Sugar Dark ~ Français : Fosse 1 - Chapitre 3
3[edit]
Au moment où le ver de terre sortit du sol, l'infortunée créature fut sectionnée en deux avant de mourir.
Bien que ce n'était rien comparé à une véritable taupe, même une taupe du champ de bataille comme Mole avait l'habitude de tomber sur des vers tous les jours. Bien entendu, il lui arrivait souvent d'en découper plusieurs sans le vouloir en creusant un trou.
Malgré la récurrence de cet évènement, aujourd'hui, Mole était captivé par ce qui aurait simplement dû être la routine pour lui. Il ignorait pourquoi il fixait du regard avec une telle curiosité le cadavre desséché du ver, mais il finit par le laisser tomber par terre.
Étant donné qu'aujourd'hui, on lui avait ordonné de creuser un nouveau trou, peut-être qu'il avait cru à tort que la tombe qu'il avait partiellement creusé la veille lui était destiné. Néanmoins, à mesure qu'il creusait, il devait transporter la terre toujours plus loin du trou, au point où il passait plus de temps à faire des allers-retours qu'à creuser.
Pour ce qui était de la taille de cet immense trou... il avait remarqué qu'il avait déjà écrasé quatre vers. Qui plus est, comme si on le prenait pour un imbécile, la profondeur à creuser était indiquée par un long bâton en bois où était attaché un bout de tissu noir. D'après cet indicateur, la tâche du jour devait faire aux alentours d'un mètre cinquante de profondeur.
... Mais Mole remarqua que pour cette tombe, il avait creusé trop profond d'environ la distance entre son pied et son genou. À ce propos, à cause de son manque d'attention, il avait tapé son pied au lieu du sol à plusieurs reprises avec la pelle.
— Arrête de rêvasser et concentre-toi, marmonna le garçon à voix haute, tout en se tapant les joues avec les paumes.
Malgré tous ses efforts, il ne parvint pas à pleinement se concentrer de toute la journée. Ou peut-être était-ce plutôt qu'il avait l'impression que ses pensées n'étaient pas focalisées sur sa tâche. Même si son corps creusait, c'était comme si son esprit était à moitié endormi.
Quand il eut fini de creuser le trou, le soleil était déjà en train de se coucher. Pour Mole, le travail du jour lui avait pris bien trop de temps. Il n'essayait pas particulièrement de se tuer à la tâche, surtout que personne n'allait le féliciter derrière... Sans compter qu'il n'allait pas bénéficier d'un meilleur traitement pour autant. D'un autre côté, il était toujours réticent à l'idée de faire les choses à moitié, ce qu'il pensait ne pas être la meilleure solution.
— Très cher galérien.
Mole entendit la voix de Daribedor tandis qu'il rangeait ses affaires.
— Il semblerait que vous veniez tout juste de terminer, continua le vieil homme, en contemplant le trou creusé par Mole.
— Eh bien, oui...
Exactement, c'était du gâteau ! Il se garda bien de prononcer cette remarque sarcastique. Cette sensation que cela n'allait pas être évident d'avoir affaire avec ce vieil homme sans nez n'avait pas changé depuis qu'ils s'étaient rencontrés.
— Je sais que vous devez être fatigué, mais j'aimerais que vous donniez un coup de main à l'inhumation... Oh, ne vous en faites pas, enterrer quelque chose n'a rien de bien sorcier. Pour ce qui est de l'endroit, il s'agit du trou que vous avez creusé jusqu'à hier, alors vous ne devriez pas avoir besoin d'indications pour vous y rendre, n'est-ce pas ?
— Non, ça ira, répondit Mole brusquement, tout en s'éloignant sa pelle en main.
— ... Ah, bien, bien.
Cependant, alors qu'il s'en allait, Daribedor l'interpella.
— Étant donné que je vis sur cette terre depuis plus longtemps que vous, permettez-moi de vous donner une mise en garde. Même pour les galériens, si vous ne souhaitez pas terminer dans un de ces trous que vous creusez, il serait préférable que vous évitiez de vous mêler un peu trop de ce qui ne vous regarde pas.
— ...?
Mole ne voyait pas de ce dont il pouvait bien parler. Mais avant qu'il ne puisse lui demander où il voulait en venir, le vieil homme s'en était rapidement allé vers le manoir.
Tout en marchant, Mole cogita sur ce que l'homme voulait dire.
... Peut-être qu'il était au courant de sa petite escapade de la veille, alors qu'il cherchait un moyen de s'échapper.
Puis la fortuite rencontre lui traversa l'esprit.
Meria.
La fille qui portait le nom de Meria Fosse Commune.
S'il devait se fier à ce qu'elle avait dit, elle était la gardienne de ce cimetière.
Cependant, intuitivement, il ne voyait pas vraiment quelles étaient les tâches qui incombaient à un « gardien de cimetière ». Pour ce qui était de creuser les trous, c'était déjà lui qui s'en chargeait, et les responsables du cimetière étaient les personnes du manoir, Daribedor et l'autre bonne femme.
S'il devait émettre des hypothèses, peut-être que le gardien était en charge de protéger le cimetière de ceux qui tentaient de piller les tombes de leur contenu. Mais, même s'il pouvait parfaitement trouver cette explication plausible, il avait du mal à l'imaginer faire face à ce genre de personnes. Pourtant, bien qu'elle semblait parler du haut de sa tour d'ivoire, aux yeux de Mole, elle était plutôt normale et ne ressemblait qu'à une simple fille sans défense... Enfin, peut-être était-il difficile de dire que son apparence était simplement normale.
En tous les cas, même cette nuit-là, elle allait sûrement faire une ronde dans le cimetière. Du moins, c'est ce que pensait Mole. Toutes les nuits, la fille semblait patrouiller dans le coin, ce qui allait également devoir entrer en ligne de compte dans son plan d'évasion. Et pour cette raison, Mole décida de vérifier si Meria était là ou non.
Mais, alors qu'il s'avançait dans le cimetière, il put apercevoir des gens se rassembler au loin. Il y avait un grand nombre d'hommes amassés autour du trou creusé par Mole jusqu'à la veille.
Ils sont sûrement là pour l'enterrement.
... Cependant, de là où il était, l'ambiance semblait loin d'être morose. Malgré le fait que c'était un enterrement, Mole ne sentait pas la moindre once de tristesse qui était de mise dans ce genre d'évènement. Il n'y avait ni sanglots ni gémissements.
Alors qu'il essayait de s'approcher, il s'aperçut que les gens étaient vêtus de vêtements de deuil, tels que des costumes noirs, et... que leurs visages étaient cachés par des masques peints en blanc. Ces derniers étaient complètement dépourvus d'expression, si ce n'était les yeux que l'on pouvait voir à travers les fentes longilignes prévues à cet effet. Ils ressemblaient pour s'y méprendre aux masques de la mort. Et bien que les gens étaient de corpulence différentes, les masques étaient tous identiques.
C'est quoi cette histoire ? Ils vont quand même pas faire un bal masqué ici, non ? pensa Mole. Bien entendu, la jeune taupe n'avait jamais participé à ce genre de fêtes.
... Peut-être que ça se fait pas de montrer son visage dans ces cas-là.
Bien qu'il avait des doutes sur leurs intentions, le garçon courba légèrement l'échine devant les personnes qui semblaient avoir remarqué sa présence et continua de s'avancer... C'est alors qu'il aperçut quelque chose d'étrange.
Au milieu de l'immense tombe où la fille l'avait partiellement enterré la veille, gisait désormais... la tête d'une bête gigantesque.
Au moment où il posa les yeux dessus pour la première fois, il ne comprit pas tout de suite ce que c'était. C'était tout à fait compréhensible après tout. Quoi que cela pouvait être, c'était le genre de choses qui dépassait l'entendement général. Il se mit à se frotter frénétiquement les yeux, tout en priant pour que ce soit une hallucination. Il ouvrit alors les yeux une fois de plus.
Il pouvait apercevoir son visage se refléter dans les grands et gigantesques yeux de la créature, aussi gros qu'une tête d'homme.
Désormais, il n'y avait plus aucun doute, cette chose gisant dans la tombe était sans conteste la tête d'un monstre gigantesque d'un autre monde. Non, pour être précis, c'était un monstre géant dont le corps était presque entièrement composé de son énorme tête. Ce qui était encore plus invraisemblable se trouvait sous la mâchoire densément velue du monstre : là où chez un humain, on s'attendait à trouver un cou, il y avait ici quelque chose semblable à un corps de lézard. Contrairement à la taille gigantesque de la tête, son corps de lézard était ridiculement petit, mais malgré tout, il semblait être doté de muscles puissants et de griffes à faire froid dans le dos.
Le corps de la créature était transpercé de toutes parts par des lances pointues, et sa mâchoire et son flanc étaient restreints par des fils barbelés. Malgré ce dispositif, la simple vue de ce monstre inspirait une profonde terreur en Mole. Il ne pensait pas que CETTE chose était vraiment morte. Même maintenant, il avait l'impression que si ses chaînes venaient à être brisées, elle allait lui sauter dessus.
— ...
Sa voix sonnait bizarre, mais au final, Mole retrouva son calme. De la sueur froide s'échappait de son corps, et le centre de son visage était brûlant, comme s'il était en feu. Ses genoux tremblaient. Il ignorait ce qu'il regardait, mais il comprenait bien qu'une créature aussi effroyablement dangereuse n'était pas quelque chose que les êtres humains rencontraient en temps normal.
En quête d'aide, il se mit à regarder les gens autour de lui... mais les hommes masqués alignés debout sur le côté semblaient être enveloppés par une sombre vitre de verre, empêchant Mole de les voir dans les yeux. De cette ligne, une personne fit un pas en avant et s'approcha du garçon.
— Bien, la terre, ordonna une voix sourde de derrière le masque.
Sans comprendre ce que voulait dire l'homme, Mole lui adressa un regard vide en réponse. Puis, il se souvint qu'il tenait fermement sa pelle dans sa main gauche.
— Plus vite, dit l'homme masqué de petite taille d'une voix irritée. Dépêche-toi de l'enterrer !
Debout au bord du trou, le jeune galérien hésita. Il avait l'impression de se trouver face aux portes de l'enfer.
— Allez, plus vite, exhorta l'homme masqué à plusieurs reprises. Plus vite, plus vite.
Mole enfonça sa pelle dans le tas de terre qu'il avait fait la veille et jeta frénétiquement la terre dans le trou. Il ne voyait plus ses mains ni son corps... La seule chose qu'il voyait était le monstre blessé.
Ce... C'est quoi ? C'est quoi... ce truc ?
Il n'avait jamais entendu parler de ce genre de créature en dehors des fables. Elle avait une forme étrange et biscornue qui ignorait les lois et règles de ce monde. Par exemple, sa mâchoire pouvait selon toute vraisemblance manger une tête de la taille de celle de Mole en un coup. Rien qu'un dixième de son apparence extérieure était effroyablement monstrueuse, et il ne faisait aucun doute qu'elle devait se délecter de la chair humaine.
Bien qu'il ne faisait que répéter encore et encore le geste auquel il aurait dû être habitué, il fut à bout de souffle avant de s'en rendre compte. Alors que le garçon prit à plusieurs reprises des bouffées d'air irrégulières et courtes, quelque chose semblait posséder sa main et la força à continuer. Il n'y avait aucune distinction entre blanc et noir dans les yeux du monstre, uniquement la couleur terne de la bile. Mais plus notable encore, il y avait plein de petits yeux gravitant autour des deux grands.
Et maintenant, le garçon avait l'impression que ceux-ci le regardaient... tous sans exception.
Mi-abasourdi, il continua sa tâche. Quand il eut fini son dernier coup de pelle, l'état du sol n'avait rien de différent de celui aux alentours. Personne n'imaginerait qu'un tel monstre était enterré ici.
Soudain, le cimetière où il se trouvait semblait s'étendre à l'infini.
Non... Est-ce qu'il n'y a que des créatures comme ça enterrées ici ? Sous ces pierres tombales, il n'y a que des cadavres de ces monstres ?
Bien que ces inquiétantes questions s'amoncelaient à toute vitesse dans son esprit, il ne semblait y avoir personne en mesure d'y répondre. Un homme masqué s'avança du groupe en direction de là où Mole avait enterré la chose géante dont la tête était deux fois plus grande que la sienne. L'homme posa la pierre tombale en forme de croix qu'il portait sur les épaules, et à ce moment même, Mole sentit un gémissement émettre du sol.
Il ne semblait pas que ces gens masqués voyaient un quelconque intérêt à offrir au monstre un épitaphe ou des offrandes, et donc, ils se contentèrent d'observer silencieusement jusqu'à ce que la pierre tombale soit en place. Une fois ce fait, ils s'en allèrent.
Au loin, Mole pouvait entendre faiblement le bruit du pot d'échappement d'un véhicule de grande taille en direction de l'entrée du cimetière. Mais celui-ci s'évanouit rapidement, laissant Mole seul à contempler le sol dans le même état abasourdi que quand il creusait le trou plus tôt ce jour-là.
Même s'il avait l'impression que c'était un cauchemar, il ne parvenait pas à se réveiller peu importe le temps écoulé.
Elle existe... vraiment ? Cette chose ?
Mole avait besoin de quelqu'un pour lui tapoter l'épaule et lui dire que tout ça n'était qu'une plaisanterie. Mais même s'il attendait que le soleil couchant disparaisse derrière les feuilles d'arbre, personne n'allait venir.
Sa tête était bouillonnante, et n'était pas du tout en état de réfléchir à quoi que ce soit. Tout était trop étrange.
... S'il y réfléchissait calmement, ce genre de monstre n'existait sûrement pas. Ouais, c'est vrai. Peut-être que je devrais essayer de creuser. S'il creusait, il ne trouverait sûrement rien en dessous. Tout ça n'était qu'une hallucination.
Le garçon se saisit de sa pelle et l'enfonça dans le sol. Néanmoins, après avoir soulevé son premier tas de terre... sa main s'arrêta et il retrouva ses esprits. Pour exprimer ça avec des mots, il aurait dit qu'il était absurde de se sentir comme ça.
Peu importe ce qui est enterré là, il fait trop sombre pour que je puisse voir de toute façon.
Avec les forces qui quittaient ses mains, ces dernières lâchèrent prise du manche et la terre se déversa sur le sol.
... Est-ce que je devrais rentrer ?
... Mais où ?
Il pouvait entendre le grincement de ses dents. Rentrer ? C'était un galérien. C'était l'endroit où il avait été emprisonné, un esclave aux travaux forcés. Il ne pouvait pas quitter cet endroit. Et même s'il réussissait, il n'aurait nulle part où rentrer. Il supposait que l'étable décrépie avec son lit était le seul avantage du cimetière, mais mis à part ça, où pouvait-il vraiment aller ?
Pourquoi est-ce que j'hésite ?
Allez, bouge...
Son pied droit paraissait vraiment lourd, mais il parvint à faire un pas en avant. Ses orteils n'étaient pas dirigés vers l'étable, mais vers l'entrée du cimetière. Et après s'être forcé à faire ce premier pas, le suivant fut bien plus simple.
Il jeta par terre sa pelle honnie et se lança dans un sprint effréné, comme s'il fuyait un camp militaire en ruine.
Bien qu'il n'avait ni destination ni plan en tête, et même s'il pouvait se retrouver blessé, il chassa de force toutes ces pensées de sa tête, et d'une négligence inconsciente, il courut, encore et encore. La seule chose qu'il savait était que chaque pas l'éloignait un peu plus de ce monstre.
Courir de toutes ses forces n'avait rien d'agréable. Pourtant, malgré la profonde obscurité et le faible clair de lune, il sentait que le monde s'éclaircissait, comme si le soleil se levait devant lui.
Mais bientôt, il réalisa que ses rêves d'évasion n'étaient qu'une illusion.
Il n'avait pas parcouru beaucoup de chemin, il n'avait pour ainsi dire même pas quitté le cimetière, quand il sentit une espèce de vent s'approcher derrière lui. La seule chose que le garçon pouvait imaginer était le monstre à la gigantesque tête, qui aurait fini par s'extirper de son trou et qui se serait désormais mis à sa poursuite.
La peur lui avait fait recouvrer ses esprits et en réponse, il poussa son corps jusqu'à ses limites et se mit à accélérer. Il était exactement comme un herbivore fuyant face à un carnivore, si ce n'est qu'il était déjà pathétiquement à court de souffle. Tandis que creuser des trous était la spécialité des taupes, leur endurance en course était lamentablement faible.
Puis, sentant que la poursuite était sur le point de se terminer d'une façon ou d'une autre, Mole rassembla son courage et fit face à son poursuivant.
Et sans l'ombre d'un doute, une créature noire se trouvait là. Néanmoins, elle ne faisait pas un dixième de la taille de celle qu'il avait enterré un peu plus tôt.
À la place, elle avait des pattes rapides et une queue semblable à un plumeau... Puis la jambe droite de Mole se tordit à tel point qu'il avait l'impression qu'elle avait pris feu.
D'un coup, la bête lui avait sauté dessus et la gravité prit le dessus sur Mole, qui tomba alors à la renverse sur le sol.
— Arg... Fichu cabot !!
Mole tendit le bras pour tenter de briser la nuque du chien, qui tenait désormais la cuisse du garçon dans sa mâchoire et était la raison pour laquelle le garçon était tombé par terre. Cependant, au moment même où il toucha la fourrure noire, son monde se retrouva une nouvelle fois sens dessus dessous. Quand on lui avait enseigné les arts martiaux à l'école militaire, on lui avait appris comment tomber sans se faire mal. Mais là, il n'était pas parvenu à utiliser ses mains pour amortir sa chute et avait finalement violemment heurté le sol. S'en suivit une étrange douleur sourde au moment où son nez toucha le sol. Tout en essayant d'endurer la douleur, il serra les poings et se dit, Je vais briser le crâne de ce chien avec ma jambe.
— Dephen, arrête !
La voix venait de loin.
C'était la voix ferme et grave d'une jeune femme.
Le chien s'arrêta net. Les forces quittèrent sa mâchoire et un bruit de succion trempé se fit entendre au moment où ses crocs lâchèrent prise de la cuisse du garçon. Un liquide rouge se mit à s'accumuler en surface et après quelques secondes, le sang coula à flot des vaisseaux sanguins désormais sectionnés.
Dès qu'il s'eut assuré que le chien n'allait pas l'attaquer à nouveau, Mole inspecta sa blessure pour le moins répugnante. Son pantalon en chanvre avait été déchiré tel du papier et en dessous, il pouvait voir des trous béants dans sa jambe. En jetant un œil au chien, il aperçut de la chair fraîche pendre de ses crocs. Et comme son corps était encore sous l'effet de l'adrénaline, il ne ressentait qu'un chaud engourdissement. Néanmoins, il savait pertinemment qu'avec une telle blessure, il allait souffrir le martyr plus tard.
— Fais chier, grommela le garçon.
— Mole ?
La fille à la capuche sombre contourna le chien pour vérifier son identité. Et bien que ce n'était pas intentionnel, elle se retrouvait une fois de plus à devoir baisser les yeux pour le regarder, comme la nuit précédente.
— ... Tu as mal ?
La fille regardait sans broncher la jambe droite du garçon baignant dans une mare de sang.
Silencieusement, Mole reposa son regard sur sa blessure, se demandant ce qu'elle pensait de son absence de réponse. Pendant quelques temps, la fille se tint debout sans bouger aux côtés du garçon, puis finalement, comme si elle parlait à elle-même, elle soupira.
— Je n'aime pas la douleur, murmura-t-elle.
Mole sursauta sur ses pieds.
Le visage de la fille montrait une légère perplexité. Mise à part sa blessure, elle semblait avoir enfin remarqué que Mole était dans un état d'esprit différent de la veille.
Mole dévisagea intensément la fille inamicale. Et en retour, la fille semblait agitée, le regardant avec une certaine hostilité comme s'il était un animal blessé... Était-ce vraiment de l'hostilité ou alors de la peur ?
— T'as dit que t'étais la gardienne de ce cimetière, dit Mole d'un ton menaçant. Dans ce cas, tu dois savoir ce qui est enterré sous cette terre, non ?
Il avait crié ces mots tout en pointant du doigt le sol.
Les émotions qui bouillonnaient en lui et la peur qu'il avait ressentie face au mystérieux monstre l'empêchaient de garder la tête froide. Il pouvait également sentir une chaude palpitation dans sa jambe droite. Tout ceci avait eu raison de tout son sang-froid et son bon sens.
Il comprenait que sa rage dirigée contre elle n'était pour lui qu'un moyen de se défouler et que c'était totalement gratuit, mais comme d'habitude, la fille se contenta de le regarder avec des yeux aussi clairs qu'un lac. Il se demandait bien si son visage était capable d'exprimer d'autres émotions.
Cependant, cette beauté et cette transparence l'agaçaient.
— Dis-moi ce que c'est ! Ou alors... t'es amie avec ce truc ?
Comme s'il était sur le point de la frapper, Mole s'étira en avant et la saisit par le revers de son manteau... Ou du moins, tenta de le faire. Mais dès que les grandes mains du garçon la touchèrent, elle tomba immédiatement à terre avec un faible « Ah ».
Il n'y avait eu aucune forme de résistance, comme si on plongeait sa main dans l'eau.
Elle était tombée bien trop rapidement, et comme Mole se tenait principalement sur une jambe pour ne pas s'appuyer sur celle qui était blessée, il perdit à son tour l'équilibre. Ses genoux touchèrent le sol, puis son corps tomba vers l'avant en plein sur le corps de la fille allongée sur le dos.
... C'était comme si il avait été en train d'essayer de lui sauter dessus.
L'écrasant pratiquement, Mole était finalement assuré que la fille avait un corps, un poids, un parfum humain... et une peau chaude. La fille cligna des yeux comme si elle ne comprenait pas ce qu'il s'était passé. Et pendant que Mole était étendu sur elle, leurs corps se touchant des épaules aux doigts, elle le regardait droit dans les yeux.
Pour ce qui est de Mole, il était tout simplement paralysé tel un enfant choqué d'avoir renversé son assiette par terre. Ce n'était pas dans son intention. C'était un accident... mais malgré tout, il lui avait peut-être fait mal. Quand cette pensée lui traversa l'esprit, le garçon retrouva ses esprits.
— Tu sens comme le soleil, murmura la fille à sa joue, complètement recouverte par l'épaule du garçon.
Mole s'écarta précipitamment de son corps.
— Je... Je suis... désolé. Tu t'es fait mal quelque part ?
Oubliant sa précédente attitude inquisitrice, les mots sortirent soudain de sa bouche. Son irritation s'était volatilisée et il semblait être redevenu lui-même.
Mole envisagea essayer d'aider la fille à se lever, mais au moment où il essaya de lever son propre corps, il se rendit compte qu'il en était incapable. La blessure de sa jambe droite qu'il avait oubliée était devenue pesante et une intense douleur aigüe frappa le garçon au centre de sa tête.
Il parvint à s'accroupir, mais il ne put contenir son grognement de douleur. Pendant un temps, il fut dans l'incapacité de réfléchir correctement et la douleur semblait avoir pris le dessus sur ses autres sens. Jusqu'à ce que la douleur ne s'estompe, il ne pouvait rien faire d'autre que se tenir tranquille. Il ferma les yeux, serra les dents et sans bouger, endura la souffrance en silence.
Après un moment, il leva son visage désormais couvert de sueur, mais Meria avait déjà disparu.
— Bah, rien d'étonnant.
Après ce qu'il avait fait, il était naturel qu'elle se méfiait de lui. Il se serait probablement excusé s'il n'avait pas été encore en colère après ce fichu chien... mais... malgré le fait qu'il payait ouvertement pour ses erreurs, pour une raison ou une autre, il avait cet arrière-goût amer dans la bouche. Il regrettait ses actions et culpabilisait pour son attitude déplacée envers Meria.
Tout en tentant de limiter le flot de sang coulant de ses veines rompues, Mole jeta à nouveau un œil à l'état de sa cuisse.
La jambe droite de son pantalon était en lambeaux et le tissu était imbibé de sang. Il pouvait même voir les effroyables marques de morsure sur sa chair. Mais fort heureusement, malgré que les marques étaient profondes, aucune artère, ni aucun os, ni aucun nerf ne semblait avoir été touché... Néanmoins, il se sentait mal à l'aise. En voyant la puissante mâchoire du chien, il savait que s'il avait vraiment utilisé toutes ses forces, il aurait pu facilement réduire sa cuisse en charpie.
Alors que cette pensée lui traversa l'esprit, il tourna la tête et aperçut la sombre bête calmement assise sur son arrière-train, l'odeur du sang ne l'excitant pas le moins du monde. C'était exactement comme si leur affrontement d'il y a quelques minutes n'avait été qu'un mauvais rêve. Le coin de la bouche du garçon esquissa un fin sourire.
Ha ha... Alors t'y es allé mollo avec moi.
Même si Daribedor avait sûrement exagéré quand il avait prétendu que ce chien était un « chien de chasse hors pair », Mole devait admettre que ce titre était des plus appropriés. Le chien était vraiment pénible, et il était cent fois plus efficace qu'un garde humain qui s'assoupit souvent. Et que les actions de Mole aient été une répétition pour le jour de son évasion ou non, le prix à payer le fit grimacer.
... Néanmoins, s'il laissait cette blessure telle quelle, il était sûr qu'elle allait s'infecter. Même s'il n'allait pas jusqu'à rêver d'un bandage propre ou d'un désinfectant, s'il avait dans le pire des cas de l'alcool, alors il pourrait à la fois laver sa blessure et l'intérieur de sa bouche. Mais il paraissait peu vraisemblable que la pingre vieille femme ne donne ce genre de choses à un galérien qui avait échoué dans sa tentative d'évasion.
Et ainsi, son avenir s'assombrissait. Particulièrement parce qu'il sentait que même s'il retournait à l'étable dans son état actuel, il risquait fort de s'écouler plus d'une nuit s'il s'endormait.
Alors qu'il se tenait là pendant un moment, envisageant abandonner, il aperçut soudain une lueur orange se balançant légèrement d'avant en arrière s'approchant de lui.
... S'il avait été dans l'état qu'il était quelques heures auparavant, il aurait pu croire que c'était un mauvais esprit ou quelque chose du genre.
Mais il ne prit pas peur comme la veille. C'était clairement une situation où avoir peur lui aurait été bénéfique, mais où était passée sa peur ?
... En fait, il avait peur de bien plus que de simples fantômes et autres choses du genre... et ils se trouvaient sous ses pieds.
Il essaya d'attendre un peu plus longtemps et se rendit compte que la lueur s'échappait d'une lanterne carrée. C'est vrai. Comment une lueur de couleur chaleureuse pouvait provenir d'un mauvais esprit ?
À mesure que la lanterne s'approcha, il s'avéra qu'elle était tenue par la main gauche d'un être humain vêtu de noir. À sa grande surprise, c'était Meria Fosse Commune. La fille n'avançait vraiment pas vite, mais la vue de sa démarche était suffisante pour lui faire oublier de respirer. Malgré tout, il s'inquiétait vraisemblablement pour un rien : le fait qu'il ait le souffle coupé venait sûrement du fait qu'il était fatigué.
Dans sa main opposée, Meria tenait une petite boite en bois.
Après un bref silence, la fille s'accroupit juste à côté du garçon, posa sa lanterne sur le sol et tendit la boîte. Avant même qu'il puisse s'en saisir, Mole put légèrement sentir l'odeur du désinfectant.
Une fois dans ses mains, Mole réalisa qu'il ne se sentait pas à l'aise à l'idée d'appliquer de la solution antiseptique sur sa blessure.
Depuis qu'elle était revenue, elle était silencieuse et Mole était incapable de lire la moindre émotion dans ses grands yeux... Des yeux qui regardaient droit vers lui. Après lui avoir donné la boîte de premiers secours, elle n'essaya pas de s'enfuir, et son visage ne montrait pas le moindre signe de peur. Et parce qu'elle était accroupie, le bas de son manteau se retroussa légèrement vers le haut, dévoilant le bas de ses jambes, avec une peau aussi douce que de la porcelaine.
— Je peux vraiment utiliser ça ?
Même si cela aurait été vraiment intéressant si elle avait répondu non, Mole pensait tout de même qu'il était préférable de poser la question. La fille répondit à sa question par un hochement affirmatif de la tête.
— Merci pour ton aide.
Dans la boîte se trouvait toute une collection de produits tels que des gazes, du coton absorbant, du désinfectant, des compresses, et des choses pour réchauffer une blessure, tous rangés méthodiquement. Et tous semblaient être parfaitement neufs.
Mole essuya à nouveau le sang avec le tissu de la jambe droite de son pantalon, puis il posa un coton imbibé de désinfectant sur sa blessure. L'alcool stimula ses nerfs avec une douleur aigüe.
Meria restait silencieuse, le regard subjugué comme si elle assistait à une espèce de spectacle rare ou quelque chose du genre.
Pour une raison ou une autre, il avait du mal à garder son sang-froid et en conséquence, la main qui enroulait le bandage cafouilla maladroitement. Qui plus est, il n'appréciait pas le fait qu'elle pouvait entendre sa forte respiration.
Après être parvenu à terminer ses soins, il rendit la boîte en bois à Meria et la fille se leva.
Puis, doucement, elle dit :
— Je ne suis pas l'Obscurité.
— ... L'obs..?
Le garçon tenta de répéter l'expression inconnue qu'elle avait utilisée, mais il se souvint alors des mots qu'il avait prononcés avant de faire tomber la fille par terre... « T'es amie avec ce truc ? »
L'instant d'après, comme si le courant avait été coupé, un souffle se fit entendre et la flamme disparut. Alors que ses yeux s'étaient habitués à la lumière, il se retrouva une fois de plus plongé dans les ténèbres, et perdit la fille de vue.
Puis, avant même que Mole n'ait le temps de dire quoi que ce soit, il l'entendit dire à une certaine distance :
— Au revoir.
La voix monotone paraissait effroyablement solitaire. Mais était-ce son esprit qui lui jouait des tours... ou était-ce juste ce qu'il voulait bien croire...?
Quelle que soit la vérité, le garçon se trouvait désormais seul, et il n'avait personne à qui poser la question.
Fosse 1 - Chapitre 2 | Page principale | Fosse 1 - Chapitre 4 |