Sugar Dark ~ Français : Fosse 2 - Chapitre 1

From Baka-Tsuki
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Fosse 2 : Grave Keeper (Gardien de cimetière)[edit]

1[edit]

Mole était en tout point un piètre chanteur.

Seul alors qu'il creusait avec sa pelle, il chantait quelques chansons. Cela allait des marches militaires aux chansons à la mode qu'il avait entendues à la radio. Et comme personne ne pouvait l'entendre, il chantait les paroles comme bon lui semble. C'est-à-dire qu'il chantait faux et parfois il inventait même des mots.

Bien que sa voix était forte, elle semblait s'évaporer dans le cimetière désert.

Le chant était son unique réconfort, l'aidant à oublier l'écœurante idée qu'il allait devoir travailler dur avec ces cadavres jusqu'à la fin de ses jours. Et même s'il continuait à creuser des trous, il était de bonne humeur, comme s'il était retourné dans le passé, plus précisément à sa situation d'il y a un mois.

La seule chose qui lui manquait par rapport à cette époque était des gens avec qui se mettre en rythme et un casque.

Il avait commencé à s'habituer à sa petite pelle et au collier qu'il ne pouvait retirer de son cou, mais maintenant, il avait commencé à ressentir l'absence de poids sur sa tête.

Quoi que je fasse, aucune chance que je mette la main sur un casque.

Au premier abord, cela ne semblait pas nécessaire dans ce paisible cimetière. Qui plus est, même s'il voulait se protéger de ce monstre, un casque en fer n'aurait sûrement pas été suffisant. Mais c'était pour une autre raison qu'il en désirait un. Cela lui remémorait la première fois que lui et ses frères d'arme, tous à peu près du même âge et de même rang, avaient touché un fusil et s'étaient mis à imaginer leurs futurs actes d'héroïsme. Maintenant, en contemplant cet évènement passé avec ses yeux désabusés d'aujourd'hui, il se souvenait qu'il portait un casque à longueur de journée, même lorsqu'il dormait.

Depuis lors, et tout particulièrement pendant une opération militaire, il ne se séparait jamais de son casque même s'il n'y avait pas le moindre ennemi à dix kilomètres à la ronde. Mole devait avouer qu'il comprenait que c'était un peu étrange de se sentir comme ça, mais peut-être qu'il y avait comme de l'espoir et un sentiment de sécurité provenant de ce casque qui protégeait la partie la plus importante du corps humain. Après qu'il fut transféré ici, il avait déchiré un tissu et se l'était enroulé autour de la tête pour éviter les insolations. Mais ce fin tissu ne le satisfaisait pas du tout.

— M. le galérien, merci pour votre dur labeur, dit le vieil homme derrière lui, coupant court à la chanson de Mole. Vous semblez bien vous porter malgré avoir vu ces choses.

Exactement comme s'il était en train d'observer l'administration d'un médicament pendant une expérience sur un rat de laboratoire, Daribedor baissa les yeux vers Mole avec ses petits yeux.

Mole arbora un air légèrement renfrogné. Sa jambe droite était enroulée avec un bandage visiblement jaunissant et sale imprégné de fluides corporels s'échappant de sa blessure...

Puis, il se remémora de la fille qui se trouvait sous ses bras après qu'il l'ait faite tomber sous le coup de la panique.

— Loin de là même. En fait, vous travaillez de plus en plus dur. C'est bien.

— Bah, c'est pas comme si ça ne m'intriguait pas, dit Mole, avant de continuer en tentant de soutirer quelques informations à ce sujet, Par exemple, ces choses... d'où elles viennent ?

— D'où, hein... C'est une autre question philosophique.

La bouche du vieil homme se tordit, certains diraient même que c'était un sourire disgracieux.

— Vous ne vous demandez sûrement pas d'où viennent les hommes, non ? Cela ne revient-il pas au même ?

— Généralement du ventre d'une femme, plaisanta Mole, mais cela ne sembla pas amuser Daribedor outre mesure.

Sans même tenter de masquer son mécontentement, Daribedor commença à se diriger vers le manoir tout en disant :

— Enfin, je comprends pourquoi vous n'avez pas peur d'eux. C'est à cause de ces gens qui apparaissent fréquemment à la tombée de la nuit. Au risque de vous décevoir, il serait préférable que vous évitiez de sortir trop souvent la nuit. Nous aurions des problèmes si vous veniez à vous faire tuer après tout le travail que vous avez effectué.


... Comme à son habitude, Corbeau aimait s'assoir sur les pierres tombales. Après que Mole lui ait rapporté les propos de Daribedor, il se mit à glousser avec un ton moqueur.

— Ce vieux croulant est vraiment horrible. C'est comme si, peu importe le nombre de gens employés pour creuser des trous, une fois qu'ils ne sont plus en mesure de supporter la présence des démons, ils sont bons pour la casse.

Sa patience ayant atteint ses limites, Mole ignora sans hésiter le regard méchant de Corbeau et demanda :

— Vous vous connaissez ?

Corbeau haussa les épaules et répondit :

— Bah, pour tout te dire, je déteste cet homme. Quoi qu'il en soit, il s'occuperait lui-même de nous enterrer dans ce cimetière si l'un de nous venait à mourir.

— ... Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

— Quoi, je t'en ai pas parlé ? Même les gens qui connaissent l'existence de ces démons peuvent être enterrés ici.

Mole hésita brièvement, les questions se bousculant les unes après les autres dans son esprit.

— Une seconde ! Il n'y a pas que des monstres enterrés ici ?

— Qu'est-ce que tu racontes, la taupe ? Tu es en train de creuser une tombe de taille humaine là, non ?

... C'était tout à fait exact.

Il avait creusé toutes sortes de tombes, mais depuis l'enterrement du monstre, aucune autre n'avait été aussi grande. Après avoir appris à quel point ces gros monstres étaient forts, il considérait qu'il était inutile de demander si les plus petits étaient plus gentils.

Corbeau continua :

— D'après toi, pourquoi on appelle cet endroit une fosse « commune » au juste ? C'est simple. C'est à la fois pour les humains et les démons. Le nom provient du fait que ces deux races incompatibles sont toutes deux enterrées ici... Mais pour les humains, il n'est pas courant de venir ici, sauf circonstance exceptionnelle.

Un sourire sarcastique et non puéril se dessina sur les lèvres de Corbeau.

— Alors... par exemple, qu'en est-il de la tombe sur laquelle tu es assis ?

— Ouais, je pense que c'est une tombe d'humain.

— Descends de là tout de suite.

— Han... bouda Corbeau.

Il fit claquer ses pieds, jusqu'à ce que Mole ne tende sa pelle dans sa direction pour le contraindre à obtempérer.

— Ah, t'es vraiment un bon gars. Tu ressembles pas du tout à un galérien, dit Corbeau au moment où ses pieds atterrirent sur le sol, puis il poussa un profond soupir.

— Comment ça ?

— Comment ça quoi ?

— Quelque chose cloche. Pour reprendre tes mots, les monstres sont les ennemis naturels de l'homme, pas vrai ? Alors pourquoi ont-ils droit au même type d'enterrement qu'un homme ?

Ayant perdu son siège, Corbeau était assis en tailleur sur le sol. Comme un enfant, il n'aimait pas rester debout. Non, ce n'était pas ça. Même s'il avait une apparence d'enfant, des fois, quand il parlait, Mole avait tendance à ne pas voir celle-ci.

— Ces choses sont immortelles, tu te souviens ?

— Ah, acquiesça Mole.

Corbeau avait effectivement dit ça. « Ces choses n'ont pas ce qu'on appelle la vie. Comme leur nom l'indique, ce sont des morts-vivants. Même si on les coupe en petits morceaux ou les brûle en cendre, telle une mauvaise blague ils reviendront à la vie... »

Petit à petit, le garçon remarqua une certaine gêne dans ces propos.

En lisant le changement sur son visage, Corbeau continua.

— Ouais, c'est bizarre, hein ? Les enterrements sont des rites organisés pour les morts. Et pourtant, malgré ça, nous enterrons sur cette terre les ennemis qui ne peuvent pas mourir... Bien entendu, bien qu'ils aient droit à une commémoration funèbre, cela ne signifie en rien qu'on compatit pour eux.

Mole demeura silencieux.

— L'autre jour, tu avais deviné que les « chasseurs » exterminent ces démons. C'est exact. Les chasseurs combattent réellement les démons. Mais par exemple, si les hommes d'il y a plusieurs siècles avaient eu le même type d'équipement que les « chasseurs de démons » ont aujourd'hui, notamment les fusils, alors je pense que l'humanité de l'époque aurait connu la même prospérité que celle d'aujourd'hui.

En effet, Corbeau en avait déjà parlé lors de leur précédente conversation. Il avait dit que l'existence de ce monstre était un obstacle à la progression de la civilisation.

— Les humains ne peuvent tuer ces choses. Enfin, si on attache leur tête et leurs pieds, alors ils ne pourront plus faire de mal aux gens. Mais c'est le mieux qu'on puisse faire. Malheureusement...

Avec un visage plein de remords, Corbeau se mordit la lèvre.

— Attends, c'est pas justement ce qui est bizarre ? coupa Mole. Tu n'avais pas dit l'autre jour que les gens avaient trouvé le moyen de vaincre ces monstres ?

— Ah, ouais, cette méthode se trouve sous tes pieds maintenant.

— Alors les monstres enterrés dans ce cimetière sont soi-disant immortels. T'as jamais entendu parler d'une méthode pour les anéantir complètement ?

— Tu saisis toujours pas, hein ? Tiens, regarde ça.

Comme s'il jouait dans un bac à sable, Corbeau se mit à griffonner sur le sol.

— Ces choses ont bien plus qu'un simple corps physique. Si on les attache, on peut les empêcher de bouger. Mais même si on essaye de les noyer dans l'eau ou les enterrer dans un trou, ils finiront par s'en échapper et reprendre leur massacre. Puis un jour, il semblerait que quelqu'un ait eu l'idée de les enterrer dans un cimetière humain.

— ... Alors tu veux dire qu'après un enterrement en bonne et due forme, ils ne peuvent plus revenir à la vie ? demanda Mole, comprenant finalement ce que voulait dire Corbeau.

Corbeau acquiesça et esquissa un faible sourire.

— Néanmoins, pour ce qui est de savoir pourquoi ils ne peuvent pas revenir à la vie dans ce cas, j'en ai pas la moindre idée. Même les meilleurs chercheurs n'en savent rien. Mais, peut-être que c'est parce que ces démons vivent dans des corps que nous ne comprenons pas. Vu qu'ils sont si différents des êtres vivants sur Terre, certains prétendent même qu'ils viennent de la lune. Tu vois, le type qui avait eu l'idée de les enterrer dans un cimetière... bah, peut-être qu'il avait l'intention de faire une mauvaise blague ou quelque chose du genre.

— Alors, à l'époque, un type se nourrissant de limaces de mer a découvert tout ça à cause d'une blague, dit Mole d'un air taquin à Corbeau, malgré le visage mystérieux et triste de ce dernier.

Tout en griffonnant le sol avec son auriculaire, Corbeau répondit :

— Bah, c'est juste comme ça que je vois les choses... Admettons que les gens enterrés ici ont été tués par ces monstres et qu'ils leur en veulent toujours, peut-être que c'est ce qui empêche ces choses de se réveiller.

— Dis pas de trucs aussi flippants.

— Ça te choque pas, hein ?

— Je sais pas, j'aime tout simplement pas les fantômes, dit Mole avec conviction.

Corbeau leva la tête et gonfla ses joues en apparence douces.

— Beuh...

Tout en boudant comme un enfant, il avait une nouvelle fois prononcé un mot qu'un adulte n'emploierait pas.

— Bah... même si leurs pouvoirs s'en retrouvent scellés, ça ne veut pas dire qu'on peut les enterrer dans n'importe quel cimetière. Il faut qu'il se situe sur une ancienne terre, une terre avec des pouvoirs. Le genre de terre qui a toujours été protégée par les hommes, et qui a toujours été le contraire d'un berceau de l'humanité. Cela peut devenir la prison éternelle de ces choses. Exactement comme cet endroit...

Tout en se rappelant son malaise, Mole demanda :

— Eh bien, c'est donc un endroit extrêmement important, non ?

Corbeau éclata de rire.

— Ouais, c'est un endroit important. Et bien entendu, il existe d'autres cimetières dont l'unique but est d'emprisonner ces démons. C'est exactement du fait de la grande importance de cette tâche qu'il faut prendre certaines précautions. S'il n'y avait qu'un seul endroit, par exemple ici, et s'il venait à être détruit, alors ces monstres reviendraient à la vie et on ne pourrait pas les en empêcher.

— ... Bah, en gros, les autres endroits sont déguisés en cimetière, et on interdit aux gens ordinaires d'y pénétrer pour les protéger vu qu'ils ignorent ce qui se trouve en dessous.

Je comprends mieux pourquoi personne ne semble visiter les tombes qui se trouvent ici.

Le fait qu'il n'y avait aucune visite de gens ordinaires réduisait ses chances de trouver le moyen de s'échapper. Pour autant...

— C'est bizarre, mais...

Bien qu'il comprenait ce que voulait dire Corbeau, quelque chose d'autre préoccupait Mole.

— Jusqu'à il y a environ cent ans, les hommes vivaient dans la peur, ne connaissant pas de moyen de tuer ces monstres, pas vrai ? Dans ce cas, comment se fait-il que les gens ignoraient leur existence ? Tout du moins, les gens qui m'entourent et moi-même ne nous doutions de rien.

— C'est simple. Il n'était pas nécessaire que vous sachiez, dit Corbeau, en acquiesçant rapidement comme en faisant une promesse à l'emporte-pièce. Vu qu'ils ont perdu leur immortalité, leur nombre a diminué bien plus rapidement que par le passé. Il est intéressant de noter que les démons semblent avoir compris leur point faible. Maintenant, non seulement ils se retiennent de chasser ou d'appâter des hommes, mais ils n'apparaissent tout simplement plus du tout. On a observé cette tendance. Le nombre de monstres n'augmente pas. Alors on peut dire que le fait qu'ils ne meurent pas est une sorte de point faible. Prends une armée par exemple. Peu importe sa puissance de frappe, sans ravitaillement, elle ne fera pas long feu, pas vrai ?

— Ah, c'est vrai.

L'analogie de Corbeau était en effet très simple à comprendre, alors le garçon à la tête des taupes répondit en acquiesçant profondément.

Stricto sensu, les forces militaires étaient composées d'hommes, et c'était sûrement différent pour les monstres, mais quoi qu'il en soit, après avoir perdu toutes leurs forces, chacun se retrouvait incapable de revivre. Et peu après, il était évident que la situation allait empirer pour eux.

— Ouais, exactement, continua Corbeau. Après tous les efforts qui ont été demandés pour réduire leur nombre, il y avait dans le même temps moins de victimes de notre côté. Les lampes électriques et à pétrole furent développées et maintenant même quand le soleil se couche, les activités courantes peuvent continuer. Tant que les gens craindront la menace déclinante des ténèbres, cette peur aura un effet bénéfique sur l'industrie et l'économie. Alors, en conséquence, les pays ont pensé qu'il était préférable de ne rien dire sur les monstres. On peut appeler ça l'ombre tapie dans l'ombre.

Toujours pas convaincu, Mole se mordit la lèvre. Corbeau continua alors son explication.

— Alors ne va pas penser que le fait que le monde l'ignorait totalement est un mensonge.

— Hein ? C'est vrai ?

— Bah, laisse-moi te poser une question. Comment était ta première nuit au cimetière ? T'avais peur, pas vrai ? Et pourquoi ça ?

— Eh bien, c'est-à-dire que... c'est parce que quand j'étais petit, ma mère, ma tante ou quelqu'un d'autre m'avait complètement terrorisé. Ils parlaient de choses qui sortaient des cimetières la nuit, des fantômes, des mauvais esprits... des zombies et autres choses du même genre.

— Tu vois ? C'est la même chose, non ? Des « créatures qui s'attaquent aux hommes ». Il se pourrait que les histoires impliquant les démons aient changé un peu de la même façon que les noms qu'on leur donnait.

Puis, Corbeau gloussa.

— Enfin, du fait du grand secret qui régnait autour de cette histoire, il est difficile de trouver quelqu'un qui peut creuser des trous dans un cimetière, sans qu'il ne perde la tête. Une telle personne doit vraisemblablement posséder certaines qualités.

— Certaines qualités ?

— Telle qu'être capable d'endurer une situation où on est au plus près de l'ennemi naturel de l'humanité, le fait d'avoir des nerfs d'acier. Bref... quelqu'un de fort.

— Je suis pas si fort que ça, dit catégoriquement le garçon.

— Quoi ? Je sais que tu sous-entends que t'as pas la même volonté que moi, mais pas la peine de faire le modeste.

— C'est pas de la modestie. C'est ce que je pense au plus profond de moi. Si j'étais si fort que ça, je n'aurais pas...

Mole se tut et détourna le regard.

— Non, laisse tomber.

— Que... Qu'est-ce que tu racontes ?

Corbeau semblait tenir à savoir ce que Mole était sur le point de dire, mais avec un air aigre, le garçon se borna à garder la bouche fermée. Il ne montrait pas son véritable visage, exactement comme une taupe terrée sous terre.

Au final, Corbeau s'énerva et tira sa langue extrêmement rouge en direction du garçon.

— T'es qu'un idiot, la taupe ! T'essayes de de te faire passer pour meilleur que ce que t'es vraiment ! cria Corbeau comme s'il appréciait le mépriser.

Puis, Corbeau s'en alla soudainement aussi vite qu'il était apparu.

Mole poussa un profond soupir. Corbeau désormais parti, Mole était désormais seul dans le cimetière tandis que le soleil atteignait son zénith.


Bien que chanter l'aider à penser à autre chose, de plus en plus de soupirs s'échappaient de sa bouche.

Il devait admettre qu'il pensait être quelqu'un de raisonnablement fort. Et pour ce qui était des militaires, même si c'était un tas de crétins se reposant uniquement sur leurs muscles, comme dans un foyer pour garçons, il ne pouvait les qualifier de fort que de temps à autre.

Néanmoins, sa confiance en lui-même s'était rapidement étiolée après qu'on l'eut emmené dans ce cimetière. À tel point qu'aujourd'hui, il devait aller jusqu'à dire à Corbeau le puéril de ne pas se méprendre.

  • Il avait peur des ténèbres de la nuit.
  • En apprenant l'existence de ces monstres, sa santé mentale avait commencé à en pâtir.
  • Récemment, il s'inquiétait du fait que la gardienne du cimetière était introuvable...

... et, il craignait que celle-ci ne le détestait et avait peur de lui.

Quoi de plus normal, pensa Mole, en tentant d'interpréter ses propres émotions.

Il était normal de se sentir mal à l'aise. Cette fille est importante... elle est mon unique espoir de m'échapper de cet endroit.

L'autre jour, alors qu'il courait de toutes ses forces, la fois où il lui avait demandé de devenir son amie, il avait eu l'impression d'avoir pu échanger avec succès avec elle. Mais depuis lors, il n'était plus capable de répondre du tout. Soit il finissait dans le décor, soit il se heurtait au rejet de la fille.

Quant à Meria, vu qu'elle lui posait toujours autant de questions que possible, elle n'avait jamais l'occasion de lui parler de ce qu'il avait envie d'entendre, ce que Mole trouvait injuste.

« Pourquoi ne se montre-t-elle que la nuit ? », « À quoi sert un gardien de cimetière exactement ? ». Quand il lui posait ces questions, elle paraissait perturbée et secouait la tête négativement.

Quand il vit l'expression de son visage à ce moment-là, il commença à craindre qu'elle le détestait peut-être. Néanmoins, si c'était le cas, elle éviterait alors tout face à face avec lui nuit après nuit... Alors tôt ou tard, le jour viendra où elle m'en parlera, non ? Est-ce que ce jour viendra vraiment ?

Mais au point où il en était, ce jour ne pouvait être que lointain.

Sérieux, de qui Corbeau parlait quand il disait qu'il était fort ?

Il éclata de rire. C'était tellement ridicule. S'il était ce qu'on appelle fort, alors il ne se serait sûrement pas mis dans un état tel où il ne peut plus garder son calme rien qu'en pensant à une fille.

Quoi qu'il en soit, même s'il n'avait pas reçu de réponse de la bouche de la fille pour ce qui était de leur amitié, il fut en mesure de découvrir son âge. Elle avait quatorze ans. Il avait en plus appris un tas d'autres choses diverses et variées à son compte, comme par exemple qu'elle aimait les pommes mûres et détestait la pluie après que ses vêtements étaient salis par la boue.

Néanmoins, au final, elle n'était toujours pas son amie. Et ils ne s'étaient jamais mis d'accord sur un lieu donné et une heure précise pour se retrouver.

Alors de ce fait, une fois la nuit tombée, Mole parcourait le cimetière à sa recherche.

Peut-être était-ce inefficace, mais aussi étrange soit-il, le temps passé à sa recherche ne lui déplaisait pas. Il trouvait même ça amusant, bien qu'il n'en connaissait pas vraiment la raison. Même le cimetière, qui avait été au début extrêmement terrifiant la nuit, ne lui posait plus le moindre problème désormais. En fait, le simple éclat des étoiles lui était suffisant pour marcher. La capacité d'adaptation des hommes est incroyable.

Mais le cimetière était particulièrement vaste, et même s'il s'était habitué au paysage des pierres tombales et arbres s'étendant à perte de vue, il n'était pas toujours sûr de l'endroit où il se trouvait. Le premier repère qu'il avait utilisé était un arbre géant qui poussait tout au centre du cimetière. Tout en gardant à l'esprit comment revenir jusqu'à cet arbre, il partait à la recherche de Meria, mais cette nuit-là, malgré avoir parcouru le cimetière de long en large, il ne parvint toujours pas à la trouver.

Il ramassa des cailloux et des branches sur son chemin, et quand ses jambes furent fatiguées, il eut soudain une idée. Il appela Dephen qui était en train de le suivre à faible distance.

— T'as un bon flair, pas vrai ? Tu voudrais pas me donner un coup de main ?

Il plaisantait à moitié en lui demandant ça, mais après quelques instants, il pensa voir le chien se tortiller le nez avant de se retourner et de partir précipitamment quelque part dans la pénombre. Sans attendre, le garçon le suivit.

Et cette nuit-là, Meria se trouvait directement sous l'arbre géant tout en serrant contre elle ses jambes.

Il semblerait qu'elle se cachait dans l'ombre des racines, mais elle n'avait visiblement pas remarqué sa présence. L'arbre était si grand qu'il aurait fallu pas moins de cinq hommes se tenant par la main pour l'encercler. Et les racines qui sortaient de terre étaient suffisamment épaisses pour cacher son corps assis.

Il avait l'impression que l'interpeller alors qu'elle était assise là aurait été la première fois qu'il initiait la conversation depuis qu'il la connaissait.

Peut-être que c'est toujours elle qui partait à ma recherche, pensa le garçon, envisageant cette agréable possibilité.

Mole s'approcha de façon volontairement bruyante de la fille qui, comme si elle était choquée, se dépêcha alors de cacher ses mains derrière ses jambes accroupies.

— Salut, qu'est-ce que tu fais ?

Le visage de Meria était inhabituellement troublé. Elle était comme une enfant prise en train de cacher une bêtise qu'elle aurait faite.

Mole jeta un regard vers les jambes de Meria. Mais pas de façon perverse, les genoux de la fille étaient couverts par son manteau et elle cachait quelque chose derrière eux avec ses deux mains.

...

... Silence.

Dans cette situation, le silence extrêmement gênant continua. Il était évident que pour elle, ils s'étaient rencontrés à un moment inopportun. Néanmoins, même si c'était devenu une habitude, la chose que la fille tâchait désespérément de cacher ne faisait qu'attiser sa curiosité. Il se demanda même jusqu'à quel point elle le détesterait s'il tentait de voir ce que c'était de force.

Enfin, je peux pas lui faire ça.

Il ignorait si elle allait finir par s'enfuir avec lui qui restait planté là, mais elle baissa la tête en signe de résignation et sortit le mystérieux objet qu'elle cachait derrière ses genoux.

Remplissant les paumes de ses deux mains, il y avait un morceau de quelque chose d'un profond noir. Mise à part la couleur, il avait la forme ronde imparfaite d'une pêche et près du haut se trouvaient ce qui ressemblait à des petites marques de morsures. Si cela avait été tout, alors il n'aurait ressemblé à rien d'autre qu'à un fruit pourri mais...

Mole saisit sa poitrine d'un coup. Comme si une porte s'était ouverte avec fracas, un souvenir fit surface dans son esprit.

Sous ses yeux, il vit quelqu'un frappé par un explosif, et l'homme inconnu vêtu d'un uniforme de militaire tomba à la renverse.

Sa tête ainsi que sa cage thoracique avaient explosé, mais en dessous, Mole pouvait voir le cœur de l'homme battant obstinément.

Quant à l'objet dans les mains de la fille, les pulsations de la partie noire charnue sous les morsures ressemblaient à ceux de ce cœur. Pareil... C'est exactement pareil.

... Était-ce une partie de quelque chose ?

— Qu'est-ce que... c'est ? demanda Mole, tout en gigotant.

Cependant, Meria, la tête toujours penchée, dit d'une petite voix :

— Je ne peux pas...

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Il comprenait. Même si c'était la seule chose qu'elle trouvait à dire, il comprenait ce qu'elle voulait dire. En gros, après une semaine à l'entendre utiliser cette phrase en réponse à diverses questions, il avait compris que c'était sa façon de dire, « Ne me demande pas ça ».

L'intention derrière son refus d'en parler se tenait en travers de son chemin tel un profond gouffre juste à ses pieds. Et de l'autre côté de ce gouffre se trouvait la fille. Mais alors qu'il essayait de la rejoindre de l'autre côté, il avait réalisé qu'il aurait beau remplir le gouffre de terre, ce dernier ne se remplirait jamais.

Meria porta le fruit noir à ses lèvres de façon extrêmement lente comme si le garçon n'était même pas là. Puis, elle commença à le manger.

Tout en regardant la bouche de la fille, Mole demanda :

— C'est bon ?

Il ne s'attendait pas à ce qu'elle réponde, mais alors, avec le fruit toujours en bouche, elle secoua lentement la tête.

Même si elle était déjà étrange, elle se comportait de façon particulièrement bizarre cette nuit-là. Bien qu'il ne viendrait à personne l'idée de la complimenter sur ses bonnes manières, c'était la première fois que Mole sentit qu'elle l'évitait ouvertement.

« Est-ce que je te dérange ? », avait-il envisagé de demander, mais alors qu'il ouvrit la bouche, la seule chose qui en sortit fut :

— Enfin, laisse-moi te dire une chose.

Oui. Elle le considérait comme une nuisance. Il le comprenait bien.

... Mais malgré ça, le fait d'en avoir la confirmation fut difficile à encaisser pour son faible esprit.

Adossé contre le tronc d'arbre, le garçon était perdu.

Et avec le fruit toujours à ses lèvres, la fille secoua tristement sa tête de gauche à droite.



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