Stereopticon Rotation Autrement dit, cet homme était Hiiragi Goujuurou
Un long silence.
Toutefois, les deux entendaient leur interlocuteur respirer de l'autre côté du combiné.
- Pourquoi tu crois ça ?
Cette question admettait que la remarque de Takumu avait vu juste.
- C'est pas vraiment de la déduction, vous savez. Je me suis juste souvenu des cigarettes que vous fumiez hier et avant-hier. L'Idoromel Dore est un stupéfiant isolant la conscience du corps auquel elle appartient. À mon époque, c'est un produit interdit de rang C. Normalement, on l'utilise que pour s'envoyer voler, mais...
Takumu prit une petite respiration afin de mettre de la force dans ses prochains mots.
- À force d'en fumer, l'esprit se libère de l'influence du corps. Autrement dit, même si la boucle rembobine le corps, vous pouvez garder votre conscience, ou vos souvenirs, quelque chose du genre.
- Je ne m'y attendais pas.
Hiiragi était sincèrement admiratif.
- Tu es vraiment un excellent médiateur. Tu te souviens des détails concernant les produits interdits, alors que ce n'est probablement même pas ta spécialisation ?
- J'ai eu un bon mentor. En plus, il y avait un autre indice.
Le combiné indiqua qu'il ne restait plus beaucoup de temps d'appel. C'est pas un peu rapide ? pensa Takumu avant d'insérer une nouvelle pièce pour le faire taire.
- Hier, on s'est rapproché du mur et on nous a attaqués. Et aujourd'hui, rien, alors qu'on y est encore retourné.
- Tu ne t'es pas dit que c'était une coïncidence ?
- Il y a une différence pourtant évidente, vous ne trouvez pas ? Hier, vous nous avez donné le PHS, mais aujourd'hui, on ne l'a pas. Je sais pas de quoi vous vous êtes servis, du GPS ou de l'odeur, mais vous nous avez attaqués une fois qu'il n'y avait plus personne autour de nous. Au final, ce fut à côté du mur, tout simplement. Ça me semble logique.
Hiiragi écoutait attentivement. Takumu continua.
- Vous nous avez parlé d'un robot mercenaire de la zone culturelle Kavaido, je crois ? C'est un produit interdit de rang A, vous savez ? Vous pouvez utiliser la police à votre guise, alors je ne vois rien d’étrange à ce que vous ayez saisi un de ces robots, et encore en état. Vous n'avez probablement pas l'autorisation de l'utiliser à titre personnel, mais bon, vous pouvez faire comme vous le sentez. Après tout, peu importe les problèmes que ça causerait, ils disparaitront une fois la nuit passée.
- Tu ne trouves pas ça hâtif d'en venir à cette conclusion juste parce que tu as été attaqué une fois, et l'autre non ? Il faut avoir un peu plus d'échantillons que ça pour former une théorie. On se moquerait de toi aux conférences académiques si tu parlais de ta théorie complètement subjective juste en te fiant à une seule observation du phénomène.
- J'ai aucune intention de tirer ça en longueur ni de vous faire participer aussi longtemps. Je suis convaincu de ce que je dis. Vous n'avez pas non plus sérieusement l'intention de jouer les ignorants, pas vraie ?
Une fois de plus, un long silence.
Une pluie forte tapait contre le haut de la cabine téléphonique.
Le combiné réclama une nouvelle pièce. Takumu en inséra une.
- Combien de fois j'ai pu répété ce même jour...
Une voix grave que l'on pourrait presque prendre pour un soupire.
- Ça fait longtemps que j'ai abandonné le compte. On ne peut même pas vieillir ici, alors on ne peut même pas se rendre compte du temps qui passe.
- Hiiragi.
- De toute façon, vous avez fait vos propres déductions, pas vraies ? Je vais vérifier vos réponses. J'étais incapable de me plaindre à qui que ce soit pendant tout ce temps, alors parfois j'ai un peu envie de parler de moi, tu sais ?
Hahaha. Le rire d'Hiiragi était creux.
- J'ai commencé à fumer les Idoromel Dore par pure coïncidence. Je me suis rendu compte par hasard que cette ville fermée répétait le même jour. Au départ, j'étais furieux. J'ai demandé à ceux que je considère comme mes camarades d'en fumer aussi, et on a passé plus d'une centaine de fois à enquêter sur ce 5 juin.
- ...Je m'en doutais.
Takumu n'était pas surpris.
A cette époque, Hiiragi Goujuurou était LE médiateur expert, et ici, ce n'était même pas du passé. Évidemment qu'il se battrait. Toutefois, il s'agissait plutôt du souhait personnel de Takumu que d'une supposition.
- Et j'ai tué Baa Byoer Baa.
- Hé ? ...Pardon ?
Takumu n'en croyait pas ses oreilles.
Baa Byoer Baa. Le propriétaire de cette cabine.
- J'ai eu du mal. Tous ceux qui meurent dans la boucle reviennent à la vie, alors on ne pouvait pas le tuer à la normale. On a pris beaucoup de temps pour trouver un moyen de le tuer en dehors de la boucle.
- ...Vous voulez dire qu'actuellement, cette cabine...
- Fonctionne complètement en automatique, sans son propriétaire.
Comment était-ce possible ?
Ce n'était pas normal. Il devait forcément y avoir un propriétaire, puisque la condition trouvée par Merinoe pour que la boucle se produise était que son propriétaire s'endorme.
- On a aussi trouvé le noyau de la cabine. On est arrivé à un point où l'on peut la détruire quand on le souhaite, mais on a pas pu le faire.
- ...Si vous détruisez le noyau, toute la ville finit en poussière.
- C'est ça.
Hiiragi était arrivé à la même conclusion que Takumu. Cependant, contrairement à ce dernier, il n'avait pas compté sur l'aide d'une tricheuse comme Merinoe.
- Vous avez déjà découvert tout ça. Vous êtes vraiment doués, vous deux.
Une voix admirative.
Takumu entendit le bruit de ses propres dents grincer.
- Pour empêcher la disparition de la ville, il faut que l'on continue de maintenir cette cabine à moitié détruite. Il est impossible pour les terriens d'essayer de contrôler le summum de la technologie Visiteur. Je n'ai pas eu le courage de parier sur l'impossible avec tous les jetons qui représentent cette ville.
Takumu était incapable de le lui reprocher.
Lui non plus n'avait pas le courage de prendre cette décision.
- Malgré ça, mes camarades voulaient la détruire. On s'est entretué à cause de ça. J'ai gagné, et ils ont perdu. Ils perdirent tous les souvenirs qu'ils avaient conservés, et le lendemain, ils reprirent leur vie de tous les jours, comme si rien ne s'était passé.
- ...Je...je vois...
Répondit Takumu, comme un gémissement.
- Donc pour ma part, j'aimerais que tu meures une fois aussi.
- Ah ouais, on part loin, là.
- Si tu meurs, le lendemain, tu deviendras surement un habitant innocent de cette ville cloisonnée dans le 5 juin. Ce n'est pas si mal que ça, tu ne trouves pas ?
- Ouais, c'est sûr, mais...
Le Tokyo de 2002 était une ville agréable pour Takumu. Il en était conscient. Toutefois, il ne fallait pas chercher à en vouloir plus.
C'était un choix qu'il avait lui-même envoyé voler. Il était désormais prêt à prendre un autre chemin.
- Maintenant qu'on est là, Merinoe et moi, ce n'est plus impossible.
- Ah oui ?
- Merinoe s'occupera de maintenir la cabine. C'est dangereux, mais je la protégerais. Je vais pas dire que ça va marcher à 100%, mais ce pari n'est pas si désavantageux que ça.
Vous pouvez nous aider ? Demanda Takumu.
- C'est un bel objectif que vous avez là.
Le rire de Hiiragi était fébrile.
- Je suis un peu trop fatigué pour qu'on chasse après ce rêve ensemble.
- Je veux pas me battre contre vous.
- Moi non plus.
Une fois de plus, les deux se turent.
Le combiné réclama une pièce. Quoi, encore ?
Attends, mais j'ai plus de monnaie, comment je fais ?
- La tour du Caire de Touou.
- Hein ?
- Tu peux venir, disons, à 19 heures ?
Que racontait-il, soudainement ?
- Le noyau de la cabine et l'appareil de contrôle du système de boucle se trouvent au 27e étage.
Takumu resta bouche bée.
- C'est l'endroit où j'ai fait mon choix. Où je me suis séparé de mes camarades. Un lieu nostalgique, si je puis dire.
Depuis le combiné, Takumu eut l'impression que Hiiragi venait de secouer la tête.
- D'un point de vue stratégique, c'est l'endroit où je suis le plus avantagé pour vous confronter.
- Pourquoi vous auriez l'avantage ?
- Vous êtes doués. Même si je mens sur l'endroit, dans tous les cas, vous le trouveriez rapidement vous-même. Dans ce cas, autant régler nos comptes aujourd'hui, vu que je suis prêt et résolu. Il en va de même pour vous deux, maintenant qu'on en est arrivé là, le temps n'est plus votre allié.
Il marquait un point.
Cette invitation à se battre. Même pour Takumu, il s'agissait presque du plan le plus idéal. À partir de demain, Hiiragi pourra se servir de son statut de haut gradé pour attaquer Takumu et Merinoe de diverses façons. Si le médiateur expérimenté plaçait un avis de recherche à leur nom, ils ne pourraient plus enquêter tranquillement comme ils ont pu le faire jusqu'à aujourd'hui.
- Toi et moi. Le survivant garde ses souvenirs et continue de lutter à partir de demain aussi. Simple, pas vrai ?
- On peut pas, genre, se battre ensemble ?
- Attends de gagner avant de proposer ce plan.
Takumu n'avait rien à rétorquer.
- 19 heures, c'est ça ?
- C'est ça. Pas de problème si vous êtes un peu en retard. Endurer le passage du temps, j'ai l'habitude.
- Haha.
Takumu se moqua de cette blague tant elle n'était pas drôle.
À cet instant, le temps du combiné tomba à 0.
Bordel, il se moque de moi !
Takumu remit violemment à sa place le combiné qui ne faisait que biper.
◇
Merinoe lui demanda s'il était sûr de lui.
Takumu lui répondit que oui.
Ainsi, la paire partit au combat.
Ou du moins, si les choses avaient avancé de cette façon, cela aurait été idéal, et ils auraient préservé la tension de se rendre à cette bataille finale, mais la réalité n'était pas aussi naïve.
- La tour de Claire de Touou se trouve...ici.
Ils ne trouvèrent pas de cybercafé dans le coin, alors ils se rendirent à la bibliothèque pour se procurer une carte papier, et trouver le lieu. Ils regardèrent l'itinéraire à prendre.
- ...Ah, c'était ici.
Takumu leva immédiatement la tête.
- Tu connais ?
- Juste l'endroit. On est passé pas loin, avant-hier.
- Ah bon ?
Laisse-moi voir, dit Merinoe avant d'observer la carte de plus près. Poussé, Takumu se courba et regarda le ciel. Il faisait beau.
- Oh, c'est à côté du cinéma. C'est là où on t’a posé un lapin, non ?
- T'as pas besoin de te rappeler de ce genre de détails inutiles, tu sais ?
Bref, c'était bien l'endroit. Takumu acquiesça.
- J'aurais dû te demander de m'en dire plus. On passe quelque part avant d'y aller ?
- Pas le temps. En plus, t'es au courant que c'est plus le moment pour faire du tourisme ?
- Imbécile, ne te trompe pas dans l'ordre des priorités. Il n'y a rien de plus primordial dans toutes les créations du monde physique, que tes anecdotes larmoyantes.
Prends pas une voix sérieuse pour dire n'importe quoi, pensa Takumu.
- Et je veux pas dire, mais on a un important duel qui nous attend. Tu pourrais être un peu plus tendue, quand même ?
- Je m'en moque.
Merinoe tourna la tête.
- T'es vraiment sûr de toi ?
Demanda-t-elle toujours sur le même ton.
Takumu acquiesça légèrement.
- Ouais, je suis sûr.