Difference between revisions of "Sword Art Online:Aria dans la Nuit sans Étoiles"

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(Partie 15)
(Partie 16... Relecture plus tard.)
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Avec un cri court, il ouvrit grand les portes de toutes ses forces.
 
Avec un cri court, il ouvrit grand les portes de toutes ses forces.
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=== Partie 16 ===
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''Était-ce si large ?''
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En regardant la salle du boss du rez-de-chaussée pour la première fois après environ 4 mois, ce fut ma première impression.
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La salle était très profonde. Sa largeur du mur gauche au mur droit était d’environ 20m. De plus, c’était assez rectangulaire. Il y avait une distance d’environ 100m de l’entrée au fond. Le sol faisait, en gros, la même taille que les 20 autres étages et la salle était la dernière à avoir été cartographiée. En conséquence, sa superficie pouvait être estimée d’après la zone blanche sur la carte. Cependant, en la voyant de nos propres yeux, elle semblait plus profonde que ce qu’elle était en réalité.
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Cette salle était spacieuse afin de contenir le gigantesque monstre.
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Dans les salles de boss d’Aincrad, les portes ne se refermaient pas, même pendant la bataille contre le boss. En conséquence, même si les choses tournaient au vinaigre et que nous risquions d’être annihilés, il nous restait l’option « retraite ». Cependant, si on se retournait pour fuir et que les techniques d’épée de longue portée de l’ennemi nous touchaient, on risquait d’être ralentis―« Délai »―ou d’être immobilisés―« Etourdissement ». Il nous faudrait donc nous retirer tout en faisant face au boss ; mais, dans cette situation, les 100 mètres décisifs conduisant à la sortie paraitraient infiniment longs. La téléportation instantanée était possible en utilisant les « Cristaux de Téléportation ». Cependant, c’était cher et on ne pouvait les obtenir que sur les étages supérieurs ; ce qui rendrait plus facile le repli face aux bosses des étages supérieurs. Mais, parce que c’était si cher, après s’être replié, le joueur pouvait se retrouver avec un portefeuille quasi vide.
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Pendant que je réfléchissais à ce genre de choses, la salle du boss fut plongée dans l’obscurité presque totale. Sur les murs, à droite et à gauche de la salle, *ping* *ping*, de l’entrée de la salle jusqu’au fond, des « torches » s’allumèrent les unes après les autres. Les torches rudimentaires s’enflammaient bruyamment.
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Avec les sources de lumière produites, le « Gamma<ref>Gamma : luminosité de l’écran sur un ordinateur.</ref> » augmenta lui aussi. Le sol et les murs de pierre étaient tout craquelés. De grands et petits crânes étaient placés à différents endroits pour décorer la salle. Dans la partie la plus profonde de la salle se trouvait un immense trône, avec la silhouette grossière de quelque chose de large assise dessus.
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Le « Chevalier », Diabel, leva son épée puis la fit retomber devant lui…
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A ce signal, les 44 membres des forces de raid contre le boss poussèrent un cri de guerre tout en déferlant dans la salle en avalanche.
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<center><span style="font-size: 250%;">* * *</span></center>
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La rangée de devant fonça en premier, guidée par le chef du groupe A, équipé d’un écu<ref>Ecu : bouclier du Moyen Age à la partie supérieure rectangulaire et à la partie inférieure ogivale.</ref> en fer et d’un « Marteau » levé haut. Ils étaient suivis par le groupe B, à leur gauche―conduit par le guerrier à la hache, Egil―et, à leur droite, par Diabel et ses cinq amis du groupe C. Le chef du groupe D était un grand homme portant une longue épée à deux mains et, derrière ces trois-là, se trouvait le groupe E conduit par Kibaou. Les groupes F et G, équipés d’armes d’hast<ref>Armes d’hast : armes composées d’un long manche et d’une pointe métallique fixée au bout.</ref> aux manches longs, couraient en parallèle.
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Et, encore plus loin derrière eux, se trouvaient deux personnes en rab…
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Quand la distance entre le groupe A et le trône fut d’environ 20m, la gigantesque silhouette, qui n’avait d’abord pas bougé, sauta tout à coup. Dans les airs, il fit une pirouette avant d’atterrir à terre, faisant gronder le sol. Après ça, il ouvrit ses mâchoires de loup et hurla :
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« Gurururaaaaaaaaaaaaaaaa !!!! »
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Le Roi semi-humain, « Illfang le Seigneur Kobold », avait exactement la même apparence que dans ma mémoire. Son corps musclé de plus de 20m était recouvert d’une fourrure gris-bleu. Ses yeux sanguinaires luisaient d’un rouge doré. Sa main droite tenait une hache en os tandis que sa main gauche tenait un bouclier en cuir. De derrière sa taille apparaissait un talwar d’un mètre et demi de long.
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Le Seigneur Kobold leva haut la hache en os de sa main droite puis frappa énergiquement le chef du groupe A. L’écu reçut le coup, causant un éblouissant effet de lumière et un son bruyant qui se réverbéra dans la salle.
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Comme si ce son était un signal, depuis différents trous situés haut sur les murs latéraux, trois monstres lourdement armés sautèrent à terre. C’étaient les gardes, les « Sentinelles Kobolds des Ruines ». Le groupe E, conduit par Kibaou et le groupe de soutien G, se déplacèrent rapidement vers les trois, verrouillant leurs cibles. Asuna et moi nous sommes regardés et avons foncé sur la Sentinelle la plus proche.
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Juste comme ça, le 4 décembre à 14h40, la première bataille contre un boss débuta.
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La jauge de PV du « Illfang » était constituée de 4 barres. Pendant les trois premières barres, il tiendrait sa hache en os dans sa main droite et son bouclier en cuir dans la gauche mais, une fois sur la dernière, il les jetterait et tirerait le talwar de sa taille. Son schéma d’attaque changerait complètement. C’était ce que disait le guide stratégique d’Argo. Une fois qu’il aurait échangé la hache en os contre le talwar, nos techniques d’épée et tactiques devraient changer en fonction, exactement comme nous en avions parlé pendant la réunion de la veille.
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Tandis que je me battais contre la « Sentinelle » qui avait échappé aux groupes E et G, je surveillais du coin de l’œil la première ligne. Ni la première ligne, ni ses tactiques ne montraient de signes d’effondrement. Les groupes de « tanks » et les groupes d’« attaquants » switchaient calmement pour les tours de « PoT ». Le bord gauche de mon champ de vision affichait une petite fenêtre avec la jauge moyenne de PV du groupe de raid et ça restait stable au-dessus des 80% pour tout le groupe.
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''Je vais les laisser faire, juste comme ça…'' Et, juste comme ça, la bataille continua.
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Ce n’était pas comme ça quand je jouais en solo mais, à présent, je priais de toutes mes forces pour qu’ils réussissent.
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<center><span style="font-size: 250%;">* * *</span></center>
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Ayant été capable de la sauver dans la tour du labyrinthe alors qu’elle s’était évanouie―même si elle ne comprenait pas comment c’était arrivé―, elle s’était dit que l’épéiste aux cheveux bruns devait être une personne assez influente.
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Cependant, après avoir vu sa façon de se battre, Asuna voyait bien qu’elle l’avait sous-estimé.
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''…Fort.''
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Non, le mot « fort » n’était pas suffisant pour décrire le sentiment qu’il dégageait en se battant. Sa puissance et sa vitesse semblaient dépasser les échelles existantes et il donnait l’impression d’être dans une « autre dimension ».
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Pour Asuna, une débutante qui n’avait jamais joué à un jeu en ligne et n’avait même jamais été dans un environnement en FullDive auparavant, il était difficile de mettre des mots sur ce sentiment. Si elle essayait de l’exprimer, c’était le sentiment que tout était optimisé. Aucune de ses actions n’avait de mouvements en trop, d’où la rapidité de sa technique, et, avec son épée lourde, il infligeait des coups mortels. L’attaque à la hache du Kobold à l’armure lourde, fut déviée haut dans le ciel par son coup montant.
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« Switch, dit-il en se repliant nonchalamment. »
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A sa place, Asuna sauta rapidement devant le Kobold et, tandis que le Kobold restait penché en arrière, elle plaça facilement sa « Linear » sur son cou non protégé.
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Asuna se rappelait les mots qu’il avait dit lors de leur première rencontre : « …L’overkill n’est pas grave et n’entraine aucune pénalité par le système mais ça réduit l’efficacité. » et elle lui avait répondu : « C’est un problème ? » A cet instant, ça aurait posé un gros problème. Si on parvenait à se débarrasser de tout geste inutile, l’action devenait plus simple et le champ de vision en était élargi. La « Sentinelle » était bien plus forte que les « Soldats » qu’elle combattait à ce moment-là, pourtant Asuna pouvait très clairement voir chacun de ses mouvements.
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En lançant sa « Linear sur une partie vitale de sa gorge, Asuna réduisit à rien la jauge de PV du Kobold. S’il avait s’agit de l’ancienne Asuna, elle aurait attendu pour contrattaquer avec une autre « Linear » mais c’était un « overkill » inutile. Une fois le délai provoqué par la technique d’épée fini, Asuna planta une nouvelle fois la gorge, sans mouvement inutile, et la jauge de PV du Kobold se vida, le faisant exploser en fragments bleus puis se disperser.
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« GG<ref>GG : terme de jeu, de l’anglais « Good Game », utilisé comme une félicitation.</ref> ! dit doucement derrière-elle l’épéiste aux cheveux bruns. »
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Même si elle ne savait pas ce que ça voulait dire, elle répondit :
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« Toi aussi ! »
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A ce moment-là, la première barre de la jauge de PV du boss disparut. Diabel, en première ligne, hurla :
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« On passe à la deuxième barre ! »
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Au même moment, quelques « Sentinelles » supplémentaires sautèrent des trous des murs.
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Oubliant qu’ils étaient des forces en rab, Asuna et son partenaire à côté foncèrent sur les monstres. Même si elle ne l’utilisait que depuis la veille, sa paume droite avait déjà assimilée l’épée, qui lui semblait familière. Elle sentait que la réponse de l’épée était nette quand elle lançait ses techniques. Comme le cuir qui enveloppait sa main, même la pointe de la luisante lame tranchante semblait faire partie de son bras.
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''…Si c’est ça le sentiment de « se battre », jusqu’à hier tout ne semblait être qu’une imitation.''
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''…Il y a sûrement beaucoup de batailles qui nous attendent. Foncer tout droit aux côtés de cet épéiste… Dans ce monde virtuel, même si tout ce qu’on fait est faux…mais…mais, ce sentiment est certainement réel. Je veux voir ce qui se trouve devant ses yeux.''
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La hache du monstre retomba et l’épéiste la contra avec un coup haut. L’instant d’après, Asuna hurla :
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« Switch ! »
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Puis elle sauta en direction de l’ennemi avec sa chère épée.
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Revision as of 20:58, 13 June 2012

Partie 1

Je n’ai vu qu’une fois une vraie étoile filante.

Ce n’était pas pendant des vacances. C’était depuis la fenêtre de chez-moi. Pour les gens qui vivent dans des villes à l’air froid et piquant et aux nuits véritablement noires, les étoiles filantes ne sont pas rares. Mais, malheureusement, Kawagoe, dans la préfecture de Saitama, où j’ai passé toutes les quatorze années de ma vie, n’a aucune de ces qualités. Pendant les nuits sans nuages, même une étoile de magnitude[1] 2 y est à peine visible à l’œil nu.

Mais, un soir, tard, au milieu de l’hiver, j’ai jeté par hasard un coup d’œil par la fenêtre et je l’ai vue. Durant cette nuit noire presque dépourvue d’étoiles, les lumières de la ville formaient une voûte blanchâtre recouvrant le ciel. Mais, en un instant, elle fut coupée par un flash rapide de lumière. L’élève de CM2 que j’allais bientôt devenir eut cette idée enfantine : « Je dois faire un vœu… ». Jusque-là tout allait bien ; mais le vœu qui apparut à mon esprit fut : « Je souhaite que mon prochain monstre drope[2] un objet rare. » C’est le genre de souhait qu’aucune personne raisonnable ne ferait. J’imagine que ça m’est venu à cause d’un MMORPG que j’aimais et auquel je jouais à l’époque. L’étoile filante que j’ai aperçue ce jour-là, je l’ai revue une nouvelle fois, trois (ou peut-être quatre) ans plus tard―luisant de la même couleur, se déplaçant à la même vitesse.

Cependant, cette fois, je ne l’ai pas aperçue à l’œil nu ; et je n’étais pas non plus sous le ciel gris foncé de la nuit.

Je l’ai vue à travers le Nerve Gear―la première interface de réalité virtuelle entièrement sensorielle au monde―, au fond d’un donjon virtuel lugubre.


* * *

On pourrait dire de ce combat qu’il était à glacer le sang.

Le monstre humanoïde de niveau 6, « Soldat Kobold[3] des Ruines », donnait des coups avec une hache grossière ; et la personne qui combattait le Kobold arrivait à peine à les éviter. J’ai senti un frisson me parcourir le dos en observant ce combat. Mais, après que le joueur ait évité trois coups consécutifs, le Kobold perdit complètement son équilibre et, au lieu d’utiliser cette occasion pour s’enfuir, la personne lança de toutes ses forces une technique d’attaque pour épée.

Cette technique était la première technique de rapière qu’apprenaient les joueurs : l’attaque en un coup, « Linear[4] ». Cette technique d’épée était activée en tenant une épée devant soi avec sa main dominante, en se concentrant dessus, puis en plongeant l’épée droit devant soi. C’était une technique simple et basique, mais sa rapidité était géniale. Manifestement, la rapidité ne dépendait pas uniquement du système d’assistance aux mouvements, mais était augmentée par les commandes de mouvement du joueur.

Pendant les bêta-tests, j’avais vu de nombreuses fois, de mes propres yeux, beaucoup de coéquipiers et de monstres ennemis utiliser cette même technique d’épée ; mais, cette-fois, je n’arrivais pas à voir la rapière, seulement la trajectoire dessinée par l’effet spécial de lumière de la technique d’épée. Ce flash d’un blanc pur tranchant l’obscurité du donjon faiblement éclairé me rappela l’étoile filante de ce jour-là.

Le rapiériste[5] continua à éviter le combo en trois coups du Kobold puis contrattaqua avec « Linear ». Après s’être servi de ce schéma d’attaque et de défense encore trois fois, le joueur acheva indemne l’un des monstres les plus forts de ce donjon, un homme-bête armé. Malgré ça, le combat n’avait pas eu l’air facile. Le coup fatal traversa sa poitrine en son centre et le monstre s’effondra en arrière puis disparut en particules. Le rapiériste vacilla comme s’il était repoussé par les éclats polygonaux immatériels et se pencha en arrière contre le mur du couloir, se laissant glisser lentement le long du mur pour s’asseoir. Puis il commença à haleter.

La personne ne semblait pas remarquer que je me tenais 15 mètres plus loin, à l’angle d’une intersection.

M’éloigner sans rien dire à la recherche de ma propre proie, était ma façon habituelle de faire les choses. Il y avait un mois de cela, en ce jour marquant, j’avais décidé de vivre égoïstement en tant que joueur solo[6]. Et, après ça, je n’avais jamais approché quelqu’un de seul. Je ne faisais d’exception que quand je voyais un joueur clairement en danger au milieu d’un combat ; pourtant les PV de ce rapiériste étaient encore presque pleins. Tout du moins, la personne ne semblait pas nécessiter l’aide d’un fouineur.

Malgré tout…

Après environ cinq secondes de délibérations, j’ai quitté l’ombre de l’intersection et marché en direction du rapiériste encore assis. Très mince, plutôt élancé. Le torse était équipé d’une tunique en cuir rouge foncé et d’une cuirasse légère en cuivre, tandis que la partie inférieure du corps était vêtue d’un pantalon droit en cuir et de bottes remontant jusqu’aux genoux. Une cape à capuche enveloppait le corps depuis la tête jusqu’aux alentours de la taille, donc le visage n’était pas visible. A part la cape, l’équipement semblait être celui d’un fleurettiste, très semblable à mon équipement de sabreur. Ma chère épée, « Lame Détrempée »―la récompense d’une quête difficile―, étant très lourde, pour bénéficier de la finesse de mes techniques, je portais une très petite armure en métal―une légère protection sur la poitrine et une veste en cuir gris foncé par-dessus uniquement.

En entendant mes pas approchants, les épaules du rapiériste sursautèrent brusquement mais ne bougèrent pas davantage. Le fait que je n’étais pas un monstre était normalement indiqué par un curseur de couleur verte dans la vision de cette personne. Son visage était bien enfoncé derrière ses genoux dressés et il dégageait très fortement le sentiment « Contente-toi de passer et va-t-en »… Je me suis arrêté à environ deux mètres du rapiériste et j’ai ouvert la bouche :

« …C’était un overkill[7] extrême. »

Les petites épaules recouvertes par le tissu épais de la cape bougèrent légèrement à nouveau. La capuche tressauta, remonta d’environ 5cm, dans l’obscurité à l’intérieur, deux pupilles me fusillèrent durement. Je ne pouvais distinguer que les iris marron clair, la forme du visage n’était pas du tout visible.

Le rapiériste continua à me regarder pendant quelques secondes avec le même regard perçant qu’il avait plus tôt dans la bataille ; puis il inclina légèrement sa tête sur la droite―un mouvement de type « je ne vois pas ce que tu veux dire ».

En voyant ça, je me suis dit : « C’était donc ça ».

Il y avait une incohérence énorme dans ce jeu qui avait tout l’air d’un jeu de solo .

Le « Linear » utilisé par le rapiériste était si parfait que je n’avais pas pu m’empêcher de frissonner. Le premier et dernier mouvements étaient courts et, par-dessus tout, la vitesse était telle que je n’avais pas pu les voir. Je n’avais jamais vu une technique d’épée aussi belle et redoutable avant.

Donc, au départ, j’ai cru qu’il s’agissait d’un autre bêta-testeur. Avant que ce monde ne se transforme en jeu de mort, il avait fallu acquérir une longue expérience du combat pour atteindre cette rapidité.

Cependant, en voyant « Linear » une seconde fois, j’ai remis ma supposition en cause. La technique était parfaite mais le rythme de combat était dangereux. Il est clair que des « pas de défense très économes » offraient une plus grande rapidité de contrattaque que parer ou bloquer ; et la durabilité des armes/armures ne diminuait pas. En échange, quand la défense échouait, le risque était plus grand. Au pire, des « contre-dommages » étaient infligés en plus d’un état d’hébètement. Dans les combats en solo, un hébètement était fatal.

La technique d’épée parfaite et les tactiques de défense dangereuses s’accordaient mal. Pour une raison que j’ignore, je voulais savoir pourquoi, à tout prix. C’est pourquoi je m’étais rapproché pour demander ; demander si l’utilisation répétée de la tactique était un overkill.

Cependant, la personne ne semblait pas comprendre ce terme extrêmement courant dans les jeux en ligne. Cela voulait dire que le rapiériste devant mes yeux n’était pas un bêta-testeur. Non seulement ça, mais il n’avait peut-être même jamais joué à un MMO avant de venir ici.

J’ai inspiré légèrement et repris :

« « Overkill » veut dire…comparé aux PV qui restaient au monstre, les dommages infligés étaient vraiment trop élevés. Le Kobold de tout à l’heure était presque mort après le deuxième « Linear »… Non, il était pratiquement déjà mort. Il ne restait plus que deux ou trois barrettes dans sa jauge de PV. Au lieu de le finir avec une technique d’épée, une attaque légère normale aurait été plus que suffisante. »

Dans ce monde, ça faisait des jours que je n’avais pas autant parlé…des semaines. Tout en pensant à ça, j’ai arrêté de parler.

Après avoir écouté mon discours―le fruit d’un grand effort et de mes pauvres aptitudes conversationnelles―, le rapiériste n’eut aucune réaction pendant plus de dix secondes. Juste au moment où je me suis dit que je n’avais pas réussi à me faire comprendre, une petite voix est finalement sortie de la capuche baissée.

« … « Overkill », ça pose un problème ? »

A ce moment, j’ai finalement compris que le rapiériste blotti devant moi, au fond de ce donjon, était l’une des extraordinairement rares « Joueuses » de ce monde.


Partie 2

Un mois avait déjà passé depuis le lancement officiel du premier VRMMORPG au monde, « Sword Art Online ».

Dans un MMO classique, à l’heure actuelle, des joueurs ayant atteint le niveau maximum auraient été sur le point d’apparaître et la carte du monde aurait été explorée d’un bout à l’autre. Mais, dans SAO, le groupe actuel des meilleurs atteignait à peine le niveau 10… Je ne savais pas si c’était le maximum ; mais ça ne pouvait pas être le cas. Le décor du jeu, le château flottant Aincrad, n’avait été conquis que de quelques pourcents au total.

Cela était dû au fait que le SAO actuel était un jeu sans en être un ; dans un sens, c’était devenu une « prison ». La déconnexion manuelle était impossible et la mort de l’avatar résultait en la mort réelle du joueur. Dans ces conditions, peu de gens entraient dans les donjons remplis de monstres et de pièges dangereux.

De plus, depuis que le Maître du Jeu avait changé le sexe des avatars pour qu’il corresponde à celui des joueurs dans ce monde, les filles étaient devenues très rares. Je pense que la plupart d’entre elles vivaient encore dans la « Ville du Début », même après un mois. Dans l’immense premier donjon, « Dédale du Rez-de-chaussée », je n’ai vu des joueuses que deux ou trois fois, et elles faisaient toutes partie de grands groupes.

C’est pourquoi je n’aurais jamais imaginé que le rapiériste solo rencontré dans une zone inexplorée du donjon était une joueuse.


* * *

Pendant un instant, j’ai envisagé de marmonner une excuse et de quitter la zone. Je ne dirais pas que j’étais le genre de gars à parler à toutes les joueuses qu’il voyait ; j’aimerais sincèrement éviter d’être vu comme ça.

D’un autre côté, si la personne m’avait dit quelque chose comme : « C’est mon choix » ou « Laisse-moi tranquille », j’aurais dit : « Je vois » et je serais parti aussitôt. Cependant, la courte réponse de la rapiériste était une question ; donc, j’ai à nouveau répondu avec délicatesse et sérieux :

« …L’overkill n’est pas grave et n’entraine aucune pénalité par le système mais…ça réduit l’efficacité. Les techniques d’épées demandent de la concentration ; les utiliser en continu est mentalement fatigant. Il faut aussi rentrer, donc il vaut mieux se battre sans trop se fatiguer. »

« …Rentrer ? »

A nouveau, une voix interrogative sortit du fond de la capuche. La fatigue la rendait très faible et l’intonation était aussi frêle, mais j’ai quand même pensé que sa voix était belle. Bien entendu, je ne l’aurais pas dit à voix haute.

Donc j’ai continué à expliquer :

« Oui. A partir d’ici, il faut environ une heure pour quitter le donjon et, de là, il reste environ 30 minutes jusqu’à la ville la plus proche, même en avançant rapidement. La fatigue augmente les erreurs. Tu as l’air d’une joueuse solo et, étant seule, la moindre erreur pourrait te coûter la vie. »

Tandis que ma bouche bougeait, je me suis demandé : « Pourquoi je lui parle avec autant d’ardeur ? » La personne était une fille…mais ça ne pouvait pas être à cause de ça, vu que j’avais parlé longuement avant de le découvrir.

Si la situation avait été inversée et qu’une personne d’un rang plus élevée m’avait fait la leçon comme ça, j’aurais dit : « C’est mon choix, laisse-moi tranquille » ou quelque chose dans le genre. Ma personnalité étant en désaccord avec mes actions, j’étais sur le point de me mettre à paniquer quand la rapiériste a finalement répondu :

« …Dans ce cas, pas de problème. Je…ne reviendrai pas. »

« Quoi ? …Tu ne reviens pas en ville ? Mais…refaire le plein de potions, réparer son équipement…et dormir…, ai-je demandé, abasourdi. »

La rapiériste a secoué légèrement les épaules.

« Je n’ai pas besoin de remèdes tant que je ne prends pas de dommages ; et j’ai acheté cinq épées identiques. …Et, pour le repos, j’utilise la zone sûre à proximité. »

Le murmure s’est éteint et je suis resté sans voix pendant quelques temps.

Les zones sûres étaient quelques salles dans un donjon où les monstres n’apparaissaient pas. On pouvait les reconnaitre grâce aux torches de couleur particulière placées aux quatre coins des murs. Pour chasser et cartographier, c’était un endroit appréciable ; mais on ne pouvait les utiliser que pour un court repos d’environ une heure. Le sol était fait d’une pierre froide et il n’y avait, bien sûr, pas de lit, et on entendait fréquemment les pas et les grondements des monstres des environs. Peu importait à quel point un joueur était courageux, il était absolument impossible d’atteindre le sommeil profond.

Mais, d’après ce que je venais d’entendre, cette rapiériste avait utilisé les zones sûres comme des auberges, afin de rester dans le donjon… Est-ce que…qu’est-ce que ça voulait dire ?

« …Ça fait combien d’heures ? ai-demandé avec inquiétude. »

La rapiériste a répondu après avoir pris une longue inspiration :

« Trois jours…ou quatre jours… C’est tout ? Les monstres du coin vont bientôt revivre. Je vais y aller. »

En s’appuyant contre le mur avec sa délicate main gauche, enveloppée par un gant en cuir épais, elle se redressa en chancelant.

La fine épée encore dégainée piqua lourdement du nez, comme si elle tenait une épais à deux mains dans une seule, et la rapiériste s’éloigna derrière-moi.

La cape qui s’éloignait en se balançant était en lambeaux, indiquant qu’elle avait perdu une bonne part de sa durabilité. Non, pour un équipement en tissu utilisé pendant une expédition de chasse de quatre jours, le simple fait d’avoir gardé sa forme était un miracle. Son « tant que je ne prends pas de dommages » de tout à l’heure, n’était peut-être pas une exagération…

Après avoir réalisé ça, j’ai lancé des mots impensables dans son dos gracile :

« …Si tu te bats comme ça, tu vas mourir. »

La rapiériste s’est arrêtée, a appuyé son épaule contre le mur de droite et s’est retournée lentement. Du fond de la capuche, ses yeux noisette se sont braqués sur moi avec un léger fond rouge.

« …On mourra tous au bout du compte, de toute façon. »

La voix enrouée et cassée parvint à refroidir l’air déjà frais du donjon.

« En seulement un mois, 2 000 joueurs sont morts. Mais, pourtant, on n’a même pas passé le rez-de-chaussée. Il est impossible de finir ce jeu. Où et comment on meurt, tôt…ou tard, c’est là la seule différence… »

Son plus long et plus émotif discours jusque-là se troubla au milieu avant d’être coupé.

Devant moi, qui avait avancé par réaction, la rapiériste fut frappée par une attaque paralysante invisible et tomba lentement à terre.


Partie 3

Tandis qu’elle s’écroulait sur le sol du donjon, une idée pragmatique lui traversa l'esprit : « Comment peut-on s’évanouir dans un espace virtuel ? »

La perte de conscience signifie que le flux normal de sang dans le cerveau est momentanément interrompu. Ça peut être causé par une défaillance du cœur ou des vaisseaux sanguins, de l’anémie ou une pression basse, de l’hyperventilation et bien d’autres choses… Mais, quand on est dans un monde de réalité virtuelle en FullDive[8], le corps physique se repose sur un lit ou un siège inclinable. Le corps physique des joueurs emprisonnés par ce jeu de mort, « SAO », est probablement dans un hôpital à l’heure qu’il est ; leur santé doit, bien évidemment, être contrôlée et continuellement surveillée. Si nécessaire, des médicaments seront utilisés. Il est difficile de croire que la perte de conscience puisse être liée au corps physique.

Tandis que sa conscience s’éteignait, elle en arriva là de sa réflexion avant de se dire, finalement : Peu importe ce qui arrive, je m’en fiche.

Oui, peu importe ce qui arrive maintenant, je m’en fiche.

Car elle mourrait ici. Après s’être évanouie dans un labyrinthe rempli de monstres violents, il était impossible qu’elle s’en sorte indemne. Il y avait un autre joueur à proximité mais elle ne pensait pas qu’il risquerait sa vie pour aider une personne tombée.

De toute façon, comment pouvait-il l’aider ? Dans ce monde, le poids maximal qu’un joueur seul peut porter est strictement limité par le système. Dans les profondeurs d’un donjon, tout le monde transporte des remèdes et des équipements supplémentaires jusqu’à la limite de poids, en laissant de la place pour les drops des monstres tels que l’or et les objets. Une fois tout ça combiné, il est absolument impossible de porter un corps entier.

…Après s’être dit ça, elle se rendit finalement compte de quelque chose.

Elle était frappée par une violente impression de vertige et ce qu’elle pensa en s'écroulant fut : Je vais enfin avoir droit à un long repos. Sous son corps, elle aurait dû sentir le sol de pierre dur du donjon ; mais, pour une raison ou une autre, la sensation dans son dos était étrangement moelleuse et douce. Son corps était chaud et une légère brise caressait sa joue…

Elle ouvrit les yeux si vite que ça fit un bruit.

Elle n’était plus dans un labyrinthe bordé de murs épais. Il y avait de vieux arbres recouverts de mousse dorée et des broussailles épineuses avec de petites fleurs. C’était une clairière en pleine forêt. Au centre d’un espace rond d’environ 7 ou 8 mètres, sur un tapis d’herbe doux, elle avait perdu conscience…non, elle dormait.

Mais…pourquoi ? Comment l’avait-on déplacée jusqu’à ce champ éloigné après sa chute dans les profondeurs d’un donjon ?

Elle trouva la réponse à cette question lorsqu’elle tourna son regard à 90 degrés à droite.

Au bout de la clairière, collée contre la racine d’un arbre majestueux, se trouvait une ombre grise. Il tenait une épée à une main plutôt large entre ses bras et le fourreau sous sa tête. De longs cheveux bruns couvraient son visage, de telle sorte qu’on ne pouvait pas le voir ; mais, d’après son équipement et son physique, il n’y avait pas d’erreur possible, c’était le joueur qui lui avait parlé avant qu’elle ne s’évanouisse dans le donjon.

Cet homme avait peut-être trouvé une méthode pour la sortir du labyrinthe et l'amener dans cette forêt après sa chute. Elle regarda au-delà de la forêt. A gauche, environ 100 mètres plus loin, une immense tour touchait le ciel… Le labyrinthe du rez-de-chaussée d’Aincrad se dressait là, menaçant.

Elle ramena son regard à droite. Remarquant du mouvement, les épaules de l’homme, couvertes par la veste en cuir gris foncé, se secouèrent et il redressa légèrement la tête. Même dans la forêt lumineuse du midi, les deux yeux de l’homme restaient aussi noirs qu’une nuit sans étoiles.

Au moment où son regard croisa ses yeux bruns, elle sentit un feu d’artifice éclater dans sa tête.

En serrant les dents, Asuna…Asuna Yuuki, s’efforça de dire, d’une voix basse et enrouée :

« Effort…inutile. »


* * *

Après avoir été enfermée dans ce monde, Asuna se l’était demandé des centaines de milliers de fois.

Ce jour-là, pourquoi avait-elle touché à cette nouvelle console qui ne lui appartenait même pas ? Pourquoi l’avait-elle mise sur sa tête, s’était-elle couchée sur la chaise en filet à haut dossier et avait-elle dit la commande de démarrage ?

L’extraordinaire interface de réalité virtuelle qu’était cette maudite machine tueuse, le « Nerve Gear », et son immense prison à âme, le disque du jeu « Sword Art Online », n’avaient pas été achetés par Asuna mais par son grand frère, Koichiro. Pourtant, il n’était pas dans les habitudes de son frère de jouer à des MMORPG. Sa vie tournait autour d’autres choses et il n’avait joué à aucun « jeu » depuis son enfance. Fils ainé du PDG de l’immense constructeur d’engins électroniques, « Recto », en tant que successeur de son père, il avait été énormément formé dans les domaines nécessaires et avait été forcé d’abandonner tout le superflu en grandissant. Pourquoi son frère s’intéressait-il au Nerve Gear… non, à SAO, c’était quelque chose qu’encore maintenant elle ne comprenait pas.

Pourtant, ironiquement, Koichiro ne pourrait pas jouer au tout premier jeu qu’il avait acheté de sa vie. Le premier jour de la mise en service officielle du jeu, il avait été envoyé en voyage d’affaires à l’étranger. Le jour d’avant son départ, quand leurs regards s’étaient croisés autour de la table à manger, il s’en était plaint en rigolant ; mais elle avait senti qu’il le regrettait vraiment.

Moins extrême que Koichiro, pour Asuna qui était 3ème, les seuls jeux qu’elle avait expérimentés étaient les jeux gratuits auxquels elle jouait sur son portable de temps en temps. Elle savait qu’il existait des jeux en ligne mais, les examens d’entrée au lycée approchant, elle n’avait ni l’intérêt ni la motivation de jouer à ces jeux…du moins, elle était censée n’en avoir aucun.

Dans ce cas, pourquoi ce jour-là, un mois plus tôt, le 6 novembre 2022, était-elle entrée dans la chambre vide de son frère, avait-elle pris le Nerve Gear entièrement configuré sur son bureau et l’avait-elle mis sur sa tête avant de dire : « Lien Engagé » ? Jusqu’à ce jour, elle ne comprenait toujours pas la raison qui l’avait poussée à faire ça.

Avec ces seuls mots, tout avait changé ce jour-là…non, tout « s’était fini », pourrait-on dire.

Au début, Asuna s’était enfermée dans une chambre d’hôtel de la Ville du Début, attendant que l’incident passe mais, après deux semaines sans message du monde réel, elle avait abandonné l’espoir d’être sauvée par l’extérieur. De plus, à la même époque, plus de mille joueurs étaient morts et elle découvrit qu’on n’avait même pas dépassé le premier labyrinthe. Elle comprit que s’enfermer en attendant que quelqu’un finisse le jeu était inutile.

Le seul choix qu’il lui restait était : « le type de mort », uniquement.

Se contenter de rester dans la seule ville sûre pendant des mois, non, des années, pouvait être une solution. Cependant, personne ne pouvait être certain que la règle « les monstres ne peuvent pas entrer dans les villes » durerait toujours.

Au lieu de se terrer dans une petite chambre obscure en redoutant l’avenir, il valait mieux sortir et utiliser pleinement sa capacité à apprendre, s’entrainer et se battre. Si elle finissait par mourir, à bout de force, elle n’aurait au moins plus à s’inquiéter du passé ni à regretter un futur perdu.

Cours. Fonce tout droit. Puis disparais. Telle une météorite s’embrasant en entrant dans l’atmosphère.

S’accrochant à cette seule pensée, Asuna quitta l’auberge et sortit dans les étendues sauvages du monde des MMORPG, dont elle ne connaissait pas la moindre phrase. Elle choisit son arme et, ne se reposant que sur la seule technique qu’elle avait apprise, elle atteignit le fond du labyrinthe où personne n’avait jamais été.

Puis, aujourd’hui, vendredi 2 décembre, à 4h du matin, probablement épuisée par ses incessants et imprudents combats, elle s’est évanouie à cause de réflexes neuronaux. Et son chemin aurait dû s’arrêter là. Dans le « Palais de Fer Noir » de la Ville du Début, sur le « Monument de la Vie », vers la gauche, une ligne horizontale aurait alors creusé lentement le nom « Asuna » et tout aurait été fini…aurait dû. Et pourtant.


* * *

« Inutile… »

Asuna s’efforça à nouveau de dire ce mot. Environ quatre mètres plus loin, le manieur d’épée à une main aux cheveux bruns baissa ses yeux couleur nuit. Elle avait l’impression qu’il était un peu plus âgé qu’elle mais ce mouvement naïf la fit involontairement plisser le front.

Cependant, quelques secondes plus tard, la bouche de l’homme révéla un sourire cynique qui remplaça son impression précédente.

« Je ne t’ai pas sauvée. »

Une voix basse et calme. Elle semblait jeune mais quelque chose en elle camouflait aussi son âge.

« …Alors, pourquoi tu ne m’as pas laissée là-bas ? »

« Ce que j’ai sauvé c’étaient les données cartographiques que tu avais. En restant quatre jours sur les lignes de front, tu as dû cartographier une bonne partie du donjon inexploré. C’est un peu trop important pour disparaitre avec toi. »

Confrontée à la logique et l’efficacité, elle inspira profondément. Jusqu’à maintenant, quand les gens, en ville, lui parlaient de l’importance de la vie et de l’entraide, elle les repoussait tout bonnement―bien entendu, juste verbalement. Elle envisagea de le faire mais ne parvint pas à trouver une réponse convenable.

« …Dans ce cas, tu n’as qu’à les prendre, marmonna-t-elle doucement. »

En même temps, elle ouvrit une fenêtre. Naviguant à travers les onglets, auxquels elle s’était enfin familiarisée récemment, elle accéda à ses données cartographiques et les copia toutes vers une « feuille de peau de mouton ». Elle transforma le rouleau en objet et le jeta à côté des pieds de l’homme.

« Avec ça, ton objectif est atteint, non ? Dans ce cas, je vais y aller. »

Repoussant l’herbe de ses mains, elle se leva en oscillant légèrement. D’après l’horloge de la fenêtre, elle calcula qu’elle avait dormi sept heures depuis sa chute ; mais elle ne s’était pas encore remise de la fatigue. Pourtant, il lui restait encore trois des rapières qu’elle avait préparées. Elle avait décidé plus tôt qu’elle ne quitterait la tour qu’une fois sa dernière rapière arrivée à la moitié de sa durabilité.

Elle avait un tas de questions sans réponse. Le manieur d’épée à une main à la veste grise, quel genre de méthode avait-il utilisé pour l'amener des profondeurs du labyrinthe jusqu’à cette clairière dans la forêt ? Quitte à la déplacer, pourquoi ne l’avait-il pas amenée dans une zone sûre du labyrinthe au lieu de s’embêter à la sortir du donjon ?

Malgré tout, elle ne trouvait pas que ça méritait qu’elle se retourne pour demander. Elle fit un pas à gauche pour retourner au sombre labyrinthe dressé…mais, avant ça.

« Attends, Rapiériste-san. »

« … »

Elle l’ignora et avança de quelques pas ; mais ce qu’il dit ensuite l’a fit involontairement s’arrêter.

« Toi aussi, en gros, tu fais de ton mieux pour finir le jeu, non ? Ce n’est pas juste pour mourir dans le labyrinthe. Dans ce cas, est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux venir à la « Réunion » ? »

« …La réunion ? »

Après avoir marmonné ça, le dos toujours tourné, elle entendit l’épéiste, sur un ton changé porté par la brise légère de la forêt :

« Cet après-midi, à « Tolbana », la ville la plus proche du labyrinthe, doit se tenir la première « conférence stratégique contre le boss du rez-de-chaussée ». »


Partie 4

Le château volant, Aincrad, ayant été fait avec un grand sens du détail, le rez-de-chaussée était, bien entendu, l’étage le plus large. Le rez-de-chaussée formait presque un cercle, d’un diamètre de 10 km―c’est-à-dire, une zone d’environ 80 km2. Pour référence, Kawagoe, dans la préfecture de Saitama, occupe une superficie de 110 km2 et compte plus de 300 000 habitants.

Pour son immense taille, le rez-de-chaussée était, en fait, d'une grande variété géographique.

Au bord sud, avec un diamètre de 1 km et entourée par un mur en demi-cercle, se trouvait la « Ville du Début ». Dans les prairies qui entouraient la ville vivaient essentiellement des animaux semblables à des sangliers et à de loups ainsi que des monstres-insectes semblables à des vers, des scarabées ou des guêpes.

Au nord-ouest des prairies se trouvait une large et profonde forêt et, au nord-est, la région des lacs. Après avoir traversé l’une ou l’autre, on tombait sur des montagnes, des vallées et des ruines, où des monstres embusqués attentaient les joueurs ; et, sur le lointain bord nord de l’étage, se trouvait une haute tour ramassée, large de 300 m et haute de 100. Là, se dressait le labyrinthe du rez-de-chaussée.

A part la Ville du Début, il y avait de nombreuses petites et moyennes villes―et villages―en bien des endroits du rez-de-chaussée. La plus large d’entre elles―qui ne faisait malgré tout que 200m d’un bout à l’autre―était la ville située dans la vallée la plus proche du labyrinthe : « Tolbana ».

Des joueurs avaient atteint pour la première fois cette ville, longée d’immenses moulins à vent, trois semaines après la mise en service officielle de SAO.

A ce moment-là, le nombre total de morts s’élevait, exactement, à 1 800.


* * *

La mystérieuse rapiériste et moi avons pris la route. Tout en maintenant une certaine distance entre nous, nous avons quitté la forêt et sommes arrivés à la porte nord de Tolbana.

Des lettres violettes [ZONE INTÉRIEURE] ont afflué devant mes yeux, indiquant que j’étais entré dans une zone urbaine sûre. Là, mes épaules se sont détendues et j’ai involontairement soupiré.

Mon départ très matinal, m’avait complètement épuisé. En me retournant, je me suis dit que la rapiériste derrière-moi devait se sentir encore pire ; mais ses jambes, recouvertes par des bottes montant jusqu’aux genoux, ne semblaient pas faiblir. Même avec quelques heures de sommeil, on ne peut pas se remettre complètement de la fatigue accumulée pendant trois jours de chasse continue ; elle ne doit donc tenir que par entêtement. Une fois en ville, le corps et l’esprit―dans le monde virtuel, les deux sont en gros la même chose―devraient se détendre. J’ai envisagé de verbaliser mon opinion mais l’atmosphère semblait trop solennelle pour bavarder.

A la place, je me suis retourné vers la rapiériste et j’ai dit sur un ton professionnel :

« La réunion est censée avoir lieu au centre-ville à 16h. »

« … »

Le visage, caché par la capuche en tissu, bougea légèrement de haut en bas. Cependant, les pieds ne s’arrêtèrent pas et le corps mince me dépassa.

La brise, qui soufflait sur la ville de la vallée, faisait se balancer sa cape tandis qu’elle s’éloignait. J’ai entrouvert la bouche mais, ne sachant pas quoi ajouter, je l’ai refermée. En y repensant, j’avais joué à fond en solo pendant trois semaines. Je n’avais pas le droit de chercher à interagir avec les autres. Jusqu’à maintenant, je n’avais fait que passer les jours à protéger ma propre vie…

« Une fille étrange. »

Tout à coup, j’ai entendu ce murmure derrière-moi. J’ai tourné le dos à la rapiériste qui s’éloignait, en direction de la voix.

« …Je pensais qu’elle allait bientôt mourir, mais non. Peu importe comment on y regarde, elle débute dans les jeux en ligne mais ses talents sont redoutables. Comment on peut être comme ça ? poursuivit la voix aigüe en finissant sa phrase avec une inflexion nasale particulière. »

Cette personne n’avait pas une large carrure. Au contraire, elle faisait une tête ou deux de moins que moi ; mais c’était quand même une incroyable joueuse. L’armure, comme la mienne, était une armure intégrale en tissu et en cuir. L’arme accrochée à son flanc gauche était une petite griffe ; à droite se trouvaient des clous à lancer. Ce n’étaient pas des armes courantes pour un joueur des lignes de front ; mais la meilleure arme de cette personne était autre chose.

« Qu’est-ce que tu sais de cette rapiériste ? ai-je involontairement demandé. »

Mais, sachant ce qu’elle allait me répondre, j’ai fait la grimace. L’utilisatrice de griffe ne trahit pas mes attentes, car elle leva cinq doigts et dit :

« Je te fais un prix. 500 colls. »

Son visage souriant avait un énorme trait distinctif. Sur chacune de ses joues se trouvaient trois moustaches d’animal, dessinées avec un objet de maquillage. Avec, en plus, sa chevelure châtain bouclée, son apparence n’était pas sans rappeler un certain rongeur.

Une fois, par le passé, je lui avais demandé pourquoi elle utilisait ce genre de peintures. Cependant, j’avais seulement eu droit à un « ne demande jamais à une fille pourquoi elle se maquille » en guise de réponse, immédiatement suivi par une explosion de colère : « Je te le dirai pour 100 000 colls ! » Donc, j’avais dû rapidement abandonner.

Un jour, je trouverai un objet ultra rare et je payerai réellement les 100 000 colls―avec ce serment secret toujours en tête, j’ai répondu amèrement :

« Ça me fait bizarre d’acheter des informations sur une fille, donc je vais éviter de le faire. »

« Ni, hi, hi, tu as bon cœur. »

Celle qui me dit ça, à la limite de l’effronterie, était peut-être la première informatrice d’Aincrad ; la personne connue sous le nom d’« Argo la Ratte » rigola.


* * *

« …Si tu discutes avec la « Ratte » pendant cinq minutes, tu en auras pour 100 colls d’histoires. Fais attention. »

C’était un conseil qu’on m’avait donné. Cependant, Argo elle-même répondait qu’elle n’avait jamais fait payer pour une information libre d'accès. Quand on considérait qu’une histoire avait de la valeur, alors elle avait forcément un prix, vu que c’était une « marchandise » difficile à trouver. En y repensant, si une fausse histoire était vendue, alors l’informateur perdait sa crédibilité. Pour un marchand, rassembler des informations impliquait un genre différent de danger et d’ennuis comparé à rassembler des objets matériels dans les donjons et les vendre à des PNJ[9] en ville.

J’ai envisagé poser une question sexiste : « Qu'est-ce qui peut pousser une joueuse à choisir ce genre de boulot ? »… Mais, après avoir vu le visage d’Argo, j’ai décidé de ne pas poser une telle question. Même si je la posais, elle me demanderait à nouveau 100 000 colls pour la réponse ; donc, à la place, j’ai posé une autre question :

« Donc, aujourd’hui encore ? Tu n’es pas là pour une discussion d’affaire normale ; mais en tant que négociatrice pour cette mystérieuse personne ? »

En entendant ça, Argo a froncé les sourcils et jeté rapidement un coup d’œil à gauche et à droite de la rue. Elle a ensuite désigné du doigt une place derrière-moi et nous avons rejoint la ruelle d’à-côté. Il restait deux heures avant la « conférence stratégique contre le boss », donc il n’y avait pas encore beaucoup de joueurs ici ; mais, juste au cas où. Elle considérait que ce n'était pas une chose à laisser tomber dans une oreille indiscrète. C’était certainement lié à la réputation de la mystérieuse personne.

Une fois bien enfoncés dans la petite ruelle, Argo s’arrêta. Elle appuya son dos contre une maison―habitée uniquement par des PNJ, bien entendu―et acquiesça.

« Eh bien, ouais. C’est monté à 29 800 colls. »

« L’offre est de 29 800 colls maintenant, hein… »

J’ai souri sarcastiquement, puis baissé les épaules.

« …Désolé, peu importe combien de colls on m’en offre, ma réponse reste la même. Je ne veux pas la vendre. »

« J’ai déjà dit ça au client la dernière fois. »

Le travail principal d’Argo c’était informatrice ; mais, en utilisant ses stats de dextérité très élevées pour se déplacer, elle assurait aussi un boulot complémentaire de « messagère ». Normalement, il s’agissait uniquement de délivrer des messages oraux ou de courts messages sur rouleaux ; mais, après environ une semaine de négociations avec son client, c’était compliqué… Disons plutôt que c’était un client ennuyeux.

Il―ou elle―voulait acheter mon épée longue à une main, « Lame Détrempée +6 (3T3D) ».


Partie 5

Le système d’amélioration des armes de SAO était simple comparé à ceux des MMORPG récents. Les paramètres améliorables étaient Tranchant, Vitesse, Précision, Masse et Durabilité ; cinq bonus qu’on pouvait attribuer à une arme en demandant à des PNJ ou joueurs forgerons de travailler dessus. Les matériaux de paramétrage requis et le taux spécifique d’échec étaient semblables à d’autres MMORPG.

Quel que fût le paramètre apporté par l’amélioration, le nom de l’objet dans la fenêtre d’équipement se voyait ajouter un +1 ou +2. Cependant, le « détail » de ce chiffre ne pouvait être vu que si on sélectionnait l’arme, une fois la fenêtre de propriétés ouverte. Pour les ventes entre joueurs, dire qu’un objet avait « Précision +1, Masse +2 » plus d’autres stats était rapidement devenu fastidieux. A la place, les joueurs utilisaient une abréviation : par exemple, un +4 dont le détail était +1 de Précision, +2 de Masse et +1 de Durabilité, était annoncé par la phrase « 1P2M1D ». Ce style d’abréviation était déjà plutôt répandu.

De la sorte, ma « Lame Détrempée +6 (3T3D) » avait +3 de Tranchant et +3 de Durabilité. Pour obtenir un objet de cette qualité au rez-de-chaussée il fallait vraiment beaucoup de patience et de chance. A cause de la situation, peu de joueurs développaient la compétence « Forge », qui n’était pas directement liée au taux de survie. Et je n’étais pas rassuré par le niveau de compétence des forges de PNJ, même si les PNJ forgerons avaient vraiment des airs de nains[10].

Avant amélioration, mon arme, la « Lame Détrempée », avait été la récompense d’une quête très difficile. Au vu de ses spécificités actuelles, c'était peut-être bien l’objet le plus recherché du rez-de-chaussée… Ceci étant dit, ce n’était quand même qu’un « équipement de débutant ». Je ne pouvais l’améliorer, au mieux, que quelques fois de plus ; et, de toute façon, vers le 3ème ou 4ème Étage, j'allais devoir en changer pour une nouvelle épée. Donc je n’avais pas besoin de continuer à améliorer celle-ci.

Pour les raisons citées ci-dessus, je me demandais pourquoi le client d’Argo était prêt à payer une aussi grande somme de colls―29 800―pour cette épée. S'il avait s'agit d'une transaction normale en face à face, j’aurais pu demander directement la raison, mais c’était impossible sans même savoir le nom du client.

« …La personne a payé un bakchich de 1 000 colls, n’est-ce pas ? »

A ma question, Argo acquiesça calmement et dit :

« C’est ça. Tu veux proposer mieux ? »

« Hum… 1 000, hein… hum…m ! »

Le bakchich était la somme de colls que Mr.X―qui voulait acheter mon épée―avait payé à Argo pour qu’elle ne me dise pas son nom. Si je décidais de payer les 1 100 colls, Argo enverrait aussitôt un message à son client pour l’informer que le coût du bakchich était monté à 1 200 colls et lui demander s’il voulait monter sa mise. Si la réponse était OUI, alors, cette fois, ce serait à moi de choisir entre payer 1 300 colls ou non. Si je gagnais ces enchères, j’apprendrais alors le nom de l’adversaire ; mais, en conséquence, je perdrais de l’argent dans cette « vente d’épée ». Peu importe comment on y regarde, ça aurait été extrêmement idiot.

« …Bon sang, tu ne te contentes pas juste de vendre de l’information, même ne rien vendre te rapporte… Ton âme de marchand est vraiment remarquable… »

Tandis que je me plaignais, les joues moustachues d’Argo se détendirent et elle eut un rire sarcastique.

« C’est la vraie joie du commerce. Quand je vends de l’information à quelqu’un, au même moment, je donne naissance à l’information « quelqu’un a acheté telle ou telle information ». »

« …Dis-le moi si une joueuse veut mes infos personnelles. J’achèterai ses informations. »

J’ai soupiré en disant ça et Argo a eu à nouveau un rire enjoué avant de changer d’expression.

« Bon, je vais dire au client que l’offre a été à nouveau rejetée. Et puis, que cette négociation est impossible, aussi. A plus alors, Ki-bou. »

Avec un salut de la main, elle s’est retournée et, avec une dextérité digne d’une « Ratte », elle a quitté la ruelle. Tandis que je regardais la chevelure châtain disparaitre dans la foule, je me suis dit en passant : « Cette personne ne mourra sûrement pas. »

Après un mois d’enfermement dans SAO, le jeu de mort, j’avais appris quelques trucs.

Ce qui faisait la différence entre la vie et la mort des joueurs c’étaient certains facteurs clés. Transporter une énorme quantité de potions et savoir quand arrêter son exploration des donjons, étaient des éléments déterminants ; mais, l’un des facteurs clés de vie ou de mort était la croyance inconditionnelle en « sa propre vérité ». Pour le dire autrement, c’était l’« ultime arme » de survie.

Dans le cas d’Argo, c’était probablement l’« information ». La localisation des monstres dangereux ou, à l'inverse, les zones de chasse les plus rentables, cette personne les connaissait toutes. Sa foi en son savoir l’apaisait et accroissait sa capacité à survivre.

De la même façon, pour moi, ma « vérité » était l’épée dans mon dos. Pour être exact, c’était le moment où mon corps et mon épée ne faisaient plus qu’un ; ce moment de sérénité. Je n’étais pas constamment plongé dans cet état mais la seule pensée « je veux que ce monde m’appartienne et je ne mourrai pas avant ça » m’avait gardé en vie jusqu’à présent. J’avais ajouté à ma Lame Détrempée +3 de Tranchant et +3 de Durabilité, sans tenir compte de la Vitesse et de la Précision, parce que les deux premiers augmentaient simplement les chiffres de spécificité, tandis que les deux derniers amélioraient l’assistance-système, laquelle aurait modifié la sensation du coup d’épée.

Cependant, dans ce cas, ça voulait dire…

La rapiériste que j’avais rencontrée aujourd’hui sur les lignes de front du labyrinthe… Quelle était sa « vérité » ? J’avais bien déplacé son corps inconscient hors du labyrinthe (moi-même, je ne peux pas vraiment dire comment j’ai fait). Mais, d’un autre côté, même si je n’avais pas été là, j’étais persuadé qu’à l’apparition du prochain Kobold elle se serait involontairement levée et aurait utilisé son « Linear » aussi rapide qu’une étoile filante pour tuer l’ennemi… Je me devais de penser ainsi.

Pourquoi s’était-elle lancée dans une bataille aussi effroyable ? Comment avait-elle réussi à vivre jusqu’à maintenant ? Il s’agissait probablement d’une « force » qui m'était étrangère.

« …J’aurais dû payer les 500 colls à Argo… ai-je murmuré en secouant légèrement la tête. »

La lumière de l’après-midi teignait d’un orange léger les murs extérieurs blancs des moulins à vent qui entouraient Tolbana. Il devait être un peu plus de 15h. Il valait mieux que j’aille me remplir l’estomac quelque part, en prévision de la longue conférence stratégique qui approchait.

La réunion qui commençait à 16h allait être, sans le moindre doute, houleuse.

Parce que, pour la première fois aujourd’hui, un certain type de joueurs—qui restait habituellement caché dans le monde de SAO—allait se montrer devant de nombreux joueurs normaux. En effet…entre le « Nouveau Type de Joueurs » et les « Bêta-Testeurs Expérimentés » s’étendait un fossé difficile à combler…

Chez « Argo la Ratte », qui vendait tout ce qui pouvait être vendu, un seul type d’information était absent du stock. C’était l’identité des bêta-testeurs. Argo et moi savions avec certitude que nous étions tous deux des bêta-testeurs ; mais jamais ce sujet ne serait mis sur la table, peu importait le nombre d’années-lumière que nous avions à parcourir.

La raison était simple. Quand l’identité d’un bêta-testeur était découverte, sa vie était possiblement en danger.

Non pas à cause des monstres des donjons. Mais, en marchant hors des zones sûres, tu risquais d’être « exécuté » par des joueurs du « nouveau type ». Parce qu’ils pensaient que la responsabilité des 2 000 morts du premier mois incombait aux bêta-testeurs.

Et, pour ma part, je n’étais pas totalement hors de cause.


Partie 6

Le menu d’Asuna durant les trois―ou était-ce quatre―derniers jours avait été composé du pain noir le moins cher d’un PNJ boulanger et d’une bouteille d’eau de l’une des fontaines de la ville.

Elle n’aimait pas manger trop, même dans le monde réel ; et la nourriture du monde virtuel était tellement dénuée de sens qu’elle était au-delà de toute description. Peu importait combien elle mangeait, pas un seul grain de sucre n’atteindrait son vrai corps. Elle aurait préféré que le système de nourriture―de faim et de satiété―n’existe pas du tout. Mais, quand le ventre restait vide pendant un moment, le sentiment virtuel de faim ne disparaissait qu’à condition de manger quelque chose.

Dans le donjon, elle avait réussi à faire taire la sensation de vide dans son ventre à la force de sa volonté ; mais, maintenant qu’elle était de retour en ville, il lui fallait manger. Pour compenser son manque de volonté, elle acheta la chose la moins chère du menu : un pain sec, rugueux et noir. En mâchant le pain morceau par morceau, son goût relativement bon provoqua en elle une étrange frustration.

Au centre-ville de Tolbana, Asuna s’assit sur un simple banc en bois à côté de la fontaine et continua silencieusement à mâcher le morceau de pain qu’elle avait en bouche, sous le couvert de sa capuche. Son pain avait beau être plutôt grand, il ne coûtait qu’un coll.

Elle en avait enfin avalé la moitié quand…

« Ce pain a l’air délicieux. »

La voix familière venait de sa droite. Elle arrêta sa main, sur le point d’arracher un morceau du pain, et lança un coup d’œil acéré.

La personne qui se tenait là était l’homme qu’elle venait de quitter à l’entrée de la ville, il y avait de cela quelques minutes. Le manieur d’épée à une main aux cheveux bruns et à la veste grise. Plus tôt, il avait trouvé le moyen de la ramener à l’extérieur, alors qu’elle s’était évanouie dans les profondeurs du donjon. C’était ce type pénible qui avait interféré avec sa route supposément « prête à s’achever ».

Soudain, elle se rendit compte que ses joues étaient devenues chaudes. Après avoir affirmé qu’elle souhaitait mourir, elle était vue en train de manger ; chose qui permettait de rester en vie. Tout son corps fut assailli par une gêne énorme et elle resta toute bête.

Tandis qu’elle restait figée avec son pain noir en forme de demi-lune dans les mains, l’homme se racla la gorge et dit en chuchotant tout bas :

« Puis-je m’asseoir à côté de toi ? »

Normalement, dans ce genre de situation, elle aurait quitté le banc sans un mot et se serait éloignée sans se retourner. Cependant, dans l’immédiat, elle était assaillie par un trouble qu’elle avait rarement ressenti dans ce monde, elle ne put donc pas réagir. Interprétant l’immobilité d’Asuna comme un signe d’acceptation, l’homme s’assit le plus loin possible à sa droite et commença à fouiller la poche de sa veste. Il en sortit un objet rond de couleur noire―un pain noir d’une valeur de 1 coll.

A cet instant, Asuna oublia temporairement sa gêne et sa confusion et, à la place, regarda l’homme avec stupeur.

Vu qu’il avait la capacité de s’enfoncer aussi profondément dans le labyrinthe et vu le niveau de son armure intégrale et de son équipement, cet épéiste devait avoir largement assez d’argent pour prendre un menu complet dans un restaurant. Si c’était le cas, il était soit super économe, soit…

« …Sérieusement, tu trouves ça délicieux, non ? »

Sans s’en rende compte, elle laissa la question s’échapper à mi-voix. En entendant ça, l’homme leva excessivement les sourcils avant d’acquiescer vivement.

« Bien sûr. Depuis que je viens dans cette ville, je mange ça une fois par jour. …Bon, j’y ajoute un petit truc. »

« Un truc…? »

Ne comprenant pas le sens de ses paroles, elle secoua la tête sous sa capuche. Au lieu de répondre, l’épéiste plongea sa main dans la poche opposée à celle de tout à l’heure et en sortit un petit pot en terre non émaillé. Il le posa au milieu du banc et dit :

« Essaye d’utiliser ça sur le pain. »

La phrase « utilise ça sur le pain » la troubla pendant un instant, mais elle comprit ensuite que c’était une phrase de jeu en ligne, semblable à « utilise la clé sur la porte » ou « utilise la bouteille sur la fontaine ». Elle tendit sa main droite avec hésitation et tapota sur le couvercle du pot avec son doigt. Dans le menu pop-up qui apparut, elle sélectionna « Utiliser » et, là, le bout de son doigt se mit à luire légèrement en violet. Cet état était appelé « Mode sélection de cible ». Dans cet état, elle toucha ensuite le pain noir à moitié mangé qui se trouvait dans sa main gauche.

Cette action peignit un côté du pain en blanc, avec un petit effet sonore. Beaucoup de…ou, plutôt, une couche épaisse de…peu importe comment on y regarde…

« …crème ? D’où tu sors ça…? »

« C’est la récompense de la quête « Contrattaque de la Vache » que j’ai acceptée un village en arrière. Même si, vu qu’il faut un certain temps pour la finir, peu de gens la font. »

Après avoir sérieusement donné sa réponse, l’épéiste fit lui aussi le mouvement « Utiliser le pot sur le pain ». Tout le contenu avait peut-être été utilisé, car le pot se dispersa tout à coup avec un léger effet sonore et lumineux. L’épéiste ouvrit grand la bouche et mordit dans le pain qui était maintenant pareillement enseveli sous une tonne de crème. En entendant les effets sonores de mâchage, le ventre d’Asuna, qui avait été désagréablement douloureux pendant un long moment, ressentait maintenant le besoin sain de se remplir.

Elle mordit avec hésitation dans le pain noir recouvert de crème qu’elle tenait toujours dans sa main gauche.

A cet instant, la texture du pain, normalement sèche et rugueuse, changea considérablement. Le goût d’un certain gâteau campagnard se répandit dans sa bouche ; la crème était sucrée et coulante, avec un goût rafraichissant de yaourt amer. L’intérieur de ses joues était frappé par des secousses électriques de satisfaction. Asuna se remplit rêveusement la bouche avec deux, puis trois bouchées.

Quand elle revint à elle, le pain qui se trouvait dans ses mains avait, littéralement, totalement disparu. Elle regarda à côté d’elle. Apparemment, elle avait fini environ deux secondes avant l’épéiste. A nouveau, une gêne énorme monta en elle. Elle voulait fuir de là mais, vu qu’il lui avait offert à manger, ça n’aurait vraiment pas été poli.

Après avoir inspiré et expiré plusieurs fois pour se calmer, Asuna dit d’une voix faible :

« …Merci pour le repas. »

« De rien. »

L’épéiste finit son propre repas puis fit tomber les miettes de ses doigts gantés avant de continuer :

« La quête de la vache dont je parlais tout à l’heure, si tu veux la faire je peux t’apprendre quelques trucs. Si tu es efficace, tu peux finir en deux heures. »

« … »

Pour être honnête, ça ne la laissait pas indifférente. Avec cette crème au yaourt, même du pain noir à 1 coll pouvait devenir un merveilleux festin. C’était une fausse satisfaction créée par la machine de reproduction du goût ; mais, y goûter encore une fois… Non, si possible, je veux en manger tous les jours, pensa-t-elle.

Cependant…

Asuna baissa les yeux et secoua la tête sous sa capuche.

« …Pas la peine. Je n’ai pas fait tout ce chemin jusqu’à cette ville pour venir me régaler. »

« Hum. Alors c’était pour quoi ? »

On ne pouvait pas dire que l'épéiste avait une belle voix ; mais elle n’avait absolument rien de déplaisant à l’oreille : elle sonnait comme la voix d’un jeune homme. Peut-être à cause de ça, les émotions tapies au fond de son cœur―celles dont elle n’avait jamais parlé à personne depuis son arrivée dans ce monde―s’échappèrent sans qu’elle s’en rende compte.

« Je…veux prouver que j’existe. Au début, je me suis enfermée dans une chambre d’auberge en ville. Mais j’ai décidé que, quitte à pourrir à petit feu, je voulais rester moi-même jusqu’au tout dernier instant. Même si je perds contre un monstre et meurs, ce jeu…ce monde… Moi non plus je ne veux pas perdre. Quoi qu’il m’en coûte. »

Asuna… Les 15 années de vie d’Asuna Yuuki avaient été une bataille continuelle. Ça avait débuté avec l’examen d’entrée en maternelle, puis beaucoup de petits et grands tests avaient suivi ; Asuna les avait tous surmontés. La règle était que le moindre échec ferait d’elle une bonne à rien ; elle avait donc continué à faire face.

Un nouveau défi lui avait été lancé après 15 ans de combat : « Sword Art Online ». Cependant, elle ne pouvait probablement pas réussir ce test. Se battre contre l’inconnu, avec des règles et des cultures différentes, c’était un genre de combat contre lequel la force d’une seule personne ne pouvait rien.

La condition de victoire donnée était la suivante : atteindre le sommet du château flottant de 100 étages et tuer le dernier ennemi. Cependant, un mois après le début du jeu, environ un cinquième des joueurs s’étaient retirés―et la plupart d’entre eux étaient des vétérans expérimentés. La force de combat restante était petite et la route à parcourir longue…

Au bout du compte, le flot de mots qui sortait du cœur d’Asuna s’affaiblissait puis se raffermissait tandis qu’elle parlait par bribes. Les parties décousues formaient des monologues incohérents que l’épéiste aux cheveux brun écoutait en silence… Finalement, la voix d’Asuna fut interrompue par la brise du soir, puis il murmura calmement un simple mot :

« …Désolé. »

Après quelques secondes, Asuna se demanda : « Pourquoi il dit ça ? »

Elle avait rencontré cet épéiste pour la première fois aujourd’hui, il ne devait donc avoir aucune raison de s’excuser. Sous sa capuche, elle jeta un coup d’œil à la personne à côté d’elle. L’homme à la veste grise était à peine assis sur le banc, penché en avant, les coudes posés sur ses genoux. Ses lèvres bougèrent légèrement et elle entendit à nouveau sa voix :

« Désolé… La situation actuelle…ou, en d’autres termes, ce qui t’a poussée dans tes retranchements, dans un sens, c’est peut-être ma… »

Mais elle ne put pas entendre le reste. Dressée haut au centre de la ville, sur un immense moulin à vent, une horloge alimentée par le vent résonna haut et fort.

Il était 16h. L’heure à laquelle la « réunion » débutait. Regardant autour d’elle, Asuna vit que des joueurs s’étaient rassemblés devant une fontaine proche, depuis dieu savait quand.

« …Allons-y. C’est la conférence à laquelle tu m’as invitée. »

Asuna fit remarquer ça en se levant et l’épéiste acquiesça puis se leva lentement. Ce qu’il allait dire… Elle ne lui reparlerait probablement jamais, de toute façon ; ça n’avait donc pas d’importance. Mais, dans ce sentiment, il y avait une émotion semblable à la piqûre d’une épine.

Je veux savoir. Je ne veux pas savoir. Quelle était son envie dominante, même Asuna n’en avait aucune idée.


Partie 7

44 Personnes.

C’était le nombre total de joueurs rassemblés sur la place de la fontaine à Tolbana.

Comparé à mes prédictions―ou, plutôt, mes attentes―tout ce que je pouvais dire c’était que c’était bien trop peu. Dans SAO, une équipe pouvait, au maximum, être composée de 6 personnes ; et, avec huit fois ça―pour un total de 48 personnes―on formait un groupe de raid. Il serait difficile de vaincre le boss d’un étage sans pertes humaines sans, au moins, deux groupes de raid ; afin de switcher[11] de l’un à l’autre pendant le combat. Mais, avec ce nombre, on ne pouvait même pas former un groupe de raid.

J’ai inspiré pour pousser un soupir mais j’ai perdu l’occasion d’expirer.

« …Autant que ça… »

De derrière-moi à gauche, la rapiériste enveloppée dans une cape à capuche murmura. Malgré moi, je me suis retourné et j’ai demandé :

« « Autant »…? Ce nombre de personnes ? »

« Oui. Je veux dire… Ils se sont rassemblés ici pour défier pour la première fois le boss de cet étage, non ? Alors qu’il y a un risque d’annihilation totale… »

« …Je vois. »

J’ai acquiescé puis j’ai à nouveau regardé les visages des guerriers rassemblés par groupes de trois ou cinq sur la place.

Il y avait environ cinq ou six personnes dont je connaissais le nom et le niveau, et vice versa. Cela incluait « Argo la Ratte », qui était appuyée contre un haut mur de l’autre côté de la place. Il y avait aussi une quinzaine de personnes que j’avais vues auparavant près des villes et donjons de la ligne de front. Quant à la vingtaine de personnes restante, je les voyais pour la plupart pour la première fois. Bien entendu, la proportion hommes/femmes était extrême. Du côté des joueuses, à vue d’œil, il n’y avait probablement que la rapiériste et Argo ; sans doute juste ces deux-là.

En effet, personne n’avait vu―du moins, dans « cet » Aincrad―le boss du rez-de-chaussée. Jusqu’à présent, sur cet étage, c’était définitivement dans cette bataille de grande envergure qu’on avait le plus de chances de voir sa jauge de PV tomber à zéro―qu’on risquait de mourir. Comme l’avait dit la rapiériste, toutes les personnes réunies sur la place s’étaient préparées à mourir et, en venant ici, avaient accepté de devenir des marches-pieds pour les joueurs suivants… C’était ce que ça voulait dire, mais…

« …Non, pas vraiment…, ai-je murmuré inconsciemment. »

Sous sa capuche, la rapiériste m’a regardé d’un air interrogateur. En voyant ça, j’ai répondu en choisissant mes mots avec précaution :

« Je ne peux pas dire ça de tout le monde mais, plutôt que de « montrer leur esprit sacrificiel », je pense que beaucoup de gens sont aussi venus ici avec la « crainte d’être laissés derrière ». Pour ma part, c’est probablement le second cas… »

« … « Laissé derrière » ? Par rapport à quoi ? »

« Par rapport à la ligne de front. L’annihilation totale est effrayante mais se laisser intimider par un boss inconnu est aussi effrayant. »

La cape en tissu s’inclina légèrement sur le côté. Vu que c’était une totale débutante des jeux en ligne, il allait être difficile de lui faire comprendre ce que je venais de dire. C’est ce que j’avais cru…

« …C’est comme…ne pas vouloir tomber sous la barre des dix premiers dans le classement des élèves de son niveau d'étude, ou vouloir garder un z-score de 2[12]. Ce genre de motivation ? »

« … »

Cette fois, c’est moi qui suis resté bouche bée. En y repensant un peu, j’ai acquiescé avec un angle étrange.

« Ouais…enfin, probablement… C’est peut-être ça… »

Puis…

Apparaissant sous sa capuche, ses lèvres joliment dessinées se sont légèrement courbées vers le haut. Fu, fu… On pouvait entendre un petit son. Un rire…c’était de ça qu'il s'agissait ? De la part de l’utilisatrice d’une technique « Linear » ultra parfaite qui avait qualifié mes actions d’« effort inutile » après que je l’aie sortie du labyrinthe ?

Inconsciemment, j’ai voulu regarder directement à l'intérieur de la capuche mais, heureusement, la situation changea avant. Avec le « Pan, Pan » d’un claquement de mains, une voix portante retentit à travers la place :

« Oooook ! Bon, on a cinq minutes de retard, mais commençons ! Tout le monde, avancez un peu…voilà, avancez encore de trois pas ! »

Le détenteur de cette voix réellement majestueuse était un grand manieur d’épée à une main, portant une armure en métal luisant sur chaque partie du son corps. Il prit son élan et sauta sur le rebord de la fontaine de la place. Pour sauter aussi haut avec son armure, il devait avoir une force et une dextérité très élevées.

Quand ils virent l’épéiste, dos tourné, plusieurs personnes parmi la quarantaine firent du vacarme. Je comprenais ce qu’ils ressentaient. Moi aussi, je me demandais : cet homme debout sur le rebord de la fontaine, comment faisait-il pour être aussi beau, à un point normalement impossible dans un VRMMO ? En plus, ses longs cheveux, qui tombaient en vagues de chaque côté de son visage, étaient teints d’un bleu éclatant. Vu que les teintures pour cheveux n’étaient pas vendues dans les magasins du rez-de-chaussée, il avait dû partir en quête d’un drop de monstre rare ou l’acheter.

S’il avait pris la peine de personnaliser la coupe et la couleur de ses cheveux pour ce rassemblement, avec seulement deux joueuses―même si l’une d’elles était sous une cape à capuche, de sorte que personne ne pouvait le deviner d’après son apparence extérieure, et l’autre était la « Ratte »―, je me suis dit qu’il devait ressentir une certaine réticence. Mais l’homme déjoua totalement mes soupçons avec un sourire rafraichissant et dit :

« Aujourd’hui, merci d’avoir répondu à mon appel ! Certaines personnes ici me connaissent mais je vais à nouveau me présenter ! Je suis « Diabel » et ma profession est « Chevalier » ! »

Entendant ça, les personnes autour de la fontaine lancèrent des sifflets et des applaudissements, mêlés d’apostrophes du type : « En vérité, tu voulais dire « Héros », hein ! ».

Dans SAO, les catégories de métiers ne faisaient pas partie du système. Chaque joueur se voyait attribuer un certain nombre de « Slots de Compétence » et pouvait librement choisir parmi différentes compétences celles qu’il voulait exercer. Par exemple, les personnes qui avaient principalement des compétences d’artisanat ou de commerce pouvaient être appelées des « Forgerons », des « Couturiers », des « Cuisiniers », ou d’autres noms de métiers du même genre… Cependant, j’avais une connaissance limitée des classes « Chevalier » et « Héros », n’en ayant jamais entendu parler avant.

Mais, peu importait le genre de classe qu’on se donnait, c’était notre propre choix. D’ailleurs, le dénommé Diabel avait une armure en bronze sur sa poitrine, ses épaules, ses bras et tibias, une large épée longue sur son flanc gauche et un bouclier normand[13] dans son dos. On pouvait dire que c’était l’équipement approprié pour un « Chevalier ».

Cette apparence héroïque… Tout en le regardant de derrière la foule, je fouillais l’index que j’avais en tête. Son équipement et sa coupe étaient différents, il était donc dur de faire le lien mais, pendant ce mois, je me rappelais l’avoir vu de nombreuses fois dans les villages et villes de la ligne de front. Et, avant ça―dans « l’Autre Aincrad », qu’en était-il de là ? Au moins, je ne me rappelais pas avoir entendu ce nom avant…

« Bon, concernant la raison pour laquelle je vous ai rassemblés, vous, l’élite des joueurs, qui êtes actifs au cœur des lignes de front, je ne pense pas avoir besoin de le dire… »

Tandis que Diabel poursuivait son discours, j’ai stoppé mes réflexions et me suis concentré sur lui. Le « Chevalier » aux cheveux bleus leva sa main droite, pointa du doigt l’immense tour qu’on voyait vaguement se dresser au-dessus de la ligne de toits de la ville―le labyrinthe du rez-de-chaussée―, puis il continua :

« …Aujourd’hui, mon équipe a trouvé les escaliers qui montent au dernier étage de cette tour. Donc, demain―ou, au plus tard, après demain―nous l’aurons atteinte : la salle…du boss du rez-de-chaussée ! »

Un énorme brouhaha se fit entendre parmi les joueurs. J’étais moi aussi un peu surpris. Le labyrinthe du rez-de-chaussée comportait 20 étages ; moi (et la rapiériste à côté de moi), j’avais été jusqu’au 18ème étage aujourd’hui, vers la zone d’escaliers du 19ème étage. Je ne savais pas que le 19ème étage avait déjà été aussi minutieusement cartographié.

« Un mois. Pour aller jusque-là il a fallu un mois… Malgré tout, nous devons donner l’exemple. Tuer le boss et atteindre l’étage suivant ! Nous devons montrer que ce jeu de mort peut être terminé à tous ceux qui attendent dans la Ville du Début. C’est notre devoir à nous, l’élite des joueurs ici présente ! Vous ne pensez pas, vous autres ? »

A nouveau, des acclamations. Cette fois, certaines des personnes qui applaudissaient n’étaient pas des amis de Diabel. En fait, ses paroles étaient respectables et il n'y avait rien de caché derrière. Non, il était même étrange de penser que quoi que soit se cachait derrière ces mots. Pour le moment, je devrais faire comme ces joueurs, autrefois divisés sur les lignes de front, et gober l’histoire du « Chevalier » et l’applaudir…

« Une minute, Chevalier-san. »

A ce moment, une voix grave émergea.

La clameur fut aussitôt interrompue et le devant de la foule se divisa en deux. Au centre de cet espace vidé se trouvait un homme assez petit à l’allure trapue. D’où j’étais, je ne pouvais voir qu’une épée à une main assez large dans son dos et une sorte de chevelure châtain, pointue comme un cactus.

Avançant d’un pas, la tête de cactus gronda d’une voix profonde et râpeuse qui était l’inverse de la belle voix de Diabel :

« Avant ça, il y a une chose qui doit être clarifiée ; sans quoi je ne peux pas me joindre à vous. »

Diabel plissa les yeux pendant un instant mais redevint vite tout sourire et dit en faisant un signe :

« Les opinions sont, bien entendu, très bienvenues. Mais, si tu veux parler, tu devrais nous dire ton nom. »

« …Hum. »

La tête de cactus poussa un profond grognement puis s’avança. Quand il atteignit la fontaine, il se retourna vers nous.

« Je m’appelle « Kibaou ». »


Partie 8

L’épéiste à la tête de cactus, qui s’était présenté sous un nom de personnage plutôt osé[14], regarda l’ensemble des joueurs de la place de ses petits yeux―qui n’en étaient pas moins vifs et luisants.

Le mouvement horizontal de ses yeux s’arrêta juste un instant sur mon visage―du moins je crus que c’était le cas. Je ne me souvenais pas de son nom, pas plus que de l’endroit où on avait pu se rencontrer avant. Après avoir pris largement son temps pour nous regarder tous une bonne fois, Kibaou dit finalement d’une voix au ton menaçant :

« Là-dedans, il y a environ 5 ou 10 personnes qui doivent s’excuser. »

« S’excuser ? Auprès de qui ? »

Le « Chevalier » qui se trouvait toujours debout derrière-lui sur le rebord de la fontaine, Diabel, leva ses deux mains d’un geste interrogatif. Sans le regarder, Kibaou cracha avec haine :

« Ha, c’est évident, non ? Auprès des, maintenant, 2 000 morts. Ces types avaient le monopole de tout et 2 000 personnes sont mortes en un mois ! C’est la vérité, non ?! »

A cet instant, le bourdonnement sourd de l’assemblée d’une quarantaine de personnes s’arrêta brusquement ; tout devint silencieux. Ce que Kibaou voulait dire, tout le monde l’avait enfin compris. Moi aussi, bien entendu.

Au milieu du silence oppressant, seule résonnait la douce musique de fond du soir de l’orchestre des PNJ. Personne ne disait rien. Si quoi que ce soit était dit, alors, à cet instant, la personne risquait d’être cataloguée comme l’un de « ces types »―une telle crainte était probablement présente. Non, pas « probablement ». Tout au moins, j’étais clairement envahi par cette peur…

« Kibaou-san. Ton « ces types » c’est…les bêta-testeurs, n’est-ce pas ? »

Diabel, les bras croisés, montra son regard le plus grave jusqu’à maintenant en demandant confirmation.

« Évidemment. »

En faisant cliqueter les épaisses pièces de métal de son armure d’écailles[15] sur le cuir qu’il portait, Kibaou jeta un coup d’œil vers le « Chevalier » derrière-lui avant de poursuivre :

« Ces bêta-testeurs, le jour où ce jeu de merde a commencé, ils ont quitté la Ville du Début en courant et ont disparu. Ils ont laissé derrière-eux plus de 9 000 personnes qui ne savaient rien de rien. Ils ont monopolisé les bons terrains de chasse et les quêtes rentables, ils se sont renforcés sans s’inquiéter de ceux qu’ils avaient laissés derrière. …Il devrait y en avoir quelques-uns dans ce groupe, qui cachent leur statut de bêtas ; quelques personnes sournoises pensant intégrer le combat contre le boss. Je veux qu’ils s’agenouillent une bonne fois, devant les équipiers dont leur vie va dépendre. C’est ce que je veux dire ! »

En accord avec son nom[14], il acheva son accusation d’un claquement de dents violent. Malgré tout, personne ne dit rien. En tant que membre du groupe des bêta-testeurs, j’ai serré les dents, retenu mon souffle, et gardé le silence.

Ce n’était pas l’envie qui me manquait de répliquer un truc du genre : « Les bêta-testeurs, tu crois qu’aucun d’eux n’est mort ? ».

Environ une semaine plus tôt, j’avais acheté des informations à Argo―pour être exact, je lui avais demandé de vérifier quelque chose : de découvrir le total de morts parmi les bêta-testeurs.

Les bêtatests fermés de SAO, qui avaient eu lieu durant les vacances d’été, n’avaient fait appel qu’à 1 000 personnes. Tous avaient eu le droit d’acheter le jeu officiel avant les autres ; mais, vu que le lancement était proche de la période d'examens, à mon avis, seule une partie des 1 000 testeurs était passée à la version officielle. Probablement 700 ou 800 personnes―c’était ça le nombre total de bêta-testeurs au début du jeu.

Cependant, découvrir « l’identité des bêta-testeurs » n’était pas si simple. S’il y avait eu le symbole [β] sur le curseur coloré des joueurs, alors, bien sûr, ça aurait été facile―ceci étant dit, on pouvait considérer que l’absence d’un tel symbole était une chance. Pour ce qui est de l’apparence de l’avatar, le MJ[16], Akihiko Kayaba, avait fait en sorte que l’apparence de chacun soit identique à la réalité. La seule chose sur laquelle on pouvait s’appuyer c’était le nom ; mais beaucoup avaient probablement été changés entre les tests et la version officielle. A ce propos, la certitude qu’Argo et moi avions concernant nos identités respectives de bêta-testeurs était liée à notre première rencontre… Mais c’était une autre histoire.

Quoi qu’il en soit, pour ces raisons, la recherche d’Argo aurait dû être vraiment difficile. Pourtant, il ne lui fallut que 3 jours pour me donner un chiffre.

Environ 300 personnes. C’était l’estimation d’Argo du nombre de bêta-testeurs décédés.

Si ce chiffre était juste, cela voulait dire que, parmi le total actuel de 2 000 personnes, 1 700 étaient des nouveaux participants. Proportionnellement parlant, le taux de mortalité des nouveaux joueurs avoisinait les 18%. De l’autre côté, le taux de mortalité des bêta-testeurs approchait les 40%.

Une connaissance et une expérience antérieures n’équivalaient pas toujours à la sécurité. A l’inverse, elles pouvaient être un piège. Personnellement, ayant accepté une quête dès le premier jour de ce jeu de mort, j’avais failli mourir. De plus, il y avait des facteurs extérieurs. Dans cette version officielle de SAO, la géographie, les monstres et les objets étaient en majeure partie identiques aux bêtatests ; mais, de temps en temps, il y avait juste une simple différence, comme une petite aiguille au poison mortel…

« Puis-je parler ? »

A ce moment, un baryton énergique et enveloppant résonna sur la place aux couleurs du soir. J’ai quitté mes pensées et dressé la tête. Du côté gauche de la foule, une silhouette s’avança.

Immense. Sa taille devait dépasser facilement les 1m80. Apparemment, la taille d’un avatar n’avait aucune influence sur ses stats, mais la hache de combat à deux mains suspendue dans son dos semblait vraiment légère pour lui.

Son apparence aussi était impressionnante et n’avait rien à envier à son arme. Une tête entièrement chauve et une peau couleur chocolat. Son visage ciselé était tellement adapté qu’on aurait cru qu’il avait été créé sur mesure. Pas un Japonais…plus que ça, il n’était peut-être même pas humain.

Le géant musclé s’avança vers la fontaine, s’inclina légèrement pour saluer les autres joueurs, puis se tourna vers Kibaou, dont la différence de taille était radicale.

« Je m’appelle Egil. Kibaou-san, ce que tu veux dire c’est que beaucoup de débutants sont morts parce que les bêta-testeurs ne se sont pas occupés d’eux et tu veux qu’ils acceptent cette responsabilité et s’excusent, n’est-ce pas ? »

« Ce…c’est ça. »

Kibaou, un instant déstabilisé, fit un pas en arrière mais se ravança bien vite ensuite. Tout en dévisageant de ses petits yeux luisants le manieur de hache nommé Egil, il hurla :

« S’ils ne nous avaient pas laissés derrière, 2 000 personnes ne seraient pas mortes ! Cependant, ce n’étaient pas juste 2 000 personnes normales, la plupart d’entre eux étaient des joueurs de haut niveau ou des vétérans d’autres MMO ! Si ces testeurs de merde avaient partagés les informations, les objets et l’argent comme il fallait, alors il y aurait eu dix fois plus de personnes ici… Non, à l’heure qu’il est on aurait passé le 1er ou 2ème Étages !! »

…300 personnes parmi ces 2 000 étaient ce que tu appelles des « testeurs de merde » !

Je me suis désespérément retenu de hurler ça. Je ne pouvais pas encore prouver le nombre de 300 et j'avais peur d'être pendu ; je fus retenu par des raisons aussi insignifiantes. Toutefois, avant ça, je ne pensais pas qu’il serait sage de faire objection et, par-là même, de révéler mon statut de bêta-testeur dans cette situation.

Pour le moment, environ quatre à cinq cent bêta-testeurs restants se trouvaient dangereusement mêlés aux nouveaux participants. Côté niveau et équipement, on ne pouvait plus dire qu’ils sortaient du lot. Dans cette situation, si je me révélais en tant que bêta-testeur, plutôt que d’améliorer le contact entre les joueurs, je risquais de provoquer quelque chose de dangereux, dans le genre « chasse aux sorcières ». Dans le pire des cas, les joueurs des lignes de front, débutants et testeurs, pourraient se diviser et commencer une guerre. Il fallait éviter ça à tout prix ; car, dans SAO, attaquer des joueurs était permis sur le terrain et dans les donjons, telle que la « Zone Extérieure »…

« C’est ce que tu as dit, Kibaou-san. Je ne sais pas pour l’argent et les objets mais je pense qu’il y a des informations. »

Tandis que je baissais les yeux lamentablement, Egil, le guerrier à la hache, répondit à nouveau avec un merveilleux baryton. De l’immense sac sur sa poitrine musclée recouverte d’une armure en cuir, il sortit un simple livre relié en peau de mouton. Il y avait des oreilles rondes et trois moustaches stylisées avec une « Marque du Rat » sur la couverture.

« Ce guide, tu l’as eu aussi, n’est-ce pas ? En vente libre dans les magasins d’objets de Horunka et Medai. »

« …En…en vente libre ? »

J’ai involontairement laissé s’échapper ça, à voix basse. C’était, d’après la marque sur la couverture, une marchandise d’Argo la Ratte, le « Guide Stratégique par Zone ». Il contenait des informations détaillées sur les zones, concernant l’apparence des monstres, les drops et, même, des explications sur les quêtes. En bas de la couverture était écrit : [Pas de problème. C’est le guide stratégique d’Argo.] Cette phrase d’accroche n’était pas une exagération. C’était un peu embarrassant mais j’avais acheté toute la série pour compléter mes souvenirs―à l’époque, si je me souviens bien, chaque livre devait coûter 500 colls, un prix plutôt convenable…

« …Je l’ai eu moi aussi, murmura à côté de moi la rapiériste, restée jusque-là silencieuse. »

Je lui ai demandé : « Gratuitement ? » et elle a acquiescé.

« Le propriétaire du magasin reçoit une commission mais, vu que le prix est de 0 coll, tout le monde l’a eu. C’est très vite devenu utile. »

« Qu…qu’est-ce qui se passe… »

Cette « Rate »… C’était une marchande si démoniaque qu’elle aurait pu vendre ses propres stats si ça lui avait rapporté de l’argent. Mais, elle distribuait librement des informations ? Ce n’était pas possible ! J’ai tourné mon regard. Le mur de pierre sur lequel Argo était tranquillement assise quelques minutes plus tôt était vide. Je voulais lui demander pourquoi la prochaine fois que je la croiserais mais, d’une certaine manière, je pouvais déjà deviner sa réponse : « Cette information coûte 1 000 colls ».

« …Ok. Et alors ? »

La voix tranchante de Kibaou interrompit mes pensées. Egil rangea son guide stratégique dans son sac et dit, les bras croisés :

« Ce guide, chaque fois que j’arrive dans un nouveau village ou une nouvelle ville, il est toujours disponible dans le magasin d’objets. C’est pareil pour toi, n’est-ce pas ? L’information est trop rapide, tu ne trouves pas ? »

« Et alors, qu’est-ce que ça peut faire que ça soit trop rapide ou non ! »

« Ceux qui fournissent les informations sur les monstres et les données cartographiques qui sont là-dedans, ça ne peut être personne d’autre que les bêta-testeurs. »

Tous les joueurs entrèrent en effervescence. Kibaou ferma la bouche brusquement et le « Chevalier » Diabel derrière-lui acquiesça, l’air de dire : « Je vois ».

Quand les regards se dirigèrent sur Egil, il dit de son baryton retentissant :

« Vous voyez, il y a de l’information. Malgré tout, de nombreux joueurs sont morts. Et c’est parce que c’étaient des vétérans des MMO, je pense. Ils ont vu la ressemblance de SAO avec d’autres jeux et sont passés à côté de la différence. Mais, à présent il n’est pas temps de chercher des responsables. Que nous devenions responsables ou pas, et la façon dont ça influence cette réunion ; c’est à ça que je pense (!). »


Partie 9

Egil, le manieur de hache à deux mains, avait une attitude très imposante et son argument était aussi extrêmement concret, de telle sorte que Kibaou ne put rien faire d’autre que rester dans l’ombre en silence. Si qui que ce soit d’autre qu’Egil avait tenu ces propos, alors Kibaou aurait sans doute contré avec un « Si tu dis ça, ça veut dire que tu es un bêta-testeur », je pense. Mais, dans l’immédiat, il ne pouvait rien faire d'autre que dévisager le géant avec haine.

Derrière les deux qui s’affrontaient en silence, Diabel, toujours debout sur le rebord de la fontaine, ses longs cheveux teints en violet par le soleil du soir, secoua la main en acquiesçant une fois encore :

« Kibaou-san, je peux comprendre ce que tu dis. Moi aussi, je me suis engagé sur des terrains inconnus pour, finalement, arriver ici après avoir frôlé la mort de nombreuses fois. Mais, comme l’a dit Egil-san, dans l'immédiat, il est temps d’aller de l’avant, non ? Même des bêta-testeurs… Non, les bêta-testeurs en particulier, sont une force de combat nécessaire pour ce plan contre le boss. Si on les enlève et qu'à cause de ça l’attaque échoue, ça nous servira à quoi ? »

C’est un véritable « Chevalier » autoproclamé, me suis-je rappelé. Il avait lui aussi prononcé des paroles revigorantes. Beaucoup dans l’assemblée acquiescèrent vivement. J'ai senti l’atmosphère « condamnez les bêta-testeurs » se transformer et j’ai, involontairement, soupiré de soulagement. Je savais que c’était honteux de ma part ; mais j’ai ensuite écouté Diabel qui poursuivait son discours :

« Vous tous, vous avez chacun vos propres préférences mais, dans l’immédiat, je voudrais que vous travailliez ensemble pour finir le rez-de-chaussée. S’il y en a qui ne veulent absolument pas se battre aux côtés des bêta-testeurs alors, c’est regrettable, mais vous êtes libres de partir. Dans un combat contre un boss, le travail d’équipe est primordial. »

Le regard du « Chevalier » passa sur tout le monde et, finalement, s’arrêta sur Kibaou. L’épéiste à la tête de cactus poussa un fort grognement puis lança ces mots :

« …Parfait, pour le moment je vais t'écouter. Mais, une fois le combat contre le boss terminé, je veux clarifier les choses. »

Kibaou quitta l’avant du groupe, dans le cliquetis de son armure d’écailles. Le manieur de hache, Egil, étira ses bras pour montrer qu’il n’avait, lui non plus, rien à ajouter et retourna à sa place précédente.

Au bout du compte, ce fut le point culminant de cette réunion. Parce que, même si on voulait discuter les détails de la stratégie contre le boss, le dernier étage du labyrinthe venait à peine d'être atteint. Si personne n’avait vu le visage du boss, on ne pouvait pas établir de stratégie…

…Non, la vérité était quelque peu différente. Parce que je savais que le boss du rez-de-chaussée d’Aincrad était un Kobold de taille démesurée, dont l'arme était un immense talwar[17] et qui, une fois attaqué, « engendrait » 12 gardes royaux en armure lourde.

D’un côté, si je révélais mon statut de bêta-testeur et fournissait des informations sur le boss, nos chances de succès pouvaient légèrement augmenter. Cependant, à ce moment-là, ils me demanderaient : « Pourquoi tu es resté silencieux jusque-là ? » et l’atmosphère « pendons les testeurs » pourrait refaire surface.

De plus, je tirais mes connaissances de l’ancien Aincrad. Dans la version officielle, le boss pouvait avoir été complètement, ou juste à quelques détails près, changé. Si nous basions notre stratégie sur les informations des bêtas, lors du vrai combat contre le boss, si son apparence ou son schéma d’attaque étaient différents…ou si d’autres choses arrivaient, alors les assaillants seraient annihilés à cause d'une trop grande confusion. Puisqu’il en était ainsi, jusqu’à ce que la porte de la salle du boss soit ouverte et que son propriétaire apparaisse, rien ne pouvait commencer.

La moitié de mon raisonnement servait à m'auto-convaincre, tandis que je gardais ma bouche close.

A la fin de la réunion, le « Chevalier » Diabel éleva sa voix franche et poussa un énorme hurlement en direction des participants. J’ai simplement levé ma main droite pour la galerie. Quant à la rapiériste à côté de moi, loin de crier, elle ne sortit même pas sa main de sous sa cape. Avant même que le mot « Rompez » ne s'estompe, elle s’était déjà retournée. Avant de partir, moi seul entendit son murmure sourd :

« Avant la réunion, tu m’as dit quelque chose… Si nous survivons tous les deux au combat contre le boss, dis-moi ce que tu as dit. »

Au dos disparaissant sur la route mal éclairée, j’ai répondu sans un son :

…Pas de problème, à ce moment-là, je te le dirai… Que, pour ma propre survie, j’ai tout abandonné.


* * *

Même s'il n'y avait eu aucune discussion réelle pendant la réunion, elle semblait malgré tout avoir stimulé le moral des joueurs ; et le 20ème étage du labyrinthe du rez-de-chaussée avait été cartographié à une vitesse encore jamais vue. L’après-midi du lendemain de la réunion―samedi 3 décembre―un premier groupe—cette fois encore, il s’agissait de l’équipe de 6 de Diabel—découvrit l’immense porte à doubles battants au fond du labyrinthe. Leurs clameurs parvinrent jusqu'à moi, qui me battais en solo pas loin.

Le groupe de Diabel ouvrit courageusement la porte de la salle et vit le visage de son habitant. Le soir même, durant une autre réunion sur la place de la fontaine, le « Chevalier » aux cheveux bleus nous fit son rapport.

Le boss était un immense Kobold de 20m de haut. Son nom était « Illfang[18] le Seigneur Kobold » et son arme entrait dans la catégorie des cimeterres[19]. Une fois le combat engagé, trois « Sentinelles Kobolds des Ruines » en armure métallique et armées d'hallebardes[20], apparaissaient…

Jusque-là, les informations étaient parfaitement identiques aux bêtatests. Si mes souvenirs étaient exacts, les « Sentinelles » réapparaissaient quand le boss perdait l’une de ses quatre barres de PV, ce qui en faisait 12 à tuer. Mais, comme d’habitude, je n’avais pas le courage de dire ça en pleine réunion. De toute façon, le combat réel n’était pas pour si tôt ; après de multiples batailles de reconnaissance, ça deviendrait vite une information connue… C’est ce que je comptais me dire à moi-même mais une chose qui rendait mes inquiétudes inutiles fut découverte au milieu de la réunion.

Pour une raison ou une autre, dans le stand en plein air de PNJ qui se trouvait près de la place, « cette chose » était en vente depuis dieu savait quand. Composée de trois peaux de mouton liées, plutôt qu’un livre, c’était une simple brochure. Le Guide Stratégique d’Argo : volume du Boss du rez-de-chaussée, était-il écrit. Le prix était de 0 coll depuis le début.

Bien entendu, la réunion fut suspendue pendant quelques temps pour que chacun achète—ou plutôt, obtienne—le guide auprès du PNJ et commence à le lire.

Comme d’habitude, il y avait une masse impressionnante d’informations. Ça allait du nom récemment appris du boss jusqu'à une estimation de ses PV et de son arme principale, le talwar, avec sa vitesse d’épée et le niveau de dommages, en passant par ses techniques d’épée. Ces informations remplissaient trois pages. La quatrième page concernait les « Sentinelles » ; là, il était clairement écrit qu’elles apparaissaient quatre fois, pour un total de 12 Sentinelles.

Et puis, sur la couverture du guide, avec une police rouge vif, une ligne qui n’avait jusqu’alors jamais existé sur le « Guide Stratégique d’Argo » disait :

[Ces informations viennent de l’époque des bêtatests de SAO. Il est possible que la version actuelle soit différente.]

En voyant ça, ma réaction a été de redresser la tête et de chercher Argo des yeux sur la place. Cependant, je ne parvins pas à trouver la « Ratte » dans son armure en cuir terne. J’ai à nouveau baissé la tête et murmuré :

« …Infestée… »

Cette ligne rouge d’avertissement avait peut-être détruit le statut actuel d’Argo : « Juste une informatrice vendant des informations obtenues auprès de bêta-testeurs que personne ne connait. » En lisant ça, presque tout le monde allait commencer à se demander si Argo elle-même n'était pas une bêta-testeuse. Bien entendu, il n’y avait aucune preuve mais, plus tard, si la querelle entre les nouveaux joueurs et les bêta-testeurs prenait encore plus d'ampleur qu'actuellement, il ne faisait aucun doute que le risque de la voir se faire pendre augmenterait.

D’un autre côté, ce guide stratégique, éviterait sûrement des batailles de reconnaissance pénibles et dangereuses. La quarantaine de personnes qui lisait ça, comme pour laisser leur chef décider de la réaction à avoir, regardèrent le « Chevalier » aux cheveux bleus, sur le rebord de la fontaine comme la veille.

Diabel baissa la tête comme pour se plonger dans ses pensées pendant dix secondes puis, finalement, se redressa et hurla :

« …Vous autres, pour le moment, soyons reconnaissants pour ces informations ! »

Un bourdonnement enveloppa l'assemblée. Ces paroles, au lieu de se confronter avec les bêta-testeurs, optaient pour la réconciliation. Je pensais que Kibaou allait à nouveau sauter et grogner, mais la tête de cactus châtain près du devant de la foule se tenait à présent tranquille.

« Si on oublie la source, grâce à ce guide, nous pouvons sauter deux ou trois jours de batailles de reconnaissance. En fait, c’est très heureux, je pense. Parce que ce sont probablement les batailles de reconnaissance qui provoqueront le plus de morts. »

Ici et là sur la place, des têtes de couleurs différentes acquiescèrent.

« …Si c’est vrai, les stats du boss ne sont pas si mal. Si SAO était un MMO normal, toute personne avec un niveau trois…non, sous le niveau cinq pourrait parfaitement le tuer, je pense. Donc, si nous affinons correctement nos tactiques et que nous amenons beaucoup de PoT[21] au combat, nous arriverons peut-être à le tuer sans déplorer de pertes. Non, désolé, ce n’est pas ça. Il n'y aura absolument aucune perte. C’est ce que je vous promets sur mon nom de « Chevalier » ! »

« Yo, Chevalier-sama ! » et d’autres cris furent lancés, des applaudissements bruyants retentirent en continu. Diabel avait de bonnes qualités de leader, même le solo que j’étais devait l’accepter. On ne pouvait pas créer de guildes avant le 3ème Étage mais, à ce moment-là, une guilde impressionnante de conquête serait sûrement créée…

Je ressentais différents degrés d’admiration. Mais, en entendant la suite du discours du « Chevalier, je me suis légèrement étouffé.

« …Bon, c’est un peu rapide, mais j'envisage de commencer dès maintenant la véritable réunion stratégique ! De toute façon, sans un groupe de raid formé, on ne pourra pas se répartir les tâches. Vous tous, créez déjà des équipes avec des amis ou des gens près de vous ! »

…Qu’est-ce qu’il venait de dire ?

Avec un blocage qui me rappelait mes cours de sport en primaire, je me suis empressé de faire des calculs dans ma tête. Dans SAO, une équipe allait jusqu'à 6 personnes. Il y avait 44 personnes ici soit…7 équipes plus 2 laissés-pour-compte. Si on visait une distribution équitable, alors 4 équipes de 6 plus 4 équipes de 5 serait peut-être l'idéal ? Mais, dans ce cas, sans les ordres du chef, ça ne serait pas facile…

Malgré la relativement grande rapidité de ma réflexion, au final, elle fut inutile. Car, moins d’une minute après l’ordre de Diabel, sept équipes de 6 personnes s'étaient rapidement formées. Ils avaient compris que le « Chevalier » voulait faire des groupes de 6. Kibaou, le « peu importe combien tu y regardes, c’est un loup solitaire », et le géant à l’allure noble, Egil, avaient eux aussi rapidement trouvé 5 amis. J'étais peut-être la seule personne à n’avoir pas dit : « Battons-nous ensemble »…

Non, ce n’était pas exact.

Quand j’ai regardé autour de moi, j’ai découvert la rapiériste à la cape à capuche qui se tenait toute seule. Je l’ai rapidement approchée.

« …Tu as été laissée pour compte, toi aussi ? ai-je demandé à voix basse. »

Un regard brûlant de colère apparut sous sa capuche et, au même moment, une voix étouffée répondit :

« …Pas « laissée pour compte ». Les gens autour semblaient être amis donc je me suis abstenue. »

C’est ce que « laissé pour compte » veut dire…

Je voulais la corriger mais j’ai eu la sagesse d'être prudent et, au lieu de ça, j’ai seulement acquiescé avec sérieux et dit :

« Dans ce cas, qu’est-ce que tu dirais de faire équipe avec moi ? Un groupe de raid peut aller jusqu’à huit équipes ; sans ça, on ne pourra pas participer. »

Apparemment, l'approche rationnelle était le bon choix, car la rapiériste sembla hésiter pendant un moment puis grogna et dit :

« Vu que tu m'y invites, je me dois d'accepter. »

Là, elle eut une expression enfantine du type « tu as demandé en premier donc tu m'invites », dont je m’étais moi-même débarrassé le mois précédent. J’ai donc acquiescé et touché son curseur de couleur dans mon champ de vision pour lui envoyer une invitation dans mon équipe. La rapiériste appuya sur « Ok » d'un geste sec puis, à gauche de mon champ de vision, une deuxième petite jauge de PV apparut.

Dessous se trouvait une courte combinaison de lettres que j’ai regardée.

[ASUNA]. C’était le nom de la mystérieuse rapiériste au « Linear » extraordinairement rapide.


Partie 10

Le « Chevalier » Diabel n’était pas juste bon en paroles, son aptitude pratique au commandement était elle aussi plutôt bonne.

Il vérifia les 7 équipes de 6 personnes et, avec le moins de changements possibles, constitua 7 équipes avec différentes fonctions. Deux équipes de tanks[22] aux armures épaisses. Trois équipes d’attaquants aux déplacements et attaques rapides. Deux équipes de soutien équipées d’armes longues.

Les deux équipes de tanks se deviendraient la cible du boss à tour de rôle. Deux équipes d’attaquants se concentreraient sur le boss, la dernière tuerait d’abord les gardes. Les équipes de soutien, essentiellement avec leurs armes longues, utiliseraient principalement la technique « Delay[23] » pour, si possible, interrompre les attaques du boss ou des gardes.

Simple. Mais, de cette manière, il ne restait pas beaucoup de failles. C’était une bonne tactique, je trouve. Tandis que j’étais en admiration, le chevalier vint finalement vers l’équipe inutile de deux personnes (bien entendu, il s’agissait de moi et de la rapiériste). Après avoir réfléchi pendant un moment, il dit d’une manière rafraichissante :

« Vous deux, faites en sorte qu’il ne reste aucun garde Kobold. S’il vous plait, soutenez le groupe E. »

Pour le dire autrement : « Ne dérangez pas le combat contre le boss et restez tranquillement à l’arrière ». J’ai eu l’impression que ça pouvait vouloir dire ça. Quand je me suis rendu compte qu’« Asuna », la rapiériste à côté de moi, allait répondre d’une manière inamicale, je l’ai arrêtée d’une main et ai répondu :

« Compris. C’est un rôle important. Comptez sur nous. »

« Oui. Je compte sur vous. »

Ses dents de devant étincelèrent d’une lueur blanche et le « Chevalier » retourna à la fontaine. A ce moment, près de mon oreille gauche, une voix à la tonalité tranchante se fit entendre :

« …Un « rôle important », tu parles ! Ça va se finir sans qu’on puisse porter un seul coup au boss. »

« On n’y peut rien, on n’est que deux. Ça ne laisse pas assez de temps pour le Switch et les tours de PoT. »

« … « Switch » ? « PoT »… ? »

En entendant ce chuchotement interrogateur, j’ai à nouveau songé que cette rapiériste avait vraiment quitté la Ville du Début alors qu’elle était débutante et ne savait rien. Et elle était arrivée jusqu’ici toute seule ; probablement avec cinq rapières non améliorées, achetées dans un magasin, et en ne se reposant que sur la technique d’épée « Linear »…

« …Plus tard, je t’expliquerai en détails. Si on discute ici, on n’a pas fini. »

« Pas la peine ». Je me suis dit qu’il y avait plus de 50% de chances qu’elle me réponde un truc du genre. Mais la rapiériste resta silencieuse pendant quelques secondes, puis elle acquiesça légèrement.


* * *

La seconde conférence stratégique contre le boss s’acheva après une courte discussion entre les chefs des équipes A à G pour régler la façon dont seraient partagés les colls et objets dropés. L’utilisateur de hache, Egil, était le chef du groupe de tanks B et Kibaou, qui avait une haine furieuse envers les bêta-testeurs, était le chef du groupe d’attaquants E. Vu que le groupe E avait pour mission de tuer les gardes Kobolds, la rapiériste et moi, le duo des laissés-pour-compte, allions aider Kibaou. A vrai dire, c’était un adversaire dont je ne voulais pas être trop proche ; mais il ne savait pas que j’étais un bêta-testeur…en théorie. Juste pour info, la « Ratte » n’était pas dans le groupe de raid. Bien entendu, je ne le lui reprochais pas. Avec ce « Guide Stratégique », elle avait plus que suffisamment joué son rôle.

Pour le partage des drops, les colls seraient automatiquement répartis en parts égales entre les 44 membres du raid, les objets iraient à ceux qui les obtiendraient. C’est cette règle simple qui fut établie. Dans les MMO récents, il existe normalement un système dans lequel une personne qui veut un objet doit jeter des dés pour l’avoir ; mais, pour une raison que j’ignore, SAO utilisait la méthode de la génération précédente, à savoir : placer aléatoirement l’objet dans l’inventaire d’un joueur, sans que personne d’autre ne le sache. Ça signifiait que, si une règle du genre « les drops du boss seront joués aux dés » était mise en place, la personne qui obtenait un objet aurait à le dire. J’avais vécu ça de nombreuses fois durant les bêtatests, c’est un grand test de volonté. En réalité, après un combat contre un boss, personne ne disait rien―donc, quelqu’un gardait le drop. Il y avait beaucoup de séparations de groupes de raid très délicates.

Diabel, sans doute pour éviter ce genre de développement, avait utilisé la règle le « drop appartient à la personne ». C’était un « Chevalier » très prévoyant.

A 17h30, des messages semblables à ceux de la veille : « Faisons de notre mieux ! » et « Ouais… ! » conclurent la réunion et les groupes se divisèrent par trois ou cinq et disparurent dans les bars et restaurants. Tout en bougeant mes épaules tendues, je me suis demandé si cette raideur n’était qu’une illusion ou si mon vrai corps était vraiment tendu ; ça n’aurait pas eu d’importance…

« …Donc, l’explication, on fait ça où ? »

…Qu’est-ce que tu as dit ? Je fus troublé pendant un instant puis me suis empressé de me tourner vers la rapiériste.

« Ah, ah… N’importe où m’ira. Qu’est-ce que tu penses de ce bar ? »

« …Non. Je ne veux pas être vue. »

Ces paroles me frappèrent presque comme un coup de couteau. Puis je les ai réinterprétées comme un « pas en compagnie d'un joueur mâle, quel qu’il soit » plutôt que comme un « pas en ta compagnie », ce qui m’a remonté le moral. J’ai, d’une manière ou d’une autre, réussi à acquiescer calmement.

« Dans ce cas, qu’est-ce que tu dirais de la maison d’un PNJ…mais quelqu’un risque d’entrer. Les chambres d’auberge se ferment à clé mais ça ne va pas le faire non plus, n’est-ce pas ? »

« Évidemment. »

Une voix tranchante comme un poignard. Cette fois-ci j’ai été légèrement transpercé. Vu qu’on était dans un monde virtuel, j’avais réussi, d’une manière ou d’une autre, à parler à une joueuse ; mais, encore un mois auparavant, j’étais un élève de 4ème dont les aptitudes sociales étaient si faibles que j’avais même du mal à communiquer avec ma sœur. Quoi qu’il en soit, parmi tous les joueurs solo, pourquoi étais-je le seul à me retrouver dans ce genre de situation ? …Car rien ne pouvait être fait sans rejoindre le groupe de combat contre le boss. En y repensant, les 7 autres équipes étaient des groupes d’hommes. Si j’étais allé dans un de ces groupes ça se serait terminé sans tous ces soucis…

Tandis que je réfléchissais à de nombreuses choses, la rapiériste soupira et poursuivit :

« …Quoi qu’il en soit, pour ce qui est des chambres privées des auberges dans ce monde, la plupart ne peuvent même pas être appelées « chambres ». Un espace de moins de 6 tatamis[24] avec seulement une table et un lit, qui coûte 100 coll la nuit. Pour la nourriture ça n'a pas vraiment d'importance mais j'ai envie que le sommeil soit réel et de dormir dans une chambre un peu mieux. »

« Hein… Vr…vraiment ? »

J’ai tendu le cou sans y penser.

« Si tu cherches, tu peux trouver de meilleures conditions, non ? Ça coûtera un peu plus, par contre… »

« Même si tu me dis de chercher, il n’y a que trois auberges dans cette ville. Les chambres sont pareilles partout. »

En entendant cette réponse, j’ai finalement compris.

« Ah… Je vois. Tu n’as vérifié que les endroits où il y a des pancartes [AUBERGE] ? »

« Vu que…AUBERGE signifie « auberge »… »

« C’est vrai mais, dans les plus bas étages de ce monde, ça veut dire que c’est l’endroit le moins cher où dormir. Les chambres que tu peux louer avec des colls, il y en a plein en dehors des auberges. »

Quand je lui ai fait remarquer ça, les lèvres de la rapiériste se sont arrondies.

« Qu… Tu aurais dû dire ça plus tôt… »

Après avoir enfin obtenu ce genre de réponse, j’ai souri et commencé à me vanter de la chambre que je louais en ce moment :

« Dans cette ville, j’ai loué le premier étage chez un fermier. Ça coûte 120 colls la nuit mais il y a deux pièces et plus de lait qu’on ne peut en boire. Le lit est large et la vue est sympa. Et, par-dessus tout, ça va avec une salle de bain… »

Je me suis laissé emporter et j’ai continué jusqu’au moment où…

La main droite de la rapiériste―qui exécutait cette « Linear » à la rapidité extraordinaire que j’avais vue dans le donjon―attrapa le col de ma veste grise avec une force qui activa presque le code de prévention du crime. Ensuite, une sourde voix rauque résonna avec force :

« …Qu’est-ce que tu as dit ? »


Partie 11

C'était elle qui avait dit un jour la phrase suivante : De tous les évènements de ce monde, il n’y a qu’une chose réelle et c’est le « sommeil ».

C’était ce que pensait Asuna.

Tout le reste était virtuel: marcher, courir, parler, manger et se battre... Il ne serait pas faux de dire que toutes ces actions n’étaient rien d’autre que des nombres crachés par les algorithmes de Sword Art Online. Peu importait ce que le corps virtuel faisait, le corps du monde réel, qui était étendu quelque part, ne bougerait pas d’un iota. La seule exception avait lieu quand le corps virtuel se couchait sur un lit et entrait dans le monde des rêves. Le cerveau du corps réel faisait probablement la même chose. Ainsi, pour dormir dans les auberges en ville, il était nécessaire de se laisser tomber dans un état de sommeil ; mais ça pouvait parfois être une tâche difficile.

Dans des zones occupées par les monstres ou dans les zones de donjon, l’esprit et le corps étaient pris par l’ardeur du combat, on n’avait donc pas du tout le temps de se poser et de réfléchir. Mais, à l’instant où elle retournait en ville et s’allongeait sur le lit de la chambre simple d’une auberge qu’elle avait louée, tout ce qui s'était passé pendant le mois se rejouait dans sa tête. Pourquoi ces pensées douloureuses apparaissaient-elle à ce moment-là dans son esprit ? Pourquoi ne s'était-elle pas contentée de toucher le Nerve Gear ? Pourquoi avait-elle pris le casque et l’avait-elle placé sur sa tête en disant : « Lien Engagé »…?

Emporter ce genre de regrets avec soi dans son sommeil est, sans aucun doute, la recette des cauchemars. Au moment où ses camarades de classe devaient plaisanter à moitié sur l’importance de l’hiver de la 3ème, elle, qui avait toujours foncé en avant, était soudain arrêtée par ce jeu. Dans les prochaines années, ses proches allaient plaindre la fille qui s’était retirée de la course qu'est la vie. Et…regardant son corps endormi dans un hôpital quelconque, avec des expressions qu’elle ne pouvait pas voir, se trouvaient ses parents.

Le corps tremblant, elle se redressa soudain pour s’asseoir, regardant l’heure affichée sur la partie inférieure gauche de son champ de vision. Même si pas mal de temps s’était écoulé, elle n’avait en fait dormi qu’environ trois heures. Après ça, même si elle avait gardé les yeux clos, elle n’avait tout simplement pas pu trouver le sommeil. Malgré tout, si elle ne dormait pas si peu chaque nuit, il lui aurait été impossible de se battre avec acharnement pendant trois jours continus dans le donjon.

A cause de tout ça, Asuna avait toujours souhaité dépenser l’argent qu’elle avait économisé en louant une chambre chic avec un lit confortable. Pour ce qui était des chambres des auberges, elles étaient toutes étroites et sombre, avec des lits faits dans des matériaux inconnus, trop durs pour dormir dessus. Si ça avait été de la mousse d’uréthane haute technologie à forte élasticité fabriquée en Italie…ou même du bon vieux coton, son temps de sommeil serait passé de trois à quatre heures. Un autre élément : il fallait au moins une douche dans la chambre. Même si se baigner n’était rien d’autre qu’une expérience virtuelle et même si le corps du monde réel devait être gardé propre par l’hôpital, c’était une question d’humeur. Après avoir failli mourir en perdant connaissance alors qu'elle se battait en solo sur l’étage le plus bas, même si ce n’était que virtuel, elle voulait vraiment plonger ses pieds dans de l’eau chaude…

…C'était sûrement parce que ces désirs s'intensifiaient qu’Asuna dit les mots suivants au manieur d’épée à une main aux cheveux bruns :

« …Qu’est-ce que tu as dit ? demanda Asuna d’une voix rauque, tout en attrapant son vis-à-vis par le col sans s’en rendre compte. »

Ce qu’elle venait d’entendre à l’instant ne pouvait pas être une hallucination auditive, n’est-ce pas ? L’épéiste avait vraiment dit que…

« Il…il y a du lait à boire…? »

« Après ça. »

« De…depuis le lit, tu peux voir le magnifique paysage…? »

« Encore après ! »

« Il…il y a une salle de bain…? »

…Apparemment, ce n’était pas qu’une hallucination auditive, en fin de compte. Asuna relâcha son col et demanda avec empressement :

« Tu as dit que ta chambre, coûtait 120 coll la nuit ? »

« Oui… Oui, c’est ce que j’ai dit. »

« Cette chambre…combien d’autres sont encore disponibles ? Où ça se trouve ? Je veux en louer une moi aussi. S’il te plait, montre-moi le chemin. »

L’épéiste comprit enfin la situation. Il se racla la gorge, prit un air solennel et dit :

« A l’instant, j’ai dit que j’avais loué le premier étage de la maison d’un fermier, non ? »

« …Tu as effectivement dit ça. »

« Je voulais dire que j’ai loué tout le premier étage. Il n’y a pas de chambre libre. D’ailleurs, il n’y a pas de chambres à louer au premier étage. »

« Qu… »

A cet instant, ses genoux s’affaiblirent et elle fut à peine capable de rester debout.

« …ce…cette chambre… »

Elle ne dit que ça mais l'autre personne avait certainement deviné la partie manquante. Ses yeux noirs se dérobèrent et, avec un air contrit, il dit :

« A ce propos, en fait, je suis déjà très satisfait avec la semaine que j’ai passé dans cette chambre donc ça ne me dérangerait pas de te la laisser… En fait, j’ai déjà payé le loyer pour le nombre maximum de jours du système…dix jours de loyer. Donc, c’est impossible à annuler. »

« … »

Asuna se débattit pour rester debout, apparemment tiraillée par ce qu’elle devait faire.

En plus des auberges, il y avait d’autres endroits où louer des chambres—et même des chambres luxueuses. C’était ce que l’épéiste venait de lui apprendre. Si c’était le cas, alors, tant qu’elle faisait l’effort de chercher, elle trouverait peut-être des chambres encore disponibles dans le village de Tolbana. Mais dans ce seul village, des douzaines de joueurs de haut niveau s’étaient déjà rassemblés pour monter un groupe et passer l’étage. Les bonnes chambres étaient probablement toutes prises et c’était exactement la raison pour laquelle l’épéiste aux cheveux bruns avait payé le nombre maximum de jours de loyer.

Dans ce cas, pourquoi ne pas se rendre tout simplement au village précédent ? Mais, après le coucher du soleil, des monstres forts et agressifs erraient dans les parages et, le lendemain matin, elle devrait retrouver le groupe de raid à l’heure sur la place de la fontaine. Même si elle s’intéressait peu au groupe de raid contre le boss, elle n’était tout simplement pas du genre à ignorer son devoir et à arriver en retard…pour une raison aussi insignifiante, en plus.

Donc, il ne lui restait qu’une seule option.

Pendant quelques secondes, Asuna sentit son cœur faire des nœuds. Si ça avait été le monde réel, même si le ciel et la terre s’étaient retournés, elle n’aurait pas fait une chose pareille. Mais c’était juste un monde virtuel fait de chiffres et de données et son corps était pareil. De plus, la personne en face d'elle ne pouvait plus être considérée comme un parfait étranger. Ils avaient mangé du pain ensemble et fait équipe pour le combat contre le boss et, oui, cet homme avait aussi promis de lui expliquer cette quête. Si elle voulait l’écouter, c'était sûrement une excuse convenable…elle pouvait tout à fait. Probablement.

Elle regarda l’épéiste qui était resté anxieusement attentif, puis baissa soudain la tête. Avec une voix que seules ses oreilles purent entendre, elle dit :

« …Laisse-moi aller où tu vis. Et, ta salle de bain, laisse-moi l’emprunter. »


* * *

La maison du fermier que l’épéiste aux cheveux noirs avait louée se trouvait près d’un petit pâturage dans la partie est de Tolbana. C’était plus grand que ce à quoi elle s’attendait. Si elle incluait la partie réservée aux chars à bœufs dans son calcul, l’endroit était à peu près aussi grand que la maison d’Asuna dans le monde réel.

Caché derrière la résidence, se trouvait un beau ruisseau qui coulait sous la roue à eau en clapotant. En arrivant au niveau du porche de la bâtisse principale à un étage—dans laquelle la famille de PNJ fermiers vivait au rez-de-chaussée—Asuna fut accueillie dans le couloir par le visage souriant de la maitresse de maison. La vieille dame qui dormait, assise sur une chaise à bascule près de la cheminée, leva alors brusquement la tête. Un signe « ! » doré―le signe indicatif d’un début de quête―flotta sur sa tête mais elle l’ignora pour le moment.

Asuna suivit l’épéiste au premier étage où il n’y avait qu’une porte au bout d’un petit couloir. L’épéiste toucha la porte et, automatiquement, il y eut le son d’une serrure qui s’ouvre. Si Asuna l’avait touchée, cette porte ne se serait absolument pas ouverte. Il était impossible d’ouvrir les chambres louées par des joueurs, même si on avait la compétence « Crocheter ».

« …B…bon, je t’en prie, entre. »

L’épéiste poussa la porte grande ouverte et fit l'accueillit avec un geste gêné.

« …Merci. »

Après avoir exprimé sa gratitude d’une voix basse, Asuna entra dans la pièce…et, à ce moment, elle hurla malgré elle :

« Qu…qu’est-ce que c’est que ça ? Tellement grand… Ce…Ça ne coûte que 20 colls de plus que ma chambre !? C…c’est trop bon marché, non…? »

« Être capable de trouver ce genre de chambre rapidement est une compétence importante non incluse dans le système. …Enfin, dans mon cas… »

Asuna regarda l’épéiste qui s’était arrêté de parler d’une manière peu naturelle avant de secouer légèrement la tête. Elle regarda alors à nouveau l’intérieur de la pièce et poussa un profond soupir.

La chambre faisait au moins 20 tatamis[24]. La porte qui donnait sur la chambre était visible sur le mur est, cette chambre avait certainement une taille identique. Le mur ouest, quant à lui, contenait une porte avec une plaque [Salle de Bain] dessus. Profitant de l’atmosphère détendue, l’épéiste se débarrassa rapidement de son épée, de ses gants et de ses bottes et enfonça son corps dans un canapé à l’apparence moelleuse.

Après avoir regardé Asuna, restée perdue dans ses pensées pendant un moment, l’épéiste s’éclaircit la gorge et dit :

« Ahem, bon, tu peux probablement le deviner juste en regardant, la salle de bain est là-bas… F…fais comme chez toi. »

« Ah… O…ok. »

Asuna n’arrivait pas à croire qu’elle allait tout à coup foncer droit dans la salle de bain juste après être entrée chez quelqu’un. Mais il n’était pas temps de se retenir non plus.

« Bon, alors…, marmonna-t-elle en se dirigeant vers la porte. »

La voix de l’épéiste suivit :

« Oh, oui, je dois te dire quelque chose, juste au cas où. Ça ne sera pas pareil qu’un bain dans le monde réel. Le Nerve Gear ne semble pas parvenir à reproduire correctement un environnement liquide… Donc, n’en attends pas trop. »

« …De l’eau chaude ce sera déjà suffisant. Je n’attends pas plus que ça. »

Ayant livré ses véritables sentiments, Asuna ouvrit la porte de la salle de bain.


Partie 12

…A part l’eau chaude, elle se souciait aussi de la serrure de la salle de bain.

Elle regardait fixement la porte close et, même si elle voulait se convaincre de se détendre, c’était impossible. Elle ne trouvait pas d’encoche ou de bouton à proximité de la poignée de porte. Vu qu’Asuna n'était pas la locataire de cette chambre, elle n’avait pas accès au menu de gestion de la pièce.

Ceci étant dit, l’absence de clé n’était vraiment qu’un détail dans cette situation. Pourquoi ? Car elle avait foncé dans la chambre d’un homme qu’elle venait de rencontrer la veille, parce qu’il lui avait dit qu’il lui prêterait sa salle de bain. Le manieur d’épée à une main aux cheveux bruns…en y repensant, elle ne savait toujours pas son nom ; son âge et son caractère lui étaient aussi inconnus. Mais il ne devait pas être du genre à forcer son entrée dans la salle de bain…probablement. Enfin, même s’il fonçait à l’intérieur, vu qu’ils étaient dans les « limites de la ville », le « Code de prévention du crime » s’activerait et il ne pourrait donc rien faire, de toute façon.

Arrivée à cette conclusion, Asuna se détourna de la porte et fit face à la partie sud.

« …Aah… »

Elle laissa involontairement s’échapper un cri sourd.

Cette pièce était trop spacieuse. La moitié nord était l’endroit où on retirait ses vêtements. Le sol était recouvert d’un tapis épais. Accrochée au mur, se trouvait une solide étagère en bois. La moitié du côté sud était recouverte de carrelage en pierre polie et une baignoire en forme de bateau en occupait la majeure partie.

Un robinet d’eau chaude, qui ressemblait à une tête de monstre, était incrusté en haut du mur de brique ouest et crachait de larges quantités de liquide transparent de sa bouche. La baignoire se remplit lentement d’eau et de vapeur blanche, jusqu’à ce que l’eau atteigne le rebord et déborde avant d’être évacuée dans une cornière.

…Selon le bon sens, le modèle architectural de cette maison devrait provenir de l’Europe médiévale. Autrement, la conduite d’eau chaude ne serait pas aussi large.' Mais Asuna n’était pas d’humeur à se plaindre de recherches incomplètes dans le monde virtuel. Elle appela la fenêtre du menu principal et se tourna vers la « silhouette d’équipement » de l’écran, affichée à droite, et appuya sur le bouton pour déséquiper toute son armure et ses armes.

La cape à capuche qu’elle portait, l’armure en cuivre qui couvrait sa poitrine, ses longs gants et bottes et la rapière accrochée à sa taille…tout disparut. De longs cheveux châtains lisses tombèrent en flots dans son dos. Les seuls vêtements qu’il lui restait étaient son haut en coton aux manches trois quarts longues et son pantalon moulant en cuir. A cet instant, le bouton devint : [Enlever tous les vêtements] et elle appuya à nouveau dessus. La tunique et le pantalon disparurent, ne lui laissant que deux simples sous-vêtements en coton.

Asuna regarda à nouveau du côté de la porte, puis appuya sur le bouton qui était devenu [Enlever tous les sous-vêtements]. Suite à ces trois opérations, le corps virtuel se trouva entièrement nu. Une sensation virtuelle de froid passa sur sa peau. Dans―l’étrangement nommé―Aincrad, les changements de saison correspondaient à la réalité et, comme le monde réel était actuellement au début du mois de décembre, il faisait plutôt froid à l’intérieur.

S’empressant de traverser la salle de bain, elle atteignit la baignoire en céramique et plongea sa jambe gauche dans l’eau chaude, provoquant la génération de signaux sensoriels complexes dans son cerveau. Se retenant de plonger son corps tout entier dans l’eau, elle commença par placer sa tête sous la douche qui sortait de la tête de monstre et, tandis que la sensation chaude recouvrait son corps et que la différence de température entre son corps et l’air se réduisait…

  • Plouf*

Son dos tout entier fut submergé.

« …Ouhaaa… »

Asuna ne put s’empêcher de pousser à nouveau un cri.

En effet, tout comme l’avait dit l’épéiste aux cheveux bruns, le bain du monde réel ne pouvait pas être reproduit. La sensation de l’eau chaude sur sa peau, la pression de l’eau sur son corps, la lumière réfléchie à la surface de l’eau, tout donnait une subtile sensation d’étrangeté.

Dans une certaine mesure―c’était pareil avec la nourriture―l’opération de programme par défaut de l’« expérience du bain »… Du moment qu’on fermait les yeux et étirait les bras et les pieds, on ne ressentait plus la sensation subtile citée plus haut. C’était un bain. De plus, l’eau chaude gaspillée continuait à s’écouler hors de la baignoire « édition deluxe », longue d’environ 2 mètres.

Les yeux fermés, la bouche immergée dans l’eau et le corps entier détendu, elle commença à réfléchir.

…Maintenant je peux mourir. Je n’ai plus de regrets.

Une pensée lui était restée en tête depuis qu’elle avait quitté la Ville du Début il y avait deux semaines. Finir ce jeu de mort était une tâche impossible, l’entièreté des 10 000 personnes emprisonnées finirait par mourir. C’était une simple question de temps. Rien dans ce monde virtuel n’avait donc de sens. Plutôt que de continuellement aller de l’avant, il valait donc bien mieux tout simplement s’arrêter et mourir.

Quand elle repensait aux « réunions stratégiques » qui avaient été tenues la veille et aujourd’hui, Asuna se sentait indifférente. Elle se moquait de qui étaient les bêta-testeurs―dont elle ne comprenait toujours pas le sens―ou de comment les objets seraient distribués. Demain on serait dimanche, le jour d’affronter le plus grand obstacle : l’étage qui avait avalé 2 000 personnes, le rez-de-chaussée d’Aincrad. Une telle chose ne devait pas être possible avec seulement une quarantaine de personnes expérimentées ; et ils avaient de grandes chances d’être annihilés. La défaite était donc inévitable.

Asuna abandonna son attitude habituelle, laissant le bain tout absorber. A cause du sentiment : « Fais-le une fois avant de mourir », maintenant que ce désir s’était réalisé, même si elle disparaissait demain pendant la bataille contre le boss, elle n’aurait pas de regrets…

…Ce pain noir couvert de crème.

…Avant de mourir, je veux en manger encore une fois.

Le désir qui monta en elle, troubla à nouveau Asuna. Elle ouvrit les yeux et déplaça son corps dans l’eau chaude.

Ça avait, en effet, plutôt bon goût. Mais la sensation de virtualité qu’il dégageait était incontestable. Sa forme était composée de polygones. Les signaux de goût étaient aussi préétablis. D’ailleurs, c’était aussi le cas pour ce bain. Ce qui semblait être de l’eau chaude, n’était rien de plus qu’une ligne de formules mathématiques qui établissait sa transmittance et son facteur de réflexion[25] La température environnante, qui enveloppait son corps, n’était rien de plus que des signaux électroniques émis par le Nerve Gear.

Mais…mais…

Un mois plus tôt, alors qu’elle vivait dans le monde réel, avait-elle un appétit aussi grand ? L’ « ancienne elle » avait-elle un désir aussi ardent de se baigner ?

N’ayant clairement pas envie de manger mais mettant mécaniquement dans sa bouche devant ses parents le menu composé d’ingrédients organiques… Comparé au pain à la crème virtuel qui l’avait fait saliver… Lequel des deux devait être considéré comme « réel »…?

L’Asuna actuelle, tout en pensant à ce problème qu’elle considérait comme très important, inspira profondément.


* * *

Je ne savais pas qu’essayer de tout son cœur de ne pas regarder la porte de la salle de bain requérait un Jet Sauveur[26] d’un tel niveau.

Alors que mon corps s’enfonçait profondément dans le canapé, il me fallut toute ma force mentale pour continuer à regarder le « Guide stratégique d’Argo : Volume du Boss du Rez-de-Chaussée. », que j’avais obtenu aujourd’hui. Cependant, j’avais beau lire et relire les mots écrits dans une police simple, le contenu n’atteignait pas mon cerveau.

…Bon, au moins, ça prouve qu’on n’est pas dans le monde réel.

Si, par exemple, par je ne sais quel hasard, j’avais été chez moi, à Kawagoe, préfecture de Saitama, en l’absence de ma mère et ma sœur et avec une camarade de classe dans ma salle de bain… Qu’est-ce que j’aurais fait dans cette situation ? Bien entendu, j’aurais quitté la pièce en silence. Puis je serais monté sur mon précieux VTT et j’aurais remonté la route préfectorale n°51 à toute vitesse en direction d’Arawaka.

Heureusement, j’étais au premier étage d’une bâtisse à un étage, à la périphérie de Tolbana, au rez-de-chaussée du château volant Aincrad et je n’étais pas un collégien (!) fanatique de jeux en lignes mais le manieur d’épée à une main, Kirito. En tant qu’avatar dans un monde virtuel, rien ne se passerait même si je voyais la rapiériste Asuna sortir de la salle de bain. Non, c’était peut-être un piège élaboré. Si j’entrais dans la salle de bain, elle fouillerait peut-être la pièce et, alors, tout disparaitrait de mes coffres. Cependant, le coffre intégré de la pièce n’avait que des drops de monstres de faible niveau et je n’avais aucune raison d’aller dans la salle de bain. J’allais attendre qu’elle sorte puis dire : « Faisons de notre mieux demain » avant de lui dire au revoir. Pas plus.

J’ai acquiescé à plusieurs reprises tout en posant le guide sur la table basse et, à ce moment-là…

La porte―pas celle de la salle de bain, celle donnant sur le couloir extérieur―fit « bam bam bam bam ».

Un bruit de coups frappés. Mais ce n’était pas la propriétaire qui frappait. Ce rythme était un signal que j’avais mis en place avec une certaine personne.

Surpris, je me suis levé en tremblant. Je me suis craintivement retourné, faisant face à l’épaisse porte en chêne… Debout, de l’autre côté, se trouvait sûrement Argo la Ratte.


Partie 13

M’échapper rapidement par la fenêtre sud en direction du jardin de devant, sauter sur un âne attaché à l’écurie et descendre tout droit le chemin de la forêt pour atteindre la Zone de Labyrinthe…

Cette option germa soudain sans que je réfléchisse. Dans SAO, il n'était pas très difficile d'acquérir la compétence « Monter » pour chevaucher un animal. Il suffisait de s’entrainer à monter à cheval pour devenir progressivement compétent. Mais, même si j’avais entendu dire ça, je n’avais aucun slot de compétence en trop où caser ce hobby pour le moment.

J’ai donc quitté le canapé et me suis rapidement levé. J’ai jeté un coup d’œil du côté de la salle de bain pour vérifier la situation. En ce moment, de l’autre côté de la porte, Asuna-san, la rapiériste, était sûrement en train de vanter les mérites du bain. Si Argo la découvrait, elle attraperait son calepin et y ajouterait : « Kirito est le genre d’homme à entrainer chez lui une femme qu’il vient juste de rencontrer ». Si cette information était distribuée, ma réputation de joueur solo serait totalement détruite.

Heureusement… On pouvait dire que toutes les portes de ce monde étaient parfaitement insonorisées. Pour autant que je sache, les trois seuls sons qui pouvaient être transmis à travers une porte étaient : ① un appel hurlé, ② des coups frappés, ③ le son d’un combat. Quant aux sons comme des paroles à un niveau normal ou l’eau du bain, il n’était pas possible de les entendre, même en pressant son oreille contre la porte.

Donc, même si je la laissais entrer, elle n’allait certainement pas se rendre compte que la salle de bain était occupée par Asuna. Si, quand Argo entre, la rapiériste sort… Je saute immédiatement par la fenêtre et fuis à dos d’âne.

Après avoir fini de me débattre à toute vitesse avec mes idées, j’ai avancé vers la porte et l’ai ouverte avec résolution. Dès que j’ai vu le visage de la personne qui me faisait face, j’ai dit :

« C’est rare que tu me rendes visite chez moi. »

La phrase que j’avais préparée dans ma tête plus tôt sortit de ma bouche. Les moustaches caractéristiques sur le visage de la vendeuse d’informations, « Argo la Ratte », tressautèrent avec suspicion. Mais elle haussa aussitôt les épaules et répondit :

« Oui. Le client veut entendre ta réponse aujourd’hui. »

Juste comme ça, Argo entra nonchalamment dans la pièce et s’assit sur le canapé que je venais de quitter. Je me suis sérieusement retenu de regarder du côté de la salle de bain et j’ai marché vers le chariot qui se trouvait dans un coin de la pièce. J'ai attrapé le pot de lait frais et rempli deux tasses avant de les amener vers le canapé pour les poser sur la table basse. La « Ratte » leva un sourcil puis rigola :

« Ki-bou, tu es vraiment attentionné. Est-ce que par hasard tu aurais mis des somnifères dedans ? »

« …Ce genre de choses irait contre les principes de la plupart des joueurs, non ? En plus, je ne peux rien te faire si tu dors à l’intérieur des limites de la ville, de toute façon. »

M’entendant dire ça, Argo tapa des mains et dit en acquiesçant :

« C’est vrai. »

Elle a levé la tasse en verre et englouti le contenu en une gorgée.

« Merci pour le verre. Cette boisson en service libre a vraiment bon goût. Pourquoi tu ne la mets pas en bouteille pour la vendre à d’autres joueurs ? »

« Malheureusement, une fois hors de la ferme, elle ne dure que cinq minutes puis le liquide restant se transforme en une saleté crasseuse au lieu de disparaitre… »

« Ho, je ne le savais pas. On dirait bien qu’il n’y a rien de plus effrayant que les choses gratuites. »

…Tandis qu’elle parlait, mon cœur disait : « Dépêche-toi d’en venir aux faits. » Si elle découvre le secret de cette pièce je ne saurais pas quoi faire. J’ai pris un visage innocent et ramassé le « Guide stratégique d’Argo : Volume du Boss du Rez-de-Chaussée », sur lequel j’ai donné un léger coup de poing.

« En parlant de gratuité, ça me fait penser à ça. Je t’embête sans arrêt mais j’ai toujours dépensé 500 colls pour ces trucs… Et, pendant la réunion d’hier, j’ai entendu Egil, l'utilisateur de hache, dire que ces livres sont distribués gratuitement ? »

En entendant mon ton relativement amer, la ratte rigola avec un « nichichi ».

« Ces livres, que j’ai vendus à Ki-bou et à tous les autres favoris, sont la première édition publiée. La seconde édition est distribuée gratuitement. Mais, ne t’inquiète pas, seule la version publiée contient l’autographe d’Argo-sama. »

« …Je vois. Dans ce cas je ne l’achèterai plus à l’avenir. »

…Ça signifie que la version gratuite est la manière d’Argo de prendre ses responsabilités en tant que bêta-testeuse. Même si j'avais envie d'en entendre plus à ce sujet, jamais le mot « bêta » ne sortirait de nos lèvres, car c'était un tabou entre nous. Non. Vu que je n’avais rien apporté plus tôt en tant que testeur, je n’avais pas le droit d’aborder le sujet.

L’atmosphère devint lourde. Argo fit se balancer ses cheveux bouclés et dorés et changea de sujet :

« Bon, j’imagine qu’il est temps d’en venir au sujet principal. »

Vas-y, vas-y, vas-y ! Criant ça en silence, j’ai légèrement acquiescé.

« Maa, cette fois le client se sent en veine et se veut attentionné. On parle de l’épée de Ki-bou… Si tu es prêt à la vendre aujourd’hui, le client l’achètera pour 39 800 colls. »

« …Tr… »

39 800 ? J’ai presque crié. Après avoir inspiré et réfléchi pendant quelques secondes, j’ai ouvert la bouche :

« …Je ne dis pas ça pour t’insulter mais… Ce n’est pas une arnaque ou un truc du genre ? L’épée ne vaut absolument pas 40 000 colls. Après tout, le prix sur le marché d’une « Lame Détrempée » simple devrait avoisiner les 15 000 colls. Si tu ajoutes encore 20 000 à ça, tu peux, en gros, acheter les matériaux pour l’augmenter de +6 sans problème. Même si ça peut prendre un peu de temps, avec 35 000 colls, tu peux fabriquer une épée semblable à la mienne. »

« Moi aussi, j’ai déjà dit ça au client trois fois. »

Le visage d’Argo, recouvert par ses mains aux doigts écartés, avait une rare expression signifiant : « Je ne comprends pas ».

Tournant le dos au canapé, j’ai croisé les bras et tous les problèmes concernant la salle de bain et le reste quittèrent mon esprit pendant un instant. Dans cette affaire, je n’avais absolument pas envie de perdre de l’argent. Mais j'étais encore plus dégoûté à l'idée de laisser cette question sans réponse. Ma décision était prise. J’ai donc fait face à la meilleure fournisseuse d’informations d’Aincrad.

« …Argo, je veux savoir le nom de ton client pour 1 500 colls. Le prix a-t-il augmenté ou as-tu besoin de vérifier avec le client ? »

« …Je comprends. »

La ratte acquiesça, ouvrit sa fenêtre et pianota à toute allure avant d’envoyer le message instantané.

Après une minute, un côté de ses sourcils tremblota par réflexe tandis qu’elle lisait la réponse, puis elle haussa les épaules.

« Comme tu voudras. »

« … »

Je n’en avais plus rien à faire. Dans cet état d’esprit, j'ai ouvert ma fenêtre et matérialisé les 1 500 colls. J’ai placé les six pièces qui les représentaient devant Argo.

Les pinçant d’un air détaché avec le bout de ses doigts, la ratte mit les pièces une par une dans son propre inventaire avec espièglerie.

« En effet, dit-elle en acquiesçant. …Ki-bou, tu connais déjà son nom. C’est le type qui s’est mis devant pendant le bazar de la réunion d’hier. »

« …Ça serait…Kibaou ? »

En entendant mon murmure, la souris acquiesça.

…Kibaou. La personne qui a lancé les hostilités contre les bêta-testeurs pendant la réunion. Ce type veut acheter mon épée pour 40 000 colls ?

En effet, ce type avait une arme semblable à la mienne dans son dos. Il utilisait lui aussi une « Épée Longue à Une Main ». Mais, normalement, je l’avais rencontré hier pour la première fois. Cependant, Argo m'avait dit qu'au départ l’offre datait d'une semaine…

Utiliser 1 500 colls pour découvrir son identité n’avait fait que me troubler davantage. Argo me faisait face, assise sur le canapé. Tandis que je réfléchissais activement, elle me rappela :

« …Cette fois, la vente de l’épée semble annulée ? »

« Huum… »

Bien entendu. Pour commencer, je ne voulais pas vendre ma chère épée, peu importait le prix. J’ai à moitié acquiescé et la ratte s’est redressée en silence.

« Bon, désolée du dérangement. J’espère que ce guide stratégique te sera utile. »

« Huum… »

« Avant de partir, j’aimerais emprunter la pièce d’à-côté. Je veux mettre mes habits de nuit. »

« Huum… »

…Étant donné que, pendant la réunion d’hier j’ai eu l’impression que Kibaou inspectait tout le monde et que ses yeux se sont attardés sur moi pendant un moment… Donc, il ne m'a pas regardé comme ça hier parce qu’il me suspectait d’être un bêta-testeur mais pour voir mon épée…peut-être ? Non, c'était peut-être les deux…

…Attends un peu. Qu’est-ce que vient de dire Argo ?

Penser à Kibaou avait totalement occupé environ 80% de mon cerveau. J’ai levé les yeux d’un air absent.

Du coin de l’œil, je vis Argo tourner le bouton de la porte ; et ce n’était ni la porte conduisant au couloir extérieur, ni la porte est, de ma chambre… Suspendue sur la porte, se trouvait une plaque indiquant la salle de bain.

J’ai regardé, ébahi, du coin de l’œil, la silhouette menue de la ratte se glisser dans la salle de bain avant de disparaitre.

Trois secondes plus tard…

« Ouhaa !? »

Une voix surprise.

« …Kyaaaaaaaaaaaaaa !! »

Un hurlement à percer les tympans secoua toute la pièce. Ensuite, celle qui sortit à toute vitesse de la pièce n’était pas la joueuse nommée Argo…

Je ne me souviens pas de ce qui s’est passé après.


Partie 14

Dimanche 4 décembre, 10h du matin.

Ce jeu de mort avait débuté un dimanche à 13h, le 6 novembre. Dans trois heures, ça ferait exactement 4 semaines.

La première fois que j’avais découvert l'absence du bouton de déconnexion, je m’étais dit qu'il s'agissait d'un problème système et que je n'avais qu'à attendre suffisamment longtemps pour pouvoir me déconnecter. Ensuite, le MJ sans visage, Akihiko Kayaba, nous avait révélé les conditions de notre déconnexion, qui étaient de passer tous les 100 étages d’Aincrad. Je m’attendais à ce qu’on reste enfermés à peu près une centaine de jours ; en me basant sur l’estimation qu’on pouvait franchir, en moyenne, un étage par jour.

Mais, jusqu’à présent… Quatre semaines avaient passé et nous n’avions même pas atteint le 1er Étage.

Je ne pouvais que rire de moi-même pour avoir été aussi naïf. Mais, en nous basant sur l’assaut d’aujourd’hui contre le boss, on pourrait estimer le temps nécessaire à notre libération. 44 joueurs étaient à présent rassemblés sur la place de la fontaine à Tolbana. On pouvait les considérer comme la plus puissante force de combat qu’on aurait pu espérer avoir à ce stade. Si, par hasard, ce groupe de raid était balayé, non, même si la destruction était partielle, la rumeur se répandrait rapidement jusqu’à la Ville du Début. La résignation : « SAO est impossible à finir », se répandrait à travers le rez-de-chaussée. Il faudrait un temps affreusement long pour constituer un second groupe…ou, il serait peut-être impossible d’affronter le boss une seconde fois. Même si nous voulions augmenter notre niveau afin de défier une nouvelle fois le boss, nous avions déjà atteint la limite supérieure de capacité à gagner de l’expérience avec les monstres du rez-de-chaussée.

Tout dépendait de si la force du boss, « Illfang le Seigneur Kobold », avait changé depuis les bêtatests. Le Roi Kobold, dans mes souvenirs, pouvait facilement être vaincu par un tel nombre de personnes, avec ces compétences, niveaux et équipements, sans pertes humaines. Mais, serions-nous capables de garder notre calme jusqu'au bout alors que les circonstances mettaient nos vies en jeu…

Alors que je réfléchissais jusqu’à faire surchauffer mon cerveau, j’ai soudain remarqué un joueur à côté de moi qui inspira légèrement puis sourit amèrement.

La rapiériste « Asuna », son profil caché par sa capuche, était exactement la même que quand je l’avais vue pour la première fois dans la Zone de Labyrinthe, avant-hier matin. Aussi furtive qu'une étoile filante et aussi tranchante que l’acier. Comparé à elle, j’avais l’air extrêmement agité.

Alors que je la regardais fixement, elle se tourna tout à coup et me jeta un regard furieux.

« …Qu’est-ce que tu regardes ? »

Ce sourd mais énergique chuchotement me fit secouer la tête. Elle était de mauvaise humeur depuis le matin car, d'après elle, elle avait bu un seau de lait avarié qu'on lui avait offert. Mais j'étais, pour ma part, incapable de m'en rappeler.

« R…rien, ai-je aussitôt répondu sans réfléchir. »

Asuna, me jeta à nouveau un regard aussi tranchant que la pointe de sa rapière, avant de me tourner le dos. Je me demande si le plan d'aujourd'hui va bien se passer… Bon, nous ne sommes qu'une équipe de rab… Alors que je me disais ça…

« Hé. »

Une voix qu’on ne pouvait pas considérer comme amicale arriva de derrière-moi. Je me suis donc retourné dans sa direction.

Un joueur avec une sorte de courte chevelure châtain, pointue comme un cactus, se tenait là. Je n'ai pas pu m'empêcher de reculer. Aujourd’hui, même si c’était le jour de rassemblement de nombreux joueurs, c’était le visage que j’avais le moins envie de voir… C’était Kibaou.

Devant mon air ébahi, Kibaou, qui se tenait plus bas que moi, me lorgna dangereusement avant de dire d’une voix basse :

« Écoutez, aujourd’hui vous devriez rester en arrière. Vous êtes juste là en soutien. »

« … »

Je ne suis peut-être pas d'un naturel diplomate mais je savais que je ne devais pas réagir à ça. Juste hier, j’avais rejeté son offre de 40 000 colls ; ce qui représentait beaucoup d’argent. En plus, il avait tenté de garder son nom secret. Pour quiconque avec du bon sens, cette situation était donc plutôt inconfortable. Si la situation avait été inversée, je n'aurais pas voulu l’approcher à moins de 20 mètres.

Malgré tout, l’attitude de Kibaou était tellement désagréable que j'en perdis l'envie de dire « bien sûr ». Ses répugnantes joues tordues se gonflèrent en avant puis il cracha.

« Soyez obéissants. Vous pouvez vous en prendre à la vermine Kobold qui échappe à mon groupe. »

Kibaou cracha un peu plus de salive virtuelle par terre, pour l’accent, avant de se retourner et de partir. J’ai regardé son dos tandis qu’il rejoignait les autres membres du groupe E. J'avais toujours l’air aussi stupéfait qu'avant quand une voix venant directement de ma droite me surprit :

« …C’était quoi ça ? »

Bien entendu, son « vous » incluait aussi Asuna. A mon sens, son regard était à peu près 30% plus terrifiant que l'expression méprisante à laquelle je venais de faire face.

« Eh…eh bien… Peut-être qu’il veut que les joueurs solo fassent moins les malins… »

J’ai dit ça sans trop réfléchir mais, soudain, une idée me vint et je me suis dit à moi-même :

…Ou bien, peut-être : Ne faites pas trop les malins, bêta-testeurs.

Si c’était vrai, alors, d’après son comportement, Kibaou avait déjà déterminé que j’étais un bêta-testeur. Mais…sur quelle base reposait cette accusation ? Même Argo la Ratte n'aurait pas vendu d’information concernant l’identité des bêta-testeurs. Et, jusqu’à maintenant, je n’avais jamais prononcé le mot « bêta » devant qui que ce soit.

Encore une fois, tourmenté par une sensation désagréable semblable à celle d’hier, j’ai continué à fixer le dos de Kibaou.

« …Heiiin…? »

Puis j’ai remarqué quelque chose qui m’a fait pousser un cri.

Hier, cet homme avait offert 40 000 colls, une forte somme d’argent, pour acheter ma Lame Détrempée +6. C’était un fait. Bien entendu, c'était dans l'optique de l’utiliser, aujourd’hui, lors du combat contre le boss. Elle était améliorée de 3 points supplémentaires de « Durabilité », ce qui augmentait son poids. Si on oubliait le fait qu'il devrait soudain être capable de brandir une épée aussi lourde, son but était clairement d'obtenir une arme puissante à utiliser sur le champ de bataille afin d’améliorer son influence et ses capacités à commander. C'était une motivation prévisible.

Cependant, dans ce cas, à l’heure actuelle, il aurait déjà dû dépenser ses 40 000 colls pour améliorer son équipement.

Ça aurait dû être le cas mais l’armure d’écailles que Kibaou portait et l’épée à une main dans son dos étaient les mêmes que la veille. Elles n'étaient pas vraiment mauvaises mais, avec 40 000 colls, il aurait dû pouvoir obtenir un équipement plus puissant, vu qu’il lui restait assez de temps. En fait, hier soir, sur ma suggestion, Asuna, qui se trouvait à côté de moi, avait ôté de sa taille sa « Rapière d’Acier » achetée en magasin pour y mettre un « Fleuret du Vent +4 » qu’elle avait obtenu en tant que drop. Après tout, nous allions peut-être tous mourir aujourd’hui, donc à quoi bon garder 40 000 colls…

…Mais mes pensées s’arrêtèrent là.

Avant que je ne m’en rende compte, le « Chevalier » aux cheveux bleus se tenait devant le rebord de la fontaine, faisant retentir sa belle voix familière, il dit :

« Vous tous, même si c’est peut-être soudain… Merci à tous. Je suis vraiment heureux que les 44 membres du groupe se soient rassemblés sans le moindre absent. »

Après qu’il ait parlé, une bruyante acclamation : « Oooh ! » fit vibrer toute la place. Elle fut suivie d'une avalanche d’applaudissements. J’ai arrêté de chercher à comprendre et j’ai levé les mains pour applaudir.

Après avoir souri à tout le monde, le « Chevalier » ferma puis ouvrit son poing droit avant de continuer en criant bien fort :

« Maintenant, je vous l'avoue, j'envisageais en fait d'annuler la mission si une seule personne ne s’était pas présentée ! Mais…cette inquiétude vous insulte. Je suis vraiment heureux que…le meilleur groupe de raid… Enfin, même si on n’est pas assez…! »

Quelques personnes rigolèrent et sifflèrent et d'autres ouvrirent et fermèrent le poing pour l’imiter.

Je ne voulais pas trouver à redire aux qualités de chef de Diabel ; mais, de mon point de vue, il y avait trop d’excitation. Une tension excessive pouvait produire le poison de la peur mais une surexcitation pouvait aussi avoir des effets indésirables, comme la négligence. Pendant la période des bêtatests, se faire battre à cause de son enthousiaste excessif était comme une blague mais, ici, l’échec pouvait provoquer la mort du joueur. Dans cette situation, il aurait mieux valu que les joueurs soient moins excessivement excités.

Tout en pensant à ça, j’ai regardé les autres groupes de derrière. Le chef du groupe B, Egil, le manieur de hache à deux mains, et plusieurs autres personnes, avaient tous des visages graves et les bras croisés devant eux. Dans les moments critiques, ils seraient fiables. Le groupe E de Kibaou me tournait le dos, donc je ne pouvais pas lire leurs expressions.

Tandis que tous hurlaient, Diabel leva ses deux mains pour arrêter la clameur.

« Vous tous… Voilà ce que je veux dire à présent ! »

Sa main droite se déplaça vers sa hanche gauche et il tira son épée argentée avec un grand bruit…

« …Vainquons !! »

Un cri bruyant résonna. Ça me rappela, quatre semaines en arrière, sur la place centrale de la Ville du Début, le moment où les 10 000 joueurs avaient crié.


Partie 15

Le large groupe de personnes marcha de la ville de Tolbana à la tour du labyrinthe et cette scène sembla déclencher quelque chose dans la mémoire d’Asuna. Après quelques minutes de réflexion, elle se rappela enfin.

C’était le voyage scolaire auquel elle avait participé en janvier de cette année. La destination était Queensland, Australie. La tension des élèves, partis de Tokyo au milieu de l’hiver pour la Côte Dorée au summum de l’été, avait crevé le plafond. Peu importait où elle allait, c’était un festival.

Cette situation était presque en tout point semblable, au point qu’il aurait été difficile de trouver une différence. L’ambiance de la marche sous les feuillages avec cette quarantaine de personnes était identique à celle des promenades avec ses camarades de classes à l'époque. Les interminables discussions et les fréquents éclats de rire… La seule différence était que des monstres surgissaient de temps à autre de la forêt pour attaquer. Cependant, tous les monstres qui approchaient étaient instantanément tués par les techniques dont chacun se vantait.

Asuna, qui fermait la marche avec l’épéiste, oublia tout de l’incident de la nuit précédente et commença à parler :

« …Hé, toi, avant de venir ici, tu as joué à d’autres M…MMO ? C’est comme ça qu’on dit ? »

« Heu…ah, oui, oui, c’est ça. »

L’épéiste, dont la chevelure brune se balançait de haut en bas, semblait encore assez timide.

« Dans les autres jeux, on ressent parfois ce genre de sentiment ? Comment dire…comme si on partait en sortie scolaire…? »

« …Ha, ha ! Ça serait sympa une sortie scolaire ! »

L’épéiste rigola brièvement puis haussa les épaules.

« Malheureusement, les autres jeux auxquels j’ai joué ne donnent pas ce genre de sensations. Après tout, ce sont des jeux qui ne servent pas la technologie FullDive ; donc il faut utiliser la souris et le clavier pour contrôler les mouvements de l’avatar. On n’a donc pas tellement le temps de vérifier la fenêtre de discussion. »

« …Ah, je vois… »

« Enfin, il y a aussi des jeux avec tchat vocal ; mais je n’ai pas encore joué à ces jeux. »

« Hum. »

Tout en imaginant le personnage silencieux d’un jeu de gestion avancer sur un écran d’ordinateur, Asuna dit doucement :

« …En réalité, qu’est-ce qu’on ressent ? »

« Hein ? En…en réalité ? »

L’épéiste lui adressa un regard interrogateur donc Asuna essaya de décrire l’image qu'elle avait en tête.

« Comme je disais…ce genre de monde fantastique…être en groupe avec des épéistes et des magiciens, en route pour combattre le terrible chef des monstres… Sur la route, de quoi parlerions-nous…ou marcherait-on ensemble en silence. Ce genre de sujet. »

« … »

L’épéiste resta étrangement silencieux et, quand elle jeta un coup d’œil de son côté, en le voyant comme ça Asuna sentit qu’elle avait posé une question puérile. A l'instant même où elle se détourna par réflexe, sur le point de dire : « J’imagine que ça n’a pas d’importance »…

« Marcher sur la route qui mène soit à la mort, soit à la gloire, hein… »

Ces mots sourds atteignirent ses oreilles.

« Si on compare ça à des gens vivant une vie normale… Ça serait, probablement, comme aller manger au restaurant. S’il y a un sujet à aborder, on parle, autrement, on se tait. Je pense qu’au bout du compte ce sera comme ça avec ce raid contre le boss. Si possible, j’espère qu’on pourra défier les bosses quotidiennement. »

« …Hu, hu, hu. »

Les mots francs de l’épéiste semblèrent amuser Asuna, qui se mit à rire légèrement. Elle s’expliqua immédiatement, presque pour s’excuser :

« Je suis désolée de rire mais…c’est vraiment étrange. Ce monde est une forme ultime de vie atypique et tu veux que cette activité soit notre train-train quotidien. »

« Ha, ha… J’imagine que c’est vrai. »

L’épéiste rigola lui aussi puis dit à voix basse :

« Cependant, il nous a fallu 4 semaines pour arriver jusque-là. Même si on bat le boss aujourd’hui, il nous restera encore 99 étages à parcourir. Je suis…prêt à continuer comme ça pendant deux, non, trois ans. Si ça continue, même cet évènement atypique deviendra quotidien. »

Ces mots auraient provoqué un choc et un désespoir immenses chez l’ancienne Asuna. Mais, à présent, elle se rendait compte que c’était exactement comme un vent sec soufflant hors de sa poitrine.

« …Tellement fort. Moi, je ne pourrais pas penser comme ça. M’imaginer vivre dans ce monde pendant des années… Mourir dans la bataille d’aujourd’hui me semble moins effrayant. »

L’épéiste la regarda de côté pendant un moment après l’avoir écoutée, puis il mit ses mains dans les poches de sa veste grise et dit d’une voix contenue :

« Si on parvient à atteindre les étages supérieurs, peut-être qu’on trouvera un meilleur bain là-haut. »

« …V…vraiment ? »

Elle réagit involontairement avant de se rendre compte de ce qu’elle venait de dire. Se sentant honteuse, elle dit à voix basse :

« …Rappelle-t-en. Ou tu finiras vraiment pas boire un tonneau de lait avarié. »

« Dans ce cas, le moins qu’on puisse faire c’est de revenir en vie aujourd’hui. »

Après avoir fait ce commentaire, l’épéiste sourit et rigola.


* * *

11h du matin, nous sommes partis pour le labyrinthe.

12h30, nous avons atteint le dernier étage.

Jusque-là, personne n’était mort. Je me suis secrètement félicité. Après tout, un groupe de raid complet de presque 48 personnes avait marché au pas et, pour la majorité des personnes présentes, c’était une première expérience. Dans ce monde, sans exception, « premier » était une chose dangereuse qui impliquait un risque d’accident.

En fait, il y avait eu trois situations réellement effrayantes. Ceux qui portaient des armes longues―du type « Lance » et « Hallebarde »―, principalement dans les groupes F et G, avaient été pris en embuscade sur la route par des Kobolds spécialisés en mêlée. Dans SAO, les armes de mêlée ne blessaient pas les joueurs si le coup était porté par accident―bien entendu, ça n’équivalait pas à un acte criminel―et les techniques d’épées qui entraient en contact avec un obstacle étaient aussi arrêtées. A cause de ça, les armes de longue portée couraient déjà un grand risque et l’embuscade en mêlée empira la situation.

Dans une telle situation, le « Chevalier » Diabel montra ses capacités à commander avec précision. En tant que chef des troupes, il prit des décisions courageuses, comme rester pour se battre en ordonnant aux autres de se retirer, utiliser un nombre important de techniques d’épées pour repousser les monstres et switchant entre membres équipés d’armes longues et membres équipés d’armes de mêlée. Des décisions qui ne pouvait être prises qu'en étant habitué à diriger.

C’était pour ces raisons qu’avant notre départ, en tant que joueur solo, j’avais dit que « ce n’était pas tellement excitant » et je m’étais inquiété de paraitre trop arrogant. Le commandement de Diabel suivait sa propre philosophie : lui faire entièrement confiance est le devoir de chacun des membres du raid. Et c’était la raison pour laquelle tout le monde était arrivé jusque-là.

…Je venais d’admettre ça quand deux portes immenses se dressèrent devant nos yeux. Ceux de l’arrière durent se tenir sur la pointe des pieds pour les voir.

Sur la pierre grise se trouvait un relief représentant la terrifiante tête bestiale d’un monstre. Dans la plupart des autres MMO, les Kobolds étaient généralement les créatures les plus faibles d’entre les faibles mais, dans SAO, cette classe d’êtres humanoïdes « semi-humains » constituait un redoutable ennemi. Ils avaient la capacité de porter des armes telles que des épées ou des haches et pouvaient même utiliser des techniques d’épée. Comparé à une attaque normale, elles avaient une vitesse et une puissance d’attaque plus grande et même des propriétés de réajustement des coups. Si un joueur était attaqué alors qu’il se retrouvait sans défense, même une technique basique pouvait provoquer un coup critique et réduire drastiquement la jauge de PV. La rapiériste Asuna, à côté de moi, avait atteint les profondeurs du labyrinthe en n’utilisant que « Linear » ; ce qui prouvait la force et l’horreur des techniques d’épée…

« …Tu peux m’écouter quelques instants ? »

Je me suis rapproché d’Asuna pour chuchoter :

« Aujourd’hui, nos ennemis sont les « Sentinelles Kobolds des Ruines » et, même si ce n’est pas le boss, ce sont quand même des ennemis puissants qui popent<Poper : terme de jeu désignant l’apparition soudaine d’un monstre.</ref> de partout. J’ai dit hier qu’une bonne partie de leur corps et de leur tête est couverte et protégée par une armure en métal. Ta « Linear » ne suffira pas. »

Après m’avoir écouté, son regard perçant visible sous la capuche, la rapiériste acquiesça.

« Je comprends. Ne vise que la gorge, c’est ça ? »

« Exactement. Tout comme ils l’ont fait après avoir utilisé la technique d’épée « Pole Axe[27], on doit immédiatement switcher dès que j’ai attaqué pour créer une ouverture. »

Asuna acquiesça avant de se tourner vers les portes gigantesques. J’ai continué à la regarder pendant encore quelques secondes.

Où et comment on meurt, tôt…ou tard, c’est là la seule différence.

A notre première rencontre, c’était ce qu’elle m’avait dit. Je ne pouvais évidemment pas laisser ces mots devenir réalité. La « Linear » d’Asuna démontrait un talent dont elle-même n’était pas consciente. De toutes les étoiles filantes, la sienne en était une qui ne s’éteignait pas dans l’atmosphère, soutenant les flammes jusqu’à toucher le sol.

Si elle arrivait à survivre à la bataille d’aujourd’hui, Asuna deviendrait sans aucun doute connue comme la plus rapide et la plus belle des épéistes d’Aincrad. Elle serait assurément une étoile filante éclairante, guidant brillamment les autres joueurs effrayés et désespérés. J’en étais très convaincu. Cette responsabilité était un rôle qu’un bêta-testeur tel que moi ne pourrait jamais tenir à cause de la stigmatisation.

Une fois ma détermination confirmée, j’ai avalé ma salive puis fait face à la large porte. Devant nous, Diabel avait fini d’aligner les 7 équipes.

Aucun des guerriers n’osa hurler « Vainquons ! » en ce lieu ; car, ici, les monstres humanoïdes réagissaient aux sons bruyants.

Au lieu de ça, Diabel leva haut sa longue épée argentée et acquiesça d'un grand geste. En réponse, les 43 membres du groupe de raid levèrent aussi leurs épées et acquiescèrent.

Faisant flotter ses longs cheveux bleus en se retournant, le « Chevalier » plaça sa main gauche au milieu des larges portes…

« …Allons-y ! »

Avec un cri court, il ouvrit grand les portes de toutes ses forces.


Partie 16

Était-ce si large ?

En regardant la salle du boss du rez-de-chaussée pour la première fois après environ 4 mois, ce fut ma première impression.

La salle était très profonde. Sa largeur du mur gauche au mur droit était d’environ 20m. De plus, c’était assez rectangulaire. Il y avait une distance d’environ 100m de l’entrée au fond. Le sol faisait, en gros, la même taille que les 20 autres étages et la salle était la dernière à avoir été cartographiée. En conséquence, sa superficie pouvait être estimée d’après la zone blanche sur la carte. Cependant, en la voyant de nos propres yeux, elle semblait plus profonde que ce qu’elle était en réalité.

Cette salle était spacieuse afin de contenir le gigantesque monstre.

Dans les salles de boss d’Aincrad, les portes ne se refermaient pas, même pendant la bataille contre le boss. En conséquence, même si les choses tournaient au vinaigre et que nous risquions d’être annihilés, il nous restait l’option « retraite ». Cependant, si on se retournait pour fuir et que les techniques d’épée de longue portée de l’ennemi nous touchaient, on risquait d’être ralentis―« Délai »―ou d’être immobilisés―« Etourdissement ». Il nous faudrait donc nous retirer tout en faisant face au boss ; mais, dans cette situation, les 100 mètres décisifs conduisant à la sortie paraitraient infiniment longs. La téléportation instantanée était possible en utilisant les « Cristaux de Téléportation ». Cependant, c’était cher et on ne pouvait les obtenir que sur les étages supérieurs ; ce qui rendrait plus facile le repli face aux bosses des étages supérieurs. Mais, parce que c’était si cher, après s’être replié, le joueur pouvait se retrouver avec un portefeuille quasi vide.

Pendant que je réfléchissais à ce genre de choses, la salle du boss fut plongée dans l’obscurité presque totale. Sur les murs, à droite et à gauche de la salle, *ping* *ping*, de l’entrée de la salle jusqu’au fond, des « torches » s’allumèrent les unes après les autres. Les torches rudimentaires s’enflammaient bruyamment.

Avec les sources de lumière produites, le « Gamma[28] » augmenta lui aussi. Le sol et les murs de pierre étaient tout craquelés. De grands et petits crânes étaient placés à différents endroits pour décorer la salle. Dans la partie la plus profonde de la salle se trouvait un immense trône, avec la silhouette grossière de quelque chose de large assise dessus.

Le « Chevalier », Diabel, leva son épée puis la fit retomber devant lui…

A ce signal, les 44 membres des forces de raid contre le boss poussèrent un cri de guerre tout en déferlant dans la salle en avalanche.


* * *

La rangée de devant fonça en premier, guidée par le chef du groupe A, équipé d’un écu[29] en fer et d’un « Marteau » levé haut. Ils étaient suivis par le groupe B, à leur gauche―conduit par le guerrier à la hache, Egil―et, à leur droite, par Diabel et ses cinq amis du groupe C. Le chef du groupe D était un grand homme portant une longue épée à deux mains et, derrière ces trois-là, se trouvait le groupe E conduit par Kibaou. Les groupes F et G, équipés d’armes d’hast[30] aux manches longs, couraient en parallèle.

Et, encore plus loin derrière eux, se trouvaient deux personnes en rab…

Quand la distance entre le groupe A et le trône fut d’environ 20m, la gigantesque silhouette, qui n’avait d’abord pas bougé, sauta tout à coup. Dans les airs, il fit une pirouette avant d’atterrir à terre, faisant gronder le sol. Après ça, il ouvrit ses mâchoires de loup et hurla :

« Gurururaaaaaaaaaaaaaaaa !!!! »

Le Roi semi-humain, « Illfang le Seigneur Kobold », avait exactement la même apparence que dans ma mémoire. Son corps musclé de plus de 20m était recouvert d’une fourrure gris-bleu. Ses yeux sanguinaires luisaient d’un rouge doré. Sa main droite tenait une hache en os tandis que sa main gauche tenait un bouclier en cuir. De derrière sa taille apparaissait un talwar d’un mètre et demi de long.

Le Seigneur Kobold leva haut la hache en os de sa main droite puis frappa énergiquement le chef du groupe A. L’écu reçut le coup, causant un éblouissant effet de lumière et un son bruyant qui se réverbéra dans la salle.

Comme si ce son était un signal, depuis différents trous situés haut sur les murs latéraux, trois monstres lourdement armés sautèrent à terre. C’étaient les gardes, les « Sentinelles Kobolds des Ruines ». Le groupe E, conduit par Kibaou et le groupe de soutien G, se déplacèrent rapidement vers les trois, verrouillant leurs cibles. Asuna et moi nous sommes regardés et avons foncé sur la Sentinelle la plus proche.

Juste comme ça, le 4 décembre à 14h40, la première bataille contre un boss débuta.

La jauge de PV du « Illfang » était constituée de 4 barres. Pendant les trois premières barres, il tiendrait sa hache en os dans sa main droite et son bouclier en cuir dans la gauche mais, une fois sur la dernière, il les jetterait et tirerait le talwar de sa taille. Son schéma d’attaque changerait complètement. C’était ce que disait le guide stratégique d’Argo. Une fois qu’il aurait échangé la hache en os contre le talwar, nos techniques d’épée et tactiques devraient changer en fonction, exactement comme nous en avions parlé pendant la réunion de la veille.

Tandis que je me battais contre la « Sentinelle » qui avait échappé aux groupes E et G, je surveillais du coin de l’œil la première ligne. Ni la première ligne, ni ses tactiques ne montraient de signes d’effondrement. Les groupes de « tanks » et les groupes d’« attaquants » switchaient calmement pour les tours de « PoT ». Le bord gauche de mon champ de vision affichait une petite fenêtre avec la jauge moyenne de PV du groupe de raid et ça restait stable au-dessus des 80% pour tout le groupe.

Je vais les laisser faire, juste comme ça… Et, juste comme ça, la bataille continua.

Ce n’était pas comme ça quand je jouais en solo mais, à présent, je priais de toutes mes forces pour qu’ils réussissent.


* * *

Ayant été capable de la sauver dans la tour du labyrinthe alors qu’elle s’était évanouie―même si elle ne comprenait pas comment c’était arrivé―, elle s’était dit que l’épéiste aux cheveux bruns devait être une personne assez influente.

Cependant, après avoir vu sa façon de se battre, Asuna voyait bien qu’elle l’avait sous-estimé.

…Fort.

Non, le mot « fort » n’était pas suffisant pour décrire le sentiment qu’il dégageait en se battant. Sa puissance et sa vitesse semblaient dépasser les échelles existantes et il donnait l’impression d’être dans une « autre dimension ».

Pour Asuna, une débutante qui n’avait jamais joué à un jeu en ligne et n’avait même jamais été dans un environnement en FullDive auparavant, il était difficile de mettre des mots sur ce sentiment. Si elle essayait de l’exprimer, c’était le sentiment que tout était optimisé. Aucune de ses actions n’avait de mouvements en trop, d’où la rapidité de sa technique, et, avec son épée lourde, il infligeait des coups mortels. L’attaque à la hache du Kobold à l’armure lourde, fut déviée haut dans le ciel par son coup montant.

« Switch, dit-il en se repliant nonchalamment. »

A sa place, Asuna sauta rapidement devant le Kobold et, tandis que le Kobold restait penché en arrière, elle plaça facilement sa « Linear » sur son cou non protégé.

Asuna se rappelait les mots qu’il avait dit lors de leur première rencontre : « …L’overkill n’est pas grave et n’entraine aucune pénalité par le système mais ça réduit l’efficacité. » et elle lui avait répondu : « C’est un problème ? » A cet instant, ça aurait posé un gros problème. Si on parvenait à se débarrasser de tout geste inutile, l’action devenait plus simple et le champ de vision en était élargi. La « Sentinelle » était bien plus forte que les « Soldats » qu’elle combattait à ce moment-là, pourtant Asuna pouvait très clairement voir chacun de ses mouvements.

En lançant sa « Linear sur une partie vitale de sa gorge, Asuna réduisit à rien la jauge de PV du Kobold. S’il avait s’agit de l’ancienne Asuna, elle aurait attendu pour contrattaquer avec une autre « Linear » mais c’était un « overkill » inutile. Une fois le délai provoqué par la technique d’épée fini, Asuna planta une nouvelle fois la gorge, sans mouvement inutile, et la jauge de PV du Kobold se vida, le faisant exploser en fragments bleus puis se disperser.

« GG[31] ! dit doucement derrière-elle l’épéiste aux cheveux bruns. »

Même si elle ne savait pas ce que ça voulait dire, elle répondit :

« Toi aussi ! »

A ce moment-là, la première barre de la jauge de PV du boss disparut. Diabel, en première ligne, hurla :

« On passe à la deuxième barre ! »

Au même moment, quelques « Sentinelles » supplémentaires sautèrent des trous des murs.

Oubliant qu’ils étaient des forces en rab, Asuna et son partenaire à côté foncèrent sur les monstres. Même si elle ne l’utilisait que depuis la veille, sa paume droite avait déjà assimilée l’épée, qui lui semblait familière. Elle sentait que la réponse de l’épée était nette quand elle lançait ses techniques. Comme le cuir qui enveloppait sa main, même la pointe de la luisante lame tranchante semblait faire partie de son bras.

…Si c’est ça le sentiment de « se battre », jusqu’à hier tout ne semblait être qu’une imitation.

…Il y a sûrement beaucoup de batailles qui nous attendent. Foncer tout droit aux côtés de cet épéiste… Dans ce monde virtuel, même si tout ce qu’on fait est faux…mais…mais, ce sentiment est certainement réel. Je veux voir ce qui se trouve devant ses yeux.

La hache du monstre retomba et l’épéiste la contra avec un coup haut. L’instant d’après, Asuna hurla :

« Switch ! »

Puis elle sauta en direction de l’ennemi avec sa chère épée.


Notes de traduction

  1. La magnitude est une échelle de mesure de la luminosité des étoiles. Elle va de 0 à 6. 6 étant la limite de visibilité à l’œil nu.
  2. Droper : Terme de jeu désignant le fait qu’un monstre laisse derrière-lui, en mourant, des objets ou de l'or.
  3. Le Kobold est un esprit de la mythologie germanique à l’apparence humaine mais à la taille d’un enfant.
  4. Linear : Linéaire
  5. Rapiériste : Utilisateur de rapière.
  6. Joueur solo : Personne jouant sans coéquipier.
  7. Overkill : Terme de jeu désignant le fait d’utiliser une puissance de feu exagérée par rapport à la résistance de l'ennemi.
  8. FullDive : Immersion Totale
  9. PNJ : Personnage Non Joueur - personnage dirigé non par un joueur mais par un ordinateur.
  10. Personnages typiquement spécialisés dans la forge dans les récits d'heroic fantasy.
  11. Switcher : alterner
  12. Le z-score est une mesure comparative d’un résultat spécifique par rapport à un ensemble. Avoir un z-score de 2 dans les études signifie qu’on est parmi les 2,3% de meilleurs élèves
  13. Le bouclier normand est un bouclier en fer du XIème siècle (Moyen Age) en forme de goutte d’eau inversée et très allongée.
  14. 14.0 14.1 L’une des traductions possibles de Kibaou est « Roi des Crocs ».
  15. L’armure d’écailles est aussi appelée « cataphracte ». Il s’agit d’une armure composée d’écailles de corne, bronze, fer ou cuir, fixées sur un vêtement.
  16. MJ : Maitre de Jeu
  17. Le talwar est une épée courbée (ou sabre) du sous-continent indien.
  18. Illfang : Croc Malade.
  19. Cimeterre : Épée orientale, courbée.
  20. Hallebarde : Arme composée d’un manche long en bois et d’un fer de hache et, selon les cas, de plusieurs pointes.
  21. PoT : terme de jeu. De l’anglais « Power on Time », ce terme désigne tous les éléments (sorts, potions, objets, etc.) qui permettent d’accélérer son rétablissement.
  22. Tank : terme de jeu désignant les joueurs dont la fonction est de recevoir les coups pendant que les autres joueurs attaquent.
  23. Delay : Délai.
  24. 24.0 24.1 Au Japon, on donne la mesure d’une pièce en « tatamis », c’est-à-dire en nombre de tatamis (matelas) que peut accueillir une pièce. Les tatamis ont donc une mesure fixe ; la plupart du temps de 91 cm x 182 cm. Cite error: Invalid <ref> tag; name "x2" defined multiple times with different content
  25. « Transmittance » et « facteur de réflexion » sont des termes utilisés en optique pour définir le comportement de la lumière par rapport à un objet.
  26. Jet Sauveur : terme de jeu désignant le fait qu’un personnage sur le point de mourir peut lancer des dés et, si le total est suffisant, être sauvé.
  27. Pole Axe : littéralement, « Hache à Manche ». Mais, en anglais, le terme « pollaxe » est devenu synonyme de « donner un coup vers le bas ».
  28. Gamma : luminosité de l’écran sur un ordinateur.
  29. Ecu : bouclier du Moyen Age à la partie supérieure rectangulaire et à la partie inférieure ogivale.
  30. Armes d’hast : armes composées d’un long manche et d’une pointe métallique fixée au bout.
  31. GG : terme de jeu, de l’anglais « Good Game », utilisé comme une félicitation.


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