Maria-sama ga Miteru (Français):Volume1 Chapitre2
Un Mardi de Confusion
Partie 1
Les rumeurs circulaient rapidement.
A midi, le lendemain, toutes les lycéennes savaient que Yumi avait rejeté Sachiko.
- C'est toi qui leur as dit, Tsutako-san ?
- Bien sûr que non ! C'est bien plus amusant de regarder ce genre de choses de loin que d'y participer.
Dans ce cas, c'était très certainement les Roses qui avaient répandu la nouvelle, jetant de l'huile sur le feu avec leur humour si particulier. Bien sûr, la source pouvait aussi être Sachiko.
Ce n'est pas que j'avais envie de chercher qui avait lancé cette rumeur pour me plaindre auprès elle - surtout que personne n'avait dit que tout ça devait rester secret - mais c'était un vrai obstacle à mon désir d'une petite vie tranquille. J'avais quand même une raison de me plaindre.
Vinrent tout d'abord les regards de ses camarades de classe qui, après avoir l’avoir dévisagé longuement, détournaient les yeux, pensant très certainement « c'est impossible ». Personne ne lui en parla directement.
- Il y a un drôle de rumeur qui court à ton sujet, mais tu ne devrais pas y prêter attention, lui dit Katsura pendant un cours.
Les étudiantes qui étaient dans la même classe que Yumi la connaissaient déjà de vue et se mirent en tête qu'il y avait un écart entre réalité et fiction. Confuses, d'un commun accord, elles acceptèrent le bruit qui courait comme une rumeur sans fond.
Mais les répercutions sur les étudiantes qui ne connaissaient pas Yumi (et évidemment, ces personnes étaient d'un nombre beaucoup plus grand) fut plus importantes.
Qui quelqu'un d'aussi magnifique que Sachiko pouvait choisir après avoir été rejeté par Shimako Tôdô ? La rumeur prit vie d'elle-même et, à la récréation, un grand nombre d’étudiantes se tenaient devant la porte de la classe de pêche de première année.
- Heureusement, ils ont besoin de quelqu'un pour leur désigner qui est l'objet de la rumeur, mais c'est quand même assez ennuyeux, murmura Tsutako alors qu'elles rangeaient leur cahier à la fin d'un cours.
- C'est vrai. C'est embêtant.
Yumi eut un rire bref. Tsutako disait vrai. Yumi était une personne des plus banales alors que les étudiantes s'attendaient à voir quelqu'un qui se détachait du lot, comme Shimako.
Ses camarades de classe furent des plus gentilles avec elle, la protégeant des regards en répondant constamment par des « Yumi n'est pas là » aux questions des curieuses. Grâce à cela, elle put sortir de salle en traversant la foule, pour aller se laver les mains.
- J'ai un conseil pour toi : ne sois pas dans la salle de classe pendant le déjeuner.
Tsutako parla rapidement, un sourire tranquille sur le visage, comme si ce qu’elle venait de dire ne sortait pas de l’ordinaire.
- Pourquoi ?
- J'ai appris que le club du journal voulait t'interviewer. Le club du journal est persistant, il est rempli de paparazzis et de fan de drama.
- Oula.
Yumi pâlit. Les paparazzis, c'était bien ces gens qui demandait toujours « allez-vous vous marier ? » ou « allez-vous divorcer ? », pas vrai ? Sachiko était forte, mais le club de journal, c'était quelque chose auquel elle aurait préféré se tenir le plus loin possible.
- Compris ? Très bien, alors, prend ton déjeuner.
Tsutako sortit la boîte à déjeuner du sac de Yumi posé sur son bureau, et, forçant celui-ci dans ses bras, elle la poussa devant elle.
- Oh ! Yumi-san, où est-ce que tu vas ? demanda Katsura avec curiosité.
Elles avaient l'habitude de toujours manger ensemble.
- Je t'emprunte Yumi-san une seconde !
Tsutako répondit à la place de Yumi. Puis, attrapant son propre déjeuner, elle lui murmura avec empressement « Dépêche, dépêche », sous-entendant « Dépêche-toi ou le club du journal va arriver ! ».
- Ouah !
Alors qu'elles sortaient dans le couloir, elles aperçurent trois étudiantes que tout désignaient comme des membres du club de journal qui les attendaient.
- ... Trop tard.
Le murmure de déception de Tsutako parvint jusqu'aux oreilles de Yumi.
Caméra, carnet de note, magnétophone,... Il ne leur manquait que le microphone portable et la caméra sur l'épaule pour les appeler « paparazzi ».
- Oh, gokigenyô. Tu es de cette classe ?
Celle qui semblait diriger le groupe aperçut Tsutako et commença à lui parler. Le club de journal et celui de photographie avaient, évidemment, déjà eu des relations.
- Gokigenyô. Qu'est-ce qui amène le club de journal ici de si bon matin ?
Même si elle savait tout, Tsutako sourit, feignant l'ignorance.
- Nous sommes venues interviewer Yumi Fukuzawa-san. Quel bon timing, tu peux l'appeler ?
- Heeu. Yumi-san... Yumi-san est...
Bonne comédienne, Tsutako jeta un coup d'œil dans la salle de classe sans un regard pour Yumi. Ses yeux balayèrent la salle de pêche, à travers la porte qu'elles venaient de passer.
Toutes les élèves se préparaient pour le déjeuner. Certaines déplaçaient leur bureau pour les coller les uns contre les autres, d'autres mettaient des petites nappes, d'autres enfin distribuaient du lait et du pain et d'autres nourritures tandis que des élèves d'autres classes les rejoignaient... Le tout était assez chaotique.
- Ah ! Je crois que c'est Yumi-san, là-bas... !
Tsutako remonta ses lunettes sur son nez et pointa son doigt sur l'extrémité de la classe qui leur était la plus éloignée.
- Attendez une minute, je vais l'appeler.
Alors que Yumi se demandait ce que Tsutako comptait faire, elle pénétra dans la classe et s'arrêta, se tournant vers Yumi comme si elle venait de se rappeler quelque chose.
- Natsume-san, tu étais pressée, non ? Pas la peine de m'attendre, pars devant !
- Ah ? Heu... d'accord.
Tsutako lança un clin d'œil discret à Yumi qui comprit que c'était à elle que Tsutako s'adressait.
- Bon, je pars devant.
Yumi s'inclina légèrement devant Tsutako et les membres du club du journal avant de les quitter. Alors qu'elle remontait le couloir elle comprit que « Natsume Sôseki -> Yukichi Fukuzawa -> Yumi Fukuzawa » et claqua des doigts intérieurement. Tsutako devait avoir pensé aux visages imprimés sur les billets.
Mais quand même, elle se demandait ce que Tsutako allait faire maintenant. Peut-être s'exclamerait-elle « Je me suis trompée de personne ! ». Quoi qu'il en soit, pour quelqu'un qui voulait se contenter d'être spectatrice, elle était assez compréhensive.
Maintenant que Tsutako n'était plus là, Yumi se demanda où aller. Alors qu'elle descendait l'escalier, perdue dans ses pensées, une voix l'interpella.
- Yumi-san ! Par là !
Regardant de l'autre côté de la rampe, Yumi aperçu une main blanche qui lui faisait signe. Elle se pencha par-dessus et le visage de Shimako apparut.
- Mangeons ensemble !
Yumi descendit rapidement les dernières marches, heureuse de voir ce visage angélique.
Shimako la guida jusqu'à l'endroit où elle avait l'habitude de manger.
- Tu manges ici tous les jours ?
Elles se trouvaient derrière l'auditorium. L'endroit était assez sombre et un cerisier en fleur se tenait devant elles, entouré d'arbre ginkgo. Elles s'assirent et déballèrent leurs déjeuners.
- Ca dépend des saisons. Quand il fait beau, au printemps et en automne.
- Et l'été ?
- Le cerisier attire beaucoup de chenilles et je n'aime pas trop les chenilles. Mais, les noix de ginkgo tombent vite après ça, ce que j’attends toujours avec beaucoup d’impatience.
Shimako regardait avec nostalgie les arbres ginkgo tout en retirant un taro de sa boîte à déjeuner verni. Cela contrastait légèrement avec son apparence de poupée occidentale. Les paroles sur les arbres ginkgo, la boîte à déjeuner de bon goût japonais, et même, les petites patates bouillies.
- Tu es un peu étrange, Shimako-san.
- Ah bon ? Mais tu sais, les noix de ginkgo ne sentent pas si mauvaises tant qu'on ne les écrase pas. Voilà pourquoi la grande allée d'arbres ginkgo est une vraie misère.
- Shimako-san... Tu ramènes des noix de ginkgo chez toi ?
- En effet.
Shimako rit avec plaisir, ah-ah-ah.
- Pourquoi ? Tu aimes les noix de ginkgos ?
- Tu ne les aimes pas, Yumi-san ?
Ou comment ne pas répondre à une question, pensa Yumi. Hum, elle ne savait même pas que les noix de ginkgo pouvaient se manger.
Jusqu'à aujourd'hui, elle avait pensé que c'était comme les feuilles de shiso qu'on posait sur les plats de sashimi ou les décorations qu'on plaçait sur les flans aux œufs.
- J'aime les ginkgos, les lys et les fèves de soja. Mes parents me disent toujours que ce sont des goûts qui ne sont pas normaux pour une adolescente, mais je pense que les goûts sont affectés par notre environnement. Ils m'ont élevé, alors j'aime les goûts amers, comme eux.
Shimako, répondant ensuite à mes questions, m'expliqua que sa maison était du plus pur style japonais, sans aucune pièce de style occidental. Je la voyais pourtant bien dans un grand manoir de pierre blanche, jouant d'un piano à queue. Et puis, les sandwiches et le poulet fris lui correspondait mieux.
- Ca ne me va pas ? demanda Shimako, qui dévisageait attentivement Yumi.
- Et bien, pas vraiment. Mais, c'est bizarrement intéressant.
Shimako rit de sa réponse sincère et répondit « Toi aussi, Yumi-san ».
- Je suis contente que nous ayons pu devenir amies.
Elles regardèrent le ciel. Les nuages flottaient doucement dans le ciel bleu.
Le ciel bleu et le blanc des nuages, et à travers, les rayons de soleil qui éclairait les troncs jaunes des arbres ginkgo, recouvraient le sol de doré. Si j'étais peintre, je voudrais peindre cette vue sur une toile géante. Si j'étais poète, écrire un poème, ou une chanson si j'étais musicienne, pour conserver ce paysage dans l'éternité.
- Shimako-san, pourquoi as-tu rejeté Sachiko-sama ?
Yumi avait posé spontanément cette question et Shimako lui répondu tout aussi spontanément « Je pourrais te poser la même question… ».
- C'est vrai, nous avons fais la même chose.
Et pourtant, ce n'est pas ce qui les rapprochait. Elle sentait que l'impression qu'avait Sachiko sur Shimako était complètement différente de ce qu'elle ressentait.
- Dans mon cas...
Shimako jeta un regard au ciel, réfléchissant.
- Je ne vais pas avec Sachiko-sama. Et inversement, Sachiko-sama ne me va pas non plus.
- Comment ça ?
- J'aime Sachiko-sama, mais nous ne recherchons pas la même chose dans une partenaire. Et de plus, ce que nous avons à offrir ne correspond pas.
- ... Ca m'a l'air assez compliqué.
- Sachiko-sama a dit la même chose. Elle comprenait ce que je voulais dire, mais c'était tout de même trop vague. Je dois admettre que même pour moi, ce n'est qu'un vague sentiment que je ressens.
Ce que quelqu'un peut vous offrir et ce que vous cherchez chez quelqu'un. C'était une relation à deux, c'était normal de considérer cela comme quelque chose d’important mais...
- Si tu ne vas pas avec Sachiko-sama, personne ne peut être sa petite Sœur. Non ?
- Je ne sais pas. Bien sûr, une telle personne n'est pas facile à trouver, et c'est pour ça qu'elle est encore sans petite Soeur. Mais, Rosa Chinensis et Sachiko-sama se sont trouvées, tu sais. La compatibilité est possible.
- Je vois...
Alors, ça veut dire que Shimako et Rosa Gigantea se complètent bien, pensa Yumi. Après tout, c'était une décision qui ne se prenait pas au hasard, mais après avoir analysé avec attention ses partenaires potentielles et soi-même.
- Bien, on rentre ?
Shimako se leva. Les cours reprenaient dans cinq minutes.
- Le club du journal va aussi avoir cours, alors ça devrait aller.
Yumi prit soin de ne pas écraser les noix de ginkgo, se souvenant de la conversation qu'elles venaient d'avoir.
Elle n'avait jamais fais très attention au sol, mais après une petite investigation, les noix de ginkgo ressemblait étrangement à des prunes.
- Je pense que pour Sachiko-sama, le choc a été plus grand quand tu l'as rejeté que quand je ne l'ai fais.
- Pourquoi ?
- Je pense qu'elle s'y attendait, pour moi. Nous étions des sœurs assez proches, je suis sûre qu'elle avait remarqué que nous n'étions pas faites pour être ensemble.
Mais, dans le cas de Yumi, elle était très sûre d'elle.
- Pourtant, elle n'a pas eu l'air très choqué.
- C'est quelqu'un qui déteste perdre par-dessus tout. Quand elle est vraiment vexée, elle ne le montre jamais.
Elles descendirent à la queue-leu-leu les escaliers déserts. Au moment où la cloche sonnait, elles dépassaient en le saluant le vieux professeur qui allait pénétrer dans leur salle de classe. Elles étaient arrivées juste à temps.
Le club du journal et les autres étudiantes avaient - comme l'avait prédit Shimako - disparu du couloir.
- Toi et Sachiko-sama, vous pourriez être compatibles.
« Qu'est-ce que tu racontes... » lui murmura Yumi en lançant un regard aux dos des étudiantes déjà arrivées.
Comment Yumi pourrait être compatible avec cette Sachiko qui détestait par-dessus tout perdre alors que Shimako ne l'était pas ?
Tsss. Shimako est vraiment quelqu'un d'étrange.
Partie 2
Il semble que le Japon soit le seul pays à avoir mis en place un système d'obligation de nettoyage à l'école. Aux Etats-Unis et en Europe, les écoles étaient considérées uniquement comme des endroits pour apprendre. Je ne me rappelais plus vraiment des détails exacts, mais c'était ce qu'avait dit un commentateur étranger à la télévision.
(C’est sûrement vrai.)
C'était un étrange sentiment : elle nettoyait le sol de l'école alors que sa mère nettoyait sa chambre. On aurait pu associer ces obligations aux cours d’économie ménagère mais, nettoyer une école et nettoyer une maison, c’était trop différent.
Peut-être que c'était une question de moral. Retourner les choses qu'on vous offrait dans l'état où on vous l'avait offert.
Yumi était une étudiante des plus ordinaires qui n'aimait pas plus que ça nettoyer, mais elle ne le détestait pas tant quand elle était dans la salle de musique.
Pour une raison de d’insonorisation, le sol était en moquette, ce qui faisait qu’on n’avait pas besoin de le laver à l'eau ni d'y appliquer le cirage hebdomadaire. Les murs était dans un matériau spécial « insonorisation » et nécessitaient juste d'être dépoussiéré de temps en temps. Les tables et les chaises étaient incrustées dans le sol, ce n'était pas possible de les déplacer.
Il fallait donc juste se déplacer avec l’aspirateur, passer un chiffon humide sur les bureaux, nettoyer le tableau et le contour des fenêtres. Les responsables de la salle étaient les seuls qui avaient le droit de s'occuper de nettoyer les portraits de Mozart et de Beethoven.
- Yumi-san, on peut te laisser ? lui demandèrent les élèves qui étaient dans le même groupe de nettoyage qu'elle alors qu'elle fermait une fenêtre.
- Oui...
Elle avait l'habitude de quitter l'école rapidement après avoir terminé ses obligations de nettoyage, mais elle avait envie de prendre son temps aujourd'hui.
- Vous pouvez partir devant. Je m'occupe de tout !
Quand on sortait de l'école à cette heure, on était toujours plongé dans la flot des lycéennes qui venaient de terminer les cours. Elle avait l'habitude des bus bondés mais, aujourd'hui elle était au centre des rumeurs et n'avait aucune envie de se jeter d'elle-même dans la gueule du loup.
- On devrait rester avec toi jusqu'à ce que tout soit nettoyé. Ca ne se fait pas de te laisser toute seule.
Ses gentilles camarades de classe offraient leur aide.
- Mais vous avez les activités de vos clubs, non ? Moi, tout ce que j'ai à faire après, c'est rentrer chez moi. Et puis, je dois ramener l’agenda des obligations de nettoyage aujourd'hui, c'est vous qui l'avez ramené hier.
Yumi insista alors les trois autres s’interrogèrent quelques instants On s'en va, alors ? » avant de quitter la salle de musique.
- Gokigenyô.
- A demain.
Tap, tap, le bruit de leur pas diminua rapidement dans le couloir.
Pour ne pas déformer les plis de leur jupe, pour ne pas froisser leur col marin blanc. Mais, elles étaient tellement pressées que la normale de la décence leur était sortie de l'esprit.
- Ah, je m'ennuie...
Yumi se sentait toujours très seule à cette heure de la journée, car elle n'avait ni club à rejoindre, ni réunion à participer.
Le projet de sa classe était une exposition consacré au « Chemin de la Croix ». Elles avaient prévu de représenter quatorze dessins - depuis la proclamation de l'exécution du Christ jusqu'à son arrivée au mont Golgotha où il sera enterré après avoir été crucifié - et de placer des petites légendes sous chaque image. Comme de parfaites élèves de Lillian, elles avaient terminé la plupart des préparations. Toutes avaient compris que, plus le festival approchait, plus elles allaient être occupé par leur club respectif, et qu'il était donc nécessaire de terminer au plus vite les préparations pour l'exposition de leur classe.
- Je me demande combien de temps je dois rester ici...
Il ne fallait pas non plus qu’elle attente avec stupidité trop longtemps et que son départ coïncide avec la fin des clubs.
- Ah, il faut que j'aille rendre l’agenda.
Mais elle n'avait pas envie d'y aller tout de suite. Elle entendait à travers la porte entrouverte, le bruit de pas des étudiantes excitées se rendant à leur salle de classe, au gymnase ou à leur salle de club.
Yumi ouvrit sans s’en rendre compte le couvercle qui recouvrait le clavier du piano. Il n'y avait rien à craindre, elle était seule dans la salle de musique.
- La Vierge Marie protège cette école.
Il n'y avait donc ici ni histoire d'horreur sur des pianos qui se mettaient à jouer seuls à minuit, ni Beethoven qui vous suivait du regard.
Mi.
De son index droit, elle appuya sur la touche Mi la plus aiguë. Oui, tout a commencé par ce son, pensa-t-elle. Yumi tira une chaise et s'assit proprement devant le piano.
Cela faisait quelques temps qu'elle n'avait pas touché un piano. Une fois par semaine, elle était allée à des cours de piano pendant ses six années passées à l'école primaire, mais comme le piano n'était jamais vraiment devenu une passion pour elle, elle avait arrêté à son entrée au collège.
Mi.
Elle appuya sur la note une seconde fois. Cette fois, se concentrant sur le son, elle essaya de reproduire à l'oreille le morceau qu'elle avait entendu il y a 6 mois. Elle pourrait certainement réussir à reproduire la mélodie si elle n'utilisait que son index.
Fa.
So. Re. Mi.
C'était le « Ave Maria » de Guno.
Il y a six mois, Sachiko Ogasawara, présentée sous le titre de Rosa Chinensis en bouton, avait joué ce morceau devant les nouvelles premières années lors de la cérémonie d'accueil aux nouveaux élèves organisés par le Yamayurikai. C'était la première fois que Yumi voyait Sachiko.
Elle avait joué sur l'orgue du sanctuaire, le son avait résonné aussi profondément dans la salle que dans son âme. Sachiko qui jouait ressemblait à la Vierge Marie.
Même après la performance, les yeux de Yumi n'avaient pas pu quitter Sachiko. Il n'y avait pas que sa beauté physique, non, c'était aussi la façon dont elle faisait tous ces gestes, sa conduite distinguée, sa voix qu'elle employait avec ses aînées qui la rendait absolument magnifique.
Elle voulait devenir comme Sachiko.
Elle voulait se rapprocher ne serait-ce qu'un peu de Sachiko.
Quand elle avait pensé cela, il y six mois, jamais elle n'aurait pu imaginer que les choses se passeraient de cette façon. Non, même hier, à la même heure, elle n'aurait pu imaginer cela.
Sa vie quotidienne avait pris un tournant si soudain - et alors qu'elle regardait d'un air absent le piano, plongée dans ses pensées, quelque chose rentra dans son champ de vision.
- ☆×■◎※△――――!?
Incapable d'identifier ce qui venait d'apparaitre, un son extrêmement indescriptible et bizarre s'échappa de la gorge de Yumi.
C'était une main humaine qui venait de passer devant elle, en direction du clavier. Pas étonnant que son cœur cogne si fort dans sa poitrine.
- Quel bruit tu fais, comme si je t'attaquais...
Elle sursauta, une nouvelle fois, levant les yeux vers le visage qui appartenait à cette main.
- N'importe qui crierait si vous vous approchez aussi silencieusement par derrière, Sachiko-sama.
Et en plus, si ce « n’importe qui » était justement en train de penser à vous, la surprise est encore plus grande.
- C'était de la gentillesse, je ne voulais pas interrompre ta performance au piano.
Sachiko appuya sur la touche du Do de sa main gauche toujours tendue. C'est la première note qu'on apprend à jouer avec le pouce de la main droite quand on commence à apprendre le piano.
- Joue.
- Hein ?
- Recommence, joue ce que tu jouais tout à l'heure.
- Heeeiin ?
Elle essaya de se lever de son siège, mais Sachiko lui appuya doucement sur l'épaule de sa main droite.
- Le rythme est... Un, deux, trois, quatre, deux, deux, trois, quatre.
- Ah, heu...
Sachiko, des doigts de sa main droite, tapotait l'épaule de Yumi en rythme, comme un métronome et murmura « Commence » à la troisième répétition.
Quand on dit à quelqu'un « Commence », il faut se mettre à faire quelque chose, alors Yumi commença à jouer.
Et un deuxième son se produisit, rejoignant et se joignant à la mélodie de Yumi.
Do-Mi-So-Do-Do-Mi-So-Do.
Sachiko jouait la partie de la main gauche. Et elle utilisait les pédales, pour rajouter un son d'écho.
(C'est une performance à quatre mains...)
La mélodie qu'elle jouait, se mêlait à la deuxième, et retournait à ses oreilles de harmonieusement.
Le sentiment d'amusement ne dura qu'un instant. Bientôt, elle se souvint que Sachiko était si proche, et son excitation se transforma en peur.
Le morceau n'était pas fait pour être joué à quatre mains, et comme il était joué par la main droite de Yumi et la main gauche de Sachiko, deux personnes ne tenaient dans un endroit qui ne pouvait en contenir qu'une seule. La poitrine de Sachiko n'arrêtait pas d'effleurer le bras gauche de Yumi, les longs cheveux lisses et brillants tombaient sur son épaule, et le doux parfum commençait à faire tourner sa tête.
Mais, la performance continuait. Sachiko ne s'arrêtait pas tant que la main droite de Yumi jouait la mélodie.
D'un côté, elle aurait voulu que tout dure pour l'éternité, mais une autre partie d'elle même voulait que tout s'arrête le plus rapidement possible. Les deux sentiments contradictoires se livraient une guerre terrible au fond de Yumi.
La respiration de Sachiko faisait doucement bouger les cheveux de Yumi. Cette respiration était horriblement calme. Contrairement à Yumi, Sachiko n'était pas le genre de personne à perdre l'esprit pour juste ça.
La belle harmonie fut brisée.
Yumi avait fait exprès d'appuyer sur la mauvaise note.
- Je suis désolée. Je n'ai pas réussi à vous suivre, Sachiko-sama.
Souriant gentiment, elle repoussa la chaise et fit quelques pas en arrière.
- Vraiment ? Tu jouais pourtant très bien.
Sachiko referma doucement le couvercle. Le son de la fermeture résonna bizarrement fort dans cette pièce où elles étaient seules.
Elle vit que Sachiko s'approchait lentement vers elle. Le sol doux absorbait les bruits que faisaient ses chaussures d'intérieur. Ah, ce n'est pas étonnant que je n'ai pas remarqué son arrivée tout à l'heure, pensa-t-elle.
- Bon, on y va alors ?
- Hein ?
- Qu'est-ce que c'est que ce « hein » ? Pourquoi penses-tu que je suis ici ?
- Oui, pourquoi êtes-vous ici ?
- Je viens te chercher, bien sûr.
Sachiko leva un sourcil et le ton de sa voix était sûr.
Sachiko se mit à parler, évitant à Yumi le besoin de lui demander « Pour aller où ? ».
- A partir d'aujourd'hui jusqu'au jour du festival, tu vas participer aux répétitions de la pièce avec tout le monde. C’est ton devoir.
Voici quel était le raisonnement de Sachiko.
C'était quasiment impossible que Sachiko parvienne à convaincre Yumi dans le peu de temps libre qu'il lui restait avant le festival de l'école. En conclusion, pour rendre les choses plus justes, Yumi - qui n'avait pas grand choses à faire après les cours de toute façon - devait participer à la pièce du Yamayurikai.
- Ce n'est pas possible.
- Comment ça, ce n'est pas possible ? Les Roses sont déjà au courant. Et puis...
Sachiko posa son index sur le menton de Yumi et la regarda droit dans les yeux.
- Réfléchis-y. Tu es la remplaçante de Cendrillon. Bien sûr que tu dois aller aux répétitions.
- Remplaçante... Mais c'est seulement si j'accepte le rosaire...
- Alors, tu comptes rater les répétitions parce que tu es sûre de ne pas accepter ? Parce que, par cette logique, je peux moi aussi ne pas aller aux répétitions !
- Mais...
Sachiko réprimanda Yumi d’une voix calme et douce.
- Mais, je vais aller aux répétitions. Il n'y a rien d'absolu sur cette planète. Si on ignore ma confiance et les probabilités, il n'y a que deux résultats possibles au pari que j’ai fais avec les sœurs. Que le rôle de Cendrillon soit à toi ou à moi, pour l'instant, je m'entrainerai. Même si ça doit contredit la confiance que j'ai, c'est mieux que de courir le risque de perdre la face lors de la vraie représentation.
Sachiko rit, jouant avec les cheveux bouclés au-dessus de l'oreille de Yumi.
- Sachiko-sama...
Elle ne pouvait dire rien d'autre. Même si s'énervait, refusant, Sachiko resterait dans le juste. Il n'y avait aucun doute que dans son esprit, le bon et le mauvais étaient séparés en deux tas bien propres, comme les ordures recyclables et non-recyclables.
Son cœur se serra. Est-ce que je l'ai déçu ? C'était le même sentiment que lors de la performance à quatre mains, un sentiment totalement différent de l'excitation ou de la peur. C'était plutôt un état d'esprit que faisait que, si elle avait été seule en cet instant, elle aurait fondu en larmes. Comme une enfant, qui a perdu sa mère de vue au milieu d'une foule.
Si Sachiko n'avait pas relevé la tête à ce moment-là, Yumi se serait certainement serrée contre elle en pleurant « Je suis désolée ».
- Bien sûr, laissa échapper Sachiko - comme si elle venait de penser à quelque chose. Tu à ta propre façon de réfléchir. Je ne vais pas te forcer. Mais, tu ne voudrais pas au moins assister à la répétition ?
- ... D'accord.
- Alors, prends ton sac.
Yumi se dépêcha de prendre le sac qu'elle avait laissé sur une table et l'agenda des obligations de nettoyages.
Elle se demanda quelques instants si elle ne venait pas de se faire complètement manipuler par Sachiko. Mais, agitant légèrement la tête, elle s'interdit une telle pensée.
Malgré son attitude de la veille, Sachiko était censée être comme la Sainte Vierge : pure, juste et belle, la description artistique d'une sœur parfaite. Oui, c'est ainsi qu'elle devait rester dans les pensées de Yumi.
- Qu'est-ce qui se passe ? Yumi, tu viens ?
- Ah ! J'arrive !
Alors que Yumi courait dans sa direction, Sachiko l'arrêta d'un « Calme-toi » et redressa la cravate de Yumi.
C'était la même scène que la vieille. Un court instant, ses gestes furent les mêmes que ceux qu’elle avait fait dans l'allée aux ginkgos.
- Ah.
Sachiko lâcha la cravate, s'immobilisa et dévisagea Yumi.
- La photo. Elle a été prise hier ?
- Hé ?
Incroyable, Sachiko venait juste de se rappeler.
- Vous ne vous étiez pas souvenue avec la photo ?
- Je voyais bien que c'était moi et que tu étais avec moi. Mais, je ne pouvais pas me rappeler quand ça s'était passé. La photo de Tsutako Takeshima-san n'avait pas de date.
Ce n'est pas le problème. Pas la peine de confirmer une nouvelle fois que Yumi était à ce point facile à oublier.
- Alors, nous ne sommes vraiment rencontrées qu'hier.
- Oui.
Yumi hocha la tête en fermant la porte de la salle de musique. Juste quelques heures avant que Sachiko ne la déclare sa sœur. Elles n'avaient pas eu tort de l'appeler une « warashibechôja ».
- Je me sens mieux maintenant que je me souviens.
Elles marchèrent côte à côté dans le couloir. C'était vraiment très bizarre de marcher ensemble le jour même où les rumeurs se répandaient comme de la poudre, mais Sachiko semblait y être totalement indifférente. Il n'y avait pour l'instant personne dans le couloir, Sachiko n'avait sûrement aucune raison d'y prêter attention.
- Sachiko-sama, est-ce que vous vous occupez souvent des cravates des premières années ?
Si c'était le cas, Yumi avait l'impression que ce n'était pas si grave si elle avait oublié Yumi. Mais, la réponse de Sachiko ne répondit pas à ses attentes.
- C'est plutôt l'inverse.
- Hein ?
- Très rarement... Non, en fait, jamais. Je me demande pourquoi j'ai fais ça.
Tout en descendant l'escalier, Sachiko réfléchissait profondément. Après avoir posé le pied sur la dernière marche, elle semblait avoir une réponse.
- Je ne suis pas vraiment du matin. Je ne suis jamais très réveillée, j'ai du inconsciemment t'appeler. Ca pourrait expliquer pourquoi je ne me suis pas rappelée immédiatement de l'incident.
- Vous n'avez pas l'air de ne pas être du matin.
- C'est ce qu'on me dit toujours... Mais, en réalité, j'ai une tension assez basse.
- Ah, une tension basse.
C'était comme si le personnage de Sachiko Ogasawara était de plus en plus un mystère. Près d'elle se tenait la personne qu'elle admirait, mais l'image était tellement différente de celle qu’elle croyait connaître.
D'habitude, on en apprend de plus en plus sur quelqu'un au fil du temps, non ?
≈≈≈≈≈≈
« Et bien ! » s'exclama Yamamura, la professeur principal de la classe de Yumi, quand toutes deux s'arrêtèrent devant la porte de la salle des professeurs.
- Je pensais que c'était faux, mais il semble que la rumeur soit vraie, finalement !
L'histoire s'était répandue jusqu'aux professeurs.
- Mais, c'est incroyable. On m'avait dit qu’Ogasawara-san avait été rejeté par Fukuzawa-san ? Pourquoi êtes-vous ensembles ? Elle avait accepté en réalité ?
C'était bien une ancienne étudiante de Lillian. Ses yeux brillaient et elle posait ses questions avec la curiosité d'une jeune fille, comme si leur différence de vingt ans n'existait pas.
- Heu, et bien... C'est...
Yumi ne savait que dire, mais Sachiko lui coupa la parole.
- Nous sommes désolées pour tous ces bruits. Je vous laisse imaginer ce qui a pu se passer entre nous deux.
Elle sourit et, après un « si vous voulez bien nous excuser », elle saisit la main de Yumi et s'éloigna élégamment dans le couloir.
Yamamura sourit amèrement, comprenant qu'elle n'en apprendrait pas plus.
- Sa-Sachiko-sama !
Sachiko lâcha enfin la main de Yumi après avoir parcouru une bonne distance de la salle des professeurs.
- Ce n'est pas la peine de dire des choses qui ne sont pas nécessaires.
- Mais...
- Plus tu parles et plus la rumeur devient folle et incontrôlable. Si tu veux t'expliquer, explique-toi une seule fois, devant une grande audience, avec beaucoup de détails, plutôt que d'expliquer petit à petit. Sois un saule dans le vent, tant que la rumeur est forte.
Mais il était impossible pour une lycéenne normale de réduire au silence un professeur par un simple sourire, comme le faisait Sachiko. Son raisonnement était bon mais... difficile à mettre à l'œuvre.
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