Sugar Dark ~ Français : Fosse 2 - Chapitre 3

From Baka-Tsuki
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3[edit]

Le galérien du cimetière creusait des trous.

Tel était son travail, son devoir.

La taille des trous était indiquée par quatre marques sur le sol. Mais pour une raison ou une autre, il ne pouvait en trouver qu'une ce jour-là.

Peut-être une erreur, pensa-t-il pendant qu'il contemplait le sol à ses pieds. Pourtant, il ne parvenait toujours pas à trouver d'autres marques.

Dans ce coin de la fosse commune, les pierres tombales autour de lui n'étaient pas densément disposées. C'était bien différent de l'uniformité d'un lotissement. Ici, les tombes étaient placées de façon sporadique.

Qu'est-ce que ça veut dire ?

Tout en tapotant son épaule avec la pelle, le garçon jeta un œil instigateur sur l'unique ridicule marqueur. Était-ce un oubli de Daribedor ? Il posa son pied sur le rivet vide de sens et leva les yeux au ciel...

— ...

À ce moment-là, il finit par remarquer le deuxième rivet enfoncé dans le sol, mais il était extrêmement loin de là où il se trouvait. Perplexe, il se rapprocha pour vérifier. Bizarrement, il était placé à une distance où était d'habitude le troisième ou le quatrième rivet. Et si ce n'était pas une erreur, alors ce trou était deux fois plus grand que le trou qu'il avait creusé pour le géant monstre en forme de tête.

Mole se sentit découragé. Combien de temps et d'efforts il va me falloir pour finir celui-là ?

Puis, il fut pris de terreur. ... Il est gros comment celui-là pour avoir besoin d'un trou aussi grand ?

Non seulement il avait réalisé le temps et l'effort que cela allait lui demander, mais également la réponse à sa deuxième question. Quoi de plus normal, après tout. Même si le monstre devait être un peu plus petit que le trou qu'il allait creuser, ce dernier était toujours suffisamment grand pour contenir trois tanks empilés les uns sur les autres, voire plus.

« Les monstres ont d'innombrables formes différentes, mais en gros, plus ils sont gros, plus ils sont forts. » Il se souvint des propos de Corbeau lors de leur première rencontre alors qu'il se préparait à se mettre au travail. Corbeau et ses compères avaient l'intention de combattre la chose qui était censée être enterrée dans le trou qu'il allait creuser ? Dans ce cas, ils allaient devoir prier que Dieu les garde vu que selon les propres dires de Corbeau, ces monstres étaient immortels.

Tout en soupirant, Mole enfonça sa pelle dans le sol et souleva sa première motte de terre. Il répéta son geste encore, encore, et encore...

... Et malgré le nombre de fois qu'il avait répété ce même geste, au moment où la nuit commençait à tomber, le trou n'était même pas à moitié terminé.

Même s'il s'était habitué à cette activité, comme tout un chacun pourrait s'y attendre, il était exténué. Après toute la peine qu'il s'était donné pour nettoyer son corps le matin, il se retrouvait à nouveau aussi sale qu'il l'était avant sa toilette. Il avait beau être un galérien, il avait maintenant l'impression que c'était une forme de punition. Mais si tel était le cas, de quoi était-il puni au juste ?

Il y a erreur sur la personne. J'ai rien fait de mal. Il posa sa main sur sa poitrine et se remémora la scène dont il avait été témoin ce matin-là.

Dans le même temps, il sentit une partie de lui durcir sans qu'il le veuille.

Bien que c'était un accident, reluquer Meria pendant qu'elle se lavait était très certainement un crime.

Pendant toute la journée, il s'était demandé quelle était la meilleure façon de lui adresser la parole s'ils venaient à se rencontrer. Sans aucun doute, la première chose qui devrait sortir de sa bouche était des excuses. Ce qu'il avait fait était indigne, il n'y avait pas d'autres mots pour le décrire.

Avec cette détermination, il alla jusqu'au réservoir et se lava. Hélas, il semblait que la terre s'était déjà entièrement infiltrée dans ses rotules et sur le bout de ses doigts, alors peu importe la quantité d'eau utilisée, il n'arrivait pas à s'en débarrasser. Mais pour se rafraîchir les idées, il se déversa de l'eau sur la tête à maintes reprises et avec beaucoup d'ardeur, telle une sorte de rite religieux ascétique.

Peu après, il se dirigea vers le cimetière, et au loin, il aperçut une lampe orange familière flotter dans les ténèbres de la nuit. Elle s'approchait de lui à la même vitesse indolente que d'habitude.

Bien, peut-être qu'elle ne m'en veut pas.

Si ça avait été le cas, elle n'aurait pas essayé de venir vers lui. Ce simple raisonnement le rassurait.

— Meri...

Mais alors qu'il avait essayé de parler, elle s'arrêta, à toujours bonne distance de lui. Se sentant toujours coupable, Mole ne fit aucun mouvement pour s'approcher d'elle.

— ...

— ...

Un silence pesant s'abattit sur eux. Ça craint si j'arrive pas à m'excuser en bonne et due forme. Mole tenta d'ouvrir la bouche, mais avant qu'il ne puisse dire quoi que ce soit, Meria se mit à parler.

— Pendant quelques temps, ne sors pas la nuit.

D'un coup, son nez se déboucha douloureusement et Mole fut pris d'envie de se cogner la tête contre un arbre de s'être naïvement senti soulagé.

— Je suis désolé. J'imagine que tu m'en veux finalement, dit-il en baissant la tête de honte.

Meria, dont le visage était caché par sa capuche, secoua la tête.

— Je ne t'en veux pas.

Le comportement de la fille sous-entendait « Pas la peine de t'excuser ».

— Je suis sincèrement désolé, c'était un accident ! Il m'arrive de me lever plus tôt pour me promener. J'ai entendu un bruit d'eau qui m'a intrigué, alors... Non, vraiment, j'avais pas l'intention de t'espionner, et pourtant, je t'ai vue là et...

Le visage de Mole vira au rouge vif. À la moitié de son explication, il avait commencé à perdre le fil de ce qu'il racontait et de ce qu'il essayait de dire. C'était le même comportement que celui d'un enfant de primaire.

— ... Alors, je t'en prie... dit Mole, mais son imploration ne sembla pas atteindre la fille.

— Je ne t'en veux pas ou quoi que ce soit. Alors s'il te plaît, pendant quelques temps, reste dans l'étable la nuit. Ne sors sous aucun prétexte. Je t'en supplie...

Elle avait agrippé si fort son manteau que ses doigts étaient blancs. Et ce faisant, elle ne fit que l'implorer inlassablement de rester à l'intérieur.

N'ayant pas le choix, pendant plusieurs jours, Mole se remit à creuser l'immense trou pendant la journée, avant de passer sa nuit dans l'étable, en se torturant sans cesse l'esprit alors qu'il fixait du regard le mur effrité pour passer le temps.

Il n'avait pas la moindre idée de ce que la fille entendait par « pendant quelques temps », mais elle lui avait simplement dit de ne surtout pas sortir, ce qui signifiait qu'elle n'avait pas coupé les ponts avec lui.

Si ce qu'il pensait était avéré, alors tout comme les mots « pendant quelques temps » l'impliquaient, le suspense et l'anticipation allaient disparaître.

... Mais pendant les deux ou trois jours suivants, il ne pouvait empêcher son corps de trépigner d'impatience. N'y avait-il vraiment rien à faire ? C'était un accident... Cette excuse s'était à nouveau mise à faire surface dans son esprit. Et il n'y avait qu'un seul moyen de calmer ses inquiétudes, à savoir de l'entendre directement de la bouche de Meria. En effet, même s'il ne se sentait pas capable d'exprimer clairement ce qu'il voulait lui dire, il n'y avait rien d'autre qu'il puisse faire.

Puis, une nuit, il fut surpris d'entendre le grognement du chien provenir du cimetière.

Du coup dans l'incapacité de garder son calme, Mole tenta de quitter l'étable.

Le ciel étoilé complètement dépourvu de nuages paraissait comme à son habitude. Comme s'il ne s'était rien passé ces derniers jours où il était resté dans l'étable.

Mais alors... pourquoi ? Pourquoi est-ce que j'ai la chair de poule ?

Le garçon tenta de se frotter doucement les bras. Il s'était habitué au cimetière la nuit, alors ce n'était pas dû à ses hallucinations qui lui donnaient froid dans le dos. ... Sûrement mon imagination.

Mais il ne pouvait pas se fier à ses émotions dans son état psychologique actuel où le malentendu troublait son jugement.

Puis quelque chose arriva. Sur le coup, Mole pensa que c'était un micro séisme vu que le sol avait légèrement tremblé. Pour décrire cette sensation, c'était comme s'il était en train d'observer un tsunami géant se rapprocher à l'horizon. Une nuée d'innombrables soldats potentiellement ennemis s'abattait maintenant farouchement vers lui, parés à en découdre.

Peut-être que c'était une prémonition ou quelque chose. Non. Quoi que ce sentiment augurait, cela allait arriver bientôt.

Sur ces sentiments, il retourna dans l'étable, mais il doutait être capable de pouvoir rester tranquille jusqu'au petit matin...

Peut-être que je devrais me préparer à m'enfuir.

Sur cette pensée, Mole courut hors de l'étable et se rua jusqu'à l'entrée du manoir. Au premier abord, il pensa que le cimetière était comme d'habitude. Sur la large pente, le sol était parsemé non pas d'hommes, mais de tombes. Le vent faisait hurler les arbres de la forêt, et toute la zone était plongée dans l'obscurité.

Mole courut vers le grand arbre qui poussait tout au centre du cimetière. Il n'était pas très doué pour grimper aux arbres, mais s'il parvenait à aller en haut, alors peut-être qu'il serait en mesure d'avoir une vue d'ensemble du cimetière.

Mais quand, à bout de souffle, il arriva enfin au pied de l'arbre... il le vit.

C'était la deuxième fois que son cerveau n'était pas capable de comprendre ce qu'il voyait.

Mole ne pouvait pas vraiment se remémorer son précédent souvenir tandis qu'il se tenait devant une créature qu'on ne voyait pas tous les jours. La première fois avait été très récente. C'était quand cet immense monstre en forme de tête avait été enterré, pieds et poings liés.

Maintenant.

Sous ses yeux se trouvait désormais un gigantesque tas de chair.

S'il se forçait à lever les yeux, il verrait que cette masse distordue, sphérique et molle de chair repliée sur elle-même ressemblait à la tête d'un poulpe... Mais les poulpes ne pouvaient pas aller si loin dans les terres, avaient des yeux, et n'étaient sûrement pas plus grands qu'un bâtiment de deux étages.

C'était un monstre.

Ou comme l'avait décrit Corbeau, un démon. Ou pour reprendre les mots de la gardienne du cimetière, l'Obscurité. Et celui-ci était même encore plus gros que son compagnon, celui à la forme de tête qu'il avait enterré.

Mais c'était différent maintenant. Cette fois-ci, il n'était pas attaché ni rien de la sorte. Celui-ci bougeait. La tête du gigantesque poulpe de chair n'était pas soutenue par six tentacules munis de ventouses... Non, ses pattes étaient solides, comme celles d'un scarabée, et elles ne faisaient que renforcer la grosseur du monstre.

Le bout de chaque jambe était anormalement aiguisé et, selon les points de vue, pouvait ressembler à une griffe. Bien entendu, cela ne paraissait pas naturel que cette chose ait quelque chose comme une griffe dure et acérée où que ce soit sur son corps. Au final, c'était d'innombrables pattes de longueurs différentes qui s'étendaient en dessous du tas de chair, gigotant toutes frénétiquement à la manière de celles d'un mille-pattes.

Tout cela était extrêmement bizarre et glauque et Mole sentait pertinemment que ce n'était pas une créature du monde courant.

Cette créature regardait droit devant elle, où se trouvait... Meria.

Mole en oublia de respirer.

Elle ne tentait pas de fuir. En fait, elle et le monstre se tenaient l'un face à l'autre.

Même avec la pèlerine à capuche qu'elle portait, elle paraissait toujours aussi svelte, une impression qui était renforcée par la taille gigantesque du monstre en face d'elle. Et même de là où il était, Mole pensait pouvoir voir le même visage calme qu'elle arborait toujours.

Le monstre brandit une de ses pattes telle une faucille.

Fuis, avait-il tenté de crier, mais sa voix ne voulait pas sortir.

Mais qu'il y fusse arrivé ou pas, cela ne changeait rien. Il était déjà trop tard.

La patte s'agita de gauche à droite comme la langue d'un reptile, le bout de celle-ci étant pourvu d'une griffe acérée.

Puis... la main gauche de la fille tournoya sans discontinuer dans les airs telle la pointe d'une épée brisée, avant d'heurter le sol et de rouler par terre.

S'en suivit un faible et minuscule cri.

Et malgré le peu d'intensité de ce dernier, et il ne pouvait pas être fort à ce point, le son de sa voix transperça tout de même les tympans de Mole.

Au même moment, quatre des pattes tentaculaires de la créature se tendirent et transpercèrent le corps de Meria. Ses cris s'évanouirent rapidement. Une griffe avait perforé son corps, juste en dessous de sa gorge d'où le cri provenait. Les autres griffes en forme de faucille perforèrent son bras droit, sa cuisse gauche, et son nombril... Quatre pointes de griffes émergèrent de son corps.

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Puis, le monstre utilisa ces quatre pattes pour la soulever dans les airs. Du sang gicla de la bouche de la fille, et l'instant d'après, comme si son corps ne pouvait plus le contenir, une grande quantité de liquide rouge s'écoula de la partie basse de son corps.

Le monstre secoua la fille sans défense en l'air et jeta violemment son corps contre le sol. À ce moment-là, la griffe qui transperçait son nombril sectionna en deux le corps de la fille, ce qui fit dégouliner ses entrailles telle une longue queue. Puis, elle heurta le sol, son sang aspergeant les alentours comme si le monstre venait juste d'écraser un fruit bien juteux. Ses intestins dessinaient un arc sur le sol.

Meria...

Elle était encore en vie.

Elle pleurait.

Aussi fort pouvait être un homme, il se mettrait à coup sûr à pleurer après avoir subi pareilles blessures. Bien entendu, il était également possible qu'il meure avant que ça n'arrive, vu que comme leur nom l'indique, c'était des blessures fatales.

... Mais malgré tout ça, la fille se releva.

Au début, elle n'arrivait pas à se tenir droite et s'appuyait de ses mains sur ses genoux. Puis, elle se redressa fermement sur ses jambes.

Le garçon vit alors quelque chose d'encore plus incroyable que le monstre.

Les intestins qui avaient dégouliné de son abdomen déchiqueté se mirent à gigoter comme des vers de terre et rampèrent jusque dans son corps. Puis, après que tout ce qui était sorti de son corps avait retrouvé sa place originelle, la sérieuse blessure qui avait séparé la partie haute de son corps du bas se referma automatiquement, mettant fin à l'hémorragie.

Ce n'était pas tout. Sa main gauche qui avait été sectionnée au début de l'attaque roula jusqu'à son corps comme si elle était aimantée à celui-ci. Elle escalada ensuite sa jambe, son estomac, sa poitrine pour finalement retrouver sa place au bout de son poignet. Elle avait ainsi récupéré ses deux bras complets. C'était comme si elle était une poupée et que sa main et son corps avaient été recousus par un tailleur invisible.

Témoin de ce spectacle invraisemblable, Mole se souvint des propos que Corbeau avait tenus une fois. « Ces choses n'ont pas ce qu'on appelle la vie. Comme leur nom l'indique, ce sont des morts-vivants. Même si on les coupe en petits morceaux ou les brûle en cendres, telle une mauvaise blague ils reviendront à la vie... »

Meria fut transpercée à plusieurs reprises, et son corps découpé en plusieurs morceaux. Et à chaque fois, elle marmonnait un cri comme pour signaler son abandon... mais alors ses membres sectionnés, ses organes dégoulinant, son torse déchiqueté, et son crâne brisé retrouvaient ensuite leur état normal. Peu importe les blessures qu'on lui infligeait, rien ne pouvait la tuer. Cependant, comme un psychopathe ayant pris goût aux meurtres macabres, ce gigantesque monstre brandissait ses tentacules pointus et continuait son massacre sur Meria pendant ce qui sembla être une éternité.

Sous l'éclat de la lune et des étoiles, sur une terre qui semblait s'étendre à perte de vue, le monstre surnaturel poursuivit son ravage sur le corps de Meria. On aurait dit que sa cruauté était sans fin, mais à mesure que le temps passait, le monstre parut petit à petit lever le pied...

La raison était simple.

Ses pattes bougeaient de moins en moins.

Sous la masse de chair, il y avait toujours d'innombrables pattes aiguisées, mais désormais, plus de la moitié était inactive. Une par une, les pattes qui gesticulaient jusqu'ici frénétiquement, s'arrêtèrent subitement de bouger.

Mais ce n'était pas un phénomène aléatoire. En fait, à y regarder de près, c'était toujours les pattes qui avaient attaqué Meria qui cessaient de gigoter.

Il n'en connaissait pas la raison, mais les faits étaient les suivants : la fille s'approchait et à chaque fois que les pattes du monstre blessaient, découpaient ou transperçaient son corps, elles finissaient par se figer et par pendre lâchement comme si les nerfs à l'intérieur avaient été sectionnés. Petit à petit, le nombre de pattes immobilisées atteignit un tel niveau que les restantes ne pouvaient plus supporter le poids de la masse de chair. Un gigantesque tremblement de terre s'ensuivit au moment où celle-ci s'écroula au sol.

Si cela avait été ce que l'on pourrait normalement qualifier de combat, quoi de plus naturel qu'il y ait une écrasante différence de force entre le monstre et la fille. Si c'était Mole qui était en face du monstre, même s'il avait pu recommencer un million de fois, il serait sûrement mort à chaque tentative. Et en toute honnêteté, il y avait une différence de force énorme entre la fille et le monstre.

Malgré tout, le monstre diabolique et hideux était incapable de tuer la fille qui, face à lui, était aussi fine qu'une tige de plante. En fait, son corps faiblissait petit à petit. C'était comme une pierre qui aurait été usée pendant de longs mois sous des trombes de pluie incessante.

Évidemment, comme c'était un géant, la vitesse à laquelle il faiblissait était terriblement lente.

Jusqu'à ce qu'enfin, la dernière patte cessa de bouger.

Le gros tas de chair repliée, plus gros que n'importe quelle statue, ne ferait désormais même plus de mal à une mouche. Alors que la créature extrêmement violente s'arrêtait de bouger, bien que c'était une chose étrange à dire, c'était comme si elle semblait résignée et découragée, comme un commerçant à un festival qui viendrait juste de se terminer.

Recouverte de sang malgré l'absence de blessure sur son corps, Meria s'avança avec la même lenteur qu'à son habitude vers le monstre et toucha la chair avec sa main droite.

L'atmosphère vibra silencieusement. Ce n'était pas quelque chose qu'il pouvait voir avec ses yeux, mais elle s'était calmée. À tel point que c'était comme si le monde s'était arrêté de tourner.

Quant à elle, la créature ne bougea pas d'un iota. Meria s'accroupit à côté d'elle, visiblement fatiguée. Elle prit de profondes et irrégulières inspirations à plusieurs reprises. Et même si elle était toujours en vie après avoir été poignardée, transpercée et découpée en morceau, son visage pâle ressemblait désormais à celui d'un cadavre.

— ... Mo... le ? dit la fille en levant la tête, les yeux en larmes.

Le garçon n'essaya pas de masquer le bruit de ses pas.

En le voyant, Meria s'arrêta de pleurer. Non, il était plus vraisemblable qu'elle se retenait.

Il ne savait pas pourquoi elle avait fait ça. Surtout parce qu'il aurait été bien plus simple de la comprendre si elle avait pleuré comme une enfant.

Est-ce que je devrais m'approcher ou m'en aller ?

... La seule pensée qui animait son esprit était de s'approcher d'elle.

Mais plus tôt, son instinct de survie l'avait empêché de crier.

S'il avait hurlé « fuis », le monstre se serait sûrement tourné vers lui et l'aurait tué après en avoir fait de même avec la fille. C'est pour cette raison qu'il ne pouvait pas crier — et qu'il ne l'avait donc pas fait. Et il n'y avait rien de faux de cette hypothèse. À l'exception qu'elle n'envisageait à aucun moment la possibilité que Meria allait survivre.

Il regretta amèrement son comportement, et il lui était difficile de se pardonner d'avoir privilégié sa propre survie. Mais contrairement à ce qu'on pourrait penser, il n'avait vraiment pas l'intention de s'enfuir.

Et...

— Meria.

Il n'y avait aucune énergie dans sa voix.

Le visage de la fille pendant qu'elle retenait ses larmes était plus dur que n'importe quel masque, et Mole n'était pas sûr qu'elle pouvait le retirer.

« Ça va ? »

« Rien de cassé ? »

« Dis-moi, t'es quoi au juste ? »

Ces questions le titillaient, mais s'il les avait posées, il ne pensait pas que Meria aurait pu les comprendre.

Après avoir vaincu ce monstre, avoir tremblé de douleur, avoir été effrayée, avoir été blessée, elle était maintenant recouverte de sang et baissait la tête de honte. Que pouvait-il donc bien lui dire dans ces conditions...? Il voulait que quelqu'un, n'importe qui, lui souffle quoi dire.

— ... Tu veux être mon amie ?

— ... Quoi ?

Le garçon saisit vigoureusement la main droite de Meria.

Celle-là même qui avait achevé le monstre.

— Je vais ignorer le fait que tu m'as repoussé l'autre jour, dit Mole en feignant être plongé dans ses pensées avec un sourire gêné.

Exactement comme cette fois-là, Meria cligna des yeux comme s'il avait dit quelque chose de bizarre.

— C'est pas très sympa de refuser après avoir déjà dit non la première fois.

Tel un magicien qui fascine le cœur des enfants en sortant un drapeau de sa paume, Mole parlait de façon aussi fluide et loquace qu'il en avait l'habitude avant. Mais surtout, Mole était d'un calme olympien, et s'il continuait avec ce ton et ce regard, même sa gentillesse allait transpirer de son comportement.

— ... Pas vrai ?

Il n'y eut aucun changement dans l'expression de Meria. Elle ne dit rien, et ne secoua pas la tête négativement non plus. Elle se contentait de fixer le sol des yeux.

La regarder était comme observer un liquide sur le point de déborder d'un verre rempli à ras bord. Et alors, de ses yeux humides, une simple larme coula le long de sa joue.

— Tu veux de l'aide pour te relever ?

La fille acquiesça, la larme tombant alors de son visage.

Mole tourna la tête sur le côté et détourna le regard du corps de Meria autant que possible. Il lâcha alors sa main et glissa ses bras musclés sous ses jambes. Il plaça le bras droit sous ses genoux et le gauche sous son dos tandis qu'il la souleva.

— ... Que-Qu'est-ce que tu fais ? s'écria la fille, confuse.

— Tu as sûrement besoin de te laver. Et après ça, de changer de vêtements, répondit simplement Mole d'un ton neutre et direct.

Même Mole savait comment cette scène pouvait être interprétée, mais il pensait que ce n'était pas le moment de s'en inquiéter.

Enfin... elle n'était sûrement pas une princesse ou quelque chose du genre.

Après qu'il ait mentionné ses vêtements, Meria rougit, comme si elle avait enfin remarqué son apparence.

Malgré qu'il n'y avait aucune blessure sur son corps, ses vêtements étaient en lambeaux. La pèlerine sombre qu'elle portait toujours était déchirée en morceaux et seuls quelques bouts étaient encore raccrochés à son corps, tels les fragments d'un œuf sur un poussin qui viendrait de naître. Un état que l'on pourrait qualifier de « presque nue ».

L'état de ses vêtements avait enfin résolu le mystère de ce qui se trouvait sous son épaisse pèlerine de couleur foncée. Elle ne portait visiblement qu'une fine robe en guise de sous-vêtements. Néanmoins, il ne restait à la fille dans ses bras que très peu de tissus pour couvrir les parties intimes et ce qui restait était fermement étiré, exposant ses jambes relativement longues jusqu'à la moitié de ses cuisses. Avec tout ça, Mole ne savait plus vraiment où poser les yeux.

Si seulement il n'y avait pas les tâches de sang sur sa peau...

Le fait que ce genre de pensées lui traversait l'esprit prouvait sûrement qu'il avait fini par retrouver son calme.

Quelques minutes après s'être mis en marche, Meria lui demanda d'une voix timide :

— Je ne suis pas trop lourde ?

Bien que sa voix paraissait hésitante, elle n'était pas faible. Sa vie ne semblait pas être en danger, mais elle n'était sûrement pas en parfaite santé. Ses joues montraient un afflux important de sang vers la tête du fait de la fièvre, elle avait du mal à respirer, et il pouvait sentir son cœur battre à tout rompre à travers ses mains posées sur son dos.

... La fille était tout sauf ordinaire. Cependant, il ne voulait pas la déranger ni être indiscret à son encontre. Alors du mieux qu'il put, il tenta de la mettre à l'aise.

— Même si t'étais trois fois plus lourde, ça serait pas un problème pour moi.

Son corps était étrangement svelte, sans parler de son très faible poids. Ou peut-être qu'à cause de ma nervosité, j'ai plus de forces dans les bras.

— ...

Meria détourna le regard et poussa un léger soupir.

Même si elle était couverte de sang, son visage était toujours aussi beau. Son expression était douce, mais il pouvait sentir qu'elle réfléchissait désespérément à propos de quelque chose.

Tandis qu'il marchait, toute sa concentration était portée sur Meria, comme si elle occupait tout son champ de vision. Il regarda ses longs cils, ses paupières, ses joues blanches et écarlates à la fois, et ses lèvres roses. Et s'il venait à se pencher juste un petit peu, il aurait été suffisamment proche pour les toucher.

Au lieu de ça, il tendit les oreilles.

Ces lèvres murmuraient quelque chose d'incohérent et d'à peine audible.

Et alors qu'une profonde émotion se propagea sur son visage...

— Maria.

La fille avait prononcé le nom de quelqu'un.

Ces mots n'étaient pas à l'attention du garçon, il n'avait aucun doute à ce sujet. Et non seulement Mole n'avait pas la moindre idée de qui était cette personne, mais en plus, l'esprit de Meria semblait être ailleurs.

Le nom sonnait féminin. Un détail sur lequel il cogita pendant un certain temps...

Mais ensuite, elle se tut.

Les forces avaient totalement quitté le corps de la fille, comme si elle s'était assoupie. Pendant un moment, il crut sentir à travers ses bras comme un changement dans le corps de la fille, mais cette pensée fut rapidement chassée à l'horizon.

Comme elle ne lui demandait pas trop d'efforts pour la porter, il réalisa qu'il devrait marcher prudemment afin de ne pas trop la secouer.

Du coup, le chemin jusqu'au portail du manoir prit quelques minutes de plus.

Mais quant à Mole, il avait eu l'impression que le temps passé à porter la fille sur toute cette distance n'avait duré qu'un instant.

Puis il posa Meria sur le sol en position assise, son corps toujours paralysé par la fatigue. La première fois qu'il était venu ici était quand la police militaire avait décroché l'interphone, comme si c'était un exploit en soit. Il avait voulu regarder, mais n'avait pu le faire, alors maintenant, il ne se souvenait pas comment s'en servir.

Deux ou trois fois, il avait entendu des grésillements semblables à ceux d'une radio provenir du combiné. Il ne fonctionnait peut-être que si c'était l'autre côté qui appelait... Néanmoins, il n'y avait personne pour décrocher.

— Ça ira ici ?

Meria sortit une clé et pointa du doigt vers l'entrée sur le côté.

— Mais... dit Mole, perplexe.

— M. le galérien, vous l'avez trouvée, dit une voix derrière lui.

Daribedor regardait le garçon sans tenter de masquer son air étrange et déplaisant.

— Étant donné qu'il y a en ce moment-même un démon dans ce cimetière qui attend d'être enterré, je vous saurais gré de bien vouloir retourner vaquer à vos besognes, dit le vieil homme.

— Mais elle est blessée...

— Blessée ? l'interrompit l'homme, avant, tel un diablotin, de se pencher en arrière et d'exploser de rire. Mais où donc ?

Meria, assise le visage baissé, ne semblait pas avoir la moindre blessure sur son corps après tout.

— Elle...

— Ce n'est pas grave si vous l'ignorez.

Le vieil homme sans nez saisit la fille par le bras et malgré l'absence de différence de taille entre eux, il la tira de l'autre côté de la porte en fer. Mole tenta de les suivre, mais le chien noir surgit et s'interposa devant lui.

Au final, il ne put même pas voir Meria alors qu'elle était tirée jusqu'à la maison.

Puis, il se souvint de la « besogne » qu'avait mentionnée le vieil homme.

Enterrer ce monstre. Qu'il le veuille ou non, tel était le travail du galérien.



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