La princesse et le pilote : Chapitre 6

From Baka-Tsuki
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De l'autre côté du pare-brise, au-delà du nez de l'appareil, les blancs cumulonimbus se détachaient en un net contraste sur le ciel bleu. On aurait dit une carte postale, mais Charles, agrippé au manche, avait l'air mécontent.

Il jeta un coup d'oeil à l'altimètre. Ils étaient actuellement à 4.500 mètres. La hauteur du cumulonimbus qui leur faisait obstacle était au moins de 10.000 mètres. Heureusement, il n'y en avait qu'un, si bien qu'il décida de le contourner.

Pour la première fois depuis qu'ils avaient décollé ce matin-là, Charles décrocha le tube acoustique.

Il n'avait pas du tout parlé à Fana depuis ce réveil des plus choquants. Il ressentait le besoin de le faire, même s'il devait se forcer. Il ferma les yeux, tentant de se calmer, puis il ouvrit la bouche, s'ordonnant à lui-même de parler normalement.

« Ma… Mademoiselle…. »

Mais ses mots trébuchaient malgré lui. Il se mordit la lèvre. Il faisait un effort pour parler de façon naturelle, quand la voix de Fana lui parvint à travers le métal.

« Que… Que se passe-t-il ? »

La voix de Fana tremblait elle aussi. Il n'était pas surprenant qu'elle ressente la même chose. Charles tenta de faire comme si rien ne s'était passé.

« Euh… Un cumulonimbus nous barre la route. Je vais donc changer légèrement de cap.

- Vraiment ?

- Oui. On dirait un nuage d'orage, je ne veux pas plonger à l'intérieur.

- Oh. Effrayant. »

Fana parlait de façon embarrassée, en choisissant ses mots, mais il savait qu'elle faisait de son mieux pour que sa voix paraisse normale.

«  Une fois que nous aurons dépassé ce nuage, je m'attends à voir des avions ennemis. Comme la dernière fois, je vous confie nos arrières, Mademoiselle. »

- Entendu. »

Ce fut la fin de cette conversation pleine de gêne.

Charles raccrocha le tube acoustique et soupira. Le fardeau qui pesait sur ses épaules depuis le matin s'était un peu allégé grâce à cet échange – peut-être. Il n'était pas vraiment nécessaire qu'il dise à Fana ce qu'il venait de lui dire, mais il voulait un retour à la normale pour le reste du voyage.

Chaque fois qu'il laissait tomber sa garde, la vision du matin lui revenait à l'esprit.


Ce matin-là, le ciel à l'est se colorait d'hyacinthe.

Charles était dans le demi-sommeil qui précède le réveil.

Une brume épaisse s'était levée de l'océan avant l'aube, c'était l'heure la plus froide de la journée. Il frissonnait, et tira sa couverture jusqu'au menton. Sentant sur son épaule une douce chaleur, il s'inclina dans cette direction d'un mouvement automatique.

Ça sentait bon, un parfum très pur. Il reprenait peu à peu conscience, mais il ne voulait pas sortir de la couverture. Il enfouit son visage dans cette chaleur. Ses neurones portèrent ce parfum jusqu'à son cerveau, qui réagit de façon très naturelle, en envoyant à son sexe l'ordre de se dresser. Charles ouvrit lentement ses yeux ensommeillés.

Et il s'aperçut que la douce chaleur émanait des seins de Fana, qui dormait contre son bras gauche.

N'en croyant pas ses yeux, il s'écarta brutalement et regarda une seconde fois le spectacle qui s'offrait à lui. Dans son maillot de bain blanc, Fana dormait encore, paisiblement. Sa couverture avait glissé à côté d'elle, et tous les deux avaient fini par partager la même.

Et il ne portait qu'un sous-vêtement de coton !

Il avait dormi peau contre peau avec la fiancée du prince impérial, et avait partagé la même couverture…

« Que... » bredouilla-t-il.

Et en réponse Fana ouvrit les yeux.

Tous les deux, à demi nus, se regardèrent.

Les yeux de Fana s'élargirent, et elle baissa le regard vers son sexe qui, continuant d'obéir à l'ordre du cerveau qu'il avait reçu plus tôt, s'offrit avec une évidence criante à sa vue pure et virginale.

Charles l'entendit très clairement s'étrangler.

Et les yeux couleur d'argent revinrent à son visage.

Et il vit devant lui s'ouvrir toute grande la bouche de Fana.

Peut-être devrais-je mettre des bouchons d'oreille, pensa-t-il distraitement.

« AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA !!! »

Charles affronta stoïquement ce hurlement déchargé à bout portant, sans que pour autant son sexe se relâche.

Lorsqu'elle se fut calmée, il lui expliqua ce qui s'était passé, que c'était une réaction naturelle chez les hommes, et qu'il ne pouvait vraiment pas l'empêcher. Il insista avec fermeté sur le fait que cela n'avait rien à voir avec sa volonté. Fana à son tour lui présenta ses excuses pour son insouciance de la nuit précédente, et dans le silence gêné qui suivit, ils enfilèrent tous les deux leur combinaison de vol. Sans autre parole ils décollèrent pour la troisième étape de leur voyage.


Ils dépassèrent le cumulonimbus et se retrouvèrent devant un stratocumulus, qui couvrait de son extrême largeur la plus grande partie de la perspective et empêchait de voir l'océan. En outre, le ciel au-dessus était dégagé, si bien qu'ils seraient très probablement aperçus par l'ennemi s'ils volaient plus haut.

Après réflexion, Charles décida de descendre sous l'épais nuage. Le pare-brise se couvrit de blanc, et peu de temps après la surface sombre de l'océan apparut devant eux..

A 1.000 mètres d'altitude, il corrigea le cap pour prendre la direction du nord-ouest. Après quelques heures, ils devraient voir la Grande Chute et feraient le point à ce moment-là.

Sous le nuage il pleuvait. L'eau ruisselait sur le pare-brise, mais du fait de la rapidité de l'appareil, les gouttelettes coulaient vers l'arrière. La visibilité était mauvaise. Charles scrutait sans relâche le ciel devant lui.

Ils entraient dans des parages dangereux.

Au nord se trouvait Awashima, au sud Iyojima, ces deux îles étant de gigantesques bases aériennes d'Amatsukami. Leurs avions pouvaient décoller en un rien de temps pour maintenir le blocus, et si le Santa Cruz était découvert, il serait pourchassé par d'innombrables Shinden en provenance de ces deux bases. Et pour couronner le tout, les flottes envoyées en patrouille à la recherche de Fana seraient aussi alertées, les mettant en danger d'être pris comme dans une toile.

La première priorité était donc de ne pas se faire apercevoir.

Ils devaient oublier les événements du matin et se concentrer sur la tâche qui les attendait.

Il y avait des trouées dans le stratocumulus qui les surplombait, à travers lesquelles on pouvait apercevoir de temps en temps le ciel bleu au dessus, tout à fait normal jusque là.

Plus ils avançaient, plus le brouillard s'épaississait.

La visibilité à l'avant comme à l'arrière devint encore plus mauvaise. Charles ne voulait pas descendre plus bas, parce qu'il ne pouvait pas voir la surface de l'océan, et restait donc juste en dessous du nuage.

Chez les pilotes, le talent, l'expérience et l'instinct sont tous les trois nécessaires à la survie.

Rares sont les pilotes qui ont de façon innée un sens primitif et inexplicable, la faculté de sentir les adversaires cachés et indétectables. De sentir la tension des aviateurs ennemis quand ils s'efforcent de rester dissimulés, et l'intention meurtrière qui émane d'eux. Etre capable de les repérer, d'agir le premier et de frapper plus vite était autrefois la marque des as de l'aviation.

Charles percevait une intention meurtrière.

Sa peau fourmillait sous l'effet de cette sensation anormale.

Sa main se crispa sur le manche, couverte de sueur. Il parcourut les environs du regard, mais ne vit rien. Il saisit le tube acoustique.

« Mademoiselle, pourriez-vous jeter un nouveau coup d'oeil ? Quelque chose s'approche.

- Entendu… Humm.

- Oui ?

- Je ne sais pas si cela vaut la peine de le signaler…

- Signalez tout et n'importe quoi. C'est moi qui verrai…

- Humm, la trouée dans les nuages était noire.

- Quoi ?

- J'ai vu que le ciel était bleu à travers le nuage, mais la trouée que nous venons de dépasser était noire. »

Charles cessa de transpirer. Un frisson lui parcourut la colonne vertébrale.

« Mademoiselle, c'est l'ennemi.

- Quoi ?

- Un dirigeable ennemi vole au dessus du nuage ; c'est la raison pour laquelle la trouée était noire !! »

Charles raccrocha brutalement le tube acoustique et regarda le nuage derrière lui.

Il le vit se fendre de haut en bas, comme si un harpon avait été jeté depuis les hauteurs célestes.

A travers cette brèche, un torrent de soleil coula sur l'océan.

Mais ce n'était pas seulement derrière.

Tout autour du Santa Cruz, en un cercle d'un rayon d'environ 4 km, le nuage se déchirait de place en place, la lumière dorée se déversant dans les flots à travers les ouvertures.

On aurait dit un sublime tableau de maître, mais ce n'était pas une légion d'anges qui descendait sur les rayons du soleil. C'étaient des êtres plus malveillants, plus humains.

«  Bordel… ! »

Charles avait finalement compris ce qui se passait. Sans utiliser le tube acoustique, il cria à Fana : « Un vaisseau ennemi descend sur nous ! Il coupe à travers le nuage. Mademoiselle, baissez la tête ! Qu'ils ne voient pas votre visage ! »

Ils avaient été découverts depuis un bon moment. Ils avaient sans doute été repérés par le radar du navire ennemi.


Leur espace aérien se trouvait en plein milieu de la formation ennemie !

A l'évidence, le message codé avait été déchiffré. L'ennemi stationnait pour attendre le Santa Cruz. Tout autour de l'appareil, des dirigeables qui arboraient l'emblème des Amatsukami descendaient en éventrant le nuage. Les aéronefs, semblables à de gigantesques doryphores, réverbéraient la lumière du soleil, et leurs ventres gris clair renvoyaient des lueurs de cuivre.

L'aspect menaçant de leur coque d'acier, le bruit sourd produit par le lourd métal fendant les airs donnaient l'impression qu'ils étaient d'essence divine. C'étaient les tout derniers croiseurs Amatsukami, les San'un.

En tout, il y en avait huit qui qui encerclaient le Santa Cruz, volant à peu près à la même vitesse que lui.

Charles plissa les yeux. Chaque croiseur ouvrit sous son ventre trois sabords pleins de malveillance.

Ses cheveux châtain se dressèrent sur sa tête.

« Des kuurai ! »

Les huit vaisseaux en tirèrent simultanément vingt-quatre.

Les missiles à percussion, profilés en ogives, fendirent la pluie en direction du Santa Cruz. Ils étaient propulsés chacun par une hélice fonctionnant avec une batterie à hydrogène.

Dans le nez de chaque kuurai se trouvait un capteur qui détectait la chaleur émanant des batteries à hydrogène. Ce capteur permettait au missile de pourchasser sa cible jusqu'au contact, ou jusqu'à l'épuisement de sa propre batterie.

Il n'existait qu'un seul moyen de leur échapper.

Charles poussa le manche aussi loin qu'il le pouvait, et plongea vers l'océan.

Il ne voyait rien à cause du brouillard, mais ce n'était pas le moment de se plaindre.

Son estomac accusait la vitesse de la descente. Il gardait les yeux fixés sur l'altimètre et l'indicateur de vitesse, tentant de deviner le moment où il devrait redresser juste à temps pour éviter l'océan.

La soudaineté de la chute faisait hurler le pare-brise avec stridence. L'appareil craquait et gémissait.

Il entendit Fana crier derrière lui : « Les missiles nous prennent en chasse ! »

« Gardez la tête baissée! Je n'ai plus besoin de vous au poste d'observation ! » hurla-t-il en réponse, concentrant toute son attention sur ce qu'il voyait devant lui.

A travers la pluie, il distingua la surface argentée de l'océan. Il jeta un rapide coup d'oeil à l'arrière. D'innombrables missiles les poursuivaient.

Dès qu'il eut confirmation de tous ces paramètres, il tira le manche de tout son corps.

L'hélice gémit quand le nez du Santa Cruz se releva, et comme s'il prenait son élan pour se stabiliser, l'avion bleu glissa sur l'eau à toute vitesse.

A travers le pare-brise retentit un grondement de tonnerre. Pas qu'une seule fois. Deux, trois, quatre fois, davantage encore, le bruit sourd d'explosions sous-marines fit vibrer le ciel.

En tout, dix-huit kuurai se précipitèrent dans l'océan, faisant jaillir des geysers d'eau, dans l'incapacité de suivre les mouvements du Santa Cruz.

Mais les six missiles restants le pourchassaient encore.

Charles émit un claquement de langue. Les kuurai étaient plus rapides que son appareil. Il serait rattrapé s'il continuait de la même façon.

Donc… il ne lui restait plus qu'une seule astuce.

Il jeta un coup d'oeil au vaisseau qui volait à environ 500 mètres au-dessus de l'océan, et orienta l'appareil dans sa direction.

Il appuya sur le bouton de la commande des gaz. Le Santa Cruz accéléra. La batterie se déchargerait plus vite, mais cette énergie était nécessaire à leur survie maintenant. Il lui fallait assez de puissance et de rapidité pour arriver au même niveau que le navire.

Quand il put enfin relever le nez de l'avion, il aperçut les nombreuses tourelles qui se dressaient sur le corps incurvé du vaisseau, et les innombrables canons antiaériens qu'elles abritaient. Tous pointaient dans sa direction.

Immédiatement après, des feux d'artifice s'épanouirent autour du Santa Cruz qui s'élevait dans les airs.

Les explosions n'en finissaient pas, et Fana hurla de terreur.

A travers la fumée, les six kuurai bien alignés continuaient à poursuivre le Santa Cruz.

Devant eux, le navire devenait de plus en plus grand.

Les tirs eux aussi se multipliaient. Le pare-brise était presque complètement obscurci par la fumée de la canonnade. Avec difficulté Charles ne cessait de dévier sa course pour déjouer leur visée.

Le navire ennemi savait exactement ce qu'il tentait de faire. C'est pourquoi il ripostait en tirant tout ce qu'il avait. Deux kuurai explosèrent derrière le Santa Cruz. Comme c'étaient des missiles à percussion, ils ne résistaient pas aux balles explosives. L'ennemi tentait désespérément d'abattre les missiles qui poursuivaient Charles, mais…

Charles eut un bref murmure d'excuse :« Je suis désolé. » Il se faufila à côté du vaisseau et releva ensuite le nez de son appareil. Les quatre missiles restants, incapables de le suivre, plongèrent à la place dans la coque arrondie du dirigeable.

Une énorme explosion secoua l'atmosphère.

Les flammes engloutirent toute une région du ciel couleur d'encre, que déchirèrent les stridences de l'acier.

Le dirigeable, se rompant en son milieu, crachait des hommes qui tombaient vers l'océan glacial.

Fana ouvrit tout grands ses yeux d'argent.

Ce n'était pas un opéra ni une tragédie.

Dans ce monde-ci, qui ne se trouvait pas de l'autre côté du mur de verre, des dizaines, des centaines de gens étaient précipités dans les airs, le dos en flammes. Elle distinguait sur leur visage la douleur et la résignation. Plusieurs centaines de vies contenues dans le vaisseau étaient exterminées sans difficulté, avec une incroyable rapidité. Chacun de ces hommes avait eu sûrement une famille, des amis, une amoureuse, et des pensées, mais en un moment ils retournèrent au néant. C'était la première fois que Fana voyait l'horreur de la guerre.

Mais cette vision infernale disparut rapidement dans la blancheur.

Le Santa Cruz s'était rué à l'intérieur du nuage.

Les gouttes d'eau glissaient rapidement hors de vue. Le vent hurlait à travers le pare-brise. Soudain la lumière du soleil se déversa sur leurs sièges, et un bleu infini régna sur le monde au-dessus du nuage.

Et… la flotte mobile avait pris position loin au-dessus du Santa Cruz, à une altitude d'environ 5.000 mètres.

Le Santa Cruz qui avait traversé le nuage à toute vitesse semblait se précipiter tout droit sur elle.

Charles plissa les yeux pour s'assurer de sa composition.

Au milieu, à en juger par sa taille, il y avait un porte-avions. Au sommet se trouvait une piste d'envol en acier, dimensionnée pour 60-70 avions de combats, lance-missiles et bombardiers.

On disait que les Amatsukami possédaient au total sept porte-avions. Un de ces tigres au moins avait été chargé de fouiller le ciel pour retrouver Fana, ce qui en disait long sur la détermination de l'ennemi pour empêcher le succès de la mission.

Deux lourds croiseurs et deux contre-torpilleurs escortaient le porte-avions. Ayant repéré le Santa-Cruz, ils avaient déjà amorcé leur descente, leurs canons inférieurs prêts à tirer. Serrant les lèvres, Charles longea le sommet du nuage. Il appuya une fois de plus sur la commande des gaz et accéléra. Le Santa Cruz taillada le nuage autour de lui en faisant jaillir des geysers de brouillard comme s'il s'agissait d'un océan.

Les lourds croiseurs avaient commencé à tirer. Charles contrôlait sa machine par de petits mouvements, glissant sur le côté ou ralentissant pour déjouer les prévisions des artilleurs, et suivait toujours dans sa fuite le sommet du nuage.

Le tonnerre des canons emplissait le ciel. Des obus explosaient autour du Santa Cruz, criblant de trous le fuselage. Fana avait si peur qu'elle ne faisait pas de bruit. De l'autre côté du pare-brise, c'était un enfer de feu et de fumée. Etendre le bras au-dehors aurait été serrer la main à la mort.

« Je nous sortirai de là. Je vous en prie, faites-moi confiance. »

Au milieu du bruit des canons, Fana entendit la voix de Charles par le tube acoustique, de façon étonnamment claire. Sa voix était calme, mais déterminée. Incapable de répondre, Fana se contenta de hocher la tête.

Charles regarda derrière lui, en diagonale sur la droite.

A 2.000 mètres de distance environ et à 2.000 mètres d'altitude, le porte-avion ennemi surplombait le Santa Cruz et l'observait en silence, sans tirer.

Non… Il ne se contentait pas de le surveiller.

Comme des graines de pavot, une multitude d'ombres décollaient de la piste d'envol à son sommet.

Ces ombres se répartirent en groupes de sept.

« Le voici. »

Ce que Charles redoutait le plus dans cette mission était arrivé.

Un tremblement le parcourut. Ces ombres avaient taillé en pièces la confiance qu'il avait dans sa survie.

« Pas besoin de combattre. Je dois me contenter de fuir », se dit-il à lui-même en mettant pleins gaz.

« Quatorze appareils nous ont pris en chasse ! »

La voix de Fana tremblait dans le tube acoustique. L'ennemi s'était disposé en deux formations de sept appareils. Charles jeta un coup d'oeil aux cadrans des jauges, puis à l'espace aérien autour de l'avion.

Très loin devant, au nord, un groupe de cumulonimbus formaient comme un paravent.

Leur sommet se trouvait à environ 10.000 mètres d'altitude. Une chaîne de montagnes d'un blanc pur dans le ciel de l'été. Leurs silhouettes immaculées se détachaient avec netteté sur le bleu de l'arrière-plan.

Je vais m'enfuir là-bas, décida Charles en accélérant encore le moteur.

« Mademoiselle, je n'ai plus besoin que vous montiez la garde. Gardez la tête baissée, serrez votre ceinture, et cramponnez-vous à votre siège. 

- En… Entendu. 

- Ça va secouer. Ne parlez pas, sous peine de vous mordre la langue. Il va y avoir des changements de direction et des descentes brusques, donc mettez aussi des bouchons d'oreille. »

Après avoir reçu un signe d'assentiment de la part de Fana, il accéléra encore.

L'aiguille de l'indicateur de vitesse dépassa les 600 kmh. Comme ils approchaient de la vitesse maximum de l'avion, l'appareil était violemment secoué de tremblements incontrôlables.

Cependant, en même temps qu'un bruit menaçant d'hélices, une ombre tomba sur le manche.

Des ombres cruciformes apparurent sur le nuage au-dessous d'eux.

Cinq, six, sept – Charles avait beau faire tous ses efforts, les ombres le poursuivaient sans aucune difficulté, et leur nombre augmentait sans cesse.

Il regarda vers l'arrière.

Quatorze avions verrouillaient l'espace aérien derrière le Santa-Cruz, avec calme et nonchalance, comme s'ils se moquaient de ses tentatives pour leur échapper.

Charles eut un murmure indistinct : « Le shinden ». C'était le nom du roi des airs.

A quatorze contre un.

Leur nombre mis à part, chacun pris individuellement lui était supérieur.

En outre, il ne disposait que d'une seule mitrailleuse à l'arrière, mais même cette arme ne pouvait être maniée par Fana.

Le désespoir envahit son coeur.

Mais il l'avait prévu, dès le départ. Il prit conscience de ses pensées et rejeta au loin sa couardise.

Reprenant le manche et respirant profondément, il s'ordonna de se calmer. Paniquer signifiait mourir.

La seule arme qu'il possédait pour se sortir de cette situation, c'étaient ses talents de pilote. Et il le savait depuis le début.

Malgré l'infériorité de son appareil, il était sûr d'être meilleur. Qu'il pouvait s'échapper.

Sur ces mots prononcés pour lui-même, à voix inaudible, il se tut.

Son instinct lui murmurait que s'il se contentait de voler comme il le faisait, il serait tué. La minute suivante, son pied droit avait appuyé sur la pédale.

L'avion, qui volait à grande vitesse, dérapa soudain sur le côté. Les balles explosives 20 mm tirées des ailes du Shinden transpercèrent le nuage en visant le Santa Cruz, soulevant des embruns de brouillard.

Charles ne pouvait se reposer au prétexte qu'il avait évité les premiers tirs. Les appareils alignés de part et d'autre du premier chasseur allaient entrer dans la danse, pour lancer une deuxième puis une troisième salve sur leur proie quand elle aurait fini de glisser sur le côté. Charles le savait, si bien que lorsque le Santa Cruz eut fini son dérapage, il appuya sur la pédale de gauche pour zigzaguer à travers le nuage.

Il avait réussi à survivre à la formation en triangle des Shinden. Mais ensuite venaient les quatre appareils de la formation en losange. Cette partie de l'escadrille était entraînée pour anéantir l'ennemi : ils intervenaient l'un après l'autre, en commençant par le leader, pour l'arroser d'un flot de balles ininterrompu.

Le Santa Cruz ne pouvait voler droit même un seul instant. Remuant la queue et glissant à droite puis à gauche, il évitait les balles comme un serpent de mer nageant dans l'air.

Même si l'ennemi était plus rapide, cette vitesse ne lui était pas d'une grande utilité : en combat rapproché, les tirs ne peuvent atteindre leur but si les avions ne sont pas strictement alignés. Charles déplaçait son appareil chaque fois qu'ils l'étaient. Pour ses adversaires, c'était comme s'il avait des yeux derrière le tête.

Charles était totalement concentré sur ses arrières.

L'instinct et l'expérience qu'il avait accumulée le guidaient pour se synchroniser au feu de l'ennemi.

Bien sûr, s'il se trompait ne serait-ce qu'une seule fois, le Santa-Cruz serait englouti dans les flammes, pour devenir le tombeau de la future impératrice. L'échec était inenvisageable.

Ayant pris la mesure de l'habileté de Charles, les trois avions de la formation en losange prirent position et firent feu en se déplaçant de gauche à droite, puis de droite à gauche. Au lieu de concentrer leur tir sur l'hydravion, ils se contentaient de tirer droit devant eux, pour l'enserrer dans un réseau de balles.

Le bruit violent des balles 7 mm qui frappaient le fuselage résonna dans le cockpit. Il y avait de quoi paniquer. Fana gardait la tête baissée, tremblant d'une peur incoercible.

Charles jeta un coup d'oeil vers l'arrière, sur les perforations qui marquaient les flancs du Santa-Cruz. Puis il vérifia sur le tableau de bord que le réservoir à hydrogène n'avait pas été atteint.

L'ennemi savait ce qu'il allait faire. Charles ne pouvait plus combattre à la surface du nuage. Il lança un regard déterminé vers la chaîne des cumulonimbus qui se dressaient au nord comme des montagnes, appuya légèrement sur les pédales, et poussa le manche à fond.

Le Santa Cruz s'inclina en avant et plongea dans le stratocumulus.

C'était un nuage épais, et Charles ignorait s'il s'étendait jusqu'à la surface de l'eau . Se fiant totalement à l'altimètre, il gardait le manche poussé à fond, et déboucha de l'autre côté du nuage à une altitude approximative de 500 mètres.

Ramenant le manche vers lui, il mit cap au nord en gardant une altitude de 200 mètres, en restant parallèle à la surface de l'océan.

En-dessous de lui, il voyait les flots sombres battus de pluie. Derrière, il aperçut sept contre-torpilleurs qui se dirigeaient droit vers lui, mais sans ouvrir le feu. Ils ne voulaient pas toucher leurs propres avions, et attendaient probablement, de toutes façons, que les Shinden règlent la situation.

Avec un temps de retard, quatre Shinden percèrent le nuage et après une légère mise au point, pointèrent leurs mitrailleuses sur le Santa Cruz.

En fait seul le chasseur de tête s'était avancé plus près. L'armée interdit le vol rapproché dans le brouillard, à cause du risque de collision. Les autres appareils de l'escadrille se trouvaient sans doute au-dessus du nuage ; Charles ne les voyait nulle part.

Il porta son regard vers l'avant. Il était difficile d'apercevoir le cumulonimbus à cause de la pluie. Charles orienta l'avion dans la direction où il volait avant de plonger dans le nuage.

Des balles zébrèrent de lignes rouges le ciel devant lui. Les quatre Shinden qui le poursuivaient avaient commencé à tirer.

Mais désormais Charles avait jaugé l'habileté des pilotes ennemis.

Ils n'étaient pas très bons.

Il entrevoyait une lueur d'espoir. Même si son appareil était inférieur aux leurs, il était , lui, beaucoup plus habile. Il était possible de leur échapper.

Le seul avantage que le Santa Cruz possédait et que n'avaient pas les Shinden était de pouvoir se ravitailler en carburant à la surface de l'eau.

Les Shinden, monoplaces d'interception, liaient la vie du pilote à la réserve d'énergie de leur appareil. S'ils poursuivaient un ennemi trop loin et sortaient de la zone radio du porte-avion, ils pouvaient périr, dans l'incapacité de retourner en lieu sûr. Les Shinden étaient obligés de toujours rester à portée de vue de leur vaisseau mère.

Charles, qui pilotait le Santa Cruz, se sentait ainsi beaucoup plus calme en envisageant ce simple point. Même si le combat durait longtemps, il lui suffisait de se poser et de faire le plein.

C'est pourquoi il ne poursuivrait qu'un seul objectif : échapper au feu des mitrailleuses et s'éloigner le plus possible du porte-avions, pour sortir de sa zone radio, de telle sorte que les pilotes des Shinden craignent de tomber en panne. Si l'ennemi commençait à se préoccuper de ses réserves d'énergie, repliait ses ailes et faisait demi-tour, Charles gagnerait. En fait, c'était son seul moyen de gagner.

Il lança un coup d'oeil derrière lui.

Les quatre avions continuaient à le poursuivre avec acharnement. Tous les quatre étaient pilotés par des chefs d'escadrille, si bien qu'ils se disputaient l'espace aérien, sans être réellement en formation.

Les pilotes ennemis avaient de leur côté reconnu l'habileté de Charles. Leurs tirs ne le visaient pas vraiment, mais jouaient le rôle d'avertissement, comme un tir de barrage. Soit ils attendaient qu'il commît un erreur, soit ils attendaient la venue d'un autre attaquant.

Charles descendit à une altitude encore plus basse.

400, 200, 100. L'aiguille de l'altimètre continuait de descendre. Volant de plus en plus bas, il s'efforçait de distinguer la surface de l'océan à travers la pluie.

A dix mètres environ, il stoppa sa descente. Il regarda derrière lui : les quatre avions ennemis le suivaient à une altitude approximative de 100 mètres.

Désormais ce serait juste un combat d'adresse. Si ses adversaires tentaient d'attaquer, ils risquaient de plonger dans l'océan, si bien qu'ils ne pouvaient le faire avec facilité. Pour abattre le Santa Cruz dans ces conditions, il fallait aussi voler parallèlement à la surface de l'eau, ce qui à l'évidence entraînait le danger pour l'hélice de percuter les flots, et demandait au pilote d'être aussi habile que Charles.

Il vit hésiter les pilotes ennemis.

Il sentit à nouveau le calme l'envahir. Il bascula lentement l'appareil pour changer de cap, entraînant ses adversaires à sa suite.

Il se dirigeait vers le stratocumulus au dessus de la pluie. S'il parvenait à l'atteindre, la situation tournerait en sa faveur.

Au moment précis où il entrevoyait cette lueur d'espoir, Fana cria dans le tube acoustique.

« Cinq avions arrivent par le haut, à gauche ! »

Aussitôt il tourna son regard vers le haut à gauche. Comme Fana l'avait dit, sur le côté, cinq nouveaux Shinden descendaient en piqué sur le Santa-Cruz. Ils avaient adopté une formation en T.

Il ne les avait pas remarqué avant l'avertissement de Fana. Il était clair qu'il avait baissé sa garde. Les quatre appareils qui le poursuivaient avaient préféré ne pas engager de combat rapproché parce que cette formation arrivait.

Ils allaient être touchés.

« Mademoiselle, baissez la tête ! »

Charles n'avait pas fini de crier que des balles 20 mm tirées par les cinq chasseurs entaillèrent les flancs du fuselage en faisant jaillir des bouquets d'étincelles.

Un rideau de balles mitraillait avec bruit la partie avant du Santa Cruz.

En même temps, les quatre poursuivants à l'arrière engagèrent un feu roulant.

Charles n'avait aucun moyen de fuir.

Tout ce qu'il pouvait faire était se précipiter dans les balles et regarder son avion être broyé par la mitraille. Au moment où lui venait cette pensée, de façon inconsciente, il bougea les mains.

A l'instant même où il allait se jeter dans les balles tirées sur son flanc, Charles instinctivement appuya sur le manche, inclinant l'appareil vers le bas.

Ce n'était pas une action consciente et réfléchie. Toute l'expérience qu'il avait acquise et tout l'instinct qu'il avait développé avaient rendu possible cette manœuvre d'évasion en un dixième de seconde.

Les cinq Shinden volaient juste au dessus du pare-brise, à une si courte distance qu'il aurait pu tendre la main à l'extérieur pour les toucher. Le Santa Cruz les frôla en se faufilant sous eux, à une altitude de peut-être 5 mètres. L'océan était si près que s'ils avaient pu étendre les jambes au dehors, ils auraient senti l'eau mouiller leurs pieds.

Mais avant qu'ils ne s'écrasent dans les flots, Charles releva le nez de l'appareil.

Un moment de calme.

Mais les chasseurs derrière eux allaient recommencer à tirer.

Charles était sur le point d'appuyer sur la pédale, pour éviter les balles.

Soudain, dans un bruit étourdissant, le pare-brise vola en éclats.

Au même moment, Charles eut l'impression de recevoir sur le crâne un coup donné par une batte de métal, qui lui emporta la tête sur le côté.

Du sang coulait de sa tempe, et la vitre de l'habitacle était teintée de rouge.

« Charles ! »

Il entendit au loin le hurlement de Fana.

Il ne savait pas ce qui était arrivé. Le bruit de l'hélice disparut, submergé par le rugissement du vent.

« Charles ! Reprenez-vous ! Charles !! »

Sa vision se brouilla, déformant les contours, puis ses yeux se voilèrent. Il entendait la voix de Fana, qui retenait sa conscience évanescente. Il sentait l'odeur de son propre sang. Il ne ressentait aucune douleur. Mais s'il se laissait aller ne serait-ce qu'une seconde, il s'évanouirait. Et ce danger, il en était averti par le frisson qui lui parcourait la colonne vertébrale.

Il se força à ouvrir les paupières. Il avait du sang dans un oeil, qu'il essuya d'un geste instinctif. Des gouttes d'eau s'écrasaient avec bruit dans l'intérieur du cockpit.

Il voyait l'arrière de cinq Shinden s'élever à droite du Santa Cruz.

Il n'y avait pas seulement cinq chasseurs qui venaient de la gauche. Il y en avait aussi cinq autres qui venaient de la droite. Charles ne s'en était pas du tout rendu compte, et s'était précipité sur eux.

C'est ce qui s'est passé, sûrement, pensa-t-il.

Le vent et la pluie le frappaient au visage.

Sans utiliser son tube acoustique, Fana se retourna pour lui crier : « Allez ! »

Des balles avaient labouré l'avion, et l'une d'entre elles l'avait effleuré. Ce n'était qu'une éraflure, mais c'était comme si on l'avait matraqué. La moitié de ses cheveux étaient couverts de sang. Pénétrant par la brèche du pare-brise, la pluie et le vent martelaient sans répit l'intérieur de l'habitacle. La température sur le siège était immédiatement tombée, et le froid s'était installé.

En face de Fana, les quatre Shinden venus de l'arrière s'acharnaient à les suivre, comme des hyènes pourchassant leur proie blessée.

Fana mordit sa lèvre couleur cerise. C'était rageant : tout ce qu'elle pouvait faire, c'était hurler la tête baissée.

Une mitrailleuse 7 mm se tenait devant elle, trempée de pluie, bringuebalant et tournant dans tous les sens.

Avant leur départ, elle n'avait pas été entraînée à son utilisation. La maison del Moral n'avait pas voulu que la future impératrice touche à une arme de mort.

Mais… n'était-ce pas nécessaire, à présent ?

Ayant cessé de virevolter, le Santa Cruz volait à présent tout droit, comme un animal traînant la patte dans son effort pour fuir. Même Fana savait qu'ils étaient prêts pour l'hallali.

Fana étendit lentement le bras pour atteindre la mitrailleuse, qui luisait d'un éclat noir.

Elle sentit la froideur du métal. Sans doute aucun c'était une arme de mort. Secouée par des frissons, Fana ordonna à ses jambes tremblantes de se calmer, et tourna la mitrailleuse en direction des appareils ennemis.

Elle regarda dans le viseur ; les avions étaient si près qu'ils ne tenaient même pas dans la mire.

« Seigneur, je vous en prie, pardonnez-moi. », murmura-t-elle, et elle appuya sur la détente.

Mais rien ne se produisit.

Elle avait dû rater une manœuvre, mais elle ne savait laquelle. Elle eut envie de pleurer, humiliée par son inutilité.

Les appareils ennemis étaient si près qu'elle distinguait même le visage des pilotes.

Ils souriaient avec suffisance. Ils jouaient avec sa vie, sachant qu'ils la tenaient entre leurs mains. C'était l'évidence, à voir leur expression. Elle allait mourir sous les yeux de gens arborant ce visage satisfait. Pour finir, elle ne pouvait rien faire pour maîtriser son destin. Toute sa vie, elle aurait vécu comme une poupée, observant le monde à travers une vitrine.

Remplie de regret, elle ne pouvait faire rien d'autre qu'attendre la fin.

Naguère, elle ne s'était jamais préoccupée de son existence. Mais, maintenant qu'elle était sur le point de voir tout s'achever, elle se rendait compte combien la vie était irremplaçable. Peut-être qu'elle aurait dû montrer plus d'assurance auparavant.

Elle aurait dû échanger davantage avec Charles la nuit précédente. Elle aurait dû parler d'elle-même, lui poser des questions sur lui-même, pour qu'ils apprennent à se connaître et deviennent des amis. Si elle l'avait fait, peut-être que, même si tout avait abouti à la même issue, elle aurait accepté la mort plus volontiers.

Alors qu'elle s'enfermait dans la boucle sans fin des regrets, l'air lui sembla aspiré hors de ses poumons et son corps lui parut s'alléger.

L'avion montait. Et il montait plus vite que jamais.

Les visages pleins de suffisance, tout à l'heure si proches qu'elle en distinguait les muscles, s'éloignèrent.

La pluie et le vent se déversèrent dans l'habitacle avec plus de rudesse encore.

Fana se retourna.

Charles, couvert de sang, avait serré le manche entre ses jambes, faisant appel à toute la force de son corps pour contrôler l'appareil.

Elle hurla : « Charles ! »

« Ce n'est pas encore fini » dit-il par dessus son épaule. Il coupa l'hyper réacteur de la main droite. Leur réserve d'énergie s'épuisait. En échange d'une très forte consommation d'énergie, l'hyper réacteur leur fournissait une accélération momentanée. Charles ne pouvait pas y avoir recours trop souvent, mais au moins ils avaient franchi cet obstacle.

Sa conscience ne cessait de dériver.

S'il cessait de se concentrer, sa vision sombrerait dans un tourbillon de ténèbres. Et une part de lui-même avait l'impression que ce serait plus facile.

Sa tempe résonnait. Cela cognait, cognait, le sang jaillissant de sa blessure à chaque battement. Comme le pare-brise avait volé en éclats, l'habitacle était glacial. Il sentait chuter sa température corporelle. Le manche était lourd, et il n'avait plus de force dans les bras. Le sang qui se mélangeait à la pluie lui rendait la vision difficile.

Ce serait plus facile de simplement laisser tomber, clamait une voix intérieure.

« Cela m'est égal d'être abattu », se murmura-t-il à lui-même. « Mais Fana est dans l'avion. »

Ce murmure n'atteindrait jamais le siège arrière. Maintenant le manche de tout le poids de son corps, il tira la barre de contrôle sur la gauche.

Un vrombissement d'hélices qui fendaient la pluie se rapprochait, derrière lui.

Les Shinden le serraient de près. Il n'avait pas besoin de se retourner pour vérifier. Ce n'étaient pas des adversaires qui pouvaient être semés juste avec un seul overboost.

Voler en rasant l'océan était ardu. Les embruns salés entraient à flots dans le cockpit. Il ne voulait pas rester sous les nuages, de toute façon. Il voulait s'élever au dessus, retrouver le soleil. Son corps le désirait, mais son instinct de survie interdisait d'en prendre la décision.

S'il tentait de faire monter son appareil maintenant, outre la chute de vitesse qui en serait la conséquence, il présenterait ses flancs à l'ennemi, ce qui entraînerait une mort instantanée. Le seul moyen de survivre était de voler à basse altitude jusqu'à ce qu'il ait réussi à se débarrasser de ses adversaires.

La douleur lui vrillait le crâne. L'extrémité de ses doigts s'engourdissait. Des éclats de verre lui avaient entaillé les bras. Le manche était incroyablement lourd. Mais s'il commettait la plus infime erreur dans son contrôle de l'appareil, il plongerait dans l'océan. Tout ce qu'il pouvait faire était d'endurer.

Charles faisait des efforts désespérés pour rester conscient, pour se tenir éveillé. Il percevait les intentions meurtrières des pilotes derrière lui.

Dès que les mitrailleuses 20 mm des Shinden entrèrent en action, le Santa Cruz glissa de côté sur l'océan.

Les balles firent jaillir des geysers d'eau salée à gauche de l'appareil, qui volait si bas qu'il provoquait des vagues.

Fana était toujours sur le siège arrière, tordant le cou le plus loin possible pour s'adresser à Charles.

Elle criait : « Charles, je suis désolée, Charles. »

Des larmes tremblaient dans sa voix. Fana était trempée jusqu'au os par la pluie, mais sur ses joues coulait autre chose que de la pluie. Elle savait que Charles s'agrippait au manche, au bord de l'évanouissement. Mais elle ne pouvait se contenter de rester assise à ne rien faire. La seule chose qui lui était possible était de faire en sorte que Charles reste conscient. De lui parler sans cesse, sans s'arrêter.

« Je suis inutile. Je suis désolée, désolée, je ne suis qu'un paquet qu'on trimballe. » Les mots sortaient sans qu'elle le veuille, mais elle craignait que si elle s'arrêtait de parler, Charles ne perde totalement connaissance.

De temps en temps, Charles disait quelques mots, mais elle ne les entendait pas. Il agissait quasi d'instinct, glissant, ralentissant, changeant de vitesse pour éviter les balles qui arrivaient de ses arrières.

De plus en plus gêné par le sang dans ses yeux, il distinguait à peine le stratocumulus devant lui.

Ce nuage était leur seul espoir.

Bien qu'il fût sur le point de perdre conscience, son instinct de pilote dirigeait l'avion vers cette montagne de nuage.

Les ailes blessées du Santa Cruz fendaient la pluie. Charles était bien près de s'évanouir, mais la voix de Fana le tenait éveillé.

Il était soutenu par Fana assise derrière lui. Devant ses yeux noyés de pluie se levait l'image de Fana petite fille, vêtue d'une robe blanche.

Sur fond de champ de tournesols, la Fana du passé pleurait.

« Courage, Charles. »

Charles, couvert de sang, eut un léger sourire. Peut-être était-ce ce qu'on appelait une «  . Il ne distinguait plus le rêve de la réalité, mais il répondit cependant.

« Fana, vous pleurez ? »

Il se rappelait que lorsqu'il s'en était pris au cochon, elle lui avait demandé s'il pleurait, et qu'il avait vite essuyé ses larmes.

« Je pleure, oui. Je suis fâchée de ne pouvoir rien faire. D'être sans aucune utilité dans un moment pareil. »

Bien que sa vision soit brouillée, la jeune voix de Fana lui parvenait clairement. Le froid de la pluie et du vent se dissipa, et cette voix pénétra son coeur, y répandant la chaleur.

« J'ai une requête à vous faire. 

- Laquelle ?

- Continuez à me parler.

- Cela ne vous ennuiera pas ?

- Pas du tout. J'ai l'impression que je vais perdre connaissance si je ne vous écoute pas.

- Entendu. De quoi allons-nous parler ? »

Les quatre Shinden les poursuivaient toujours à l'arrière. Ils attendaient qu'il fasse une erreur. Tandis que Fana parlait, Charles restait concentré.

« C'est ennuyeux. Je n'ai pas l'habitude de parler à quelqu'un. Puis-je poser des questions vous concernant ?

- Bien sûr.

- Pourquoi êtes-vous pilote ? »

Charles répondit à la question de Fana tout en zigzaguant devant l'ennemi.

« Parce que j'aime voler. 

- Vous aimez la guerre ?

- Mon oeil ! Ce que j'aime, c'est voler dans le ciel.

- Bien sûr. Bien sûr, c'est ça. »

Les Shinden firent rugir leurs canons 20 mm. Mais le Santa Cruz n'était plus dans leur ligne de mire. En vol plané au-dessus de l'océan, l'appareil glissait de côté, soulevant des vagues. Charles répétait sans arrêt la même manœuvre parce que c'était la méthode la plus efficace. Il savait que s'il s'énervait et tentait autre chose, il serait abattu.

« Dans notre situation, nous n'avons pas le choix. Si un de nos chefs nous ordonne de voler et de combattre l'ennemi, c'est tout ce que nous pouvons faire. »

Les cinq Shinden qui, poursuivant sur leur lancée, étaient passés au-dessus de lui, virèrent de bord et chargèrent à gauche. Les cinq autres avions, y compris celui qui avait touché Charles, descendirent à droite se joindre à la danse.

« M'emmenez-vous à Esmeralda parce que vous en avez reçu l'ordre ? »

Bien que Charles sentît sa conscience se brouiller, il conservait une vision tout à fait lucide de la situation. Comme si c'était à travers l'oeil d'un oiseau qu'il voyait son propre avion et les appareils ennemis ; c'était cette étrange impression qui le guidait.

« C'est une des raisons. Mais en même temps, personne n'avait réussi à traverser seul le blocus sur l'océan central. Je voulais essayer. C'était une raison importante. »

Les avions sur la gauche étaient les plus rapides, décida-t-il, et il appuya sur la pédale de droite.

« Même si vos exploits sont escamotés ? »

L'avion fit entendre une plainte.

« Je m'en moque un peu. »

Les balles labourèrent l'océan.

« Vous ne voulez pas de la gloire ? »

Il reconnut des balles de 7,7 mm. L'ennemi se trouvait déjà à court des 20 mm, dont il n'était pas aussi bien approvisionné.

«  Si on me la donnait, bien sûr que je l'accepterais, mais je n'en ai pas besoin pour vivre. »

Les chasseurs sur leur droite descendaient sur eux en piqué. Charles n'avait pas besoin de tourner la tête pour regarder. Même si son esprit dérivait entre le monde d'ici-bas et le monde infernal, il gardait une pleine perception de l'espace aérien.

« J'aimerais faire entendre ces paroles aux gens de mon entourage. »

L'avion glissait parallèlement à la surface de la mer. Les balles de l'ennemi n'avaient même pas effleuré le Santa Cruz.

Arrivés presque à la surface de l'océan les chasseurs ennemis qui descendaient en piqué changèrent de trajectoire pour remonter.

Le dernier appareil manqua la manœuvre, s'écrasa dans les flots et fut englouti, son réacteur extérieur tournoyant en l'air avec de grandes éclaboussures.

« Le ciel est votre trésor. »

Le sang coulait toujours de sa tempe, et cramponné au manche, il n'avait plus de force dans les bras, mais son esprit était relativement éveillé.

« Cela sonne bien. » plaisanta-t-il.

« J'étais sérieuse », dit Fana en faisant la moue.

« Parfois j'ai l'impression que les gens au sol sont stupides. Dans le ciel les classes sociales n'existent pas. »

Les yeux de Charles étaient noyés de pluie, si bien que sa vision était limitée. Mais il entendait clairement la respiration et les battements de coeur des pilotes ennemis.

Les pilotes des Shinden se dépêchaient. Le combat rapproché avait duré plus longtemps que prévu, et ils craignaient que la poursuite du Santa Cruz ne s'éternise. Ils ne se diraient rien, mais Charles était sûr qu'ils tentaient de voir si ce n'était pas le moment d'abandonner.

« Vous avez raison, je suis d'accord avec vous. »

Le Santa Cruz dansait avec les Shinden.

« Après tout, le réfugié bestado que je suis est en train de discuter avec la future impératrice. »

Peu importait le nombre de fois où les Shinden faisaient feu, il prévoyait leurs actions deux ou trois coups à l'avance. Les balles rataient leur but, leur cible leur échappait. C'était si vain qu'on pouvait même se demander pourquoi ils se donnaient le mal de le viser.

« Nous ne sommes pas supposés parler ensemble ? »

Et… le Santa Cruz réussit enfin à atteindre le stratocumulus.

La pluie et le vent régnaient sur l'espace aérien, avec une rudesse sans commune mesure avec ce que les jeunes gens avaient subi auparavant. S'ils voulaient entrer dans les nuages, ils affronteraient les tourbillons des courants ascendants et descendants qui déchiraient l'atmosphère. Seuls les plus assurés des pilotes auraient osé passer à travers.

Charles se contenta de continuer son survol de l'océan à travers l'orage, parce que cela rendait leur poursuite difficile pour leurs adversaires. Il voulait entrer dans le nuage ensuite, pour forcer l'ennemi à pénétrer dans des zones plus dangereuses, pour le pousser à l'abandon.

De lourdes gouttes de pluie et des vagues qui se rabattaient à grand bruit balayaient l'intérieur du cockpit. Sans le tube acoustique, ils ne pouvaient pas continuer leur conversation.

Le sachant, Fana cria cependant à Charles des mots qui ne l'atteindraient jamais.

« Vous êtes une personne, tout comme moi. »

Comme elle disait ces mots, un éclair aux branches de feu étincela au dehors du pare-brise. Avec un léger décalage le tonnerre gronda tandis que l'ombre du Santa Cruz se découpait sur les flots.

Charles ne répondit pas. Mais Fana était satisfaite d'avoir pu dire ce qu'elle désirait dire depuis le début du voyage. Vent, pluie, éclair, rien ne l'effrayait plus. Elle comprenait, sans aucune raison pour le justifier, qu'ils seraient capables de poursuivre leur vol ensemble.

« Nous dépassons le nuage », dit Charles d'une voix indistincte.

Après quoi, comme si on avait tiré les rideaux, un soleil éclatant déversa ses rayons dans l'habitacle.

Le monde, qui jusque là avait présenté une triste couleur de cendre, se remplit soudain de lumière, plus vif et plus coloré qu'il avait jamais paru auparavant, et le ciel d'été s'engouffra dans les yeux de Fana.

« Oh là là ! » laissa-t-elle échapper. C'était un brusque changement de décor.

Devant elle, à l'arrière de l'appareil, le stratocumulus au dessous duquel ils venaient de passer partait à la dérive, réverbérant les rayons du soleil. Le sommet du nuage se dressait comme un clocher d'argent, très haut au dessus d'elle. Ce blanc si pur dans la clarté bleue de l'été avait quelque chose de réconfortant.

Et on ne voyait nulle part les funestes ombres noires des Shinden. Le soulagement rendit ses couleurs au visage de Fana.

« Regardez, les ennemis sont partis. Ils ont dû abandonner.

- Oui, on dirait bien », répondit Charles d'une voix rauque, sans tourner la tête.

« Charles ? »

Charles paraissait plus affaibli que tout à l'heure. Fana regarda par dessus son épaule, et ses yeux s'élargirent.

« Oh non ! »

Elle ne l'avait pas remarqué dans l'obscurité des nuages, mais les blessures de Charles étaient beaucoup plus profondes qu'elle ne l'avait cru. Du sang continuait de suinter de sa tempe droite, et des éclats de verre étaient plantés dans son visage et ses épaules. Sa combinaison de vol, qui à l'aube était propre et bleue, était teintée de rouge sur le côté droit. Ses mains qui serraient le manche, probablement entaillées par les éclats du pare-brise, dégouttaient de sang, et sa respiration était irrégulière. On aurait dit que le manche pesait des tonnes.

Charles, qui se trouvait entre la vie et la mort, avait traversé un nuage d'orage, en évitant des milliers de balles ennemies. Fana ne pouvait le croire.

« Je… Je suis désolée, je ne m'étais pas du tout rendu compte. »

Anéantie, elle se tourna dans tous les sens, s'efforçant de trouver quelque chose qui pût être utilisé comme pansement.

Elle aperçut le parachute qui lui servait de coussin, le déchira avec un morceau de verre pour en faire de la charpie et se pencha sur le siège avant.

« Cela devrait faire l'affaire pour le moment. Il faudra vous soigner correctement plus tard. »

D'une torsion énergique elle passa de l'autre côté du siège, et pansa la blessure de la tempe, qui saignait toujours. Elle extirpa un à un les éclats de verre plantés dans le corps du pilote. Ses mains, qui n'avaient jamais rien soulevé de plus lourd qu'un couteau ou une fourchette, se couvrirent aussitôt de coupures, prenant la couleur des roses.

« Fana, ça va, je vais bien.

- S'il vous plaît, laissez-moi au moins faire cela. »

Elle sortit la main à travers la brèche du pare-brise pour jeter au dehors les éclats de verre. Le sang et le verre tournoyèrent comme une hélice avant de dépasser l'avion.

« Fana.

- Quoi ?

- Vous vous êtes blessé les mains.

- Vous aussi, vous êtes blessé.

- Pour moi ça va, mais pas pour vous.

- Pourquoi ?

- Parce que vous allez devenir impératrice.

- Mon Dieu, Charles, n'avez-vous pas déclaré que dans le ciel les classes sociales n'existaient pas ?

- Oui, mais... »

Charles ravala ses paroles.

Devant lui, à travers sa vision brouillée, il avait perçu une anomalie.

Le Santa Cruz volait à 120 mètres d'altitude environ. Loin devant eux se dressait une muraille d'eau de mer.

Cette muraille s'étendait à droite et à gauche, à l'infini. Et on ne pouvait en apercevoir le sommet à cause des embruns.

C'était comme une marche immense au milieu de la plaine océanique, une faille coupée toute droite, du haut de laquelle l'eau se précipitait vers le bas, dans un brouillard de gouttelettes.

« La Grande Chute. Nous y sommes finalement arrivés. »

Bien que Charles luttât pour parler, sa voix exprimait du soulagement. Une fois qu'ils auraient passé la chute, ils entreraient dans un espace aérien que se disputaient les forces de Levham et d'Amatsukami. Ils ne seraient plus dans le domaine réservé des Amatsukami.

Charles enroula sa jambe droite autour du manche et le tira vers l'avant. Il lui restait si peu de force dans les bras que c'était le seul moyen de faire bouger le lourd levier. L'appareil pointa péniblement vers le haut et tandis que gémissait l'hélice il se mit à monter.

Fana ne pouvait détacher les yeux de la muraille d'eau. La Grande Chute avait une hauteur approximative de 1.300 mètres. A mi-hauteur brillait un arc-en-ciel. Le sourd grondement de l'eau qui tombait faisait vibrer l'appareil.

Ce n'était pas la première fois que Fana contemplait ce spectacle. Ayant maintes fois franchi la faille en avion, elle l'avait vu souvent. Mais chaque fois, elle avait ressenti la même admiration mêlée de révérence.

A cause de l'existence de la Grande Chute, le monde était longtemps resté coupé en deux, car jusqu'à l'invention des avions, la faille ne pouvait être franchie. Mais en même temps, c'était à cause de la chute d'eau que l'avion avait supplanté le bateau pour le transport des marchandises et pour le contrôle de l'espace maritime aussi bien qu'aérien.

Si la Chute n'avait pas existé, il est certain que l'aéronautique n'aurait pas autant progressé. Aujourd'hui, les dirigeables ordinaires étaient beaucoup plus efficaces pour le transport des marchandises et fonctionnaient beaucoup mieux. Cependant, bien qu'on pût voyager sur de plus longues distances et transporter des cargaisons plus lourdes, on ne pouvait maîtriser la Grande Chute.

Le Santa Cruz s'éleva en spirale et franchit la faille en passant au dessus.

Ils se trouvaient à présent dans l'océan occidental. Charles fit une fois encore descendre l'avion pour se rapprocher de la surface de l'eau, essuya d'un revers de main le sang qui lui coulait dans les yeux, et consulta l'altimètre. Quoique l'océan se trouvât juste au dessous d'eux, le cadran indiquait 1.350 mètres. Après l'avoir réglé avec son doigt sur le nombre 10, il remonta à plus haute altitude.

Charles avait envie de dormir. S'il cessait de se concentrer, il perdrait conscience pour sombrer aussitôt dans le sommeil. Le manque d'oxygène qu'entraînait une plus haute altitude, la perte de sang du fait de ses blessures, et la dépense d'énergie que requérait une concentration intense, tout cela le plongeait dans une très grande somnolence.

Se secouant pour rester éveillé, il parcourut l'océan du regard.

Il fallait qu'il trouve Sierra Cadis quelque part parmi les flots. Mais on ne voyait aucune terre sur cet océan solitaire.

Jusqu'à présent, tout ce que Charles avait eu à faire était de se diriger vers le nord-ouest, parce qu'il aurait fini par tomber sur la Grande Chute. La Sierra Cadis était normalement le point de repère suivant.

Il savait qu'il y avait sans doute des îles au nord-est et au sud-ouest de l'endroit où il se trouvait, mais il ne savait dans quelle direction aller. Il lui fallait voler le long de la Grande Chute, pour se repérer à partir de la forme de la faille, de la forme des nuages, de la couleur de l'océan, et d'autres indices qui lui permettraient de calculer sa position.

Finalement, le soleil baissa sur l'horizon, et le ciel peu à peu se teinta d'indigo.

Et à la périphérie de sa vision trouble, Charles découvrit un groupe d'îles.

L'escale pour leur troisième nuit, l'archipel de Sierra Cadis, dix-sept îles de tailles variées. Il pourrait se reposer dans une sécurité relative.

Passant la langue sur ses lèvres sèches, il fit appel à ses dernières forces, faisant descendre l'avion sur la mer entre des îles au scintillement d'argent.

Le Santa Cruz plongea vers une île verdoyante, entourée d'une eau peu profonde.

Ils avaient survécu un jour de plus. Il avait pensé si souvent que c'était la fin, et il avait été si prêt d'abandonner ! Mais il volait encore. Et Fana était toujours en vie. Le Santa Cruz, un simple avion de reconnaissance, avait réussi à survivre à une flotte ennemie et à quatorze Shinden.

Ainsi songeait Charles dans son esprit engourdi, avec un sourire de satisfaction. Après avoir jeté un regard sur la surface argentée des flots au-dessous de lui, il lâcha le manche, mit la batterie à recharger, et avec un soupir tomba dans le plus profond des sommeils.