Stereopticon Rotation Krokuus (2)

Les passants marchaient tous dans la même direction, sans la moindre hésitation.
Sauf un. Yozora Jakuin marchait à contre-courant.
En continuant, elle ne trouvait plus personne aux alentours. Elle ne voyait même plus une seule voiture rouler.
Elle entendait des bruits d'explosions intermittents.
Elle voyait plein de tirs de lasers fins voleter à la suite. Elle se demanda s'il ne s'agissait pas des rayons destructeurs que l'on voyait dans les films d'action.
Elle n'aperçut ni voiture de police, de pompiers, ni ambulance, ni tank du FDA sur le chemin. Et puisqu'il n'y avait personne dans le coin, il semblerait qu'elle était la seule témoin de cette anormalité, rajoutant encore plus d'étrangeté à ce qu'il se passait.
Son instinct lui criait de ne pas s'approcher plus.
- ...
Malgré ça, elle sentait quelque chose.
Elle ne comprenait pas pourquoi, mais elle était convaincue de quelque chose.
Plus elle se rapprochait, plus son intuition gagnait en précision. À 127 mètres en pente devant elle se trouvait ce quelque chose qu'elle avait cherché toute la journée.
- ...Hm.
Elle se frappa les joues avec les mains grandes ouvertes pour s'encourager.
Elle apercevait déjà le centre de l'anomalie. Devant elle, à 127 mètres, un gratte-ciel. La tour de Caire de Touou.

◇

Hiiragi Goujuurou et Dornsenju étaient de redoutables adversaires.
Leur bombardement était rapide et bouillant. Si on leur donnait le temps nécessaire, même Krokuus ne ferait pas long feu. Il ne fallait pas les laisser faire, et pour cela, Takumu devait réduire la distance qui les séparait. C'était la bonne décision, mais juste se rapprocher n'allait pas lui donner un avantage définitif.
- Bon sang, c'est une blague...
Se plaignit-il.
Takumu avait la force suffisante dans ses poings pour facilement pulvériser du béton. S'il parvenait à porter un coup, ce serait suffisant pour gagner. De plus, son blindage violet foncé résistait même à des tirs de tanks reçus de plein fouet. Il était capable de gérer sans problème d'éventuels tirs de sommation. Côté mobile, c'était pareil. Il a limité sa vitesse pour ne pas avoir de moment d'absence en allant trop vite, mais en résumé, il était presque aussi rapide qu'un avion de chasse et d'une F1.
Une fois en combat rapproché, il aurait l'avantage. Du moins, il aurait dû. Il avait déjà réussi plusieurs fois à se rapprocher suffisamment pour que ses poings atteignent Hiiragi.
Bien sûr, Takumu n'était pas un spécialiste du combat au corps à corps, et encore moins un expert dans le domaine. Toutefois, il a reçu un entrainement de combat de première classe dans son cursus pour devenir médiateur, et il avait également acquis de l'expérience. Autrement dit, il ne frappait pas simplement en se laissant porter par la force que lui procurait sa combinaison. Il gérait son centre de gravité de façon à pouvoir utiliser sa force à son plein potentiel, s'occupait de créer des enchainements de coups dans sa tête, plaçait des feintes, et se servait de toutes ses connaissances en techniques de combat pour se battre.
Et pourtant, il n'arrivait pas à bien attaquer.
La lumière qui recouvrait les bras d'Hiiragi était surement la même que celle des balles de lumières qu'il tirait. Elle évitait habilement les poings de Takumu. Les tirs précis dégagés par cette lumière n'étaient pas capables de fondre sa combinaison, mais l'impact provoqué gênait Takumu dans ses mouvements. Les coups qu'il recevait sur ses épaules, ses genoux, sur le flanc, et à la gorge, ressemblaient à ceux d'un marteau, et chacun d'entre eux déréglait les manœuvres stratégiques de Takumu. Il était incapable de bien utiliser sa grande mobilité et de mettre en place ses combinaisons de coups.
Il essayait de passer outre tant bien que mal, et de prendre l'ascendant sur le combat, mais Hiiragi profitait de cette impatience pour le diriger sur des endroits où des bombes étaient placées. Elles explosaient au pire moment possible, ramenant de force le combat au point de départ. Cette même boucle fut répétée plusieurs fois.
Takumu avait l'impression d'être mené par le bout du nez.
Krokuus le protégeait, mais les dégâts sur la combinaison s'accumulaient, et les mouvements de Takumu perdaient en vivacité. De plus, il avait une limite de temps. S'il continuait d'être évité comme ça, sa défaite était inévitable.
- C'est plutôt moi qui devrais dire ça, tu sais ?
Quant à Hiiragi, on voyait dans sa voix et sur son visage qu'il mettait tous ses efforts dans la bataille.
- Je ne suis pas surpris que ton costume possède une énorme puissance, il a l'air d'avoir des restrictions qui le contrebalancent.
Il était couvert de petites blessures, peut être provoqué par des morceaux de bétons brisés, ou des impacts d'explosions reçus à courte distance.
À chaque fois qu'il évitait les poings de Takumu, le sang et la sueur se mélangeaient et se répandaient.
Lui aussi était désespéré. Il continuait sans cesse cette fine défense contre des poings qui lui seraient fatals s'il n'en recevait ne serait-ce qu'un, et contre ce fort imprenable qu’était Takumu, et ce, même quand il passait à l'offensive. Sa perspicacité, sa technique et sa concentration dépassaient la simple excellence.
- C'est la suite que je n'arrive pas à croire... Tu n’as pas l’air d’avoir de problème à l’utiliser, je me trompe ?
- J'ai galéré avant !
Répondit Takumu. Il était un peu heureux.
Krokuus était un cheval rétif. Un robot gigantesque non contrôlé par un ordinateur. En tant que tel, il était possible d'utiliser une grande puissance, mais pour ne pas la laisser hors de contrôle et la contrôler, il fallait que l'humain portant la combinaison continue de donner son maximum, sans s'arrêter.
Après tout, personne d'autre que Takumu ne pouvait vivre cette épreuve, alors il n'avait personne pour le comprendre jusqu'à maintenant.
- Takumu Azekura. T'es fort, mon garçon.
- Vous aussi, Hiiragi Goujuurou.
Ils complimentèrent mutuellement l'autre — Et presque au même moment.
Takumu donna un grand coup de poing, et Hiiragi envoya une énorme lumière.
Les deux forces classèrent de pleins fronts. Elles n'effacèrent pas l'autre, elles éclatèrent sur place, provoquant un d'impact en sphère.
Le mur et le sol du bâtiment pris dans l'explosion s'effondrèrent comme du sucre. Les deux hommes furent projetés chacun dans leur dos, à plus de 10 mètres de distance.
Takumu sentit son champ de vision vaciller.
(Je suis mal.)
Cette sensation était la preuve que Krokuus avait dépassé sa limite de temps. Takumu devait absolument retirer sa combinaison dès maintenant, sans quoi il allait être absorbé dans un rêve, et ne plus pouvoir se battre.
(J'ai réussi.)
Pensa-t-il aussi. L'explosion a rendu Hiiragi vulnérable. C'était une opportunité en or. À cet instant, il était incapable d'éviter miraculeusement les coups de Takumu. Le partenaire de Merinoe était en mesure de le tuer.
Takumu estima qu'ils leur restaient à chacun 2 secondes.
Takumu pouvait probablement encore se battre 2 secondes avant d'être hors-jeux.
Et il avait surement besoin de 2 secondes pour tirer sur Hiiragi et le vaincre.
Ces deux choses ne pouvaient pas avoir lieu en même temps. L'une d'entre elles allait forcément prendre place avant l'autre. C'était un pari. Laquelle de ces 2 secondes allait s'écouler en premier. Qui allait mourir.
Takumu poussa un rugissement bestial en appuyant sur les restes du sol effondré, et sauta.
Il traversa d'un coup la zone dans laquelle l'énergie de l'onde de choc était restée, et se rapprocha d'Hiiragi.
Un monde dans lequel la concentration des 2 hommes était extrême, et où même moins de 0,1 seconde comptait.
Lui-même et l'ennemi à abattre. Un lieu où rien d'autre ne devrait exister.
Dans cet instant décisif d’une lucidité infinie, et irréel,

Soudain.

Le champ de vision de Takumu vacilla une nouvelle fois.
Au même moment, il perdit conscience l'espace d'une seconde.
Même le danger qu’il ressentait se fondit dans le vide pendant un court instant.
(Mer...)
Bouger en portant Krokuus était synonyme de devoir continuer à maintenir une concentration extrême. Aucun mental, même robuste, ne pouvait échapper à la fatigue et l'épuisement.
Krokuus était une création dormant d'ordinaire au plus profond du rêve de Merinoe. Il y avait constamment une force voulant retourner dans ce rêve. Cette force agissait pour détacher le porteur de la réalité.
Cette force est similaire à un petit enfant jouant avec l'eau sur une plage. Il suffit qu'il dépasse un tant soit peu la limite, pour être emporté par la marée. Dans un lieu où les pieds ne touchent pas le sol, on se noie dans un rêve.
2 secondes s'étaient déjà écoulées depuis longtemps.