Stereopticon Rotation Le compte jusqu’à 10 des souvenirs

From Baka-Tsuki
Jump to navigation Jump to search

Takumu s'était préparé.
Peu importe les terrains déserts qu’il aurait face à lui, il resterait calme. Voilà l'état d'esprit qu’il avait quand il a participé à cette opération.
Et c'est précisément pour ça qu’il fut secoué.
Il n'y avait ni terrains déserts, ni ruines, mais un quartier résidentiel très ordinaire ne leur ressemblant en rien.
- C'est...une blague... ?
Il commença d'abord par suspecter d’avoir échoué à entrer dans la cabine. Qu'il y a eu un problème avec une machine ou quelque chose comme ça. Qu’il n'était pas parvenu à pénétrer dans le Tokyo effondré, et qu’il était peut-être tombé à un endroit à côté, dans le coin de Kanagawa ou de Saitama.
Mais il ne s’agissait pas de ça.
Des souvenirs qui avaient pris la poussière dans un coin de sa tête lui revenaient peu à peu. Il les compara au paysage devant ses yeux, et arriva à une conclusion. Il connaissait cet endroit. Il était déjà venu ici auparavant. Et il était...
- .......... !!
Il devait en avoir le cœur net. Ces sentiments affluaient en lui tel un déluge.
Tout le reste s'envola de sa tête.
Il jeta ce qu’il avait dans les bras, retira son masque et se leva.
- Ugiaa !
Il entendit un petit cri, et laissa un Désolé ! avant de partir en courant sans se retourner.

Tokyo.
Takumu se remémora cette ville.
Il croyait qu'elle avait été détruite. C’était ce à quoi il s’était préparé.
Il était venu ici en pensant qu'elle était en ruine. Et pourtant.
(C'est quoi ce bordel !)
Takumu courait dans ce paysage qui aurait dû être perdu à jamais.



Il s’assura de certaines choses en courant.
Puis il essaya de contacter le quartier général à l'aide de son transmetteur, mais... pas de signal. Il ne détectait pas non plus d'ondes de brouillage. Pour Todoroki et les autres, Merinoe et Takuma étaient surement complètement hors de portée de contact.
(Autrement dit, pas de doute, on est bien dans une cabine.)
Jusque-là, c'était comme il l'avait imaginé. Il n'y avait pas de raison de paniquer.
Oui. Jusque-là.
Takumu examina sa position actuelle en se servant des poteaux électriques et des intersections. Il était dans le quartier de Shibuya. Il n'y avait aucun doute qu'il s'agissait d'un nom de quartier présent à l'intérieur de la zone de Tokyo qui avait autrefois disparu. Il regarda l'heure. 6 heures et demie du matin.
(...Que ce que ça veut dire ça ?)
Il examina les expressions du visage des piétons. Elles étaient toutes ordinaires. Au pire, ils étaient surpris de voir Takumu courir. Ce dernier ne voyait aucun sentiment négatif prononcé dans leur visage, que ce soit la panique de vivre dans un monde fermé, ou le désespoir de ne pas savoir ce qu'il allait leur arriver le lendemain. Rien.
Il y avait de plus en plus de personnes.
La pancarte à moitié cassée d'une salle de pachinko. Un restaurant international qui servait de curieux menus. Le parfum fort des fleurs que l’on pouvait sentir depuis le jardin du bungalow d'un appartement. Le petit studio photo qui était devenu un lieu où les dames du voisinage venaient pour papoter.
(C’est quand même pas...)
Ses jambes avançaient naturellement. Les souvenirs lointains de Takumu les guidaient.
Ses souvenirs lui revenaient un après l'autre.
Je comprends pas la situation. J’ai beaucoup de choses à vérifier. J'ai laissé ma partenaire derrière moi. Takumu avait de nombreuses interrogations, mais il continua de courir.
(Saihoku se trouve là-bas...)
Takumu tourna au coin de la rue.

De nombreuses choses s’envolèrent de son esprit.

Le paysage nostalgique de son quartier d’enfance se trouvait ici. Une librairie pointue en sports motorisés. Le restaurant de ramen qui servait toujours des nouilles trop cuites. La poupée en plastique à l'entrée de la petite pharmacie tranquille.
Rien de ces choses qui devraient le rendre nostalgique n’attirait son attention.
Les yeux du jeune homme. Du jeune garçon d’autrefois. Ne voyaient qu'une seule chose.
À l'intersection, une jeune fille attendait que le feu change de couleur.
Grande et bien droite. Elle avait de longs cheveux noirs lui descendant dans le dos. Elle paraissait rêveuse, mais elle avait une certaine prestance quand on regardait son visage de profil. Elle était habillée d’une veste bleu marine... Elle portait l'uniforme du lycée Saihoku.
Il n'était même pas 7 heures. Il était encore très tôt pour aller au lycée. Il n'y avait pas d'autres étudiants qu'elle. Même s'il y en avait, les yeux de Takumu ne reflétaient qu'une seule chose.
- Ah...c'est...
La respiration de Takumu devenait de plus en plus lourde.
- Yozora !?
Un nom surgit du fond de sa gorge.
Au même moment, Takumu se mit à courir.
Lorsqu'il a renouvelé sa licence de médiateur, son record au 100 mètres était d'un peu plus de 11 secondes dans les données mesurées. Takumu réduisit sa distance entre lui et Yozora à une vitesse très similaire. Il freina juste avant de lui rentrer dedans. Il provoqua dans son passage des nuages de poussière, et se tenait désormais devant la jeune fille.
La jeune fille n'avait évidemment aucune idée de ce qui venait de se produire. On l'avait soudainement appelée, et un adulte avait foncé à une impressionnante vitesse vers elle. Puis.
- Yozora...c'est...vraiment toi...
Presque sur le point de pleurer, Takuma commença à s'affoler.
- Tu vas...bien...je pensais pas que.. je sais pas quoi dire...
Ses bras erraient dans les airs, ne sachant pas quoi faire, comme s'il avait du mal à retenir son envie de la serrer fort dans ses bras.
La confusion s'effaça quelque peu du visage de la jeune fille, et à la place, celui-ci afficha un peu de compréhension vis-à-vis de la situation.

- Euh...
Après avoir avalé sa salive, elle demanda timidement.
- Qui êtes-vous ?
Elle le trouvait très louche. Takumu l'avait remarqué, mais ce n'était pas pour autant qu'il pouvait contrôler son excitation.
- C'est moi ! Takumu Azekura !
Répondit-il presque en criant.
- Pardon ?
- C'est moi, Takumu ! Tu sais, celui en seconde B, au lycée Saihoku ! Mon numéro de place est le...

Soudain, le paysage qu'il regardait dévia sur sa gauche.
Et par la même occasion, pencha énormément.

Son corps entrainé comprit immédiatement qu'il venait de se prendre un coup violent dans le front. Il se retint tant bien que mal de tomber, et évita l'évanouissement imminent.
Je me suis pris un coup de pied, analysa Takumu dans un coin de sa tête. Un coup précis en chaussure de cuir, fort et sans hésitation.
- ...Vous savez, Monsieur.
La jeune fille reposa doucement sa jambe, et lui dit avec des mots simples.
- Je ne sais pas pourquoi vous faites ça, mais les blagues pas drôles sont des crimes, vous savez ?
- Hé ? Non, je…
- Le Yume que je connais c'est un garçon de 15 ans avec un côté travailleur vraiment adorable, vous comprenez ? Il n’a rien à voir avec un adulte dont le boulot est d’être un pervers. Il n'y a que le sexe qui est le même, rien d'autre.
- Ah...
Le feu changea de couleur. Yozora Jakuin partit de mauvaise humeur, comme si elle avait jugé que discuter plus longtemps était inutile.
Après l'avoir regardé avec surprise partir en colère —
- ...Aaah...
Takumu s'écroula au sol, les bras et jambes écartés.
Le ciel bleu s'étendait dans tout son champ de vision.
Le coup avait été efficace.
Il allait sans dire du coup de pied, mais également des mots qui ont suivi. Le coup qu'il avait reçu était tel qu'il ne tenait plus debout. Sur le ring, le juge aurait facilement pu compter jusqu'à 10.
En y repensant, non, il n'y avait même pas besoin d’y réfléchir, ça coulait de source.
Pour une raison inconnue, l'époque de cet endroit était le Tokyo de 2002.
Et la Yozora Jakuin de 2002 y vivait.
Le Takumu Azekura qu'elle connaissait était évidemment le gamin naïf de 2002.
Takumu coopérait depuis longtemps avec l'immortel Merinoe, alors sa vieillesse était plus lente que celle d’un humain ordinaire. Cependant, même en prenant ça en compte, il avait suffisamment pris d'âge pour ne plus faire adolescent, et ce, même avec des efforts.
Si un adulte qu'elle ne connaissait pas venait se présenter soudainement avec son nom de jeunesse, évidemment qu'elle n'allait pas le prendre au sérieux. Au contraire, Takumu lui était reconnaissant d’en avoir fini avec juste un coup de pied. Décidément.
- Ha…haha.
Takumu ne comprenait pas bien ce qu’il ressentait.
Si j’éclate de rire, c’est probablement que je suis heureux alors, pensa-t-il.
Il avait pu la revoir. La voir en vie, et la voir bouger. Entendre sa voix. Ça suffisait à le remplir de joie.
- ...Elle m'a dit que j’étais un garçon adorable...
Takumu répéta en rigolant quelques mots de Yozora.
Il me semble qu'à l'époque, je voulais devenir un garçon cool. Je voulais être utile à la fille que j'adorais, et être capable de la protéger, peu importe ce qui pourrait arriver. Je croyais avoir fait pas mal d'efforts et y être pas trop mal arrivé.
Je dois dire que oui, ça fait un tout petit peu mal d’apprendre qu'elle me voyait comme juste adorable à cette époque.
La joie de Takumu se mélangea à sa peine de cœur, créant une soupe d'émotions mitigées.
- Tu t'amuses bien on dirait.

Par-dessus sa tête, il entendit une voix exaspérée.
Il n'avait même pas besoin de regarder d'où elle venait pour voir le beau visage de Merinoe entrer dans un coin du ciel bleu qui s'étendait devant ses yeux.
- ...Yo.
- Comment ça Yo. N’abandonne pas les gens comme ça. Je suis pas un chaton.
Elle gonfla les joues.
- Désolé, désolé.
Takumu se leva.
- Je ne sais pas ce que tu faisais, mais ne sois pas heureux quand je ne peux pas te voir. Pour moi, c'est pas amusant.
- Désolé, désolé.
Il balaya la poussière sur ses vêtements.
Une nouvelle fois, il regarda ce qu’il portait. Une tenue de camouflage urbain. Il l’avait choisi en anticipation de devoir se déplacer dans un Tokyo en ruine, mais en pleine ville tranquille comme maintenant, du moins en apparence, cet accoutrement attirait beaucoup l'attention.
- T’as un grand sourire.
- Hm ? Tu trouves ?
Il toucha ses joues. Ah oui, je souris, pensa-t-il.
- Il t'est arrivé quelque chose de bien ?
- On peut dire ça. Difficile à dire si c'était positif ou négatif. Mais globalement, j'ai le sentiment que toute ma vie jusqu'à maintenant a servi à quelque chose au final.
- Et donc tu es en train de me dire que j'ai tout loupé de cet évènement important ?
- En quelque sorte, oui.
Acquiesça-t-il avec le sourire.
Les doigts fins de Merino lui pincèrent très fort les joues.