Stereopticon Rotation Krokuus (3)
(Pu...tain...)
Takumu se mordit le bord des lèvres. Il utilisait la douleur pour tenter de rester éveiller.
Cependant, sa résistance était futile. Il faisait de plus en plus noir devant lui. Sa notion du temps s'estompait. Sa perception de la réalité s'embrumait. Il avait de plus en plus l'impression de voir un rêve. Le rêve et la réalité se mélangeaient.
Tout perdait en réalisme.
(Ah...)
Toutefois, son corps accomplit les mouvements minimums, porté par l'élan de la charge qu'il venait de lancer.
L'élan m'a aidé ?
Et j'ai donné des coups de poing ?
J'ai frappé quelque chose ?
Du moins ? Je crois ?
Quelque chose a l'air ?
De s'être envolé ?
—Ah oui, c'est vrai, je suis en train de me battre. Faut que je me concentre—
—Il me semble que l'ennemi est devant moi— Et il est redoutable—
—S'il est redoutable, il est probablement fort—
—Ce qui veut dire qu'il est énorme, ou résistant—
--C'est quoi ce truc flou devant, je le vois pas bien, mais il est si énorme que je dois lever la tête pour le regarder, en plus, il est en métal, et il est couvert de pics, pourquoi je dois me battre contre ce truc, le monde est pas censé être en paix ? Pas du tout, c'est pour ça que nous les médiateurs, donnons constamment notre maximum, mettez une musique thématique, paapapapapaan !
Takumu ne voyait pas la réalité devant lui.
Il avait les yeux ouverts, et les informations visuelles allaient bien jusqu'au cerveau, mais il ne parvenait pas à les comprendre.
Une chute ? Je suis ? En train de tomber ?
Mon corps s'est écrasé au sol ?
La douleur ? J'ai mal partout ?
—Faut que je me relève—
—Ça veut dire quoi déjà, se relever ? —
—Bouge tes jambes, euh, elles sont où mes jambes, déjà ? Non, utilise d'abord tes bras pour t'asseoir, euh, ils poussent où les bras, je me souviens plus comment les bouger, ah, je devrais d'abord respirer, c'est vital pour le corps, mais, euh, comment on respire déjà ? Merde, j'ai du mal, dépêche-toi de te rappeler comment on fait pour respirer, tiens, maintenant que j'y pense, il me semble que je devais absolument faire un truc, mais quoi...
- Arg.
Takumu sentait que quelque chose de tombé devant lui se relevait doucement.
Takumu était incapable de se remettre debout.
Il était conscient de devoir bouger.
Mais il n'y parvenait pas bien.
Il avait l'impression de vivre un rêve lucide en étant paralysé.
Son corps et son cœur n'étaient pas connectés.
- Tu as perdu le contrôle de l'armure, pas vrai ? On dirait que j'ai gagné.
Annonça Hiiragi, tandis que du sang coulait depuis le bord de ses lèvres.
Il n'y aurait rien eu d'étrange à ce que le coup donné précédemment à Hiiragi termine le combat tant il était sévère. Hiiragi n'était plus capable de bouger partout. Ses blessures étaient si profondes qu'il ne serait plus capable de tenir debout s'il ne s'appuyait pas contre les débris.
Malgré tout, Hiiragi était encore en vie, et conscient. De plus, il avait toujours l'intention de se battre.
Takumu ne parvenait pas à bien le voir.
- Je vais te donner le coup de grâce.
Hiiragi dirigea la palme de sa main droite vers Takumu. Une petite lumière apparut.
—Ooh, c'est une belle couleur blanche—
Cette balle assassine allait surement voler la vie de Takumu une fois tirée. Sa vitesse de charge était si lente qu'Hiiragi afficha un sourire amer. Cependant, elle grossissait tranquillement de plus en plus.
- On se reverra demain, dans mon bureau. Cette fois-ci, je ne jouerais pas avec les apparences, je t'accueillerais du fond du cœur.
Takumu entendait.
Il entendait, et avait conscience qu'on lui parlait, mais il ne comprenait le sens.
Qu'est-ce que j'étais en train de faire, déjà ? Qu'est-ce que je devais faire ?
Sa tête était à moitié plongée dans un rêve, et il ne parvenait pas à sentir quoi que ce soit comme réel.
Seule la panique le gagnait inlassablement. Quand soudain.
- Yumetarou !
Takumu entendit une voix.
◇
- Yumetarou !
Cria instinctivement Yozora.
Elle ne comprenait rien à ce qu'il se passait. Tellement, qu'elle trouvait ça drôle.
La tour de Caire de Touou était devant elle. Elle était très clairement en mauvais état. Il y avait, sur les murs, d'innombrables traces d'impact ressemblant à des cratères, et des trous si énormes que l'on pourrait faufiler une maison complète du coin dedans. Yozora était inquiète que la tour ne tombe tellement la crevasse sur le côté était importante.
Le rond-point devant l'entrée pulvérisé par la chute des débris des étages supérieurs, les plantes décoratrices renversées, les poteaux électriques clignotants, l'asphalte retourné.
Et 2 hommes.
L'un d'entre eux portait une sorte d'armure rouge, et se tenait debout, couvert de sang. Sa main scintillait, peut-être tenait-il une lampe torche.
Quant à l'autre, il était vêtu d'une combinaison violet foncé sur tout le corps. Il était accroupi et immobile.
Yozora comprit que ce dernier était l'homme qu'elle cherchait.
La distance qui les séparait et la combinaison de l'homme l'empêchaient de voir son visage, mais elle était sure d'elle. Sa Piste de Miettes, ou plutôt, son intuition étrange qui la guidait depuis ce matin lui indiquait sa destination, Yumetarou Azekura, un homme mystérieux dont elle ne se souvenait plus où et quand elle l'avait rencontré.
- Yumetarou, vous m'entendez !?
Elle ne savait pas ce qui avait eu lieu ici, mais elle réalisa rapidement que la situation était anormale. Par exemple, que les hommes 2 devant elle s'affrontaient, et que toute cette destruction atour, et digne d'un film d'action, était de leur faute.
Et que Yumetarou Azekura semblait être dans le pétrin.
(— Bon sang ! Quelqu'un pourrait au moins m'expliquer un peu ce qu'il se passe, non !?)
Un vent violent soufflait, et décoiffait Yozora.
Elle voulait le rejoindre. Elle essaya. Cependant, ses jambes restèrent immobiles. Cette fois-ci, ce n'était pas à cause d'une quelconque force mystérieuse. La peur, la confusion, le refus inconscient, toutes ces choses en Yozora l'empêchaient d'avancer.
Plus de 10 mètres la séparaient des 2 hommes.
Yozora ne pouvait faire qu'une seule chose. Lever la voix.
- Yumetarou !!
Elle l'appela encore et encore. À chaque fois, Yumetarou bougeait légèrement. Il entendait Yozora, mais sa voix ne lui parvenait pas.
Comment je fais ? Se demanda la jeune fille.
L'homme en rouge la regarda, surpris, puis l'ignora et se retourna vers Yumetarou. La lumière dans sa main grossissait de plus en plus. Il s'agissait probablement d'une sorte d'arme qui allait tuer Yumetarou dans quelques secondes. Yozora ne saisit pas du tout la situation, mais elle comprit au moins le minimum.
Il faut que je dise quelque chose.
Mais juste l'appeler, ça ne suffit pas.
Yozora Jakuin a toujours été une lycéenne ordinaire. Il y avait une limite à sa bravoure. Dans un moment de vie ou de mort face auquel elle était impuissante, elle n'avait pas la tête pour réfléchir calmement. Toute pensée s'évapora de son crâne. La tête vide, elle cria des mots qu'elle-même n'avait pas imaginé prononcer.
◇
- Donne tout, Yume !
◇
Takumu Azekura entendit une voix.
Elle lui parvint.
- ...Ha
Il bougea.
Il n'a pas pour autant réussi à fuir de son rêve. Il n'est pas non plus parvenu à correctement reconnaitre la réalité.
C'est juste que cette voix et ces mots étaient très spéciaux pour lui.
Combien de fois avait-il pu les entendre en rêve ? Il n'a jamais cessé d'y repenser dans la réalité.
Takumu était incapable de différencier les rêves de la réalité, mais à cet instant, cela ne posait plus aucun problème. Son cœur et ses corps en miettes continuèrent de bouger, toujours dans cet état. La distinction entre le Takumu des rêves et celui de la réalité n'eut plus de sens.
Il abandonna Krokuus.
Son armure violette foncée se dénoua en une multitude de fils, et une seconde après, ils prirent la forme de pétales de fleurs et éclatèrent sous un flash de lumière.
- Quoi !?
Hiiragi réagit, même aveuglé. Il tira la lumière en direction de là où Takumu était recroquevillé. Maintenant qu'il n'avait plus sa combinaison, il allait sans dire que ce coup allait le tuer sans difficulté.
Takumu n'était pas resté les bras croisés.
Ce n'est pas parce qu'il avait retiré Krokuus, qu'il allait retrouver immédiatement son ancrage dans la réalité. Il était sonné, et son champ de vision était instable, mais malgré ça, son corps ne restait pas à rien faire. Il se jeta sur le côté afin de sortir de la ligne de tir du rayon. Il tendit la main vers sa hanche, et dégaina son multicylindre, créé pour réprimer les panorganismes. Pas le temps de se mettre en joue, il dirigea son arme à peu près dans la bonne direction, et appuya sur la détente. Encore et encore.
Il ne remarquait pas qu'il n'avait plus de balles, et continuait de presser la gâchette.
Le temps passa. Le flash lumineux disparut.
Takumu reprit son calme, baissa son arme, et se releva.
Hiiragi était à terre.
- Hiiragi...
Takumu jeta un coup d'œil au pistolet dans sa main, et chuchota. Il ne savait pas si une balle incapacitante ordinaire avait de l'effet sur le médiateur expérimenté, étant fusionné avec la Visiteuse Dornsenju. C'est pourquoi il changea son magazine juste avant le combat.
C'était désormais des balles certaines de fonctionner sur l'homme— et qui le tuerait probablement. Des balles renforcées.
- Bra...vo.
Hiiragi sortit de sa bouche des mots d'admirations, ainsi que des bulles de sang termes depuis le coin de sa bouche.
- ...Je vais...mourir. On s'était mis d'accord pour se battre, et tu as gagné.
- Vous savez !?
Un sanglot l'interrompit.
- Moi, je me souviens pas...avoir dit être d'accord...pour ça...
- Dans ce cas...on va dire que tu as bien voulu céder à mon caprice...tu es un gentil junior, tu sais ?
- J'ai jamais voulu...
Qu'on en arrive là, voulait-il crier.
- Dépêche-toi, c'est au 27e étage.
Hiiragi le coupa.
- Je suis fini. Dans 10 minutes, au mieux, cette cabine va être encore rembobinée, et ce bâtiment sera de nouveau habité.
Hiiragi força son visage à afficher un sourire.
- Ça ne serait pas drôle, tu ne trouves pas ? Le trophée du vainqueur se doit d'être reçu dans l'euphorie de la victoire.
Ah...je vois.
Peut-être était-ce parce qu'il venait tout juste de quitter son rêve. Takumu en oublia presque le plus important. Lui et Merinoe étaient venus dans cette ville isolée maintenue en activité par un appareil théâtral pour la détruire.
Il leva la tête.
- Vas-y. Et sois pas trop dur avec le moi de demain.
Takumu ne répondit pas.
Hiiragi souriait. Takumu s'éloigna, et marcha jusqu'à un endroit un peu éloigné du champ de bataille.
Le médiateur porta Merinoe qui était allongée à côté des arbres sur la route. Elle avait la peau anormalement froide. Elle avait les paupières toujours fermées, et ne montrait aucun signe de se réveiller. Son visage était effroyablement vide d'émotions. Impossible de deviner quel genre de rêve elle pouvait bien être en train de voir.
Plongée profondément dans son sommeil, elle ressemblait à une poupée. C'était à se demander si la Merinoe qui sautait partout et montrait des ribambelles d'expressions différentes n'était pas une fabrication créée de toute pièce, et que celle-ci était la vraie.
Pensa distraitement le médiateur. Soudain, dans son dos.
- ...Euuuh, excusez-moi..
Une jeune fille lui adressa la parole.