucement.
Le monde était en plein chaos. Je ne serais pas surpris de voir des personnes bizarres ici. Je m’approchai en faisant attention à pouvoir tourner le dos et m'enfuir à tout moment et...
- Ah, mais c'est Jiyuri.
Elle se comportait d'une façon tellement louche que je n'avais pas réalisé que c'était ma sœur jusqu'à ce que je m'approche.
Ses deux chouchous bondirent de surprise, et elle se retourna vers moi.
Elle avait la tête baissée. Elle était anxieuse. Couplée au soleil couchant qui illuminait son visage de profil, elle laissait paraitre un grand chagrin.
Je me remémorais un peu d'autrefois.
Pas mon autrefois à moi, mais celui du moi d'un certain monde parallèle.
- ...Ah, Monsieur...Yugami...
- Qu'est ce qui t'arrive, tu m'appelles comme autrefois, là.
- Ah oui, c'est vrai, toi, tu te souviens de moi, pas vrai ?
Elle reprit de la familiarité dans sa façon de me parler. Son visage s’illumina telle la lumière d'une ampoule miniature.
- ...J'imagine qu'il s'est passé quelque chose à l'école ?
J'avais vaguement deviné quoi.
- ...Oui. La moitié de mes camarades de classe m'ont oublié. Et le coach du club de volley m'a dit que je n'étais pas titulaire.
Elle essayait de garder son calme, mais sa voix tremblait légèrement.
Ça avait dû être un choc terrible. Maintenant qu'elle avait été oubliée par ses parents, elle ne pouvait plus compter que sur ses amis et sa passion, le club de volley.
- ...Je vois. Ça a dû être difficile pour toi.
J'avais honte d'avoir un vocabulaire si pauvre. Je n’étais capable de dire que de simples mots de réconforts.
- ...T’as pas changé, ça me rassure.
Elle était sincère.
- T'en fais pas. Je me souviens bien de toi. C’est moi, ton frère.
- ...Haha, tu te la joues trop, idiot.
Jiruyi afficha enfin un léger sourire.
J'avais l'impression que c'était la première fois aujourd'hui que je la voyais sourire.
- Je te jure. Allez, dépêche-toi, on rentre.
- ...
Cependant, Jiyuri ne bougeait pas. C’était comme si elle avait pris racine sur place. Son petit sourire qu’elle affichait jusqu’à maintenant disparut en un instant.
- Tu ne veux pas entrer ?
- ...Ils ont l'air de m'avoir oublié. Ils vont pas me laisser entrer.
- Je vais leur dire que t'es leur fille. Même s'ils n'ont plus souvenir de toi, ils vont pas t'abandonner dehors par ce temps froid, tu sais.
- ...Mais...s’ils disent que je ne leur ressemble pas, tu vas faire comment ?
- Suffira de bien leur expliquer la situation.
- Vu le chaos, ils vont pas vouloir laisser une inconnue qui n'est pas liée par le sang chez eux.
- On l'est un peu quand même, on est cousins.
- Mais c’est la vérité quand même, je suis pas leur vraie fille.
Dit Jiyuri avant de sourire une nouvelle fois. Mais cette fois-ci, pour se moquer d'elle-même.
Ce sourire me rappela le passé.
2 ans auparavant. À l'époque où ses vrais parents venaient de décéder dans un accident de voiture et où elle fut prise en charge chez nous. Jiyuri avait tout juste fini le cursus de l'école primaire, et venait d'entrer au collège.
Quand elle est devenue ma petite demi-sœur, ce fut difficile au début. Elle ne parlait pas. Quand parfois, elle ouvrait la bouche, c’était pour nous parler poliment à mes parents et moi. Je sentais clairement qu’elle prenait de la distance avec nous.
La voir bouder en face de moi me faisait repenser à la Jiyuri de cette époque.
- ...J’ai l’impression de revoir celle que tu étais autrefois, ça me rappelle des souvenirs.
Peut-être s'était-elle aussi remémoré le passé, sa tête était toute rouge.
- Tais...tais-toi !
- Oui, comme ça ! T'étais bornée pareil, tu te souviens ?
- ...En même temps. Je venais de perdre papa et maman. J'étais encore une gamine, et soudain, je devais vivre chez des gens que je ne connaissais pas. Je savais pas quoi faire.
- Dans ce cas-là, montre tes sentiments plus franchement. Fais comme les gosses, pleure, crie, fais des caprices. T'étais tout le temps muette, on savait pas quoi faire avec toi, tu sais ?
- ...Grr.
Jiyuri faisait la moue.
- T'étais timide avec nous et tu nous parlais pas de ce que tu ressentais. On s’est inquiété quand t’es parti sans prévenir.
Jiyuri avait fugué, et on était parti à sa recherche. On l’a récupéré à son ancien domicile dans la préfecture d'à côté.
Quand je l’ai retrouvé, elle regardait la maison où elle habitait autrefois, toute seule, et sans pleurer. C’était une maison que l’on pouvait louer, alors une autre famille y vivait.
Je ne suis pas allé lui parler. Je l'ai juste observé de loin jusqu'à ce qu'elle me remarque. À l'époque, c'était tout ce que j'avais pu faire, ça ne comptait même pas comme une preuve d’attention.
- Je vous ai embêté. …Désolée pour ça.
- Imbécile, on est une famille, c'est normal de nous casser les pieds.
Je posai mon index avec force sur sa touffe de cheveux devenu visible, vu qu’elle avait baissé la tête.
- Mais qu’est-ce que tu fais ? Arrête...
Elle posa ses deux mains dessus.
- Haha. C'est bizarre, je me rappelle même plus comment on s'est mis à déconner comme ça.
- Moi, je m’en rappelle. Tu fourres ton nez dans mes affaires sans rien avoir à faire de ce que je peux ressentir, alors j'ai cru que t'allais jamais me lâcher de la vie à ce rythme. Donc j’ai VRAIMENT pas eu d'autre choix que de faire des concessions. Te fais pas de films, OK !?
Elle me pointa du doigt avec son index.
- Je vois, je vois. Je vais encore fourrer mon nez alors. Allez, viens, il va faire froid, on rentre. Je vais te préparer un lait chaud.
J’agrippai fort les poignets de Jiyuri, et la tirai.
- AH, j'ai pas fait attention ! Laaaaaache mooooooooi ! Et ça ne se dit pas, préparer un lait chaud, en plus.
Elle se débattait en panique, mais je la tirai de force jusque devant la maison.
- Abandonne. Tu fais partie de la famille.
- Grrrr.
Elle me regarda un moment en se mordant la lèvre inférieure, mais elle finit par lâcher un gros soupire en guise de déclaration de défaite.
- OK, OK, c'est bon. Je te prends au mot alors. Je bougerais pas d’un pouce de la maison. Même si les parents me disent de déguerpir, j'insisterais en leur disant que je vis ici. N’oublie pas que t'es mon garant, d'accord ?
- Compte sur moi. Co-garant, gardien, sponsor, je serais ce que tu veux.
- ...Au moins tu manques pas d’audace, Hide.
Dit-elle, exaspérée. Mais j’avais bien vu le bout de ses couettes bondir de joie.
- Euh...vous avez fini ?
Au moment où je m'apprêtais à rentrer avec ma sœur, Asami sortit de sa cachette avec une voix réservée.
- Ah.
Mince, j'avais complètement oublié Asami.
- Et donc, au final, c'est qui ? Vous avez l'air de vous connaitre, mais moi, c'est la première fois que je la vois, non ?
- Euuh, en réalité c'est...ma sœur.
- Mais tu n'as pas de sœur, Hideto.
Elle me réfuta immédiatement. Tout à coup, la lueur dans les yeux d'Asami disparut.
Ça ne va pas passer, pas vrai. Dans le monde de cette Asami, Jiyuri n'était pas ma sœur.
- Hm, c'est bizarre ça, je te l'ai jamais présenté ?
Je jouai les innocents, mais les reproches qu'elle me faisait dans son regard n’avaient fait que gagner en froideur.
- Tu prends les amies d'enfance pour quoi, au juste ? Tu crois pouvoir me mentir sur la famille Yugami maintenant ?
Tu…Tu as complètement raison. Sacrée amie d'enfance. Ça fait peur les ententes entre famille !
Comment devrais-je répondre pour qu'elle comprenne que je n'étais pas un pervers qui forçait une jeune fille plus jeune que moi à agir comme ma sœur.
Tandis que j'étais perdu, Jiyuri qui était cachée derrière moi passa soudainement devant. Les bras tendus, comme pour me protéger.
- E...écoute-moi ! Hide dit la vérité. Je suis de cette famille. Je suis sa sœur, je ne mens pas, crois-moi, Asami.
- ...Tu dis ça mais je n'ai jamais vu l'ombre d'une sœur chez Hideto...
Ses lèvres se figèrent, et Asami pencha la tête.
- Euh, je me suis déjà présentée ? Pourquoi tu connais mon nom ?
À cet instant, j'eus l'impression de voir un éclair tombé sur la tête de Jiyuri.
- Comment ça, si je te connais ! Tous les Japonais connaissent ton visage et ton nom ! Asami Tomonaga. La numéro 1 des Supest. Je suis super fan de toi. J'aurais voulu aller au concert de la dernière fois, mais je n'ai pas réussi à avoir de ticket, alors j'ai dû attendre dehors et me contenter du son qu'on entendait qu’un peu !
Raconta hâtivement Jiyuri, comme une vidéo rejouée en avance rapide.
- Vraiment ? Tu me connais ?
- Oui, bien sûr. J'ai des goodies aussi. Il y a beaucoup de fans du groupe Supest dans mon entourage, mais moi, je suis surtout fan d’Asami !
- Vraiment ? Ouf, je suis trop contente. Merci, sincèrement.
Asami rencontra quelqu'un d'autre que moi qui la connaissait, et elle semblait avoir repris le moral. Elle sautillait tel le capitaine Neils Armstrong quand il est arrivé sur la surface de la lune. Elle serra fort la main droite de Jiyuru avec ses 2 mains, et la secoua encore et encore.
- Merci, tu sais pas à quel point ça me fait plaisir.
- A...Asami...me...serre la main...en vrai... Elles sont trop douces ! Trop chaudes ! Et elle sent trop bon !
- Euh, Jiyuri, c'est ça ? T’es une fille super, t'es trop bien pour être la petite sœur d'Hideto. Ça te dirait pas d'être la mienne plutôt ?
- Nan mais ça va pas.
Asami était tellement heureuse qu'elle balança quelque chose d’aberrant.
- Mais carrément ! Tu es ma grande sœur, maintenant !
- Ne profite pas de la situation pour dire n'importe quoi, toi.
Elles étaient devenues amies en un rien de temps, celles-là.
Toutefois, elles avaient toutes deux retrouvé le sourire, alors c'était une bonne chose. Elles qui étaient d'humeur morose jusqu'à maintenant.
On entra tous les 3 chez moi. Jiyuri emmena Asami dans sa chambre.
- Ah, c'est le truc donné avec l'édition limitée de la première impression du Blu-ray de mon premier concert, pas vrai ?
Dit-elle en pointant du doigt le poster collé au mur.
- Wow, ça me rappelle des souvenirs. Haha, à l'époque mes sourires étaient tout raides. Tiens, c'était ce costume-là que je portais ?
Elle fouillait dans ses souvenirs.
Même si dans l’esprit des deux, elles étaient bien conscientes qu’Asami était la numéro 1 des Supest, les mondes d’où elles venaient n’étaient pas les mêmes. Il semblait y avoir quelques minimes différences.
- Ah, je reviens, je vais faire du thé, mets-toi à l’aise.
Jiruyi sortit de sa chambre. En cours de route, elle m'attrapa le bras et me dit Aide-moi à chercher les tasses pour les invités et m'emmena avec elle.
Même pendant qu'elle faisait chauffer l'eau dans la cuisine, Jiruyi était surexcitée. Elle tapait fort du pied sur le plancher. Tu vas abimer le sol en bois comme ça.
- C'est pas un rêve ? Je vais pas me réveiller, pas vrai !? J’y crois pas, A-S-A-M-I est dans MA chambre !
- C'est pas un rêve, c'est la réalité.
- Bon sang, je suis claquée. Comment je fais, je vais peut-être mourir aujourd'hui.
Ses joues fumaient plus que la bouilloire sur le gaz. Elle avait peut-être une grosse fièvre, elle avait les yeux qui tournaient.
- En y repensant, c'est pas malpoli de servir un tea-bag de thé noir à Asami ? Pourquoi j'ai pas remarqué plus tôt ! Hide, dépêche-toi d’aller me chercher du thé en Inde, tout de suite !
- T’es sérieuse à la traiter comme la reine d’Angleterre ? T'en fais pas, elle a les mêmes gouts qu'une personne normale. Elle connait pas la différence entre du thé Assam et du thé Darjeeling. Pire, même si tu lui versais du thé noir en bouteille, elle le remarquerait pas.
Je lui avais gentiment donné ces informations, et soudainement, elle me regarda avec des yeux perçant, alors qu'elle était surexcitée il y a à peine quelques secondes.
- ...Tu trouves pas que t’es trop familier avec Asami ? Ça m'énerve un peu.
Pour cette Jiyuri, j'avais l'air d'être devenu proche de son idol sans aucune explication, alors c'était normal qu'elle ait ces doutes.
Toutefois, je ne ferais que la perdre encore plus si je lui disais qu'Asami et moi étions amies d'enfances, et qu'en plus, on sortait ensemble. Non, peut-être même que ça serait pire. C'était une fan hardcore. Ma vie serait en danger si elle l'apprenait.
- Occupe-toi plutôt du thé, l'eau bouille.
Dis-je pour changer de sujet.
- Ah, j'avais oublié.
Jiyuri saisit la bouilloire qui sifflait, versa l'eau chaude dans les tasses de thé des invités, et extrait le liquide ambré.
Elle posa les tasses sur un plateau, et les emmena dans sa chambre. Dans la pièce, Asami se détendait, entourée de produits dérivés à son image. Assise sur le canapé, elle regardait avec un doux sourire les posters et photos de Supest qui étaient accrochés au mur.
- Ça me soulage de voir autant de trucs de moi chez les Supest, mon orgueil reprend forme.
Au-dessus de la tête d'Asami, sa barre de vie augmentait.
- Si...si tu veux, on peut revoir le dernier concert. J'ai un lecteur Blu-ray et un projecteur.
- Je veux !
Asami accepta la proposition de Jiyuri.
Ainsi, une soirée de visionnage dans la chambre de Jiyuri débuta.
Asami et Jiyuri criaient de joie en voyant les images du concert des Supest projetées au mur.
- Peu importe combien de fois je le revois, la danse d'Asami est vraiment trop cool !
Jiyuri agita violemment son cyalume. T'as pas oublié que la vraie est à côté de toi quand même ?
- Hmm, l'angle de la caméra est pas super... C'est pas mieux cet angle-là ? Comme ça.
- Troooooooop bien, la dance de la vraie Asami !!!!!!!
Jiyuri agitait son cyalume, tandis qu’Asami avait commencé à danser sur le canapé. Ma petite sœur vient seulement de remarquer ?
En plus des concerts, Jiyuri avait aussi les behind the scenes filmés en off le jour même, et les entrainements. Elles en profitèrent aussi pour les regarder, et Asami rejoua même certains passages.
Cette réunion entre une fan et son idol ne faisait que de gagner en intensité.
- Tant qu'on en est là, regardons les concerts dans l'ordre ! Suivons les traces de la glorieuse Asami Tomonaga, la numéro 1 !
- Let's goooo.
- ...Allooo, tu sais combien de temps ça va prendre, n’est-ce pas ?
Ma remarque fut splendidement ignorée, et la main de Jiyuri installa le Blu-ray du mémorable premier concert d'Asami.
- Ça me rappelle des souvenirs. C’est vrai qu’au début on jouait dans de petites salles comme ça.
Il y avait de la tristesse dans les yeux d'Asami, tandis qu’elle se remémorait cette époque.
- Mais depuis tes débuts, t'étais incroyable !
Leurs regards se portèrent sur les images du premier live. Elles étaient bouillantes de concentration, à se demander si elles n'allaient pas faire un trou dans le mur à force de le regarder.
- ...Euh, c’est bizarre.
Le premier à avoir remarqué quelque chose d'anormal n'était pas elles, mais moi.
C'était étrange.
Sur scène, je ne reconnaissais la silhouette de personne. La musique résonnait, et les cyaclumes et les feux des projecteurs illuminaient les ténèbres.
- Mais…c'est une blague ?
- ...Pourquoi ?
Elles remarquèrent à leur tour.
Il n'y avait pas Asami dans la vidéo du premier live. La nouvelle du groupe, celle qui dansait au centre, était la numéro 2 en popularité actuellement, elle s’appelait Kanna, si je me souvenais bien.
L’atmosphère de la pièce se gela en un instant, faisant disparaitre tout l’enthousiasme auparavant. Les haut-parleurs inondaient la pièce d’une musique au tempo rapide, et les paroles positives et gaies résonnaient extrêmement creuses. Bien évidemment, on n’entendait pas non plus la voix d'Asami dans cette chanson.
Il semblerait que ce Blu-ray était celui d'un monde où Asami n'était pas devenue une idol. Preuve que les humains n’avaient pas été les seuls à avoir fusionné dans ce monde.
- Hé ? Qu'est-ce qu'il se passe ? C’est la première fois que ça m’arrive. Le lecteur est cassé ? Je vais tout de suite changer de Blu-ray, d'accord ?
Jiruyi sortit le disque, perplexe.
- Ha...haha. T’en fais pas. Ça a l'air d'être une journée où beaucoup de choses bizarres se produisent, alors plus rien ne me surprend, tu sais.
Rigola Asami comme pour sauver les apparences, avant de se coiffer les cheveux derrière. Puis, elle jeta un coup d'œil par la fenêtre.
- Il fait noir maintenant. Je vais rentrer. Vraiment, merci pour aujourd'hui. ...Oh, j'ai reçu plein d’appels de ma mère.
Après avoir regardé son portable, Asami se leva en panique.
- Ah, désolée de t’avoir retenue.
- C'est rien. De toute façon, j'habite à côté. Je reviendrais, d'accord ?
- Pardon ? À côté ?
- Hm ? Juste ici oui, à 5 minutes à pied.
- ...Haha, t’es une sacrée blagueuse, Asami. Si tu vivais dans le voisinage, tu peux être sûre que je le saurais.
- Haha, c'est toi qui es drôle. Ça fait plus de 10 ans que j'habite dans cette ville.
Les deux rigolaient à ce que disait l’autre, comme si elles se racontaient des blagues.
Et elles avaient raison. Il n’y avait rien de contradictoire dans leurs propos.
La réponse était simple. Dans le monde de Jiyuri, Asami n'habitait pas dans notre voisinage.
Après ça, on se quitta avec le sourire.
Toutefois, les images du premier concert dans lequel Asami avait disparu étaient restées bien ancrées dans nos têtes.
4
Au coucher du soleil, mes parents rentrèrent. Par rapport à ce matin, ils étaient plus doux envers Jiruyi dans leur attitude.
Ils avaient probablement bien réalisé, eux aussi, après cette journée, que leur souvenir et ceux de leur entourage n'étaient pas fiables.
De plus, même s'ils venaient d'un monde parallèle différent de celui de Jiyuri, mes parents n'étaient pas devenus complètement différents pour autant. En mettant de côté quelques détails, ils partageaient à peu près les mêmes souvenirs et la même personnalité. Alors rien d’étonnant à ce qu’ils aient atteint la même conclusion au sujet de Jiyuri, et ce, même s’ils venaient tous deux de monde différent.
Grâce à cela, on put prendre le repas du soir tous les 4 ensemble.
Même si tout n'était pas revenu à la normale, on ressemblait à une famille.
- Mais quand même, qu'est-ce qu'y est arrivé à ce monde ?
Murmura calmement mon père tandis que 4 bruits de mastications résonnaient.
- Ça a été avec ta boite ?
Demandai-je.
- C'était le bordel. Le chef de département avait changé, des gens à problèmes censés avoir été envoyés en province étaient maintenant à des postes importants. Selon les personnes, l'endroit où je travaille est différent. À New York, au siège social, à la branche à Asahikawa, j'ai rien compris. Impossible de bosser.
- Mais ces informations sur le personnel, elles sont sur les serveurs de l'entreprise, non ?
Dis Jiyuri en grignotant son takuwan.
- Normalement oui, mais les infos étaient en bordel aussi. Par exemple, sur l'ordinateur du siège social, je suis censé travailler à New York, mais dans les données de la branche de New York, je travaille au siège social. Et apparemment, le bâtiment de la branche à Asahikawa avait complètement disparu.
- Alors c'est pas juste les employés qui ont la mémoire en pagaille ?
Ma mère était surprise.
- C'est ça. Dans le coin, les choses ne sont pas tellement sens dessus dessous, mais si on se rapproche du centre-ville, on peut voir des choses étranges. Un coin de la rue qui est soudainement devenue une montagne de débris, des bâtiments administratifs avec une architecture complètement japonaise...
Comme je le pensais, les habitants n'étaient pas les seuls à avoir bougé lors de cette unification des mondes parallèles. Les univers eux-mêmes semblaient avoir été mélangés. Peut-être que c’était comme si de multiples mondes parallèles étaient divisés en secteur, et posés sur un seul et même monde, sous forme de mosaïque.
Au final, la journée se termina. Le monde n'avait pas l'air de rentrer à la normale. Jusqu'à quand ça allait continuer ? Si le monde reste définitivement comme ça... J’étais très inquiet pour la suite des évènements.
- Merci pour le repas.
À peine avais-je fini mon repas que la sonnette d’entrée retentit.
- À cette heure-ci ? Pour quoi ? Vous avez commandé quelque chose ?
Demandai-je aux 3 autres encore en train de manger, mais ils me firent signe que non.
Après avoir mis mes couverts vides dans le levier, je me dirigeai vers la porte. Pendant ce temps, la sonnette ne cessait de sonner. Quelqu’un insistait pour qu’on réponde.
J'avalai ma salive, anxieux. C'était peut-être une personne dangereuse. Tout pouvait arriver maintenant.
J'ouvris la porte, en prenant soin de laisser la chaine toujours accrochée.
Même depuis l'espace légèrement entrouvert, on voyait qu'il faisait sombre dehors. Je vis la silhouette de quelqu'un émerger de l'obscurité.
J'eus le dos glacé en la voyant, on aurait dit un fantôme.
- ...Hi...deto.
Je reconnaissais cette voix. L'ombre s'approcha de la porte, et la lampe fluorescente de l'entrée révéla la vraie forme de cette silhouette.
- A...Asami, c'est toi. Tu m’as fait peur.
Je retirai en vitesse la chaine, ouvris grand la porte et sortis.
Maintenant que je la voyais de près, sa transformation était claire. Son visage était aussi inexpressif qu'un masque de no. Elle était pâle, et avait les lèvres bleues. C'était un ciel de nuit sans un seul nuage, et pourtant, on aurait dit qu'elle s'était pris une pluie torrentielle.
- Dis...je suis vivante, pas vrai ?
Dit-elle avec un timbre de voix fragile, tel de la neige.
- …évidemment. Qu'est-ce que tu racontes.
- Mais...mais c'est bizarre. Mes parents me disent que...je suis morte...que j'ai perdu la vie dans un accident de la route. Qu’on n’a pas pu me sauver, que j'ai été enterrée et qu'ils ont fait leur veillé funèbre, et qu'après...après...
Elle n'alla pas plus loin. Peut-être qu'elle ne pouvait pas.
À cet instant, j'entendis proche de là où on était, des voix appelées désespérément le nom d'Asami. Les parents d'Asami criaient, comme s’ils cherchaient un enfant perdu.
Asami trembla.
- Hi...Hideto, viens par ici...
- Mais qu'est-ce que tu fais !
Elle me tira les bras, et je sortis. On courra, comme pour fuir les tristes appels des parents d'Asami. On s’arrêta à un parc du voisinage. À cette heure-ci, personne ne passait par là, et les buissons hauts autour cachaient le parc, alors on ne devrait pas nous voir.
Asami s'assit sur la balançoire, le visage un peu rassuré.
- ...Désolée de t'avoir forcé à me suivre. Je veux pas revoir mes parents pour le moment. Mais si je reste chez Hideto, c'est sûr que mes parents vont finir par venir...
Nos mères s'entendaient bien, alors si Asami était chez moi, ma mère préviendrait surement immédiatement celle d'Asami.
- Ça me dérange pas. Raconte-moi plutôt ce qu'il s'est passé.
- ...Papa et maman avaient tout le temps l'air bizarre, et voulaient rien me dire, alors j'ai fouillé un peu dans la maison…et j'ai trouvé...ça, dans leur chambre...
Asami me tendit un objet en forme de planche noir que l'on aurait allongé au vertical, comme un smartphone. J'avais l'impression de l'avoir déjà vu quelque part. Si je me souviens bien, il y en avait une aussi dans la maison de mon grand-père.
- Ça serait pas une tablette mortuaire bouddhiste ? Mais de qui...
Je n'avais même pas besoin de demander. La réponse était écrite sur la surface de la tablette.
« Asami Tomonaga. Tablette commémorative » la date de sa mort était même gravée en dessous. À en croire cette date, Asami était morte l'année dernière.
- Haha. C'est drôle d’avoir sa tablette mortuaire avec son nom, tu trouves pas ? On dirait un gadget pour les pièces de théâtre.
Asami rigola froidement.
- Quand je l’ai montré à mes parents, ils ont enfin capitulé, et m'ont dit que j'étais morte. ...Je me demande ce que ça voulait dire. Ils n'avaient pas l'air de mentir ou de blaguer, et moi pourtant j'ai toujours mes souvenirs jusqu’à aujourd’hui. ...Mais ma manager m'a dit que je n'étais pas membre des Supest, je comprends plus rien. Je suis qui, alors ?
Je compris enfin. Dans le monde où étaient les parents d'Asami, elle était décédée. Et donc pour ces parents, c'était comme si leur fille décédée était revenue à la vie. Ça avait surement dû beaucoup les surprendre. Bien sûr qu'ils devaient être heureux. Évidemment qu'ils cherchaient partout désespérément Asami.
Si je laissais Asami dans cet état, elle risquait de réellement avoir l'égo brisé à cause des incohérences entre elle et son entourage dans ce qu'ils percevaient.
Devais-je lui dire ce que je savais ?
Un choix me passa à l'esprit. Mais immédiatement, des voix me disant de ne pas le faire continuèrent.
Mais si ce choix était une erreur ? Plus jamais je ne pourrai recommencer, ou corriger l'erreur. Et si Asami ne me croit pas et me prend pour un fou ? Ou si elle me croit, mais n'arrive pas à garder le moral quand même ? Elle allait peut-être désespérer encore plus que maintenant.
Mes jambes tremblaient. J'avais de la transpiration dans les mains.
Je ne savais pas que faire un choix inchangeable, que prendre une décision était aussi effrayant.
...Je vais pas le faire, il vaut mieux.
Si je ne disais rien, je ne la blesserais pas, et ne me blesserais pas moi-même.
Je choisis de ne pas choisir.
Le moment où je m'apprêtais à me persuader de ça, j’aperçus une larme du visage baissé d'Asami couler. Elle absorbait la lumière de la lune et brillait légèrement. Elle tomba tout de suite au sol et se dissipa.
Elle était en train de pleurer.
La voir comme ça me rappela des choses déplaisantes.
Elle me rappelait la Asami du monde dans lequel elle avait raté son concert. La Asami en face de moi ressemblait à celle qui avait perdu sa radiance en tant qu'idol, et s'apprêtait à tout abandonner.
À ce moment-là, j'ai ouvert la porte d'un autre monde et n’ai plus eu besoin de voir cette Asami plus que ça. Mais là, je n'avais plus de monde dans lequel me déplacer. Si je la laissais maintenant, elle resterait tout le temps comme ça.
Je ne pouvais absolument pas laisser passer ça.
Après avoir calmement inspiré l'air de cette nuit tardive, je lançai ces mots comme si je me jetais dans le vide.
- Asami, tu peux m'écouter un peu ?
Je lui racontai.
L'existence des univers parallèles, et ma théorie comme quoi la situation actuelle était peut-être le résultat de tous ces mondes mélangés ensemble.
Elle m'écouta attentivement jusqu'à la fin, sans dire un mot.
- ...Les mondes parallèles, c'est ça ? Oui. J'ai peut-être vu ça dans des films de SF.
- Surement. Donc voilà pourquoi tu es bien en vie, et bien la numéro 1 Supest. C'est juste que tout le monde vient de mondes différents. ...Enfin, tu me crois pas, pas vrai ?
- Non, je te crois. Je ne peux pas croire que tu inventerais cette histoire.
Elle acquiesça tellement simplement, que je passais pour un idiot à avoir hésité à lui en parler jusqu'à maintenant.
Après avoir fini de m'écouter, Asami semblait rassurée, comme si elle avait un poids en moins sur les épaules. Mais elle semblait aussi souffrir, comme si elle s'était imposée un nouveau problème.
- Je vois, c'était des mondes parallèles. Je suis un peu vexée.
- ...Vexée ?
Je ne pensais pas qu'elle aurait cette réaction.
- Bah oui, c'est juste toi et Jiyuri qui me connaissent en tant qu’idol, pas vrai ? Donc ça veut dire que dans la plupart des autres mondes, je n'ai pas pu entrer chez les Supest, non ? Alors celle que je suis là, la numéro 1, c'était juste un coup de chance.
Elle semblait vraiment vexée. Elle serrait fort les poings posés sur ses genoux.
- Avant que j'entre chez les Supest, et même après, j'ai énormément persévéré. J'ai sacrifié beaucoup de choses qu'une fille normale aurait faites. J’ai enchainé les efforts et j’ai réussi à obtenir la position au centre du groupe. Je ne vais pas dire que ce résultat est normal, mais je pense que c'est le fruit de mon dur travail.
Elle avait raison.
Je savais qu'elle admirait les idols depuis qu'elle était petite. Elle avait donné son maximum sans être découragée même si son entourage se moquait de son rêve.
- ...Malgré ça, si beaucoup de mondes existent dans lesquels je ne suis pas idol, s’il y a plus de moi qui regrettent de ne pas avoir pu réaliser ce rêve. ...Si ce premier concert que j'ai vu aujourd'hui est celui qui a eu lieu dans la majorité des mondes parallèles...
Asami ferma les yeux forts.
Derrière ces paupières, elle voyait surement les images de ce concert. De celui auquel elle n'était pas présente.
- ...Alors celle que je suis là est juste chanceuse. Dans mon monde, on m’appelait que l’éternel numéro 1, mais si je ne suis pas au centre du groupe dans tous les mondes, je ne peux pas recevoir ce titre, tu sais ?
Elle ouvrit les yeux, regarda le ciel étoile comme pour retenir ses larmes, et chuchota.
- J'ai encore beaucoup à apprendre...
Elle le pensait vraiment.
Elle regrettait réellement de ne pas avoir pu devenir le numéro 1 dans tous les mondes parallèles.
Son obsession et sa fierté qu'elle avait envers sa position de centre étaient massives, fort, et sans fonds.
Les mondes parallèles englobaient toutes les possibilités. Il était impossible pour Asami de réaliser son ambition. Mais même je lui apprenais maintenant, elle dirait la même chose. Elle dégageait une aura d'idol si grande, que j'en étais convaincu. Elle était l'incarnation d'un entêtement incroyable, et d'une avarice insatiable. Je ne pouvais que rire.
- Haha, t'es incroyable, tu sais. Pouvoir dire ça après ce que je t'ai raconté.
- Hé ? Tu trouves ?
Elle n'avait pas l'air d'en avoir conscience.
Mais j'étais rassuré. Elle était bien la Asami que je connaissais.
Positive en toute circonstance. Et même dans les moments difficiles, elle les surmontait par ses propres moyens. Elle rejetait les inquiétudes de son entourage et les miennes, et brillait d'elle-même. Elle était telle une étoile illuminant cette sombre galaxie. Elle brulait de mille feux au centre des planètes, qui elles, étaient incapables de briller d'elles-mêmes et ne faisaient que tourner autour du soleil et sur elles même.
- Bon sang, tu comptes rigoler jusqu'à quand ?
Asami gonfla les joues.
- Haha, désolé, désolé. Je me disais juste que peu importe ce que le monde devient, tu ne changes pas.
- Si tu dis ça, c'est que le Hideto qui est ici est celui que je connais, c'est ça ? Et donc, la même personne que le Hideto qui était dans mon monde, c'est ça ?
...Comment devrais-je répondre à cette question.
On pouvait dire à la fois oui, et non. Je possédais les souvenirs du moi du monde de cette Asami. Mais est-ce que pour autant cela voulait dire que l’on était la même personne ? Si l'on avait le même nom et les mêmes souvenirs, alors devenait-on la même personne ?
- Hmm, c'est une question philosophique.
Tandis que je me creusais la tête pour répondre, soudain, j'entendis une voix familière.
- Oh, quel hasard qu'on se retrouve ici.
- Hé ? Qui est-ce ?
Asami prit peur et lâcha un petit cri. Moi-même, j'avais sursauté d'environ 3 millimètres.
Une personne à laquelle je ne m'attendais pas apparut doucement, éclairée par la lumière blanche bleutée des réverbères LED.
- Hinano ?
- Ah, on s'est vu à l'école.
Asami se souvint aussi.
Elle avait de longs cheveux noirs qui se fondaient presque dans les ténèbres, aucune erreur possible. De plus, elle portait même l'uniforme de mon bahut.
- C'est pas bien pour un jeune homme et une jeune fille de sortir tard la nuit. D'autant plus quand le monde est dans le chaos comme en ce moment.
Hinano me regarda moi et Asami tout en souriant légèrement.
- Toi...toi aussi, tu es dehors.
- Haha, oui. On est quitte alors.
Elle se rapprocha en rigolant.
En général, on ne se voyait que quand le soleil était levé, alors c'était étrange de discuter ensemble à une heure aussi tardive. Que ce soit ses cheveux noir brillant ou son sourire séducteur, dans la nuit, elle ressemblait à quelque chose d'autre qu'une personne normale. Elle avait la beauté et le mystère d'un film d'horreur japonais.
...Ne t'approche pas.
- Tu m'auras pas. C'est pas une heure pour marcher dehors, si un policier en patrouille nous trouve ici, on va se faire arrêter sur le champ, tu sais ? On te retira ton poste de présidente de conseil des étudiants, et les appréciations scolaires que tu as obtenues partiront en fumée.
- Haha. Rassure-toi. Le monde est tellement paumé en ce moment que les servants publics sont très occupés, ils n'ont probablement pas le temps de se préoccuper de nous.
- C'est pas faux.
Je sentis l'odeur du shampoing de cheveux qui volèrent suite à un coup de vent.
...Cours.
- Pour être honnête, je tenais plus chez moi. Alors je me suis échappée.
Dit Hinano.
- ...Ah oui, t'as dit que tes parents t'avaient oublié, c'est ça ? Vraiment désolé.
- Oh, il t'est arrivé ça aussi...
Asami regarda Hinano avec compassion en apprenant sa situation. Elle se mettait surement à sa place, au vu de ce qui se passait avec ses propres parents.
- Haha, je ne pensais pas avoir un côté sentimental. ...Depuis le début, j’ai une famille compliquée, tu sais. Mes parents étaient le genre de personne seulement capable de se donner le peu d'amour qu'ils ont, à leur propre personne. Donc je n'ai jamais senti l'amour de mes parents.
Murmura-t-elle avec indifférence en regardant le ciel étoilé.
C'était la première fois que je voyais ce visage de profil de sa part. Comme si elle essayait désespérément de contenir ses émotions sur le point de déborder.
C'était aussi la première fois que j'en apprenais sur ses problèmes de famille. Je l'avais entendu dire par le passé que sa famille était plutôt riche.
- Toutefois, j'ai vécu sans avoir de problèmes jusqu’ici, alors je leur suis un peu reconnaissante. Enfin, ils m'ont surement élevée comme si j'étais un investissement, pas par amour.
- Mais...non, je ne pense pas. Tu comptes surement beaucoup pour eux...
Objecta Asami, qui elle avait grandi en recevant tout l'amour de ses parents.
- Tu penses ? Des parents qui écrivent dans un carnet de compte le cout de l'éducation de son enfant, et lui montrent régulièrement ? Des parents qui en plus font des factures avec des intérêts sur les couts, et ordonnent sévèrement de ne pas oublier de les rembourser à l'avenir ?
- ...Désolée, ça, je n'y attendais pas trop.
C'était une relation parent-enfant plus stricte que je ne le pensais.
- Haha, n'est-ce pas ? Mais même avec des parents comme ça, ça allait encore. Ce matin ils n'avaient même pas l'air de se rappeler que j'existais. Peu importe combien de fois je leur expliquais, ils ne me voyaient que comme une étrangère. Je savais pas quoi faire sur ce coup-là. Mon père est parti de chez moi durant la matinée, et ma mère vient juste de disparaitre quelque part aussi. Je bouillais à rester toute seule chez moi, alors je suis partie faire une promenade de nuit.
Elle me regarda avec le visage de quelqu'un qu'on avait abandonné.
Elle avait l'air encore plus fragile que le clair de la lune.
...Fuis.
- Euh...je sais pas quoi te dire.
- Ne t'en fais pas. Juste parler avec toi, ça me fait oublier mes problèmes. ...C'est gênant, mais quelque part au fond de moi, on dirait que j'ai toujours voulu recevoir un amour inconditionnel. J'étais surement fatiguée de mes relations familiales, toujours liées au profit et à la perte d’argent… Alors je te prenais pour mon jouet et m'amusais avec toi. Pour oublier ma solitude. Toute la faute revint à ma faiblesse d’esprit. Désolée.
Je n'avais jamais imaginé qu'Hinano s'excuserait pour ça un jour.
- Dis...dis pas ça. J'aime te parler aussi. Je déteste pas quand tu me taquines. Au contraire, aucun problème si tu le fais encore plus.
Qu'est-ce que je racontais. Je me proclamais être très maso ?
- Haha, ça me fait plaisir que tu me dises ça, tu sais.
Hinano rigola du fond de sa gorge.
...Vite, fuis !
- Hm ? Qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi tu regardes partout comme ça ?
Dit-elle avant de pêcher la tête vers moi de plus près.
- Ah...euh...depuis tout à l'heure, j'ai l'impression d'entendre une voix bizarre.
- Étrange. Il n'y a que nous ici.
- Pas vrai ?
J'avais de violentes palpitations depuis quelques minutes. Mon cœur battait tellement que j'avais mal. J'étais nerveux parce que je discutais avec Hinano à une heure aussi tardive ? Non, ce n’est pas ça. Je veux dire, évidemment, que j'allais avoir le cœur qui bat vite en parlant avec une belle fille comme elle, et dans le noir.
Ça, c’était normal.
Mais alors qu’elle était cette sensation inconfortable que je ressentais ?
- Bref, je suis contente d'avoir pu te parler comme ça, de plein de trucs. Ma déprime est partie.
Hinano afficha un sourire radieux.
- ...Ah bon ? C'est un honneur d'avoir pu t'être utile alors.
- Oui, alors je ne te laisserais plus t'enfuir.
À cet instant, une étincelle jaillit.
Chak.
Un grondement perçant résonna. C’était comme si on avait enfermé un bruit de fracas éternel dans un court instant. Mon ouïe n’avait pas été la seule à avoir subi un choc. Ce bruit parcourut tout mon corps, jusqu’à même me secouer la conscience.
Je sentis une chaleur brulante au cou.
- Hideto !
Le cri d’Asami me frappa les tympans.
Ce fut la dernière chose que je ressentis avant de lâcher les reines de ma conscience.
5
Bon sang, voilà pourquoi je t'ai dit de fuir.
...T'es qui, toi ?
Qu'est-ce que tu vas faire maintenant.
...Je te le redemande, qui tu es ?
Ça me concerne plus. Démerde-toi. Et t'as intérêt, sinon je suis mal, moi aussi !
...Je comprends rien à ce que tu me racontes depuis tout à l'heure.
Quelqu'un de très proche, ou de très loin, je ne sais pas, me parlait. Je n'aimais pas trop le ton de sa voix et il m'énervait. Soudain, je remarquai que j'avais enfin repris conscience.
J'ouvris les yeux, mais tout ce que je voyais était un grand espace tout noir. J'étais surement dans une pièce, car je ne ressentais ni la lumière de la nuit ni de vent. Il semblerait que j'étais assis sur une chaise.
- ...Aïe.
Je sentis une douleur piquante au cou. J'essayai tout de suite de la toucher, mais mon bras droit ne bougeait pas. Et pas juste le bras droit, même mon bras gauche et mes jambes. J'y mettais de la force, mais rien ne bougeait.
- Oh. Tu as repris connaissance ?
J'entendis une voix dans les ténèbres.
Une voix différente de celle qui résonnait dans ma tête tout à l'heure. C’était celle d'un homme, mais celle-ci que je venais d'entendre était celle d'une femme. Ou plutôt, c'était la voix d'Hinano.
- Hi...Hinano ? Ça, ça va ? Qu'est-ce qui nous est arri...
J'eus un frisson dans le dos.
- On s'est fait kidnapper ? Ah, Asami va bien ? La voix de l'homme juste avant, c'était le kidnapper ?
Tout l'endroit était sombre, alors je ne savais pas où se trouvait Hinano, et donc pour le moment, je m'adressai du côté où j'entendis la voix. Je cherchais Asami, mais évidemment, je ne la trouvais pas.
Mon cœur battait si fort que j'avais mal.
Sérieux, j'étais mal là.
Je ne pouvais pas m'enfuir dans des mondes parallèles. Je n'avais aucun moyen d'aider Hinano, et encore moins m’aider moi-même.
Je m'agitai sur la chaise.
Mes bras et jambes semblaient attachés, je ne parvenais pas à les bouger d’un pouce.
- Un homme ? De quoi tu parles ? Il n'y a que nous deux ici. Je ne vois pas non plus la jeune fille que tu appelles Asami.
- Ah bon ? Alors la voix de l'homme était peut-être une hallucination...
- Surement. Jusqu'à maintenant tu étais inconscient. Tu voyais surement un rêve ou quelque chose du genre.
- Hinano, tu vas bien ? On ne t'a rien fait ?
- Oui, je vais bien.
Je ne sentis pas de mensonge dans sa voix. Au contraire, elle semblait être de bonne humeur. Oui, comme quand elle me taquinait au bahut.
- Dans...dans ce cas, alors, tant mieux...
- Oui, regarde, je vais bien.
Dit-elle en apparaissant soudainement depuis les ténèbres devant moi, avant de s'approcher. Elle n'avait pas l'air d'être blessée, c'était même l'inverse, elle n'était même pas attachée.
- ...Euh...pourquoi tu n'es pas attachée ?
- C'est évident, non ? C’est moi, la kidnappeuse. On dirait que tu as encore la tête dans les nuages.
À cet instant, une peur indescriptible rampa dans mon dos.
- Elle est vraiment pas drôle ta blague.
- Haha, t'es amusant, tu sais. Ça a l'air d'une blague, ça ?
Elle alluma une lumière fluorescente au plafond, éloignant ainsi les ténèbres. Le spectacle devant moi qui était flou jusqu’à maintenant gagna en clarté.
Hinano tenait dans sa main un objet noir et rectangulaire.
Je réalisai qu'il s'agissait d'un appareil que l'on appelait, un taser. Même moi, je trouvai ça étrange de l’avoir remarqué immédiatement. C'était un petit objet que l'on retrouvait effectivement dans beaucoup de films, mais je n'en avais jamais vu en vrai. ...Et...pourtant.
Au même moment que je compris tout ce qui s’était passé, ma douleur piquante au cou se relança, et reprit de la chaleur. Comme si elle me lançait un signal de danger.
- Hinano...tu rigoles, pas vrai ?
- Je te trouve adorable quand tu as du mal à comprendre quelque chose. Tu es vraiment un très bon jouet. Merci d'être revenu à moi.
Les mains froides d'Hinano me touchèrent les joues. J'avais l'impression qu'on me volait ma chaleur corporelle.
- Mais je n'aime pas ça, tu sais. Quand est ce que tu t’es rapproché d’autant de femmes dans mon dos ? Pourtant, tu n'appartiens qu'à moi. Moi seule. Vous aviez l'air très proche, toi et cette fille que tu appelais Asami, je crois. Un rencard bien tard dans la nuit quand même, je suis un peu jalouse.
- Tu...tu as fait quoi à Asami ?
- Elle me dérangeait, alors je l'ai fait dormir comme toi. J'ai les bras trop fins pour transporter deux personnes évanouis jusqu'ici, alors je l'ai laissé au parc. Avec cette saison, même si elle dort au parc toute la nuit, elle ne va probablement pas tomber malade.
Son sourire était si froid, j'en étais surpris. Il était vicieux, sans fond. On n’y voyait pas de lumière, comme la surface d'un lac que l'on regarderait de près par une nuit de nouvelle lune.
- Qui...es-tu ?
Je ne connaissais pas cette personne.
- Hinano Minami, tu me connais bien, tu sais ? ...Ah oui, tu as oublié, c'est ça ? Tu as été entrainé dans tout ce chaos mondial toi aussi... Mon pauvre Hideto...
Non.
Cette personne était quelqu'un de complètement différent, mais avec l'apparence d'Hinano. Ce n'était pas l'ainée que je connaissais.
J'observai l’endroit. Il y avait un lit au design modeste et un bureau ordinaire dans cette pièce d'environ 10 tatamis. Une chambre simple, qui faisait peu fille, comme l'image d'origine que j'avais d'Hinano.
Toutefois, le papier peint était étrange. La surface du mur avait un ton blanc comme celui de la neige, et des taches rouge foncé dessus. Le mur contrastait avec cet intérieur élégant, il n'était clairement pas à sa place.
...Ah. D’accord. Je vois.
Ces points rouges sur le papier peint, ce n'était pas des motifs.
C’était du sang qui avait giclé et séché. Les tâches avaient noirci, alors cela faisait probablement depuis quelques jours que ce sang était là.
Celui de qui ? Ce n'était pas celui d'Hinano. Ni le mien, bien sûr...
Vraiment ? Ce n'était pas mon sang ?
- ...Pourquoi tu es méchant, Hideto. Tu devais rester avec moi en salle de conseil des étudiants aujourd’hui, non ?
J'eus un flashback de souvenirs dont je n'avais pas connaissance.
Je reconnaissais cette sensation. La même que quand je me synchronisais au moi des mondes parallèles.
C'était les souvenirs d'un univers que je n'avais jamais visité.
- ...Ah Urgh...uu.
Il ne fallait pas que je jette un coup d'œil à ces souvenirs !
C'est ce que me disait mon intuition, mais je ne pouvais pas arrêter l'afflux de souvenirs. Ils se déversaient dans mon cerveau tel un ruisseau boueux.
- Dis, pourquoi t'es distant avec moi ces derniers temps ? ... Quoi ? Arrête de me suivre partout, tu dis ? Haha, c'est pas très gentil, Hideto. Haha, tu dis ça, mais en réalité... hé ?
La Hinano de mes souvenirs avait le visage figé, comme si elle avait vu de près le désespoir.
Le moi de ce monde pensait n'être qu'ami avec Hinano. Et absolument rien de plus. Mais Hinano ne réfléchissait pas à ce que ce je pouvais ressentir...
- Gaa..aaaa.
Je veux pas ! Je veux pas me remémorer ça ! Arrête, ne te souviens pas !
- Salut, Hideto. C'était le bordel aujourd'hui, pas vrai. Apparemment, l'accès au toit va être fermé. ...Haha, dis pas des choses horribles comme ça, ça donnerait une mauvaise image de moi. Oui, c'est moi qui ai convoqué cette fille sur le toit, mais je l'ai juste averti sur son mauvais comportement. C’est normal, je suis la présidente du conseil des élèves. Toi aussi, elle t'embêtait à fourrer son nez dans tes affaires, non ?
Hinano ne souriait pas comme ça.
Jamais elle ne sourirait comme ça le jour où une étudiante était décédée en tombant du toit.
La Hinano de ces souvenirs était complètement différente de celle que je connaissais, mais c'était bien elle.
Je vois. Je venais de comprendre.
La voix de cet homme mystérieux qui m'avait averti tout à l'heure. C'était ma voix ! Le moi du monde où Hinano avait été brisée.
J’avais beau m’en rendre compte maintenant, c'était déjà trop tard.
- ...Tu as repris connaissance ? On est dans ma chambre. C'est de ta faute. Tu as négligé ton travail au conseil des étudiants, car tu voulais assister à son enterrement... Enfin, je te pardonne. De toute façon, tu ne pourras surement plus jamais sortir d'ici.
La Hinano souriant dans mes souvenirs avait un taser dans la main...et une énorme scie. Cette lame dentée était teinte de rouge foncé, et des fils ressemblants du textile de vêtement étaient emmêlés dessus. Le moment où je réalisai que la teinte de couleur et la texture ressemblaient au pantalon de mon uniforme, soudainement, je sentis quelque chose d'étrange à la jambe droite. Non, c'était l'inverse. C'était justement, car je ne sentais rien que ça me semblait étrange. Je baissai la tête et...
- Urgh...aa..aaaaaaa.
Une douleur que j'étais censé ne jamais avoir subie se relança. Une douleur contenant de la peur. Mes nerfs s'enflammèrent à un tel point qu’ils brulèrent complètement.
Non, j’avais encore ma jambe !
Ma raison essayait de convaincre tant bien que mal mes nerfs qu’ils m'envoyaient de mauvais signaux de douleurs.
Ça va, j'avais ma jambe. Elle est attachée. Ça va. C'est l’autre moi qui l’ai perdu, pas moi !
J’essayais de me résonner, encore et encore, comme si je me persuadais à moi-même.
...Mais ce spectacle avait bel et bien eu lieu. Dans un monde parallèle que je n’ai jamais visité. Dans cet univers, le moi de ce monde avait réellement subi cette torture...
- Wow, c'est quoi toute cette transpiration, ça va ?
Je transpirais en quantité énorme de partout, comme si j’étais sous une pluie torrentielle.
Hinano m'essuya le visage avec un mouchoir.
Il sentait le sang. Il avait la même odeur qu'une planche sur laquelle on venait d’ouvrir des poissons. C'était probablement le sang du monde de cet Hinano.
Des images de la torture qu’il avait subie me revenaient presque à l’esprit, alors je ne voulais pas sentir ce mouchoir plus que nécessaire.
Je tournai la tête autant que possible avec ce corps attaché.
- Haha, sois pas timide. Je compte me dévouer à prendre soin de toi, alors accepte simplement mon amour inconditionnel pour toi. Tu es content, non ?
Tandis qu'Hinano m'essuyait le visage, elle prit un grand sourire. Elle semblait sincèrement prendre plaisir à s'occuper de moi.
Même si la personne à l'intérieur était différente, en apparence, elle était toujours Hinano Minami. Son sourire et celui de la Hinano que j'aimais se superposaient, que je le veuille ou non. Ne serait-ce même qu’une seconde, je me ferais presque de fausses idées. Voilà pourquoi c'était effrayant.
- Ne t'inquiète pas. À partir de maintenant, je vais m'occuper de toi. Tu trouves ça gênant ? Ne t'en fais pas. Je t'aime, alors peu importe ton apparence, je l'accepterais avec plaisir. Même si ton corps pourrit, que ton estomac explose à cause du gaz accumulé à l'intérieur, que des vers éclos, que tu sois couvert de mouche, que ta chair tombe de décomposition et laisse sortir tes os, je t'embrasserais avec le sourire. Allez, prend tout cet amour que j’ai pour toi.
Pourquoi cette Hinano était-elle aussi brisée.
Ses dix doigts rampèrent sur mon coup comme une araignée, et me serrèrent fort.
- Ah, arg.
Ma respiration s'arrêta. Le flux sanguin de mon cou jusqu'au cerveau était bloqué. L'oxygène ne se répandait plus. Les cellules de mon cerveau détectèrent un vrai danger, et sonnaient l'alarme.
- Tu m'appartiendras pour l'éternité.
Sa voix était effroyablement calme par rapport à son visage teint par sa furie.
En revanche, ses doigts ne connaissaient aucune hésitation, et s'enfonçaient au fond de ma gorge. Ils me pressaient la peau, les muscles, les vaisseaux sanguins. Je sentais qu'elle me touchait les os à travers la peau.
J'étais mal, je commençais à perdre conscience. Mon champ de vision se floutait, et je ne voyais plus très bien Hinano qui était censée être juste devant moi.
- Tu es injuste, tu sais. ...Je t’ai donné tout mon amour et toi, tu as....
C'est pas bon. C'est vraiment pas bon.
Tandis que je perdais conscience, une fois de plus, des souvenirs affluèrent.
Mais ce n'était pas ceux avec cette Hinano.
Il s'agissait du temps que j'avais passé avec l'autre Hinano, celle que je connaissais.
- Salut, jeune garçon solitaire. Ça te dit d'offrir ta jeunesse misérable, pathétique, et à l'avenir sombre, au conseil des étudiants ? Il y a une grande campagne en cours en ce moment qui permet de se faire exploiter sous les ordres de Hinano Minami, la splendide jeune fille et présidente du conseil des étudiants, tu sais ?
En y repensant, cette Hinano aussi était tyrannique, elle ne changeait pas de la Hinano de ce monde-ci. Elle m’a trainé de force à la salle du conseil des étudiants et m’a forcé à réaliser diverses tâches. Et elle, elle était toute contente.
Mais elle était restée avec moi jusqu'à ce que je finisse les missions qu’elle m’avait confiées, et que j’ai terminé en retard. Elle m'avait même préparé un café, si je me souviens bien. On était que tous les deux dans la salle du conseil des étudiants, et le soleil se couchait. Le visage de profil d'Hinano qui se tenait près de la fenêtre était tellement beau que j'en aurais presque fait une syncope.
Mes souvenirs se transformèrent en énergie. J'utilisai toute la force qu'il me restait, et jetai un regard noir à la Hinano en face de moi. J'avais foi qu'au fond de ces yeux, il y avait la Hinano que je connaissais.
- Ah...pour...pourquoi !?
À cet instant, elle s'éloigna de moi, confuse. Elle relâcha ma gorge, et une nouvelle fois, ma voie respiratoire se décoinça, et mes vaisseaux sanguins redémarrèrent. Mes hémoglobines envoyaient tellement en panique de l'oxygène au cerveau que j'avais un peu mal à la tête.
J'étais en vie. Le brouillard que j'avais dans mon champ de vision disparut. Je ne pensais pas que l'oxygène me paraitrait aussi bon un jour !
- Aaaah, qu'est-ce que c'est que ça !? Pourquoi elle ne bouge pas !
Hinano me tendait sa main droite. Ses doigts ne faisaient qu'attraper du vide. Elle voulait m'étrangler encore une fois, mais ils ne m'atteignaient pas. Jamais ils ne trouveront mon cou, car sa propre main droite tenait son poignet droit, et l'empêchait de bouger.
Contrairement à sa volonté, sa main gauche l'entravait dans son meurtre.
Je réalisai tout de suite.
- Hinano ! C'est toi, Hinano, pas vrai ! Tu m'entends ? C'est moi, Hideto Yugami. Rappelle-toi !
Tout comme j'avais reçu les souvenirs du moi d'un univers parallèle, j'étais persuadé que les souvenirs de l'autre Hinano s’étaient glissés dans la Hinano de ce monde. Elle avait répondu à mon appel.
Deux personnalités d'Hinano, voire plus, étaient en opposition, et se battaient pour le droit de contrôler le corps.
À ce moment-là, Hinano m'était apparu étrangement. Les contours de son corps se floutèrent, comme si plusieurs Hinano se chevauchaient les unes aux autres.
- Aaah ! T'es qui ? N'entre pas en moi !
Hinano se cria dessus.
- ...Sors d'ici ! Je...je !
De quelle Hinano venaient ces mots.
Hinano se déchainait dans la pièce. Les manuels scolaires, le matériel pour écrire, et plein de petits trucs furent renversés par terre, ainsi que des outils, comme un marteau, une scie, et autres dont je n'avais pas envie de réfléchir à leur utilisation. Elle renversa la chaise sur laquelle j’étais attaché.
L'épaule d'Hinano tapa le mur, et son dos frappa la porte. Cela montrait que dans le corps d'Hinano, un combat violent avait lieu.
- ...Je ne te laisserais...pas...faire du mal...à Hideto.
J'aperçus un des yeux d'Hinano, dont les longs cheveux recouvraient le visage. Au fond de cet œil, il y avait une brillance que je connaissais.
Hinano s'éloigna de plus en plus de moi, et elle finit par ouvrir la porte de la chambre en s’appuyant dessus comme si elle tombait, et sortit à toute vitesse dans le couloir.
L'autre Hinano éloignait son corps pour me protéger.
Après avoir attendu le bruit d'ouverture de la porte de la maison, les gémissements stoppèrent. Hinano semblait être sortie de la maison.
Il fallait que je sorte d’ici tant que je le pouvais.
Heureusement, grâce au gros bordel qu'elle avait mis, il y avait au sol plein d'outils qui avaient l'air utilisables. Je tirai vers moi tant bien que mal la scie jusqu'à ma main et grattai la ceinture en cuir qui m'attachait le bras droit pour la retirer.
Je pris plus de temps que je ne pensais, mais j’étais parvenu à retirer tout ce qui m'attachait. Une fois devenu plus léger, je courus en direction de l'endroit où avait disparu Hinano.
Je traversai le couloir en courant, et sortis de l'entrée. La lumière de la lune m'accueillit.
Et sur le trottoir, quelques mètres plus loin de l'entrée, Hinano était allongée.
- Hinano ! Tu vas bien ?
Je m'apprêtai à m'approcher en panique, mais m'arrêtai immédiatement.
À côté d'elle, une personne que je connaissais était penchée. Cette personne regardait si Hinano avait du pouls en mettant sa main sur son poignet.
- ...Ça va. Elle s'est juste évanouie à cause de l'afflux de souvenirs qui dépassait la capacité de son cerveau. Mais je ne sais pas quelle personnalité d'Hinano Minami sera la principale quand elle se réveillera, alors je te recommande de t'enfuir tant que tu le peux.
Je connaissais cette voix.
La personne à côté d'Hinano se leva doucement. Tout en retenant avec sa main droite ses cheveux demi-longs qui s'agitaient à cause du vent de nuit, elle sourit. Son sourire était encore plus fait que la lumière de la lune.
Il ressemblait à celui de la Asami que j'avais l'habitude de voir, mais c'était la première fois que je voyais un tel sourire.
- Bonsoir, Hideto Yugami.
- ...Tu...n'es pas...Asami ?
Son visage, son physique, sa voix. Peu importe lequel on prenait, ils correspondaient tous à ceux de l'amie d'enfance gravée dans mes souvenirs. Asami. Elle était avec moi juste avant qu'on lui fasse perdre connaissance au parc.
Cependant, l'expression sur son visage était différente. Je n'avais jamais vu un sourire comme ça chez elle.
Son sourire innocent qu’elle me montrait dans les univers où je m'entendais bien avec elle, ou encore son sourire d'idol qu'elle prenait quand tout le monde la regardait. Même moi qui connaissais beaucoup d'Asami différentes, c'était la première fois que je la voyais comme ça.
Elle affichait un sourire artificiel pour que je ne me méfie pas d'elle, tout en gardant une certaine distance avec moi. C’était un sourire de messagère qui se voulait amicale. Je ne connaissais pas ce visage calculateur d'Asami.
Pour donner un exemple, j'avais l'impression de voir la performance d'un acteur qui s'essayait à des films sérieux après avoir pris un nouveau départ, alors qu’il ne faisait que des comédies avant. Asami avait le même visage, et pourtant, l’expression qu’elle me montrait était complètement différente de ma Asami, il me mettait mal à l’aise.
J'étais très proche d'elle, mais là, elle ne ressemblait pas à mon amie d’enfance. C’était comme des lignes asymptotiques qui ne se croisaient jamais, peu importe à quel point elles se rapprochaient.
- ...Qui es-tu ?
- Ah, tu as remarqué ? Ça se voit ? L'intuition humaine n'est pas à prendre à la légère, pas vraie ?
La jeune fille ressemblant à Asami était surprise.
Je venais d’avoir un problème avec Hinano, alors rien ne me disait que la même chose ne se reproduirait pas. Je m'abaissai afin de pouvoir m'enfuir à tout moment.
- Évidemment, je suis la Asami Tomonaga que tu connais bien. ...Celle d'un autre univers, par contre. Celle d’un monde que tu n’as jamais visité.
Dit-elle avant de faire un signe V à l'horizontale au niveau de son œil droit. Ce geste était celui de la Asami idol, mais il y avait quelque chose de clairement différent ici.
- ...Réponds-moi. Qui es-tu ?
- OK, je vais t'expliquer. Allons dans un endroit où on ne sera pas dérangé. Il se fait tard, en plus.
6
Après avoir ramené Hinano inconsciente dans sa chambre, on partit d'ici.
Tout en marchant dans ces rues plongées dans la nuit, j'adressai la parole à Asami qui marchait un peu plus loin devant moi.
- ...Si t’es vraiment Asami, t’es au courant que t’as perdu connaissance au parc, pas vrai ?
- Évidemment que je sais, même si la moi de ce moment-là n'est pas moi.
Pour le moment elle était calme, mais je ne savais pas quand elle allait se transformer, comme cette Hinano avait fait.
Je restais sur mes gardes, et étais prêt à fuir n'importe quand.
- Pourquoi t’es sortie soudainement ? Car Hinano t'a fait perdre conscience au taser ?
- Oui, bonne réponse. Hinano a assommé la conscience de l’autre Asami, alors plus personne ne contrôlait le corps. Mes souvenirs et ma personnalité ont commencé à se déverser dans celui-ci, et j'ai pu prendre les reines. Cet univers, je vais l’appeler « le monde unifié », est instable, alors si l'occasion se présente, il est possible que la personnalité des individus change de l’une à l’autre.
Asami se retourna vers moi.
- ...
Je ne parvenais pas à me débarrasser de ce malaise que j’avais en la regardant. En apparence, il n'y avait aucun doute qu'elle était Asami, mais j'avais l'impression de discuter avec quelqu'un que je rencontrais pour la première fois. Non, c'était la première fois que je rencontrais cette Asami.
On retourna au parc où l'on s'était fait attaquer par Hinano.
- Maintenant qu'on est là, tu vas me le dire ? Qui es-tu ?
Lui demandai-je en me tenant face à elle. Elle commença à faire de la balançoire.
- Pour toi, je suis la Asami Tomonaga d'un univers parallèle. J'ai été mêlée à cette unification des mondes, comme tous les autres humains, et maintenant, je suis ici.
- Je le sais, ça. Mais si c'est le cas, t’es bizarre. Pourquoi tu connais les mondes parallèles ? Tu as saisi aussi que ce monde est le résultat d’une fusion. Et à t'entendre, tu sais aussi pour mon pouvoir.
- Oui. Concernant ça, il faut d'abord que je te parle de mon monde d'origine. ...Et donc, question. Qui est le physicien qui a proposé la théorie de la relativité ?
- Hein ?
Soudain, elle me posa une question sous la forme d'une émission de quiz.
- Hé ? Tu sais pas ?
- ...Tu te moques de moi, non ? Einstein. Le vieux aux cheveux blancs qui tire la langue.
Je savais au moins ça. En mettant de côté le contenu de la théorie de la relativité en elle-même.
- Ra...té ! Dommageeee.
- Hein ?
J'avais lâché 2 fois Hein ? en très peu de temps.
- En réalité, c'était Isaac Newtooon !
- Pas du tout. Newton c'est celui qui a vu une pomme tombée et découvert la gravité universelle, non ?
- Je vois, ça s’est passé comme ça dans ton monde.
- C'est pas pareil dans le tien ?
- Non. Dans mon monde, c'est Newton qui a établi la théorie de la relativité, et Einstein, lui, a complété la théorie des supercordes. Enfin, pour faire court, mon monde a 100 ans d'avance en physique par rapport au tien et les autres. Donc la théorie sur les mondes parallèles a été complétée des dizaines d'années auparavant, et la technologie pour les observer a été inventée. Au point où on choisit des agents pour traverser les mondes parallèles, et collectait des informations sur eux. Bien sûr, je suis l'une de ces agentes.
- Comment ça, une technologie d'observation ?
Asami sourit, et toucha avec son index, son front.
- Haha, je suis comme toi, j'ai le pouvoir de me déplacer dans les mondes parallèles.
- Donc vous aussi vous pouvez aller au monde des portes ? Pourtant j'ai jamais vu personne d'autre que moi là-bas.
Asami sourit comme une professeure répondant à la question d'un élève.
- Je vois. Dans ton cas, c'est des portes. L'endroit pour se déplacer dans les mondes parallèles est lié à notre image personnelle, alors tout le monde voit quelque chose de différent, et personne d'autre que soi-même ne peut y entrer. Soit dit en passant, dans mon cas, c'est un endroit avec plein de fenêtre, mais selon les personnes, c'est une bibliothèque remplie de livres, ou des tunnels, par exemple.
Je vois. Ceux avec le pouvoir de se déplacer dans les mondes parallèles possédaient leur propre monde des portes.
Donc c'était pour cela que je n'avais jamais vu personne d'autre que moi dans le mien. C'était logique.
- Pourquoi j'ai obtenu ce pouvoir ? Car je me suis cogné la tête lors d'un accident, c'est ça ?
- Oui. Tu as endommagé une certaine partie de ton cerveau, et tu es devenu capable d'observer les mondes parallèles. Dans mon monde, on provoque ça artificiellement en subissant une opération chirurgicale de remodélisation du cerveau, que l’on appelle KR-3. Mais ce n'est pas pour autant que tout le monde peut avoir ce pouvoir. Les capacités du cerveau sont complexes, il y a beaucoup plus de chirurgie qui ne se passe pas bien que l’inverse. Et pourtant, tu l'as eu par un accident. C'est un cas extrêmement rare, même si on prenait en compte tous les mondes parallèles.
- ...Je me doute. Plusieurs mois se sont écoulés depuis mon accident, mais tu es la première que je rencontre qui connaît l'existence des mondes parallèles.
- Moi aussi, je suis surprise de voir un Jaunter ...Euh, c'est le nom que l'on donne à ceux capables de traverser les mondes parallèles dans mon monde... Je m’attendais pas à tomber par hasard sur un Jaunter.
À l'entendre en parler avec excitation, c'était surement la vérité.
- Bien, j'ai compris qui tu étais vraiment. ...Mais, c'est quoi ce phénomène dans lequel le monde est en proie actuellement ? Pourquoi les mondes ont fusionné ?
- Détends-toi. Je vais t'expliquer une chose à la fois. D'abord, concernant le monde où j'étais...Pour que ce soit plus pratique, je vais l'appeler, le monde avancé. Là-bas, la science a plus progressé que les autres univers. ...Et donc, comme je disais avant, dans le monde avancé, on créait des Jaunters artificiellement, et investiguait des mondes ici et là. Moi aussi, je me synchronisais au moi de plein d’univers, et rassemblais des informations. En fait, je t'ai rencontré plusieurs fois. Ah, pas le Hideto qui vivait dans ce monde, mais le toi ici.
Asami tapota avec son doigt sur mon torse, comme si elle tapait mon cœur.
C'était compliqué, mais en résumé, le moi qui possédait le don de pouvoir se déplacer dans les mondes parallèles avait déjà rencontré la Asami du monde avancé pendant qu’elle investiguait d’autres univers.
- Tu étais au courant depuis le début que je me baladais dans les mondes parallèles ?
- Je n'avais pas de preuve sure. C'est juste que parfois, tu devenais incroyablement perspicace, et soudain, l'instant d'après, tu oubliais ce que tu avais fait juste avant. C'est un symptôme typique que l'on peut voir chez ceux qui se synchronisent à leur autre soi. Mais comme je le disais avant, c'est très rare que des Jaunters naissent par accident. Au cas où, j'ai fait un rapport à mes supérieurs, mais je n'en étais pas convaincue.
Je ne pouvais pas savoir ce que devenait l’autre moi après que je parte.
J'étais comme un fantôme marchant dans les mondes parallèles. Je répétais la prise de possession de moi du monde A, et changeais pour le moi du monde B. Pour le moi du monde A que je quittais, les souvenirs durant l'intervalle où je prenais possession ne lui restaient que vaguement. Je synchronise mes souvenirs seulement durant l'intervalle dans lequel je le possédais.
- Bref, je reprends. Dans mon monde, les Jaunters mènent des enquêtes sur les mondes parallèles et font des recherches dessus, et tout juste récemment, nous sommes arrivés à une conclusion. ...Enfin, pour faire court, on est arrivé à la conclusion que Vous trouvez pas qu'on n’a pas besoin de monde parallèle ? haha.
- Attends un peu !
Inconsciemment, je criai.
Asami sursauta. Elle était surprise.
- Hé ?
- Pourquoi vous en concluez que vous n’en avez pas besoin ? Je dis pas d’échanger beaucoup avec les autres univers, mais il n'y a pas non plus de raison d'être agressif et de les supprimer non ?
Dans ma tête, les multiples mondes que j'avais visités jusqu'à présent me revenaient.
Asami, l'idol. Hinano, la présidente du conseil des élèves. Jiyuri, ma demi-sœur. Et les autres. Je me souvenais des personnes que j'avais rencontrées dans ces univers. Comment pouvait-elle vouloir tout faire disparaitre ?
- ...
- Pourquoi tu dis rien ?
- Euh, désolée, je ne pensais pas que tu allais dire ça. Je suis troublée là, haha.
Asami se gratta la tête, comme si elle était embarrassée.
- Il y a plein de raisons à cette décision. Mais en gros, apparemment, ils ne pouvaient pas permettre que des possibilités stupides de l'humanité existent.
- Par exemple ?
- ...Hmm, toi-même, tu vois de quoi je parle, non ?
Asami avait le regard boudeur, comme si elle faisait une blague, mais soudain, elle prit un visage sérieux et me regarda. La pureté qu’elle avait dans ses yeux me faisait hésiter à dire quelque chose.
Oui, moi aussi, j’étais au courant.
Tous ces univers auxquels j'ai jeté un coup d'œil depuis mon monde des portes.
J'avais vu de près les possibilités négatives qui pouvaient exister. Elles étaient infinies.
Je n'étais entré dans quasiment aucun de ces univers. Je savais que j'allais me synchroniser à des souvenirs désagréables, alors je ne m'en étais pas approché.
Asami avait surement dû visiter ces mondes pour enquêter. Elle a partagé sa mémoire avec celle des Asami qui y vivaient. Qu'avait-elle pu ressentir à ce moment-là ?
Dans ce cas, je n'avais peut-être pas le droit de la critiquer.
- Enfin bon, au final, le plan d'unification ne s'est pas bien passé. Tu le vois bien, pas vrai ? Les univers se sont mélangés. C’est pas le résultat que mon monde voulait.
- Donc vous avez échoué ?
- Oui. Les possibilités de monde parallèle, qui auraient dû se contracter en une seule, sont apparues partout, et résultat, on a ce monde où la fusion a été incomplète.
- Vous avez voulu réécrire ceux que vous étiez dans les autres mondes, et c'est vous qui vous êtes fait réécrire, c'est ça ?
C'était une petite consolation, au moins.
- C'est aussi par ta faute qu'on en est là, tu sais ?
- Comment ça ?
- D’accord, c'est le monde avancé qui a enclenché la fusion, mais on en est là parce qu'un Jaunter imprévu, en l’occurrence toi, existait. On comptait faire en sorte que les autres univers soient absorbés par le monde avancé, mais inconsciemment, tu essayais de maintenir l’existence des autres mondes parallèles. Résultat, nos deux camps tiraient tous les deux la corde, et tout a fini par être mélangé.
- Attends, attends. Vous étiez au courant de mon existence, et vous avez quand même forcé la mise en place de votre plan ? Vous ne vous êtes pas dit que j’allais peut-être tout faire capoter ?
- Apparemment, on a dit à ceux qui ont lancé l’opération que tu n’étais pas un facteur important. C'est rare qu'un Jaunter naisse dans un monde qui n'est pas le monde avancé, mais ce n'est pas complètement impossible non plus. Et de base, il y a beaucoup plus de Jaunter dans le monde avancé, alors ils pensaient qu'avec notre nombre, ça irait. On pensait pas du tout que toi tout seul, tu allais tout chambouler.
- Mais ça vient d'où cette logique comme quoi parce qu'il y a beaucoup de Jaunters dans un monde, les autres univers seront absorbés dans celui-ci des Jaunters ?
- Euh, d'abord, un monde repose sur la faculté d'observation de chacun des individus qui y vivent. C’est comme en démocratie, elle fonctionne comme tel par ce qu’elle repose sur le pouvoir de vote de chaque personne. Je reprends avec les univers parallèles. Si l’on veut unifier les mondes, il y a aussi, en un sens, une sorte d’élection pour savoir quel monde va prendre les reines, et absorber tous les autres. Les humains normaux ne peuvent vivre que dans un seul monde, donc quand le vote a lieu, ils ne peuvent donc voter qu'une seule fois. Mais les Jaunters...
- …Peuvent voyager dans d’autres d’univers, et donc, possèdent plusieurs tickets de votes, c'est ça ?
- Voilà. Bien sûr, on ne peut se déplacer que dans des mondes parallèles où nous existons déjà, alors même les Jaunters ont un nombre limité de votes.
Je voyais de quoi elle parlait. Je n'étais surement pas capable de me déplacer dans des mondes où je n'étais pas né.
- Je vois. Il y a des Jaunters dans le monde avancé, alors il est bien plus avantagé que les autres univers en termes de votes. Donc vous avez cru pouvoir réécrire tous ces mondes pour qu’ils ne fassent plus qu’un, mais dans le vôtre. ...C'est injuste, c'est pas de la fraude à l'élection, ça ?
- ...Sauf que ça ne s'est passé comme prévu. Il ne peut y avoir qu'une seule raison. Tu possédais bien plus de votes, autrement dit, tu possédais plus de monde dans lesquels tu pouvais te déplacer, que les Jaunters du monde avancé. Et ça, c'est bien plus injuste. Enfin, dans ton cas, tu n'as pas utilisé ces nombreux votes pour voter pour ton monde d’origine, mais inconsciemment, tu les as distribués à d'innombrables autres univers. Au final, plein de mondes étaient serrés en votes, et ça a donné cette fusion où tout est mélangé.
Ooh ! J'avais fait le beau jeu. Même si je ne me souviens de rien.
- Les mondes ont mal fusionné, et grâce à ça, la moi du monde avancé qui aurait dû être absorbé, je peux sortir. Et pour ça, je te remercie. Bref, il n'y a que toi qui puisses remettre les mondes en ordres.
- Et je dois faire quoi ?
- Tu en as déjà fait l'expérience. Rappelle-toi de ce qui s'est passé avec Hinano Minami.
- ...C'est devenu un souvenir inoubliable, hélas.
Ce trauma était bien engravé en moi.
Je risquais de le voir en rêve.
- À ce moment-là, tu appelais la Hinano Minami que tu connaissais pour qu’elle sorte de l'intérieur de son autre Hinano, pas vrai ? Et ça a porté ses fruits, les deux sont rentrés en conflit.
- Ah, oui, c'est vrai. Honnêtement, je n'ai pas bien compris ce qui s'est passé non plus.
- Ce monde unifié est un monde où tous les univers parallèles ont été absorbés. Et ce que tu as fait tout à l'heure, c'est essayer d'observer une possibilité contractée en Hinano. Le processus a été interrompu en cours de route, mais si tu avais continué, je pense que tu aurais pu libérer la Hinano Minami qui est absorbée à l'intérieur de la Hinano actuelle.
- Euh, ces...possibilités contractées ? C'est quoi au juste ?
- Hm, difficile à expliquer. ...À l'origine, notre monde repose sur des d'observations. On parle alors de « principe d'incertitude », et on le retrouve en physique quantique. Tu connais ? C’est ce truc comme quoi la position et les mouvements des Quantums ne peuvent être exprimés que par des probabilités. En revanche, on ne peut pas en mécanique newtonienne. Autrement dit, dans le macromonde dans lequel on vit, ce principe n’existe pas, tu me suis ? Par exemple, tu n'existes pas à Tokyo et à Osaka au même moment. Par contre, en mécanique quantique, c’est possible. Pour trouver une solution au chainons manquant entre cette mécanique quantique et la mécanique newtonienne, il y a une façon de penser qui dit que la probabilité des quantums sont resserrés par les observations. Et donc, dans cette façon de penser, on y retrouve deux interprétations. L'interprétation de Copenhague et l'interprétation d'Everett...
- ...Ça va être long ?
- Intéresse-toi un peu à ce que je raconte, quand même ! En plus, je t'explique en me basant sur ton monde.
Asami baissa les bras, déçue.
- Pour le moment, je vais juste te dire les points importants. Dans l'interprétation de Copenhague, en observant la probabilité des quantiques, ils se contractent en une seule probabilité. Autrement dit, il existe une possibilité pour la position du quantum de se trouver à A, ou à B, et dans le cas où le résultat de l'observation est A, on pense que la probabilité B a été contractée dans A.
- Je vois, je vois.
Au passage, je ne comprenais pas très bien.
- Dans l'autre interprétation, celle d'Everett, on pense que les observations divisent le monde en autant de possibilités que de quantique possible. On l'appelle aussi l'interprétation des mondes multiples. En d'autres termes, en observant, la probabilité se divise en mondes. Celui où le résultat est A, et celui où le résultat est B, et ils se rejoignent. Comme tu en as eu l'expérience, résultat, c'est l'interprétation d'Everett qui est correct. Enfin, peu importe laquelle est la bonne, la position des quantiques est définie par l'acte de l'observation. Bref, le monde repose sur des observations.
- OK... Et donc, dans l'interprétation d'Everett, pourquoi on est capable de se déplacer dans les mondes parallèles ? Les personnes normales ne peuvent pas, non ?
- Oui, on utilise l'effet quantique du cerveau. La conscience humaine émerge grâce à l'effet quantique des microtubules des cellules du cerveau. Pour faire court, le cerveau humain est un ordinateur quantique vivant.
- Désolé, mais tu peux me parler en japonais ?
- Pardon, patiente encore un petit peu.
Asami tendit la main droite comme si elle disait d'attendre à son chien.
- Parmi l'une des natures étranges des quantiques, il y a un phénomène que l'on appelle l'intrication quantique. C'est difficile à expliquer aussi, mais c'est une pensée qui veut qu'entre plus de 2 quantiques dans un état d'intrication quantique, un câble transparent afin d'échanger des informations les connecte. Quand on écrit une information dans le quantique A, l'information passe par le câble et atteint B.
Euh, en gros, peu importe à quel point des jumelles étaient éloignées, elles comprenaient vaguement où l'autre se trouvent, comme si c'était de la télépathie. Quoi que je pense que ce n’est pas ça.
- Le soi des mondes parallèles et le soi présent sont dans une sorte d'état d'intrication quantique. Il y a une infinité d’autre soi, tous liés entre eux par une infinité de câbles. Bien sûr, pour autant, cette capacité du cerveau humain est restreinte. On ne peut accéder à son soi d’autres mondes parallèles. Mais dans notre cas, à toi et moi, les facultés de nos cerveaux ont augmenté, et on est capable d'affecter la conscience de nos autres soi qui sont dans un état d'intrication quantique dans d’autres univers parallèles. Voilà la raison pour laquelle on peut se déplacer dans les mondes parallèles nous deux, et les autres Jaunters.
Dit-elle en se tapotant l'arrière de la tête.
- Et donc, le monde dans lequel on est actuellement est un monde selon l'interprétation de Copenhague, où les univers parallèles, à l’origine divisés, ont été unifiés en un seul et même monde. Il est dans un état où les probabilités sont contractées en une. SI on parvient à sortir chacune de ces probabilités contractées, et les observer, les univers se rediviseront chacun en leur propre monde, et on reviendrait dans le monde d'origine de chacun, celui de l’interprétation d'Everett. C'est comme démêler des files emmêlées. T'as compris ?
- ...Et je dois faire quoi ?
- Ah, t'as rien compris, pas vrai ?
- Chut. Je m'en fous de la logique. Dis-moi juste comment faire pour qu'on retrouve un monde de l'interprétation d'Everett.
- ...Tu me demandes ça, mais moi aussi, c'est la première fois que je suis dans cette situation. En plus, le pouvoir de Jaunter de mon monde et ton pouvoir n'ont pas l'air d'être la même chose.
- Hé ? Ah bon ?
- Si on avait le même pouvoir, les mondes n’auraient pas fusionné comme ça. Comme je t'ai dit avant, tu as trop de tickets de votes. C'est injuste.
Elle bouda, et me regarda hostilement, comme jalouse.
- Enfin, je suis très curieuse de ton pouvoir, mais d'abord, il faut qu'on rentre les choses à la normale. C'est juste une supposition, mais si on se sert du même principe que ce que tu as fait avant à Hinano, ça pourrait peut-être marcher. Tu as fait sortir les possibilités contenues dans Hinano. Suffit de faire la même chose. Bref, concentre-toi. Regarde-moi bien. Ou même cet endroit. Tu ne nous vois pas comme si d’autres moi et d’autres endroits étaient superposés ? Garde à l'esprit les possibilités possibles. Cherche les différences.
Je repris d’abord une respiration calme, et plaçai Asami au centre de mon champ de vision.
Asami était assise sur la balançoire.
En mettant de côté le mental, en apparence, elle était belle.
Je continuai de fixer mon amie d'enfance, que je pensais être habitué à regarder, mais ne l'étais pas en réalité.
Je me concentrais comme quand je me rendais au monde des portes.
Asami se flouta. Ses contours bavaient. C'était comme si on l'avait superposé plusieurs fois. S'agissait-il des Asami des innombrables univers parallèles contractés en elle en ce moment ?
- Oui, comme ça, c'est bien. Maintenant, essaye d'agrandir ta cible d'observation. Mets-toi à l'échelle de l'espace.
Elle venait de demander quelque chose de très absurde.
Bref, je me concentrai encore plus, et ma conscience sortit de mon corps.
Mon champ de vision gagna en altitude rapidement. Je voyais le parc en dessous de moi. Ma vue grimpa encore plus haute. Je pouvais voir toute la ville désormais. Je gagnais en hauteur de plus en plus, et je voyais de Hokkaido à Okinawa. En un battement d’œil, même l'ile du Japon était devenue petite. La Terre prit la taille d'un ballon de basket. Et dès l'instant d'après, elle rétrécit. J'apercevais le système solaire maintenant, telles des boules roulant sur un billard.
Sans m'en rendre compte, je me tenais à l’échelle de la galaxie. Avec ce point de vue, je comprenais bien que le système solaire était insignifiant, encore plus petit qu'un grain de poussière. Mais même cette galaxie n'était elle-même qu’un grain dans l'espace. J’étais en face du cosmos.
Oh, c'est donc à ça que ressemble l’espace. Je m’imaginais vaguement une sphère ou du gaz, ce genre de forme, l’univers que j’avais en devant mes yeux ressemblait à un simple fil.
...Hm ? Mais alors à travers les yeux de qui je suis en train de regarder l'espace ?
...Je vais pas trop y réfléchir. Si je réalisais à quelle entité appartenait ce point de vue, je risquais de ne plus pouvoir redevenir humain.
Bref, je regardai intensément le fil de l'espace devant moi.
Puis comme Hinano et Asami, il commença à se flouter. Il avait l'air de bouger doucement, telles les cordes d'un violon ou d'une guitare. Les vibrations à gauche et à droite du fil dessinaient des traces ressemblant à des images rémanentes.
Ces images rémanentes seraient les mondes parallèles ?
J’étais surpris d’avoir réussi aussi facilement.
C’était pas compliqué, j’avais l’impression de l’avoir déjà vécu. C'était décevant.
- Je vois.
Rassuré, j'arrêtai de me concentrer, et stoppai mon observation.
À cet instant, ma conscience qui avait grossi jusqu'à l'échelle de tout l'espace explosa en un instant, et reprit une taille humaine. Les vibrations du fil de l'espace avaient probablement immédiatement faibli et s'étaient arrêtées.
Mon point de vue revint au parc. Là où mon corps était.
Les bavures autour d'Asami étaient aussi revenues à la normale. Grâce à ça, je voyais bien qu'elle avait la bouche grande ouverte de surprise.
- Hé ? Attends, tu fais quoi ? Pourquoi tu arrêtes l'observation ? Tu avais les yeux secs ? Tu veux que je te mette des gouttes ?
C'était un peu drôle de voir la Asami du monde avancé confuse.
- Non, j'ai compris pour le moment que je pouvais remettre les choses dans l'ordre. Mais je me disais que c'était encore trop tôt.
- Hein ? Tu veux continuer de profiter de ton harem dans ce monde ?
- Mais non ! Je voulais te demander quelque chose.
Ce n'était pas quelque chose que je venais d'avoir en tête. En réalité, ça faisait un moment que j’y pensais.
Asami était perplexe. Je saisis sa main et sortis du parc en courant.
Je n’avais qu’une seule destination en tête.
7
- Pfff, je m’en doutais.
En pleine nuit. Dans un silence comme si même le temps s'était endormi, Asami et moi nous tenions devant une maison. Asami soupira, comme si elle avait deviné ce que je voulais faire.
- Dans ce cas, ça veut dire que t'es prête, pas vrai ? T'as la clé, non ? Allez, entrons.
Je mis un pied sur le terrain appartenant aux Tomonaga, nom qui était aussi inscrit sur la plaque. Toutefois, Asami me barra la route.
- J’ai pas envie de rencontrer les parents de l’autre Asami. ...Je sais ce que tu veux dire. Tu veux que je donne un dernier mot à ses parents en son nom, ou un truc du genre, non ? Alors, oui, c'est un conte émouvant d’offrir un message de remerciement à des parents qui ont perdu leur fille qu’ils croyaient disparue à jamais. Toute l'Amérique pleurerait.
Elle jeta un coup d'œil à la porte derrière elle, et se retourna vers moi.
- ...Mais tu trouves pas ça cruel ? Au final, il faut qu'ils vivent dans leur monde à eux, tu sais ? Les événements du monde unifié ne sont qu'un rêve éphémère, même si c'est triste pour eux.
- Je m'en fous de ton avis. C'est ce que pense la Asami qui est en toi qui m’intéresse ? Ça ne la dérange pas de laisser les choses comme ça ?
- La moi...à l'intérieur de moi ?
- Toi aussi, tu as les autres Asami des mondes parallèles en toi, non ? Parmi elles, il y a forcément la Asami qui a été séparée de ses parents par la mort. Elle dit quoi, elle ? Elle compte pas utiliser cette dernière occasion de les revoir ?
Dis-je à la lumière au fond des yeux d'Asami.
À cet instant, Asami grimaça. Comme si elle avait eu soudainement mal à la tête.
- ...Reste tranquille, toi.
Elle avait surement eu un flashback des souvenirs d'une des Asami des autres univers parallèles, comme quand j'ai rencontré cette Hinano, et que les souvenirs d’un autre Hideto en moi ont afflué.
- Tu vois, tu veux leur dire au revoir avant la fin, pas vraie ?
- ...Pas juste ça. Elle pleurniche, elle veut que le monde unifié reste comme il est.
- ...Euh, c'est...
Forcément. Dans ce monde, les parents et enfants séparés par la mort pouvaient se revoir. Ils pouvaient vivre ensemble. Évidemment qu'elle souhaitait ça.
- Ne t'en fais pas. Je peux me contrôler. Les autres Asami ne prendront jamais le contrôle de ce corps...elles sont juste un peu bruyantes.
- Je vois, tant mieux. Désolé de t'embêter.
Je m'excusai.
- Mais, tu veux quand même pas écouter un peu ce que les autres demandent ?
- ...
Asami fronçait de plus en plus les sourcils. Peut-être parce qu’elle endurait la voix des autres Asami qui haussait le ton, ou peut-être, car l’amie d’enfance en face de moi était simplement en train d'hésiter. Son apparence ne me permettait pas de juger.
- Tu comprends, non ? Si toi aussi, t’as visité plein de mondes parallèles et t'es synchronisé avec de multiples toi. Les problèmes et le mécontentement des autres nous se synchronisent aussi. Ça t'es pas déjà arrivé de vouloir faire quelque chose pour les aider ?
Dis-je avec l'intention de persuader Asami pour de bon. Cependant, elle continuait de faire la grimace.
- Jamais. Les agents comme moi sont entrainés mentalement pour ne pas se faire influencer par le soi avec lequel on se synchronise. On pourrait pas rassembler des informations si à chaque fois qu'on allait dans un univers parallèle, on avait de la pitié pour le soi de ce monde, tu ne trouves pas ?
Dit-elle avant de toucher ses cheveux derrière avec sa main.
Je connaissais bien ses habitudes.
Quand Asami touchait ses cheveux sans raison, c'était quand elle essayait de refuser quelque chose, ou de mentir. Elle avait montré le même geste lorsque je lui avais déclaré ma flamme dans un autre monde parallèle.
Et maintenant aussi. Les doigts fins d'Asami peignaient les boucles de ses cheveux ondulés, encore et encore.
Jaunter qu'elle était, elle s’était surement rendue dans des tas de mondes différents, rencontrée d’autres Asami, et partagée leur peine. Elle avait forcément dû ressentir quelque chose. Mais même si je lui faisais la remarque, elle ferait la bornée et réfuterait.
Alors je baissai humblement la tête.
- Est-ce que tu ne pourrais pas quand même, cette fois, écouter la voix de ton cœur ?
- ....OK, OK, mais juste leur visage pendant qu'ils dorment. ...C'est le mieux pour moi, et aussi pour eux. Plus que ça, et on va juste se blessée.
On trouva un compromis, et on pénétra chez les Tomonaga.
L'instant où j'ouvris la porte d'entrée, je vis les parents d'Asami assis par terre. Ils se tenaient les genoux avec les bras, comme des enfants, et attendaient à l'entrée que leur fille rentre. Toutefois, leurs yeux étaient paisiblement fermés, et leur respiration était petite, contrairement à ce que je m’étais imaginé.
- ...Ils attendaient que tu rentres et se sont endormis.
- ...Maman, papa.
Je poussai légèrement le dos d'Asami qui hésitait à entrer.
Je me contentais juste de la regarder s'approcher d’eux à tâtons. Je ne comptais pas m'en mêler plus que ça.
Après avoir regardé ses parents, elle observa les alentours, comme si elle était embarrassée. Puis elle ramassa une couverture tombée au sol à côté, et la posa timidement sur les épaules de son père et de sa mère qui dormaient.
- ...Tombez pas malade.
Chuchota-t-elle.
- ...Asa...mi...
Sa mère, qui ne savait pas que sa fille chérie était juste devant elle, parla dans son sommeil.
- ....Oui. Je suis là, maman.
Asami tendit la main sans bruit, et la posa sur la main de sa mère. Et avec son autre main, elle serra la main de son père. Ils restèrent comme ça pendant un moment.
Des larmes coulèrent silencieusement des yeux de sa mère, et tombèrent par terre en suivant les rides sur ses joues.
C'était des retrouvailles paisibles.
Seules 2 personnes connaissaient la vérité derrière ce miracle.
- Merci pour ce que vous avez fait pour moi jusqu'à maintenant.
Laquelle des Asami avait réellement prononcé ces mots, resta un mystère.
8
- Bon, ça y est, t'es contente ?
Dis-je en regardant à Asami l'entrée de dehors des Tomonaga.
- C'est moi qui devrais te demander ça.
Asami me regarda avec des yeux plein de reproches.
- Toi, t'es content ?
- Oui, je pense que c'est mieux que de ne rien faire.
- Je vois, tant mieux alors.
Sa réponse était froide, comme si ça ne la concernait pas.
- Toi aussi, t'as senti quelque chose, non ? Même si vous n’avez pas eu la même naissance et la même éducation, tu es Asami Tomonaga aussi.
- Qui sait ? Si la naissance et l'éducation sont différentes, même si les gênes sont les mêmes, alors c'est une autre personne.
- ...T'es pas honnête non plus, pas vrai.
Même si elle avait l'apparence d’Asami, la personne devant moi n'était pas l’amie d’enfance que je connaissais. Je le réalisai.
Mais je voulais quand même croire qu'elle avait aussi les mêmes sentiments que les autres Asami. Elle a dit que les Jaunters ne se faisaient pas influencer par leur soi des mondes parallèles, mais c'était surement un mensonge. Si ce n'était pas le cas, cette Asami n'aurait pas coopéré à quelque chose d'aussi inutile que des remerciements.
- T'as plus de regret envers cet univers, maintenant, pas vrai ? Alors c’est le moment de se dire au revoir.
- Bien sûr. ...Mais avant, je veux te demander une dernière chose.
- Vraiment ? Il y a encore un truc ?
- Sur ce qui va suivre. Le machin d'origine, là, euh, E...eva, je crois ?
- Le monde selon l'interprétation d'Everett.
- Voilà, quand on serait retourné dans ce genre de monde, le monde avancé va aussi revenir à la normale, non ? Et il essayera encore de créer un monde unifié ? Et la prochaine fois, sans que ce soit un bordel comme maintenant, mais un monde qui aura pleinement absorbé les autres.
Asami réfléchit un instant.
- Qui sait, je ne sais pas non plus ce qui va se passer. Mais avec cet échec, ils savent qu'une unification parfaite est difficile, alors je pense que pendant un moment, les mondes parallèles seront tranquilles...
Toutefois, il restait des chances pour qu'ils répètent la même chose.
- Donc c’est possible qu'un monde unifié soit encore crée...
- Oui, ce n'est pas inenvisageable. Peut-être que la prochaine fois, ils réussiront, et tout sera absorbé impeccablement dans le nouveau monde unifié. Mais si ça arrive, personne ne remarquera.
Ça serait la pire chose qui puisse arriver. Je me ferais probablement absorber dans le monde avancé, et sans rien remarquer.
- S'il te plait. Essaye de changer les plans du monde avancé, il faut pas que quelque chose comme ce qui nous est arrivé là se reproduise. Ah, bien sûr, je compte pas tout te laisser faire toute seule. Je me synchroniserais au moi de ce monde et j'irais t'aider.
Asami afficha un sourire embarrassé.
- OK. Je vais faire ce que je peux de mon côté, alors ne viens pas dans mon monde.
- Mais je peux pas te laisser tout...
- Non, si tu viens de mon côté, il y aura des problèmes. Ils vont juger que les autres univers sont peut-être une menace pour le monde avancé, et qu'il faut s’en occuper avant qu'ils nous arrivent quelque chose. Alors, reste tranquille.
Effectivement, en y réfléchissant bien, si je me synchronisais au Hideto de son monde, ils risqueraient de voir ça comme une invasion.
- Au passage, le Hideto de ton côté, c’est un agent aussi ? Il pense quoi de ce plan d'unification ?
Je détenais en moi la possibilité du moi du monde avancé, alors je pensais pouvoir peut-être me synchroniser ses souvenirs, mais rien ne se passait, peu importe à quel point je l'appelais. Peut-être que la synchronisation de souvenirs entre deux Jaunters était difficile.
À ma question, Asami hésita à répondre.
- ...Hmm, en fait, je le connais pas trop le Hideto de mon côté. Par contre, oui, il est agent aussi.
Dit-elle, avant de se caresser les cheveux derrière.
- Tant pis si tu ne sais pas. Enfin bon, si t'as l'occasion de le voir, essaye de bien t’entendre avec lui.
L'Asami qui était là venait d’un monde très différent de l'Asami que je connaissais. Je ne serais pas surpris si une ou deux de ses habitudes étaient différentes. Son geste m’interpella, mais je ne fourrai pas mon nez plus loin.
C'était aussi parce que j'avais une peur vague de demander des détails sur le Hideto de son monde.
Donc je décidai de changer de sujet.
- Ça me fait penser, et de ton côté ? T'es idol aussi ? Comme la Asami que je connais ?
- Surement pas.
Asami rigola.
- Et de base, les idols n'existent pas dans le monde avancé. C'est un univers qui a abandonné ce genre de trucs inutiles.
C'était très perturbant de voir quelqu'un avec la tête d'Asami dire que les idols ne servaient à rien.
- De là où je viens, l'important c'est de contribuer au développement de l'humanité. La recherche en science, les études sur comment gérer une société efficacement, c'est ce type de science pratique qui ont le plus la priorité. Les livres, la musique, la danse, ces divertissements ne sont pas interdits, mais il n'y a pas de marché comme dans ton monde, alors ça reste purement un simple passetemps fantaisiste. Donc les idol n'existent pas non plus.
Et bien, il y avait un certain air de dystopie. Un monde froid et robotique, qui ne voit les humains que comme des engrenages qui font bouger la société.
Ce que je pensais était surement apparu sur mon visage, Asami prit un sourire froid.
- Pour leur défense, on va dire, les technologies médicales du monde avancé ont énormément progressé, alors on vit en bonne santé jusqu'à 100 ans. Tout le monde peut vivre longtemps en restant jeune, et le taux de suicide est de loin plus faible que celui de ton monde. La définition du bonheur dépend des gens, tu sais ?
Surement, oui. Mais dans mon cas, je ne pouvais vraiment pas m'imaginer une Asami qui n'était pas idol.
- Et toi, t’en penses quoi ? Qu'est-ce que t'as ressenti en te synchronisant à une Asami idol, alors que là d’où tu viens, c'est vu comme stupide ?
- ...Hmm, c'était étrange. C'est des mondes parallèles, alors c'est normal que ce genre d’Asami existe. Dans ma tête, je comprends, mais je peux pas m'empêcher de penser que ça ne me va pas.
- Tu trouves pas ça amusant ? T’as pas envie d’essayer ?
- Quoi ? Qu'est-ce que tu racontes, jamais de la vie, c’est trop gênant !
Elle agita fort les mains devant sa poitrine, les joues rouges, et me réfuta.
- Mais si, tu peux. T'es quand même Asami Tomonaga. Danse un peu pour voir, je vais te noter.
- Je t'ai dit, jamais !
Plus elle refusait fort, plus j'avais envie qu'elle le fasse.
- Vas-y, essaye. Allez, 3, 2, 1.
Je tapai dans mes mains au rythme du compte à rebours. J'essayai d'inciter l’idol en Asami à danser avec le son de mes clappements de mains.
- Aaaah. ...attends...euh...c'était comme...ça, je crois...
Tout en faisant renaitre en elle les souvenirs des Asami idols, elle commença à danser. Pour quelqu'un qui avait dit ne pas être influencé par les autres Asami, elle s'était fait facilement avoir.
Asami ouvrit doucement ses lèvres roses, et fit trembler ses cordes vocales. Il allait sans dire que ce qui en sortait était sans l'ombre d'un doute la même voix de chanteuse qu’avait aussi l’idol Asami. Elle chantait le premier single des Supest. Il s’agissait bien là de sa vraie voix, il n’y avait même pas besoin de scanner son empreinte vocale pour s’en rendre compte.
Sa voix et sa chorégraphie étaient comme les vraies idols qu’étaient les autres Asami.
Mais quelque part, il y avait quand même de la maladresse. Elle ne faisait que d'imiter la vraie. Elle ressemblait à Asami, mais il y avait quelque chose de différent.
La voir comme ça me rendait nostalgique.
À l'époque où Asami était encore très jeune, avant qu'elle ne souhaite devenir Idol. La petite Asami faisait comme celle en face de moi, elle imitait les idols et chantait. En ce temps-là, c'était surement en partie un jeu pour elle. Elle s'ennuyait d'être seule avec moi, alors elle avait juste commencé à jouer les idols pour se divertir.
En y repensant, c'était ses débuts.
Le chant et dance de l'Asami du monde avancé m'avait remémoré ces précieux souvenirs.
- ...Alors, tu en penses quoi ?
Asami termina sa chanson, et bomba fièrement le torse.
- Voyons voir...55 points, à peu près.
- Quoi, c'est pas beaucoup ! Tu blagues j’espère, il y a du favoritisme là ! C’est de la discrimination ! Tout ça parce que je suis pas une idol !
- C'est pas du favoritisme ni de la discrimination. C'est une notation juste. Ton jeu de jambes manquait d'agilité, et ta rotation en faisant des tours était un peu lente. De plus, tu te focus trop sur la danse, il y a des parties dans la chanson où l'intonation n'allait pas, c'est une grosse erreur.
- T'es cringe à faire ton connaisseur.
Ça m'énervait encore plus de me faire provoquer par quelqu'un avec la tête d'Asami.
- Compare-toi avec les souvenirs de ton toi idol. Tu vois bien que j'ai raison, non ?
- ...Tss.
Elle réfléchit un moment, et gémit. Il semblerait que cette Asami aussi ait compris la différence avec les vraies.
- Haaa... Ça doit pas être facile pour moi d'avoir un fan aussi chiant.
Elle lâcha un grand soupire, et tapa dans ses mains.
- Bon, allez, finis de discuter. Faut qu'on remette le monde dans son état normal maintenant. Regarde, le soleil va se lever.
Je mis une nouvelle fois Asami au centre de mon champ de vision. Puis je tendis la main de ma conscience jusqu'à l'espace.
J'étais un peu surpris de ma façon d'utiliser mes mains, comme si j’étais habitué à pratiquer cette action abstraite et conceptuelle. Comme si j'avais déjà fait la même chose par le passé.
Je donnai une pichenette au fil de l'espace.
Il trembla comme une corde, et commença à esquisser des vibrations.
Une autre pichenette. Encore plus violente. Je devais faire vibrer le fil plus fort, le faire trembler encore plus. Je devais créer des images rémanentes.
- Sur ce, salut, Hideto.
J'entendis la voix d’Asami en unisson.
J'avais la sensation que les autres Hideto à l'intérieur de moi se détachaient. Je pouvais également observer que les mondes qui étaient fusionnés jusqu’à maintenant, retournaient chacun à leur place respective, et commençaient de nouveau à s'étendre en parallèle les uns des autres.
- Bon, je te donne un conseil en guise d'adieu. Je me la raconte en faisant l'idol, mais je reste une fille normale, alors occupe-toi en bien, d'accord ?
Ah bon ? je pensais que t'étais quelqu'un qui même sans mon aide, allait toujours de l’avant toute seule.
- En plus, on sort ensemble, alors tu devrais faire des sorties avec elle. Vous n’en avez pas fait une seule jusqu'à maintenant, pas vrai ? Enfin, je comprends que tu sois timide, c'est une top idol, alors tu as peur des scandales. Mais force-la un peu, elle n'est pas contre, et peut être même que c’est ce qu’elle veut, tu sais ?
Oui, je sais. Je l'inviterai la prochaine fois. Merci.
L'instant où je m'apprêtai à lui répondre, tout était déjà terminé.
Dès le moment où je clignai des yeux, mon champ de vision devint tout noir. Même en les plissant, je ne voyais rien du tout. C'était un monde sombre, comme si on avait retiré la lumière des étoiles dans le cosmos. C’était un monde où rien n'existait. Un vide gigantesque. Un monde complètement noir, et qui me donnait l'impression qu'il allait absorber mon existence. En comparaison, même les trous noirs qui avalent la lumière semblaient être plus vivants que cet endroit.
Ça voulait dire que le monde était revenu à la normale ?
Alors c’est quoi ce monde des ténèbres ?
Un endroit perdu entre les mondes parallèles ? Comment je vais m’en sortir ?
Je suis tombé entre les dimensions, et je vais errer pour l'éternité maintenant ?
Nerveux, je fermai une nouvelle fois les paupières.
J'atteignis le monde des portes.
Contrairement à l'endroit d'avant, des portes de couleurs différentes étaient alignées dans un endroit tout blanc à en avoir mal aux yeux.
...Mais oui ! J'avais les portes !
Elles continuaient au loin sur ma gauche et à ma droite. En dehors des portes que je voyais devant moi, elles s’étendaient à l’infini.
Ça fait un bail.
Le monde était retourné à la normale. Celui selon l'interprétation d'Everett. Le bon univers, celui où une infinité d’autres mondes s'étendaient en parallèle.
Je regardai une nouvelle fois en face de moi. La bouche de la porte noire dont je venais de sortir était grande ouverte. Au fond de sa gorge, l'obscurité des ténèbres dévorait insatiablement jusqu’à la lumière même.
Après avoir fermé la porte comme pour sceller ces ténèbres, je m'occupai des autres portes.
L’endroit était rempli d’innombrables possibilités, comme autrefois.