Stereopticon Rotation La troisième option
- Si l'on détruit le système de boucle avant le mur, ça pose pas de soucis. C'est ce que ça veut dire ?
Merinoe soupira légèrement.
- Je vais pas dire non, mais il y a quelques problèmes.
- Comme quoi ?
- Le premier, on ne sait pas comment détruire le système de boucles. Il y a surement un appareil qui se charge de la majorité des calculs quelque part dans la ville, mais il faut le trouver. ...Enfin, si l'on se met à sa recherche et qu'on prend le temps qu'il faut, on peut régler ce problème.
- OK. Ensuite ?
- Le second, le système de boucles est relié au cœur du mécanisme de la cabine. On ne peut pas juste habilement casser une partie du mécanisme, et laisser le reste intact. D'ordinaire, les cabines sont autonomes, mais dans notre cas, elle ne fonctionnera plus si l’on casse la boucle.
- Ah, c'est...
En effet, c'est problématique.
- Tu peux pas utiliser tes pouvoirs étranges pour arranger le coup ?
- Plus ou moins.
- Ah d'accord, tu peux.
- Je pourrais pirater le mécanisme et prendre le contrôle de la cabine. Une fois que c'est fait, il suffirait de compenser manuellement son manque d'autonomie. Je peux vraiment pas dire que ça va être facile, mais... je devrais pouvoir y arriver.
Takumu ne s’attendait pas à ce qu’elle en soi capable, mais à sa surprise, Merinoe lui répondit très sérieusement.
- Supposons qu'on y parvienne. À partir de là, il faudra tenir combien de temps pour pouvoir détruire le mur ?
- Aucune idée. Quelques jours, ou peut-être quelques mois. Je ne pense pas qu'on aille jusqu'aux années, mais ça va surement prendre du temps.
Quelques jours. Quelques mois. Dans tous les cas, ça n'allait pas se faire rapidement.
- Le propriétaire de la cabine ne va pas rester à se tourner les pouces. On va devoir rester sur la défensive un moment. On a vraiment peu de chances de réussir.
Du moins, il n'y aurait aucun problème si Takumu choisissait l'un des deux choix précédemment énoncés par Merinoe. Détruire le mur et faire disparaitre la suite, ou abandonner la résolution du problème et vivre ici pour l'éternité. Les deux réussiraient forcément, et une conclusion conforme au choix pris lui était promise.
Cependant, cette 3e voie semblait un peu plus compliquée que les deux autres.
- En plus...
- Quoi, t'as encore un truc à me dire ?
- ...Non, ce n'est rien. Les risques dont je t'ai parlé sont les seuls dont tu as besoin de te soucier.
Merinoe haussa les épaules, et n'ajouta rien de plus.
Leur discussion s'arrêta là.
Takumu et Merinoe repartirent au centre-ville en marchant.
Ils se reposèrent sur un banc, tuèrent le temps dans une libraire, et marchèrent encore.
Ils s'égarèrent dans une galerie marchande.
On entendait de joyeuses voix faisant la promotion des produits des magasins. "Entrez, entrez, on sert de délicieux Chinchards ici, Madame. Vous n'avez rien prévu ce soir ?" Des élèves de primaires rentraient de l'école tout en se mettant d'accord pour un point de rendez-vous pour plus tard, puis ils partirent en courant pour retourner au sein de leur foyer respectif. Le duo écoutait l'album de la semaine qui sortait des haut-parleurs du magasin d'électroniques proche d'eux.
- Faisons-le.
Takumu fit part de sa décision à voix basse.
- Parmi les 3, c'est le choix dont je peux être le plus fier.
- Je vois.
Merinoe acquiesça sans montrer de surprise.
◇
- Je te l'ai dit tout à l'heure.
Merinoe leva le doigt.
- Il devrait y avoir un appareil... ou plutôt, un superordinateur en marche quelque part dans la ville. Il faut qu'on le trouve et le détruise.
- OK, ça commence enfin à ressembler à une vraie enquête.
Takumu frappa la paume de sa main droite avec son poing gauche, et afficha un sourire forcé.
- J'étais en train de rouiller, à faire que du tourisme dans les endroits de mes souvenirs.
- Moi, j’aurais voulu continuer encore un peu, je m'amusais.
Merinoe bouda.
- Tant pis. La question maintenant, c'est concrètement, comment on s'y prend ?
- Bah, à l'ancienne. Chercher des indices sur des photos en prise de vue aérienne, localiser l'endroit qui a une consommation anormale en électricité à l'aide des données des entreprises fournisseurs d'énergies, et si des matériaux spéciaux sont utilisés, alors enquêter sur la façon dont ils ont été obtenus. Il y a beaucoup de façons de faire, tu sais ?
Takumu lui exposa toutes les idées qui lui venaient en tête.
Bien évidemment, il était compliqué de les mettre en place dans un Tokyo isolé et bloqué dans le temps. Toutefois, Takumu ne voulait pas que ce soit une excuse pour baisser la tête qu'il venait tout juste de réussir à lever de nouveau.
- Enfin, si l’on part sur ça, va falloir qu'on lui en parle.
- Hm ? À qui ?
- À Hiiragi. Il est surement déjà au courant de quelque chose concernant le superordinateur, c'est quand même une super-machine utilisant une technologie extra-terrestre. Son utilisation a probablement été déguisée, mais elle est peut-être dans la base de données de la police.
Dit Takumu en fouillant sa poche. Il s'apprêta à sortir le PHS destiné à contacter Hiiragi qu'on lui avait donné lors de sa venue au département criminel d'investigation de Shibuya.
Néanmoins, il ne l'avait plus.
Takumu resta perplexe l'espace d'un instant, et prit un sourire amer en comprenant qu'il s'agissait d'un malentendu.
On lui avait donné le PHS la veille. À chaque boucle, ses affaires étaient réinitialisées, et aujourd'hui, il ne s'était même pas approché de Shibuya. Décidément, on s'y perd à force de répéter tout le temps le même jour, pensa-t-il.
(---Hm ?)
Quelque chose l'interpella.
Il avait le PHS sur lui hier, mais pas aujourd'hui. Il avait l'impression que ce fait expliquait toutes les choses étranges qu'il avait ressenties jusqu'à maintenant.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Rien, c'est juste que...
Il posa la main sur sa bouche, et réfléchit.
- Mais oui, sa cigarette...
Il se remémora encore autre chose, comme si tout était lié.
- Il me semble que...le nom de la marque était Idoromel Dore...et les effets...mais alors...pourquoi il aurait dit ça ?
Une théorie lui traversa l'esprit, tel le chuchotement d'un démon.
C'est impossible, pensa-t-il. Takumu refusait d'y croire. Il chercha des preuves lui permettant de réfuter sa supposition, mais il n'en trouva pas.
Le ciel gronda. Des nuages gris épais arrivaient.
Les passants se mirent à courir en panique. La pluie allait bientôt tomber.
- Ça va pas ?
- Faut que je passe un coup de fils.
- O...OK.
Il chercha une cabine téléphonique.
En 2002, tout le monde ne possédait pas sur soi un moyen de communication. Les cabines téléphoniques connaissaient un grand boom, il y en avait plus de 100 000 en fonctionnement rien qu'à Tokyo. Takumu en trouva donc une facilement.
Elle était installée à côté d'un petit parc, collée à un poteau téléphonique.
Il ouvrit la porte en verre en la poussant, et se faufila à l'intérieur.
Merinoe le suivit.
Les cabines téléphoniques n'étaient faites que pour une personne, alors à deux, elle était étroite. Takumu était sur le point de dire à Merinoe de sortir, avant de voir les nuages dans le ciel. La pluie allait tomber d'un moment à l'autre.
- Tu ne vas quand même pas me dire de sortir, pas vrai ?
Merinoe savait que Takumu n'était pas aussi cruel. Il claqua la langue.
- Non, mais ne la ramène pas.
- OK ? Je vois pas pourquoi tu me demandes ça, mais d'accord.
Il enfonça violemment une pièce au-dessus du petit plateau installé dans la cabine.
Il jeta un coup d'œil aux stickers collés partout sur le mur, dont pour la plupart étaient des pubs pour des magasins douteux, mélangés à des cadeaux que l'on donne parfois pour avoir acheté des bonbons au chocolat, et saisit le téléphone. Takumu se souvenait toujours du numéro, et le composa.
Environ 10 secondes après, quelqu'un décrocha.
- C'est moi. Tu as récupéré le ballon ?
Takumu se remémora la réponse 79D du livre-code à donner en cas de question sur les ballons.
- Le shérif est en train de ramasser les restes éparpillés au ranch.
À l'autre bout du fil, une voix approbatrice résonna.
- Je suis surpris qu'on m'appelle depuis une ligne publique. Si tu connais ce numéro et le code, tu es surement quelqu'un que je connais. Qui es-tu ?
- C'est moi, Azekura.
- ...Je connais pas ce nom, tu peux m'en dire plus ?
- Haha.
Takumu rigola un peu.
- Plus besoin de jouer la comédie, Monsieur. Vous n’êtes pas acteur, et vous n’êtes pas bon en plus dans ce domaine.
- Hm ?
Le médiateur vétéran semblait confus.
- Comment ça ?
- On sait tout, maintenant. Il y a pas que Merinoe et moi qui sommes au courant pour la boucle.
Takumu déclara fermement.
- Depuis le début, vous étiez au courant aussi, et vous faites partie de ceux qui protègent cette cabine. J'ai pas raison ?