Reina Kamisu ~ Français : Volume 1 Shizuka Wakui

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Chapitre 3 : Shizuka Wakui[edit]

1[edit]

Tout en écoutant l'anglais approximatif de notre professeur d'anglais de 50 ans d'une oreille, mais qui ressort par l'autre environ trois secondes plus tard, je fais des recherches sur mon dictionnaire électronique Kojien.

principe de conservation de la masse

Principe physique qui stipule que la masse totale d'un système isolé demeure inchangée peu importe l'interaction des éléments qui le compose. Découvert par Antoine Lavoisier en 1774.

principe [n]

• Vérité, loi ou théorie fondamentale.

• Qualité ou élément fondamental ou essentiel déterminant la nature intrinsèque ou le comportement caractéristique.

La mécanique du monde est étonnamment simple.

Il doit y avoir beaucoup de qualités fondamentales et essentielles, éparpillées tout autour du globe, mais si on les divise encore en leurs éléments les plus essentiels, le nombre absolu des qualités distinctes diminue jusqu'à un nombre qui est tout sauf élevé.

Saviez-vous qu'un grand nombre de lois et principes sont juste des améliorations d'un groupe de principes clés déjà connus ?

Plus souvent que l'inverse, on se retrouve au même endroit peu importe notre approche de la nature des choses. C'est pour cette raison que l'enseignement des gens qui ont maîtrisé une méthode coïncide souvent malgré le fait que leurs méthodes n'ont rien en commun.

Autrement dit, si on comprend certains des principes clés, on se met à voir comment la mécanique du monde fonctionne.

Les principes clés sont l'essence des choses. Il suffit de les comprendre et on peut les appliquer où qu'on aille et inventer de nouvelles lois immuables. Ils attirent tout autour d'eux tels des aimants.

Mais personne ne sait vraiment ; ils deviennent tous des personnes superficielles, qui ne regardent qu'en surface sans jamais sonder le fond des choses. Ils se laissent influencer par les autres parce que leur compréhension ne fait que gratter la surface. Ils ne peuvent pas considérer la véritable nature des choses par eux-mêmes. Les pauvres. Tout ce que ça demanderait de comprendre ces principes, c'est un bon livre. Oh, ou existe-t-il un nombre de conditions sine qua non à remplir, ce qui serait mon cas ? J'ai encore plus pité d'eux alors. C'est comme s'ils étaient des personnages d'un manga qui se battent les uns contre les autres sans avoir conscience de ce qu'ils sont. Même s'ils se battent sans raison autre que celle de leur dessinateur. Même si leur combat n'est que le fruit de l'imagination, et que leur existence même ne consiste qu'à se battre.

Quoi qu'il en soit, l'une de ces quelques vérités s'appelle « la conservation de la masse ».

Contrairement à son nom, elle n'est pas seulement limitée à la masse ; la quantité de toute chose est limitée à un certain nombre qui ne peut ni augmenter ni diminuer. Tout demeure inchangé, que ce soit la masse, l'énergie, la libido, le nombre d'âmes — j'en passe et des meilleurs.

Le cours se termine alors que je suis plongée dans mes pensées, à regarder mon dictionnaire électronique. Les cours sont enfin terminés. J'ai mieux à faire que ça. Mais je ne peux pas me contenter de modifier mon comportement habituel en séchant les cours. Je ne dois laisser personne se douter de ce que je fais ; si je deviens suspecte, il y a de grandes chances que quelqu'un le remarque. Avant les autres, surtout—

— Pfiou, fini ! Shizuka, ça te dit de traîner ensemble aujourd'hui ?

Avant les autres, ce garçon insouciant, Kazuaki, risquerait de le remarquer. C'est parce qu'on a passé trop de temps ensemble depuis l'enfance.

— Non merci, réponds-je au siège voisin.

— Oh allez quoi... t'es pas cool, dit mon ami d'enfance tout en plissant ses lèvres.

Pff... Il ne changera donc jamais.

— J'ai un truc à faire, tu sais.

— Tu dis tout le temps ça ces derniers temps... t'essayerais pas de m'éviter par hasard ? demande Kazuaki en fronçant les sourcils.

Ah sérieux, toujours fidèle à lui-même.

— Bien sûr que non !

— Mm-mmh... marmonne-t-il d'un air découragé.

— Pourquoi tu rentres pas avec le duo C2 si tu te sens seul ?

— Y-Y a rien entre moi et— réplique-t-il avec un visage légèrement rouge.

— Senpai~!

— H-Hozumi-chan... pas si fort, c'est gênant...

Sa contestation a été coupée à distance par deux voix féminines. À l'apparition de ces deux filles à l'apparence angélique, je fais un signe de la main à Kazuaki.

— Salut.

— Ah...

Ne me regarde pas comme ça. Je ne te laisse pas tomber parce que j'en ai envie. Dès que j'aurais réglé tout ça, on ira où tu veux quand tu veux.

Mais ça va devoir attendre, ok ?

L'avenir du monde est en jeu après tout.


Sans me préoccuper des vagues de collégiens rentrant chez eux, je regarde autour de moi d'un air songeur.

Le monde est en danger.

Peut-être que j'exagère. Mais tout du moins, un danger pointe le bout de son nez. J'espérais me tromper (ce qui était hors de question bien entendu, mais je voulais me tromper) mais après l'annonce de la mort par suicide de trois collégiens de Shikura, mes craintes se sont avérées vraies.

Nous courrons un danger imminent.

Et ici, on en revient aux principes clés et à la conservation de la masse.

Avant, j'étais une fille parfaitement banale. J'étais peut-être entrée en puberté un peu plus tôt que les autres, j'avais déjà reçu des dizaines de déclarations d'amour, et je passais le plus clair de mon temps avec Kazuaki plutôt qu'avec les autres filles, mais à part ça, j'étais une file parfaitement banale.

J'utilise le passé ici parce que j'ai l'impression que ce n'est plus vrai.

Il y a un nombre de vérités (clés). Après en avoir pris connaissance, j'ai compris comment je suis censée voir les choses.

Il ne me fallut pas bien longtemps avant de faire face à une question bien précise. On a tous des sentiments. Joie, colère, tristesse, amusement.

Maintenant, appliquons le principe de conservation de la masse à ce cas-là. Les émotions sont l'énergie, ce qui, particulièrement dans le cas de l'amour et de la haine, emmagasine de la chaleur extrême. Nous consommons notre énergie émotionnelle en la convertissant en vitalité qui nous permet de continuer à avancer. Hélas, tous nos sentiments ne sont pas toujours convertis et consommés. Mais alors, où passe donc l'énergie quand nous sommes incapables de réfréner nos sentiments ? Par-dessus tout, où passe cette énergie quand on meurt — ce qui doit représenter une quantité phénoménale quand cela fait suite à une mort violente — quand elle ne peut pas être consommée ? Où disparait cette énergie ?

Cette question à l'esprit, je m'étais mise à être attentive.

Très rapidement, j'avais trouvé la réponse : l'énergie ne disparait pas. La réponse se trouvait là sous mon nez, de l'autre côté. Les sentiments forts, par exemple, qui sont souvent des rancœurs, refont légèrement surface de notre côté de temps en temps. C'est particulièrement facile à observer quand on fait le vide pendant un moment et qu'on se laisse aller. Regardez, en voilà une. Une accumulation d'énergie émotionnelle transformée. Dans la plupart des cas, ces accumulations ont la forme d'un humain.

Quoi qu'il en soit, revenons-en au danger que le monde court.

Après avoir pris conscience de ces énergies humanoïdes, j'ai observé un étrange phénomène ces derniers temps.

À la base, ces énergies humanoïdes sont incapables de se mouvoir d'elles-mêmes, et sont inoffensives pour ceux qui ne les voient pas. Elles se contentent de rester à un endroit et à étendre leur réseau pour influencer quiconque se trouvant à l'intérieur.

Ces derniers temps, par contre, elles ont changé de comportement et se sont mises à scintiller comme des mirages. Par peur de quelque chose ou d'excitation ? Je l'ignore. Ce que je sais par contre, c'est que ce n'est pas normal et que c'est un signe qu'il se passe quelque chose.

J'ignore ce que les énergies humanoïdes vont faire, comment cela va nous affecter, et ce qui va se passer, mais une chose est sûre :

Trois élèves du collège Shikura sont morts.

Mais ça n'a pas d'importance. Enfin, bien sûr que c'est vraiment triste que des vies ont été perdues, mais face à la grande menace qui plane sur nous, même ce genre de pertes s'avère insignifiante.

Trois personnes sont mortes. Et si... Et si c'était juste un signe ?

Si, imaginons, ce phénomène était dû à des circonstances naturelles, j'allais sûrement devoir abandonner et laisser les choses suivre leur cours. Qui plus est, nous n'aurions juste qu'à nous mettre à l'abri et attendre que l'orage passe.

Mais... et si quelqu'un tirait les ficelles en coulisses ?

Ce n'est pas que cela me pose des problèmes d'éthique, du tout. Et si nous n'étions pas en face d'un phénomène aléatoire, mais d'un qui serait délibérément employé par quelqu'un ? Et s'il y avait quelqu'un qui peut se servir de ce pouvoir à volonté ? Et s'il y avait quelqu'un qui peut contrôler toutes les énergies humanoïdes qui vont vraisemblablement se répandre partout sur le globe ?

C'est ce que je crains.

Après tout, si mes inquiétudes s'avèrent vraies et qu'il y a vraiment un incident d'origine humaine, il pourrait menacer la vie humaine sur terre.

Le monde est en danger.

Quelqu'un cherche notre perte à tous. Quelqu'un d'aussi malfaisant est parmi nous. Et il faut que je trouve cette personne.

C'est pour cette raison que, depuis un moment, je surveille de près ces énergies humanoïdes autour de moi.

{Le volcan s'élève jusqu'au premier étage d'un sombre moins pour manger de la nourriture réchauffée et tombe.}

{Je veux manger de la viande chanceuse qui est morte dix fois mais est ressuscitée cent fois.}

{Je lance un combiné téléphonique dans une poche quadri-dimensionnelle parce que la corbeille est pleine.}

{Les aventures incomparables de Hutch l'abeille sont des perles.}

Tout en brillant, les énergies envoient des signaux sur une longueur d'onde différente qui, une fois traduits dans mon langage, n'ont plus aucun sens.

Néanmoins, je peux discerner une différence de volume sonore.

Lentement mais sûrement, leurs voix (?) deviennent de plus en plus fortes et leur scintillement aussi.

Peut-être que je me rapproche du méchant.

La dernière fois, leur comportement anormal s'est arrêté quand je menais mon enquête, mais je n'ai pas l'impression que ça va à nouveau arriver. Je risque bien de le trouver cette fois-ci.

... Le mystérieux magicien qui a facilement pu mettre fin à trois vies.

…...

C'est vrai... Je suis sur le point de faire face à un terrible adversaire...

Venant seulement de m'en rendre compte, mes pieds s’encimentent et mes pas ralentissent.

Et puis... Qu'est-ce qui me dit que ses victimes ne se dénombrent qu'à trois ? La raison principale pour laquelle j'ai associé leurs morts avec cette anomalie survenue aux énergies humanoïdes est parce que c'était tous des suicides et qu'ils étaient arrivés coup sur coup dans la même école. J'ignore s'ils sont même liés au phénomène que j'ai observé.

D'un autre côté, on peut aussi dire qu'il est possible qu'il y ait de nombreuses autres victimes que je n'ai pas pu lier à cette menace.

En y repensant... Le taux de suicide a augmenté ces derniers temps. Hé, et si c'était partiellement dû au criminel que je suis sur le point de rencontrer ? Il n'y a rien d'impossible ; non seulement le fait de tuer quelqu'un avec les énergies humanoïdes ne laisse aucune preuve, mais en plus, personne ne se douterait même de rien.

Qu'est-ce que je vais faire après avoir rencontré une personne pareille ?

Ok, je peux voir les énergies humanoïdes. Mais c'est tout. À part ça, je suis une simple fille qui est certes entrée en puberté avant les autres, qui a déjà reçu des dizaines de déclarations d'amour, et qui passe le plus clair de son temps avec Kazuaki plutôt qu'avec les autres filles. Sûrement.

Qu'est-ce qu'une fille comme moi pourrait faire contre un odieux criminel comme ça ? Le convaincre d'arrêter ? Est-ce que mes paroles pourraient vraiment l'atteindre ? Laisserait-il quelqu'un qui connait son secret en vie ?

Mes jambes s'arrêtent complètement.

Mais—

Mais s'il venait à poser ses sales pattes sur Kazuaki...

Mes jambes enracinées se libèrent du ciment et je me mets à nouveau en marche.

J'ai peur... J'ai vraiment peur, mais...

Je n'ai pas d'autre choix.

{Des anneaux de maïs avec des arcs-en-ciel étincelants en arrière-plan.}

{Après s'être baigné dans du nattô, la voiture de Watanabe-san voyage dans le temps comme si elle volait dans les airs.}

{Une femme de chambre avec un club de golf à la main met en marche les morceaux de viande de Nagatacho.}

Les voix (?) deviennent plus fortes.

Les phrases sont toujours aussi dépourvues de sens qu'avant, mais l'intensité des mots a changé. Avec une tension palpable, elles résonnent dans tout mon corps, faisant picoter mes neurones comme avec un porte-mine.

Une rancœur ? pensé-je alors que je remarque le cœur d'une énergie humanoïde. Le genre d'énergie qui est normalement transportée par les gens qui se retrouvent dans leurs filets flotte vers moi.

J'ai la nausée. Comme le jour de mes pires règles.

Je veux me recroqueviller, mais je ne dois pas. Il y a quelqu'un que je dois voir. Je dois la voir.

... Hein ? La ?

Comment est-ce que je sais que c'est une fille ?

Je m'arrête avant de tituber jusqu'au parc devant moi. Hormis quelques enfants avec leurs parents près du bac à sable, il n'y a personne à part moi.

Personne.

Je me tiens devant un vieux banc abîmé en bois. Je ne sais pas quoi dire. J'ignore si elle est douée de parole de toute façon. Hélas, je ne peux pas me contenter de rester debout là, alors j'essaye de parler.

— Hé, qu'est-ce que tu fais là ?

Elle lève la tête.

— Ah— gémis-je, surprise.

Elle est d'une beauté absurde.

Mais ce qui me surprit plus que tout était le fait que je—


— Reina... Kamisu.


... connaissais le nom de cette anomalie.

2[edit]

— Docteur, je songe à arrêter nos rendez-vous.

Le docteur Mihara me regarde, légèrement étonné, et me demande :

— Pourquoi ?

— J'étais seulement venue ici parce que j'avais besoin de soutien à l'époque, non ?

Il acquiesce légèrement.

— Alors tu n'as plus besoin de soutien ?

— En effet. Les crises de dépression que je faisais ont disparu, tout comme mon aversion à parler avec les autres, expliqué-je avant de décider d'ajouter quelque chose en rapport à ce que j'ai vécu l'autre jour où j'attendais ici, Et je ne sors pas en courant et hurlant de cette pièce.

Le docteur fronce des sourcils.

— De qui, dit-il après avoir marqué une pause, parles-tu ?

— Je parle du garçon qui était souvent là avant moi. Si je me souviens bien, il portait le même uniforme que moi. Il m'est rentrée dedans l'autre jour. Comment il s'appelle déjà ?

— ... J'ai bien peur de ne pas pouvoir divulguer d'informations sur mes autres patients.

— Pas même son nom ? Tant pis. J'y pense, je ne l'ai pas vu ces derniers temps.

Son visage s'assombrit clairement.

— Il ne... reviendra plus.

— Ah bon...?

— Oui, acquiesce-t-il.

Je doute qu'il arrête son traitement dans son état. Est-ce qu'il s'est passé quelque chose ? Vu comment il est parti en hurlant, il doit y avoir une bonne raison pour laquelle il ne veut plus venir.

Mais j'ai comme un drôle de pressentiment à ce sujet.

Après tout, ce garçon va au collège Shikura. Étant donné qu'il suivait une thérapie ici, il était plus que probable qu'il ait une raison pour mettre fin à ses jours, alors peut-être même qu'il fait partie des trois victimes de suicide.

À en juger par la mine amère du docteur Mihara, il doit savoir la vérité. Mais je me retiens de lui poser plus de questions, parce que son caractère l'empêcherait de me répondre.

— En tous les cas, tu dis que tu veux annuler nos rendez-vous ? dit-il pour revenir au sujet, De mon point de vue, c'est un peu trop tôt pour cela.

— Je sais bien, docteur. Vous avez raison, mes blessures ne se sont pas entièrement refermées. Je ne suis pas encore tout à fait moi-même.

— Ce n'est pas le problème, soutient-il. Ces blessures te suivront toute ta vie, et tu ne pourras jamais redevenir ce que tu étais avant cet incident.

— Où se situe le problème dans ce cas ? demandé-je.

— J'hésite à croire que tu sois déjà remise de ton traumatisme.

— Mais dans ce cas, ça veut dire que je vais devoir venir ici jusqu'à la fin de mes jours ?

Le docteur marque une pause.

— Il n'empêche... que c'est encore trop tôt.

Je m'énerve un peu. Il est en train de dire que je suis bizarre ?

Et donc, je rétorque :

— Docteur. Laissez-moi être franche. Ma famille ne roule pas sur l'or. Les frais pour ces thérapies psychologiques pèsent très lourd dans notre budget !

— ...

Il se mure dans le silence alors que je brandis l'argument financier.

— Peut-être que vous avez raison et que je ne suis pas encore totalement guérie du traumatisme, mais je suis sûre qu'avec le soutien de ma famille et du peu d'amis que j'ai — comme Kazuaki — j'irai mieux.

— Je ne le conteste pas. Cependant, j'estime que tu as toujours besoin d'un spécialiste comme moi.

— Pourquoi ? demandé-je, un peu irritée.

— ... Très bien, laisse-moi t'expliquer mes inquiétudes : j'ai l'impression que tu es sujet à des hallucinations.

— ... Des hallucinations ? demandé-je en réponse à sa déclaration inattendue.

J'ai du mal à voir à quoi il fait référence.

— Oui. J'ignore jusqu'où allait cette tendance à l'époque où tu as commencé à venir ici parce que tu ne t'ouvrais à personne... mais j'ai l'impression que ces hallucinations se sont renforcées à mesure que tu as retrouvé ta vitalité.

— Hein ? Vous voulez dire que j'ai abandonné le bon sens pour surmonter ce traumatisme ? demandé-je.

— Je n'en suis pas certain. Mais je suppute qu'afin de te protéger des profondes blessures que tu as subies, tu t'es forcée à modifier certaines choses qui auraient pu dans le cas contraire causer plus de dégâts, y compris le sens des valeurs.

— ... Autrement dit, vous voulez dire que je me renferme toujours sur moi-même ?

— Je ne suis pas entièrement d'accord avec cette formulation... mais ça s'en rapproche. Comme je l'ai déjà dit, ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose de changer. Le problème se situe au niveau de la direction du changement. Bien sûr, je pense que c'est mieux que d'être toujours traumatisée, mais je ne considère pas ça comme une bonne solution.

Après avoir lentement digéré ses paroles, je réplique :

— Arrêtez de vous foutre de moi.

— Wakui-san...

— Je suis toujours bizarre, hein ? C'est faux ! Je suis redevenue normale ! crié-je, suscitant plus de colère qui s'accumule. Ça suffit ! J'en ai ma claque et je suis crevée ! C'est la dernière fois que vous me verrez !

Sur ces paroles, je me lève et lui tourne le dos.

— Wakui-san !

Tout en ignorant ces appels, je quitte le cabinet.

Il n'y avait plus de marche arrière possible.


Je me rends au lycée comme d'habitude le lendemain.

Mon menton posé sur la table, j'attends impatiemment que la sonnerie résonne. Du fait de la lenteur des aiguilles de l'horloge, je me remémore la séance de thérapie de la veille.

Je pense que j'ai été un peu trop hystérique. Je suis désolée, docteur Mihara. Il n'a fait que donner son avis, rien de plus.

Cela dit, me dis-je à moi-même en me rappelant de ses paroles de la veille.

Des hallucinations ? Moi ?

Je dois l'admettre, mon obsession sur l'existence d'énergies humanoïdes pourrait paraître un peu bizarre d'un point de vue du bon sens. Mais j'ai attentivement mis sur pied la logique sous-jacente à cette théorie : je suis dans le vrai. Au pire, j'ai un coup d'avance sur monsieur tout le monde.

Quoi qu'il en soit, cela importe peu dans ce cas précis : je n'ai jamais parlé au docteur des énergies humanoïdes.

Je suis une patiente, une personne malade mentalement. Comme je suis consciente des implications, j'ai délibérément gardé ça pour moi pour éviter qu'il ne se méprenne à mon sujet.

Ce qui veut dire... qu'il pense que j'ai des hallucinations sans même cette histoire d'énergies humanoïdes ?

... C'est n'importe quoi. Je suis normale. Je suis parfaitement normale, de la tête au pied, et ordinaire.

Et pourtant, et pourtant ! Vous me traitez comme une malade mentale !

M'énervant à nouveau, je donne un coup de pied à Kazuaki qui est assis à côté de moi.

— Aïe !

Idiot ! Pourquoi tu cries...?

Conséquence naturelle, tous les yeux de la classe — y compris ceux du professeur — se tournent vers lui. Feignant l'ignorance, je regarde mon cahier et me mets à écrire n'importe quoi.

— Pourquoi t'as fait ça...?! se plaint-il à voix basse en me regardant avec des yeux plein de reproches, après que tout le monde se soit à nouveau tourné vers le tableau.

— Parce que.

— Alors t'es le genre de personne qui n'a pas besoin de raison pour frapper les autres, hein ? Shizu-chan... snif, snif.

— « Snif, snif », hein ? C'est qui la fille de nous deux ?

Soudain, la sonnerie résonne et met fin à nos chuchotements. Suivant la routine habituelle, nous nous levons, saluons le professeur, et nous rasseyons.

Quelques instants plus tard, notre professeur principal entre et termine la réunion hebdomadaire par du bavardage. J'en ai fini pour les cours du jour.

Immédiatement après que je me lève et dis, « Salut », Kazuaki s'approche de moi :

— Shizuka, on rentre ensemble ?

— Désolée, mais j'ai encore un truc à faire.

Le parc est à l'opposé de la gare qu'on prend pour rentrer chez nous.

Visiblement déprimé, Kazuaki marmonne :

— ... Mm-mmh.

— ... Encore une fois, Kazuaki, je ne cherche pas à t'éviter, vraiment, lui assuré-je.

— Je sais !

— Dans ce cas, fais pas cette tête.

— Mais ce rendez-vous est plus important que moi, non ?

Prise par surprise, je cherche mes mots.

— Bah... Certes, mais...

— Aah, euh, c'est pas grave. Désolé de faire la gueule.

Effectivement, il était un peu ronchon. Il n'empêche que je dis ce que je suis censée dire :

— ... Désolée de pas pouvoir venir avec toi.

C'est suffisant pour lui redonner le sourire. Pff, quel simplet celui-là.

— Salut, Kazuaki, dis-je en lui faisant un signe de la main.

En retour, il me fait aussi un signe d'au-revoir avec un sourire.

Tout en descendant le couloir, je me dirige vers mon casier à chaussure.

J'accélère petit à petit le pas.

Je veux vite aller la voir.

Est-ce que je suis impatiente de la voir ? Hmm ? Tout du moins, c'est différent de quand on se rend à des soldes attendues depuis longtemps. Si je devais exprimer mes sentiments actuels... peut-être me rendre pour la première fois chez mon petit ami ? Même si on ne ressent que des choses négatives comme de la nervosité, de la peur et de la gêne, on ne se sent pas si mal. Quelque chose du genre.

— Hum—

Cependant, une voix m'interpelle soudain.

Je lève les yeux pour voir à qui appartient cette voix, et reconnais l'une du duo C2, Hozumi Shiki, qui descend les escaliers.

— Mais c'est Hozumi-chan des C2, dis-je en retour.

— ... C'est quoi « C2 » ?

— Le nom de ton groupe de filles. Ah, euh, laisse tomber.

C2 signifie « les deux chibis ».

— Enfin bref, continué-je, qu'est-ce que tu me veux ? Je suis pressée.

— Je, euh... j'aimerais discuter de quelque chose avec toi, au sujet de Toyoshina-senpai.

Kazuaki Toyoshina.

Ça crève les yeux à son attitude habituelle, Hozumi-chan — cette fille petite mais bien roulée (ma main à couper que c'est du bonnet D) — est amoureuse de Kazuaki. Genre, elle est à fond sur lui. On ne croirait pas que cette fille visiblement calme pourrait être aussi rentre-dedans quand il est question de Kazuaki. Enfin, uniquement quand elle est soutenue par l'autre membre du duo C2, Yoshino Mitsui.

Hm, cette affaire est suffisamment intéressante pour que j'y consacre quelques instants. Je ne me suis pas accordée sur une heure pour le rendez-vous avec elle après tout. Je ne suis même pas sûre que le concept de temps existe pour elle.

— Ok, je t'écoute.

— Merci, répondit-elle. Allons discuter de ça dans un meilleur endroit.

— Ok. Pourquoi pas la cantoche ?

Hozumi-chan acquiesce et me suit.


Tout en attendant qu'elle se mette à parler, je prends une gorgée dans un gobelet en carton et savoure le goût du jus d'orange. Hozumi-chan n'a pas dit mot depuis qu'elle s'est assise alors que c'est elle qui voulait me parler.

Hm... Est-ce que je dois m'attendre à une discussion sérieuse là ?

Je pense qu'elle sait que j'ai remarqué ses sentiments pour Kazuaki, et je pense qu'elle sait également que je ne peux pas l'aider.

J'aurais pu jurer qu'elle avait l'intention de parler de ça, mais peut-être que je me trompais ?

Alors que je la regarde avec attention, Hozumi-chan baisse les yeux timidement. Elle est loin d'être aussi offensive qu'elle l'est habituellement... Parce que Yoshino-chan n'est pas avec elle ? Ou elle ne l'est que quand il est question d'attirer l'attention de Kazuaki ?

— ... Euh... finit-elle par dire, non sans mal.

— Hm ?

— Toyoshina-senpai et toi, Wakui-san, vous n'êtes que des amis d'enfance ?

Ayant anticipé une question similaire, je ne bronche pas.

— Oh, t'aurais pu demander à Kazuaki directement.

— Je l'ai fait.

— Hm ? Ah, ouais, il est plus facile d'approche que moi, hein ? Qu'est-ce qu'il a dit ? Ah, non, c'est pas grave. Je peux deviner. Mais je vois... alors tu t'es dit qu'il était vraisemblable qu'on réponde différemment à cette question.

— ...

Elle demeure silencieuse.

— Juste par curiosité, est-ce qu'on a vraiment l'air de simples amis d'enfance ?

Hozumi-chan cogite pendant quelques instants.

— Non, pas du tout...

J'acquiesce à sa réponse.

— Exactement. Un simple ami d'enfance n'irait pas jusqu'à choisir le même lycée pour rester ensemble, ni même il n'irait jusqu'à implorer le prof de pouvoir s'assoir à côté, ni cette personne ne jouerait joyeusement avec les cheveux de l'autre.

— ... Qui est qui ?

— Tu tiens tant à le savoir ?

Hozumi-chan baisse les yeux et se mure à nouveau dans le silence.

Je prends une autre gorgée de jus d'orange, buvant volontairement lentement parce que j'ignore combien de temps elle va rester silencieuse.

Ce n'est qu'une fois que j'ai posé mon gobelet en carton vide sur la table qu'elle continue.

— ... Qu'est-ce que je suis censée faire ? murmure Hozumi-chan de façon découragée.

— Comment ça ? Tu te retiens pour lui...? Non, t'en étais consciente depuis le début. Tu te retiens donc pour moi, pas vrai ?

Après quelques instants d'hésitation, elle finit par acquiescer.

— T'occupe pas de moi, dis-je.

Surprise, Hozumi-chan lève la tête vers moi.

— C'est quoi cette tête ? Tu t'attendais pas à ce que je dise ça ?

— M-Mais... votre amour est réciproque, ça crève les yeux...

Ça crève les yeux ? Les tiens aussi ? demandé-je.

— Sûrement...

— T'es pas sûre ? Alors qu'on parle du garçon à qui tu penses sans cesse ?

— ... Oui, répond-elle honnêtement.

— Je vois. Cela veut dire que t'as une meilleure idée de notre relation que ces gens qui nous voient comme un couple.

— Hein...?

— Je sais pas ce que Kazuaki pense de ça, mais personnellement, j'ai pas la moindre idée de comment décrire notre relation.

— Ah bon...?

— Oui.

Hozumi-chan prend quelques instants pour réfléchir à la raison pour laquelle j'ai tourné ma phrase de cette façon. Enfin, elle arrive à une réponse.

— Cela veut dire que je n'ai pas à me retenir pour toi ? demande-t-elle.

Après une courte pause, je réponds :

— Exact.

— D'accord... dit-elle avec un grand sourire qu'elle essayait de cacher, Je me suis toujours sentie coupable vis-à-vis de toi.

— Je sais, lui avoué-je en portant le verre vide à mes lèvres. Mais ne m'en veux pas pour ça. Je ne pouvais quand même pas te dire de pas t'occuper de moi et de le draguer comme ça te chante, non ?

— ... Oui, dit Hozumi-chan, le visage à nouveau mélancolique.

— Ah, c'est pas des sarcasmes, tu sais... En fait, je préférerais que Kazuaki se trouve quelqu'un d'autre que moi.

Elle est visiblement surprise par mes propos. Sérieusement... son visage ne pourrait pas rester tranquille pour changer ?

— J'ignore si un jour je pourrais répondre à ses sentiments à mon égard. Peut-être jamais, et je le fais attendre. Et donc, je pense que c'est pour son bien que je le laisse entre les mains d'une fille comme toi, Hozumi-chan, expliqué-je.

Après avoir posé et repris le verre sans raison particulière, je continue :

— Il faut qu'il apprenne que je suis pas la seule fille sur Terre. Parce qu'il... n'a jamais eu d'yeux que pour moi.

Hozumi-chan demeure silencieuse, le regard rivé sur le sol. Après un instant, elle relève la tête et me regarde droit dans les yeux.

— Je... ne me retiendrai plus ! dit-elle avec une voix calme mais déterminée.

Un peu troublée par son regard franc, je détourne un peu le mien.

— Bah, je t'ai dit que tu pouvais le faire, non ? réponds-je — avec une voix un peu plus calme qu'avant.

Les yeux toujours rivés sur moi, elle acquiesce :

— ... Je vois.

Elle pousse un léger soupir que j'ai failli ne pas remarquer.

— Merci de m'avoir accordée du temps. Salut...

— Ouais, salut.

Hozumi-chan prend son sac et, après s'être légèrement courbée dans ma direction, s'en va sans se retourner.

Alors que je regarde mon verre en papier vide, je me demande à moi-même :

... Hé, Shizuka. T'es sérieuse ?

Je me demande. Je pense que oui. Oui... mais en même temps, je ne suis pas entièrement d'accord avec ce que j'ai dit. J'ai l'impression d'essayer de me convaincre qu'une pomme dessinée est une vraie.

Je jette un œil vers la chaise en face de moi qui est toujours éloignée de la table.

Hozumi-chan.

C'est une gentille fille. Ça ne fait aucun doute. Je dois même admettre qu'elle est jolie. N'importe quel garçon normal serait déjà tombé amoureux d'elle si elle le voulait.

Mais et alors ?

Elle est gentille, et alors ? Elle est jolie, et alors ? Cela la rend-elle plus à même d'être avec Kazuaki ?

J'essaye de l'imaginer à ma place aux côtés de Kazuaki.

... Non, je ne peux pas. Je n'arrive pas à l'imaginer.

Mais... il y a quelque chose pour lequel je lui suis reconnaissante.

C'est seulement grâce à elle que j'ai pu garder la tête sur les épaules — parce qu'elle n'a pas cherché à jauger mes véritables sentiments pour Kazuaki.

Un picotement me parcourt le crâne comme une colonie de fourmis. J'ai la nausée alors que mon estomac va parfaitement bien.

Je—

... broie le gobelet en carton dans mes mains.


La discussion avec Hozumi-chan m'a sans l'ombre d'un doute affectée, mais il n'y a aucune raison de changer mon plan. Je me dirige vers elle.

J'ignore quand et où elle attend, mais je sais qu'elle est .

Les énergies humanoïdes se remettent à vaciller, tentant désespérément de se glisser dans le corps de quelqu'un.

{Impardonnable. Impardonnable. Ce nouveau site est impardonnable.}

{Je t'aime. Jetaime. Je t'aime, géant. Contre Yakult.}

{Je connais ton secret ! Tu retires ton pantalon quand tu vas aux toilettes !}

Ça devient dangereux — leurs propos commencent à être compréhensibles. Je me mets lentement à percevoir les sentiments sous-jacents derrière ces messages cryptés.

Un frisson parcourt mon corps.

Je comprends instinctivement qu'il est dangereux de comprendre leur langage. Les comprendre revient à être capable de communiquer avec eux, et communiquer avec eux signifie m'ouvrir à eux l'espace de la conversation. Ils ne laisseront pas passer cette chance.

J'essaye de les ignorer comme je le fais avec ces gens qui distribuent des mouchoirs.

Je dois juste éviter tout contact avec eux, c'est tout. Je dois simplement ignorer le fait qu'ils n'ont plus juste une forme ressemblant vaguement à un être humain, mais qu'ils ont désormais des silhouettes humaines.

Tout en les ignorant de toutes mes forces, je me retrouve dans le parc de la veille. Elle est assise sur le même banc qu'hier.

La première chose que je lui demande, à elle qui est d'une beauté absurde :

— Dis-moi, est-ce que c'est à cause de toi que je peux voir les contours des énergies humanoïdes ?

— Toi, dit-elle au lieu de répondre à ma question.

Apparemment, elle ne s'adresse pas à moi, mais répète le nom que j'avais utilisé pour l'appeler.

— Appelle-moi Reina. En échange, je t'appellerai Shizuka. D'accord ?

— Si tu veux... réponds-je prudemment.

— Shizuka, alors. Tu as réfléchi à mon offre ?

Pff, ma question a été ignorée.

— Ton offre, hein... Tu trouves pas que c'est un peu trop à sens unique ? T'as dit ce que t'avais à dire et tu t'es « évaporée » sans crier gare. Et puis, j'ai pas la moindre idée de ce que tu veux dire par, « Tu veux venir avec moi ? »

— Sérieusement...?

— Sérieusement, réponds-je en soupirant.

— Malgré que tu possèdes de tels pouvoirs ? demande-t-elle avec un étonnement manifeste.

— Oui. Je suppose qu'on a obtenu ces pouvoirs de façon différente. Quand on escalade une montagne par des côtés différents, on arrive tout de même au même endroit au final, non ?

Reina marque une pause et finit par acquiescer.

— Je vois, c'est pour ça que tu les appelles « énergies humanoïdes ».

— Tu comprends ?

— Oui. Parce qu'il existe un nom bien plus simple et direct de les appeler, non ? « Esprits ».

— Je dois admettre que j'ai également pensé à ce nom la première fois que j'ai pu voir leurs contours. Cependant, il y a une certaine incohérence entre ma définition du mot « esprit » et celle que je donne à « énergie humanoïde », bien que c'est sûrement mon bon sens qui me freine. Je n'ai pas pu appeler ce phénomène par ce nom stéréotypé qu'est « esprit ». Même maintenant, pour être franche, elles resteront des énergies humanoïdes pour moi. Tu comprends ?

— Oui, très bien. Mais tu dois garder à l'esprit que ce ne sont pas des énergies humanoïdes pour les autres. Bien sûr, esprit n'est également que la réponse d'un nombre limité de personnes, explique-t-elle.

— ... 'Scuse, mais tu m'as perdue là.

— Autrement dit, le terme « énergie humanoïde » est certes ta propre façon de les appeler, mais en le faisant, ils ont endossé le rôle des énergies humanoïdes.

— ... Comme une orange en devient une avec notre perception de ce nom...?

— Hum, c'est pas tout à fait ça, j'en ai bien peur. Tu devrais prendre un exemple moins concret. Comme... Dieu. Tu crois en Dieu, Shizuka ?

— P-Pas vraiment.

— Ok, ça veut dire que tu remercies ta propre étoile quand tu as eu de la chance, non ? Mais dès qu'on mentionne le mot « Dieu », tu ne remercies pas ta bonne étoile, mais Dieu d'avoir veillé sur toi — et c'est un message entièrement différent, non ?

— ... Ouais, je pense que je vois où tu veux en venir, mais c'est pas un bon exemple. Un meilleur serait que « l'air » ne peut exister en tant que tel que si on connait son nom. C'est ce que tu voulais dire, non ?

Après tout, on ne peut pas percevoir l'air à moins d'en avoir entendu parler, vu qu'il n'est ni visible ni palpable.

— Tu m'en bouches un coin, Shizuka. Tu comprends vite !

— Garde tes flatteries pour toi, tu veux ? Quoi qu'il en soit, je peux te poser d'autres questions ?

— Bien sûr, si je suis en mesure d'y répondre, dit-elle en acceptant ma demande.

— Super, alors commençons—

Je pose les questions que je meurs d'envie de poser :

— Qui es-tu ?

Ne comprenant visiblement pas le sens de ma question, Reina incline la tête dubitativement.

— Pourquoi cette question ?

— T'es pas humaine, mais t'es pas une énergie humanoïde pour autant.

— Mais tu connais déjà mon nom, non ?

— ... Reina Kamisu.

Au moment où je prononce son nom, je comprends où elle veut en venir.

— Oui, je suis Reina Kamisu. Et rien d'autre.

Oui, j'avais déjà nommé l'essence de ce phénomène « Reina Kamisu ».

— ... Ok, je ne poserai plus cette question. Mais... pourquoi être entrée en contact avec moi ?

— Je crois que tu te trompes sur un point. C'est toi qui as initié notre contact.

— ... C'est vrai. Dans ce cas, pourquoi tu m'as fait cette offre ?

— Parce que tu détiens le pouvoir, Shizuka.

— Quel pouvoir ?

— Celui de sentir les « énergies humanoïdes », pour reprendre tes mots.

— Je sais. Ce que j'ignore c'est de quel genre de pouvoir il s'agit.

Reina reste silencieuse quelques instants, à réfléchir, avant de me répondre avec un sourire :

Celui de sauver le monde.

Surprise, mes yeux s'écarquillent. Après tout, ma théorie de départ était que l'existence de Reina consistait une menace pour le monde, et c'est pour ça que je suis entrée en contact avec elle.

Si j'en croyais ses paroles...

— Alors ce que tu fais — mettre en marche les énergies humanoïdes — c'est pour sauver le monde ?

— Oui.

— Arrête de mentir ! Je sais que tes actions ont déjà fait plusieurs victimes !

« Plusieurs », dit-elle en souriant. Est-ce que sauver quelques personnes est équivalent à sauver le monde pour toi ?

— ... Tu veux dire que...?

— Tu as sûrement vu juste.

Autrement dit, Reina a sacrifié plusieurs personnes pour sauver toutes les autres ? Comme on le ferait pour un peuple dans une guerre commencée juste pour arrêter un simple dictateur ? Comme un éléphant au milieu d'un groupe d'animaux affamés qui se tueraient les uns les autres pour survivre ?

Alors que je combats la confusion montante en moi, Reina m'esquisse un sourire et continue :

— Je sais tout, Shizuka.

Ses paroles suivantes m'intriguent encore plus.

Tu n'as obtenu ce pouvoir qu'après cet « incident », pas vrai ?

3[edit]

Je porte ma robe blanche préférée.

Les volants en bas de la jupe flottent dans les airs alors que je tourne sur moi-même.

Je suis jolie, hein ?

Pour qui je porte ça ?

Pour toi, bien sûr, et pour moi, pour mes sentiments pour toi.

Je veux être belle pour toi, toujours la plus belle.

Mais un jour, je vais devoir retirer cette robe blanche.

Et tu me déshabilleras.

... Ou du moins, je l'espérais.


Mais maintenant—

Je porte toujours cette robe, et je ne te laisserai pas y toucher.

Parce que ma robe blanche préférée est entièrement tachée.

Mais je continue quand même de la mettre.

Je continue de porter une robe pas blanche.

Je continue de porter une robe pas blanche que tu m'enlèveras.


Jusqu'à ce qu'il soit trop tard pour faire marche arrière.

4[edit]

Mince... ça ne marche pas.

La « laitue » que j'ai plantée hier ne marche pas. C'est comme Reina l'a dit... Si je ne change pas, mon pouvoir restera limité.

Afin d'obtenir un vrai pouvoir, je dois sauter par-dessus ce monde, transcender les existences et traverser divers deltas.

C'est la pause dans la salle de classe. Des chaises, des chaises, des bureaux, une énergie humanoïde scintillante, Kazuaki.

— Kazuaki, t'as une minute à m'accorder, s'il te plait ? demandé-je à Kazuaki qui parle avec Kiichi-kun, un ami à lui.

— Hm ? Qu'y a-t-il, Shizuka ?

Kiichi-kun nous laisse poliment entre nous. Mm, pardon, mais merci.

— Ok, écoute-moi bien. Le monde est sur le point d'exploser.

— Shizuka...?

— Comme je l'ai dit, le monde est surpeuplé. Il a un niveau critique dans chaque système, non ? Tu comprends ça ?

— ... Je crois bien... Dis, euh, je t'ai déjà dit ça à la pause précédente, mais t'as pas l'air dans ton assiette aujourd'hui, Shizuka.

— Peu importe. Oublie-moi un instant. Contente-toi d'écouter, insisté-je.

— Je pense que c'est important, mais soit...

— Les énergies humanoïdes... non, je déteste faire ça, mais appelons-les « esprits » pour simplifier les choses. Comme tu le sais, Kazuaki, il y a un nombre incalculable de choses qu'on ne peut pas voir à l'œil nu. Pire, y'en a bien trop à mon goût. Et pour prendre conscience de leur existence, il nous faut leur donner des noms appropriés... Une seconde, on s'en fiche de ça, non ? Enfin bref, ces esprits existent vraiment, tu me suis ?

— ... Ok.

— Le nombre d'esprits n'a de cesse d'augmenter. Ils sont de plus en plus nombreux, et ils se sont mis à se répandre partout où on regarde, même autour de nous. En fait, y'en a un dans le coin là-bas. Bien sûr, certains esprits meurent comme ils devraient normalement le faire, mais la plupart non. Et donc, on peut dire que la population d'esprits est en constante augmentation. Oui, le cycle de la vie est ainsi comparable à celui de la production d'oxygène. À chaque souffle, les plantes expirent du dioxyde de carbone mais la quantité d'oxygène qui est produite par photosynthèse est plus importante, donc par définition elles produisent effectivement de l'oxygène. Quelque chose comme ça.

— D'accord...

— Tu sais ce qui se passera s'ils continuent à croître ? Le monde se retournera sur lui-même. L'avant et l'arrière seront inversés. Tu comprends ? Oui, hein ? C'est une révolution ! Par les esprits ! Il est parfaitement logique que le monde se penche vers le côté détenant le plus d'énergie. Tu peux imaginer les conséquences ? Le monde s'inclinerait après tout : on tomberait tous de la surface de la planète, en perdant nos formes, en se transformant en des êtres ambigus, en nous éparpillant dans toutes les directions. Peut-être. Je connais pas les détails bien sûr, mais pas plus qu'on sait pas réellement ce qui se passerait si on faisait sauter la planète avec des explosifs, pas vrai ? Autrement dit, la seule chose que je peux dire pour sûr, c'est que le monde qui en résulterait ne serait en aucun cas enviable. Je devrais faire quoi d'après toi ? Tu crois que je suis censée m'assurer que cela n'arrive pas, peu importe à quel prix ?

— ... Shizuka, dit-il en me regardant attentivement.

Dieu merci, il me prend au sérieux.

Kazuaki lance un regard vers Kiichi-kun.

— Désolé, Kiichi, mais Shizuka et moi, on va manquer le reste des cours de la journée.

Surpris, Kiichi-kun répond :

— Hein...? Ah, c-c'est pas grave, Kazuaki, y'a rien d'urgent, vraiment.

— Dis-leur que je raccompagne Shizuka chez elle parce qu'elle ne se sent pas bien.

Ignorant ma question, il me tire par le bras.

Kazuaki touche mon bras.

Les cellules de mon bras se mettent à se décomposer et à pourrir les unes après les autres. J'ai mal. Un ressentiment insoutenable et sans borne me pique.

— Kazuaki... Tu as oublié ?

Il relâche instinctivement sa main, et me regarde avec les yeux grands ouverts. Après quelques instants, il s'excuse avec une voix à peine audible.


Kazuaki ne se retourne pas, alors je le suis sans dire mot.

Alors qu'on se dirige vers chez nous, on pénètre dans la station qu'on utilise tous les jours. Il n'y a presque personne du fait de l'heure qu'il est. Hein ? Il y a quelqu'un debout malgré la quantité de sièges libres. Ah, c'est une énergie humanoïde. C'est vraiment trompeur. En y repensant, comment distinguer un humain d'une énergie humanoïde déjà ? Hein ? Comment je faisais avant ? Je n'arrive pas à m'en souvenir.

On descend du train, mais quand j'essaye de passer le portique, je suis bloquée par ce dernier parce que la machine ne réagit pas à mon pass. Qu'est-ce qui se passe ? C'est encore un mauvais coup des énergies humanoïdes ? C'est complètement impossible. Je repasse ma carte, et cette fois, le portique s'ouvre. Pfiou, j'y comprends plus rien.

Je continue de suivre Kazuaki.

Droite, gauche, droite, droite, gauche — on tourne, encore et encore.

Enfin, on arrive à un parc, mais pas celui où je vois Reina. Il est tout petit, le genre de parc avec un tas d'équipements rouillés.

— Tu te souviens de cet endroit ? me demande soudain Kazuaki, après s'être tourné vers moi.

Alors qu'il était parfaitement silencieux pendant le trajet, il me sourit d'un air étrangement doux. Comme je ne réagis pas, il continue :

— C'est le parc où on se voyait souvent, quand on avait deux ans. Bah, je m'attends pas à ce que tu te souviennes de tout, mais tu te rappelles qu'on jouait ici, pas vrai ?

— ...

Bien sûr.

Cependant, j'hésite à dire quoi que ce soit, parce que je ne comprends pas pourquoi il m'a emmenée ici pour me dire ça.

— Quand on était petits, t'étais plus grande que moi et tu m'embêtais tout le temps. Pour tout te dire, il y avait des jours où j'avais si peur de toi que je ne voulais pas te voir, Shizuka ! dit-il en riant.

Je regarde autour de moi. Effectivement, c'est le parc où on jouait ensemble quand on était petits. Je jouais souvent avec Kazuaki dans le bac à sable juste là, ou sur ces balançoires, ou sur cette barre horizontale. La cage à poule a été retirée depuis, mais à part ça, ce parc reste semblable à celui de mes souvenirs d'enfance quand on pensait que c'était notre propre petit empire.

— C'était le bon temps, hein ? continue Kazuaki, toujours en souriant doucement.

Son sourire me fait ressentir — de la rancœur.

Mais je reste silencieuse, parce que ce n'est pas de sa faute. Il n'est pas en tort. C'est juste que je sens que je vais vomir à cause de ce picotement dans mon estomac.

Et donc, je décide de dire à Kazuaki ce qu'il doit impérativement savoir.

— Kazuaki, écoute...

— Ok ! répond-il aussi rapidement que l'éclair — avec une petite pointe de résignation.

— Tu comptes beaucoup pour moi, Kazuaki, commencé-je, trahissant manifestement ses craintes.

Ses yeux s'écarquillent.

— Je pense que tout le monde a un rôle bien défini dans la vie. Par exemple, le président d'un pays doit protéger le monde du haut de son trône, alors que le premier ministre d'une île doit obéir à ce président. Il était écrit que Mère Theresa devait servir à Calcutta, que Christophe Colomb devait poser pied en Amérique, et que Marie Curie devait découvrir le polonium et le radium. Et je... je dois sauver le monde.

— Et comment tu comptes faire ça...?

— Je vais m'assurer que le monde ne se retourne pas sur lui-même, en libérant le pouvoir contenu dans ces énergies humanoïdes et en réduisant leur nombre. Il y aura peut-être des victimes pendant qu'elles scintillent l'espace d'un moment après que leur pouvoir soit libéré, mais c'est un mal nécessaire. Te fais pas de fausses idées — ma conscience me tiraille pour ça, mais j'y peux rien. Il faut que j'agisse. C'est mon rôle parce que je sais que ce doit être fait.

— ... En considérant que c'est la bonne chose à faire—

— Kazuaki. Je comprends que l'idée peut paraître folle comme ça, mais c'est la bonne chose à faire.

Il baisse les yeux vers le sol. Après un instant de réflexion, il se corrige :

— En partant du principe que ce soit la bonne chose à faire — pourquoi faudrait-il que ce soit toi qui t'en charges, Shizuka ? Confie ça à quelqu'un d'autre. T'as dit que tu sais comment sauver le monde, mais Shizuka... On connait tous des pays qui souffrent de la pauvreté, où des bébés naissent pour mourir jeune, où des filles doivent avoir recours à la prostitution et qu'elles finissent avec le SIDA, et des gens faibles qui meurent du fait d'un mauvais environnement et d'un manque de médicaments. On sait tous ça, et pourtant, on ne fait rien pour y remédier, à part peut-être à travers quelques dons. C'est le monde où l'on vit. Il y aura toujours des gens à la recherche d'un sauveur. Si on devait répondre à tous les appels à l'aide, on se retrouverait tôt ou tard piégés, à ne vivre que pour aider les autres. Tu penses que c'est louable ? Oui, ça l'est. Mais et alors ? Tu penses qu'un mode de vie où tu te sacrifies entièrement à la cause des autres est juste ? Peut-être bien, mais j'en veux pas. Je préfèrerai ignorer les appels à l'aide — exactement comme toutes ces pubs qu'on reçoit.

— ... Je t'ai déjà donné ma raison depuis le début, non, Kazuaki ?

— ...

Tu comptes beaucoup pour moi.

Oui, Kazuaki vit dans ce monde.

Il baisse à nouveau les yeux.

— ... Ça me fait plaisir que tu penses ça, vraiment, mais...

— ... C'est bon, Kazuaki. Dis tout ce que tu as sur le cœur.

J'en ai assez entendu pour comprendre que Kazuaki ne voit pas le danger que court le monde. Il ne voit que les problèmes auxquels il pense que je fais face.

Il lève lentement la tête pour me regarder, presque de façon hargneuse.

Néanmoins—

— Réveille-toi, Shizuka ! Tu as perdu le sens de la réalité.

Néanmoins, j'ai foi en moi.

Après tout, il y a quelqu'un qui a confirmé mon avis.

La réalité.

— ... Ouais, la réalité ! T'as traversé tant d'épreuves, c'est vrai, mais regarde... Prends ce parc par exemple — cet endroit est la réalité aussi, ok ? Il n'y a pas que des mauvaises choses.

Ah, je sais maintenant... c'est pour ça que tu m'as emmenée ici. Mais Kazuaki...

Ton argument s'est retourné contre toi.

Et puis, ta réalité m'importe peu. La réalité pour moi, c'est que le monde est en jeu, et que les seuls à pouvoir le sauver sont elle et moi.

— De toutes les choses que tu m'as dit, Kazuaki, il y en a une que j'aime particulièrement.

— Hm...?

— Fais ce que tu penses être la bonne chose à faire.

— Ouais... acquiesce-t-il et il ferme la bouche.

On se connait depuis tout petit. Il sait qu'il ne peut plus me convaincre. Mais je suis sûre — que Kazuaki n'abandonnera pas.

— Ok, alors je vais faire ce que je pense être la bonne chose à faire, moi aussi !

Sur ces paroles, il s'approche de moi.

Je sais ce qu'il va faire. Je peux sans mal imaginer ce qu'implique son visage tendu. On n'a pas passé autant de temps ensemble pour rien.

Son cou est juste en face de mes yeux. J'avais complètement oublié qu'il était devenu bien plus grand que moi.

Je lève légèrement la tête pour regarder son visage.

Il baisse légèrement la sienne pour voir le mien.

Enfin, il me — prend dans ses bras.

— Je t'aime ! me murmure-t-il à l'oreille, comme pour insister sur le fait que je suis la seule à devoir l'entendre. Je t'aime plus que n'importe qui au monde, Shizuka !

Je suis heureuse.

Vraiment heureuse.

Il n'essaye pas de m'arrêter avec des faux mots doux. Il n'est pas assez doué pour ça.

Il ne peut juste pas s'empêcher de le dire, alors qu'il m'enlace. C'est la seule chose à laquelle il peut penser.

Kazuaki est juste d'une honnêteté, simplicité et fidélité si ahurissantes... il ne me laisse pas d'autre choix que de veiller sur lui, me donnant envie de rester à ses côtés—

Malgré le fait que ma robe blanche est tachée.

Même s'il ne peut pas oublier ces taches.

Il tente le coup. Le pari de sa vie.

Bien sûr, je suis de son côté. Je veux qu'il le gagne.

Et pourtant—

— ... Ne me touche pas.

... Je ne peux pas.

Les bras autour de moi se détendent aussitôt. À la place, je le prends fort dans mes bras, enfonçant mes ongles dans ses bras.

Je suis contente d'être plus petite que Kazuaki maintenant. Je n'ai juste qu'à baisser un peu les yeux pour ne pas voir son visage.

Mon corps me fait mal comme si j'avais été transpercée par des milliers d'aiguilles. Je me bats contre l'envie de recracher le contenu de ma tête douloureuse. Les images de l'époque défilent en continu dans ma tête, me déchiquetant, m'écrasant, me réduisant en miettes, m'éparpillant.

— Pardon... dit Kazuaki et non moi.

Pourquoi tu t'excuses ? Arrête ! C'est de ma faute. C'est moi qui suis faible. C'est moi qui n'arrive pas à guérir. Ce. C'est ma faute. Ma faute. Faute. Faute. Faute.

— Désolé de t'avoir fait pleurer...

Confuse, je touche mes paupières et finis par me rendre compte que je pleure vraiment.

— C'est bizarre, hein ? Je cherchais à obtenir l'effet inverse. Te prendre dans mes bras était censé faire cesser tes larmes. J'ai échoué, hein... J'en suis incapable...

Je tente désespérément de retenir mes larmes. Je ne dois pas lui faire prononcer des choses pareilles. Mais... ça ne marche pas.

— Je suis vraiment stupide. Je pensais que tout se résoudrait comme par magie en t'emmenant ici... Je pensais que tout finirait bien... comme si c'était si simple.

— ... Écoute, Kazuaki... dis-je, essayant (et échouant sûrement) de ne pas sangloter.

— Hm ?

— Il y a quelque chose... que je ne t'ai jamais dit.

Je lève la tête, sentant que je dois le faire.

— Je ne t'ai jamais expliqué en détails ce qui s'est passé, non...? Je ne voulais pas te faire de mal... Je dois t'avouer quelque chose... ce parc... cet endroit rempli de souvenirs—

» ... est l'endroit où j'ai été violée.

Stop.

Kazuaki se fige complètement.

Il se fige si parfaitement que je commence à me demander si je n'ai pas été laissée à l'abandon dans ce monde, où le cours du temps s'est arrêté.

... Laissée à l'abandon ? Hah, c'est une description bien juste. Je suis sûre que cette impression n'est pas qu'une illusion, mais la vérité.

— ... Horrible, marmonne Kazuaki.

Il ne me dit rien, et ne s'adresse pas non plus aux personnes qui ont abusé de moi. Il ne s'adresse pas non plus à Dieu, vu qu'il n'y croit pas.

Je suis sûre que son horrible ne s'adresse à rien de spécifique.

— C'est juste... horrible !

Kazuaki ignorait que la réalité frappait au moment où l'on s'y attend le moins, peu importe si c'est un lieu chargé de souvenirs.

Elle traite les saints et les criminels de la même façon, les attaquant de façon machinale, aléatoire, sans considération ni choix.

Kazuaki ignorait ça.

Non, il le savait peut-être, mais il ne pensait pas que cette règle s'appliquait également à nous.

Le monde peut se retourner contre n'importe qui sans état d'âme.

Hélas, pas dans mon cas.

— Il faut que j'y aille, dis-je.

— ... Aller où ? parvient-il à dire.

— Dans un autre parc où je suis censée me rendre.

— Hein ?

— Il faut que j'aille voir Reina Kamisu.

Il y a un sens à ce monde qui se retourne contre moi.

Pas vrai, Reina ?

5[edit]

J'ai dit à Reina Kamisu que je la suivrai.

Elle m'a accueillie à bras ouverts, visiblement heureuse de ma décision. Bien sûr, si elle est si contente, c'est en partie parce que cela augmente les chances de réussite, mais je pense que c'est également parce que ça lui fait plaisir d'avoir enfin un compagnon pour son combat sans fin et insensé.

J'ignore depuis combien de temps elle se bat, mais éliminer les énergies humanoïdes les unes après les autres (sachant que leur nombre n'a eu de cesse d'augmenter pendant ce temps) revient à ramasser des grains de sable un par un dans un désert.

Je vois. Peut-être qu'elle attendait quelqu'un comme moi pour l'aider à sauver le monde. Non, elle attend toujours. Si le nombre de personnes l'aidant continue à augmenter, alors sauver le monde serait plus qu'un simple rêve.

Je regarde ma chambre.

Ce sera la dernière fois que je viendrai ici. De fortes émotions emplissent mon cœur. Bien qu'elle n'ait rien de spécial — avec des meubles comme une armoire que je tiens de ma mère et des choses comme une poupée bizarre — mais ici, j'aurais beaucoup ri et pleuré.

Est-ce que je devrais laisser un mot à mes parents et à Kazuaki ? ... Non, ils risqueraient de le prendre pour une lettre d'adieu ou quelque chose du genre. Même si ça pourrait être vrai de leur point de vue.

J'ouvre la serrure du tiroir du haut de mon bureau et sort un collier avec une croix.

Reina Kamisu m'a dit que je devrais porter quelque chose qui m'est très cher. Quand je lui ai demandé pourquoi, elle a expliqué que j'allais avoir besoin d'un signe de regret. Je vois bien que je risque d'être accidentellement coincée de l'autre côté du monde à moins d'avoir quelque chose pour me maintenir de ce côté-ci. Pour devenir comme Reina, j'allais sûrement avoir besoin de ça.

J'attache le collier.

Je ne tremble plus.

Je descends les escaliers et enfile mes chaussures à l'entrée.

— Shizuka, où tu vas ? demande ma mère de la cuisine sans en sortir.

— Pas loin.

Sur ces paroles, j'ouvre la porte.


Maintenant, les énergies humanoïdes et les hommes se ressemblent presque pour moi, mais j'arrive toujours à les différencier d'une façon ou d'une autre. Ces énergies n'ont ni but ni destination, alors elles font quasiment du surplace. Elles marmonnent des choses même si elles sont toutes seules, et tout en se parlant à elles-mêmes, leur visage reste inexpressif.

Tout en croisant plusieurs énergies humanoïdes, je me dirige vers l'endroit où elle attend.

{Pourquoi tu m'as plaquée, Takeshi ! T'avais dit que tu m'aimais !}

{J'ai pas d'amis. Ça ne sert à rien de vivre.}

{Si j'avais pas maté cette lycéenne trop bonne, ni moi ni la famille dans l'autre voiture ne serions morts. Quel accident débile !}

Et parmi eux, se trouvait un homme d'âge mûr :

{Pourquoi on m'a viré ? J'ai rien fait de mal !}

Apparemment, il s'était suicidé après avoir perdu son travail.

— Bonjour, dis-je, m'adressant pour la première fois à une énergie humanoïde. Se suicider après avoir perdu son boulot n'a rien de si rare, mais son visage ressemblait un peu à celui de mon père.

{Tu peux... me voir ?}

— Oui. Et je peux aussi vous entendre.

{Je vois... Tu ne devrais pas parler avec moi. Ou peut-être... qu'une jeune fille comme toi ne craint rien ?}

— Je suis sûre que c'est le cas. Nos valeurs sont bien trop différentes.

{Valeurs, tu dis... Autrement dit, tu trouves que la raison pour laquelle je me suis suicidé est trop nulle et trop classique pour toi ?}

— On peut dire ça. Enfin, vous gagnerez juste moins de sous si vous êtes viré, c'est tout, non ?

L'énergie humanoïde d'âge mûr me regarde d'un air triste. Non, il (?) a constamment un regard triste sur son visage.

{Ce n'est pas aussi simple, jeune fille.}

— En quoi ?

{Je ne suis pas doué pour expliquer les choses, alors je n'arriverai pas à te convaincre, mais ce travail signifiait tout pour moi. Malgré ça, on m'a dit que je ne servais plus à rien pour la société. Tu comprends ce que je veux dire ?}

— Oui, mais je ne suis pas convaincue du tout.

{Je vois. Mais il y a une chose que j'aimerais que tu comprennes : il n'y a pas de place pour les vieillards comme moi. Pas même dans la famille que je suis censé nourir. Néanmoins, je croyais dur comme fer que j'étais utile, que j'étais un rouage dans la famille qu'était cette société où je travaillais.}

— Mais vous avez perdu ce statut.

{Exactement. Et je n'ai pu me réinsérer nulle part ailleurs.}

— Je crois que je comprends plus ou moins. N'empêche... je pense que mettre fin à ses jours à cause de ça est stupide.

Il baisse les yeux et répond :

{Oui... peut-être que tu as raison.}

Je pense alors remarquer un subtil sourire sur son visage.

Et il se met à tourbillonner de gauche à droite.


— Je le savais. T'es mort.

{Comment ça...?}

Je l'ai trouvé.

— Tu te souviens de moi ?

{Non...}

J'aurais dû m'en douter. Les énergies humanoïdes sont les essences de notre énergie, et elles ne possèdent donc que les souvenirs les plus cruciaux.

— Quand t'étais en vie, tu m'étais rentré dedans alors que tu sortais en courant du cabinet du psychiatre.

{Je vois... Désolé.}

— Oh, c'est pas grave. Au fait, comment tu t'appelles ?

{Atsushi Kogure...}

— Je vois, Atsushi-kun donc.

{Et toi...?}

— Moi ? C'est Shizuka Wakui.

{Qu'est-ce que je peux faire pour toi, Shizuka-san ?}

— Rien, en fait... au contraire, je me sens un peu nostalgique.

{Je vois... Tu pourrais me laisser tranquille dans ce cas ?}

— T'es pas cool. Hm... Ok, alors je peux te demander un truc ?

{Si tu veux... mais je pourrais pas te répondre vu que je me souviens de rien.}

— Vraiment ? Je vais quand même tenter ma chance. Tu m'es rentré dedans — je te l'ai déjà dit, non ?

{Oui...}

Qu'est-ce que tu criais déjà quand t'es sorti en courant de la pièce ?

Ses yeux s'écarquillent instantanément. Je suis prise par surprise — les énergies humanoïdes gardent toujours la même expression.

{Je sais pas.}

C'est un mensonge. Après tout, il insiste beaucoup plus que tout à l'heure.

{Je sais pas !} crie-t-il, sentant visiblement mes doutes.

Atsushi-kun se mure dans le silence ensuite.


Après avoir changé de trains plusieurs fois, je finis par descendre à la station la plus proche d'un lac sur lequel j'ai fait des recherches avant de venir.

Pendant le voyage, on m'a une nouvelle fois rappelé l'omniprésence des énergies humanoïdes. Je crains que le monde ne soit sur le point de basculer à n'importe quel moment.

Après avoir aperçu un groupe de lycéennes insouciantes, je me sens un peu jalouse d'elles. Elles ne voient rien de tout ça et ne se rendent pas du tout compte de la gravité de la situation. L'équilibre actuel est semblable à celui d'un patineur artistique en train de faire un triple axel sur une patinoire avec de la glace épaisse comme une feuille en papier.

Après avoir vérifié la position du lac sur une carte accrochée dans la gare, je me dirige vers ma destination.

Tout en marchant, je me rappelle des paroles de Reina.

« L'eau convient parfaitement parce qu'elle est connectée au monde entier. »

Pour trouver un lac qui fera l'affaire, j'ai dû aller jusqu'à chercher sur Google « endroits pour se suicider ».

Je veux dire, « suicide »...? Franchement, ce n'est pas comme si j'allais mourir.

Après quarante minutes de marche, j'arrive au lac. J'aurais pu appeler un taxi (je n'allais plus avoir à m'en faire pour l'argent à partir de maintenant, après tout) mais je ne voulais pas causer plus de malentendus malencontreux.

— T'es en retard.

Reina était là la première, m'attendant avec un sourire d'une beauté absurde.

— Désolée.

Mais j'aurais pu venir ici quand je voulais, non ? Tu ne m'avais pas dit que je devais venir après tout.

Je contemple le lac devant moi.

Ah, je vois. Pas étonnant que c'est devenu un lieu tristement célèbre pour les suicides. Quelle concentration d'énergies humanoïdes. En fait, il y en a tellement qu'ils ont fusionné en des êtres d'une forme entièrement différente. Ça ressemble à une de ces vieilles peintures de yôkais. Plusieurs têtes s'allongent dans ma direction, m'observant de près. Je trouve qu'ils ressemblent un peu à des raisins, les têtes étant les grains.

Je vois. Avec une telle quantité, il y a une incitation forte au suicide à toute personne qui vient ici. Bien sûr, les personnes qui viennent ici le font par envie de se suicider. Mais en réalité, il n'est pas si simple de mettre fin à ses jours. La peur et l'attachement à la vie qui refont surface face à la mort aident à empêcher le suicide.

Néanmoins, dans le cas de ce lac, il est déjà trop tard quand ils sont arrivés ici.

Les énergies humanoïdes se servent des cœurs dépressifs des visiteurs suicidaires, mettant court à leurs pensées raisonnables et les menant à leur mort.

— Shizuka, il y a plusieurs endroits similaires à celui-ci dans le monde.

— Et on doit se débarrasser de chacun d'entre eux un par un, pas vrai ?

— Mmm, dit-elle en secouant la tête, c'est impossible.

— Pourquoi ça...?

— C'est un simple problème de rapport de force. On manque de forces. Une fois qu'un endroit est devenu comme ça, il n'y a plus rien à faire.

Je « les » regarde à nouveau.

Je vois. Maintenant qu'ils ont fusionné ensemble, qu'ils se sont complétés, ils forment un monstre. Si jamais j'essayais de les faire disparaître, ils m'avaleraient et tenteraient tout de même de reprendre leur forme précédente. Une chose semblable à un trou noir s'est formée ici.

Cet endroit ne peut plus être purifié.

— Ah—

Je vois maintenant. Je comprends tout.

C'est ça. C'est ce qui se passe quand notre côté du monde se renverse.

Notre rapport de force proportionnel s'annule de ce côté, et ainsi on est aspiré par eux. Nos âmes sont dévorées, nos corps se vident et pourrissent. Tel est l'issue vers laquelle on se dirige.

— ... Il faut qu'on empêche ces endroits de se répandre, non ?

— Oui, acquiesce Reina en réponse à ma prise de conscience. C'est notre mission.

Je dévisage le monstre devant nous. Tous ces êtres en forme de grain de raisin sont dépourvus d'expressions, mais n'en demeurent pas moins hostiles.

Ils sont — mon ennemi.

Je serre ma croix fermement.

— Reina, une dernière chose.

— ... Une dernière chose ? dit-elle en souriant.

— ... T'as raison. Ça ne fait que commencer.

— Oui ! Alors, qu'est-ce que tu veux savoir ?

— T'as dit que chacun a un rôle bien défini, non ?

— Oui, j'ai dit ça.

— Et que le mien est de sauver le monde, ajouté-je.

— Exactement. Seuls les élus peuvent faire ça.

— Alors, j'ai été choisie parce que j'ai obtenu mon pouvoir.

Et—

... je l'ai obtenu à cause de cet incident.

Reina acquiesce avec un sourire.

Ouais, je vois. Je comprends maintenant.

Cela m'a toujours été incompréhensible : pourquoi avais-je dû autant souffrir ? Évidemment, je n'avais rien d'une sainte, mais je pense que je vivais de façon suffisamment humble pour obtenir mon entrée au paradis. Alors pourquoi est-ce que ça m'était arrivé à moi en particulier ? Ça n'avait aucun sens.

Bien entendu, la réalité montre ses crocs à n'importe qui — sans considération mais avec un poison mortel au bout des dents.

Et pourtant, je ne parvenais pas à comprendre pourquoi ça m'était arrivé.

Mais maintenant, je peux le dire avec conviction :

Oui, il y a une raison pour laquelle j'ai dû autant souffrir.

C'est simple—

... C'était un mal nécessaire pour sauver le monde.

— T'as raison, Shizuka, dit-elle avec un sourire chaleureux. Ce sont des épreuves qui t'ont été imposées pour que tu puisses mener à bien ta mission !

Oui ! J'ai découvert la vérité !

Enfin, ça n'aurait pas été juste sinon. Ça aurait été tellement injuste que je sois la seule à souffrir autant.

Après tout, s'il n'y avait aucune signification derrière cet incident, ma souffrance aurait été inutile jusqu'au bout.

— Ouais, alors allons-y, Reina ! Que la partie commence !

— Ouais !

Oui, il n'y a plus de raison d'hésiter.

Je dois simplement rassembler mon courage à deux mains et sauter dans le lac—

Il est temps pour moi de passer au niveau suivant—

Alors que je serre ma croix, je sau—

— ...... Ah—

Alors—que—je—serre—ma—croix—


Quelqu'un, sa voix.


—TSCHHHHHHHHHHHH—


Des cicatrices.

De la chair.

Une robe blanche.

— ... Aucune.

Shizukaenpleurs.

— ... Il n'y en a aucune !

—TSCHHHHHHHHHHHH—

— Tiens... un cadeau de Noël.

— Oh ! Merci, Kazuaki ! Je peux l'ouvrir ?

— Bien sûr.

— Waouh ! C'est magnifique ! Mais ça a dû coûter une fortune, non ?

— P-Pas tant que ça.

— Mais il y a un diamant au centre de la croix, non ?

— Oui, effectivement...

— Hé, alors ça a coûté cher finalement, sale vantard !

— C-Chut... laisse-moi me la péter un peu !

—TSCHHHHHHHHHHHH—

— Pourquoi il a fallu que ça m'arrive à moi ? Pourquoi ?

— Y a-t-il une moindre signification derrière tout ça ?

—TSCHHHHHHHHHHHH—

Je ne pouvais pas arrêter de pleurer.

Kazuaki ne pouvait pas s'empêcher d'avoir l'air triste.

— Pourquoi il a fallu que ça m'arrive à moi ? Pourquoi ?

— Y a-t-il une moindre signification derrière tout ça ?

Je me suis lamentée comme ça, en l'embêtant, jusqu'à ce qu'il finisse par ouvrir la bouche et à dire non sans mal :

— ... Aucune.

— ... Il n'y en a aucune !

— Il n'y a pas de raison, Shizuka ! Au contraire, c'est parce que tes agresseurs n'ont pas pu contenir leurs désirs sexuels. Et toi, tu te trouvais sur leur chemin, et tu étais suffisamment excitante pour eux. Mais la raison que tu cherches n'existe pas.

— La réalité traite les saints et les criminels de la même façon, les attaquant de façon machinale, aléatoire, sans considération ni choix. Il faut que tu l'acceptes, Shizuka.

La réalité traite les saints et les criminels de la même façon, les attaquant de façon machinale, aléatoire, sans considération ni choix.

Oui, je me souviens maintenant—

Cette phrase ne vient pas de moi à la base—

C'était l'avis honnête et véritable de Kazuaki.

—TSCHHHHHHHHHHHH—

— Qu'y a-t-il, Shizuka ? me demande la fille à la beauté absurde.

Mon collier est tout trempé de sueur.

— Reina Kamisu—

— Oui...?

— Qui es-tu ?

Reina Kamisu retient son souffle.

— ... Qu'est-ce qui te prend tout à coup ? demande-t-elle.

Ce sont des épreuves qui m'ont été imposées pour que je puisse accomplir ma mission.

— ... Et donc ?

— Et donc, tu demandes ? Te fous pas de moi ! Comme si ça pouvait être vrai !

» Comme si une raison pouvait sortir comme ça de nulle part !

Ayant perdu son latin, Reina Kamisu se contente de me regarder de manière déconcertée.

— Je comprends tout. Je cherchais une raison. Une raison à ma souffrance. C'est pour ça que j'ai monté cette histoire d'énergies humanoïdes et essayé de me cacher derrière.

Elle m'écoute sans dire mot.

— Tout le monde savait que j'essayais de fuir la réalité. Que ce soit le docteur Mihara ou Kazuaki, tout le monde. Ils savaient que je fuyais. Après tout, mon histoire n'avait de sens que pour moi. Et pourtant, et pourtant, pourquoi—

» ... Pourquoi est-ce que tu peux me comprendre ?

» C'est bizarre ! Pourquoi quelqu'un comme toi, Reina Kamisu, se pointe comme par hasard pour confirmer ma théorie ? Je n'y croyais pas vraiment avant de te rencontrer. Pourquoi... pourquoi t'es apparue—

— Bah, commence-t-elle, c'est parce que tu le voulais, Shizuka, dit-elle en obliquant légèrement les lèvres. Tu cherchais une existence comme la mienne. Une personne tierce qui pourrait transformer tes délires en réalité. Dont le nom est Reina Kamisu.

Reina Kamisu sourit. Avec un sourire si magnifique qu'il ne peut pas décemment exister.

Enfin, je me souviens — de ce qu'Atsushi Kogure a crié quand il est sorti en courant du cabinet du psychiatre.

Et Atsushi-kun—

... est mort.

— Ah... Ah...

Je serre fermement ma croix.

À l'aide. Aide-moi, Kazuaki.

— T-T'as l'intention de me tuer ?

Face à ma question, elle me regarde avec un air surpris.

— Pourquoi ça ? réplique-t-elle.

— E-Enfin, c'est vrai que t'as poussé des collégiens de Shikura au suicide, non ?

Elle tient son menton avec sa main et répond après une courte pause :

— Peut-être bien.

— ... Peut-être ?

— En fait, je n'ai rien fait de spécial.

— C'est fa—

— Faux ? Et toi alors ? demande-t-elle soudain.

— Hein?

— Tu pourrais vivre si je disparaissais maintenant ?

Ah—

Je vois ce qu'elle veut dire.

Reina est un phénomène.

Juste un phénomène.

Tôt ou tard, on remarque qu'elle n'existe pas, et alors on la perd.

Une fois qu'on se rend compte qu'elle n'est pas avec nous, on s'écroule de nous-mêmes.

— ... Alors reste à mes côtés !

— Je suis toujours à tes côtés. Tant que tu ne m'ignoreras pas, je serai avec toi pour toujours. Mais... peux-tu accepter le fait que je ne suis qu'un phénomène ?

Sur ces paroles, Reina Kamisu s'évapore.

Non, pas exactement. Je l'ai simplement chassée comme quelque chose qui ne peut pas exister.


Reina Kamisu est toujours .


Je me tiens seule devant le lac.

Je me tiens seule, sans raison à ma souffrance.

Je me tiens seule, souffrant toujours.


Soudain, je me rappelle d'une pensée que j'ai eue plus tôt.

... Il est déjà trop tard une fois arrivé ici.

Je lève la tête pour regarder le lac.

Bon—

Un monstre aux dizaines et centaines de têtes m'attend.