Difference between revisions of "Reina Kamisu ~ Français : Volume 1 Fumi Saito"

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(relecture partie 1 et 2)
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Je n'ai pas d'amis.
 
Je n'ai pas d'amis.
   
Pas parce que je déteste parler aux autres, ou parce que je suis méfiante, ou parce que je suis trop flemmarde pour nouer des contacts. Je ne cherche pas délibérement à éviter de me faire des amis. En deux mots, j'en suis tout bonnement incapable.
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Pas parce que je déteste parler aux autres, ou parce que je suis méfiante, ou parce que je suis trop flemmarde pour nouer des contacts. Je ne cherche pas délibérément à éviter de me faire des amis. En deux mots, j'en suis tout bonnement incapable.
   
Ma mère m'a toujours dit que ce n'était pas bien sorcier, vu que je suis intelligente et que j'ai de bonnes notes, mais de mon point de vue, ça l'est. Elle ne se doute pas ce que l'école peut devenir pénible pour ceux qui n'arrivent pas à se faire d'amis.
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Ma mère m'a toujours dit que ce n'était pas bien sorcier, vu que je suis intelligente et que j'ai de bonnes notes, mais de mon point de vue, ça l'est. Elle ne se doute pas à quel point l'école peut devenir pénible pour ceux qui n'arrivent pas à se faire d'amis.
   
 
Comme à l'instant par exemple : même si c'est la pause et que tout le monde s'est mis à discuter, je suis assise là toute seule comme si je vivais dans une autre dimension. Ça devient même encore pire à la pause déjeuner, pendant que je mange silencieusement mon repas pendant que les autres déplacent les tables et mangent ensemble — j'ai l'impression d'être une naufragée sur une île déserte au beau milieu d'un océan sans fin.
 
Comme à l'instant par exemple : même si c'est la pause et que tout le monde s'est mis à discuter, je suis assise là toute seule comme si je vivais dans une autre dimension. Ça devient même encore pire à la pause déjeuner, pendant que je mange silencieusement mon repas pendant que les autres déplacent les tables et mangent ensemble — j'ai l'impression d'être une naufragée sur une île déserte au beau milieu d'un océan sans fin.
   
De temps en temps, je me demande si les autres ne sont pas des extraterrestres déguisés en hommes pour me berner, la dernière humaine encore en vie.
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De temps en temps, je me demande si les autres ne sont pas des extraterrestres déguisés en hommes pour me berner, moi, la dernière humaine encore en vie.
   
 
Ridicule. Vraiment ridicule, mais cela prouve à quel point je me sens seule à l'école.
 
Ridicule. Vraiment ridicule, mais cela prouve à quel point je me sens seule à l'école.
   
Parce que je n'ai rien à faire entre les cours, je me suis mise à lire des livres pendant mon temps libre malgré que je n'aime pas spécialement ça. Du coup, je suis devenue encore plus dure d'approche et ça n'a fait que renforcer le fossé qui me sépare de mes camarades de classe. C'est un cercle vicieux : on me prend à tort pour une fille qui aime être seule, alors que c'est complètement faux ! Moi aussi, j'adorerais bavarder ! Moi aussi, je veux débattre sur qui est le mec le plus cool de la classe ou sur mon chanteur préféré ! Mais on m'ignore. Les autres s'approchent avec réticence de moi uniquement quand c'est absolument nécessaire.
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Parce que je n'ai rien à faire entre les cours, je me suis mise à lire des livres pendant mon temps libre bien que je n'aime pas spécialement ça. Du coup, je suis devenue encore plus dure d'approche et ça n'a fait que renforcer le fossé qui me sépare de mes camarades de classe. C'est un cercle vicieux : on me prend à tort pour une fille qui aime être seule, alors que c'est complètement faux ! Moi aussi, j'adorerais bavarder ! Moi aussi, je veux débattre sur qui est le mec le plus cool de la classe ou sur mon chanteur préféré ! Mais on m'ignore. Les autres s'approchent de moi à contrecœur uniquement quand c'est absolument nécessaire.
   
 
Pourquoi suis-je incapable de me faire des amis ? Qu'est-ce qui me rend différente des autres ? Comme je n'ai rien à faire de toute façon, je médite souvent sur la question.
 
Pourquoi suis-je incapable de me faire des amis ? Qu'est-ce qui me rend différente des autres ? Comme je n'ai rien à faire de toute façon, je médite souvent sur la question.
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C'est un problème de communication. Effectivement, je ne suis pas douée pour parler avec les autres. Mais pourquoi donc ? Parce que je suis toujours sur mes gardes ? Parce que je deviens nerveuse quand on s'adresse à moi ? Non, ce n'est pas du tout ça. C'est juste un autre cercle vicieux qui s'est initié parce que je ne parle pas souvent aux autres.
 
C'est un problème de communication. Effectivement, je ne suis pas douée pour parler avec les autres. Mais pourquoi donc ? Parce que je suis toujours sur mes gardes ? Parce que je deviens nerveuse quand on s'adresse à moi ? Non, ce n'est pas du tout ça. C'est juste un autre cercle vicieux qui s'est initié parce que je ne parle pas souvent aux autres.
   
La cause à l'origine de tout ça doit être... parce que j'ai peur de souffrir. J'ai peur qu'on me prenne pour une fille bizarre. J'ai peur de casser l'ambiance à cause d'une remarque déplacée. J'ai peur de l'avis des autres à mon sujet.
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La cause à l'origine de tout ça doit être... parce que j'ai peur de souffrir. J'ai peur qu'on me prenne pour une fille bizarre. J'ai peur de casser l'ambiance à cause d'une remarque déplacée. J'ai peur des avis des autres à mon sujet.
   
 
Inconsciemment, je regarde le groupe de Mizuhara-san qui se trouve au deuxième rang près de la fenêtre. Mizuhara-san est en quelque sorte la chef de la classe, et de ce fait, a beaucoup d'amis. Ils ont l'air de bien s'amuser. Je suis vraiment jalouse.
 
Inconsciemment, je regarde le groupe de Mizuhara-san qui se trouve au deuxième rang près de la fenêtre. Mizuhara-san est en quelque sorte la chef de la classe, et de ce fait, a beaucoup d'amis. Ils ont l'air de bien s'amuser. Je suis vraiment jalouse.
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Mais ce n'est pas grave.
 
Mais ce n'est pas grave.
   
Je n'ai certes pas d'amis normaux, mais j'ai effectivement ma meilleure amie.
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Je n'ai certes pas d'amis normaux, mais j'ai quand même ma meilleure amie.
   
 
Ma chère meilleure amie irremplaçable...
 
Ma chère meilleure amie irremplaçable...
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C'est ce que Reina m'avait répondu alors qu'on rentrait à la maison et que je lui avais parlé de mes inquiétudes quant à mon incapacité à me faire des amis.
 
C'est ce que Reina m'avait répondu alors qu'on rentrait à la maison et que je lui avais parlé de mes inquiétudes quant à mon incapacité à me faire des amis.
   
Le sourire qu'elle esquissa tout en prononçant ces paroles était si magnifique que je ne pus m'empêcher de l'admirer pendant quelques instants. Ses longs cheveux sont d'un noir pur et si soyeux qu'il parait impensable de trouver la moindre fourche, tandis qu'elle avait le corps plantureux d'un top model, contrairement à mon corps d'enfant.
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Le sourire qu'elle esquissa tout en prononçant ces paroles était si magnifique que je ne pus m'empêcher de l'admirer pendant quelques instants. Ses longs cheveux sont d'un noir pur et si soyeux qu'il parait impensable de trouver la moindre fourche, tandis qu'elle a le corps plantureux d'un top model, contrairement à mon corps d'enfant.
   
Reina était vraiment belle. D'une beauté scandaleuse.
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Reina est vraiment belle. D'une beauté absurde.
   
 
— Je suis gentille...? Je ne crois pas. C'est juste que je n'ai pas envie de souffrir.
 
— Je suis gentille...? Je ne crois pas. C'est juste que je n'ai pas envie de souffrir.
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— ... Je vois.
 
— ... Je vois.
   
Reina esquisse à nouveau son doux sourire, du coup, j'en ai un peu honte de mon comportement.
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Reina esquisse à nouveau son doux sourire, et du coup, j'en ai un peu honte de mon comportement.
   
Aah... Quelle gamine je fais. Quelle idiote. Vraiment. Je parie que Reina pense que je suis jalouse de sa beauté, ce qui est en réalité vrai. Je suis vraiment ignoble. Maintenant, elle a dû perdre foi en moi. J'en suis certaine.
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Aah... Quelle gamine je fais. Quelle idiote. Vraiment. Je parie que Reina pense que je suis jalouse de sa beauté, ce qui est en fait vraiment le cas. Je suis vraiment ignoble. Maintenant, elle a dû perdre foi en moi. J'en suis certaine.
   
 
— ... Fumi, tu t'en veux, n'est-ce pas ?
 
— ... Fumi, tu t'en veux, n'est-ce pas ?
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Qu'est-ce que...?
 
Qu'est-ce que...?
   
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— Salut !
— Salut ! J'entends quelqu'un dire ça derrière moi (bien entendu, ça ne m'est pas destinée) et me dépêche de fermer mon casier. Après avoir attendu que la personne en question s'en aille, je le rouvre.
 
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J'entends quelqu'un dire ça derrière moi (bien entendu, ça ne m'est pas destinée) et me dépêche de fermer mon casier. Après avoir attendu que la personne en question s'en aille, je le rouvre.
   
 
— Oh, hein...
 
— Oh, hein...
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C'est tout ce qui est écrit.
 
C'est tout ce qui est écrit.
   
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— Ah... Hah...
— Ah... Hah... Je suffoque après avoir fini par remarquer que j'ai retenu mon souffle pendant que je lisais.
 
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Je suffoque après avoir fini par remarquer que j'ai retenu mon souffle pendant que je lisais.
   
 
De quoi il est question ? De... quoi il est question ?
 
De quoi il est question ? De... quoi il est question ?
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— Pourquoi pas...?
 
— Pourquoi pas...?
   
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— ...
— ... Je reste silencieuse, incapable de lui donner une réponse digne de ce nom. Je ne sais pas non plus vraiment pourquoi je lui ai demandé ça. En temps normal, j'aurais voulu qu'elle soit à mes côtés dans un moment pareil.
 
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Je reste silencieuse, incapable de lui donner une réponse digne de ce nom. Je ne sais pas non plus vraiment pourquoi je lui ai demandé ça. En temps normal, j'aurais voulu qu'elle soit à mes côtés dans un moment pareil.
   
 
Reina esquisse un grand sourire.
 
Reina esquisse un grand sourire.
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Mais comment allais-je réagir quand il sera question de sortir avec quelqu'un ?
 
Mais comment allais-je réagir quand il sera question de sortir avec quelqu'un ?
   
En ce moment... Je n'ai pas prévu ça, parce que j'ignore précisément ce qu'on attend de moi. J'ai un peu peur, et je ne sais pas comment je devrais me comporter avec l'autre personne.
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Pour l'instant... Je n'ai pas prévu ça, parce que j'ignore précisément ce qu'on attend de moi. J'ai un peu peur, et je ne sais pas comment je devrais me comporter avec l'autre personne.
   
 
J'imagine qu'un couple digne de ce nom doit s'embrasser ? Mais qu'est-ce qu'on ressent ? Quand est-ce qu'on ressent l'envie de s'embrasser ? Comment je vais réagir quand il voudra m'embrasser ? Se sentirait-il blessé si je refusais ? Je ne peux pas refuser alors... Je n'ai pas envie d'être détestée après tout.
 
J'imagine qu'un couple digne de ce nom doit s'embrasser ? Mais qu'est-ce qu'on ressent ? Quand est-ce qu'on ressent l'envie de s'embrasser ? Comment je vais réagir quand il voudra m'embrasser ? Se sentirait-il blessé si je refusais ? Je ne peux pas refuser alors... Je n'ai pas envie d'être détestée après tout.
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Peut-être que personne ne viendra. Peut-être que c'était une blague. Et si c'était le cas — je me sentirais un peu plus calme.
 
Peut-être que personne ne viendra. Peut-être que c'était une blague. Et si c'était le cas — je me sentirais un peu plus calme.
   
Je range le livre que je lisais à peine et que je me contentais de regarder, et me prépare à m'en aller, quand, soudain, le groupe de Mizuhara entre dans la classe. Elles font tous partie du club de tennis, alors je pensais au début qu'elles étaient venues poser leurs raquettes ici.
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Je range le livre que je lisais à peine et que je me contentais de regarder, et me prépare à m'en aller, quand, soudain, le groupe de Mizuhara entre dans la classe. Elles font toutes partie du club de tennis, alors je pensais au début qu'elles étaient venues poser leurs raquettes ici.
   
 
Hélas, leurs regards me disent que ce n'est pas tout.
 
Hélas, leurs regards me disent que ce n'est pas tout.
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Mizuhara-san me regarde.
 
Mizuhara-san me regarde.
   
Hah, alors t'as vraiment attendu.
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— Hah, alors t'as vraiment attendu.
   
 
— Euh...
 
— Euh...
   
Les filles autour d'elle se mettent tous à glousser tout en me regardant alors que je me sens mal à l'aise.
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Les filles autour d'elle se mettent toutes à glousser tout en me regardant alors que je me sens mal à l'aise.
   
 
— Tu t'es pas trop fait de films à cause de nous ? demanda Mizuhara-san d'un air mesquin.
 
— Tu t'es pas trop fait de films à cause de nous ? demanda Mizuhara-san d'un air mesquin.
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Sans me donner une chance de les interrompre, Takatsuki-san et Omi-san continuent à discuter de ma stupidité et de mon étrangeté.
 
Sans me donner une chance de les interrompre, Takatsuki-san et Omi-san continuent à discuter de ma stupidité et de mon étrangeté.
   
Je ne savais pas quoi faire.
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Je ne sais pas quoi faire.
   
 
Espoirs. Oui, j'ai eu de faibles espoirs que quelqu'un pourrait m'aimer. Quelle idiote. C'est n'importe quoi. Complètement impossible.
 
Espoirs. Oui, j'ai eu de faibles espoirs que quelqu'un pourrait m'aimer. Quelle idiote. C'est n'importe quoi. Complètement impossible.
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— Aah, merci beaucoup... Je suis sincèrement désolée. Ok, à plus tard.
 
— Aah, merci beaucoup... Je suis sincèrement désolée. Ok, à plus tard.
   
Dès que je les ai pardonnées, elles sont vite parties.
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Dès que je les ai pardonnées, elles partent sans plus attendre.
   
 
... Mais Mizuhara-san n'est pas méchante. Elle avait peut-être complètement raté son coup, mais elle s'inquiète pour moi. Elle fait attention à moi.
 
... Mais Mizuhara-san n'est pas méchante. Elle avait peut-être complètement raté son coup, mais elle s'inquiète pour moi. Elle fait attention à moi.
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— Pardon ! Je me suis permis d'écouter votre petite conversation, dit-il avec un visage mal à l'aise.
 
— Pardon ! Je me suis permis d'écouter votre petite conversation, dit-il avec un visage mal à l'aise.
   
— Non ! Ce-Ce n'est rien... Ces mots se sont échappés de mes lèvres parce que je veux le rassurer.
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— Non ! Ce-Ce n'est rien...
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Ces mots se sont échappés de mes lèvres parce que je veux le rassurer.
   
 
— ... Elles t'ont fait marcher avec une fausse lettre d'amour, pas vrai ? C'est pas cool. Elle... Mizuhara est toujours comme ça. On peut dire que c'est son passe-temps de jouer avec les sentiments des autres ! fulmine Kimura-kun, visiblement vraiment en colère après elle.
 
— ... Elles t'ont fait marcher avec une fausse lettre d'amour, pas vrai ? C'est pas cool. Elle... Mizuhara est toujours comme ça. On peut dire que c'est son passe-temps de jouer avec les sentiments des autres ! fulmine Kimura-kun, visiblement vraiment en colère après elle.
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Je secoue la tête énergiquement. Quoi de plus normal que je sois étonnée — après tout, il n'avait rien à gagner à m'aider.
 
Je secoue la tête énergiquement. Quoi de plus normal que je sois étonnée — après tout, il n'avait rien à gagner à m'aider.
   
— T'es vraiment bizarre... enfin bon, faut que j'y aille ! dit-il avant de poser une main sur ma tête avec un sourire, juste avant de partir. Incapable de comprendre ce qui se passe, je me contente de le regarder avec un air déconcerté.
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— T'es vraiment bizarre... enfin bon, faut que j'y aille ! dit-il avant de poser une main sur ma tête avec un sourire, juste avant de partir.
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Incapable de comprendre ce qui se passe, je me contente de le regarder d'un air déconcerté.
   
   
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Ai-je fait le bon choix ? Non, je suis sûre que non. Sinon—
 
Ai-je fait le bon choix ? Non, je suis sûre que non. Sinon—
   
—Je ne souffrirais pas autant.
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... Je ne souffrirais pas autant.
   
   
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Je souffre, Reina !
 
Je souffre, Reina !
   
Je ne veux pas être ''ici'', je souffre !
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Je ne veux pas être '''', je souffre !
   
   
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La vie est et restera toujours désespérée. Nous vivons nos vies dans le noir tout en nous raccrochant à d'infimes lueurs qui apparaissent de temps à autres, et ensuite, on repense à ces lueurs avec un sourire nostalgique sur le visage. Comme des idiots.
 
La vie est et restera toujours désespérée. Nous vivons nos vies dans le noir tout en nous raccrochant à d'infimes lueurs qui apparaissent de temps à autres, et ensuite, on repense à ces lueurs avec un sourire nostalgique sur le visage. Comme des idiots.
   
Hélas, je n'ai pas de souvenir où prendre refuge. Je n'ai pas de passé à idéaliser quand je perds espoir dans la réalité. Je n'ai pas d'autres choix que d'accepter cette vie emplie de désespoir jusqu'à ras-bord.
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Hélas, je n'ai pas de souvenir où prendre refuge. Je n'ai pas de passé à idéaliser quand je perds espoir dans la réalité. Je n'ai pas d'autres choix que d'accepter cette vie remplie de désespoir jusqu'à ras-bord.
   
 
Par conséquent, ma seule échappatoire est la mort.
 
Par conséquent, ma seule échappatoire est la mort.
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« Ne pense pas au suicide » qu'ils disent. Mais cette phrase est-elle réellement sincère ? Tu ne tueras point. Bien sûr. Tu ne voleras point. Bien sûr. Tu ne te suicideras point. Bien sûr. La réponse coule tellement de source qu'il n'y a pas de place pour le doute. Ces affirmations doivent être parfaitement vraies. D'une vérité éclatante.
 
« Ne pense pas au suicide » qu'ils disent. Mais cette phrase est-elle réellement sincère ? Tu ne tueras point. Bien sûr. Tu ne voleras point. Bien sûr. Tu ne te suicideras point. Bien sûr. La réponse coule tellement de source qu'il n'y a pas de place pour le doute. Ces affirmations doivent être parfaitement vraies. D'une vérité éclatante.
   
Il faut marcher un chemin boueux sans fin qui ne mène nulle part, et on n'a naturellement pas le droit d'en sortir. Quel système minable.
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Il faut suivre un chemin boueux sans fin qui ne mène nulle part, et on n'a naturellement pas le droit d'en sortir. Quel système minable.
   
 
Qu'est-ce que vous voulez que je fasse ? Qu'est-ce que je suis censée faire au juste ?
 
Qu'est-ce que vous voulez que je fasse ? Qu'est-ce que je suis censée faire au juste ?
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Et quelle est la conséquence de tout ça ?
 
Et quelle est la conséquence de tout ça ?
   
J'ai perdu depuis longtemps ma volonté d'être ''ici'', et j'avais besoin d'un abri où me réfugier.
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J'ai perdu depuis longtemps ma volonté d'être '''', et j'avais besoin d'un abri où me réfugier.
   
 
Il va sans dire que Reina Kamisu avait pris le rôle de ce refuge, de cet abri.
 
Il va sans dire que Reina Kamisu avait pris le rôle de ce refuge, de cet abri.
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Je comprends que c'est ce que cela signifie d'avoir été acceptée par quelqu'un.
 
Je comprends que c'est ce que cela signifie d'avoir été acceptée par quelqu'un.
   
— Uh... gh... gémissé-je alors que mes larmes remontent. Ces dernières tombent sur Reina, provoquant de petites ondulations. J'ai toujours pensé que mes larmes ne pouvaient tomber que sur le sol, mais je me trompais — elles avaient atteint le cœur de Reina.
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— Uh... gh... gémissé-je alors que mes larmes remontent.
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Ces dernières tombent sur Reina, provoquant de petites ondulations. J'ai toujours pensé que mes larmes ne pouvaient tomber que sur le sol, mais je me trompais — elles avaient atteint le cœur de Reina.
   
 
Je suis une partie de Reina, et—
 
Je suis une partie de Reina, et—

Revision as of 12:10, 6 October 2014

Chapitre 1 : Fumi Saito

1

Je n'ai pas d'amis.

Pas parce que je déteste parler aux autres, ou parce que je suis méfiante, ou parce que je suis trop flemmarde pour nouer des contacts. Je ne cherche pas délibérément à éviter de me faire des amis. En deux mots, j'en suis tout bonnement incapable.

Ma mère m'a toujours dit que ce n'était pas bien sorcier, vu que je suis intelligente et que j'ai de bonnes notes, mais de mon point de vue, ça l'est. Elle ne se doute pas à quel point l'école peut devenir pénible pour ceux qui n'arrivent pas à se faire d'amis.

Comme à l'instant par exemple : même si c'est la pause et que tout le monde s'est mis à discuter, je suis assise là toute seule comme si je vivais dans une autre dimension. Ça devient même encore pire à la pause déjeuner, pendant que je mange silencieusement mon repas pendant que les autres déplacent les tables et mangent ensemble — j'ai l'impression d'être une naufragée sur une île déserte au beau milieu d'un océan sans fin.

De temps en temps, je me demande si les autres ne sont pas des extraterrestres déguisés en hommes pour me berner, moi, la dernière humaine encore en vie.

Ridicule. Vraiment ridicule, mais cela prouve à quel point je me sens seule à l'école.

Parce que je n'ai rien à faire entre les cours, je me suis mise à lire des livres pendant mon temps libre bien que je n'aime pas spécialement ça. Du coup, je suis devenue encore plus dure d'approche et ça n'a fait que renforcer le fossé qui me sépare de mes camarades de classe. C'est un cercle vicieux : on me prend à tort pour une fille qui aime être seule, alors que c'est complètement faux ! Moi aussi, j'adorerais bavarder ! Moi aussi, je veux débattre sur qui est le mec le plus cool de la classe ou sur mon chanteur préféré ! Mais on m'ignore. Les autres s'approchent de moi à contrecœur uniquement quand c'est absolument nécessaire.

Pourquoi suis-je incapable de me faire des amis ? Qu'est-ce qui me rend différente des autres ? Comme je n'ai rien à faire de toute façon, je médite souvent sur la question.

Ce doit être parce que je suis moche comme un pou. J'ai beaucoup de boutons, mes yeux sont petits, et mon nez est plat, tout comme mes seins. Mais je suis si moche que ça ? Je ne crois pas. En tous les cas, ce n'est pas normal d'en vouloir à mon apparence.

C'est un problème de communication. Effectivement, je ne suis pas douée pour parler avec les autres. Mais pourquoi donc ? Parce que je suis toujours sur mes gardes ? Parce que je deviens nerveuse quand on s'adresse à moi ? Non, ce n'est pas du tout ça. C'est juste un autre cercle vicieux qui s'est initié parce que je ne parle pas souvent aux autres.

La cause à l'origine de tout ça doit être... parce que j'ai peur de souffrir. J'ai peur qu'on me prenne pour une fille bizarre. J'ai peur de casser l'ambiance à cause d'une remarque déplacée. J'ai peur des avis des autres à mon sujet.

Inconsciemment, je regarde le groupe de Mizuhara-san qui se trouve au deuxième rang près de la fenêtre. Mizuhara-san est en quelque sorte la chef de la classe, et de ce fait, a beaucoup d'amis. Ils ont l'air de bien s'amuser. Je suis vraiment jalouse.

Mais parmi les gens composant ce groupe rapproché, je suis certaine qu'ils pourraient nommer d'autres gens du même groupe qu'ils n'apprécient pas. Personne n'est parfait. Tout le monde possède des caractéristiques qui peuvent causer de l'inimitié. Moi, par exemple, j'en ai plein.

Par conséquent, il doit m'être impossible de me faire des amis.

Mais ce n'est pas grave.

Je n'ai certes pas d'amis normaux, mais j'ai quand même ma meilleure amie.

Ma chère meilleure amie irremplaçable...


—Reina Kamisu.


— T'es trop gentille, Fumi, c'est ça le problème.

C'est ce que Reina m'avait répondu alors qu'on rentrait à la maison et que je lui avais parlé de mes inquiétudes quant à mon incapacité à me faire des amis.

Le sourire qu'elle esquissa tout en prononçant ces paroles était si magnifique que je ne pus m'empêcher de l'admirer pendant quelques instants. Ses longs cheveux sont d'un noir pur et si soyeux qu'il parait impensable de trouver la moindre fourche, tandis qu'elle a le corps plantureux d'un top model, contrairement à mon corps d'enfant.

Reina est vraiment belle. D'une beauté absurde.

— Je suis gentille...? Je ne crois pas. C'est juste que je n'ai pas envie de souffrir.

— Mais c'est ça qui fait que t'es gentille, non ?

— Pourquoi ça ?

— Enfin, je veux dire, c'est pas comme si n'importe qui d'autre « voulait » l'être, non ? Personne n'a envie souffrir.

— Mais ils arrivent à bien s'entendre entre eux.

— Oui. Alors qu'est-ce qui te distingue d'eux ? Laisse-moi t'aiguiller : tu es sensible aux souffrances des autres. Tu as peur de souffrir, Fumi, mais tu as aussi peur de faire souffrir les autres.

C'est-à-dire que... évidemment que je n'ai pas envie de faire souffrir les gens.

— C'est pour ça que tu es très gentille avec tout le monde.

— Reina...

Ses paroles me font vraiment chaud au cœur.

Mais je sais pertinemment qu'en vérité, je suis juste une trouillarde. Reina n'avait fait que saupoudrer le mot « trouillarde » de sucre avant de me le dire.

Mais sa délicatesse me rend heureuse.

Aah, Reina est vraiment spéciale. Malgré le fait qu'elle ne soit qu'en troisième comme moi, elle est si différente.

— Tu en as de la chance, Reina...

— Hum ? Pourquoi ça ?

— Je veux dire... tu es jolie et intelligente... Je ne peux pas m'empêcher de me dire que Dieu nous traite injustement.

Oui, Dieu est injuste. Sinon, Reina et moi ne vivrions pas dans le même monde. Je suppose que Dieu ne prend pas la peine d'équilibrer les choses pour toutes les créatures qu'il a créées, et a encore moins de considération pour nous que des travailleurs pour des produits sur un tapis roulant.

Tout le monde sait ça. Mais je ne suis pas encore suffisamment mature pour accepter mon « infériorité ».

— C'est faux ! Tu es mignonne, Fumi, répond-elle avec un doux sourire, tout en lisant dans mes pensées.

— ... Mais non. Ça sonne un peu sarcastique quand c'est toi qui le dis, tu sais...?

— Ah, c'est pas gentil du tout ça ! Mais Fumi... Peut-être que certains me préfèrent moi, mais il y a également des gens qui te préféreraient toi !

— Non.

— Mais si ! Du moins, il y a une personne, juste là, dit Reina tout en se pointant du doigt avec un sourire.

— Mais—

— Si, m'interrompt-t-elle, Si hypothétiquement il y avait plus de gens qui me préféreraient à toi, qu'est-ce que ça pourrait te faire ? La quantité ne signifie rien. Ou est-ce que tu voudrais être sous la lumière des projecteurs comme une star ?

— Pas du tout.

— Dans ce cas, il n'y a pas de raison de s'en faire pour ça, non ? Il y a au moins une personne à tes côtés qui pense que tu es irremplaçable. Ou est-ce que ça ne te suffit pas ?

— Mmm ! C'est plus que suffisant !

— ... Je vois.

Reina esquisse à nouveau son doux sourire, et du coup, j'en ai un peu honte de mon comportement.

Aah... Quelle gamine je fais. Quelle idiote. Vraiment. Je parie que Reina pense que je suis jalouse de sa beauté, ce qui est en fait vraiment le cas. Je suis vraiment ignoble. Maintenant, elle a dû perdre foi en moi. J'en suis certaine.

— ... Fumi, tu t'en veux, n'est-ce pas ?

— Hein ?

— Haa... tu « es » vraiment trop gentille. Tu pensais que j'allais me froisser pour ça ?

— Mais——

— Pas de mais. C'est pas très gentil, tu sais ?

— Hein ?

— Fumi, tu es une amie qui m'est chère. Quelqu'un qui m'est important. Quand tu te comportes comme ça, c'est presque comme si tu ne me croyais pas.

— Ah...

— Fumi. Je suis ta meilleure amie, non ?

— Bien sûr !

Je peux le dire avec certitude.

— Tu es une amie irremplaçable, Reina !

Une amie inestimable qui ne pourrait jamais être remplacée.

Si Reina n'était pas là, je—

Ça ferait longtemps que je me serais—

2

Une nouvelle mauvaise journée commence.

Le fait que je suis généralement seule le matin ne fait qu'empirer les choses. Reina doit souvent se rendre tôt au collège à cause de ses entraînements matinaux au club d'athlétisme. Un jour, j'ai envisagé partir à la même heure qu'elle, mais attendre seule dans la classe jusqu'à ce que les cours commencent est particulièrement pénible, et par-dessus tout, je ne veux pas l'embêter, alors je me suis rétractée.

Je me rends seule à l'école et me dirige vers le casier à chaussure pour enfiler mes chaussons d'intérieur.

— ...

Qu'est-ce que...?

— Salut !

J'entends quelqu'un dire ça derrière moi (bien entendu, ça ne m'est pas destinée) et me dépêche de fermer mon casier. Après avoir attendu que la personne en question s'en aille, je le rouvre.

— Oh, hein...

Il y avait une lettre posée sur mes chaussons.

Je tends la main, mais ne sachant pas quoi faire, mes mains restent plantées là jusqu'à ce qu'une autre personne s'approche. Dans le feu de l'action, j'enfonce la lettre dans mon sac.

Oh là là... s-serait-ce une...?

Je commence à me sentir mal à l'aise. J'en ignore la raison, mais il y a bien trop de monde ici. J'ai l'impression que toutes les personnes autour de moi m'observent. À chaque fois que je croise un regard (et je sais que ça ne veut rien dire de plus et que les personnes ne font pas attention à moi), j'ai l'impression qu'il me transperce de toutes parts.

Tout le monde s'en fiche de moi, je le sais, mais je ne peux pas m'empêcher de sentir que tout le monde surveille mes moindres faits et gestes.

Dans l'incapacité de supporter les regards plus longtemps, je me réfugie dans les toilettes, me rue dans une cabine et sors la lettre.

Vu comment je l'ai fourrée dans mon sac, la lettre était un peu froissée — pardon à la personne qui l'a mise dans mon casier.

J'ouvre l'enveloppe.

« Chère Fumi Saito,

je t'écris cette lettre parce qu'il y a quelque chose dont j'aimerais te parler.

Je te prierai d'attendre dans ta classe après les cours. »

C'est tout ce qui est écrit.

— Ah... Hah...

Je suffoque après avoir fini par remarquer que j'ai retenu mon souffle pendant que je lisais.

De quoi il est question ? De... quoi il est question ?

Aussi courte soit-elle, je peux tout de même voir qu'objectivement, cela pourrait être une lettre d'amour. Cependant, elle m'est adressée. Une lettre d'amour à mon attention ? Sérieusement ? C'est possible ?


— Mais bien entendu ! dit Reina sans détour.

On est en pause et on s'est rendues en bas des escaliers menant au toit. Du fait que le toit est inaccessible, ces escaliers ici ne sont normalement jamais utilisés par qui que ce soit, raison pour laquelle on s'en sert souvent quand on a envie de discuter tranquillement en toute discrétion (même si c'est généralement de mon initiative).

— Comment tu peux en être aussi certaine ?! On parle de moi là...!

— Je te l'ai déjà dit l'autre jour, Fumi : tu es une fille charmante.

J'ouvre la bouche pour réfuter ce qu'elle vient de dire, mais alors, je me rétracte en me remémorant à quel point on avait tourné en rond l'autre jour.

— Alors, qu'est-ce que tu vas faire, Fumi ?

— Hein ? Comment ça ?

— Ta réponse à cette lettre d'amour.

— Ah—

J'avais complètement oublié parce que j'étais obnubilé par le fait que j'en avais reçu une. Oui, il faut toujours que j'y réponde.

— R-Reina, je, je sais pas quoi faire !

— Pour commencer, qu'est-ce que tu ressens pour lui ?

— Lui...?

Je rouvre la lettre et la parcours à nouveau.

— Alors, Fumi ? Qu'est-ce que tu ressens pour lui ? Tu le connais bien ? Ou pas du tout peut-être ?

— ... Rien.

— Hm ?

— Elle n'est pas signée.

— Laisse... Laisse-moi y jeter un œil.

Je donne la lettre à Reina. Elle inspecte le morceau de papier sous toutes ses coutures, et finit par pousser un soupir.

— T'as raison. Il n'y a pas de nom.

— ... Tu as déjà reçu des lettres d'amour, pas vrai, Reina ?

— Oui.

— T'en as déjà reçu une sans nom ?

— Hum... Peut-être une, mais je crois que c'était un cas où l'expéditeur était évident. J'ai toujours su de qui venait cette lettre.

— Je vois...

Je relis la lettre. »Je te prierai d'attendre dans ta classe après les cours. » — une demande sincère.

— ... Qu'est-ce que tu vas faire ? me demande Reina.

— Tu sais très bien ce que je vais faire, non, Reina ?

— ... Oui. Bah, c'est toi après tout ! sourit-elle sombrement.

— Ne... ne m'attends pas aujourd'hui après ton club.

— Pourquoi pas...?

— ...

Je reste silencieuse, incapable de lui donner une réponse digne de ce nom. Je ne sais pas non plus vraiment pourquoi je lui ai demandé ça. En temps normal, j'aurais voulu qu'elle soit à mes côtés dans un moment pareil.

Reina esquisse un grand sourire.

— ... Dis, Fumi. Tu voulais aller à l'aquarium, pas vrai ?

— ... Oui. J'adore les dauphins.

— Allons-y un de ces quatre alors !

Pourquoi me propose-t-elle ça maintenant ?

— ... Mm ! C'est promis !

Je savais pourquoi, et ça me rendait heureuse.


Les cours sont terminés.

Je reste toujours au collège même sans avoir reçu de lettre, parce que j'attends que Reina sorte de son club.

Néanmoins, aujourd'hui, j'ai demandé à Reina de rentrer sans moi. Je suis seule — seule à attendre l'expéditeur de cette lettre.

Alors que je contemple un livre ouvert, je cogite sur qui j'aimerais que soit cette personne. Kado-kun, le garçon qui a la côte parce qu'il est doué en basket ? Mm, ça me ferait plaisir. Le bad boy de la classe, Ashizawa-kun ? Il fait un peu peur, mais je pense que je ne détesterais pas. Pourquoi pas Kogure-kun, même s'il est un peu bizarre ? Je serais un peu sur mes gardes, mais heureuse malgré tout. Et Dojima-kun, que tout le monde évite parce que c'est un gros pervers ? Je ne sortirais pas avec lui, mais ça me ferait plaisir.

C'est toujours sympa d'être vu de façon positive.

Mais comment allais-je réagir quand il sera question de sortir avec quelqu'un ?

Pour l'instant... Je n'ai pas prévu ça, parce que j'ignore précisément ce qu'on attend de moi. J'ai un peu peur, et je ne sais pas comment je devrais me comporter avec l'autre personne.

J'imagine qu'un couple digne de ce nom doit s'embrasser ? Mais qu'est-ce qu'on ressent ? Quand est-ce qu'on ressent l'envie de s'embrasser ? Comment je vais réagir quand il voudra m'embrasser ? Se sentirait-il blessé si je refusais ? Je ne peux pas refuser alors... Je n'ai pas envie d'être détestée après tout.

Oui. Le refus n'était pas une option.

Mm, alors peu importe qui m'a envoyé cette lettre — je vais devoir obtempérer et « attendre dans ma classe après les cours ».

Il commence à faire noir dehors. Le collège va bientôt fermer.

Peut-être que personne ne viendra. Peut-être que c'était une blague. Et si c'était le cas — je me sentirais un peu plus calme.

Je range le livre que je lisais à peine et que je me contentais de regarder, et me prépare à m'en aller, quand, soudain, le groupe de Mizuhara entre dans la classe. Elles font toutes partie du club de tennis, alors je pensais au début qu'elles étaient venues poser leurs raquettes ici.

Hélas, leurs regards me disent que ce n'est pas tout.

Mizuhara-san me regarde.

— Hah, alors t'as vraiment attendu.

— Euh...

Les filles autour d'elle se mettent toutes à glousser tout en me regardant alors que je me sens mal à l'aise.

— Tu t'es pas trop fait de films à cause de nous ? demanda Mizuhara-san d'un air mesquin.

— Hein, hum...

Que devrais-je répondre...? Quelle réponse attendent-elles de moi ?

— Eh bien... c'était le cas... répondis-je honnêtement.

Soudain, l'une d'entre elles éclate de rire, incapable de se retenir plus longtemps, sous l'impulsion de son gloussement.

— Oh allez quoi, c'est débile ! Quel mec s'intéresserait à une grincheuse comme toi ?!

— Kaho ! Sois pas si méchante avec elle~!

— Mais...!

— Bah, elle « est » vachement crédule, mais ça prouve à quel point elle est désespérée, non ?

— Ouais, on voit bien qu'elle est pas habituée à ce genre de choses.

Sans me donner une chance de les interrompre, Takatsuki-san et Omi-san continuent à discuter de ma stupidité et de mon étrangeté.

Je ne sais pas quoi faire.

Espoirs. Oui, j'ai eu de faibles espoirs que quelqu'un pourrait m'aimer. Quelle idiote. C'est n'importe quoi. Complètement impossible.

Maintenant, une barrière parfaitement visible me sépare du reste du monde. Transparente, et pourtant aussi épaisse que du verre trempé. Même si on peut me voir, personne ne tente de comprendre les sentiments contenus derrière mon visage. Même si on peut m'entendre, personne n'essaye de comprendre le sens de mes paroles.

C'est presque comme si mes yeux discernent quelque chose d'entièrement différent des autres. Quand je tends les mains, je ne peux attraper que l'air.

Seule. Je suis seule.

Quelqu'un m'aime ? N'importe quoi. Du moins, personne ne s'intéresse à moi, à part peut-être pour se payer ma tête. Comme une bête de foire.

— ... Euh...

Ah... Je n'ai pas envie de pleurer... mais voilà une larme qui coule. Elle va gâcher la fête. Je suis désolée, mais j'ai pleuré, je suis sincèrement désolée.

Comme je l'avais prévu, elles se mettent à se sentir mal à l'aise.

Tentant désespérément de ne pas leur montrer mes larmes, je cache mes yeux.

— Aah... on l'a fait pleurer. Désolée, Saito-san, dit Mizuhara-san gentiment. Mais tu sais quoi ? On n'avait pas l'intention de te faire du mal. Comment dire... t'évites toujours de parler aux autres, non ?

Non, c'est simplement que je ne « peux pas » le faire !

— Je trouve que c'est dommage, alors je me suis dit qu'en faisant ça, une sorte de traitement de choc, ça pourrait t'aider. Je ne pensais pas du tout à mal.

Je me demande ce qu'il y a de vrai dans ces propos. Peut-être que cela faisait partie du raisonnement, mais en quoi une fausse lettre d'amour était censée m'aider à parler normalement ? N'y avait-il pas d'autre moyen ? Ce n'est pas simplement un prétexte pour se moquer de moi ?

— Ne le prends pas mal ! Vraiment ! ... Tu me pardonnes ?

Cependant, il y a comme du désespoir dans sa voix qui me fait acquiescer alors que je cache toujours mes yeux.

— Aah, merci beaucoup... Je suis sincèrement désolée. Ok, à plus tard.

Dès que je les ai pardonnées, elles partent sans plus attendre.

... Mais Mizuhara-san n'est pas méchante. Elle avait peut-être complètement raté son coup, mais elle s'inquiète pour moi. Elle fait attention à moi.

Oui, elle n'est pas méchante. Elle n'est pas... méchante.

— Quelles garces !

Mon dialogue intérieur est réfuté. Surprise par cette soudaine voix, je lève les yeux.

— Ah... Kimura-kun.

Oh non, il a vu mon visage en sanglot. Je dois avoir l'air épouvantable là...

— Pardon ! Je me suis permis d'écouter votre petite conversation, dit-il avec un visage mal à l'aise.

— Non ! Ce-Ce n'est rien...

Ces mots se sont échappés de mes lèvres parce que je veux le rassurer.

— ... Elles t'ont fait marcher avec une fausse lettre d'amour, pas vrai ? C'est pas cool. Elle... Mizuhara est toujours comme ça. On peut dire que c'est son passe-temps de jouer avec les sentiments des autres ! fulmine Kimura-kun, visiblement vraiment en colère après elle.

Il est énervé pour moi ? Pour de vrai ? Si oui, pourquoi ?

D'accord, qu'est-ce que je suis censée faire ? Comment je suis censée le calmer ?

— C'est pas grave, Kimura-kun... Je savais que c'était une blague.

— Tu le savais ? demande-t-il en tiquant.

— Je savais... que ça finirait comme ça.

— ... Mais du coup, pourquoi t'as pas ignoré la lettre ?

— ...........

Je ne peux pas lui répondre. Je ne sais pas comment l'exprimer avec des mots.

— Bah, peu importe... Bref, si jamais ça recommence, préviens-moi !

— Hein ?!

— Q-Quoi ? Tu me fais pas confiance ou quoi ?

Je secoue la tête énergiquement. Quoi de plus normal que je sois étonnée — après tout, il n'avait rien à gagner à m'aider.

— T'es vraiment bizarre... enfin bon, faut que j'y aille ! dit-il avant de poser une main sur ma tête avec un sourire, juste avant de partir.

Incapable de comprendre ce qui se passe, je me contente de le regarder d'un air déconcerté.


Tout en rentrant seule chez moi, je me mets à réfléchir à la raison pour laquelle je n'ai pas pu ignorer la lettre.

Je m'attendais à ce que ce soit une fausse — parce qu'elle n'était pas signée, parce que le papier utilisé n'était pas très masculin, et par-dessus tout, parce que j'avais remarqué que la personne qui l'avait écrit avait délibérément essayé de changer son écriture.

Cependant, et si, contrairement aux apparences, la lettre d'amour avait été une vraie ? Dans ce cas, l'ignorer aurait blessé la personne en question. Je l'aurais trahie et sa demande sincère de « l'attendre ». Je ne pouvais pas le faire. Absolument pas.

Qui plus est, je n'aurais de toute façon pas pu l'ignorer : la personne qui voulait faire une blague à mes dépends souhaitait que j'ai le rôle du dindon de la farce. Si j'avais ignoré sa demande, je l'aurais déçue. J'aurais gâché son plaisir. Elle m'aurait alors vue d'un mauvais œil.

C'est pour cette raison que j'étais incapable d'ignorer la lettre.

Ai-je fait le bon choix ? Non, je suis sûre que non. Sinon—

... Je ne souffrirais pas autant.


Reina.

Je souffre, Reina !

Je ne veux pas être , je souffre !


Pour la première fois depuis longtemps, je dois à nouveau faire face à cette pensée. Cette pensée que j'avais sans cesse en moi avant de rencontrer Reina.

Oui, si Reina n'était pas là, je—

Cela ferait longtemps que je serais — morte.

J'ai pensé mourir un nombre incalculable de fois.

Je suis certaine que le bonheur n'existe pas.

Les adultes mentent quand ils parlent de leur jeunesse soi-disant heureuse. Si ce n'est pas le cas, alors c'est la nostalgie qui embellit leurs souvenirs, car sinon, ils ne pourraient pas supporter l'absence d'espoir dans la réalité. En se remémorant le passé, tout paraissait meilleur pour supporter le présent.

Tout ceci mène à ma théorie :

La vie est et restera toujours désespérée. Nous vivons nos vies dans le noir tout en nous raccrochant à d'infimes lueurs qui apparaissent de temps à autres, et ensuite, on repense à ces lueurs avec un sourire nostalgique sur le visage. Comme des idiots.

Hélas, je n'ai pas de souvenir où prendre refuge. Je n'ai pas de passé à idéaliser quand je perds espoir dans la réalité. Je n'ai pas d'autres choix que d'accepter cette vie remplie de désespoir jusqu'à ras-bord.

Par conséquent, ma seule échappatoire est la mort.

« Ne pense pas au suicide » qu'ils disent. Mais cette phrase est-elle réellement sincère ? Tu ne tueras point. Bien sûr. Tu ne voleras point. Bien sûr. Tu ne te suicideras point. Bien sûr. La réponse coule tellement de source qu'il n'y a pas de place pour le doute. Ces affirmations doivent être parfaitement vraies. D'une vérité éclatante.

Il faut suivre un chemin boueux sans fin qui ne mène nulle part, et on n'a naturellement pas le droit d'en sortir. Quel système minable.

Qu'est-ce que vous voulez que je fasse ? Qu'est-ce que je suis censée faire au juste ?

Que quelqu'un me vienne en aide ! Donnez-moi de l'espoir ! Non, je n'en demanderais pas tant. Que quelqu'un remarque simplement que je marche sur ce chemin et me dise deux-trois mots gentils...

— Fumi.

Surprise par la voix qui m'interpelait à cet instant parfait, je lève la tête.

— Reina...

Seulement après avoir prononcé son nom, je remarque alors que j'étais en train de pleurer.

— Tu m'as dit de rentrer chez moi, mais tu m'as pas dit de pas aller à ta rencontre, non ? dit-elle en me souriant gentiment.

— ... Je ne peux pas.

Même si elle comprend ce que je veux dire, elle me prend doucement dans ses bras.

— ... Tu as souffert, n'est-ce pas ?

Je n'en... Je n'en peux plus !

Je vais dépendre de toi, Reina ! Je vais me reposer sur tes épaules ! Je vais te confier ma vie !

— Tout ira bien, me murmure-t-elle, je ne te trahirai pas.

— ...!

C'est alors que je comprends pourquoi j'avais demandé à Reina de rentrer sans moi.

C'est parce que je savais qu'elle allait me réconforter. Parce que je savais que j'allais dépendre d'elle.

Et quelle est la conséquence de tout ça ?

J'ai perdu depuis longtemps ma volonté d'être , et j'avais besoin d'un abri où me réfugier.

Il va sans dire que Reina Kamisu avait pris le rôle de ce refuge, de cet abri.

Mais maintenant, à cause de son étreinte, je suis devenue complètement dépendante d'elle. Peut-être que c'était déjà le cas depuis longtemps, mais en tous les cas, je ne peux plus exister sans Reina.

Afin d'empêcher ça, je lui avais demandé de rentrer sans moi.

— ... Reina... Je...

— Tout va bien. Ne t'en fais pas. Je vais... te retirer ce fardeau.

Ses paroles me transpercent.

Je sens que mon corps se met à fusionner avec celui de Reina. Lentement mais sûrement, je me fonds en elle.

Quel bonheur.

Je comprends que c'est ce que cela signifie d'avoir été acceptée par quelqu'un.

— Uh... gh... gémissé-je alors que mes larmes remontent.

Ces dernières tombent sur Reina, provoquant de petites ondulations. J'ai toujours pensé que mes larmes ne pouvaient tomber que sur le sol, mais je me trompais — elles avaient atteint le cœur de Reina.

Je suis une partie de Reina, et—

— Reina est tout pour moi.

3

Je change. Le liquide « Reina » se déverse continuellement dans le récipient « I », tandis que le liquide « I » déborde de ce même récipient.

Le récipient est toujours moi, mais son contenu est Reina. Reina est devenue mon essence.

Je parle toujours à peine dans la classe (même si Kimura-kun, dont la table est derrière la mienne, me parle de temps en temps), mais je ne me sens plus déprimée.

Je ne suis pas seule.

Cette conviction me donne de la force. Cette pensée que je confinais en moi a disparu quelque part au loin.

Plus rien n'a d'importance pour moi tant que Reina est avec moi.

C'est ce que je pensais. Ce que je croyais.

Mais, même dans mes rêves les plus fous, je n'aurais jamais cru que les choses auraient pu empirer.


— Je ne trouve pas mon portefeuille ! hurla Mizuhara-san paniquée.

Tout le monde présent dans la classe, y compris notre professeur principal, Kosugi, se tourne dans sa direction alors qu'elle le cherche désespérément dans ses affaires. Les membres de son groupe la regardent avec inquiétude. Pendant un bon moment, la salle de classe est plongée dans le silence, jusqu'à ce que quelqu'un d'autre se met à vérifier que le sien est toujours là, et tous les autres lui emboitent le pas. Je n'ai pas pris mon portefeuille avec moi, mais je fouille également dans ma poche malgré tout pour ne pas attirer l'attention.

Quand tout le monde a fini de vérifier que son argent était toujours là, Mizuhara-san est toujours assise à sa place, visiblement troublée. Monsieur Kosugi s'avance dans sa direction.

— Tu l'as retrouvé ?

— Non...

— Tu es sûre qu'il était là ?

— Absolument sûre.

— Très bien, dit le professeur en fronçant des sourcils avant de retourner à sa table. Bon, comme vous venez de l'entendre, Mizuhara a perdu son portefeuille. Bien entendu, cela pourrait très bien être un malentendu de sa part, mais... se mit-il à expliquer de façon risiblement détournée pour dire qu'il était possible que quelqu'un de la classe l'ait volé.

La probabilité d'un vol est élevée, étant donné l'objet en question. Il n'y a pas si longtemps, il y a eu du raffut au sujet d'un lecteur mp3 volé.

Mizuhara-san, convaincue qu'on le lui a volé, est apparemment en colère, tout comme les personnes de son petit cercle sous son influence.

— Est-ce que quelqu'un a une idée d'où il pourrait être ? demande le professeur.

Tout le monde se contente de s'échanger des regards. Le professeur n'attend pas de réponse de toute façon — le coupable ou ceux qui sont au courant ne vont pas parler maintenant.

Du moins, c'est ce que je croyais. Mais je faisais erreur.

Kimura-kun leva la main avec réticence.

— Kimura, tu sais quelque chose ?

— Non, pas vraiment... mais un point me turlupine.

— Comment ça ?

— Je ne crois pas qu'il soit courant de prendre le portefeuille quand on vole de l'argent. Généralement, on prend juste le contenu, non ? En fait, c'est comme ça que ça s'est passé à la troisième 5.

— ... Peut-être.

— Et puis, ça aurait été plus logique de voler l'argent de tout le monde dans la classe et non juste celui de Mizuhara-san. Et pourtant, c'est la seule à qui c'est arrivé.

— Où veux-tu en venir ?

— Ce que je veux dire, c'est que soit elle se trompe, soit c'est une mauvaise plaisanterie faite à Mizuhara-san.

— Je me trompe pas ! désapprouve Mizuhara-san véhément. Quelqu'un me joue un mauvais tour !

— Un mauvais tour, hein ? Combien y avait-il dans ton portefeuille, si je peux me permettre ?

— ... 1000 yens et quelque, mais et alors ? répond-elle en ronchonnant.

— Alors ce n'est pas pour l'argent, dans ce cas. On dirait que l'objectif du coupable est d'embêter Mizuhara-san. Et cela ne réduirait-il pas la liste des suspects potentiels à un nombre plus restreint ? dit Kimura-kun, ce après quoi tout le monde s'échange à nouveau des regards.

Cela veut dire que le coupable a une dent contre elle, ou du moins, qui ne l'apprécie pas ?

Alors que cette pensée me traverse l'esprit—

... Je remarque que les regards commencent à se tourner vers moi.

— Hein...?

Quelques personnes qui ne regardent pas dans ma direction se rendent compte que certains le font, et se mettent à les imiter. En voyant ça, une autre personne en fait de même. Tous les regards sont rivés sur moi.

Pourquoi ? Pourquoi me regardent-ils ?

C'est comme si... si—

Notre professeur remarque également que je suis le centre de l'attention, et me regarde, avant de se tourner vers Mizuhara-san. Je suis son regard.

Pour une raison ou une autre, elle fait mine de réaliser quelque chose.

— Saito, me dit le professeur avec une voix grave, ce qui me fait tressaillir.

Juste parce qu'il m'a appelé par mon nom ? ... Oui, mais je ne suis pas sotte au point de ne pas comprendre la situation. Pour moi, c'est exactement comme une — peine de mort.

— Sais-tu quelque chose ?

— Hein ? Ah... Euh...

Je ne sais rien ! Je suis innocente ! Mais... je suis incapable de le dire comme il faut.

— Bon eh bien ? Je t'ai posé une question, Saito.

Mais il me suspecte.

— Euh...

Tout le monde me regarde avec des regards accusateurs — c'est plus que suffisant pour me faire perdre la voix, mais ils ne le voient pas.

Ils le comprennent de la façon suivante : je panique parce que j'ai été démasquée, parce que je suis la coupable.

Je suis parfaitement consciente de ça, et je sais que je dois absolument répondre à sa question avec assurance, mais pourtant, j'en suis incapable.

— Je... Je...

Si quelqu'un ici comprenait ma personnalité — si Reina était là — elle pourrait leur expliquer, mais elle n'est pas là.

Elle n'est pas là.

Je n'ai aucun soutien ici.

— Je ne... Je ne sais ri—

— Monsieur Kosugi, dit Mizuhara-san, coupant court à ma tentative désespérée de m'exprimer. Je la regarde avec étonnement.

Il n'y a plus de colère dans son visage.

— Qu'y a-t-il, Mizuhara ?

— J'ai fait quelque chose à Saito-san qui peut expliquer qu'elle m'en veuille. Je... Je lui ai joué un mauvais tour. En y repensant... c'était vraiment méchant, dit-elle les yeux larmoyants. Mais je... je l'ai fait parce que je pensais que ça l'aiderait à s'ouvrir aux autres !

Surprise par ses paroles, je la fixe du regard. L'expression triste de son visage n'est pas fausse. Mizuhara-san est honnête.

Cependant, j'ai toujours du mal à déterminer si elle avait réellement essayé de m'aider avec cette fausse lettre d'amour, ou si elle s'était juste persuadée de cette noble cause du fait de la situation dans laquelle elle se trouvait.

Quelle que soit la réponse, il y a une chose qui est devenue un fait avéré.

Ses propos ont scellé ma position.

— ...

Tous les regards sont rivés sur moi.

Regards, regards, regards, regards, regards.

Telle de la lumière projetée à travers une loupe, leurs regards accusateurs me transpercent de toutes parts.

Il n'y a plus de suspicion en eux.

Mais une certitude.

Il a été décidé que je suis la coupable.

— N-Non, je n'ai—

— C'était TOI ! m'interrompt Takatsuki-san. T'étais en rogne, mais tu pouvais pas te défendre parce que t'avais trop peur ! C'est pour ça que t'as eu recours à un coup aussi bas — pour évacuer ta frustration !

— Dis pas ça, Kaho. Je... Je suis également en tort...

— Aussi.

Les paroles que Mizuhara-san avait prononcées entre deux sanglots de façon subliminale mais également claire sous-entendaient que je suis la coupable et qu'elle est la victime.

En conséquence, elle avait ajouté de l'huile sur le feu. Dans une colère noire, Takatsuki s'avance dans ma direction. De peur d'être frappée, je me protège la tête en me recroquevillant.

Néanmoins, elle n'est pas venue me frapper. Son objectif était mon sac. Elle s'en saisit, l'ouvre et le retourne à l'envers pour faire tomber le contenu sur ma table.

Et pour une raison que j'ignore, il y a un portefeuille qui ne m'est pas familier parmi mes affaires tombées sur le table. Qui plus est, quelqu'un l'avait écorché avec un cutter.

— ... Saito, tu vas te rendre à la salle des professeurs après.

Au moment où le professeur prononce ces paroles, des sanglots incontrôlables se mettent à résonner dans la salle de classe.

Il allait sans dire que c'était ceux de Mizuhara-san.


Je regarde autour de moi.

Des regards. Des regards. Des regards. Des regards. Des regards.

Tels des pics de glace, leurs regards accusateurs me transpercent.

Reina n'est pas .

Autrement dit — personne n'est .

Je n'ai aucun soutien .


Le lendemain, ma table a disparu.

Jusqu'ici, j'étais aussi transparente que l'air pour les autres, mais à partir de maintenant, ils ne vont même plus m'accorder ce privilège.

On ne me permet même plus d'exister.

Une table manquante dans une salle de classe est comme une pièce manquante d'un puzzle. Mais dans ce cas précis, c'est la mienne qu'il manque. Je dois être la seule à penser qu'il manque une pièce — pour tous les autres, il est complet.

Je me rends jusqu'à la véranda et replace la table et la chaise à leur place originale. Leur place originale ? Vraiment ? Ou, peut-être que ma place n'aurait jamais dû être dans la classe, mais sur la véranda.

Mais bien que tout ceci pouvait être vrai... je feins l'ignorance.

Blanc, tout devient blanc.

Tout à part Reina et moi devient blanc.

Tel un roman en manque d'espace, je suis incapable de comprendre le monde blanc qui se trouve . Ils disparaissent. Tout à part moi devient hors de portée.

Ou peut-être—

C'est moi qui manque de couleur.


La pause déjeuner se termine sans que je parle à qui que ce soit.

Je n'ai vraiment prononcé aucun mot, vu que je ne pouvais pas voir Reina non plus. Aucun mot prononcé par moi ou à mon encontre.

Les gens ont arrêté de me parler. Non, il n'y avait rien de nouveau, mais du moins, avant, ce n'était pas par rancœur.

On ne me permettait même pas le strict minimum de conversation. Même Kimura-kun était incapable de surmonter la barrière magnétique autour de moi qui avait émergée de la classe.

— ...

J'en étais consciente.

J'en étais consciente, mais cela explique tout.

Tout le monde s'en fiche si je disparais.

Le monde ne disparaîtra pas avec moi. Le ciel bleu continuera à m'ignorer et ne laissera pas la pluie tomber. Tout le monde se fiche de ce qui peut m'arriver. Je suis complètement séparée du reste du monde.

Encore une fois, une pensée familière m'assaillit.

... Je... Je n'en peux plus, Reina !

Pourquoi ? Qu'est-ce que j'ai fait ? Je voulais juste qu'on ne me déteste pas. C'est tout... Je m'étais enfermée dans ma petite bulle parce que j'avais peur de souffrir, et pourtant, pourquoi la transpercent-ils avec des lances ?

J'ai mal, j'ai mal, j'ai mal !

Sauve-moi Reina, sauve-moi Reina, sauve-moi rena, sauvemoirena.


— Ils sont tous si méchants.

— ... Hein ?

Reina se tient devant moi.

— » Hein » ? Que se passe-t-il, Fumi ?

— Ah, mmm... Rien.

Les cours sont terminés. J'ai attrapé Reina alors qu'elle était sur le point de se rendre à son club et lui avait demandé conseil à notre endroit habituel devant les escaliers menant au toit.

Oui, cela parait parfaitement normal.

Mais alors pourquoi est-ce que j'ai l'impression que quelque chose cloche ? Il n'y a aucune raison.

— Pourquoi ils pensent que c'est toi la coupable sans preuve concrète ? Tu n'aurais jamais fait ça.

— ... Eh bien, ils ne me connaissent pas. Et puis, le portefeuille de Mizuhara-san était dans mon sac, alors il est normal de penser que c'était moi.

— Oui, mais Fumi... qu'est-ce qu'il faisait dans ton sac ?

— C'est—

Je ne veux pas envisager cette possibilité...

— ... La première raison qui vient à l'esprit, c'est que c'est un coup monté contre toi.

— ... Oui, il y a des chances. Sauf si je souffre de dédoublement de la personnalité. — ... Quelqu'un qui me déteste ?

— Je... Je ne pense pas. Tu n'es pas du genre à te faire des ennemis.... Je pense que quelqu'un s'est simplement dit qu'il serait facile de te faire porter le chapeau.

Peut-être.

Mais de toute façon, quelqu'un me déteste suffisamment pour que ça ne lui pose pas de problème pour que je sois accusée à sa place.

— Ça se fait vraiment pas ! On va devoir retrouver le coupable et lui donner une bonne leçon !

— Non... ce n'est pas la peine !

— Pourquoi ? La situation actuelle te fait souffrir, non ?

— Oui. Oui, mais...

— Mais ?

— Ce problème n'a rien de nouveaux. Il vient juste de faire surface, c'est tout...

— C'est pas... Je veux dire, tu n'étais pas particulièrement détestée...

— Tu trouves ? Je suis quasi-sûre que ce n'était qu'une question de temps. Par exemple, même si on avait échangé ma position avec celle de Mizuhara-san, ça se serait très sûrement terminé à son avantage.

— Non, tu—

Reina en perd ses mots. Quand il est question de qui est en tort, peu importe ce qui avait été fait, ce qui compte, c'est qui l'a fait. Entre un professeur et un élève, l'élève sera en tort ; entre un élève brillant et un voyou, le délinquant sera en tort ; entre une belle personne et une autre moche, la moche sera en tort.

Et bien entendu, entre Mizuhara-san et moi, je serai en tort.

Autrement dit, le sort avait été décidé depuis longtemps.

Reina n'est pas bête, elle s'en était rendu compte.

— ... C'est faux !

Reina ne croit pas ses propres mots, et en regardant son visage, elle s'en veut visiblement de bafouiller.

... Mais elle n'a pas à s'en vouloir, vu que c'est un fait avéré.

— Reina.

— Hm ?

— Tu es toujours de mon côté, pas vrai ?

— Bien sûr que oui !

Bien.

J'ai une personne qui me soutient. J'ai une amie irremplaçable. J'ai Reina.

Alors je suis peut-être toujours là.

— Ah— dit soudain Reina, alors je suis son regard.

— Hum...

Kimura-kun se tient là, ne se sentant visiblement pas trop à sa place.

— ... Kimura-kun ? Qu'y a-t-il ?

— Ah, oui... t'as une minute à m'accorder ? demande-t-il avec réticence.

— O-Oui... Qu'y a-t-il ?

— Pour aller droit au but, Ashi-chan m'a dit de venir te chercher, parce que je savais que tu viens là des fois.

— Ashi-chan ?

— Je parle d'Ashizawa-kun ! Toshiki Ashizawa.

Le bad boy de la classe...? Qu'est-ce qu'il me veut ?

Quoi qu'il en soit, ça ne sent pas bon pour moi. Le visage de Kimura-kun en dit long.

— Euh... il est... en colère ?

— ...

Il me dévisage de près, puis finit par détourner le regard.

— ... Il l'est ?

— Saito-san. Tu ferais mieux de pas y aller, marmonne-t-il le regard ailleurs.

... C'est visiblement pire que ce que je pensais. Mais si je n'y allais pas, l'aversion d'Ashizawa-kun à mon encontre n'allait que se renforcer.

Et — je ne le veux pas. Je ne veux pas être évitée plus encore à cause d'un malentendu.

— ... Je vais y aller.

— D'accord... dit-il comme s'il allait se faire frapper par Ashizawa-kun.

— Fumi, m'adresse Reina avec une voix inquiète.

— Tout ira bien, dis-je avec un sourire en lui faisant un signe d'au-revoir.


Escortée jusqu'à notre salle (Kimura-kun partant immédiatement après pour son club), Ashizawa-kun me pousse jusqu'à un coin, et sans me laisser le temps de comprendre, me voilà entourée par ses amis, Takatsuki-san et les autres membres du groupe, tandis que quelques autres camarades de classe observent la scène à bonne distance. Mizuhara-san est également là, mais regarde de loin avec malaise.

— Bon. Tu sais c'est quoi ça ? demande Ashizawa-kun avec une voix oppressante en tenant quelque chose contre mon visage. J'ai du mal à voir d'aussi près, mais je reconnais le portefeuille de Mizuhara-san.

— ...

J'essaye de répondre, mais les mots sont coincés dans ma gorge. Tout le monde me regarde de près avec une hostilité manifeste. Je sens que je n'ai pas voix au chapitre. J'ai peur.

Son bras droit, qui se trouve juste à côté de ma tête, pourrait craquer d'une minute à l'autre. Il en a envie, ça crève les yeux. Il est en colère. Et la cible parfaite pour évacuer sa colère se trouve sous ses yeux.

J'ai peur ! Pourquoi me regardent-ils comme ça ? Je ne peux rien dire ! On ne me laisse pas parler !

— Hé ! Je t'ai posé une question, putain ! beugle-t-il. Son bras droit se contracte.

— C'est un... portefeuille...

— À qui ?

— Celui de Mizuhara-san...

— Exact. C'est celui de Yû.

Yû ? En y repensant, c'est le prénom de Mizuhara-san.

— C'est le portefeuille que je lui ai offert pour son anniversaire. C'est le même portefeuille que t'as charcuté avec un putain de cutter ! dit-il tout en m'envoyant des gouttes de salive sur le visage.

La colère l'a privé de la moitié de sa capacité de raisonnement. J'aurais été un garçon, il m'aurait déjà passé à tabac depuis un moment.

— Tu savais que Yû sort avec Toshiki, non ? dit Takatsuki-san en grimaçant. Et tu savais aussi qu'il lui avait offert ce portefeuille, non ?

Non. Je n'en avais pas la moindre idée. Ce genre de rumeurs n'était pas parvenu jusqu'à moi.

— C'est pour ça que t'as volé le portefeuille quand t'as été en rogne, non ? Ça sert à rien de le cacher !

Non, j'ai rien fait !

Mais je suis incapable de le dire. Même si je m'expliquais, ils ne me croiraient pas.

— T'as pigé ? C'est pas un truc que tu peux racheter avec de l'oseille !

Sa main droite se met à bouger. Par instinct, je ferme les yeux. Cependant, il parvient à se contrôler et frappe le mur derrière moi.

Mon esprit devient aussi vide que le néant. Tout mon corps tremble.

Qu'est-ce que je suis censée faire ? J'ai peur ! Ne me faites pas de mal, je vous en supplie. Je n'ai rien fait !

— Sauve-moi...

Je finis par marmonner, acculée et intimidée.

— Sauve-moi...

Au début, les autres semblent penser que je les implore, mais ils comprennent rapidement que ce n'est pas le cas et sont pris de court.

— Sauve-moi...

Je cherche à l'aide. Bien sûr, il n'y a qu'une personne à qui je demanderais ça.

— Sauve-moi... Reina.

Je ne voulais pas que Reina soit impliquée, alors j'ai essayé de résoudre le problème sans qu'elle m'accompagne.

Mais j'ai échoué.

J'imagine ses longs cheveux valser alors que Reina débarque et me libère rapidement de leurs griffes. J'ai l'impression que cette image va devenir réalité. Et ensuite, elle me dira en souriant avec son visage d'une beauté absurde, « Tout va bien, Fumi. »

... Hélas, Reina ne vint pas.

Cette douce illusion m'avait emmenée dans les nuages, dans les cimes. Mais à la fin de la journée, je continue à ramper sur le sol dans la réalité. On me refait tomber de mon petit nuage.

— Uh... uh...

Incapable de me retenir plus longtemps, je me mets à pleurer.

Pris de court par mes larmes, les signes de violence disparaissent, même si Ashizawa-kun est toujours visiblement en colère.

— Quoi ?! Tu crois qu'on va te pardonner si tu chiales ?! cria Takatsuki-san tout en se rapprochant de moi. Et puis, personne ne sauverait quelqu'un comme « toi » !

— Mais il y a...

— Qui ? Ta mère ? Un prof ? Ils t'aideraient uniquement parce que c'est leur rôle !

— Il y a quelqu'un !

— Et qui donc ?! Sérieux, t'es—

— Reina ! Reina Kamisu est là pour moi ! hurlé-je. Avec une voix qui aurait très bien pu être la plus forte de toute ma vie.

Takatsuki-san — non, tout le monde dans la salle — écarquillent leurs yeux en réponse à mon puissant cri. Je suis surprise moi-même, mais je ne regrette rien.

Parce qu'il y a un point sur lequel je ne permettrai personne de me contredire.

J'ai une amie irremplaçable.

J'ai Reina Kamisu.

Je ne laisserai personne dire le contraire.

Profitant de la confusion, je m'enfuis. Je « les » fuis. Je n'ai besoin de plus rien. Rien.

Tout ce dont j'ai besoin, c'est de Reina.

Tant que Reina sera à mes côté, tout ira bien.

4

Comme promis, Reina et moi nous rendons à l'aquarium.

Il y a bien plus de visiteurs que prévu pour un jour de semaine, dont la majorité est des familles avec enfants et de jeunes couples ayant la vingtaine. Sûrement parce qu'ils ont le temps.

Et bien sûr, nous sommes les deux seules collégiennes.

— Reina, t'es sûre de vouloir sécher les cours ?

— Oui, mais et toi, Fumi ?

— Je m'en fiche complètement.

Je ne suis pas la bienvenue là-bas de toute façon. Mes parents non plus ne remarqueront pas si je sèche, à moins qu'ils reçoivent un appel du collège. En fait, le fait de le faire aujourd'hui m'a fait réfléchir à pourquoi je ne l'avais pas fait plus tôt.

Je regarde à travers la vitre du réservoir d'eau.

De jolis poissons. C'est tout ce qui me vient à l'esprit. Ils appartiennent à l'espèce « Chætodon auripes », mais je l'aurais déjà oublié dans quelques secondes. Par conséquent, tout ce que je ressens, c'est qu'ils sont beaux.

Mais c'est amusant.

— Oh, regarde, Fumi ! De jolies méduses !

— Super.

— J'aime les méduses.

— Ah bon ? Pourquoi ?

— Hum ? Eh bien... Je me demande bien pourquoi. Peut-être parce que... ils ne ressemblent pas beaucoup à des êtres vivants ?

Ils ne ressemblent pas à des êtres vivants — maintenant qu'elle le dit, c'est vrai. Dans un aquarium, elles ressemblent malgré tout à des êtres vivants, mais dans un bocal à la maison, elles ressemblent plus à des décorations. Des décorations qui brillent et qui palpitent. Quand on met des méduses dans un aquarium dans une maison, leur rôle passe de « être vivant » à « décoration ».

— En plus, les méduses sortent du lot, je trouve. Tous les autres poissons sont juste des « poissons », mais les méduses donnent l'impression d'être différents. Ah, tu comprends rien à ce que je raconte, non ?

— Non, je comprends. Tu veux dire que les méduses sont simplement des méduses, non ?

— Ah, oui, en gros. Les méduses sont juste des méduses.

Les méduses sont juste des méduses.

En regardant Reina qui admire le réservoir d'eau, je me dis :

« Reina est pareille. »

Reina Kamisu est juste Reina Kamisu.

D'une beauté absurde, complètement différente des autres, et la seule personne à me soutenir.

Reina remarque que je la regarde.

— ... Qu'y a-t-il, Fumi ? demande-t-elle.

— Mm, rien.

Elle penche la tête dubitativement.

— Reina... le spectacle de dauphin commence !

— Hm ? Oh, t'as raison. Allez, on se dépêche.

Nous nous dirigeons rapidement vers le stade où le spectacle a lieu.

Sur le chemin, on passe devant un réservoir dans lequel un grand nombre de poissons se rassemble et tournoie sans cesse.

Ils ne sont jamais fatigués ? Je ne parle pas seulement physiquement, mais aussi mentalement. Tourner en rond tout le temps ne les mène nulle part, après tout. Ils pourraient tout aussi bien rester sur place. S'ils ne cherchent pas à se rendre quelque part, est-ce que leur but est de continuer à faire ça jusqu'à ce qu'ils ne peuvent plus bouger ? Ne trouvent-ils pas leur vie futile ?

Mais les poissons continuent de tourner en rond sans se préoccuper de mes pensées.

Les sièges du stade sont occupés de l'avant à l'arrière.

— Allons devant, Reina.

— Hein ? On va se faire mouiller !

— Je sais, mais je veux voir les dauphins du plus près possible.

Avec un doux sourire en coin, elle me suit jusqu'au premier rang et s'assoit.

— Au fait, Fumi, je t'ai dit que j'aime les méduses, mais pourquoi t'aimes les dauphins, toi ?

— Hum... parce qu'ils sont adorables.

— C'est tout ?

— Non, à part ça...

Avant que je puisse continuer, la femme en charge du spectacle commence la narration par une brève explication sur l'anatomie des dauphins (où se trouve leur nez, le fait qu'ils entendent les sons à travers leurs os, etc.)

Puis, le spectacle commence.

Alors que plusieurs dauphins sautent dans les airs pour nous saluer, je suis déjà émerveillée.

Ils sont plutôt gros quand on les voit en vrai — leurs sauts sont spectaculaires et du coup, les enfants dans l'audience se mettent à crier de joie. Ils ont l'air si majestueux et pourtant adorables.

Au moment où ils retombent, ils nous éclaboussent. Instinctivement, je me recroqueville. Bien que mes vêtements n'ont pas été touchés, mes chaussures sont un peu trempées.

Trop fort ! C'est vraiment extra ! Les dauphins sont géniaux !

Pendant le spectacle, ils ont sauté à travers des cerceaux, rendu des balles à la femme qui les leur envoyait, et nagé en cercle... Bref, c'était génial et j'étais captivée.

— Les dauphins sont vraiment intelligent... dit soudain Reina.

— Ouais ! réponds-je immédiatement.

— Hahaha, tu les aimes vraiment, hein ? C'est parce qu'ils sont intelligents que—

— Ouais !

C'est l'heure du clou du spectacle qui consiste en un numéro où trois dauphins doivent sauter simultanément par-dessus un bâton qui est installé extrêmement haut.

— Et tu sais, les dauphins envoient des ondes ultrasoniques et déterminent la position des objets avec le temps mis par ces dernières pour revenir !

— Comme les chauves-souris.

— Hmm... Je n'ai pas envie de les mettre dans la même catégorie, mais ouais.

Les dauphins se préparent au signal de la femme.

Est-ce qu'ils vont réussir de sauter aussi haut ? Enfin, ils ne le feraient pas s'ils ne le pouvaient pas, mais j'ai peur qu'un d'entre eux n'y arrive pas.

Je retiens mon souffle.

Les dauphins se tiennent côte à côte (est-ce qu'on peut dire ça dans ce cas ?) et — sautent.

— Woah !

C'est un régal pour les yeux.

Dans un grand éclaboussement, les trois dauphins retombent dans l'eau, provoquant plusieurs grandes vagues.

— Incroyable... dis-je, ébahie.

En regardant la piscine, j'en viens à penser que les dauphins sont peut-être la cause de ces vagues incessantes à la mer.

— Dis, Fumi ? Les dauphins peuvent communiquer par des sons, non ?

— Ouais. Même si on ne connait pas le degré de complexité de leurs conversations. Pour ma part, je crois que leurs capacités de communication sont aussi élevées que les nôtres.

— Je vois... Ça serait bien.

— Mm ! En fait, il y a une autre raison pour laquelle j'aime les dauphins, c'est parce qu'ils peuvent communiquer ensemble !

— Oh, sympa.

Le spectacle se termine et les visiteurs se mettent à quitter les lieux pendant que les dauphins leur disent au revoir en nageant en rond et en faisant des numéros individuels.

— Tu sais, quand j'ai appris que les dauphins pouvaient communiquer par des sons, je me suis sentie jalouse, murmuré-je tout en les regardant faire leurs numéros.

— ... Jalouse ? demande Reina intriguée, tout en penchant la tête sur le côté.

— ...

J'hésite à lui expliquer. Si je continue, je vais pourrir la bonne ambiance.

— Je trouve que j'ai du mal à communiquer avec des mots.

Mais je ne veux rien cacher à Reina.

— Fumi...

— Je suis sûre que même moi j'arriverais à me faire des amis si on pouvait communiquer autrement...

— Tu m'as moi, Fumi !

— ... Mm.

Ses paroles me suffisent.

— Mais tu sais, ces derniers temps, j'en suis venue à penser que...

— Hm ?

— Je pense que j'aurais pu devenir « comme ça ».

— ... « Comme ça » ?

Incapable de lui répondre, je tourne à nouveau le regard vers les dauphins qui sont occupés avec leurs numéros. L'un d'entre eux nous fait des signes d'au revoir avec sa nageoire.

Je leur réponds.

Et c'est ce que je sous-entends.

Je fais des gestes de la main parce que j'interprète à ma convenance ceux du dauphin avec sa nageoire comme « au revoir ». Nos actions ne sont pas du tout en phase.

Oui, aussi déplorable soit-il, je ne peux pas parler avec les dauphins.

Mais ça ne se limite pas aux dauphins.

Mon langage est devenu différent de ceux des autres, et c'est pour ça que je ne m'en sors pas. Mes mots n'atteignent personne.

Sauf Reina.

Mes moyens de communication sont devenus différents. Et c'est pour ça que je suis déconnectée et que je disparais.


On quitte l'aquarium, qui est au centre d'un parc aquatique. Je marche jusqu'à un banc et m'assois. Reina s'assoit à côté de moi.

— Dis, Reina...

Reina tourne la tête vers moi quand je me mets soudain à parler.

— Qu'est-ce que ça te ferait si on était les dernières survivantes sur Terre ?

Je jette un œil autour de moi. Il n'y a personne aux alentours à part Reina, ce qui n'a rien de surprenant un après-midi de semaine. Nous sommes seules. Cela ne me dérangerait pas le moins du monde si le monde se refermait maintenant et que nous nous retrouvions seules toutes les deux.

— Hm... Ça serait pas terrible parce qu'on aurait plus d'électricité...

— Et sans toutes ces considérations ?

Reina me dévisage de près, et me répond avec un sourire :

— Dans ce cas, ça me parait pas si mal.

— Vraiment ?

— Oui !

Je la regarde. Aah, elle ne dit pas ça juste pour me faire plaisir. Je suis heureuse, vraiment heureuse.

Après tout, elle est différente de moi ! Contrairement à moi, beaucoup de gens l'admire. Malgré tout ça, elle serait avec moi.

— Mais tu sais, Reina, ta mère serait...

... La mère de Reina ?

D'un coup, je m'arrête. Quelque chose cloche.

Beaucoup de monde ?

Enfin, il doit y en avoir beaucoup. Elle est belle et gentille, contrairement à moi. Mais—


... Mais qui sont-ils, ces gens ?


— Fumi...?

— Dis, Reina...

— Qu'y a-t-il ?

— ... Je ne suis jamais allée chez toi, non ?

— Ah bon ? T'es sûre ?

— Où est-ce que tu vis déjà ? Près de chez moi ? Ça doit forcément être le cas. Après tout, tu rentres tout le temps avec moi.

— Qu'est-ce qui t'arrives, Fumi ? C'est logique, non ?

— Comment ça se fait que, malgré qu'on soit des amies proches, je sois jamais allée chez toi ?

— ... Reina se tait.

Hein ? Une seconde ! Qu'est-ce que c'est censé vouloir dire ?

On est les meilleures amies, quoi qu'on en dise, alors pourquoi est-ce que je n'ai pas la moindre idée d'à quoi ressemblent ses amis et sa famille, ni même d'où elle vit ?

— Au fait, Reina—

— Arrête ! m'interrompt-elle immédiatement.

— Reina...?

— N'en dis pas plus... dit-elle d'un air triste tout en détournant le regard.

Il y a des circonstances...? J'ignore lesquels, mais Reina a une raison de ne pas vouloir me parler d'elle.

Tout le monde a des choses qu'il ne veut pas ou ne peut pas dire.

Mais,

Mais—

— ... C'est méchant !

— ... Hein ?

— On est les meilleures amies, non ? On devrait pas se cacher des choses ! Ou j'étais la seule à penser ça ? Hm ?

— Non !

— Mais alors !

— C'est pas bien, Fumi !

— Pourquoi ? Je comprends pas, Reina ! crié-je, et dans le même temps, je remarque qu'une larme coule le long de ma joue, ce qui laisse Reina coi.

Un courant d'air froid s'installe entre nous deux. Ce... n'est jamais arrivé avant. C'est la première fois qu'il y a comme un froid entre nous.

Mes sentiments ont atteint Reina. Elle sait que jamais je ne la détesterai ou me moquerai d'elle.

Il n'y a pas de raison d'avoir de secrets.

Il ne devrait pas.

Et pourtant—

— Je ne peux pas, dit-elle distinctement.

— Mais pourquoi...

Refus.

Non, ce n'est pas ça. Ça ne peut pas être ça. Reina ne voudrait jamais me faire du mal. C'est quelque chose... ce doit êtrte quelque chose qu'elle ne peut pas dire malgré ça.

Bien sûr, je comprends.

Mais—

— Aie foi en moi.

Je ne peux m'empêcher de penser qu'elle me rejette.

— Ah...

Ainsi, une goutte tombe de mes yeux.

Et une fois que j'ai réalisé que c'était une « larme », elles se mettent couler telle une chute d'eau. Aah, je pleure bien trop souvent ces derniers temps ! Ah, je ne veux montrer mes larmes à personne. Je ne veux gêner personne. Mais elles ne veulent pas s'arrêter.

Je presse mon visage contre mes genoux alors que j'éclate en sanglot.

— ... Fumi.

La voix de Reina.

La voix douce de Reina.


— Je suis désolée.


Tout ce que je pouvais discerner était ma propre voix en pleurs, raison pour laquelle je ne me suis pas rendue compte de ce qui se passait.

Je continue à pleurer comme une madeleine, et quand je lève la tête—

... Reina n'est plu slà.

— Reina...?

Je regarde autour de moi et me mets à partir à sa recherche.

Mais elle n'est nulle part.

Reina n'est plus nulle part.

Je me tiens là dans le vaste parc aquatique désert, laissée à l'abandon, seule dans le monde.

5

Les gens ont des gommes dans leurs cœurs.

Tandis que leur efficacité change d'une personne à l'autre — certaines sont vraiment mauvaises — n'importe qui peut s'en servir.

Frotte, frotte. Ok, adieu toi. Je ne peux plus t'encadrer. Va-t'en. Frotte, frotte.

Deux semaines ont passé depuis l'incident avec le portefeuille de Mizuhara-san. Une semaine depuis que je suis allée à l'aquarium avec Reina.

Même après tout ce temps, personne ne me parle. Comme les jours précédents, je me contente de rester assise sur ma chaise, qui n'est pas censée être là, et rêvasse en regardant à travers la fenêtre.

Je me suis beaucoup effacée.

Et pourtant, ils continuent à me gommer. Frotte, frotte.

Jour après jour, on m'efface. Petit à petit, je disparais. Frotte, frotte. La majeure partie de mon existence s'est transformée en miettes de gomme et est effacée de ma tale.

Ça ne va pas s'arranger. Ils se sont tous déjà tellement habitués à m'effacer que plus personne ne le remet en cause, sans parler de sentiments de culpabilité. Je vais continuer à être effacer de façon mécanique. S'il y avait la moindre émotion humaine impliquée, cela serait une légère irritation parce que les gommes s'usent à force d'utilisation.

Et Reina est toujours portée disparue de ce monde blanc disparaissant.

Pourquoi ? Je ne vais pas tenir longtemps dans cette situation ! Reina... Pourquoi m'as-tu abandonnée, Reina ?

Pourquoi ne viens-tu plus me voir ? Même si tu as des secrets, ça ne devrait pas être un obstacle pour nous !

Ou tu me détestes maintenant ?

Peu importe, je veux te voir !

Je veux te voir, je veux te voir, je veux te voir !


Mais j'ai beau l'implorer, Reina ne vient pas.

Et quelque part, je sais qu'elle ne le fera plus jamais.

Tout cela n'a plus aucun sens.

Dans cette classe, il n'y a que des bruits insignifiants, des images insignifiantes, des gens insignifiants, et mon être insignifiant.

Tout cela n'a plus aucun sens.

Tout cela n'a plus aucun sens... d'être ici.


— ... Adieu, murmuré-je en me levant.

Le professeur est en train de dire quelque chose. Ah, j'étais en plein « cours » ?

Oh, il est en colère. Mais je ne comprends pas ce qu'il raconte — après tout, ce n'est pas à moi qu'il s'adresse, non ?

Oh, il n'est plus en colère. Mais je me demande pourquoi il me regarde comme ça ? C'est la première fois que quelqu'un le fait, alors j'ai oublié ce qu'il signifie. Mais on dirait qu'il a peur.

Je sors de la classe.

Au loin derrière moi, c'est le raffut dans la classe, mais ça n'a rien à voir avec moi. Rien à voir. Complètement rien à voir.


Je m'assois seule sur les marches au milieu de l'escalier menant au toit. C'est la deuxième fois que je viens ici quand le bâtiment est bruyant. Quelle heure est-il ? Le premier bruit devait sûrement signaler la pause déjeuner, alors ça doit être la fin de la journée ?

Reina. Est-ce que je te reverrai un jour ?

Au fond de moi, je sens que non. Je ressens ça depuis qu'elle m'a laissée tomber dans le parc aquatique. Mais et alors ? Qu'est-ce que ça peut faire ? Ça ne change rien — j'ai toujours besoin d'elle, beaucoup, désespérément.

Reina est tout pour moi. Il ne reste rien si on me la prend. Je suis vide. Une masse de chair bancale sans os.

— Aah...

Que faire ? Comment faire pour revoir Reina ? Je ne sais pas ! Qu'est-ce que je suis censée faire ? Qu'est-ce que je suis censée faire ? Qu'est-ce que je suis censée faire ?

Soudain, j'entends quelqu'un monter les marches.

Je me prépare. C'est peut-être lui — il est sûrement venu comme je l'ai voulu.

— ... Saito-san.

Kimura-kun apparait sous mes yeux.

— Kimura-kun... alors tu es venu me parler...

— Ouais... Je n'ai aucune raison de refuser si tu le demandes...

Exactement. J'ai déposé une lettre dans son casier pour lui demander de venir ici. Exactement comme Mizuhara-san avait fait.

— J'ai aussi apporté ça avec moi. Ça a pas été évident de les piquer sans que les profs le voient, explique-t-il tout en sortant les clés du toit.

— Mm. Merci, dis-je en saisissant les clés de ses mains visiblement tremblantes. Peut-être qu'il a compris pourquoi je l'ai fait venir ici.

— ... Il demeure silencieux.

— Tu ne vas pas me poser la question...?

— Demander quoi...? dit-il maladroitement.

— Pourquoi je t'ai demandé de m'apporter les clés du toit.

Après quelques instants, il demande à contrecœur : — Pourquoi ?

À vrai dire, je ne sais pas vraiment quoi lui répondre moi non plus. Peut-être parce que — non, c'est sûr — ma réponse va le blesser.

Mais c'est pas grave, hein ? Après tout, Kimura-kun est aussi inutile que mes autres camarades de classe.

Je réponds : — Pour me venger.

Son visage se fige instantanément.

Oh, alors j'avais vu juste. Enfin, je pouvais confirmer mes soupçons.

— T-Te venger...? bégaie-t-il misérablement, confus, et du coup, devient encore plus nerveux.

— C'est toi qui as déchiqueté le portefeuille de Mizuhara-san et qui l'a mis dans mon sac, pas vrai ?

— P-Pourquoi tu dis ça...? réplique-t-il, refusant toujours de l'admettre, malgré le fait qu'il sait qu'il ne peut pas se convaincre.

— C'est pas grave ! J'ai pas l'intention de te questionner à ce sujet.

En fait, je n'ai vraiment pas l'intention de le questionner et de rejeter la faute sur lui. Comme je l'ai dit un jour à Reina, ça allait tôt ou tard se terminer comme ça — Kimura-kun se trouvait juste être celui qui allait allumer la mèche.

Mes paroles semblent l'avoir calmé quelque peu.

— M-Mais... comment tu l'as su ?

Tu veux vraiment savoir ? Ça risque d'être dur à entendre, non ?

— ... Je dois vraiment y répondre ?

Remarquant finalement le sens de ma réponse, il baisse les yeux et dit : — ... Pas la peine.

— D'accord.

Sur ces paroles, je glisse la clé dans la serrure.

Il y a beaucoup de raisons pour lesquelles je soupçonnais Kimura-kun.

J'ai commencé à avoir des doutes quand il s'est mis à me parler après que j'ai reçu la fausse lettre d'amour. J'étais consciente qu'il ne ressentait rien pour moi, alors je me demandais pourquoi il était soudain aussi gentil.

Un autre indice fut la réaction générale quand Mizuhara-san a perdu son portefeuille. Tout le monde a tout de suite pensé que j'étais coupable. Autrement dit, quelqu'un les avait conduits à croire que j'avais une dent contre elle. Et autant que je sache, le seul point de discorde entre elle et moi est la lettre d'amour, ce qui signifie que quelqu'un a répandu la rumeur. Mais seuls sont groupe et moi, ainsi que Kimura-kun étions au courant. Bien entendu, je n'en avais parlé à personne, et Mizuhara-san et ses amies ne semblaient pas non plus vouloir en parler à qui que ce soit.

Mais surtout, ce n'était autre que Kimura-kun qui a suggéré que le coupable devait en vouloir à Mizuhara-san. Il a ouvertement attiré leur attention sur moi.

J'ignore pourquoi il a fait ça. Peut-être qu'il m'en veut pour dieu sait quelle raison, ou peut-être que c'est à cause de Mizuhara-san et Ashizawa-kun.

Mais je m'en fiche bien.

Cette histoire n'a rien à voir avec moi.

Je tourne la clé, et la porte s'ouvre avec un cliquetis. Je tente de tourner la poignée — oui, elle marche.

— ... Qu'est-ce que t'as l'intention de faire sur le toit, Saito-san ?

— ... Je me tourne silencieusement vers lui.

— Saito-san...?

Je réponds à sa question par une autre question.

— Dis-moi, Kimura-kun—

» ... est-ce que par hasard tu connais « Reina Kamisu » ?


Peut-être que je pensais vraiment que Reina m'attendrait de l'autre côté de cette porte.

C'est un endroit où personne n'a le droit d'aller, malgré sa grande proximité. C'est un lieu dont tout le monde connait l'existence, et pourtant, peu y ont réellement mis les pieds. Et c'est pour ça que je sentais que je pourrais la trouver ici.

Mais bien entendu, il n'y avait aucune trace de Reina.

Je marche jusqu'au centre du toit et fais un tour sur moi-même.

Des collégiens rentrent chez eux, des poteaux électriques sont disposés à intervalles réguliers, le quartier commerçant, notre rivière polluée, un autre collège, une maison, une autre maison — un paysage insignifiant. Mais une chose dans ce paysage superficiel — le soleil d'un éblouissant rouge en partie masqué par un bâtiment au loin — a du sens pour moi.

Le soleil est sur le point de se cacher de l'autre côté, après avoir terminé son travail pour la journée, mais flotte là à l'horizon, comme s'il m'appelait.

Je retourne vers la porte pour la fermer.

Maintenant, je suis complètement seule.

Je m'adosse contre le grillage, et tout en regardant le soleil cacher lentement son corps, je repense à Reina Kamisu.

Reina s'est évaporée. Oui, évaporée.

Une jolie collégienne populaire s'arrête soudain de venir à l'école et est portée disparue. Cela aurait dû être un incident majeur pour le collège Shikura. Aurait dû.

Cependant, personne n'en parle.

Bien sûr, il n'y a personne pour parler avec « moi », mais je peux quand même toujours entendre les rumeurs. C'est bizarre. Reina Kamisu ne vient plus nulle part. Personne ne parle de cette fille extraordinaire. Comment est-ce possible ?

J'avais rassemblé tout mon courage et j'avais jeté un œil dans sa classe. Au début, je n'en croyais pas mes yeux, puis mes oreilles, et enfin, je n'en revenais pas.

Sa place n'existait pas. Son casier n'existait pas. Son nom n'existait pas. Rien en rapport avec elle n'existait.

Reina n'est nulle part.

Et quand j'ai vu le visage de Kimura-kun quand je lui ai demandé pour Reina, j'ai été convaincu.

... Reina Kamisu s'est évaporée.

Ce n'est pas une simple mort. Elle avait effacé toute trace de son existence, tout en rapport à elle, et s'était évaporée. Sans laisser la moindre trace d'elle, et en niant complètement le fait qu'une personne nommée Reina Kamisu ait jamais existé, elle a disparu.

À une exception près, moi, sa meilleure amie.

Mais même s'il ne me restait qu'une poignée de souvenirs vides — un peu comme une goutte de soda au fond d'une canette vide. Je ne me souviens pas de notre rencontre, de comment on est devenues amies, ou d'où on est allées ensemble, si ce n'est l'aquarium. Rien.

Ces souvenirs vont bientôt disparaître à leur tour, effaçant son existence une bonne fois pour toutes.

Reina est en train de disparaître.

Reina, qui était tout pour moi, est en train de disparaître.

Alors — il n'y a plus aucune raison pour moi de rester « ici ».


J'escalade le grillage. Il fait 15 cm de large, alors j'arrive m'y tenir debout sans problème.

J'envisage la possibilité d'enlever mes chaussures, mais je change d'avis. Je ne compte pas essayer de me suicider ou autre.

Je vais juste voir Reina.

Bien sûr, je ne suis pas sûre de pouvoir la rencontrer de cette façon. C'est juste l'idée absurde que si elle n'est pas là, c'est qu'elle doit être « là ». C'est aussi absurde que de penser qu'un oiseau peut voler par-delà le ciel dans l'espace.

Mais je ne vois pas d'autres possibilités.

Il n'y a pas d'autre moyen, et si c'est le cas, pourquoi ne pas tenter le coup ? Rien ne peut m'arrêter. Je me répète : je n'ai pas la moindre raison d'être ici, alors rien ne peut m'arrêter.

Je me souviens soudain de ce que j'ai dit à Kimura-kun.

... Pour me venger.

Oui, c'est une vengeance mesquine. En m'apportant les clés, tu t'es retrouvé impliqué dans ce qui va se passer maintenant, non ?

Je me demande s'il va ressentir des remords, même s'il s'en fiche sûrement de moi.

Je baisse le regard, et recule un peu, effrayée par l'imminente douleur que j'avais failli oublier. Ça va faire mal. Dix fois... cent fois plus qu'une seringue. Mais je ne dois pas faillir.

Ce qui m'importe ? Revoir Reina. La retrouver.

C'est tout ce qui compte. C'est tout...

Oui, avec force !

Parce que j'ai l'impression de pouvoir aller très loin de cette façon.

Je fais le grand saut.

Soudain, le monde tournoie et change complètement. Incapable de comprendre ce monde inattendu, je m'évanouie presque.

Je peux seulement dire que ce n'est pas l'endroit où je voulais aller. Je me retrouve dans une pièce tragique.

Aah... Est-ce que j'ai échoué ? Est-ce que j'ai fait le mauvais choix tout compte fait...?


Mais—

Juste au moment où je suis sur le point de baisser les bras, je me rends compte que j'ai gagné mon pari.


— Reina...

Reina se trouve sous mes yeux.

— Reina, tu m'as manquée...

Elle me lance son doux sourire absolument magnifique.

— Reina... dis-moi : où es-tu ?

— Je suis— répond-elle.


— Je suis . Reina Kamisu est — .


Ah, c'est vrai.

Comment n'ai-je pas pu remarquer une chose aussi simple ?