Sugar Dark ~ Français : Fosse 3 - Chapitre 2

From Baka-Tsuki
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2[edit]

L'air nocturne était affreusement froid. Du coup, Mole se frotta les mains sur ses avant-bras.

Une brise humide soufflait et au-dessus de sa tête, les feuilles mugissaient. De fins nuages volaient haut dans le ciel nocturne, et encore plus haut, se trouvait la lune parfaitement circulaire enveloppée dans la brume.

L'épais feuillage bloquait le clair de lune, empêchant celui-ci d'atteindre les racines du gigantesque arbre. Debout sous cette ombre vacillante, le garçon avait l'impression d'être sur le point de quitter le monde humain pour le domaine des ténèbres.

Il retira ses chaussures en loques, enfonça ses doigts dans un creux du tronc d'arbre et, se fiant uniquement à sa force physique, se mit à escalader l'arbre. Ses membres n'étaient pas vraiment mis à contribution, et il s'accrochait à l'arbre telle une grenouille, montant lentement jusqu'au sommet. Il avait l'impression que cela aurait été plus facile s'il pouvait enrouler ses bras autour du tronc, mais l'arbre abritant le « plus fort des monstres » était tout bonnement gigantesque. À tel point que même s'il écartait les bras pour essayer de le faire, il ne pouvait même pas plier les coudes.

Mole réalisa qu'il n'était pas doué pour grimper aux arbres, mais de tout ce qu'il avait à faire, c'était clairement la partie la plus facile.

En trouver un...

Il finit par atteindre une des branches de l'arbre. Par contre, celle-ci était plus épaisse que le tronc d'un arbre classique. Elle était si grosse que quand le corps de grande stature de Mole monta dessus, elle ne broncha pas du tout. Puis, il enfonça sa tête dans le feuillage sombre et touffu.

Cerné par les épaisses feuilles qui semblaient absorber le clair de lune, il pouvait à peine apercevoir quoi que ce soit. En fait, il avait l'impression que chercher quelque chose dans ce feuillage était aussi difficile que de retrouver un anneau tombé dans un marécage boueux.

Il avait beau forcer sur ses yeux, il ne voyait rien.

N'ayant pas d'autre choix, Mole se mit à chercher avec ses mains et son instinct. Il ne pouvait pas se précipiter. De bout en bout, la masse totale des branches de l'arbre géant pouvait remplir la surface du manoir entier. Qui plus est, il lui fallait chercher de là où il était sans pouvoir beaucoup bouger.

Déterminé, Mole se fraya aveuglément un chemin à travers les feuilles et les branches. C'était comme s'il avait plongé dans un océan sombre et qu'il errait à l'aveugle dans l'eau. Les branches pointues écorchèrent ses joues et lobes. Et ces détestables feuilles l'empêchaient de respirer, sans parler du fait qu'elles entravaient sa vision.

Soudain, ses pieds nus glissèrent.

— Tss.

De suite, il attrapa une petite branche et son corps fit un mouvement brusque en basculant tout son poids sur sa main gauche. Un frisson parcourut son dos. Le sol était à plus de deux mètres en dessous et s'il s'était cassé une jambe ou autre à un moment aussi crucial, il aurait vraiment eu l'air fin.

Il remit ses deux pieds sur la branche et retrouva l'équilibre.

Mole tendit ensuite sa main droite dans les ténèbres... et cueillit un fruit.

Il ne pouvait pas le voir, mais même dans le noir, il savait que c'était le fruit qu'il cherchait. Au moment où il le saisit, celui-ci se tortilla dans sa main, comme un poisson qu'on viendrait de pêcher.

Lentement, Mole changea de position et se pendit à la branche avec un bras. Puis il sauta. Quand il atteint le sol, une douleur engourdissante traversa ses jambes.

Avec cette première tâche, il n'avait pas l'impression d'avoir accompli grand-chose.

Mais la suivante par contre...

Mole tendit timidement les bras vers le clair de lune. Dans ses mains se trouvait la chose qui pouvait changer sa vie.

Une partie des monstres.

Le fruit de L'Obscurité.

... Le butin du pilleur de tombes.

Niveau forme et taille, le fruit se situait entre une pomme et une pêche. Mais à y regarder de plus près, il ressemblait également à un cœur avec de larges artères ou quelque chose du genre. Quant à sa couleur, il semblait être peint d'un noir profond, semblable à de l'encre de calamar. Et même si c'était une partie des monstres, aucune griffe ou autre ne sortit du fruit pour l'attaquer alors qu'il le tenait dans ses mains.

Cette chose peut vraiment rendre un homme immortel, en contrepartie de ne plus pouvoir sortir sous la lumière du soleil ?

Cependant, Mole avait déjà eu en main quelque chose de très similaire à ce fruit. Ce dernier donnait la même sensation que le tas de chair du monstre qu'il avait poussé quelques jours auparavant. Il n'était ni chaud, ni froid, ni mou, ni dur, c'était exactement comme un organe dans un cadavre.

Vu qu'il n'avait pas pu voir le fruit, il s'était senti instinctivement mal à l'aise au moment où il s'en était saisi. Et le fait de pouvoir le voir à la lumière ne faisait que renforcer ce sentiment. Cette désagréable sensation qui montait en lui était semblable à ce qu'on ressentait quand on avait envie de vomir.

Il avait envie de balancer le fruit n'importe où. Mais au lieu de ça, il poussa un hurlement en direction de la lune et ouvrit grand sa bouche, tel un animal féroce et carnivore.

Puis il mordit dans le fruit.

Il imaginait qu'il aurait eu un goût de mauvais café, mais il n'avait en fait aucun goût du tout. Il n'y avait aucun jus ni odeur contrairement à un fruit normal, et il pouvait à peine sentir la texture dans sa bouche. Au moment où le morceau pénétra dans sa bouche, que ce soit sur sa langue ou dans sa gorge, tout ce qu'il pouvait sentir était une texture flasque et collante. C'était comme si sa bouche était remplie de colle sans saveur.

Puis il eut un sursaut de terreur qui lui donna la chair de poule.

Le contenu de sa bouche gigotait tel un ver de terre.

Mole fut pris d'assaut par un profond sentiment de vertige et son instinct prit automatiquement le relais. Dans un effort pour forcer le corps de cet idiot à recracher cette substance extrêmement étrange, la gorge de Mole fut prise de convulsion sous l'impulsion de son système immunitaire.

Il tenta désespérément de se couvrir la bouche avec la main pour empêcher la régurgitation. Ce fut long, mais pendant qu'il tentait d'endurer cette horrible sensation, petit à petit... le contenu de sa bouche commença à disparaître. Pourtant, les choses ne descendaient pas vraiment dans sa gorge : elles gigotaient lentement contre les parois de sa bouche jusqu'à s'insinuer dans les cellules de son corps.

... Peu après, le premier changement se fit sentir, il ne vint cependant pas de son estomac, mais de ses pieds.

Ils semblaient différents.

Et avant qu'il ne s'en rende compte, ses jambes lui parurent extrêmement lourdes.

S'il se tenait simplement droit, rien n'entravait ses jambes. Mais dès qu'il essayait d'avancer, c'était comme si ses chevilles étaient retenues par une chaîne en fer, ou comme si quelqu'un le tenait par les jambes et le tirait vers le sol.

En y repensant, Meria avait dû ressentir la même chose. Il ne se souvenait pas l'avoir jamais vue fuir.

Est-ce que c'est ce qu'on ressent quand on a l'Obscurité en nous ?

Il baissa les yeux en direction de ses pieds.

L'ombre qui s'étendait à partir d'eux semblait étrangement grandir... et s'épaissir. Et de ce qui aurait dû être son ombre sur le sol — ou plutôt, du conduit qu'elle était devenue — il ressentait une gigantesque présence provenir d'un endroit très profond.

... C'est ça.

C'était la même terreur qu'il avait ressentie la première fois qu'il avait mis les pieds dans ce cimetière. Cette terreur ressentie quand il enjambait les cadavres, et la chose bien plus grande qui se trouvait en dessous.

Et maintenant, une partie de son corps était devenue un fragment de cette chose. Ni marcher ni soulever ses jambes n'aurait pu briser ce lien qu'il ressentait. Et pire encore, il avait même été victime d'une hallucination où son corps et son cœur étaient aspirés par le sol dans les ténèbres... Exactement comme quand les bras et jambes de Meria avaient été arrachés et avaient ensuite rampé jusqu'à son corps pour s'y rattacher, Mole avait l'impression que son corps voulait retourner dans le corps du monstre sous le sol.

Il était en pleine hésitation. Plus que jamais, il regrettait de ne plus pouvoir faire marche arrière.

... Mais pour Mole, il n'y avait pas grand-chose de déroutant.

Peu importe le nombre de panneaux, d'indicateurs et autres, s'ils se mettaient en travers de son chemin, il allait trouver le moyen de s'en débarrasser. Et s'ils n'étaient pas des obstacles, ce n'était pas le moment d'avoir peur.

Il se résigna et jeta un œil à son corps.

Jusqu'ici, il ne semblait pas y avoir d'autres changements, mais... il se devait d'en avoir le cœur net.

Il sortit un bout de verre de sa poche. Il l'avait récupéré dans les poubelles du manoir des petits morceaux provenant de bouteilles en verre. Celui-ci était un bout du goulot d'une bouteille et était pointu et aiguisé.

De manière résolue, il se coupa avec ce dernier le dos de la main gauche.

La douleur était plus ou moins ce qu'il avait imaginé.

Comme s'il avait tranché une veine, un sang sombre terriblement épais jaillit et coula le long de ses doigts. C'était comme si un second cœur avait poussé et il pouvait ressentir une douleur sourde à chacun de ses battements.

Mole contempla sa blessure avec un regard embrouillé. Il commençait à se dire qu'il venait de faire quelque chose de complètement stupide...

Puis au bout de quelques instants, la plaie se referma et disparut.

L'entaille au dos de sa main s'était cicatrisée de l'intérieur, comme une paire de lèvres se refermant. Ce ne fut ni rapide ni choquant, sa peau s'était simplement refermée d'elle-même. Et mis à part le sang collant sur sa main, et la douleur aiguë, il n'y avait absolument aucune trace de la blessure.

Évidemment, il se sentait mal à l'aise, mais malgré les restes de la douleur, son malaise était plus dû à cette plaie qui devrait encore être là.

Un sourire retors se dessina sur ses lèvres.

Mais bien sûr, il était absurde de croire qu'une simple éraflure sur le dos de sa main était suffisante pour prouver son immortalité.

Et il n'avait pas le droit à l'erreur pour la suite de son plan.

Il lui fallait donc procéder à un test un peu plus poussé.

Toujours hésitant, il tendit un doigt, mais il se rétracta.

C'était tout naturel d'éprouver plus de réticence face à ce qu'il allait faire que quand il avait ingurgité un morceau du monstre. Et même s'il se disait que c'était juste pour vérifier, ce geste était équivalent à un suicide. Ses doigts tremblaient. Toute sa main tremblait. Il ne pouvait tout simplement pas s'arrêter de trembler.

Sentant que sa détermination commençait à faiblir, Mole se mordit la lèvre et se remémora la sensation du cou de Meria dans ses bras.

Puis il agrippa l'intérieur de son collier en cuir, et arracha ce dernier de toutes ses forces.

L'artère droite où était rattaché « le fil de sorcière » éclata et un torrent de sang jaillit de son cou déchiré.

Contre toute attente, il n'y eut presque aucune douleur.

Néanmoins, peu importe le nombre de fois qu'il tenta de baisser la tête pour regarder son cou, le liquide d'un rouge vif s'écoulait sans fin d'un endroit qu'il ne pouvait voir. C'était sans conteste une scène à faire s'évanouir les gens.

Le flanc droit de son corps fut coloré de rouge avant qu'il ne s'en rende compte, et sans réfléchir, Mole pressa sa main contre la blessure. Soudain, sa vision devint trouble... Il était en manque de sang.

Quoi de plus normal, car son corps, au lieu d'utiliser de la peinture, se servait de sang oxygéné, qui aurait dû couler vers son cerveau, pour teinter son flanc droit de rouge.

... Ça craint, pensa-t-il du plus profond de sa conscience.

C'était différent de toutes les blessures qu'il avait pu connaître jusqu'à ce jour. Il avait l'impression de tomber. Il ne pouvait lutter, ni résister. En fait, les endroits d'où il aurait dû puiser son énergie étaient en train de disparaître. Il se sentait désespérément impuissant.

Que ce soit le cas ou non, il avait l'impression de se noyer. Et au final, même sa conscience se mit à vaciller. Il perdit l'équilibre et tomba sur un genou.

C'est sans espoir, pensa-t-il dans un étourdissement.

Lentement, ses épaules se relâchèrent et d'un mouvement de bascule, il s'écroula sur le côté, la langue sortant de sa bouche.

... Puis il se rendit compte... que sa vision était devenue limpide d'un coup.

Son anémie n'était plus.

La fontaine de sang s'était arrêtée.

Et sa plaie s'était refermée.

Il se leva, se sentant aussi fort qu'à son habitude. Il fronça simplement les sourcils en voyant ses vêtements imbibés de sang collant à sa peau.

Mais alors qu'il se tenait là, le corps trempé de sang, un véritable sourire émergea lentement de ses lèvres.



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