Maria-sama ga Miteru (Français):Volume1 Chapitre1

From Baka-Tsuki
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Un Lundi de Maladresse

Partie 1

- Attends.

On était lundi. C'est à l'endroit où le chemin encadré d'arbres ginkgo se divisait en deux, qu'une voix derrière Yumi lui demanda de s'arrêter. C'était une voix froide, un peu aiguë, juste assez forte pour sembler être illusion. L'incident se produisit juste devant la statue de la Sainte Vierge et pendant un instant, Yumi cru que c'était Marie elle-même qui l'avait appelé ainsi.

Ici, quand quelqu'un vous adressait la parole, la règle était de s'arrêter, de répondre « oui » et de tourner son corps entier dans la direction de l'interlocuteur. Même si c'était inattendu, il ne fallait pas agir précipitamment. De plus, il était vulgaire de ne tourner que la tête. Aussi élégamment que possible. De la façon la plus belle possible. Afin de s'approcher un peu plus de la perfection des grandes sœurs. Il suffisait ensuite de faire face à la personne, sourire et dire « Gokigenyô ».

Mais malheureusement, Yumi était incapable de répondre « Gokigenyô ».

- ...

Elle venait de reconnaître qui venait de l'appeler et cela la laissait muette de stupeur. Elle n'avait pas sursauté, c'était un pas en avant vers l'objectif qu'elle faisait de son mieux pour accomplir : se conduire comme une étudiante modèle de Lillian. Du moins... C'est ce qu'elle aurait aimé. La vérité était que sa surprise était si grande que son esprit s'était mis à tourner à toute vitesse et que son corps, dépassé, ne pouvait plus bouger.

- Heu... C'est à moi que tu parles ? demanda Yumi avec un grand effort, toujours incrédule.

Bien sûr, elle savait qu'elle était la seule personne à portée de vue et qu'elle était donc la seule personne à qui l'on pouvait s'adresser. Mais malgré tout, cela restait difficile à croire.

- En effet. Je suis celle qui parle et tu es celle à qui je parle.

Elle avait dit « en effet ». Yumi, désespérée, mourrait d'envie de répondre qu'il devait y avoir une erreur et de s'enfuir en courant. Elle n'avait aucune idée de la raison pour laquelle on l'avait interpellé et son esprit était au bord de la panique.

Elle avança droit vers Yumi, un petit sourire aux lèvres, sans se rendre compte de l'état de celle-ci. Elles étaient dans des années différentes et pour cette raison, Yumi n'aurait jamais du avoir l'occasion de voir ce visage de si près. C'était même la première fois qu'elle entendait sa voix si distinctement. Ses cheveux qui lui arrivait à la taille brillaient si fort qu'on ne pouvait que mourir d'envie de lui demander quelle marque de shampoing elle utilisait, et ils étaient si bien coiffés qu'on ne trouvait aucune mèche rebelle.

- Tiens-moi ça.

Elle lui tendit son sac. Yumi, toujours interloquée, prit le sac tandis que les deux mains s'approchèrent de son cou. (Aaaah !). Incapable de comprendre ce qu'il se passait, Yumi ferma les yeux, baissa le menton et se raidit.

- Ta cravate. Elle est mal faite.

- Quoi ?

Elle rouvrit les yeux ; le beau visage était toujours en face d'elle. Apparemment, elle redressait la cravate de Yumi.

- Tu dois toujours faire attention à ton apparence. La Vierge Marie nous regarde, tu sais.

Puis, elle reprit le sac des mains de Yumi, dit « Gokigenyô » et repartit en direction de l'école.

(Ce... Ce...)

Restée seule, toujours immobile, le sang commença lentement à revenir au cerveau de Yumi, qui comprenait enfin ce qui venait de se passer.

Son identité ne faisait aucun doute. Sachiko Ogasawara, de deuxième année, classe du pin. Par accident, son nom était le septième sur la feuille de présence de la classe de Yumi. Elle était aussi connue comme « Rosa Chinensis[1] en bouton ». Elle était au centre des attentions de toute l'école et on se demandait toujours si c'était vraiment autorisé de parler d'elle, alors qu'on était d'un niveau si inférieur.

(Ce n'est...)

Yumi en rougissait de honte.

(Ce n'est pas juste !)

Elle était toujours immobile, abasourdie. C'était la première fois qu'elle échangeait des paroles avec la sœur qui l'avait tant inspiré. Et c'était un épisode horriblement embarrassant. C'était trop cruel.

Sainte Vierge, vous êtes méchante !

Elle lança un regard de dépit vers la statue, mais celle-ci conserva son éternel sourire chaste et se tint, silencieuse, au milieu du petit jardin verdoyant.

Partie 2

- Oh, alors c'est ce qui s'est passé.

Katsura, assise juste en face d'elle, se contenta d'un rire en entendant l'histoire.

- Tu avais l'air si morose quand tu es arrivée en classe, je me demandais si tu n'avais pas rencontré un pervers dans le train ou quelque chose dans le genre.

- J'aurais préféré un pervers.

- Pourquoi ?

- Il finit toujours par s'en aller.

- Yumi, ça se voit que tu n'as jamais rencontré de pervers.

- Oui, je prends le bus pour venir.

Les étudiantes de l'académie Lillian prenaient généralement le bus qui partait de la sortie nord de la gare M de JR[2]* pour se rendre à l'école. Toutes deux étaient dans ce cas, mais Katsura prenait d'abord un train bondé pour se rendre à la gare M tandis que Yumi prenait un bus en direction de la sortie sud ; cela expliquait leurs différentes réactions à ce genre de plaisanteries.

- Il n'y avait pas un projet pour un wagon spécial Lillian ?

- Oui, il y en avait un... Pour l'instant tu vois, le conseil Yamayurikai a plutôt demandé à tout le monde de se regrouper dans l'avant-dernier wagon. Mais, à cause des activités des clubs et des obligations scolaires, si tu pars trop tôt, il n'y a pas assez d'étudiantes et c'est complètement inutile.

Mais, beaucoup de rumeurs circulaient, et des étudiantes qui n'étaient pas de Lillian avaient pris l'habitude de monter aussi dans ce wagon, ce qui le rendait efficace contre les pervers. Bien sûr, il n'y avait pas une réelle interdiction aux hommes, mais le nombre de mâles ayant assez de courage pour rentrer dans un wagon plein à craquer de jeunes filles était assez limité. Et une fois à l'intérieur, ils pouvaient difficilement faire des mouvements inopportuns.

L'uniforme de Lillian était un vêtement d'un noir profond qui en paraissait vert sombre ; malgré cela, il était très raffiné. Le col marin ivoire, barré d'une seule ligne noire était noué comme une cravate. Pendant les saisons chaudes, la jupe taille basse arrivait à hauteur des genoux. Le tout combiné avec des chaussettes blanches et des ballerines en cuir et on l'obtenait un habit des plus traditionnels, très connu, aussi bien des personnes ordinaires que - bien sûr - des amateurs d'uniforme.

Cet uniforme montrait qu'on était une jeune fille d'un statut élevé. Et attirait donc également des attentions non-désirées.

- Les trains sont toujours bondés, alors je fais toujours attention à mon apparence avant d'y rentrer.

Tout en parlant, utilisant Yumi comme miroir, Katsura fit mine de refaire ses couettes et d'arranger sa cravate. « Comme ça » semblait-elle dire.

- Je vois, je ne fais pas assez attention.

Yumi s'affala sur son bureau. Katsura lui tapota gentiment la tête, essayant par ce geste de la consoler.

- A mon avis oui. Mais celles qui peuvent s'assoir élégamment en allant à l'école ne penseraient jamais à ce genre de choses. Ne t'inquiète pas pour ça, ce n'est pas grave.

- C'est très grave.

- Tant que tu oublies, tout va bien.

- Pourquoi ?

- Elle est la star de Lillian. Les stars ne se préoccupent pas tant des amateurs.

Stars et amateurs.

Même si c'était la vérité - ou plutôt, parce que ça l'était - cela faisait mal. Les réconforts de Katsura étaient toujours assez extrêmes.

Katsura était son nom, et non son prénom. A Lillian, les surnoms n'existaient pas. La coutume voulait que l'on parle à ceux qui était dans la même année que soi avec « san »[3] et qu'on emploie « sama »[4] pour les élèves des classes plus élevées.

- Ce n'est pas la peine de te torturer car elle t'a fait des remontrances. La seule personne de première année de notre classe qui peut parler sans problème aux membres du conseil Yamayurikai, c'est elle.

Katsura lança un coup d'œil derrière elle. Suivant son regard, Yumi vit Shimako Tôdô qui entrait dans la salle.

- Gokigenyô Katsura. Gokigenyô Yumi.

Tout en les saluant, Shimako s'avança élégamment vers sa place.

- Go-Gokigenyô.

Yumi et Katsura se regardèrent, se demandant silencieusement pourquoi elles étaient toutes deux si gênées.

Même si elles étaient dans la même année, le fossé entre elles était énorme. Shimako était très jolie, même si c'était un style différent de Sachiko. Rien que de la regarder et ton moral baissait. Les gens beaux le sont depuis leur naissance. L'espoir un peu fou qu'il suffisait de passer en deuxième année pour devenir aussi belle que Sachiko était soufflé comme ça, en quelques secondes.

- Tu as entendu ?

Katsura commença à chuchoter, alors Yumi baissa aussi la voix.

- Quoi ? Que Shimako est devenue Rosa Gigantea[5] en bouton ? Elle a même surpassé les deuxièmes années.

C'était une histoire populaire : Shimako avait échangé ses vœux de sœurs avec Rosa Gigantea alors qu'elle n'était qu'une première année.

- Pas ça.

- Pas ça ?

Montrant que c'était la dernière nouvelle, Katsura posa un doigt sur sa bouche et murmura : « C'est ce que ma Sœur m'a dit ». Sa Sœur était membre du club de tennis et elle était dans la même classe que Sachiko.

- Apparemment, Rosa Gigantea n'est pas la seule à avoir fait sa demande à Shimako, Sachiko aussi !

- Héééé ?

- Yumi, tu parles trop fort !

Toutes deux se tassèrent le plus possible sur leur bureau. C'était un spectacle vraiment indigne pour une demoiselle, mais toutes deux n'y prêtaient pas attention - Sainte Vierge, pardonne-leur, mais depuis des générations, les femmes ont toujours adoré les rumeurs.

Le système de Sœur de l'académie Lillian était né par soucis de l'école de respecter l'autonomie des lycéennes. Quand les étudiantes finissaient leur éducation obligatoire, dans laquelle elles avaient vécus sous le contrôle des professeurs et des sœurs, elles se devaient ensuite de mener une vie de façon autonome. Le système de Sœur avait été adopté afin que les sœurs les plus vieilles puissent guider les petites sœurs dans ces moments critiques. Le système s'implanta de plus en plus et - sans aucune réglementation stricte de l'école - la vie droite et vertueuse qu'on se devait de mener ici était transmise de génération en génération.

Sœur[6] signifiait sœur en Français. Afin d'éviter la confusion avec le mot sœur[7], elles évitaient l'emploi de l'anglais. A l'origine, toutes les étudiantes s'appelaient ainsi entre elles, mais petit à petit, cela devint un moyen de désigner deux filles très proches. Personne ne savait quand le vœu qui consistait à donner et recevoir un rosaire pour devenir Sœurs avait commencé.

- Apparemment, Sachiko lui a demandé la première, mais elle a préféré accepté la demande de Rosa Gigantea, même si elle est arrivée après.

Katsura semblait un peu dédaigneuse, mais elle était aussi très excitée par la rumeur qu'elle racontait.

- Elle a dû préférer le blanc au rouge...

- Pas du tout. Tss... Yumi, tu es vraiment bizarre. Tu te rends compte ? Quand tu es du niveau de Shimako, tu peux même cueillir la rose que tu souhaites.

- Cueillir ? Ce n'est pas très valorisant.

- Mais c'est la vérité. Sachiko a été rejeté.

- Huum.

Quelle gâchis ridicule, pensa Yumi.

- Huum ? Tu ne trouves pas ça horrible ?

- Pourquoi ? Si tu as deux sœurs, il faut bien en choisir une.

- Et tu choisis celle qui est arrivée en dernier ?

- Ce n'est pas une course.

- Bien sûr que si ! dit Katsura, concluant la discussion avec un soupir.

Elle avait échangé son vœu de Sœurs le jour même où elle avait rejoint le club de tennis.

- Et au fait, Rosa Foetida[8] ?

- Rosa Foetida vit dans le calme et le repos avec une troisième année, une deuxième année et une première année.

- Je vois.

Pour Yumi, bien plus que de voir Rosa Gigantea et Rosa Chinensis se battre pour Shimako, c'était le fait qu'aucune d'entre elles n'aient déjà de petite sœur qui était le plus surprenant.

- De toute façon, le fait est que Sachiko lui a demandé et qu'elle n'a pas tout de suite accepté, dit Katsura en regardant l'horloge.

La cloche allait sonner le début des prières matinales. Un hymne aller résonner dans toute l'école grâce au système de radio. En plus de la prière hebdomadaire qui se faisait au Sanctuaire, tout le monde priait quotidiennement dans sa salle de classe. On chantait l'hymne, on écoutait le discours du Principal, on se calmait et on offrait une prière à Dieu.

Laissez-moi vivre aujourd'hui de la plus vertueuse des manières.

Cependant, malgré sa prière, Yumi avait le sentiment qu'elle était sur le point de rompre avec sa paisible vie quotidienne.


Partie 3

- Yumi ! Yumi !

Quelqu'un interpella Yumi alors qu'elle sortait de la salle de musique qu'elle venait juste de nettoyer.

- Ah, Tsutako. Tu as déjà fini de ranger la salle de classe ?

- Oui, je me suis dépêchée pour qu'on ne se rate pas. J'avais cru voir que tu avais pris ton sac avec toi.

Les salles de classe des premières années étant assez éloignées de la salle de musique, les premières années avaient pris l'habitude de prendre leur sac en y allant - après, c'était plus pratique pour aller au club ou rentrer chez soi, l'entrée et les salles des clubs n'étant pas loin.

- Tu voulais me voir ?

- Je dois te parler de quelque chose.

- Me parler ?

D'un mouvement sec de l'index, Tsutako remonta ses lunettes sur son nez, hocha la tête et dit : « oui ».

- Yumi, on va aux activités du club, nous. Oh, et on ramènera le cahier des tâches à la salle des professeurs en chemin.

Les trois étudiantes qui l'avaient aidé à ranger la regardèrent avec des yeux innocents.

- Ah... Merci.

- Non, non. Ce n'est rien. Gokigenyô.

- Gokigenyô.

Les uniformes, semblables à des ailes sombres de corbeaux, s'éloignèrent lentement dans le couloir. Tsutako et Yumi restèrent seules.

- Je pense que tu sais que je fais partie du club de photographie ! demanda soudainement Tsutako en se tournant vers Yumi.

- Heu, oui.

Tsutako était connue pour ne jamais lâcher son appareil photo, à part pendant les heures de cours. Yumi l'avait déjà entendu se plaindre du sentiment de regret et de chagrin qu'elle avait quand elle manquait l’opportunité de faire une bonne photo : elle n'avait donc pas d'autres choix que de se promener partout avec son appareil. C'était la première fois que Yumi se retrouvait dans la même classe qu'elle, mais on lui avait déjà montré deux ou trois photos que Tsutako avaient prises de Yumi sans que celle-ci ne le sache. Même si elle ne savait pas très bien à quel point Tsutako était « douée » en photo, elle devait reconnaître qu'elle avait bien l'air 30% plus jolie sur ses photos.

- Tu sais que le festival de l'école approche. A cause de ça, je viens plus tôt à l'école le matin pour prendre des photos.

Elle n'utilisait que des humains comme modèle. Plus particulièrement, les lycéennes. Elle avait aussi tendance à prendre ses photos en secret car selon elle : « les bonnes photos sont prises quand le modèle pose inconsciemment ».

- Tsutako, tu ferais mieux d'arrêter de prendre des photos comme si tu étais un paparazzi.

- Pourquoi ne pourrais-je pas profiter du privilège que j'ai d'être une étudiante active de Lillian ? Je ne veux que capturer la beauté dans toute sa splendeur, sans artifice ! Nous allons toutes vieillir, mais il est possible de conserver aujourd'hui un éclat de notre gloire ! C'est une mission qui m'a été confié par Dieu ! J'ai été choisi par cet appareil !

Elle leva un poing confiant.

- Ça ne change rien.

- Ne t'inquiète pas. Je demande toujours la permission de mes modèles ! Je brûle toutes les photos que je jette - même les négatifs. Et avant d'exposer celles que j'ai prise, je demande toujours l'accord des personnes concernées.

- L'accord ?

- Par exemple...

Tsutako tendit deux photographies à Yumi.

- Quoi ?

La scène de ce matin. La même scène qu'elle avait tant essayé d'effacer de sa mémoire.

Trois. Deux. Un. Ce furent les trois secondes que Yumi prit à réaliser ce qu'étaient ces photos.

- Hééé ?!

Elle avait élevé la voix bien plus que ce qui n'était généralement autorisé venant d'une étudiante de Lillian, et Tsutako lui couvrit la bouche de sa main.

- Ce... C'est...

Ah, c'était ça. La scène de ce matin. La même scène qu'elle avait tant essayé d'effacer de sa mémoire. Deux photos de Sachiko Ogasawara et de Yumi. Et c'était bien des photos du membre la plus douée du club de photographie ; elle n'avait pas laissé passer sa chance cette fois. Les deux mains de Sachiko tenaient fermement la cravate de Yumi. On pouvait presque entendre le bruit du tissu qui se froissait. Les mains serrées sur son sac, Yumi la regardait, absorbant tout le reste de la photo. Sachiko était magnifique, comme d'habitude ; et en conséquence directe de sa présence, Yumi, juste en face d'elle, ressemblait à un ange.

- La première a été prise avec une lentille à gros zoom. Mais celle ci, où l'on peut voir ton corps en entier a quelque chose d'un peu plus « interdit » et elle rend mieux, tu ne trouves pas ? Ah ! Et le titre est « Apprentissage », ajouta Tsutako.

Yumi ne pouvait pas la contredire.

- Je peux les avoir ? demanda-t-elle.

Tsutako rit et reprit les photos. Elle regarda Yumi comme si elle venait de remonter sa canne à pêche et qu'un gros poisson frétillait, pendu à l'hameçon.

- Ça ne me dérange pas, mais à deux conditions.

- Conditions ?

- Première condition : tu m'autorises à utiliser cette photo pour l'exposition du club de photographie durant le festival de l'école.

- Heu...

Exposition ? Festival ? Elle était folle ?

Ou alors complètement insouciante. Mettre ainsi à la vue de tous les élève, Yumi - la plus ordinaire des étudiantes, aussi bien en taille, poids, visage qu'en résultats scolaires - aux côté de Sachiko Ogasawara - qui excellait dans tous les domaines.

- Tsutako, tu te fiches de moi ?

- Bien sûr que non. Je suis très confiante, je sais que c'est mon meilleur rendu de l'année. C'est même pour ça que j'ai développé le film au lieu d'aller déjeuner.

Son ventre laissa échapper un gargouillement qui n'avait rien d'élégant. Ah. Son déjeuner était encore dans son sac. Les passions prennent si souvent le dessus sur l'appétit.

- Mais une exposition...

Yumi baissa les yeux.

- Tu ne veux pas les photos ?

Tsutako agita les deux photos devant le visage de Yumi.

- Je sais que tu as toujours admiré Sachiko Ogasawara en secret. Et je sais aussi que tu n'as aucune photo d'elle - si on ne tient pas compte d'une seule un peu minable. Tu étais très vexée, quand les photos du voyage scolaire ont été affiché dans la salle des professeurs et que tu as appris que tu ne pouvais pas en demander une copie car tu étais dans une année différente. En plus, comme tu ne fais pas parti d'un club, tu n'as pas pu demander à une élève de deuxième année de les prendre pour toi. La seule photo que tu as a été prise pendant la rencontre sportive. On peut voir Sachiko, en arrière-plan, qui attend son relais et - ce n'est pas pour être méchante - ce n'est vraiment qu'une ombre.

- Peut-être qu'elle a la taille d'un stylo mais c'est tout de même un trésor pour moi !

Tsutako aurait pu envisager une carrière de détective.

- Je me demande si tu pourras te satisfaire d'un stylo après ce que tu as vu aujourd'hui...

Un reflet rapide semblable à un flash d'appareil photo traversa ses lunettes.

- ... Tu es démoniaque.

Bien sûr que non, comment être satisfaite après avoir vu de si belles photographies.

- Mais... il y une chance que Sachiko refuse, non ?

- C'est pourquoi !

Tsutako leva son index et rit, triomphalement.

- La seconde condition est que tu reçoives la permission de Rosa Chinensis en bouton.

- Hein ? Mais c'est impossible ! Absolument impossible !

Encore une fois elle disait si naturellement quelque chose de complètement surréaliste.

- Pourquoi ?

Tsutako écarquilla les yeux, surprise.

- Vous avez l'air si proche, on dirait des Sœurs.

- J'aimerais bien.

Yumi lui expliqua alors comment, ce matin, Sachiko l'avait soudainement appelé et - tandis qu'elle se demandait ce qui se passait - celle-ci l'avait critiqué sur son apparence.

- Bien. Et après elle a refait ta cravate ? Tes camarades en seraient mortes de jalousie si elles savaient cela !

- Il n'y a vraiment pas de quoi être envieuse.

Elle s'empourprait rien qu'à se rappeler l'incident.

- Sachiko a du penser que j'étais une élève négligée.

Ce n'était pas censé se passer comme ça. La rencontre avec cette sœur-là aurait du être un instant magique. Comme dans un film par exemple. Une scène qui vous ferait toujours rougir, bien des années plus tard. Même si ce n'était que quelques secondes. Comme ramasser le mouchoir de Sachiko et lui rendre alors qu'il était emporté par le vent. Ou quelque chose d'encore plus trivial. Mais un nœud de travers. En plus de ça, elle avait tellement paniqué sur le moment qu'elle avait été incapable de la saluer ou de la remercier. Elle était tombée au niveau de « première année malpolie ».

- Une élève négligée... Et où est le problème ? Après tout, ça t'a permis de te rapprocher de ta sœur adorée.

- Oh.

Elle ne sut pas quoi répondre. C'est vrai que si son nœud n'avait pas été mal fait, elle n'aurait sans doute jamais été interpellée par Sachiko de toute sa vie.

- Pourquoi est-ce que tu ne négocies pas toi-même, Tsutako ? Tu le fais tout le temps, non ?

- Même moi - qui suis pourtant sans peur et sans reproche - je suis intimidée face au conseil Yamayurikai.

Le Yamayurikai était le conseil des étudiants de l'académie Lillian. Les membres du conseil - les Roses Blanche, Rouge et Jaune - étaient d'un rang totalement différent de celui des lycéennes normales, comme des magistrats de la Cour. Sachiko était la petite Sœur de Rosa Chinensis.

- Je pense que ça sera plus facile si c'est toi qui négocie.

- Pourquoi ?

- Tu as attiré l'attention de Sachiko.

- C'était à cause de ma cravate.

- Si une cravate mal-faite suffisait pour attirer l'attention de Sachiko, alors toutes les étudiantes se promèneraient avec leur cravate de travers, répliqua Tsutako.

- C’est impossible.

- Sincèrement, j'ai déjà vu des premières années aussi calculatrices ! Elles prennent le risque de marcher devant Sachiko avec une cravate pas même attachée, dans le seul but d'attirer son attention quelques secondes !

Tsutako énonçait chaque parole d'un ton grandiloquent, comme si elle était une actrice sur la scène et sous les feux des projecteurs.

- Surtout Sachiko, c'est une des plus maniaques de la propreté dans cette école ! Elle est connue pour détester les apparences négligées ; il y en a plus d'une qui a eu l'idée de faire une chose pareille !

Si tu veux avoir une âme pure, tu dois d'abord t'inquiéter de la pureté de ton apparence. Pendant 11 ans, depuis la maternelle, c'était un mantra qui était répété sans cesse. Et pourtant, elles bravaient l'interdit pour attirer l'attention de leur ainée, que celle-ci ne récompensait que d'un regard froid. Avant de les ignorer avec mépris.

Ou pire. Parfois, la Sœur de l'étudiante était prise à partie pour le négligemment de sa petite Sœur.

- Sachiko... est effrayante.

- Tu viens de t'en rendre compte ? Sachiko Ogasawara est effrayante. Mais bien sûr, seulement pour les choses qu'elle désapprouve.

- Et tu me demandes d'affronter cette Sachiko-là ?

Yumi trouvait personnellement que Tsutako était tout aussi effrayante. Elle était déjà prête à s'enfuir. La pointe de ses chaussures étaient tournée en direction de la sortie.

- Tu ne comprends pas, Yumi ! Sachiko n'est pas un démon. C'est un ange. Le saint archange Michel !

- Le saint archange Michel ?

Qu'est-ce qu'elle racontait, c'était complètement hors de propos. Les yeux de Tsutako semblaient fixés sur un point situé très loin de Yumi.

- Elle est en réalité, magnifique et tolérante. Mais tout ce qui s'oppose à son sens esthétique est absolument impardonnable. Après tout, elle est née princesse. Elle a un sens très particulier des règles.

Tsutako s'éloignait seule vers d'autres horizons. Yumi ne pût que lever la main et dire après « heu » hésitant :

- Tsutako, j'ai des notes moyennes en japonais.

- Oui ?

- Peux-tu baisser le niveau et m'expliquer, s'il te plait ?

- Baisser le niveau ?

- En gros, est-ce que tu peux m'expliquer tout ça plus simplement ?

Tsutako baissa le bras et replongea dans ses pensées. Il était difficile pour elle d'expliquer à quelqu'un d'autre une théorie qui lui semblait si naturelle.

- Pour le dire plus simplement, Sachiko n'est jamais énervée pour rien, alors tout va bien. Quand elle est en colère, elle a toujours une raison juste !

- Donc ?

- Ne t'inquiète pas et sois persuasive !

- Mais pourquoi moi ?

- Vous allez bien ensemble, toi et Sachiko.

Tss, je ne comprends rien à la façon dont Tsutako pense.

- Et d'où est-ce que tu tiens ça ?

- D'où ? De nulle part. C'est de l'instinct ! De l'intuition !

Sachiko, qui ne se préoccupait jamais des cravates de ses camarades de classes, avait décidé spontanément ce matin de l'appeler, la réprimander et de renouer le nœud de Yumi de ses propres mains. Tsutako était certaine que c'était un évènement unique, un qu'on ne pouvait pas obtenir qu'avec de la chance.

- Même si les personnes concernées ne s'en rendent pas toujours compte, je pense que ceux qui sont liées se rapprochent toujours d'une façon ou d'une autre.

- Tu recommences à t'éloigner.

On aurait plutôt dit qu'elle essayait simplement de pousser Yumi à faire quelque chose qu'elle-même ne voulait pas faire.

- Si tu as vraiment des remords d'être passé pour une étudiante négligée, alors redore ton image ! Vas la remercier ! « Merci pour ton avertissement de ce matin » et tu redeviendras une jeune fille polie.

- Tu es persuasive, Tsutako...

- Oh, merci ! J'ai déjà été invité par le club de débat !

Son rire triomphant était si magistral qu'elle aurait aussi pu être invitée par le club de théâtre.

Dix minutes plus tard, Yumi se tenait devant la porte du quartier du Yamayurikai, la Demeure des Roses.

Au final, Yumi avait fini par accepter son rôle de négociatrice après que Tsutako ait envoyé son dernier coup fatal : « Alors, je jette les photos ? ».


Partie 4

Le conseil des étudiants du lycée de l'académie Lillian s'appelait le Yamayurikai – « conseil de la montagne aux lys » - en hommage à lesprit de la Vierge Marie.

L'esprit de la Vierge est un ciel bleu, est un chêne toujours vert, est un rossignol japonais, est un lys et est un saphir. C'était la première chanson qu'on apprenait quand on entrait à l'école maternelle.

(Mais pourquoi un saphir ?)

Enfant, Yumi s'était souvent posée cette question et continuait encore aujourd'hui de se la poser. Un ciel, un chêne, un rossignol, un lys et... un saphir ?

Elle comprenait la comparaison de l'âme de Marie avec des jolies choses, mais un objet aussi concret et matériel qu'un joyau, à la suite d'une série de beautés naturelles comme le ciel, les plantes ou les animaux, semblait déplacé. Un saphir était très cher, et si chacun pouvait lever les yeux pour admirer le ciel et sa beauté, seuls quelques élus pouvait porter un saphir.

(Quelqu'un comme Sachiko doit sûrement trouver que le saphir est à sa place.)

Voilà ce qui vint à l'esprit de Yumi alors qu'elle se tenait devant la Demeure des Roses.

Lillian était une école destinée à la bourgeoisie et était donc essentiellement composé de filles de riches familles. Yumi, qui fréquentait Lillian depuis l'enfance, était la fille du dirigeant d'une compagnie - son père était à la tête d'un bureau de conception.

Ce n'était pas très commun de parler du métier de ces parents à l'école, mais on en apprenait quand même un peu quand les gens laissaient échapper des indices inconsciemment dans des conversations banales, et ce n'était filles de docteurs, avocats, présidents de petites entreprises, chefs de département d'entreprises plus importantes, professeurs d'université et autres titres remarquables.

Cependant, Sachiko Ogasawara était à un niveau complètement différent. Elle était la petite fille du président du groupe Ogasawara - qui possédait de nombreux grands magasins et parcs de loisirs - et sa mère descendait d'une ancienne lignée noble, ce qui faisait d'elle une princesse aux hautes origines.

La Demeure des Roses. On l'appelait une « demeure » mais ce n'était en fait qu'un petit bâtiment, qui devait faire la moitié d'une salle d'une classe et qui se dressait dans un coin de la cour du lycée. Ce titre de "demeure" venait du fait que c'était un bâtiment en bois sur deux étages, indépendant du lycée, et uniquement utilisé par le conseil des étudiants.

- Je me demande si Sachiko est là... dit Yumi à Tsutako, baissant le poing qu'elle allait frapper à la porte.

- Et bien, elle n'était pas dans sa salle de classe et tout le monde sait que le Yamayurikai se réunit dans la Demeure des Roses à la fin de la journée pour préparer le festival de l'école.

Tsutako força Yumi à faire face à la porte. Apparemment, elle était venue uniquement pour l'accompagner. Yumi était le personnage principal. Elle aurait voulu se plaindre, « à qui c'est la faute si on est là ? » mais elle avait décidé de se retenir jusqu'à ce qu'elle ait les deux photos. Et puis Tsutako l'avait bien dit, si tout se passait bien, elle pourrait refaire sa réputation, et si les choses se passaient vraiment bien, Sachiko et elles pourraient même devenir amies.

- Oui, elles viennent ici tous les jours...

Yumi ne pouvait plus faire marche arrière. Elle releva le poing, mais ne parvint pas à frapper à la porte.

(Aaah, je suis vraiment faible...)

A vrai dire, cela aurait demandé une bonne dose de courage à n'importe quelle étudiante normale de première année - Yumi ne faisait pas exception - de frapper à cette porte. C'est pour cette raison que Tsutako ne la pressait pas. Si Tsutako lui avait dit « Allez ! Frappe à la porte. » Yumi était déjà prête à contre-attaquer : « Bah vas-y toi ! ».

Sa main était humide de transpiration. Bizarre, il ne faisait pas si chaud. Elle sentait son cœur battre terriblement fort et ses jambes trembler. Le monde qui se trouvait de l'autre côté de cette porte était trop différent.

- Vous venez voir le Yamayurikai ?

- Hein ?

Yumi et Tsutako se tournèrent en cœur en direction de la voix.

- Oh, mon dieu, désolé. Je vous ai surprise.

C'était Shimako Tôdô.

Yumi soupira, rassurée. Si à cet instant, Sachiko était apparue alors que sa détermination n'était pas parfaitement en place, elle se serait sans doute évanouie. Enfin, peut-être pas évanouie, mais elle aurait certainement fait preuve d'encore moins d'élégance que ce matin.

- Shimako... Pourquoi...

Alors que Yumi allait parler, Tsutako la frappa doucement du coude en murmurant « Idiote ».

- Shimako est Rosa Gigantea en bouton, elle a toute les raisons d'être ici.

- Ah oui.

Ce n'était pas une première année ordinaire.

- Yumi et moi aimerions parler à Rosa Chinensis en bouton. Tu pourrais nous servir d'intermédiaire, Shimako ?

Tsutako semblait vouloir profiter de l'apparition de Shimako et se mit immédiatement à lui parler. Shimako et Sachiko étaient toutes deux des Roses en bouton, mais la différence de confort pour parler à la blanche plutôt qu'à la rouge était énorme.

- Oh, bien sûr. Rentrez. Je pense que Sachiko doit être au premier étage.

Ses cheveux bouclés se balançant derrière elle, Shimako ouvrit la porte et fit signe à ses deux camarades, toujours clouées à l'extérieur.

Elle n'était pas seulement belle mais aussi très gentille et mignonne, ce qui impressionna grandement Yumi. C'était très facile de comprendre pourquoi Sachiko et Rosa Gigantea se la disputait. Elle était - c'est vrai - ce genre de personne qu'on aimerait avoir à ses côtés, avec son teint pâle et ses cheveux bruns doux et bouclés.

En comparaison, les cheveux de Yumi qui était de la même couleur, paraissaient indisciplinés. Pourtant, tous les matins, elle réussissait plus ou moins à les dompter en les séparant en deux couettes qu'elle attachait avec des rubans - comme on dompterait des animaux sauvages de la savane.

- Entrez, leur dit Shimako, qui tenait toujours la porte.

- Allez viens, Yumi.

Tsutako avala sa salive et prit Yumi par le bras. Si elles allaient vers leur chute, alors Tsutako entrainerait Yumi avec elle.

A peine avaient-elles posé un pied à l'intérieur qu’elles furent comme aspirer dans un monde mystérieux.

- Ouah.

Le plancher était surélevé. A gauche, on pouvait voir un escalier raide qui montait au premier étage, où l'on apercevait un grand vitrail de la taille d'une porte. Le soleil couchant éclairait les marches et le rez-de-chaussée à travers celui-ci. Il n'y avait aucun signe de vie. Devant elles et à droite, ils y avaient quelques pièces mais, comme le dit Shimako, elles semblaient toutes être vides. Sachant cela, il était alors évident que si Yumi avait frappé à la porte, personne ne s'en serait rendu compte, ce qui aurait certainement fait flancher sa faible confiance avant même qu'elle n'ait commencé sa tache monumentale.

- Suivez-moi.

Shimako monta avec facilité les marches de l'escalier, relevant les bas de sa jupe afin qu'elle ne traine pas sur les marches. Yumi et Tsutako échangèrent un regard et un signe de tête et la suivirent.

Cela faisait moins d'une année que Yumi était lycéenne. Cette Demeure des Roses était un endroit dans lequel elle n'aurait jamais du poser les pieds.

- Heu... Shimako ? demanda-t-elle, anxieusement.

- Oui ?

- Est-ce que tu as vraiment le droit de faire entrer des étrangers si facilement ?

Shimako s'arrêta et se tourna, le pied posé sur la dernière marche, avec un air un peu surpris, avant de dire : « Oh, Yumi ».

- Pourquoi est-ce que tu te considères comme une étrangère ? Ce bâtiment est utilisé pour les quartiers du Yamayurikai, alors ce sont principalement les membres du conseil qui l'occupent, mais tous les étudiantes sont des membres du Yamayurikai. Nous sommes plus que ravies de recevoir des étudiantes qui souhaitent nous parler. Bien sûr, si des centaines d'élèves pénétraient ici en même temps, l'étage s'effondrerait sans doute !

Détendant un peu ses épaules, Shimako rit.

Comme elle le disait, le vieux plancher de bois ne semblait guère pouvoir supporter plus d'une cinquantaine de personnes à la fois. Yumi se demanda sous quelle ère le bâtiment avait été construit. Le lycée Lillian n'était pas récent, mais les escaliers ne grinçaient tout de même pas de la sorte. Après avoir monté les escaliers, une porte en bois apparut à leur droite. Yumi et Tsutako suivaient Shimako dans cette direction quand elles entendirent une voix puissante.

- Et alors ?! Pourquoi est-ce que je devrais le faire ?!

C'était une voix très forte, qui avait facilement traversé la porte en bois. Alors que Yumi se faisait la réflexion qu'une voix d'un tel décibel n'avait pas sa place dans la demeure des Roses, celle-ci se remit à s'exclamer.

- C'est de la tyrannie ! Sœurs, vous êtes mauvaises !

Le mot "mauvaises" et le petit panneau « Soyez silencieux, nous sommes en réunion » qui pendait à la poignée de la porte semblait curieusement en opposition.

Incroyable. Une étudiante capable de dire le mot « mauvaises » en présence de ses ainées. Mais après tout, c'était la Demeure des Roses. Il n'y avait aucun doute que c'était la voix d'une des Roses ou d'un invité de marque. Une élève ordinaire n'aurait jamais pu assister à cette réunion et dire « Sœurs, vous êtes mauvaises ! ».

- Oh, tant mieux, on dirait que Sachiko est là.

Shimako tourna la poignée.

- Hein ?!

- Alors cette voix était celle de Sachiko...

Cela stupéfia Yumi. Sachiko pouvait élever la voix, utiliser un mot comme « mauvaise » et être aussi énervée ? Tsutako semblait tout aussi surprise. Shimako, elle, sourit, ajoutant un "c'est toujours comme ça" et ouvrit la porte sans frapper.

Et c'est à ce moment précis.

- Je vois ! Si c'est tout ce qu'on me demande, et bien, je l'amène ici ! Oui, je vais l'amener ici sur le champ !

Et avec ce qui semblait être un adieu un peu brutal, l'étudiante sortit en trombe de la salle. Elle fit l'erreur de tourner la poignée alors qu'elle celle-ci était déjà ouverte de l'extérieur.

- Aaah !

- Ouaaah !

Yumi vit pendant une fraction de seconde quelqu'un en train de perdre l'équilibre, puis elle sentit un choc contre elle. Sa vue changea, le plafond s'éloigna et une douleur aigue lui traversa les fesses. Ignorant Shimako, qui avait utilisé la porte comme bouclier, et Tsutako, qui s'était reculé en arrière au dernier moment, le coup atteignit Yumi de plein fouet.

Le « Aaah » venait de la personne qui était tombée et le « Ouaaah » était la voix de Yumi.

- Est-ce que ça va ?

Yumi entendit indistinctement les voix de Shimako et de Tsutako.

- Hnnn... Hnnn...

La situation était confuse, elle ne comprenait rien à ce qui venait de se passer, à part qu'elle avait heurté le sol, et que quelque chose de doux était appuyé contre son estomac et sa poitrine. Des cheveux qui n’étaient pas les siens lui couvrait le visage, et même si elle savait qu'elle était censée se relever sur le champ, elle n'arrivait plus à distinguer le haut du bas et avait perdu tout sens de l'orientation.

- Oooh... murmura la personne qui s'était écroulé sur elle en se relevant avec précaution.

La vision de Yumi s'éclaircit et la première chose qu'elle vit fut Rosa Chinensis en bouton, Sachiko Ogasawara. Elle aussi n'avait pas réalisé ce qui venait de se produire et s'était simplement assise, remuant doucement la tête.

Ses longs, lisses et noirs cheveux flottèrent quelques instants comme dans une publicité, avant de retourner petit à petit dans leur position d'origine. La seule différence qu'il avait entre elle et la publicité était cette odeur fleurie qui accompagnait le mouvement.

- Oh. Quelle chute ! Impressionnant !

- Elle a été emporté par les 50kg de Sachiko ? C'est ridicule !

- Hé bien ! Mademoiselle l'étudiante, êtes-vous toujours vivante ?

Les étudiantes qui étaient dans la salle s'approchèrent, attirées par le bruit. C'était un défilé de jeunes filles qu'on ne pouvait voir qu'à une réunion du Yamayurikai. Rosa Chinensis, Rosa Foetida et Rosa Gigantea. Près de Rosa Foetida se tenait son bouton et la petite Sœur de son bouton.

- Oh, j'ai percuté quelqu'un... Est-ce que ça va ?

Comprenant ce qui venait de se passer, Sachiko se dépêcha d'aider Yumi à se redresser.

- Sachiko ! Il ne faut pas la déplacer comme ça. Si elle s'est cognée la tête, ça pourrait être désastreux.

Rosa Foetida en bouton se détacha de la petite foule. C'était une deuxième année, élève n°30 de la classe du chrysanthème, Rei Hasekura. Elle était la descendante d'une famille de maitres en art martiaux et ce n'était pas certainement pas la première fois qu'elle voyait quelqu'un chuter de la sorte.

Malgré son nœud marin et sa jupe taille basse, on aurait dit qu'elle était habillé dans un uniforme d'homme - une rareté à Lillian. Elle avait une silhouette élancée et des cheveux très courts. Cet uniforme - qui ressemblait à celui d'une poupée traditionnelle - paraissait être sur elle un pantalon et une veste.

- Ah... je vais bien. Je me suis juste cognée.

Yumi se releva, les fesses encore douloureuses, faisant face à la tumulte.

- Tu es sûre ?

Sachiko la regarda avec des yeux inquiets.

Ah, je vais m'enfuir si tu me regardes comme ça. Tes beaux yeux vont être souillés.

- Oui, oui, je vais bien.

Incapable de supporter cette tension, Yumi se mit à esquisser quelques pas comme un phœnix renaissant de ses cendres. Elle détesta ce comportement de clown, mais l'atmosphère faisait qu'elle avait l'impression que si elle n'avait pas agit de la sorte, les Roses auraient appelé une ambulance.

- Quel soulagement.

Apparemment très rassurée, Sachiko enlaça gentiment Yumi. Encore cette douce pression contre son corps. Aah, alors c'était la poitrine de Sachiko. L'uniforme avait tendance à uniformiser les différents physiques, mais elle se rendait compte maintenant que sa poitrine était plutôt importante... Mais ce n'était pas le moment de réfléchir à une chose pareille ! En ce moment-même, Sachiko était bien en train de la serrer contre elle !

- Au fait, murmura Sachiko à l'oreille de Yumi. Tu es en première année, n'est-ce pas ? Est-ce que tu as une Sœur ?

- Hein ?

Yumi pensa à cette première année qui s'était perdue moralement en portant une cravate de travers et à sa Sœur que Sachiko avait réprimandée. Mais... Est-ce qu'elle voulait réprimander une Sœur pour être tombé ? C'était un accident et c'était de plus Sachiko qui avait fait tomber Yumi.

- Alors ? chuchota-t-elle avec empressement.

- Non... Pourquoi ?

Sentant que c'était une discussion qui devait rester secrète, Yumi baissa la voix pour répondre.

- Magnifique.

- Hein ? Quoi ?

- Ne t'inquiète pas, fais juste ce que je te dis.

Son ton était ferme et sans donner plus d'explication, elle traina Yumi devant le reste des membres.

- J'ai une déclaration à vous faire, mes sœurs.

Sachiko avait retrouvé son timbre de voix normal, cette voix froide si différente des cris hystériques que Yumi avait entendus à travers la porte.

- Et bien ? Qu'est-ce qui se passe ? demanda Rosa Chinensis avec un sourire moqueur.

Comme on pouvait s'y attendre venant de la Sœur de Sachiko. Elle avait l'aplomb et la présence de quelqu'un qui pouvait faire danser Sachiko dans la paume de sa main.

- Cette fille...

Sans finir sa phrase, Sachiko murmura à Yumi : "Présente-toi". Elle venait de réaliser qu'elle ne lui avait même pas demandé son prénom.

- Ah ! Je suis Yumi Fukuzawa, première année numéro 35 de la classe de la pêche.

Elle avait essayé de se présenter à Sachiko, mais celle-ci l'avait poussé de sorte qu'elle fasse face aux Roses.

- Je vois, Yumi Fukuzawa. Comment l'écris-tu en kanji* ?

-Fukuzawa s'écrit de la même façon que Fukuzawa Yukichi*. "Yu" s'écritavec le kanji de la droite et le radical du dieu. Mi avec le signe de l'annéedu serpent*.

- C'est un joli nom, dit Rosa Gigantea avec un sourire.

- Et ? dit Rosa Foetida qui dévisageait Yumi de haut en bas. Quel est le problème avec cette Yumi Fukuzawa ?

En quelques secondes, Yumi fut cernée par trois Roses.

Une grenouille chassée par un serpent devait ressentir exactement la même chose. Mais ce n'était pas de sa faute s’il y avait le signe du serpent dans son prénom... Ici ce n'était pas un serpent, mais une forêt de piquants. On disait que les jolies roses avaient toujours des épines et Yumi comprit en un instant que les Roses n'étaient pas des soeurs ordinaires.

Même si elle venait de tomber sur les fesses, sa tête bourdonnait de cette pression invisible que les Rosses exerçaient. Que comptait faire Sachiko maintenant qu'elle avait capturé ainsi une petite première année sans défense ?

- Mes Soeurs. Voudriez-vous arrêtez de dévisager Yumi de la sorte ? Elle a l'air absolument terrifiée.

(Yu-Yumi...?!)

Ouah, ouah.

Il y a quelques minutes, elle ne connaissait même pas son nom et voilà qu'elle l'appelait déjà uniquement par son prénom ? L'esprit de Yumi était en train de devenir complètement blanc.

Yumi.

La norme à Lillian était de rajouter un "san" à la fin du prénom ; l'absence de san était réservée pour les relations les plus intimes. Même ses parents, qui avaient avec elle une relation amicale, l'appelaient Yumi-chan. La seule personne qui l'appelait simplement Yumi était son petit frère, qui était très mal élevé.

Mais, c'était assez agréable. Que Sachiko l'appelle Yumi.

Oui, c'était agréable, alors - même si elle ne comprenait rien à ce qui se passait - Yumi décida de faire ce que Sachiko lui demandait. Si elle pouvait lui être utile, après tout...

- Oui, ça doit être désagréable, nous nous excusons... heu... Yumi Fukuzawa.

Rose Gigantea lui fit un petit salut de la tête. C'était une sœur de Shimako. Son visage par rapport à celui de Shimako était un peu plus exotique, mais elle aussi, c'était effrayante de la regarder de si près. Ses beaux cheveux mi-longs flottaient derrière elle, comme bercé par le vent.

- Mais, nous ne pouvons nous empêcher d'être curieuse de l'attitude de Sachiko, la Rosa Chinensis en bouton. J'espère que tu comprends ?

- O... Oui.

Yumi comprenait parfaitement que les Roses s'intéressent à Sachiko. Mais, elle ne comprenait pas pourquoi c'était elle que les Roses regardaient si intensément.

- Rosa Gigantea. J'apprécierai que tu évites de parler à Yumi si glacialement.

Sachiko se plaça devant Yumi, comme pour la protéger.

- Oh ? Et depuis quand Yumi est-elle devenue une de tes propriétés personnelles ?

Rosa Gigantea leva un sourcil et eut un petit rire. Même Yumi, qui se trouvait derrière Sachiko, pouvait voir que le visage de cette dernière commençait à se crisper de colère.

- Voyons, Rosa Gigantea. Ecoutons d'abord ce que Sachiko a nous dire.

- Ah oui, c'est vrai. Elle a dit qu'elle voulait nous faire une déclaration.

Rosa Chinensis et Rosa Foetida calmèrent les esprits, et Sachiko hocha la tête, perdant son visage énervé.

- J'espère que vous tiendriez la promesse que vous m'avez faite toute à l'heure.

- Promesse ? demanda Rosa Chinensis.

- Si je choisis maintenant, tout est réglé. Dans ce cas, je choisis Yumi.

Sachiko attrapa Yumi par les épaules et la poussa devant elle, comme si elle présentait un jouet qu'elle venait d'acheter.

- Heu...

Yumi n'avait aucune idée de qui c'était dit « tout à l'heure », elle n'avait donc aucune idée de ce qui se passait. Elle avait été emporté dans une histoire à laquelle elle ne comprenait rien. Elle échangea un regard avec Tsutako et Shimako dans l'espoir de réponses, mais elles secouèrent toutes deux la tête. Elles étaient arrivées en même temps que Yumi, et n'en savaient pas plus.

- « Tout à l'heure » est-ce la phrase que tu as hurlé avant de sortir de la salle ?

Les trois Roses regardaient Sachiko avec attention.

- Bien sûr.

Souriant triomphalement, Sachiko parla, et ses mots figèrent de stupeur toutes les personnes présentes.

- Je déclare Yumi Fukuzawa être ma petite Sœur.


  1. Ou "rosier de Chine". Espèce de rosier, de couleur vive entre le rose et le rouge.
  2. Le Japan Railways est le réseau de chemin de fer japonais le plus important.
  3. En japonais, c'est un suffixe poli utilisé après le nom ou le prénom.
  4. Suffixe plus poli que « san » : Yumi s'adresse à Katsura en disant « Katsura-san » et parle de Sachiko en disant « Sachiko-sama ».
  5. Ou "rosier géant". Il peut grimper jusqu'à vingt mètres ; ses fleurs sont blanches ou crèmes.
  6. En français dans le texte ;)
  7. En anglais "sister" dans le texte, qui est utilisé dans le sens religieux.
  8. Ou "rosier fétide" (lié au parfum désagréable qu'il exhale). Ses feuilles sont d'un jaune vif.


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