Bienvenue à la N.H.K ! : Plongeon - Partie Deux

From Baka-Tsuki
Jump to navigation Jump to search

Partie Deux[edit]

C'était bientôt le Nouvel An. Un après-midi, je rôdais devant le grand hôpital en bordure de la ville. C'était là que Misaki avait été admise.

Plus tôt dans la matinée, je m'étais rendu au manga café près de la gare et avais obtenu des informations à son sujet de son oncle qui était exténué.

― Quoi qu'il en soit, je suis sincèrement désolé.

Son oncle s'excusait sans raison.

― Nous pensions qu'elle allait mieux. Elle était beaucoup plus calme depuis qu'elle avait arrêté l'école et semblait être heureuse ces derniers temps. Je me demande si ce n'était pas à cause de ce qu'elle avait prévu de faire. Au fait, d'où connaissez-vous Misaki ?

― On est plus ou moins amis, répondis-je.

J'avais ensuite battu en retraite et m'étais rendu directement à l'hôpital, mais...

Cela faisait deux heures que je traînais dans la cour de l'hôpital. Parmi les visiteurs et les patients en promenade dehors, je faisais les cent pas sur le chemin entre le portail et l'entrée principale.

Misaki était dans une chambre privée du troisième étage de l'unité psychiatrique. Apparemment, elle avait avalé une forte dose de somnifères. C'était une dose presque fatale ; s'ils étaient arrivés ne serait-ce que quelques minutes après, il aurait été trop tard.

On ignorait encore vraiment où elle s'était procuré les somnifères, mais il y avait des chances qu'ils proviennent du psychiatre du quartier. Le fait qu'elle avait amassé une quantité de somnifères suffisante pour une tentative de suicide montrait qu'elle devait y aller depuis un moment. Et cela voulait dire que cette tentative était clairement intentionnelle. Misaki avait préparé sa mort depuis longtemps.

Mais qu'est-ce que j'avais l'intention de faire, en me présentant sans prévenir ? Je ne pouvais rien pour elle.

Devais-je essayer de lui dire quelque chose du genre « Ne meurs pas ! »...?

Ou alors de lui crier quelque chose du genre « Tu as encore un avenir ! »...?

Misaki avait écrit plein de clichés similaires dans son cahier secret. Mais ça ne l'avait pas aidée pour autant, alors elle avait finalement opté pour une overdose de somnifères.

En gros, il n'y avait rien que je pouvais faire pour elle. Il valait même peut-être mieux que j'évite de la revoir. Le fait qu'un pathétique hikikomori lui rende visite à l'hôpital la déprimerait sûrement encore plus.

Quand je considérais la situation dans cet angle, je pensais rentrer chez moi ; mais, une fois au portail de l'hôpital, mes pieds s'arrêtaient tous seuls. Une fois encore, je retournais à l'entrée principale et répétais ce cycle encore et encore.

Mes pensées tournaient en boucle. Si ça continuait comme ça, j'allais vraiment faire les cent pas jusqu'à la tombée de la nuit. Je n'arrivais pas à me décider.

Finalement, prenant mon courage à deux mains, je me précipitai dans l'hôpital avant de changer une fois de plus d'avis. Je pris un badge de visiteur à l'accueil, l'accrochai à ma veste, et montai au troisième étage.

L'intégralité de l'étage était réservée à l'unité ouverte de psychiatrie. Au premier regard, il n'y avait rien de différent d'un autre hôpital. J'aurais pensé qu'un service psychiatrique aurait été rempli de camisoles, d'équipements pour les électrochocs, et de laboratoires de lobotomie. Cependant, l'endroit était propre et gai ; ça aurait pu être n'importe quelle autre partie de l'hôpital.

Enfin, c'est ce que je pensais. Quand je remarquai qu'une vieille dans la soixantaine, apparemment une patiente, était accroupie dans un coin du couloir, je me dépêchai de me rendre à la chambre 301.

Tout au bout du couloir du troisième étage, une plaque indiquait la chambre de Misaki : « Misaki Nakahara », disait-elle.

Il n'y avait pas d'erreur possible. C'était sa chambre.

Je toquai doucement.

Aucune réponse.

J'essayai de retoquer, un peu plus fort ; toujours aucune réponse. Cependant, cela eut pour effet de déplacer légèrement la porte, même si elle avait très bien pu être entrouverte depuis le début.

― Misaki ?

Je jetai un œil dans la chambre.

Elle n'était pas là.

Bah, si elle est pas là, j'y peux rien. Je vais rentrer !

Je décidai de laisser le panier de fruits que j'avais acheté à la boutique de l'hôpital. Je remarquai alors que quelqu'un avait laissé une brochure d'horaires de train ouverte sur la table à côté du lit. Elle était annotée ici et là au stylo à bille rouge. Après avoir déplacé la brochure, je déposai le panier de fruit.

À ce moment-là, un morceau de papier tomba sur le sol. Je le ramassai et le lus : « Le Mikka Tororo était délicieux. Alors, adieu, tout le monde. »

Fourrant le bout de papier et les horaires dans la poche de mon manteau, je me dépêchai de sortir de l'hôpital et de me diriger vers la gare.

Le soleil avait commencé à se coucher.





Ils auraient dû la mettre dans une unité fermée avec des barreaux aux fenêtres, pas dans une unité ouverte où elle pouvait aller et venir librement. Ils auraient dû lui mettre une camisole de force et lui faire avaler plein de médocs pour la rendre heureuse. Mais parce qu'ils ne l'avaient pas fait, Misaki avait quitté l'hôpital. Elle se dirigeait vers sa ville natale. Et elle s'y rendait très sûrement pour y mourir.

Je me souvins de cette discussion qu'on avait eue un jour :

― Apparemment, Tsuburaya, le marathonien, est rentré chez lui à la campagne juste avant de mourir. Puis, il a mangé du Tororo jiru avec ses parents, d'après ce qu'il y a écrit.

― Hum…

― J'imagine que tout le monde veut retourner dans sa ville natale avant de mourir, en fin de compte.

C'était sûrement vrai. Misaki aussi devait avoir eu envie de rentrer dans sa ville natale. Elle avait sûrement l'intention de plonger dans la mer du haut des falaises du cap, où elle avait dit jouer souvent étant petite. Ça n'allait pas être si facile, par contre. Depuis que j'avais découvert sa lettre annonçant son suicide et les horaires de train, sa chance avait tourné.

D'après ce que je pouvais dire après avoir jeté un œil aux notes écrites sur les horaires, Misaki avait pris le train juste une heure auparavant environ. Si je la poursuivais, je devrais pouvoir être en mesure d'arriver avec une bonne marge d'avance. Je savais où elle se rendait, et par-dessus tout, j'avais de l'argent. En prenant le taxi pour certains tronçons du voyage, je pourrais même arriver avant Misaki. Il n'y avait aucune raison de s'inquiéter.

Dans le train de nuit, j'ouvris une carte achetée dans une librairie sur le chemin. Je cherchai le cap ― celui où Misaki disait jouer souvent dans son enfance. Le voilà. La carte ne montrait qu'un seul cap près de sa ville natale, alors ça ne pouvait être que celui-là.

Misaki avait sûrement pris le train qui partait juste avant le mien. Se mélangeant avec les gens qui rentraient chez eux pour le Nouvel An, elle se rendait sûrement dans la ville où elle était née, vers le cap tristement célèbre pour les suicides qui s'y produisent. Cependant, elle ignorait que je la suivais.

Je ne la laisserai pas s'enfuir. J'étais sûr et certain de pouvoir la rattraper. Sur ce point, du moins, je ne m'en faisais pas. Le problème résidait ailleurs.

Quand je trouverais Misaki, qu'allais-je bien pouvoir lui dire ?

Je comprenais sa souffrance, ne serait-ce qu'un peu. C'était juste la partie émergée de sa douleur ; malgré tout, je pouvais la comprendre jusqu'à un certain point. Elle se sentait probablement piégée, comme s'il ne lui restait plus aucune autre option. Et comme si sa douleur la poursuivrait jusqu'à la fin de ses jours.

Bien entendu, c'était normal. D'une certaine façon, sa douleur était commune à toute l'humanité. C'était une souffrance ordinaire. Tout le monde souffre à cause des mêmes sentiments. Moi y compris.

Même en continuant de vivre, je n'arriverai à rien. Tout ne sera que douleur.

Tout en étant conscient de ça, pourrais-je l'empêcher de sauter ? Avais-je le droit de l'arrêter ? En bon membre de la société, je devrais sûrement dire quelque chose d'approprié du genre « Peu importe, vis ! » ou « Arrête de te plaindre ! »

Je comprenais tout ça.

Je comprenais, mais malgré tout...





Alors que je ruminais sur ces questions, le train arriva à destination.

En sortant de la gare, je me rendis compte que la ville était déserte. On était déjà au milieu de la nuit ; mais même à cette heure-là, le quartier autour de la gare était aussi silencieux qu'une ville fantôme. Il n'y avait pas âme qui vive dans les rues.

En plus de ça, il neigeait et faisait vraiment froid. Comme c'était une ville sur la Mer du Japon, c'était dans ce qu'on pourrait appeler une zone de blizzard. Je boutonnai le col de mon manteau et me dirigeai vers le seul taxi en vue. Le conducteur sembla surpris par l'arrivée d'un client. L'homme, d'un âge assez avancé, devait être en train de dormir sur son siège. Il se dépêcha de se frotter les yeux.

Après être monté au chaud dans la voiture, je pointai sur la carte le lieu de ma destination. Le conducteur me regarda comme pour chercher confirmation, avec un regard qui disait « Vous êtes sérieux ? »

J'hochai la tête positivement, et la voiture démarra, faisant cliqueter les chaînes des roues.

― Monsieur, pourquoi vous rendez-vous dans un endroit pareil à cette heure de la nuit ?

― Tourisme. Dépêchez s'il vous plaît.

Environ une demi-heure plus tard, le taxi s'engouffra sur une route vallonnée qui longeait le rivage. Il se dirigea ensuite directement vers une colline escarpée. Sur la droite, la mer était noire et s'étendait à perte de vue. Après avoir atteint le haut de la colline, le taxi s'arrêta.

― Cet endroit a vraiment commencé à devenir connu auprès des touristes, mais pourtant, il n'y a rien ici.

Le conducteur du taxi parlait comme pour s'excuser.

Je payai la course et sortis du taxi.

― Vous n'avez tout de même pas l'intention de... Non, ils ont fini la construction, alors ça devrait aller.

Sur ces mots, le taximan fit marche arrière jusqu'à la route.

Je regardai autour de moi. Il n'y avait vraiment rien ici. Ou plutôt, il faisait si sombre que je voyais à peine le bout de mon nez.

L'océan étant à ma droite, je me disais que je trouverais la falaise si je me dirigeais par là, mais seuls des lampadaires placés de façon sporadique éclairaient la zone. Je ne savais vraiment pas quoi faire. Pour le moment, je traversai la route et, passant entre les barreaux des garde-fous, j'atterris sur un chemin enneigé.

Misaki devait sûrement être à l'autre bout de ce chemin. Me frayant un chemin dans la neige, qui m'arrivait au niveau des chevilles, et en faisant attention de ne pas glisser, je continuai à descendre le chemin à travers les épaisses broussailles. À chaque pas, les ténèbres ambiantes s'assombrissaient de plus en plus.

Peu après, les lumières des lampadaires ne m'atteignaient même plus, et je ne voyais presque plus rien. D'un coup, la broussaille se fit plus fine. Le chemin s'arrêtait, et devant moi s'étendait le ciel noir anthracite et la Mer du Japon. Nous y voilà. J'avais atteint le bord du cap. Il faisait trop sombre pour que je voie bien, mais la falaise était environ à une dizaine de mètres devant moi. J'étais enfin arrivé. J'avais atteint ma destination !

Mais et Misaki alors ?

Je regardais autour de moi, mais je ne voyais pas grand-chose. La pleine lune flottait dans le ciel nocturne, mais mes yeux n'étaient pas encore habitués au noir, alors je ne pouvais rien reconnaître, si ce n'est de vagues contours. Il ne semblait pas y avoir la moindre trace de quiconque nulle part. C'était tout ce que je pouvais dire.

Qu'est-ce que cela voulait dire ? Que j'étais arrivé le premier ? Ou que Misaki s'était arrêtée quelque part en chemin ? Ou alors...

Mon cœur commença à battre à tout rompre, et mon sang tourna.

Non, non, c'est impossible. Elle n'aurait jamais pu avoir sauté avant même que j'arrive, hein ? Elle sera bientôt là. Incessamment sous peu, Misaki arrivera en descendant ce chemin.

Je fis marche arrière et m'assis sur un banc qui faisait face à l'océan. Les yeux rivés sur le petit chemin, j'attendis Misaki.

Une heure plus tard. Misaki n'était pas toujours pas là. Je commençais à croire qu'elle n'allait jamais venir. Je pris ma tête entre mes mains. Sans m'en rendre compte, je commençai à me parler à moi-même.

― Pourquoi ?

― « Pourquoi » quoi ?

― Est-ce que je suis arrivé trop tard ?

― Non.

― Misaki est...

― T'es arrivé cinq minutes après moi. Peut-être que tu devrais devenir détective.

Je tournai lentement la tête vers la droite. Misaki se tenait là. Elle portait un manteau noir qui se fondait dans les ténèbres alentours.

Perchée au bord du banc, Misaki expliqua :

― Tu as fini par dire quelque chose. Je ne savais pas quoi faire parce que tu es resté silencieux pendant si longtemps.


Jihad - Partie Un Page Principale Plongeon : Partie Trois