Golden Time:Tome 1 Chapitre 1

From Baka-Tsuki
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Chapitre 1[edit]

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Banri Tada courait en pleurant à moitié.

Les rues de Tokyo à une heure du matin, bien que ce soit "LE Tokyo", étaient complètement noires, sans aucun signe de vie et pas la moindre lumière filtrant d’une fenêtre. Au cours de la journée d’aujourd’hui (ou plutôt celle d’hier désormais), malgré le fait qu’on soit seulement en Avril, il avait fait si chaud qu’il s’était seulement vêtu d’un tee-shirt et il avait bu un café glacé en murmurant pour lui-même, « Ça doit être le réchauffement climatique. » Il était maintenant en train de grelotter de froid et d’anxiété. Les manches de son sweat à capuche en flanelle étaient tirées sur ses doigts, chacun de ses pas instables de ses pieds nus dans ses sandales résonnaient, quoi qu’il en soit, s’il arrivait à rejoindre la rue principale, tout irait mieux… Ça devait être tout droit. Tout en espérant avoir raison, il courut de toutes ses forces.

Un jeune homme ayant dix-neuf ans cette année ne devrait pas être en train de courir dans les rues la nuit avec les larmes aux yeux… ai-je pensé, mais je comprenais les sentiments de Banri.

Si j’étais dans la même situation, je pourrais me mettre à pleurer moi aussi.

Il avait rejoint la capitale avec sa mère qui, pour le bien de son fils commençant sa vie indépendante, s’était arrangée pour les meubles, l’électroménager, le gaz, l’eau, l’électricité, etc… Elle avait réglé diverses formalités mineures ici et là puis, cet après-midi (déjà, le temps passe si vite !), elle était retournée à la maison en Hikari[1].

C’est alors que, finalement, il avait véritablement débuté la première nuit de son indépendance. Il ne restait que cette nuit avant la cérémonie d’entrée à l’université de demain matin. Tard dans la nuit, alors que le nouveau jour commençait, incapable de dormir à cause de ses inquiétudes, il avait fait ce qu’était supposée faire n’importe quel résident de Tokyo afin de se distraire : il s’était rendu d’une supérette à une autre, mais il avait perdu son chemin dans les rues. Pire, il semblait que, quelque part, d’une manière ou d’une autre, il avait perdu la clé de son nouveau logement. En tout cas, elle n’était plus dans sa poche.

Les pieds de Banri s’arrêtèrent soudainement et ils reculèrent de trois pas en arrière. Il vit un plan du quartier résidentiel dressé sur le bord du trottoir. « Sauvé », se dit-il tandis qu’il s’en approchait et cherchait l’immeuble, "Motomachi", où il habitait désormais, traçant un itinéraire avec son doigt depuis le "vous êtes ici". De toute façon, une fois de retour à son appartement, il comptait refaire le chemin jusqu’à la supérette à la recherche de ses clé.

Mais… ahh assez !

Si cette voix pouvait atteindre Banri, je lui dirais, « Regarde plus attentivement ce plan. Ce "Motomachi" est le "Motomachi" de l’arrondissement voisin ! » Non, je dirais plutôt, « Tu as quitté ton appartement en oubliant de fermer à clé ! Elles sont dans la chambre ! » Malheureusement, je ne pouvais faire cela.

Pour le moment, tout ce que je pouvais faire était de prier pour lui afin que Banri puisse rentrer simplement à son appartement et aller se coucher rapidement et qu’alors peut-être, il survivrait à la cérémonie d’entrée de demain sans problème. Ô combien important pouvait être ce jour dans une vie, celui de la cérémonie d’entrée à l’université d’un nouvel étudiant ? Même moi— bien que je sois devenu une âme errante, je pouvais comprendre.

Je ne croyais pas en la possibilité que les esprits des hommes, même lorsqu’ils quittaient leur corps, restaient eux-mêmes et demeuraient dans ce monde pour veiller sur quelqu’un. Cet aspect du monde était dissimulé, et je ne l’ai découvert que très récemment.

J’étais, pour ainsi dire, un fantôme.

Mon nom était auparavant Banri Tada.

Plus personne n’entendait ma voix, personne ne remarquait mon existence.

Je me contentais de continuer à observer ce nouveau Banri Tada qui continuait à vivre, même si moi, son esprit, était tombé hors de lui.

« Jeune homme, à cette heure, que—, que vous est-il arrivé— »

Tout à coup, le Banri Tada vivant tourna son visage vers l’avant et une lumière brilla droit dans ses yeux, le faisant se figer comme un cerf face aux phares d’une voiture.

« Ah, qu… Je, je me suis perdu… »

« Avez-vous un permis, un passeport, quelque chose pour prouver votre identité ? »

« Euh, ah, hein… »

Il fut soumis au premier interrogatoire de police de sa vie. Ça allait être une longue nuit. Est-ce que cette situation était une crise ? Etait-ce un présent de Dieu ? Personne ne pourrait jamais savoir en quoi Banri était concerné.


* * *


Un grand mélange de tout et n’importe quoi, c’était en quelque sorte son état actuel pouvant être qualifié de "Grande Appréhension", pensa Banri tandis qu’il contemplait les alentours.

Le temps, cependant, était vraiment excellent.

Un blizzard de pétale de fleurs de cerisier descendait du ciel clair en dansant frénétiquement autour de lui, comme si elles voulaient passer leur vie de la façon la plus spectaculaire qui soit. L’auditorium, entouré de vieux immeubles de bureaux gris, semblait être le théâtre d’un drame.

La scène ressemblait à une peinture. Des cerisiers en fleurs contrastant avec le ciel d’Avril. De jeunes gens se rassemblant pour les cérémonies d’ouverture. Hommes et femmes semblables, portant de nouveaux costumes de marque et des chaussures en cuir, des sourires radieux éclatant un peu partout. Banri se sentait comme en train d’essayer de couper le coin sombre passant inaperçu où il se trouvait.

Un flux constant de conversations amicales défila devant ses yeux. L’entrée de l’auditorium était sous la corniche du bâtiment. Pour l’instant, Banri et tous les autres avaient le même costume de marque neuf et les mêmes chaussures de cuir neuves, et ils tenaient dans leurs mains des enveloppes avec les noms de leurs facultés. Avec des cernes noires sous les yeux dues à un manque de sommeil, il ne ressemblait pas au première année typique. La patte droite de ses cheveux était courbée dans un angle bizarre et quelques mèches près de ses oreilles rentraient dedans, le démangeant.

Il n’avait pas réussi à dormir avant trois heures du matin. C’était une loque depuis la nuit dernière.

Il avait eu l’idée, dans le milieu de la nuit, de sortir et d’acheter quelque chose, s’était perdu dans les rues d’un quartier voisin inconnu (une chose plutôt débile à faire), avait monopolisé le temps de service d’un policier, lui avait expliqué sa situation et avait été reconduit jusqu’à son appartement. Ensuite, il s’était endormi avec maintes difficultés et, à cause de ses nerfs, il s’était réveillé à six heures du matin. Mais c’est toujours mieux que de se réveiller en retard avait-il pensé en s’habillant lentement tandis qu’il décongelait un peu du riz laissé par sa mère, avant de manger son petit déjeuner. Après cela, il avait pris une douche et séché ses cheveux tout en étant assis sur le lit. Il n’aurait pas dû faire ça. Son corps réchauffé par l’eau, les draps encore flambant neuf agréablement rafraichissant, il s’était allongé sans le vouloir. Il ne se souvenait pas avoir fermé les yeux. « Eh… Qu’est-ce que je fais maintenant… Bon sang… » s’était-il lamenté lorsqu’il avait réalisé qu’il était déjà neuf heures passé. La cérémonie d’ouverture allait commencer à dix heures dans la matinée.

Se réveillant en sursaut comme un pantin, il avait basculé dans un état de panique en regardant dans le miroir. Ses cheveux fraichement lavés étaient désormais en bataille car il avait dormi dessus, mais il n’avait pas le temps pour les relaver. Il les arrangea du mieux qu’il put avec le sèche-cheveux, sauta dans son costume et avait déboulé hors de son appartement en sentant de nouveau les larmes lui monter aux yeux. Il avait deux trains de retard sur celui qu’il aurait dû prendre d’après son planning, les bonnes chaussures, mais les mauvaises chaussettes. Sans même s’en rendre compte, il avait mis ses socquettes habituelles laissant ses chevilles à nu. Du coup, avec ses nouvelles chaussures encore rigides, il sentait un étrange frisson sur ses chevilles lorsqu’il s’asseyait. Il se sentait minable.

Il avait couru depuis la gare, arrivant tout juste à temps pour la cérémonie d’entrée de l’université. Prenant son siège, il s’était constitué un air de parfait étudiant en première année tandis que les visiteurs étaient accueillis, mais il se retrouva exclu de cette grande occasion. Ce n’était pas à cause de son manque de sommeil, ni à sa coiffure hirsute.

Il réalisa que c’était parce que, il était le seul à être complètement isolé.

Il n’essayait même pas d’être particulièrement observateur : un brouhaha constant emplissait l’endroit avec les gens qui discutaient. C’était parce que tout le monde avait quelqu’un avec qui parler. S’ils venaient d’un lycée affilié, ils avaient déjà formé des groupes d’amis, gars et filles ensembles, et si ce n’était pas le cas, ils étaient généralement assis avec leurs parents. En général.

« De nos jours, les parents ne vont plus aux cérémonies d’entrée de l’université ! Peut-être à Tôdai[2], mais ici c’est exagéré. Tout le monde penserait que je suis un fils à maman ! C’est absolument ridicule ! Les parents ne viennent normalement pas aux cérémonies d’ouverture de l’université ! » Après les protestations de Banri, sa mère était rentrée à la maison le jour précédent. « Eh bien, j’avais apporté ça juste au cas où… », avait-elle dit en rangeant le ticket d’invitation pour la cérémonie d’entrée dans son portefeuille comme si c’était quelque chose de précieux. Il n’avait pas été si sérieux que ça en souhaitant qu’elle ne vienne pas. Mais ensuite, il avait gémis absurdement comme un gamin, « Je ne veux pas que tu viennes », dans ce qu’il pensait être une relation normale parent-enfant.

Et maintenant qu’il était arrivé ici, déjà découragé, mais par-dessus tout, il se sentait coupable d’avoir été déloyal envers ses parents. Cela pesait lourdement sur lui. Il n’avait même pas fait un signe d’au revoir. Le dos de sa mère avait traversé l’entrée nord de la gare dans le quartier Yaesu[3], disparaissant pendant qu’il la regardait.

Sans le réaliser, il laissa échapper un soupir pathétique tandis qu’il était encore debout dans l’entrée, observant la couleur des cheveux de personnes descendant les marches et riant ensemble.

Depuis là où il se trouvait, il ne pouvait voir personne d’autre de seule. Il frotta ses yeux avec ses doigts. Peut-être était-ce le pollen, ou peut-être le manque de sommeil, mais ses yeux le démangeaient étrangement. Un gars qui avait oublié son mouchoir n’aurait certainement pas apporté de collyre avec lui non plus.

Les choses n’étaient pas au beau fixe— ouais, même à partir de maintenant, il semblait que les choses allaient continuer à aller mal

« Tu vas prendre le train ? Ou marcher ? »

« Pourquoi s’ennuyer à aller jusqu’à la station ? Ça va juste me fatiguer. Je préfère marcher. »

Devant les yeux paralysés de Banri, deux gars en costumes marchaient, desserrant leur cravate.

Depuis l’auditorium, il devait se rendre à l’orientation des étudiants de première année par lui-même, celle-ci avait lieu dans une heure, dans la partie du campus occupée par son département. Ayant dit cela, d’après le plan qui leur avait été confié, il n’était qu’à une station de métro. Même s’il venait d’arriver dans la capitale, cela ne voulait pas dire qu’il venait tout juste d’émerger du fin fond du désert, ni qu’il était nerveux sur ce qu’il devait faire. Ce qui troublait le point de vue de Banri était la foule quittant l’auditorium qui, pour une quelconque raison, se divisait en deux.

Peut-être que les gens tournant au nord gagnaient la station et ceux allant au sud marchaient. Avec un temps si beau, il voulait marcher, mais la route à pied n’était pas indiquée sur la carte. Le souvenir du désastre de la nuit dernière encore frais dans son esprit, il ne voulait pas se retrouver de nouveau perdu dans les rues. « Mais à partir de maintenant, je vais bien devoir trouver le chemin de chaque lieu par moi-même… Mais quand même… » Banri restait planté là à murmurer, encore hésitant, puis il finit par prendre sa décision et descendit les marches vers la rue.

Il décida de rester près de la paire qui préférait marcher. « D’un certain point de vue, nous sommes un trio ! », a-t-il chuchoté dans le dos des deux qui le précédaient. Ils étaient tous les deux vêtu d’un costume gris foncé, comme Banri.

Encore en manque de courage pour engager la conversation, Banri les suivit en prenant leur rythme. Bien que les choses soient un peu déplaisantes en ce moment même, il se pourrait que leurs cours et leurs études finissent par les amener à devenir amis. Il dirait des choses comme « Honnêtement, à la cérémonie d’ouverture, je vous ai désespérément suivi », et puis ils seraient capables d’en rire. La poursuite de Banri passait toujours inaperçu, les deux marchaient d’un pas régulier. Au fur et à mesure que la masse des nouveaux étudiants se déversait de l’auditorium dans les rues, elle se mêlait à la foule habituelle en ce jour de semaine qui passait par là, tel un affluant se jetant dans un fleuve. Si l’on n’y regardait pas de trop près, on pouvait facilement confondre les étudiants et les hommes d’affaire. C’est alors que…

« Ah, il fait plutôt chaud aujourd’hui, pas vrai ? Allons acheter une glace. »

« Tu es sérieux ? »

Le gars à droite eut une envie soudaine. Regardant le dos de la tête de ce dernier, les sourcils de Banri se levèrent inconsciemment.

« Très. Pourquoi on ne s’arrêterait pas à la prochaine supérette ? Je pendrai une glace. »

Veux-tu réellement manger une glace tout de suite ? La cérémonie d’ouverture vient tout juste de s’achever et tu veux manger une glace d’une supérette en plein milieu du chemin pour l’orientation, alors que le temps est compté ? Il fixa l’arrière du crâne du gars à gauche. "Oublie cette idée". Toi sur la gauche, dis-le ! Qu’est-ce qu’il allait faire pendant que ces gars mangeaient leur crème glacée, il n’en avait strictement aucune idée.

« Dans ce cas, j’en prendrai une moi aussi. Il devrait y avoir un 7-Eleven[4] dans les parages. »

« Ouais, il y avait un 7-Eleven. Mais où est-ce qu’il était déjà ? »

Ils n’entendirent pas le message silencieux de Banri. Quittant le flux lent des passants, les deux ont tourné dans une rue étroite. C’était le moment où il aurait dû leur dire adieu pour suivre les autres étudiants de première année. Banri aurait dû faire ça, mais il souffrait d’un manque de jugement. En continuant tout droit, il n’était pas facile de distinguer du premier coup d’œil les étudiants des hommes d’affaires, alors sans réfléchir, il tourna dans la rue latérale à leur suite. « Ah ah ah. » Ignorant Banri dont la conscience l’incitait silencieusement à se dépêcher, les deux garçons disaient des choses comme « Hmm, 7-Eleven, 7-Eleven. Là-bas ? Par ici ? » Ces deux-là restaient calmes et décontractés tandis qu’ils arpentaient des rues inconnues. Peut-être qu’ils voulaient se débarrasser de lui… avec de tels doutes, il tourna à gauche puis à droite pour s’écarter du droit chemin.

« Ah, ce n’était pas un 7-Eleven après tout. »

Ils étaient en face d’un FamilyMart[5].

Ils entrèrent dans le magasin sans la moindre hésitation, n’ayant toujours pas remarqué la présence de Banri qui se tenait là, clignant des yeux rapidement avec anxiété. Sans savoir que faire d’autre, il entra lui aussi tout en restant un peu en retrait. Il se mit dos à eux en prétendant lire les magazines tandis qu’ils se servaient dans le congélateur à glace. Après quelques dizaines de secondes, il prit une décision, « Je vais en manger une moi aussi. » Afin de paraitre normal, il avait établi qu’il devrait juste faire les mêmes choses que ces gars. Après avoir jeté un regard en coin pour s’assurer que les deux hommes s’étaient rendus à la caisse leur glace à la main, il prit son expression la plus innocente et plongea à son tour ses yeux dans le congélateur. Pour ne pas perdre de temps, il saisit la première qui lui tomba sous la main et, affichant un visage qui disait « Ah… Je voudrais bien une glace après tout… » tandis que les deux autres payaient, il attendit derrière eux à la caisse. Toutefois…

« Mais en fait, à partir d’ici, on doit aller à l’orientation, et on risque de ne pas profiter de cette glace. Il ne nous reste plus beaucoup de temps, on devrait peut-être changer d’avis. »

« Eh bien, c’est possible. On devrait simplement y aller, non ? Excusez-moi monsieur, cette caisse est votre, nous partons. »

« Ehh ?! »

Ils laissèrent très poliment leur tour à Banri et partirent reposer les glaces en rayon. Le caissier à temps partiel n’y fit même pas attention. « Suivant s’il vous plait » a-t-il déclaré en faisant signe à Banri d’avancer. Ne sachant que faire d’autre, il tendit avec résignation sa glace, sortit son portefeuille et, comme il manquait de petite monnaie, il sortit un billet de dix mille yens. « D’abord la grosse monnaie », cinq mille, six mille, sept mille. « Puis la petite », cling cling cling. Récupérer sa monnaie lui prit un moment et, pendant ce temps, les deux étudiants avaient quitté le magasin.

Bon sang. Qu’est-ce que je suis supposé faire ?

Pétrifié, refusant le sac avec un « Non merci », il prit sa glace comme elle était et, tandis qu’il rangeait son portefeuille, Banri quitta le magasin dans un état second. « Quel chemin ont-ils pris ? », il ne pouvait pas repérer la silhouette des deux gars. « Calme toi pour l’instant, je ne suis pas encore perdu », se répéta-t-il sans cesse. « Nous sommes venus par ici, puis par-là. Je me souviens de tout ça, pas de problème. »

Lorsqu’il regarda, il réalisa que ce qu’il avait acheté était une "Garigari-Kun"[6]. Peu importe, mangeons là. Je pourrai m’inquiéter après. Banri secoua sa tête pour éclaircir son esprit paniqué, puis il déballa la glace. La barre couleur soda était dure à force d’être conservée à trop basse température, alors après avoir mordu dedans, il se dit, « Je vais devoir attendre pour la manger. »

Il prit une looongue inspiration.

« … Qu’est-ce que c’est ? … Qu’est-ce que je suis en train de faire… »

Quel idiot.

Lorsqu’il s’en rendit compte, l’orientation soit disant importante était dans trente minutes et quelques. Sans aucune idée d’où il se trouvait, il était en train de manger sa glace seul devant une supérette. La silhouette d’un idiot tombé dans cette situation déraisonnable était reflétée dans le miroir du photomaton en face de la boutique.

Il portait un costume gris foncé avec grande enveloppe vert clair. Il tenait sa glace à l’eau dans la main. Les cheveux tombant ses joues rougeâtres étaient plus légers qu’il pensait. Néanmoins, mordant dans la glace, ses traits eux-mêmes avaient l’air plus décontractés que comment il les avait précédemment perçus. Même à un moment comme celui-ci, Banri pensa, « Wow, si je me regarde objectivement, je suis assez… », en mettant la main sur son menton, mais…

« … Heiiin ? »

Il remarqua que l’image dans le miroir ne bougeait pas en coordination avec lui. Comme idiot découvert, il se retourna.

Ce n’était pas son reflet dans le photomaton.

C’était une autre personne vêtu d’un costume de même couleur, tenant la même enveloppe sous le bras et mangeant la même glace. Leurs yeux se rencontrèrent puis se détournèrent momentanément. Malgré tout, Banri releva les yeux et regarda ce gars qui faisait exactement la même chose que lui. Il n’y avait pas d’autre possibilité, cet homme était un nouvel étudiant dans la même université. L’ignorer ne serait pas naturel. Ehh, ne serait-on pas en train de faire la même chose ? Ah, quoi, ne serait-on pas dans la même université ? En disant cela, il voulait détendre l’atmosphère.

« … Hein ? Ah ? ii es u ? »

Sa bouche, refroidie par la glace ne marchait pas très bien et n’émit qu’un gémissement ambigu.

Néanmoins, avec le langage du corps, se pointant lui-même puis pointant l’autre gars, il réussit à faire passer le message.

« Ho… gu… »

Le gars aussi, tandis qu’il essayait désespérément d’avaler une énorme bouchée de glace, regardait le visage de Banri. Posant le bout de ses doigts sur sa bouche et mâchant, il bredouilla :

« … Eh bien…, en fait, je… le chemin jusqu’à la fac, je ne le connais pas très bien… »

Sa voix était plus faible que le présageait son apparence.

Sans réfléchir, Banri fixa longuement le visage de l’autre. Même si ça n’avait été que pour un instant, confondre cet homme avec lui était complètement inexcusable car ses traits étaient beaucoup plus calmes. Il était aussi un peu plus grand que Banri, ses cheveux étaient mieux coiffés, son costume s’adaptait bien à ses épaules larges.

« J’ai pensé que je devais suivre quelqu’un, c’est pour ça que j’ai marché sur tes traces… Et dans tu es entrée dans le magasin, je me suis dit, "Qu’est-ce que je vais faire maintenant ? … Eh bien, pourquoi pas ? … Pourquoi ne pas simplement rester ensemble ?" »

« Et à partir de là… », le gars agita son bâtonnet de glace pour le montrer.

Sans réfléchir, Banri se mit à rire. « Quoi ?! » s’esclaffa-t-il d’une voix qui sortit naturellement claire.

« Alors en fait, on faisait exactement la même chose toi et moi. Je ne connais pas le chemin non plus, et je suivais d’autres gars depuis l’auditorium jusqu’à ce que j’atterrisse ici ! Mais j’ai été laissé derrière et je pensais "Qu’est-ce que je vais faire ?" »

« … Hein ? Vraiment ? »

« Vraiment. Je ne connais pas du tout la route. »

Toujours leur glace dans la main, ne sachant quoi en faire, ils se regardèrent pendant plusieurs secondes. Au final, ils éclatèrent de rire encore une fois. N’étaient-ils pas juste une paire d’énergumènes ? Ils eurent l’impression que le poids qu’ils avaient dans l’estomac fut emporté par le rire.

« C’est en quelque sorte la rencontre inattendue de deux personnes similaires. Je suis Banri Tada. "Tada" signifie "beaucoup de champs" et même si mon nom se compose des kanji "man" et "ri", ce n’est pas "Manri" mais plutôt "Banri"[7]. J’étudie le droit. Tu peux m’appeler Banri. »

« Oh bien, je vais étudier droit aussi. Je suis Mitsuo Yanagisawa, ce qui signifie "lumière centrale" et "les saules sont épais au bord du marais"[8]. Tu n’as pas besoin d’être formel avec moi, "Yana" suffira. Es-tu venu ici directement après le lycée ? »

« Je commence un an en retard. Et toi, Yanassan[9] ? »

« Yanassan ? Attends— un an plus vieux ?! … Vraiment ? Tu ne le parais pas— Bon bas c’est d’accord. Je viens d’être diplômé du lycée… mais, quand même, ah, c’est OK si je parle sans formalité comme ça ? »

« Bien sûr. Je veux dire, tu n’as même pas besoin de le demander. — Je viens de Shizuoka[10]. Je vis seul depuis la nuit dernière. Et toi, tu viens d’où ? »

« Je vis près d’ici, mais pareil, je suis seul. »

« Ouais, liberté ! Nous sommes pareils ! Devenons amis ! »

Comme s’il portait un toast, Banri leva sa Garigari-kun à moitié mangée au niveau de ses yeux. Yanagisawa leva la sienne de la même manière, puis ils terminèrent leurs friandises en une bouchée. Jetant les bâtonnets, ils se remirent en marche et finalement, ils retrouvèrent assez rapidement l’avenue principale.

Ils l’avaient fait d’eux même après tout, ça semblait un voyage ardu, mais ensemble, ils n’étaient pas si inquiets. Comparé aux rues du quartier résidentiel sans la moindre âme qui vive en plein milieu de la nuit, cette fois, ils pouvaient juste demander à quelqu’un. Mais quand il était seul, cette idée ne lui avait même pas traversé l’esprit.

Ricanant de lui-même, il jeta un regard oblique à Yanigasawa qui avait déjà l’air trop familier.

« Parce que malheureusement, il n’y avait personne avec qui parler jusqu’à maintenant, j’étais en fait plutôt inquiet. J’ai vu que les autres personnes étaient déjà entre amis et ma solitude n’a fait qu’empirer. »

« Ah, je pensais aussi à ça. En particulier pour moi, le sentiment d’être exclu est quelque chose que je n’ai pas ressenti depuis longtemps maintenant : depuis le primaire, je vais dans une école fédérée[11]. »

« Tu vas dans une école fédérée depuis le primaire ? »

Hochant la tête, Yanagisawa chuchota rapidement le nom de son ancienne école. Même si Banri n’était pas originaire de Tokyo, il reconnut quand même le nom du prestigieux établissement privé. Pendant les quatre prochaines années, ils allaient tous les deux étudier dans cette université privée, mais cette autre école était mieux classée dans toutes les catégories possibles.

« Quoi ? Sans blague ? Pourquoi n’as-tu pas simplement intégré leur université ? Si tu te contentes de rester sur l’escalateur[12] tu déboucheras toujours quelque part… Qu’est-ce que je raconte ? Est-ce que j’ai… »

Banri se tut par réflexe, se forçant à fermer sa bouche qui débitait des paroles à flux soutenu. C’était faux. Quel idiot il faisait. Il était insensible. Peut-être que ce n’était pas qu’il ne le voulait pas, mais qu’il n’avait pas pu avancer. Avoir soudainement émergé des profondeurs de la solitude lui avait fait perdre le contrôle de son excitation.

« Ex, excuse-moi… ! Ce que j’ai dit est faux… Je suis vraiment désolé, on a eu un si bon départ aujourd’hui… Ah, l’ambiance devient affreusement étrange… »

Toutes ces excuses étaient déprimantes. En regardant le visage de Banri qui gardait sa bouche fermée cette fois, ses yeux divaguèrent sans but précis,

« Aucun soucis, ça ne me dérange pas du tout. Bah, si je t’explique la raison, ça sera une longue histoire. »

Yanagisawa agita une main devant son menton fin. Son geste indiquant "Parlons de ça plus tranquillement à un autre moment" atteignit Banri ainsi : "Tranquillement à un autre moment." Je te raconterais quand nous auront plus de temps. Quoiqu’il arrive tu viendras me rendre une visite, OK ? Tu pourras même avoir un bubuzuke[13]. — Ah !

Il s’éloigna doucement d’un pas de Yanagisawa. « Hein, quoi ? », celui-ci regardait l’étrange sourire figé de Banri qui ressemblait à un fou.

Banri était en train de penser qu’il l’avait fait malgré lui. La nuit dernière, avant de se retrouver perdu dans le quartier, il avait recherché sur le net. Parmi les astuces pour les étudiants postées sur un site, il y avait un conseil pour les relations humaines : "Faites particulièrement attention pour éviter d’être trop familier lors de la première rencontre ! Il y a toujours des mines éventuelles !"… Qu’est-ce qu’il devait faire dans une situation où c’était lui qui nécessitait une attention particulière ? Incapable de s’en empêcher, il se frappa une fois la tête comme un conteur d’histoires comiques.

« Je suis tellement stupide, j’ai marché sur ma propre mine… avoir rappelé des souvenirs désagréables à Yanassan après qu’il ait pris la peine de devenir mon ami… »

« Hein ? Qu’est-ce qu’il y a ? Es-tu troublé au sujet de ce qui s’est passé ? Ce n’est pas un problème. C’est n’est pas une histoire qui me gêne, … eh bien, il semble que tu es inquiet pour une quelconque raison inconnue, alors je vais t’expliquer brièvement. J’avais eu quelques problèmes concernant le sexe opposé à l’école fédérée. J’en avais marre et j’avais besoin de respirer. Je voulais une nouvelle vie en tant qu’étudiant alors j’ai choisis de passer un examen extérieur de ma propre volonté.

« Ce n’est pas si important que ça, vraiment », exprima Yanagisawa en grattant ses sourcils proéminents. En considérant ça…

« … Hyuuu… ! »

Banri ne pouvait pas siffler alors il émit ce son à la place.

Réduisant prudemment de moitié la distance dont il s’était éloigné, croisant ses bras sur sa poitrine, agitant son doigt tandis que ses épaules tremblaient, il avait l’intention de s’exclamer « Tu es génial ! » du mieux qu’il pouvait, dans les limites de l’acceptable.

« Hein… Le sexe opposé ? »

… S’il restreignait son excitation à ce niveau, il ne devrait pas y avoir de problèmes. Mais en réalité, Banri était encore plus gonflé à bloc. Le sexe opposé ?! Tellement cool ! Des ennuis avec des filles c’est super cool ! Un triangle amoureux ?! Une aventure ?! Un amour interdit ?! Raconte-moi tout ! Je veux dire, partage ta chance ! Provoque des histoires avec des filles ! Get that power-up ! Super jump ![14] Autour de son cœur, la tension montait.

« Dooonc, c’est aux personnes aussi cool que Yanassan que de telles choses arrivent ?! Alors, tu t’es querellé avec ta petite amie ? Eh, est-ce que je deviens ennuyant ?! »

Il s’arrêta net.

« … Non, tu ne l’es pas. »

« Ne me mens pas ! »

Avec un demi-pas, il se plaça juste à droite de Yanagisawa.

« … Non, mais, ça n’a rien à voir avec ça. Et quoi qu’il en soit… elle n’est pas ma petite amie. »

« Pas ta… petite amie ? Qu’est-ce que tu viens de dire ?! »

Elle n’est pas… ? Et, tandis que Banri se rapprochait, Yangisawa dont l’expression était étrangement sérieuse hocha la tête puis ajouta :

« Ce n’était pas une bonne chose, absolument pas. C’était… pour ainsi dire… »

Arrêté par le feu rouge d’un passage piéton, il regarda un peu au loin avant de se retourner vers Banri.

« … une calamité…, ça y ressemblait. »

« Mais quand même, qu’est-ce que… » il essaya d’en apprendre plus mais, comme par hasard, le feu passa au vert à cet instant. »

De ce côté du passage piéton, un taxi était garé. Banri, avec Yanagisawa à côté de lui, avait juste commencé à traverser en face du feu. Wham ! La portière du taxi s’ouvrit à la volée. Une chaussure à talon haut se posa sur l’asphalte, le son sec résonna comme un marteau.

Ils tournèrent la tête par réflexe.

Banri eut le souffle coupé. En un instant, toutes ses pensées furent balayées.

La tempête de pétales de cerisiers était quelque chose à voir, mais ça, c’était extraordinaire.

Comme s’il jaillissait du taxi, un énorme bouquet de roses écarlates en sortit. Brillant en contraste du ciel d’un bleu pur, elles étaient d’un rouge très très profond.

Le regard de Banri fut arraché en direction du bouquet tandis qu’il était soulevé au-dessus la tête de la personne en sa possession.

« … Whop ?! »

De toutes ses forces, elle frappa Banri à la joue. « Ça fait mal ! » cria-t-il, « Non ! C’est froid ! », il cria encore une fois mais au final, il n’eut plus de souffle.

Une pluie froide de gouttelettes d’eau éclaboussa les alentours. Complètement abasourdie, Banri tomba au sol. L’arrière de son pantalon tout neuf heurta l’asphalte, avant d’être lui-même aspergé par les gouttelettes. Il était au mauvais endroit au mauvais moment.

C’était Yanagisawa qui était attaqué cette fois. Il fut giflé dans tous les sens trois fois, quatre fois, par un bouquet de roses rouges fraiches. A chaque fois, quelques-unes des pétales vifs s’envolaient plus loin, tombant comme des gouttes de sang.

Puis vint le coup final ! Levé très haut, le bouquet fut jeté, s’écrasant contre la poitrine de Yanagisawa effondré par terre.

Banri était sans voix.

Yanagisawa aussi.

Les pétales de roses voletaient, chargeant l’air de leur parfum sucré de nectar. Au milieu de ce tourbillon rouge,

« … J’ai retiré les épines. »

Une femme arborant un sourire "parfait" et dont même la respiration n’avait pas le moindre défaut.

Qui était-elle, qu’est-ce qu’elle était, ces questions se dissipèrent comme la brume du matin. Elle était là, avec son éclatante silhouette blanche comme neige, étincelante à cause des gouttes d’eau — les pétales de fleur rouge vif formaient comme une aura autour d’elle, lui donnant un air de reine des roses.

« Félicitation pour ton admission ! C’est tout ce que je voulais dire. »

« Ce n’est pas… » gémit Yanagisawa à voix basse, tenant les roses dans ses bras. Comme s’il ne voulait pas accepter la réalité, il secoua la tête de gauche à droite. Banri, encore à sa place de spectateur abasourdie, leva simplement les yeux vers le sourire de la femme.

Sa peau était parfaite, luisante comme la plus fine des soies. Ses cheveux aussi étaient parfaits, brun foncé, ondulés sans la moindre mèche de travers. Sa silhouette était parfaite, avec sa tête légèrement penchée sur le côté. Vêtue d’une robe en dentelle blanche comme la neige, le cou et les oreilles mises en valeur par des perles, portant de fines chaussures à talon haut et un sac violet à son poignet, cette femme était parfaite dans tous les sens. Le fait même qu’une telle personne puisse vivre et respirer était un mystère complet, elle était tellement parfaite que cela en était surnaturel. Même sa voix était aussi claire que du cristal.

« C’était si stupide de ta part, Mitsuo. »

Soudainement passionnée, elle baissa les yeux sous ses longs cils épais et fixa longuement Yanagisawa. Ses lèvres luisant du même rouge profond et brillant que les pétales de fleur, elle continua à sourire parfaitement.

« Pensais-tu que tu pourrais me tromper complètement en changeant discrètement d’université ? Pensais-tu que tu pourrais m’échapper ? C’est impossible. Tu ne peux pas me duper avec ce genre d’astuces. Que Mitsuo fuit mon, notre, futur parfait, cela ne se peut. »

Mitsuo — Elle appelle mon Yanassan, non, il n’est pas mien de quelque façon qui soit, Yanagisawa par son prénom.

Tandis qu’il était encore stupéfait et enraciné au sol, leur conversation de tout à l’heure revint à l’esprit de Banri. Elle devait être la fille fauteuse de troubles qui n’était pas sa petite-amie, c’était bien possible.

« Mitsuo m’appartient pour tou-jouuurs. »

« C… C’est fauuuux ! »

« Tu es à moi. Cesse de résister en vain. Bon, on se voit plus tard ! »

Elle courut à moitié pour retourner au taxi qui était encore garé là. Juste avant d’entrer, elle remarqua un pétale dans ses cheveux. Elle le saisit doucement avec le bout de ses doigts et le déposa dans la paume de sa main, puis elle souffla dessus— je veux dire, en direction de Yanagisawa, comme un baiser. Le pétale voleta dans les airs, atterrissant sur le bout du nez de Banri, mais aussitôt, le vent l’emporta.

Abandonnant les deux garçons et les roses sur la route, le taxi s’en alla.

« U… »

Il se tourna vers Yanagisawa.

« Uwaaaaaaaaaaaaaa ! »

Le bouquet de rose toujours à la main, les cheveux ébouriffé, Yanagisawa poussa un long cri. Banri réussit à se relever le premier et lui tendit une main.

« Yanassan, reprends-toi ! Qui était-ce ? Ou plutôt, qu’est-ce qui vient de se passer ? »

Banri réalisa que de nombreuses personnes les observaient. La plupart avait les yeux rivés sur Yanagisawa. Il était encore assis par terre, tenant un énorme bouquet de roses. Ce qui était sûr, c’est qu’il ne semblait pas vraiment à sa place dans le paysage urbain habituel. Il avait juste l’air d’un voyageur temporel tout droit sorti d’un vieux feuilleton à la mode à l’époque de la bulle[15]. Passant le long de la rue, des groupes d’étudiants apparemment nouveaux et des hommes d’affaires regardaient par là. Leurs expressions exprimaient de la surprise mêlée à de légers sourires. Quelques-uns les pointaient du doigt en riant.

Hey regarde. Wow, incroyable. Qu’est-ce qu’il arrive à cet "Homme Rose" ? Avec cette enveloppe et tout, c’est certainement un première année dans notre école. Tellement étrange. Qu’est-ce qu’il fait ? N’est-ce pas un peu embarrassant ? Ils murmuraient et chuchotaient à tout-va.

Un peu désorienté, Yanagisawa se leva. Aussitôt, comme lors de la dernière attaque, les pétales empilés tombèrent de sa tête. En les voyants à ses pieds, regardant le bouquet de roses contre sa poitrine,

« Fi… finie… ma vie d’étudiant… a pris fin, dès le premier jour… ! Hahaha… ahahaha ! »

Yanagisawa prit un air distrait et enfonça une main dans sa poche. Et puis « Ouaiiis ! », tirant une poignée de pétales coincés dedans, il les jeta au-dessus de sa tête. Ça ne peut pas continuer, pensa Banri, les épaules tremblantes. S’il fallait s’inquiéter des problèmes psychologiques de quelqu’un, il avait déjà assez des siens.

« Calme-toi, Yanassan, tu dois réellement te reprendre ! Par ailleurs, regarde… on doit arriver à l’orientation à temps ! »

« Dois-je me rendre à l’orientation en transportant ces superbes roses ?! Je serais juste embarrassé de sortir du lot comme ça, et puis, pour les quatre prochaines années de ma vie d’étudiante, qu’est-ce que je vais faire ?! Qu’est-ce qu’ils veulent dire par "Homme Rose" de toute façon ! Je suis devenue comme une sorte d’"Homme Jambon[16]"… ! »

« Bon bon, s’il vous plait, prenez ça : Félicitations pour votre admission à l’université. »

Quelques étudiantes de premières années les regardèrent tandis qu’elles passaient par là, leurs yeux se rencontrèrent. Sous l’impulsion du moment, Banri tira quelques roses du bouquet et les tendit aux filles. Sur ce, tout en demandant « Eh, c’est pour moi ? », elles tendirent leur main plutôt allégrement pour les prendre. En voyant ça, d’autres filles s’enthousiasmèrent, « Ces gars sont en train de donner des roses ? », « Tu rigoles ! J’en veux une ! » puis elles approchèrent à leur tour.

Ça pourrait vraiment marcher, pensa-t-il.

« C’est vrai, je distribue des roses ! Félicitations pour votre admission au collège ! Je suis l’Homme Rose, s’il vous plait, prenez une rose ! »

« … Qu’est-ce que tu fais Banri ? »

« Yanassan, tu devrais en distribuer toi aussi. Ah, tenez. »

Les tirant une par une, ils tendirent encore et encore des roses aux gens.

« Si tous les autres premières années vont à l’orientation en tenant une rose, le seul souvenir qu’il va leur rester ne sera pas "Le jour de la cérémonie d’entrée, il y avait ce gars étrange portant des roses", mais plutôt "Le jour de la cérémonie d’entrée, les premières années ont reçu des roses", ai-je tort ? C’est pour ça, Yanassan, aide moi aussi, allez, nous donnons un million de roses à toi et toi et toi et toi ! Oui, oui, voilà, il y en a encore ! Félicitations pour votre admission ! »

Même l’escouade de tantes[17], qui ne ressemblaient pas aux premières années s’écrièrent « Elles sont si belles ! », et « Elles sont gratuites ! », avant de se précipiter avec entrain. « Pourrions-nous, s’il vous plait ? », avec leurs sourires s’adressant directement à eux.

« … Je vous en prie ! »

Même Yanagisawa souriait désespérément, montrant ses dents dans un grand sourire tout en donnant des roses l’une après l’autre.

« Tu as raison ! Si j’étais tombé juste après la porte, Kouko aurait certainement eu ce qu’elle voulait. Même si elle m’a trouvé, nous serons séparés. Nous vivrons dans nos propres mondes. C’est pour ça, je suis venu dans cette école alors je pourrais être accepté ici. Dans un tel endroit, je ne faillirais pas ! Je ne vais pas devenir ce que Kouko veut que je sois ! Ma vie d’étudiant n’est pas encore terminée ! Prenez une rose ! »

Ils avaient encore une quinzaine de minutes avant le début de l’orientation.


* * *


Kouko Kaga.

C’était son nom apparemment.

Elle avait rencontré Mitsuo Yanagisawa au cours de sa première année d’école primaire. A cette époque, Kouko était une petite fille délicate se faisant persécutée et il l’avait protégée. Depuis, elle s’était accrochée à Yanagisawa de toutes ses forces en disant qu’il était le "prince de ses rêves".

« Depuis cet instant, Kouko n’a qu’un seul et unique rêve. "Se marier avec Mitsuo !" … effrayant, vraiment. »

«  Effrayant ? Pourquoi ? N’est-ce pas un discours terriblement romantique ? Une promesse d’enfance… lié par le destin à ton amie d’enfance… en quelque sorte. C’est totalement génial. Je veux dire, elle est vraiment belle, elle déborde de charme, comme une actrice. »

« Tu ne comprends pas. Tu ne sais pas ce que c’est ! »

Sa voix s’éleva seulement un peu, mais la jeune fille assise devant eux se retourna vers Yanagisawa brièvement. Baissant d’un ton, ils murmurèrent un « Désolé », et inclinèrent un peu la tête. Ils étaient en train de chuchoter trop fort.

Le déroulement de l’orientation des nouveaux étudiants était assez similaire aux cours de l’université, dans un amphithéâtre avec les sièges disposés en gradins comme des escaliers. Sur l’estrade, un membre du département des Affaires Etudiantes lisait dans un microphone : « Vous avez le devoir de vous comporter… » « Tous les efforts pour prévenir les accidents… » etc, tandis qu’il lisait plusieurs points importants concernant le tabagisme, l’alcool et autres.

Un doux parfum flottait dans la vaste salle, il émanait des roses rouges dans les mains d’un certain pourcentage des élèves.

« … N’as-tu pas compris avec ce qu’il s’est passé plus tôt ? Juste parce que je ne suis pas allé dans la même université qu’elle, elle m’a tendu une embuscade le jour de la cérémonie d’ouverture, m’a frappé le visage avec un monstrueux bouquet de roses, et après qu’elle en eut fini de me harceler, elle m’offre un grand sourire éclatant et s’en va, c’est ce genre de femme. »

« C’est une plaie, vraiment une plaie, » répéta-t-il d’une voix faible ressemblant à un gémissement.

« Tout ce qui préoccupe Kouko, c’est son scénario de vie qui correspond à sa prétendue "perfection". Elle ne se colle à moi que dans le cadre de son scénario de vie parfaite. A chaque fois que j’essaye de faire quelque chose… »

Yanagisawa tourna son visage vers Banri. Il recoiffa ses mèches de chaque côté, plissa désagréablement les yeux, louchant presque, avança son menton, et avec un ton étrange,

« "Mitsuo ! Ce n’est pas vrai !" "Mitsuo ! Ce n’était pas ce que j’avais prévu !" "Mitsuo ! Fais ce que je te dis !" "Mitsuo ! Blablablabla !" "Mitsuo ! Blablablablablaa !" … Ça ressemble à ça. C’est invivable. »

C’était amusant, mais pas du tout comme elle.

« Son visage n’était pas comme ça. Plutôt quelque chose du genre, »

Banri baissa le menton, battit des cils tout en regardant vers le haut, remua doucement ses épaules d’avant en arrière et peigna sa frange… puis dit doucement en se trémoussant :

« J’ai… retiré les épines… n… N’était-ce pas comme ça ? »

Yanagisawa lui jeta un regard glacial et secoua la tête.

« C’était quoi ça ? Non, elle n’est pas comme ça du tout. Evidemment, comment pourrais-tu la connaitre après une seule rencontre ? Avec elle, c’est : "Blaaa ! Mitsuoo !'Blaaa !" "C’est blabla ! Fais blabla ! Pas blabla ! Mitsuooo ! Blaaaah !" »

« Eh, tu n’exagères pas un peu ? Ce que j’ai vu étais : "Oh, comme tu es idiot… Mitsuo…h" »

« Non, non, elle n’est pas comme ça du tout ! Elle est plus comme ça ! "Blabbla ! Blaaaaah ! Mitsuooo ! Blaaaah !" »

Yanagisawa voulait probablement démontrer son expressivité encore plus, les veines de son front ressortant, il se leva un peu de son siège en se tordant dans tous les sens, lorsque finalement,

« Vous là-bas ! Arrêtez vos bavardages ! »

« … »

Depuis l’estrade, un doigt les pointait en avertissement. Yanagisawa tressaillit, se raidit maladroitement et se rassit sur le banc en bois plus qu’inconfortable. Ses joues vermeilles, il baissa la tête tout en marmonnant « Excusez-moi… » puis il se recroquevilla sur lui-même. Même Banri se sentit mal à l’aise sous les regards perçants qui venaient de tout l’amphithéâtre. Cette situation semblait plus embarrassante que l’attaque avec les roses.

Il lança un regard oblique sur le visage rouge de Yanagisawa qui a aussi tourné la tête vers Banri. « Ne dis rien », indiqua Yanagisawa en mettant simplement un doigt devant sa bouche. Puis, au lieu de causer plus de troubles en continuant à chuchoter, il gribouilla quelque chose au crayon dans la marge d’un polycopié.

"Quoi qu’il en soit, je suis sûr d’être loin de Kouko pendant quatre ans !"

"Je ne vais pas abandonner juste à cause de cette humiliation ! Je vais profiter de ma vie d’étudiant !"

"Hourra pour une nouvelle vie !"

"Libertéééééééééééééééé !!!"

Depuis le côté, on pouvait le voir sourire. Ses dents blanches et droites formaient une parabole parfaite. Yanassan doit venir d’une bonne famille et d’un bon environnement, pensa Banri. Puis, prenant son crayon, plutôt que d’écrire une réponse, il dessina avec un grand sourire, un chat qui criait "YES !!!".


Ils écoutèrent toutes sortes d’explications sur les cours et les conférences obligatoires, les cursus spéciaux nécessaires pour ceux qui voulaient rejoindre une école de droit, les cursus spéciaux nécessaires pour la fonction publique, tous les différents tests de qualification spéciale, etc... La journée d’orientation se termina aux alentours de midi. Lorsqu’il entendit « L’interdiction de recrutement des clubs sera levée à partir de cet après-midi, » Banri regarda Yanagisawa et leurs yeux se croisèrent.

Pour vraiment apprécier la vie d’étudiant, il fallait rejoindre des clubs. Du moins, Banri pensait ainsi. Choisir un club est absolument, l’exigence la plus importante se dit-il. Mais au moment où, accompagné par Yanagisawa, il était sur le point de se lever de son siège, quelque chose d’inattendue arriva.

« Mitsuo ! Blaablablabla ! Blahblablaa ! »

« … Hein ?! »

Tout à coup, une voix retentit derrière eux. Banri et Yanagisawa regardèrent derrière comme un seul homme. Banri vit des doigts blancs appuyer fermement contre le front de Yanagisawa. …Criic… uniquement la tête le Yanagisawa tourna, comme dévissée de son corps.

« Blablablablablaaaaaa ! … je suis comme ça, je me le demande… »

Le visage de Yanagisawa vira au blanc, comme si le sang était aspiré de sa tête. Tendant les bras par-dessus le bureau du siège juste derrière eux et un peu plus surélevé, elle tenait sa tête à deux mains. Là flottait le sourire parfait de Kouko Kaga. Parmi les teintes sombres de bleu et de gris, elle était là, éclatante dans la robe en dentelle blanche.

Pendant tout ce temps— elle était juste derrière eux. Probablement.

« P-P-P-P… » Les lèvres de Yanagisawa tremblèrent.

« Pourquoi… pourquoi es-tu… qu’est-ce que tu fais là ?! »

« Pour l’orientation bien sûr. C’est tout naturel d’être ici. »

Contemplant le visage livide de Yanagisawa qui tremblait jusqu’au bout du nez juste devant elle, Kouko souriait, ses lèvres roses s’entrouvrirent lentement. Ses belles dents blanches brillaient entre ses lèvres.

« Je t’ai prévenu plus tôt, non ? Je t’ai dit "On se voit plus tard". Tu ne m’as pas entendu ? Ou peut-être… Blablablablablaa ! »

Avec un geste semblable à une caresse, les magnifiques doigts de Kouko passèrent doucement dans les cheveux de Yanagisawa.

« … c’est ce que tu as entendu… ? »

Ses mains se retirèrent brusquement, peut-être de frustration,

« C’était pour quoi ? »

Kouko, toujours souriante mais avec une voix aussi tranchante qu’un couteau, croisa les bras. Prenant la pose avec son menton levé un peu, elle regarda Yanagisawa de haut. Ses grands yeux scintillaient comme des joyaux noirs, reflétant ses longs cils. Dans tout ça, elle ne semblait pas avoir remarqué Banri du tout.

« Poses-toi la question ! Qu’est-ce que tu fous ?! Pourquoi es-tu ici à cette orientation ?! »

« J’ai cédé à ton désir et j’ai accordé le mien avec ! Je me suis inscrite ici moi aussi. »

« Haa… »

« Quelle expression heureuse. Pendant encore quatre années, nous allons pouvoir étudier ensemble. »

Yanagisawa retint sa respiration, passa trois fois sa main dans ses cheveux et, à cause de sa coiffure désormais en pétard, lorsqu’il leva la tête vers Kouko, il ressemblait au fantôme d’un soldat vaincu.

« … T, tes plans, qu’est-ce qu’ils deviennent… ?! N’avais-tu pas prévu d’étudier la littérature française et de passer trois ans dans une école en France ?! N’avais-tu pas décidé de te construire toi-même une carrière dans le monde de la mode ? »

Laissant échapper un petit soupir, Kouko glissa ses doigts dans ses cheveux brillants qui tombaient jusqu’au bas de sa poitrine.

« Un petit changement était définitivement nécessaire, mais cela n’a pas été difficile. Une vie d’étudiante sans toi à mes côté serait insignifiante. J’ai réfléchi à ce que toi et moi prenions des cours de commerces pour que nous puissions reprendre l’entreprise de mon père. Mais je m’en fiche. C’est pareil pour moi que mon mari possède sa propre entreprise ou qu’il soit l’avocat en droit des sociétés. Mitsuo, tu m’as trahi, en prévoyant de prendre part à un examen extérieur. Lorsque je l’ai découvert, j’ai été surprise, bien sûr… mais, au lieu d’en faire toute une histoire pour t’arrêter de force, j’ai conclu qu’il était préférable de te suivre. Alors j’ai passé presque tous les examens auxquels tu as participé. »

« … Comment as-tu pus savoir pour quelles écoles j’ai postulé... J’ai demandé à mon professeur principal de les garder secrètes, et pourtant… Je ne l’ai même pas dit à mes amis, pas la moindre personne ne savait quels examens je prenais… »

« Cette année, ils ont terminé la construction du bâtiment de la faculté de médecine. Tu le savais ? Il est baptisé l’Edifice Commémoratif Kaga. »

Kouko déclara , « Ce n’était pas un problème de connaitre quelles écoles tu avais choisi, » tout en affichant de nouveau une expression calme, ses lèvres se relâchant en un large sourire. Horizontalement en travers de sa frange, un bandeau de soie bleu avec des motifs rouge-orange encadrait son front blanc. La ligne de son menton fin continuait le long de son cou svelte. Elle pouvait difficilement être plus différente que les autres étudiantes passant derrière elle. Elle était trop sophistiquée.

Elle avait des traits distincts qui ne pouvaient être qualifiés autrement que magnifiquement dessinés.

« N’es-tu pas heureux toi aussi, Mitsuo ? Que je t’offre tout mon cœur. »

— Banri réalisa que, plus que n’importe qui d’autre, son expression rayonnante de confiance en soi la rendait plus belle que n’importe qu’elle autre fille. Cependant, elle n’avait toujours pas remarqué l’existence de Banri.

Yanagisawa, grimaçant comme s’il venait de manger quelque chose d’amer, fixa Kouko de manière interloquée.

« Pas vrai ? Tu es heureux, n’est-ce pas ? Réponds-moi, Mitsuo. »

« … Malheureux… »

« Vraiment heureux, hein ? »

« … Malheureux à jamais… »

« Dis-moi la vérité. Tu es heureux, n’est-ce pas ? »

« Malheureux j’ai dit ! Tu es une nuisance. Malgré mes efforts pour passer des examens extérieurs afin de m’éloigner de toi, tu es venu et tu as tout gâché ! Je ne vois pas ce qui me rendrait heureux dans tout ça ! »

Soudain, Kyouko sembla remarquer la présence de Banri. Elle adressa subitement un sourire agréable à Banri qui se tenait à côté de Yanagisawa.

« Ne fais pas attention à lui. Il n’est pas dans son assiette. Mitsuo est, pour ainsi dire, connu pour être "ça". »

Tsu, n, de, re.

Hein.

Elle tapa doucement près de sa bouche avec son ongle verni beige puis haussa légèrement les épaules. Comme une comédienne sur scène, elle lui adressa un clin d’œil exagéré. Banri n’avait aucune idée de la façon dont il était censé réagir.

« Eh bien, hmm… Mon nom est Tada. Que dire… euh, ravi de te rencontrer… hey ! »

Déstabilisé, il se pencha en avant. Poussant Banri, Yanagisawa avait choisi le moyen le plus primitif pour s’échapper : il prit ses jambes à son cou. « Oh ! Mitsuo s’enfuit ! » avec ça, Kouko se lança à sa poursuite, ses talons hauts résonnèrent haut et fort tandis qu’elle courait dans les escaliers. La sublime silhouette de Kouko se distingua, attirant le regard de nombreux étudiants qui se tournèrent ensuite les uns vers les autres pour bavarder. Un bon nombre d’entre eux savait que les roses magnifiques entre leurs mains étaient à l’origine son cadeau. Ils avaient probablement dû se trouver dans les parages lors de l’attaque sur le passage piéton.

« … Je veux dire… »

Puis il réalisa qu’au final, il était encore tout seul.

Laissé pour compte dans l’amphithéâtre, Banri regarda les alentours. La querelle entre Yanagisawa et Kouko avait capté l’attention et quelques regards étaient toujours tournés vers Banri. Mal à l’aise, il a précipitamment jeté ses fournitures dispersées sur leur table dans leurs enveloppes.

« Yanassan à tout laissé là… »

Rassemblant sous son bras les documents importants, l’emploi du temps et les diverses choses appartenant à Yanagisawa qui les avait oublié, Banri quitta l’amphithéâtre en dévalant l’escalier à grandes enjambés. De toute façon, ils avaient échangés leur numéro de mobile et leur adresse mail, alors lui rendre ses affaires demain ne poserait pas de problème.

Quittant la salle par l’une des nombreuses portes donnant sur le couloir, il rejoignit l’essaim des autres premières années. Les plans de sorties, les présentations, les voix et les rires faisaient écho comme une petite explosion. Le bâtiment de l’école était vieux. La lumière venant des néons tournait au jaune, il y avait des renforcements ici et là pour consolider les murs contre les tremblements de terre, et pour une raison quelconque, des barreaux en fer étaient montés sur les fenêtres. Il était dit qu’à une époque, cet établissement avait été le théâtre d’une manifestation étudiante violente, et ces choses devaient être des vestiges de cette période.

Avec deux enveloppes sous le bras, Banri descendit lentement les marches. Dans le coin de l’entrée destiné aux fumeurs trainaient quelques premières années (dont on pouvait douter qu’ils aient vraiment vingt ans[18]), toujours vêtus de leurs costumes. Jetant un regard sur le côté pour observer le trajet de la fumée qu’ils soufflaient, il suivit le gars devant lui et Banri quitta le bâtiment.

A cet instant précis.

« Félicitations pour votre entrée à l’université !!! »

« … Quo… ?! »

Accompagné par un grand brouhaha, une tempête de confettis tourbillonna devant ses yeux. Il y avait une immense foule d’étudiants qui n’était pas composée uniquement de premières années.

« Toi là-bas, le nouveau, fé-li-ci-ta-tions ! Viens par ici ! »

« Pas moi, pas moi, impossible ! Excusez-moiii ! »

Il croisa le regard d’un homme avec un casque, Banri baissa la tête face aux invitations et descendit les marches de l’entrée en toute hâte. Devant ses yeux, au-dessus de sa tête,

« Tu es intéressé par l’humorisme ? Nous organisons un spectacle live pour les étudiants ! »

« Laa, laa, laa ♪ Rejoignez la Chorale ♪ »

« Toi là-bas, tu ressembles à quelqu’un qui aime le camping ! Le club de recherche de camping est ici ! »

« La réception de bienvenue du Club de Comédie commencera à quatorze heures ! C’est gratuit bien sûr et il y aura à boire ! »

Entre les tracts qu’on lui tendait, les mains l’invitant et la montagne de sourires éclatant, le chemin de Banri fut bloqué à plusieurs reprises. Sur le point d’être écrasé par le chaos de la foule, tous les nouveaux étaient amenés à faire la queue devant les stands des clubs, agitant leurs visages idiots comme des pigeons qu’on nourrissait. On ne pouvait pas dire que le centre du campus était très grand, mais chaque club avait apparemment commencé leur réunion de recrutement, avec des costumes, de la musique et pleins d’autres choses inimaginables.

Il y avait un groupe vêtu de vestes avec le nom de l’université dessus qui, pour une quelconque raison, portaient des maillots de bain et des bouteilles d’oxygène. Il y avait des lutteurs pro masqués en collants montant un petit ring temporaire, des filles du club de lacrosse en minijupes avec des polos, chacune d’elle aussi belle qu’un mannequin, et d’autres gars non identifiable qui vendaient des boissons rafraichissantes venant d’une énorme glacière à 50 yens unités. « Informations sur des conférences tranquilles ! Tout est imprimé ici ! » criait un gang d’étudiants aux airs de journalistes, en agitant quelque chose ressemblant à un journal avec société de recherche sur les communications de masse écrit sur leurs écharpes.

D’autres associations en uniformes étaient entassées ici, tennis, ainsi que judo, qui accompagné du club de football américain étaient stimulés par la liesse des cheerleaders. Le kendo et le tir à l’arc étaient aussi représentés. Les personnes en smokings et en robes devaient appartenir au club de danse de salon. Un groupe chaleureux portait des uniformes scolaires noirs, ils étaient cependant difficile à approcher.

Légèrement voûté et de petite carrure, au visage en quelque sorte poupin, Banri se tenait là, oisif, sans aucune inspiration. A cause de cela, seuls les clubs avec un aspect culturel l’interpelèrent. « Les trains seront à l’heure ! » … Le club de recherche ferroviaire ? « Pourquoi ne pas aller à la plage deux fois par ans ?! » … Le club de recherche sur la culture manga ? « Dimanche matin, c’est le chaos ! » … Le club de recherche des animés. Ainsi que d’autres clubs plus étrangers : "club de recherche sur les romans détectives mystérieuses uniquement", "club de recherche sur les labyrinthes", et même celui-ci dont le nom sortait un peu de l’ordinaire, "club d’exploration de structures gigantesques". Que pouvait bien faire le club "Sur le mont Takao[19], même toi tu peux secouer la main du prêtre de la montagne" ?

Il reprit ses esprits pour découvrir qu’une montagne de tracts avait été déposée dans ses mains. Emporté par la vague déchainée des étudiants de tous les niveaux mixés ensembles, Banri fut incapable de rester immobile et finit par atterrir au centre de la place. Il comptait choisir le club qu’ils allaient intégrer avec Yanagisawa, mais dans cette folie, ce vacarme, il ne savait même pas s’il pourrait en réchapper sans encombre.

« Tu es un première année ?! Nous sommes le club de cérémonie du thé, mais les hommes sont super-bienvenus aussi ! »

« Ah, merci… »

« Alors pour l’instant, bois bois ! Bois bois boiiis ! Bois boiis ! Bois bois boiiis ! Bois bois-ois-ois bois bois-ois-ois-ois bois bois boiiis ! »

« … O, oui madame ! »

En se voyant offrir un bol de thé vert de manière plutôt insistante, il gouta tout en essayant de garder son coude hors de portée de la foule afin de ne pas tout renverser. « Gah, » il avala la boisson amère et rendit le bol. « Ouais, c’est comme ça qu’il faut boire ! Bon garçon ! » Applaudissant, le club de thé bougea vers la prochaine cible de l’attaque "Bois boiis !"

Le dos de sa main vira probablement au vert lorsqu’il s’essuya la bouche. A cet instant, "piii—————", un sifflement sonore éclata ses tympans. Il leva les yeux, surpris. Depuis l’autre bout du campus, jouant de la musique latino au rythme intense et entrainant, un groupe fendait le troupeau d’étudiants au fur et à mesure qu’il traversait la foule. L’apito[20] était exaspérant. Ils avaient des cheveux désordonnés, que ce soit les leurs ou une perruque, des perles tape-à-l’œil mêlées dans des tresses et des très longues dreadlocks, hommes et femmes étaient habillés de la même façon dans des justaucorps moulants vert vif. Ils avaient tous des instruments de musique dans les mains. Chantant à tue-tête, ils ressemblaient à une véritable parade.

Incroyable— sa bouche était déjà grande ouverte.

Avec ses oreilles endolories et son corps tremblant au son du sifflet, les yeux de Banri étaient grands ouvert. L’université est vraiment cool. Il n’avait jamais imaginé que cela puisse être aussi cool que ça. A partir d’aujourd’hui, c’était sûr et certain, sa vie allait devenir vraiment cool.

Ce rythme rapide et entrainant jouait avec son corps et le faisait se sentir comme s’il perdait ses instincts. Il était convaincu. Dans cet endroit, il pourrait définitivement devenir une nouvelle personne. Les jours qu’il avait passé à poursuivre vainement la vision de son soi perdu étaient complètement terminés.

La danse des confettis. Les innombrables tracts flottant dans le vent. La rangée de tambours. Les cris rauques des hommes. Les voix des femmes avec leurs rires aigus. La glorieuse et éblouissante folie du printemps. Le rythme de la parade le secoua furieusement, palpitant avec violence. Il ferma les yeux, blackout, il ne pouvait plus rien voir.

Banri Tada.

Quand tu ouvriras, tu pourras voir ton propre toi renaitre. Tu te réveilleras dans une nouvelle chambre, rencontreras de nouveaux amis et tu t’endormiras dans cette nouvelle chambre.

Avant de rouvrir ses yeux, il essaya d’envisager de faire un vœu. Il verrait certainement un nouveau monde merveilleux avec ses nouveaux yeux. Amusement, chaleur, satisfaction, il avait pris tout cet or étincelant pour de la solitude et de l’isolement— comme s’il avait été aveuglé tout ce temps.

C’est parti pour vivre comme ça chaque jour. Tant de gens à rencontrer, tant de gens à aimer, tant de gens avec qui vivre dans ce monde. Banri célébrait la germe d’une nouvelle vie et souhaitait cela pour la saison appelée printemps.

S’il pouvait vivre comme ça, alors surement, il tomberait amoureux sous peu.

Il voulait aimer.

Une seule personne, il voulait admirer quelqu’un tellement fort que rien d’autre ne pourrait pénétrer son cœur. C’était peut-être effectivement un désir matérialiste, mais après tout, Banri était une personne ordinaire alors il ne pouvait rien y faire. Il voulait rencontrer une fille célibataire. Il voulait tout parier sur l’amour. Cela ne le dérangerait pas si elle n’était pas une compagne aussi exceptionnelle que celle de Yanassan.

Il voulait se jeter dans les courants du destin. Plonger dans les torrents de ce nouveau monde. La personne que tu devras rencontrer, celle que tu devras découvrir, agrippe là de tes propres mains, Banri Tada !

Avec ses yeux toujours clos, il poussa un grand soupir.

« 3, 2, 1… Prêt… »

C’est parti, pensa-t-il et il ouvrit les yeux.

Allons-y, à la rencontre du destin !

"Zudadamdamdakazudadamdamdakazuddamzudadamdakadammdakadakadakadam !" Le son des tambours résonnait partout autour.

« … Eh ?! Whoa ?! »

Luisant devant ses yeux— il y avait une foule de danseurs en tenues brillantes vert émeraude. Ils étaient tous ordonnés en rangs autour de Banri, et ils dansaient merveilleusement sur place. Pendant qu’il avait les yeux fermés d’extase, perdu dans sa rêverie, il n’avait pas remarqué que la seconde moitié du groupe défilant, l’éclatante équipe de samba, l’avait encerclé. Ou plutôt, parce que Banri se tenait là, il était sur le chemin de tous les danseurs et le défilé ne pouvait pas le contourner.

« Excusez-moi, excusez-moi, » tout en s’excusant, il essaya de traverser la parade, mais des mains et des pieds bougeant en rythme l’empêchait de s’échapper. Se penchant désespérément d’avant en arrière afin de ne pas gêner leur chorégraphie, les pas des danseurs s’enfonçant entre ses pieds, il n’eut d’autre choix que de se coordonner avec leur rythme pour ne pas les heurter. Il progressa peu à peu, sautillants sur ses pieds, balançant ses hanches puis, en désespoir de cause,

« Heeeeeeeeeeeeyyy ! »

Tendant les deux bras, les index pointant vers le ciel, il prit une pose impressionnante et cria de tout son cœur.

A peu près au même moment, quelqu’un tourna derrière lui, sa coiffe marqua un coup direct contre l’arrière de la tête de Banri. Crack ! Une victoire par K-O facile, il était sur le point de s’étaler maladroitement à plat ventre— ou du moins, c’était ce qu’il avait pensé pendant un instant.

Son bras fut agrippé fermement et il fut tiré vers le haut.

Comme si on le trainait avec ses jambes tordues, Banri fut tiré hors de la ligne de danseurs.

Chancelant sur quelques pas, il est tombé sur les pieds des autres élèves.

« Il n’y a pas de "Hey !" qui tienne, amateur. Qu’est-ce que tu fais ? »

« … Ah… »

Il vit cette personne.

« Le nouveau ? »

Il hocha la tête.

Le spectacle était carrément surréaliste.

La femme qui avait aidé Banri portait un kimono[21], blanc avec des motifs de fleurs., un obi[22] écarlate brillant, ainsi qu’un amigasa[23]. Avec le chapeau attaché sous le menton grâce à un cordon rouge, son visage était presque à moitié caché. Parmi ce qu’il pouvait voir, ses yeux furent attirés par ses lèvres pulpeuses teintées d’un rouge intense. Comme une scène d’un drama démodé, Banri, dans le rôle d’un voyageur effondré et presque mort dans la rue, avait été secouru par une déesse qui semblait venir tout droit de l’époque d’Edo[24].

« Tu viens de quel département ? »

« L... le département de droit. Je suis Banri Tada. »

« Je suis Linda. »

Linda.

La réalité de Banri était encore une fois chamboulée. Il avait pensé être secouru de la samba par l’époque d’Edo, mais cette personne se révélait être une étrangère.

« Mon nom est Hayashida, c’est pourquoi Linda[25]. Je suis en deuxième année. On se voit plus tard. »

—Ah, japonaise.

« Euuuh… ! »

Une fois debout, il interpela involontairement Linda. Lorsqu’elle se retourna, une petite parcelle de son visage blanc sous son chapeau fut visible pendant un bref moment. Contrairement à ce qu’il s’imaginait après ses paroles brusques, elle semblait être une bonne personne.

« … Hum, ton rouge à lèvre… Il est vraiment charmant… »

Il parla avant de s’en rendre compte. Il venait de lâcher quelque chose d’étrange. Il l’avait dit involontairement. C’était ce qui lui était venu à l’esprit avec l’inspiration du moment.

« Dégoûtant ! » Elle allait certainement le quitter avec ce simple mot, mais Linda lui adressa un sourire éclatant depuis le dessous de son couvre-chef. Puis, balançant sa taille fine et souple en suivant le rythme endiablé, elle laissa Banri et se tourna vers les rangs richement colorés de la parade.

Alors que sa silhouette était sur le point de disparaitre dans la foule, elle se retourna au dernier moment. Il put apercevoir la manche de son kimono se balancer tandis qu’elle lui envoyait un baiser.

Celui-ci frappa Banri par surprise et ce dernier frappa inconsciemment une main contre son cœur touché.

En une seule journée, il avait reçu par deux fois un baiser du sexe opposé… L’un des deux ne lui était pas destiné, mais…

« … Wow… ! »

Il avait totalement oublié son avenir solitaire pour l’instant, le printemps commençait tout juste et avait déjà l’air excitant.



Notes de traduction[edit]

  1. Hikari : Train à grande vitesse japonais.
  2. Tôdai : abréviation de Tokyo Daigaku (Université de Tokyo). Tôdai est considéré comme la plus prestigieuse université du Japon.
  3. Yaesu : quartier de Tokyo adjacent au côté Est de la gare de Tokyo.
  4. 7-Eleven : enseigne de commerces de proximité implantée essentiellement en Asie et en Amérique du Nord.
  5. FamilyMart : enseigne de supérettes au Japon
  6. Garigari-Kun : glace à l’eau saveur soda de couleur bleue très populaire au Japon.
  7. Banri explique son nom. Tada s’écrit avec 多 = Ta (beaucoup) et 田 = Ta (champs de riz, le t se change en d dans cette combinaison). Banri est composé de 万 = Man (dix mille ou myriades) et de 里 = Ri (ancienne unité d’aire ou village)
  8. Mitsuo s’écrit avec 光 = Hikari (lumière) et 央 = Hiroshi (centre), ces deux caractères associés se prononcent "Mitsuo". Yanagisawa est la combinaison de 柳 = Yanagi (saule) et 澤 = Sawa (marais).
  9. Banri rajoute le suffixe -san après Yana, ce qui donne "Yana-san", cependant, l’auteur à choisit de l’orthographier ヤナっさん(Yana-ssan) et non ヤナさん(Yana-san).
  10. Shizuoka
  11. Ecole fédérée
  12. Se réfère au système "escalateur" ou "ascenseur" qui permet aux diplômés d’un lycée d’intégrer l’université affiliée sans examen d’entrée
  13. Bubuzuke
  14. L’esprit de Banri dérive sur la fin. Il pense soudainement avec des expressions d’un jeu vidéo, Don Doko Don. La première phrase est en réalité un effet sonore qui se réfère au nom du jeu, le second se réfère à une sorte de saut très haut.
  15. Bulle spéculative japonaise
  16. ハムの人 (Homme Jambon) est une phrase d’accroche créée par Bessho Tetsuya, l’acteur d’une publicité pour Marudai Shokuhin, une entreprise vendant principalement du jambon et des saucisses. Le spot montre Tetsuya tenant une énorme boite de jambon, d’où la ressemblance avec Yanagisawa et l’énorme bouquet de roses.
  17. L’auteur utilise おばちゃん軍団 (obachan gundan). Obachan signifie tante, ce terme, au Japon, est aussi utilisé pour référer aux femmes adultes (sans être péjoratif pour l’âge). Gundan désigne une petite unité militaire (brigade, patrouille), voire une armée.
  18. La législation japonaise interdit la vente de tabac aux moins de vingt ans.
  19. Mont Takao
  20. Apito : sifflet à trois tons utilisé dans le genre musical du samba.
  21. Kimono : vêtement traditionnel japonais.
  22. Obi : ceinture servant à fermer le kimono.
  23. Amigasa : couvre-chef en forme de croissant de lune.
  24. Epoque d’Edo : période de l’histoire du Japon s’étalant de 1603 à 1868.
  25. Le kanji 林 (forêt) dans 林田 (forêt rizière) peut être lu de deux façons différents : Hayashi (kun’yomi) ou Rin (on’yomi). Son nom peut donc se lire soit Hayashida, soit Rinda (Linda) qui est pour les japonais, un nom étranger.


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