Kokoro Connect : Volume 1 Chapitre 9

From Baka-Tsuki
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Chapitre 9 : Un aveu et l'arrivée de la mort[edit]

— Au fait, qu'est-ce qui se passe entre toi et Iori ?!

En arrivant à l'école ce matin-là, Inaba s'était complètement remise après le weekend. Elle semblait même en meilleure santé et forme qu'avant, au point de donner la migraine à Taichi.

— R-Rien de spécial, vraiment.

Même après les révélations d'Inaba, il n'y avait pas eu beaucoup de changements au Club de Recherche Culturelle.

Et puis, récemment, tout le monde avait commencé à développer une forme d'immunité à l'échange de personnalité. Il n'y avait pas de problème particulier même après un échange. Bien qu'ils étaient toujours nerveux quand ça arrivait et qu'ils savaient que des mines pouvaient exploser à tout moment, ils avaient toujours une certaine forme de flegme.

Était-ce ce qu'attendait « Pois de cœur » ? Le cas échéant, cela voulait-il dire que ce phénomène allait encore durer un certain temps. Si non, qu'allait-il se passer ?

Nagase était la seule personne pour laquelle Taichi s'inquiétait.

— Après m'avoir raccompagnée chez moi l'autre jour, vous avez beaucoup discuté, pas vrai ? Alors je pensais qu'il y avait peut-être eu des changements depuis, et j'ai attendu... Au final, il s'est rien passé ! Merde. Y'a que tes désirs sexuels qui ont passé le test ?

— Inaba, si tu pouvais éviter de parler de désirs sexuels de bon matin, merci. Et j'ai l'impression que quand tu parles de ce sujet, tu risques de dévoiler « ce secret » sans le vouloir. Alors, merci de parler d'autre chose !

Mais elle ne l'entendait pas de cette oreille.

— Tu devrais savoir que Nagase est en danger extrême.

— Hmm... Oui, je sais... En fait, comment tu sais ça ?

— Parce que Iori et moi, on a nos petits secrets. Le moment venu, je t'en parlerai peut-être. Mais on s'en fout pour de ça. Tss, en fait, j'ai pas envie de le faire, mais j'ai plus le choix maintenant... Je vais devoir me servir de cette thérapie de choc !

Une thérapie de choc que même Inaba était réticente à l'utiliser — elle devait être vraiment brutale... Taichi ne voulait même pas y penser.

□■□■□

Pendant la pause déjeuner dans un endroit isolé de l'école, il y avait un certain nombre de silhouette se faufilant derrière le Bâtiment Est. Du fait de sa position géographique stratégique, c'était (soi-disant) devenu le lieu prisé des déclarations d'amour.

Tout d'abord, se cachant derrière les buissons, il y avait dans l'ordre Taichi, Inaba et Nagase. Devant eux, se trouvaient Yui Kiriyama et Yoshifumi Aoki qui s'étaient donné rendez-vous.

— Inaba... D'où est-ce que t'as obtenu cette info...? demanda Taichi en se baissant à Inaba qui était à ses côtés dans la même position.

— J'ai découvert par hasard quand j'ai échangé avec Yui récemment... Ah, et c'était pas volontaire ! C'est parce qu'Aoki a envoyé un message à ce moment-là. J'ai pas pu m'empêcher d'y jeter un œil.

— N'empêche, tu devrais pas te servir de ce que tu sais pour ça... genre, tu devrais faire semblant de pas l'avoir vu...

— Chaque information en ma possession est comme un trésor ! Bien sûr, je pourrais pas le faire quand c'est du bon sens, et je le ferais pas. Mais ici ça n’a rien à voir... Je suppose.

— Si ça a aucun rapport avec le bon sens, alors qu'est-ce qui en a ? Et puis, qu'est-ce que tu supposes ?

— Chut. Ils ont commencé à parler !

Nagase les interrompt dans leur débat.

Elle et Taichi avaient quasiment été traînés ici par Inaba, mais quand Kiriyama et Aoki arrivèrent, Nagase retrouva sa bonne humeur et observa passionnément ce qui allait se passer.

— Qu'est-ce qui se passe... et pourquoi tu m'as fait venir ici ? On est dans la même classe et dans le même club. On aurait pu discuter n'importe où, non ? Je veux manger.

Kiriyama était mécontente, mais sa voix était un peu nerveuse. Bien qu'il y avait une bonne distance entre Taichi et les autres, du fait du silence environnant, ils pouvaient distinctement les entendre.

— J'ai quelque chose de sérieux à te dire.

Le ton d'Aoki était très sérieux, bien loin de sa voix habituelle.

— Q-Qu'est-ce qu'il y a...?

Ne sachant pas quoi faire, Kiriyama ne tenait pas en place et parlait comme si elle était prête à s'enfuir à tout instant.

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Aoki semblait avoir remarqué son comportement et s'exprimait de façon claire et déterminée.

— Peut-être que tu penses que c'est un peu tard, mais il me faut me répéter — je t'aime, Yui Kiriyama-san. Si ça te va, sors avec moi.

Cette déclaration d'amour aurait pu être parfaite et directe.

— Ohoh... Bien qu'Aoki passe son temps à dire qu'il « l'aime », le faire dans les règles de l'art demande toujours une bonne dose de cran...! Magnifique...!

Même Inaba ne put s'empêcher d'être impressionnée. À ses côtés, Taichi et Nagase restaient sans voix.

C'était déjà tellement éprouvant à regarder de loin... Pour Kiriyama, à qui était adressée cette déclaration d'amour, cela devait être encore pire que ce qu’ils ne pourraient jamais imaginer.

— Wuwu, une seconde... Qu'est-ce que tu racontes... Awawa...

En entendant ces sons qui ne ressemblaient même plus à des mots, le visage de Kiriyama devint instantanément rouge écarlate.

— Wu... Raaaah ! Mais quelle mouche t'a piqué ?

— Comment ça ? Je t'ai dit que je t'aime, c'est une déclaration d'amour...

— Mais tu dis déjà tout le temps que tu m'aimes, alors c'est rien de nouveau. Et puis, à chaque fois, je me rappelle t'avoir rejeté !

— Mais ça n'a rien changé à mes sentiments. Et puis, je pense que t'as pas changé de...

— Non ! N'importe quoi... ce... c'est pas le moment...

La voix de Kiriyama s'éteignit lentement et baissa la tête.

— Je sais bien, mais au moins, on peut développer notre relation pas à pas, non ?

Aoki ne savait pas si c'était stupide ou non, si c'était insensé ou génial. Il n'avait rien prévu ou peut-être qu'il sentait juste les choses.

— D-Déjà, je me disais, pourquoi moi ? Comparée à moi, Iori est bien plus mignonne. Elle est plus fine et elle est belle et optimiste. Inaba aussi est jolie. Avec son corps de top model et en plus, elle est intelligente... bien meilleure que moi... qui suis petite et plate comme une planche à pain, et je suis bête... Même Taichi m'a dit une fois que j'aurais « beaucoup de potentiel sur le marché des lolitas... »

Inaba et Nagase se tournèrent rapidement vers Taichi. Elles lui lancèrent des regards aussi perçants que des flèches, comme pour le critiquer.

— Hé... Ça veut pas dire que je suis pédophile. C'est juste un avis global...

Les deux continuèrent tout de même à le regarder avec des yeux suspicieux sans rien dire. Taichi sentait qu'il n'arriverait pas à y couper pour l'instant.

— Non, non, t'as beaucoup de qualités ! Par exemple, t'es mignonne, optimiste, pure et un peu immature... Et plein d'autres choses encore, mais peu importe, parce que c'est mon intuition qui me le dit. Au moment où on s'est rencontrés, je sentais que je tomberai amoureux de toi, Yui, et ça a été le cas. Et je t'aime toujours autant.

— Hmm... Ah... Hein ?

En face d'Aoki qui était devenu très sérieux, Kiriyama était troublée et ne savait plus quoi faire.

Tout en essayant de se calmer, elle inspira profondément à deux reprises avec tout son corps.

— Ah... alors pourquoi t'as attendu tout ce temps pour me le dire ?

— Yui, et... qu'est-ce que tu ressens pour Taichi ?

— Je... Wuhu...

Inaba couvrit rapidement la bouche de Taichi qui était sur le point de crier.

— Eh ben, c’est sorti de nulle part... Ah, excuse-moi.

— Pouah ! T-T'es anormalement douée pour faire taire les gens ! J'ai failli m'étouffer ! cria Taichi aussi fort que possible, tout en gardant sa voix basse, pour protester.

— Chut ! Ils vont nous voir !

Désormais, la personne la plus silencieuse était peut-être Nagase.

— Ce que je ressens pour lui ? Euh... comment dire...?

— Tu vas pas me dire que tu sais pas... t'es pas Taichi quand même.

— ... Je sais pas pourquoi... je me sens légèrement insulté là, marmonna Taichi pour se plaindre.

Kiriyama faisait tournoyer ses mèches avec ses doigts.

Après un long moment à jouer avec ses cheveux châtains, elle sembla avoir pris sa décision et relâcha lentement ses bras.

Puis, elle se redressa et dit :

— J'aime Taichi !

« Hm... Wemu... » « Hmmm... Mwu... »

Inaba avait recouvert les bouches des deux à côté d'elle alors qu'ils étaient sur le point de crier.

— ... comme un ami.

— Hein ?

— Comment ça ? Qu'est-ce que tu croyais ?

— Eh ben, elle m'a vraiment bien eue... Elle a volontairement maintenu le suspense, se plaignit capricieusement Inaba alors que c'était elle qui violait la vie privée des autres.

— A-Au fait, et qu'est-ce que tu penses de moi ? Juste pour savoir...

— En tant qu'ami, je te déteste.

— Sérieusement ?

— ... Bien sûr que non ! Il y a plein de choses qui me plaisent pas, mais je vais pas détester quelqu'un qui est prêt à me dire qu'il m'aime.

Kiriyama semblait être parvenue à prendre le contrôle de la conversation et était devenue plus loquace.

— Enfin... si je devais choisir entre aimer et détester, je choisirais aimer... mais en tant qu'ami ! continua-t-elle tout en se servant de tout son corps pour insister sur la dernière partie. C'est... tout ce que je peux dire pour l'instant... Je suis désolée. Je peux pas sortir avec toi pour le moment. En fait, je pourrais sortir avec personne !

Malgré la distance, Taichi pouvait tout de même ressentir la sincérité de Kiriyama.

— Ah bon ? Je comprends maintenant... Merci de m'avoir donné une réponse claire... J'avais vraiment besoin d'une confirmation directe ! Et puis, je me sens toujours bien maintenant que je sais que rien n'est perdu !

— O-Ouais... mais, parmi mes amis garçons, Taichi est bien mieux classé que toi.

— Quoi ? Alors c'est vraiment mon plus grand rival... Yui, t'as vraiment beaucoup changé. Avant, t'aurais jamais pu dire ça...

— Parce que je peux pas faire du surplace éternellement. Il faut que j'aille de l'avant... Ok, fin de la discussion. Retournons manger en classe !

Kiriyama se retourna et se dirigea vers le bâtiment principal. Elle marchait à grands pas fermes et assurés. Enfin, du fait de sa petite taille, ce n'était pas de si grands pas que ça.

— Hein ? Ça veut dire que tu m'invites à déjeuner avec toi ?

— Non ! Mes amies m'attendent là !

Les voix des deux s'éteignirent petit à petit jusqu'à devenir inaudibles.

Des trois cachottiers, la première personne à se lever fut Inaba.

— ... Grâce à cet échange, on a eu la chance de pouvoir assister à cette scène. Mais je savais que ça finirait comme ça, c'était ce que j'avais prévu.

(Effectivement.)

Taichi se leva à son tour.

— Comment dire... Qu'est-ce que...

Nagase était toujours immobile, assise par terre. Elle semblait être en train de cogiter sur quelque chose.

— On y va, Nagase.

Taichi tendit sa main vers elle. Surprise, elle cligna des yeux avant de regarder sa main.

Après un moment, elle esquissa un léger sourire. Dans le même temps, Taichi eut l'impression que « quelque chose d'important » était sur le point de fondre et que ce « quelque chose » s'était mis à bouillonner.

— Non merci, ça ira.

Après avoir dit ça, Nagase se leva par elle-même sans se servir de la main tendue par Taichi.

□■□■□

Le lendemain après les cours, Taichi se retrouva seul au Club de Recherche Culturelle.

La réunion de classe d'Aoki et Kiriyama, la 2nde A, semblait avoir été prolongée. De l'autre côté, Nagase et Inaba avaient été convoquées en tant que représentantes du Club de Recherche Culturelle.

Bien qu'il était en train de réviser sur la table, il avait la tête ailleurs et il le savait. Qui plus est, il était conscient que...

À ce moment-là, quelqu'un ouvrit la porte et entra.

C'était Nagase. Elle jeta un œil autour d'elle.

— Y'a que toi ?

— Oh, oui...

Elle semblait différente de d'habitude.

— Mmm, après tout, la réunion de la 2nde A est pas encore finie, dit Nagase avant de s'assoir d'un air grave sur le canapé, le dos bien droit.

— ... C'est toi, Inaba ?

Le visage de « Nagase » tressaillit et ses sourcils se levèrent.

— Ouais...

— Alors, où est passé ton corps ? T'as échangé avec Nagase ?

— Na... Iori a échangé avec moi quand j'avais un truc à faire. Mais c'était un truc qu'elle pouvait faire aussi, alors ça devrait pas poser problème.

— Merci. Même si on est dans ce genre de club, y'a quand même pas mal de responsabilités derrière.

— Pas vraiment. Au fait...

« Au fait... » répéta-t-elle à nouveau. Elle hésita pendant un long moment.

— Qu'est-ce que t'as pensé de Yui et Aoki pendant le déjeuner ?

— Hein... Pourquoi tu me demandes ça maintenant ?

— Parce que. Et puis, tu vas pas me dire que ça t'a rien fait.

— Mmm... C'est vrai. Mais... peut-être du fait que j'ai jamais eu l'occasion de faire comme eux, j'ai l'impression qu'ils vivent dans un autre monde. Pour être franc, j'en ai rien pensé de spécial, mais c'était quand même génial. Par contre, je sais pas si c'était ce que je pensais d'eux ou d'autre chose.

Il avait eu le sentiment d'être choqué, mais ce sentiment était si vif qu'il n'était pas parvenu à bien le comprendre.

« Nagase » ne réagit pas beaucoup à la réponse de Taichi et se contenta de murmurer un « Oh... »

— Ou plutôt, c'était quoi le but de nous faire assister à cette scène ? demanda Taichi.

« Nagase » écarquilla les yeux et semblait vouloir dire qu'elle n'en revenait pas qu'il pose cette question.

— Taichi... tu ignores vraiment pourquoi j'ai fait ça ?

— Hein...

En entendant ça, Taichi se remémora le fil des évènements.

(Est-ce que je connais vraiment pas la réponse ?)

(Est-ce que je sais mais que je fais semblant de pas le savoir ?)

(... Dans ce cas, pourquoi ?)

— Arg... laisse tomber. Allons droit au but...

« Allons droit au but », répéta « Nagase » avant d'hésiter pendant un temps.

— Alors... qu'est-ce que tu ressens pour Iori ?

Cette question transperça littéralement le cœur de Taichi.

— ... Inaba, t'as pas changé — tes mots font toujours mouche... Et puis, comme t'es dans le corps de « Nagase », ça me perturbe encore plus.

Taichi ne savait pas si ce qu'il disait était juste, mais il tenta malgré tout de garder un ton détendu.

Parce qu'il pensait que c'était le seul moyen pour que ses blessures disparaissent.

— C'est le moment parfait, non ?

« Nagase » esquissa un sourire volontaire plus rigide qu'habituellement.

— Comment ça... Enfin, je...

(Pourquoi je devrais répondre à cette question ?)

Cette pensée avait soudain traversé son esprit.

Mais quand il le remarqua, il avait déjà commencé à parler.

— Je pense qu'on est sur la bonne voie. J'ai pas envie de détruire notre relation... mais... malgré tout...

À cet instant précis...

La porte du local s'ouvrit à nouveau. « Inaba » entra et dit :

— Hé, Iori. Au sujet de ce que tu m'as dit tout à l'heure, le prof était pas là, du coup... Hein, qu'est-ce qui se passe ?

Puis, « Nagase », qui prétendait être Inaba et qui était assise sur le canapé, marmonna :

— Inaban, t'es revenue trop tôt...

« Nagase » regarda le visage de Taichi d'un air soudainement choqué.

(Qu'est-ce que...)

Taichi semblait désorienté...

Il pensait que la personnalité à l'intérieur de la personne assise sur le canapé avec l'apparence de « Nagase » était celle d'Inaba, comme elle le prétendait. Et la personne qui venait d'entrer avec l'apparence « d'Inaba » devait être Nagase — mais celle-ci ne semblait pas faire l'objet d'un échange de personnalité et semblait bien être Inaba, sans compter qu'elle avait appelé la personne à l'apparence de « Nagase » Iori. Enfin, cette même personne avait réagi en l'appelant « Inaban », un nom que seule Nagase utilisait pour désigner Inaba...

Autrement dit...

— ... Je t'ai bien eu !

« Nagase », qui était assise sur le canapé, n'avait en réalité pas échangé sa personnalité avec Inaba et était la vraie Iori Nagase. Elle tenta de s'enfuir, mais Inaba la retint rapidement par la main.

— Qu'est-ce qui te prend, Iori ?

— Inaban ! Lâche-moi !

— Comment je pourrais alors que tu pleures... Hé, ah !

Nagase s'extirpa de l'emprise d'Inaba et s'enfuit en courant du local.

Inaba quitta à son tour la pièce en trombe pour tenter de la rattraper, mais elle revint une dizaine de secondes plus tard.

— Merde ! Quand elle court sérieusement, je fais pas le poids...! Faut dire qu'elle est particulièrement sportive. Au fait, Taichi...! Qu'est-ce que t'as fait ?!

Inaba s'avança âprement vers Taichi avant de le saisir par le col.

— Ah... J'en sais rien...! J'ai pas tout compris, mais Nagase se faisait passer pour toi... Et elle...

— Elle se faisait passer pour moi... Comment ça ?

— Comme je l'ai dit, elle m'a fait croire qu'elle avait échangé sa personnalité avec toi et je suis tombé dans le panneau ! Après ça, t'es arrivée... et voilà.

Taichi ne comprenait pas non plus — non, au contraire.

(Je sais bien pourquoi.)

(J'ai dit à Nagase que je pourrais le faire quoi qu'il arrive, non ?)

(Et je lui ai aussi demandé de croire en moi.)

(Je lui ai dit que je serais toujours en mesure de déterminer qu'elle était elle, quelle que soit la situation.)

(Est-ce qu'elle me testait ?)

(Non, c'est pas ça.)

(Un test ?)

(Mais qu'est-ce que je raconte, moi ?)

(Quand est-ce que je vais arrêter de penser que le monde tourne autour de moi ?)

— Nagase, elle... voulait essayer de croire, hein !

Taichi s'indignait de son propre échec à répondre aux attentes de Nagase.

Il avait peur que leur relation ne vole en éclat, alors il n'avait pas osé s'aventurer plus loin, et s'était donc enfuit sans même réfléchir. Nagase ne voulait pas le voir dans cet état, ce qui l'avait poussée à faire le premier pas de manière détournée.

Inaba détendit sa main qui agrippait le col de Taichi et la relâcha contre son corps.

— On dirait que tu sais très bien de quoi il en retourne.

— Ouais... J'ai bien compris que j'étais le plus gros débile de tous les temps.

— Oh... je peux te frapper alors ?

— Quel rapport... Mais, non me- bwah !

Avant qu'il puisse finir sa phrase, Inaba l'avait fermement giflé à la joue gauche.

— Aïeuh... Q-Que... Non, merci. Ça m'a requinqué.

(Ne pas avoir peur et ne pas fuir. Faire face ! Aller de l'avant ! Résister de toutes ses forces !)

(Cette fois-ci, c'est à mon tour d'avancer — me servir de ma grande sincérité pour répondre à Nagase qui était toujours prête à croire en moi.)

(Est-ce que les autres se moqueront de quelqu'un qui a déjà échoué ?)

(Mais même si tel est le cas, ça m'est égal. Parce que rien n'empêche d'apprendre de ses erreurs pour progresser.)

— ... Votre stupidité ne cessera de me surprendre, vraiment ! J'en peux plus, déclara Inaba tout en s'allongeant sur le canapé. Bon, ouste, du balai maintenant. Après tout, c'est pas moi qu'elle attend.

Inaba ne regarda pas en direction de Taichi et agita sa main comme pour chasser un chien.

— ... Compris.

(Mon échec a fait du mal à Nagase, alors il faut que j'admette mon erreur et que je lui exprime clairement mes pensées en face.)

Taichi se prépara mentalement avant de quitter la pièce.

Enfin, pendant un moment, il avait regardé en direction d'Inaba.

Mais celle-ci semblait fermement décidée à ne pas le regarder.

Après avoir dévalé les escaliers, Taichi réalisa un énorme problème.

— Où est... passée Nagase...?

(Ok, on va commencer par le bâtiment principal.)

À ce moment-là, une personne se tint devant lui avec un air hargneux.

Ses cheveux étaient attachés derrière elle, ses lunettes brillaient de mille feux, et son corps tout entier émanait d'un sublime style.

C'était la déléguée de la 2nde C, Maiko Fujishima.

Elle s'avança rapidement pour barrer la route de Taichi.

(Ce n'est vraiment pas le moment, Fujishima...)

— Yaegashi-kun !

Mais elle s'adressait clairement à lui, alors il ne pouvait pas se contenter de partir.

— Haa... Haa... Qu'est-ce qui se passe... Fujishima...? J-Je suis pressé là...

— C'est toi qui as fait pleurer Nagase-san ?

Elle avait vu en plein dans le mille.

— Ah, ouais...

Elle fit un pas en direction de Taichi.

— J'ignore la raison exacte, mais quand un garçon fait pleurer une faible fille, il mérite une claque. Est-ce que tu es prêt ?

Fujishima avait expliqué ces règles à Taichi comme si elles étaient universelles, mais il n'en avait jamais entendu parler.

— Que... Non, je suis prêt à encaisser.

(Ce genre de punition est logique, et si ça peut faire en sorte qu'elle me lâche...)

— Oh ? Mais ta joue gauche est déjà rouge et gonflée, on dirait. On t'a déjà frappé de ce côté-là.

— O-Ouais... C'était juste- Wah !

Il fut à nouveau giflé à la joue gauche.

— Muu... Elle était déjà rouge et gonflée comme t'as dit. T'aurais dû gifler la droite, non ? Et puis, tu m'as frappé tellement fort que je crois avoir découvert une nouvelle forme de douleur !

Taichi avait découvert à travers cette mésaventure que Maiko Fujishima était une grande sadique.

— Au fait, est-ce que les couples devraient être exclusivement composés d'un garçon et d'une fille ? Qu'est-ce que t'en penses, Yaegashi-kun ?

Il ne comprenait pas le sens de sa question.

— Bah en fait, Fujishima, j'ai pas le temps de rester là à débattre avec toi...

Taichi tenta de la contourner par la droite mais celle-ci fit un pas de côté pour l'en empêcher.

— Tu penses pas qu'abandonner ces idées préconçues et entrer dans un monde où tu peux aimer ceux que tu aimes serait plus idéal ?

Cette fois-ci, Taichi essaya de la contourner par la gauche... mais elle le bloqua à nouveau tout en gardant son visage impassible.

— Mais c’est impossible si c’est à sens unique ! Pour tout te dire, pour pouvoir aimer quelqu'un, encore faut-il être déjà aimé — c'est important. J'espère que tu t'en rappelleras.

Fujishima sortit une clé qui était attachée à son porte-clés de couleur rouge. À en juger par la forme, cela devait être une clé d'antivol pour vélo.

— Tu viens en cours en tram, pas vrai ? Alors je te prête ça.

— Hein ?

— On dirait que la personne dont a le plus besoin Nagase-san, c'est toi, et non moi. Alors dépêche-toi de la poursuivre ! Elle est partie par la gauche après le portail d'entrée.

Taichi était abasourdi par son inattendue suggestion et regarda la clé dans sa main.

— Fujishima... t'es sûre de toi ?

— T'en fais pas. Vu que c'est crucial pour Nagase-san, c'est logique, non ?

» Y a-t-il une chose plus importante que de mettre un terme à ses larmes de tristesse ? continua Fujishima en se dirigeant vers le parking à vélo comme pour sous-entendre intelligemment « suis-moi ».

(Il devrait y avoir une limite à sa perspicacité.)

(J'ai failli avoir le coup de foudre.)

— Ah... Une dernière chose, vu que tu sembles t'être mépris à mon compte. Je... j'aime les garçons aussi.

Maiko Fujishima affirmait qu'elle aimait les garçons et les filles.

Taichi monta sur le vélo que Fujishima utilisait pour venir en cours et traversa en trombe la ville. Il avait tenté de téléphoner à Nagase à plusieurs reprises le long de la route, mais en vain. Elle semblait avoir éteint son portable, ou alors celui-ci n'avait plus de batterie.

Une heure s'écoula en un rien de temps.

Taichi n'aurait jamais cru qu'il était aussi difficile de retrouver quelqu'un dans cette ville.

— En plus, elle était à pied, alors elle devrait pas être si loin... Ses affaires sont toujours au club, alors peu de chance qu'elle soit rentrée chez elle. Peut-être que je devrais d'abord retourner au lycée pour l'instant...

Juste au moment où il s'était mis à penser ça alors qu'il traversait le pont au-dessus du fleuve qui scindait la ville en deux...

Le crépuscule triste et mélancolique semblait se dessiner autour de la silhouette d'une personne.

Cette personne avait une très forte présence que l'on pouvait sentir sous ce magnifique paysage.

Ses petits bras et jambes. Sa chevelure attachée flottant dans le vent.

Une personne qui aurait pu être l'héroïne d'un film — Iori Nagase.

La brise légèrement forte souffla et Nagase se retourna un peu pour s'en protéger. Comme si elle avait aperçu Taichi d'un coin de l'œil, elle écarquilla ses yeux.

— Tai-Taichi — Wah !

— Attention !

Nagase avait perdu l'équilibre alors qu'elle était assise sur la rambarde — mais elle se rattrapa au dernier moment.

Taichi avait eu des sueurs froides. Elle n'en serait pas morte, mais le pont était assez haut et il y avait un mur en béton sur les berges du fleuve, alors cela n'aurait pas été simple de remonter.

— J-J'ai vraiment eu peur... Au fait, qu'est-ce que tu fais là...

Nagase descendit de la rambarde et se tint debout devant Taichi.

Il y avait toujours des traces de larmes sous ses yeux.

Le cœur de Taichi commença à se serrer.

Il gara son vélo sur le côté de la route et s'inclina crânement devant elle en guise d'excuse.

— Je suis désolé de pas m'en être rendu compte alors que je t'avais promis... J'ai joué au héros, mais j'ai échoué sur toute la ligne...

— Qu'est-ce qu'on appelle humain... Qu'est-ce qu'on appelle « moi » ? Après avoir échangé de personnalité, même en se comportant comme d'habitude, les autres ne se rendent compte de rien. C'est ce que je pensais, mais j'ai également découvert que si en plus, on essaye d'imiter son comportement, on peut devenir quelqu'un d'autre... Ah, mais je t'en veux pas ! T'as rien fait de mal ! C'était entièrement de ma faute... Je suis sûre que n'importe qui serait tombé dans le panneau dans ces conditions vu qu'on a tous une relation basée sur la confiance... Alors je suis vraiment désolée. Je le referai plus... Sincèrement, sincèrement... désolée, se repentit Nagase d'un air abattu. Mais c'était ta façon d'essayer de faire avancer les choses, pas vrai ? Alors, merci. Et maintenant, c'est à mon tour.

(Jusqu'à maintenant, j'avais pas essayé « d'y » faire face.)

(Jusqu'ici, je « n'y » avais pas pensé.)

(Alors « ça » ne pouvait pas avancer.)

(De quoi est-ce que j'avais peur ? Qu'est-ce qui me perturbait ? Est-ce parce que j'étais dans cette situation pour la première fois ? Est-ce que c'était vraiment pour ça ?)

(Mais ça serait le cas pour tout le monde ? Avoir peur de l'inconnu. Ne pas savoir comment réagir à cause de ça.)

(Si c'était quelque chose de joyeux, alors plus ça l'est, et plus c'est difficile et effrayant à gérer.)

(Mais si on reste sur notre réserve et qu'on ne fait rien, on pourra jamais l'obtenir.)

(Même si on pourrait bien échouer à aller de l'avant, la vérité s'y cache toujours.)

(Peut-être que ça risque de se terminer en tragédie et qu'on pourrait perdre « cette chose » qu'on désire.)

(Peut-être qu'on va souffrir.)

(Mais, même si ça nous demande de nous exposer à bien des risques, « ça » ouvre la porte à d'infinies possibilités.)

(Comment est-ce que je m'en suis rendu compte ?)

(L'accepter, y faire face, y réfléchir et aller de l'avant !)

— Ces derniers temps... il s'est passé bien des choses... beaucoup de choses.

Ces choses avec Aoki, Kiriyama, Inaba et enfin Nagase... Taichi se remémora tout ça. Quand il les accepta, leur fit face, et y réfléchit, il avait découvert que ce qu'il en avait retiré était devenu une force pour aller de l'avant.

— Et puis, j'ai compris et beaucoup appris... Ensuite, j'ai remarqué... pour tout te dire, on dirait que...

Les yeux en forme de joyaux reflétaient distinctement Taichi.

— On dirait que je suis quelqu'un d'insipide et d'impassible !

— Je sais.

... Taichi pensait à la base que cela serait une immense révélation.

— Hein... Du coup... je t’envie tellement.

— Moi ? Tu... m’envies ?

— Exactement. J'ai toujours pensé que si je pouvais être comme toi et avoir toute cette panoplie d'expressions comme être heureux, en colère, content, triste et des fois joyeux, des fois maussade, des fois sérieux et des fois drôle... La liste est interminable... mais je pense que ça serait génial d'être comme toi.

En effet, Taichi enviait la spectaculaire collection d'expressions et la vie joviale de Nagase.

— C-C'est... juste parce que... j'ai joué tellement de rôles... C'est pas quelque chose d'enviable. Je suis quelqu'un... qui a perdu son véritable « moi »... qui a plein de défauts.

Le côté sombre de Nagase se montrait.

Mais, pour Taichi, cela prouvait l'existence d'une réponse.

« Est-ce que c'est vraiment important ? » s'interrogea Taichi. Peut-être que sa prévision était vraie, ou peut-être pas — il y avait un risque. S'il échouait à nouveau, la possibilité de revenir à leur relation initiale était proche du néant.

Mais, s'il y avait une infime probabilité de pouvoir sauver Nagase, il était prêt à prendre le risque.

— C'est vraiment ce que tu penses ? demanda-t-il.

Au début, Nagase resta bouche bée, et semblait ne pas comprendre où il voulait en venir. Mais son visage devint petit à petit froid et dur.

— Comment ça ? Qu'est-ce que tu veux dire ? T'as mal compris un truc ? dit Nagase avec une voix pleine de reproches et un visage impassible qui fit reculer un peu Taichi.

Malgré tout, même si c'était ça...

— Tu plaisantes, tu joues l'idiote, tu te sens gênée, tu racontes des blagues salaces, tu fais des choses sans réfléchir ou tu pousses les autres à le faire, tu fais tout ce qui te passe par la tête, t'es quelqu'un qui propose de bonnes idées et qui est sensible aux détails, des fois, tu penses pas assez et d'autres fois, tu réfléchis trop, t'es des fois optimiste, des fois pessimiste, et quand tu parles d'un sujet sérieux, tu te décourages et tu fais semblant d'être idiote. Des fois, tu parles sérieusement de sujets débiles, tu montres parfois ton côté sombre et d'autres fois ton bon côté, il t'arrive d'être froide, il t'arrive de faire des fois la gamine et d'autres d’être mature, tu es parfois gentille, t'aimes faire des farces et quand on a l'impression que tu t'en fiches, c'est en fait tout le contraire...

— ... Hein ? Qu'est-ce que tu racontes ?

— Je décris la personne nommée « Iori Nagase ».

Le corps de Nagase se crispa, puis elle ferma fermement sa bouche comme si elle serrait les dents.

— Et donc ? Qui est le vrai « moi »...? Non, aucune d'entre elle...

— Chacune d'entre elles.

— ... Comment... ça...

— Toutes... chacune d'entre elles... forme Iori Nagase...

Peut-être que c'était vraiment le cas.

— Non, attends... Comment est-ce que ça pourrait être possible d'avoir autant de facettes différentes...?

— C'est normal, non ? On en a tous plusieurs à la base. C'est juste un problème de nombre. Moi, j'en ai pas beaucoup et toi plein — c'est aussi simple que ça.

— Mais... j'ai fait ça pour bien me faire voir...

— Tout le monde adapte son comportement à la situation. Ta façon de le faire est un peu plus extrême... T'avais pas dit que tu pouvais plus changer de rôle comme avant ces derniers temps ?

— C'était... mais je... il faut que je prépare quelle attitude adopter pour bien m'entendre avec les autres...

— Personne ne peut s'entendre à merveille avec les autres sans un peu de préparation tout en se comportant de la même façon jusqu'au bout, non ?

— M-Mais, mêmes mes goûts changent... en fonction de la situation...

— Ça veut juste dire que t'aimes plein de trucs, et que tu peux changer ce que tu préfères pour t'adapter à ton environnement, non ?

— M-Mais... j'ai même pas pu choisir un club par moi-même...

— Bah, y'a bien des gens qui choisissent un club qui semble tranquille ou qui suivent leurs amis.

— ... Tu cherches juste à contredire tout ce que je dis ou quoi ?

— En fait, c'est exactement ce que je fais, oui.

— Quoi, tu l'admets ? dit Nagase en s'esclaffant.

Taichi la suivit et se mit à rire, ce après quoi, Nagase lui emboîta le pas et ria, et ainsi de suite. Leur rire contaminait l'autre et se transformait en vortex de rire.

Le plaisir, rien que le plaisir. Un plaisir qui donnait l'impression que tout le bonheur du monde s'était rassemblé ici.

Les deux rirent pendant un long moment. Puis, Nagase dit tout en haletant :

— Ahhaha, ha... Je suis fatiguée... En fait, moi aussi j'aimerais être comme toi. Quels que soient le lieu, l'heure, ou ce qu'il se passe... tu te poses pas de question et tu t'accroches à mon vrai moi peu importe qui te fait face. Tu restes toi. T'es resté toi-même pendant tout le long, bien que j'ai adopté différentes personnalités devant toi, t'es toujours resté fidèle à toi-même. Alors je me sens sûre de moi avec toi... J'ai toujours désiré avoir un moi clair et précis, pour pouvoir mettre en confiance les autres.

Haha... Taichi gémissait dans son cœur. Ils étaient similaires tous les deux, tout en étant diamétralement opposés.

Il avait moins d'émotions que la majorité. Elle avait un peu plus d'émotions et plus prononcées que les autres... Mais après tout, ce n'était qu'un peu alors ce n'était pas un gros problème tant qu'ils gardaient leur forme originelle. En fait, Taichi s'en fichait pas mal de tout ça. C'était Nagase qui avait vécu un traumatisme à l’origine de sa confusion, et qui pensait que sa personnalité était une anomalie... Était-ce ce qui s'était passé ?

(En comparant avec les angoisses typiques des héros, comme l'abattement le plus total ou la crise de nerf aiguë, c'est un problème minuscule à côté. Malgré tout, les gens ont toujours tendance à angoisser et à s'inquiéter pour des détails. Ces petits soucis — de leur point de vue — sont si gros qu'ils pourraient les écraser. Mis bout à bout, tous ces petits soucis se trouvent être bien plus importants que l'angoisse la plus grosse et la plus insurmontable. Il n'y a aucune raison derrière — cela veut juste dire que ce monde où l'on vit est comme ça.)

(Dans un monde pareil, embourbés dans nos petits tracas, on devrait faire quelque chose pour vivre...)

Ce quelque chose n'était pas le sacrifice de soi — du moins, Taichi en était certain maintenant. On aurait pu croire qu'il le faisait pour Nagase, mais c'était également pour lui-même.

(Alors, on va courir après « ça ».)

— Je t'aime, Iori Nagase, alors j'aimerais sortir avec toi.

(Il nous manque à tous les deux quelque chose que l'autre a. En allant de l'avant main dans la main, plein de petits tracas pourraient disparaître. Alors, vivons ensemble.)

La bouche de Nagase s'ouvrit et se referma face à la surprise de cette déclaration. Elle semblait sans voix. Malgré le crépuscule, on pouvait clairement discerner son visage rougissant.

Puis, elle continua à cligner des yeux. Et après un moment, elle se recroquevilla et baissa la tête.

Et quand elle finit par la relever...

Mais...

L'expression sur son visage était...

« Le néant ».

Ses joues un instant plus tôt rouges étaient soudain livides.

C'était comme si elle portait un masque Noh[1].

Ses yeux étaient sombres et voilés.

Elle avait perdu sa vitalité.

Elle ressemblait au « Ryûsen Gotô » qu'il avait vu un jour.

Et c'est là que « ce type » commença :

— Bonjour... Cela faisait un bail... et pardon. Ahah... À en juger par ton visage, je pense que tu as parfaitement compris... Je suis « Pois de cœur ».

... Jusque-là, Taichi avait oublié quelque chose.

C'était un monde qui était en ce moment sous le contrôle de « Pois de cœur ».

Il n'y avait rien d'étrange à ce que quelque chose arrive, aussi surnaturel soit-il.

« Pois de cœur » pouvait contrôler « Gotô ».

Alors forcément qu'il pouvait le faire avec « Nagase ».

— Ahah... Je vais commencer par m'excuser... Désolé... Aussi, aide-moi à m'excuser auprès de Nagase plus tard... C'est vrai... sincèrement je dirais... Mmm, peut-être que je suis seulement désolé à un niveau intermédiaire... Ahah... Il fallait que je rectifie le « sincèrement »... mais qu'est-ce que j'y peux ? C'est parce que vous êtes trop intéressants...

« Pois de cœur », qui avait pris l'apparence de « Nagase », jeta son portable et son portefeuille devant Taichi. Puis, il monta sur la rambarde du pont à grande vitesse et se tourna vers la route où Taichi se trouvait.

Une forte brise souffla et son uniforme dansait avec.

*Badoum !*

Le cœur de Taichi battait comme s'il était sur le point de bondir hors de sa poitrine.

Est-ce qu'il avait déjà ressenti un sentiment aussi fulgurant et sinistre dans sa vie ?

À ce moment-là, il la voyait avec insouciance.

Il voyait « Nagase », qui brillait jusqu'ici de mille feux, dégager une aura sombre (comme si une ombre noire l'enveloppait) qui était la négation de la « vie ».

— Hé... qu'est-ce que...

Sa gorge était subitement tellement sèche qu'il n'arrivait plus à prononcer un mot. Taichi s'approcha de « Pois de cœur » lentement de façon à ne pas le brusquer.

Mais ce dernier ne semblait pas y prêter attention et conclut sans la moindre trace de sincérité :

— ... Comme je l'ai dit, je suis désolé...

Le corps de « Nagase » tomba de sa position instable et étroite.

Puis...

« Nagase » — « Pois de cœur » tomba tête la première dans l'eau du fleuve.

— Hé, dites-moi que je rêve !

Au moment où Taichi se rua vers la rambarde, sa vision devint d'un coup complètement noire.

Quand elle revint à la normale, ses fesses sentirent quelque chose de dur. Ce qu'il apercevait semblait appartenir à un certain local de club.

Et devant lui se trouvaient Inaba et Aoki.

□■□■□

Les membres du Club de Recherche Culturelle étaient maintenant réunis dans un coin du premier étage de l'hôpital de la ville. C'était une salle d'attente avec seulement un banc et un distributeur de boisson. Tous les membres étaient là... à l'exception de Nagase.

Elle se trouvait maintenant dans l'unité de soins intensifs.

Ils étaient tous pâles comme un linge, même Taichi, qui repensait à ce qui s'était passé l'esprit anormalement clair et calme.

— Merde...! Iori-chan est en train de mourir, mais on peut rien faire...!

Les mots d'une voix nasillarde d'Aoki semblaient être prononcés avec une intense douleur alors qu'il frappait avec ses poings sur ses cuisses.

— C'est pas ta faute, Aoki. On peut vraiment rien y faire, le convainc calmement Inaba.

Sa voix était étrangement râpeuse mais réconfortante.

— Pardon... Si j'avais... quand je suis devenue « Taichi »... j'aurais dû sauter pour la sauver... mais je risquais de me noyer avec elle... alors le mieux à faire était d'aller chercher de l'aide ou quelque chose qui flotte... alors j'ai... commença Kiriyama en sanglotant.

À ses côtés, Inaba la serra fort dans ses bras, alors que Kiriyama semblait si faible qu'elle pouvait s'effondrer à tout moment. Elle posa la tête de Kiriyama contre sa poitrine tout en lui caressant doucement la tête.

— Yui, t'as rien fait de mal — je dois même applaudir ton calme dans pareille circonstance ! Si t'avais pas fait ça, ça aurait pu être bien pire... t'as fait ce qu'il fallait.

La dernière phrase eut beaucoup d'effet sur Kiriyama qui se mit à sangloter encore plus fort, comme pour essayer de dire que tout ce qu'elle voulait était de pleurer toutes les larmes de son corps. D'un autre côté, Inaba était dans tous ses états.

— Oui... C'est de ma... Aïe !

Au moment où Taichi voulut parler, Inaba lui donna un grand coup de pied dans le mollet.

Il se tourna vers elle et vit son visage tordu de douleur et ses yeux humides.

Inaba pencha sa bouche fermée vers l'oreille de Taichi et dit d'une voix serrée :

— Je t'en supplie, t'excuse pas à ton tour... Merci... de te retenir. Je suis déjà à bout, je vais finir par craquer moi aussi... alors si tu pouvais prendre un peu sur toi... merci...

(Elle est tombée avant d'être sauvée et envoyée à l'hôpital où j'apprends de la bouche de l'infirmière qu'elle est « dans un état extrêmement critique ». Même avec toute la bonne volonté du monde, comment est-ce que je pourrais supporter une telle pression ?)

Taichi connaissait la raison — parce qu'Inaba devait également faire face à la même situation.

Taichi regarda droit dans les yeux d'Inaba et acquiesça.

(Tout le monde a ses limites, et c'est valable pour Inaba aussi.)

Elle acquiesça à son tour et son visage se détendit un peu.

(Personne n'a rien fait de mal ici. Tout le monde sait « qui » est le responsable de tout ça. Malgré tout, on peut pas s'empêcher de s'en vouloir parce qu'on veut cacher notre impuissance.)

Il n'y avait que les quatre membres du club dans la salle d'attente. La mère de Nagase ne semblait pas être chez elle alors elle n'avait pas pu être contactée. Gotô semblait être en route.

Taichi leva la tête et regarda en l'air. Le haut plafond s'étendait à perte de vue. Un des deux néons fluorescents au-dessus de lui était grillé et ne produisait plus qu'une faible luminosité.

Tap, tap.

Des bruits de pas résonnaient au loin. Ils devenaient de plus en plus forts à chaque pas alors qu'ils s'approchaient de la salle d'attente.

Un étrange silence enveloppa la pièce. Bien entendu, ils ne pouvaient pas savoir qui arrivait rien qu'à ses bruits de pas. Mais tout le monde se disait que c'était « peut-être ce type » et retenait sa respiration.

Et effectivement, « ce type » arriva dans la salle d'attente.

Ils l'avaient deviné rien qu'en regardant son visage. Après tout, aucun humain ne pouvait avoir un visage manquant autant de vitalité.

C'était la deuxième fois qu'ils rencontraient « Pois de cœur » dans le corps de « Gotô ».

— Bonjour, enchanté... Ahaha... Vous me regardez tous avec de tels regards... Merci de ne rien tenter de problématique... Je vous demande votre coopération du fond du cœur.

Comme s'il ne sentait pas responsable le moins du monde, « Pois de cœur » « Gotô » parlait avec une voix monotone.

Il arborait même une attitude qui montrait un désintérêt total pour l'effroyable situation. Cela ne faisait que renforcer le désarroi des membres du club.

(Est-ce que je devrais être en colère ? Ou je devrais avoir peur ? Je devrais lui en vouloir ? Devrait-on le laisser expliquer la situation ? Est-ce que je devrais paniquer ? Lui tenir tête ? M'enfuir ? Le frapper ? Me sentir terrorisé ? Me plaindre ? Qu'est-ce que je devrais faire ?)

(À chaque fois que j'arrive pas à discerner la moindre émotion chez « Pois de cœur », je sais pas quelle attitude adopter. Et du coup, je me sens encore plus désorienté, c'est un cercle vicieux.)

— Qu'est-ce que vous faites ici ? Qu'est-ce que vous voulez ?

Alors que les autres n'arrivaient pas à décider quoi faire, Inaba avait déjà calmement montré sa colère. Le sentiment de tranquillité qu'elle donnait présageait de violentes éruptions.

— ... Que tu me demandes les raisons m'aide vraiment, Inaba-san... Ahaha. Alors est-ce que Yaegashi-kun m'a aidé à le décrire ? Ahaha... C'est rare pour moi d'entrer dans le vif du sujet, mais j'ai dérivé... encore... Enfin, passons. Hmm... d'ici trente minutes...

» le corps de « Nagase » va mourir.

Il donnait l'impression d'avoir annoncé quelque chose d'insignifiant.

(Les blagues les plus courtes sont les meilleures.)

— ... Qu'est-ce que vous racontez ?! Vous voulez dire que vous contrôlez la vie et la mort de quelqu'un ? rugit évidemment Inaba.

— Non, non, Inaba-san... Comment pourrais-je être capable d'une chose pareille... Je ne suis que « Pois de cœur », je n'ai rien de spécial... Du moins, je sais que c'est vrai... Cela dit — le corps de « Nagase » va mourir. Est-ce que vous avez tous compris ?

— Comment... Qui croirait à des salades pareilles ?!

La voix de Kiriyama était proche du cri, mais elle l'avait dit crânement.

(Oui, on ne peut pas lui faire confiance.)

— Je sais que ça dépend de si vous me croyez ou non... J'espère vraiment que vous me croyez... J’ai fais tout ce chemin rien que pour ça, alors si je n'obtiens pas ma récompense, je n'arriverai pas à me sentir en forme... Ahaha, non pas que je sois quelqu'un d'énergique à la base... mais, pour être franc, je me sens un peu énergique en ce moment... parce que vous êtes très intéressants... Aha, j'ai encore dit quelque chose que je n'aurais pas dû... alors qu'il y a bien plus important à dire. Ah, alors, vous êtes prêts...? Inaba-san... est-ce que tu peux m'aider à leur expliquer de ce que je vais dire ? Je n'ai ni l'énergie ni la patience de me répéter.

Après une courte pause, « Pois de cœur » se remit à parler avec une intonation monotone.

— Vos personnalités bougent maintenant librement entre vos « corps »... Évidemment, chaque « corps » contient une personnalité... ce qui veut dire que si un « corps » meurt, une personnalité sera détruite avec. Mais... c'est très important — la personnalité qui mourra ne sera pas forcément celle qui correspond au « corps »... Mmm... En fait, même si la personnalité ne correspond pas au « corps » qui la contient, la personne peut vivre sans souci... alors j'ai une suggestion — pourriez-vous choisir la personnalité qui va mourir avec le « corps de Nagase » ? Je vais également vous donner un supplément... à savoir qu'à partir de maintenant et pour les trente prochaines minutes, je vais vous laisser échanger avec la personne de votre choix... Voilà, c'était tout ce que j'avais à dire...

(Mais qu'est-ce qu'il raconte ?)

— ... Au fait, hmm... ça veut donc dire que vous contrôlez à volonté l'échange de personnalité...? Alors, ce n'était pas... aléatoire...? murmura Aoki d'un air extrêmement surpris.

— Ayahayah, la capacité d'échanger les personnalités aléatoirement mais pas de choisir précisément... D'après toi, est-ce que le bon sens juge que c'est possible ? Ahah... Mais jusqu'ici c'était aléatoire... parce que si je ne l'avais pas fait, ça aurait pu être problématique...

Inaba se leva violemment avant de foncer sur « Pois de cœur » « Gotô » qui semblait apathique et qui disait des choses détestables.

— Ça suffit ! cria Inaba avant de l'attaquer.

— Ahah... quelle énergie... murmura « Pois de cœur », ce après quoi, Inaba s'arrêta net avant de frapper.

Elle s'était arrêtée et regardait autour d'elle d'un air perdu.

— Hein...? Un échange de personnalité... hein ?

En voyant la surprise sur son visage et sa façon de parler — Taichi soupçonnait Nagase d’avoir échangé avec Inaba. Était-ce bien l'âme de Nagase dans le corps « Inaba » devant lui ?

Nagase « Inaba » s'éloigna pas à pas de « Gotô » et se dirigea vers Taichi et les autres.

— Hein, qu'est-ce que... Taichi ? On devrait être... sur le pont.

Après avoir été possédée par « Pois de cœur » et être tombée dans le coma, la mémoire de Nagase était encore sur le pont où elle avait rencontré Taichi.

(Quoi qu'on en dise, « Pois de cœur » est allé trop loin — il nous prend pour qui ?)

Une subite colère monta en Taichi. Il se laissa emporter puis s'approcha de « Pois de cœur » en tendant la main.

— Arrêtez vos- Hein ?

Le corps de Taichi se mit à flotter à mi-hauteur.

Puis, il retomba immédiatement la tête en bas. Pendant un instant, Taichi aperçut les yeux sombres et noirs de « Pois de cœur ». L'instant d'après, son dos ressentit une énorme pression.

— Wouah !

Quand il reprit conscience, la douleur à son dos avait disparu. Tout en observant le plafond, il ne put que regretter son incapacité à mettre fin au chaos créé par « Pois de cœur », cet être d'un monde absurde.

Impuissant, il avait été incapable de riposter face à ce puissant ennemi.

Pas plus qu'il n'avait pu protéger l'être qu'il prétendait aimer.

— Beeen, comme je l'ai dit... vous devriez éviter de faire ça... Alors... la conversation est terminée. Je reviens plus tard. Merci de prendre votre décision avant mon retour.

Personne ne pouvait l'empêcher de s'en aller.

Ils ne purent que se contenter de le regarder partir.

— Tai-Taichi ! Ça va ? Qu'est-ce que Go faisait ici ?

Nagase « Inaba » accourut au chevet de Taichi et tendit la main pour l'aider à se lever.

Taichi ne put regarder droit dans ses yeux désorientés et inquiets.

Il ne voulait pas croire ce qui s'était passé, alors il tenta de murmurer, « Merci d'échanger Nagase avec Inaba ». Même si « Pois de cœur » avait dit que les échanges étaient passés en mode manuel, alors cela devrait être impossible... mais...

— ... Pourquoi est-ce que je tiens Taichi dans mes bras ? Et où est passé ce fumier de « Pois de cœur » ?

La personnalité d'Inaba était retournée dans son corps, tandis que la personnalité de Nagase en avait fait de même dans son corps qui était dans l'unité de soins intensifs.

(On devrait se contenter de le prendre au mot alors.)

Taichi, Inaba, Kiriyama et Aoki confirmèrent temporairement l'état de la situation.

— Autrement dit, on doit choisir qui va mourir... c'est ça ? Mais qu'est-ce qui peut bien passer par la tête de ce type...? Bordel... de...! se plaignit Inaba avec une voix remplie de haine.

— Mais Iori ne mourra pas si facilement... parce que le docteur... fait tout son possible... pour la sauver...! dit Kiriyama d'un air désespéré.

— Ouais... peut-être que ce fumier de « Pois de cœur » nous raconte encore des bobards... Mais, peut-être qu'il dit vrai. Il faut qu'on considère cette possibilité — aussi cruelle soit-elle. Si ça s'avère vrai, la situation va devenir hors de contrôle et on pourra pas faire marche arrière, alors il faut qu'on lui obéisse... même si ça me met hors de moi.

(Comme Inaba l'a dit — on n'a aucun moyen de s'en échapper, même si on le voulait.)

(Vu qu'il est impossible de déterminer si « Pois de cœur » dit vrai ou non.)

— ... Merde ! Comment est-ce que ça a pu se finir comme ça en ma présence ?!

Inaba frappa violemment sur le banc qui n'était couvert que d'une fine couche de cuir.

— On dirait que l'un d'entre nous va mourir... ou se sacrifier... c'est ça ? murmura Aoki en se couvrant la tête.

(Partons du principe que « Pois de cœur » dise la vérité.)

(Alors le corps de « Nagase » va mourir. Dans le même temps, il y aura une personnalité — ou âme — parmi les cinq qui va mourir.)

(Personne ne veut mourir.)

(Alors ça va devenir un débat sur « qui sacrifier » comme l'a dit Aoki.)

(La mort.)

(C'est la mort ultime que personne ne pouvait complètement imaginer.)

(Je pourrais jamais laisser quelqu'un subir ça !)

(Alors...)

— Si quelqu'un doit se sacrifier, ce sera moi.

(... Je veux me sacrifier.)

(... Alors laissez-moi faire.)

— Yui... Tu peux le frapper avec l'intention de tuer ? demanda Inaba.

— D'accord, je vais y aller de toutes mes forces alors, répondit Kiriyama.

— Hein, ça craint si elle utilise toutes ses forces...

Alors qu'Aoki était en plein milieu de sa phrase — Kiriyama avait foncé sur Taichi.

Ses yeux étaient injectés de sang. Son visage était terrifiant. Sa longue chevelure châtain était ébouriffée... Kiriyama frémissait tel un tigre en colère.

J'ai failli ne pas voir arriver son poing.

Quand j'eus repris conscience, le bruit du craquement de mes os résonna dans mon cerveau. Ma tête avait l'impression d'avoir volé — tout comme mon corps. Je roulai maladroitement sur le sol, ce qui me faisait horriblement mal aux joues.

Je posai ma main sur ma joue gauche avant de gémir.

— Qu'est-ce que tu racontes... C'est pas drôle !

Inaba s'accroupit, m'aida à me relever et alors que j'étais toujours en train de gémir, m'agrippa violemment par le col.

— C'est quoi ton problème ?! Comment ça « je vais me sacrifier » ? Est-ce que t'as pensé... pensé aux sentiments de ceux qui allaient rester après ton sacrifice ? Tu fais croire que tu penses aux autres, mais tu penses qu'à toi — un vrai salaud d'égocentrique !

Inaba me cria dessus à une distance extrêmement proche comme si on était collés l'un à l'autre.

Kiriyama m'avait frappé avec un poing qui contenait ses véritables sentiments. Et les paroles d'Inaba étaient de la même veine. Les deux m'avaient ému.

Puis quelque chose dans mon cœur s'effondra.

— ... Ouais... Où est le mal ?! Je... je peux pas supporter de voir les gens souffrir ! Quand ça arrive, je peux pas m'empêcher d'imaginer la douleur qu'ils ressentent... Puis, mon imagination s'emballe et ça devient une douleur incurable — c'est insoutenable ! Je déteste ça... alors, je préfère encore l'endurer moi-même directement, parce que je connais mes limites... et je peux le supporter... T'as raison, je le fais pour personne... je me « sacrifie » juste pour moi-même !

Une fois dans mon cerveau, le message vague avait fini par sorti... J'avais enfin réussi à le dire !

Ma joue gauche commença à me brûler, mais il y avait quelque chose qui la mouillait chaudement.

J'étais en train de pleurer.

Dans ma vision trouble, Inaba sembla être choquée, mais son expression changea rapidement en un visage empli de bienveillance et elle relâcha sa main qui agrippait mon col.

— Alors c'est ce que tu pensais, Taichi. T'es vraiment bizarre. Même si c'est bizarre, ta gentillesse est complètement folle ! Ressentir la douleur des autres comme si c'était la tienne et te dire « ça serait plus facile si je l'endurais à leur place »... T'es... vraiment un idiot gentil et maladroit. Mais même si tu pouvais subir la douleur des autres, tu vois pas que quand tu souffriras, les autres autour de toi souffriront à leur tour ? Même si ça te va, ça sera dur pour nous... et particulièrement pour ceux qui pensent être plus que ton ami.

» Même si c'était stupide de le dire maintenant, c’est formidable d’écouter son cœur, dit Inaba.

Puis, elle essuya maladroitement mes larmes.

— Pardon, Taichi !

À côté de moi, Kiriyama s'effondra sur le sol en pleurant.

— Pardon, tu souffres. Pardon, tu souffres. Pardon, tu souffres... continua-t-elle à répéter.

— C'est pas grave... Kiriyama, tu voulais me réveiller, non ? Et puis... Tes mains et ton cœur aussi souffrent... C'est moi qui devrais m'excuser... Merci.

— Il y a une seule chose que... j'espère que tu comprends... Si tu... meurs, alors on souffrira tous dix ou cent fois plus que ce qu'on a subi jusqu'ici...! Alors... Alors ne dis pas ça !

— Pas la peine de dire ça, il a compris maintenant... murmura Inaba à côté de Kiriyama.

Je pouvais profondément ressentir la gentillesse de tout le monde. Et dans le même temps, je compris à quel point j'avais été égoïste. En théorie, c'était simplement dans le but d'aider les autres, mais des fois, ce n'était pas toujours le cas.

S'il n'y avait pas eu « d'échange de personnalité », peut-être que je n'aurais jamais eu à faire face à cette facette de ma personnalité.

Je me connais un peu mieux moi-même.

Et j'en savais beaucoup plus sur les gens qui m'entouraient.

En acceptant, réfléchissant et allant de l'avant, je pouvais beaucoup apprendre à partir de maintenant.

Même si beaucoup de souffrances l'attendait, il y allait tout de même avoir tant de choses joyeuses aussi. C'était ce genre de vie qui m'attendait.

... Mais malgré tout, quelqu'un allait devoir dire adieu à cet avenir.

C'était un désespoir qu'il était impossible de décrire complètement par la cruauté, le côté macabre et la désolation.

— Alors... qu'est-ce qu'on fait...!

Je ne pus rien faire d'autre que gémir.

À ce moment-là, Aoki se mit à parler :

— Je pense que la seule qui devrait mourir dans le corps « d'Iori-chan » c'est elle-même...

Le temps, qui aurait être quelque chose qui s'écoulait de façon continue, semblait s'être arrêté.

Je ne voulais penser à rien. J'en étais incapable.

— Que-Qu'est-ce que tu racontes ?! Je t'en supplie... Dis pas que Iori devrait mourir ! s'exclama nerveusement Kiriyama comme une bête sauvage.

— ... Je... C'est pas ce que je voulais dire... ! C'est juste qu’il fallait bien que quelqu'un le dise...

Puis, Aoki ajouta d'une voix basse à peine audible :

— ... On peut pas toujours laisser le mauvais rôle à Inaba-chan.

— Tss... Vous êtes... trop gentils... dit Inaba avec une voix chancelante.

Ce fait était quelque chose qu'on tous avait tacitement compris.

S'ils sauvaient Nagase, cela voulait dire qu'elle allait devoir vivre dans le corps de « quelqu'un d'autre ». Rien ne pourrait jamais justifier ce choix de vivre dans la peau d'un « autre ».

Mais malgré tout...

Mes pensées tournaient en rond.

Je n'arrivais pas à avancer.

— On devrait pas prendre de décision sans lui en avoir parlé... Je pense qu'on devrait lui expliquer la situation... Qu'est-ce que vous en pensez...?

— T'as raison... Ça se fait pas... C'est naze, tout ce que je peux dire dans cette situation, c'est « ça se fait pas »...

— C'est moi qui en ai parlé, alors je vais faire l'échange... continua Aoki. Merci d'échanger Yoshifumi Aoki avec Iori Nagase.

En un instant, Nagase « Aoki » cligna des yeux, visiblement surprise, et jeta un œil vers Taichi, qui était assis par terre, ainsi que vers Inaba et Yui. Puis, elle leur demanda ce qui s'était passé.

— Ah... Même moi j'ai pas tout compris de ce qui nous était arrivé, expliqua brièvement Inaba à Nagase « Aoki ».

» Tu seras choquée peu importe la manière... alors j'ai décidé de pas y aller par quatre chemin. Iori, tu... vas peut-être mourir, annonça d'un ton ferme Inaba tout en regardant droit dans les yeux de Nagase « Aoki ».

Pour être franc, c'était vraiment difficile à dire, mais c'était la spécialité d'Inaba de cacher son côté faible.

Nagase « Aoki » devait avoir compris à l'attitude d'Inaba qu’elle ne plaisantait absolument pas, parce que son visage était particulièrement tendu et on pouvait lire la peur dans ses yeux comme un petit chiot. Elle hésitait comme si son cœur s'était arrêté de battre.

Ses yeux bougèrent et s'arrêtèrent dans ma direction.

Pendant un moment, même si bref, son visage s'était détendu.

Peut-être que je pouvais faire en sorte d'alléger sa profonde détresse. Pour cette raison, je ne la quittais pas des yeux.

Je me sentais coupable de ne pas pouvoir faire plus pour elle.

Puis, elle détourna les yeux et regarda vers Kiriyama.

Une grosse larme coula le long de la joue de Kiriyama, mais elle se mordit fortement les lèvres pour se forcer à ne pas éclater en sanglots.

Puis Nagase « Aoki » se tourna à nouveau vers moi, ferma les yeux et scella d'une traite ses lèvres.

Après quelques secondes de silence, elle rouvrit les yeux.

— Bon, continuons, dit-elle avec un visage digne, courageux et viril.

De mémoire, je n'avais jamais vu quelqu'un avec autant de lucidité.

Puis, Nagase « Aoki » se tut pendant les explications d'Inaba. Elle acquiesçait parfois en guise de réponse.

Les explications se terminèrent peu après.

Malgré cela, Nagase « Aoki » demeura tout de même silencieuse.

À quoi pouvait-elle penser intérieurement ? J'étais incapable de l'imaginer.

Alors, de combien de temps avait-elle besoin ? Les autres pensaient sûrement à la même chose. Mais l'instant d'après...

Elle sourit.

Puis, elle dit :

— Dans ce cas, laissez-moi mourir.

C'était une voix enjouée et très légère.

— Ah... Est-ce que je vais vraiment mourir...? Héhé, je sais que je vais mourir, mais j'ai quand même pu parler normalement avec tout le monde... c'est déjà un miracle.

— Peut-être... pas... tenta de nier Kiriyama avec une voix extrêmement faible.

— Mmm, certes... mais je vais partir du principe que si. Après tout, j'ai pas envie d'avoir de regrets.

Malgré ces conditions extrêmes, la tonalité de sa voix restait inchangée. Des larmes me montèrent rapidement aux yeux.

— Nagase... mais peut-être que tu devrais pas...

— C'est pas comme ça qu'il faut le prendre, et c'est impossible.

Le sourire franc et direct de Nagase me transperçait le cœur. Son apparence était sans aucun doute celle « d'Aoki », mais ce sourire appartenait sans conteste à Nagase.

— Tout fait partie intégrante de « moi », même mon apparence ! Ma personnalité ou mon apparence ne suffisent pas à elles seules, les deux forment un tout. Et puis, je suis fière de ce que je suis... J'ai failli me perdre, mais quelqu'un me l'a rappelé.

Nagase regarda chacun de nos visages et on se tenait tous pendus à ses lèvres. Son visage montrait une certaine assurance, comme si elle était sur le point de jouer son atout.

— Et puis, tuer la personnalité de quelqu'un et vivre dans son « corps » serait trop dur à supporter pour moi.

Personne ne pouvait la contredire.

Ensuite, Nagase « Aoki » souhaita que tout le monde puisse entendre ses dernières volontés.

— Est-ce que... je pourrais avoir un moment en privé avec chacun d'entre vous ?

Les membres du club se plièrent au souhait de Nagase et lui laissèrent parler à chacun d'entre eux dans la salle d'attente de l'hôpital pour les derniers instants de sa vie.

Les derniers instants de sa vie.

Personne ne voulait l'admettre, et peut-être même que certains voulaient s'y opposer, mais à chaque minute et seconde qui passait, on se sentait de plus en plus incapable de faire quoi que ce soit.

« Pois de cœur » avait dit qu'il allait revenir d'ici trente minutes alors il ne restait désormais plus beaucoup de temps.

Pour commencer, Nagase fut envoyée dans le corps de « Kiriyama » pour voir Aoki qui était revenu dans son propre corps. Ensuite, elle resta dans le corps de « Kiriyama » pour parler avec Inaba. Quand celle-ci croisa Aoki, ce dernier avait les larmes aux yeux.

Et maintenant, Nagase allait utiliser le corps « d'Inaba » pour voir Kiriyama.

J'étais assis avec Aoki sur le long banc du couloir qui menait à la salle d'attente. Mais on ne parla pas. Je jetai un œil vers la porte de l'unité de soins intensifs. Le corps de « Iori Nagase » se trouvait dans cette salle et la personnalité à l'intérieur était celle d'Inaba. Bien entendu, le corps de Nagase n'était pas conscient, alors Inaba devait maintenant être plongée dans les méandres du néant, sans conscience ni sentiment.

Je pouvais entendre quelqu'un sangloter et marcher le long du couloir.

— T-Taichi... Iori te demande... dit Kiriyama en s'étouffant avec ses larmes.

J'acquiesçai sans dire un mot. Puis je traversai le couloir et pénétrai dans la salle d'attente.

Ses brillants cheveux noirs mi-longs, ses petits bras et jambes élancés, et une douce et tendre aura qui ne lui ressemblait pas...

Devant moi, se trouvait un être qui avait l'apparence « d'Inaba » mais sans sa personnalité.

Ce genre d'atmosphère qui permettait d'envoyer des messages sans mots confirmait la présence de Nagase.

— Salut, Taichi, me salua Nagase « Inaba » comme n'importe quel matin.

— Yo, Nagase, répondis-je avec la même attitude.

Mon cœur était incroyablement serein. Plutôt que de sombrer dans le désespoir, j'avais décidé, de toutes mes forces, de vivre l'instant présent.

— C'est bizarre que tu sois le seul à te comporter comme d'habitude... Les autres faisaient tous une tête d'enterrement.

— ... Tu veux que je fasse pareil ?

— Non, non, pas du tout. Surtout pas ! Sinon, ça va être difficile de parler et ça va me donner mal à la tête ! Et puis, l'heure de notre dernière rencontre approche à grand pas... Bref, Taichi, merci, parce que j'ai jamais eu l'occasion de te remercier sur le pont. Après t'avoir entendu parler, je crois que mes angoisses... même si je ne saurais pas dire si elles ont entièrement disparu... je me sens beaucoup mieux maintenant, et j'ai fini par me rappeler que je pouvais inclure tant de choses en « moi » et que j'aimais ce genre de « moi ».

Nagase avait fini par s'accepter — c'était semble-t-il la bonne affirmation. Pour aller de l'avant, il fallait sûrement plus de temps, mais à partir de là, tout irait bien. Après tout, le point de départ, c'est de « s'accepter tel qu'on est ».

Même s'il n'y avait plus de temps pour ça maintenant.

— Aussi, t'as dit... que tu m'aimais, et tu m'as demandé de sortir avec toi, pas vrai...? J'ai pas pu te répondre à ce moment-là, alors je vais le faire maintenant.

Nagase « Inaba » arborait un visage certes nerveux mais également déterminé et sérieux.

Moi aussi, j'avais le même genre d'expression en attendant la réponse qu'allait me donner Nagase.

— ... Mais avant ça, tu t'attends bien à ce que je vais raconter une blague, pas vrai ?!

— Pas spécialement, mais je m'en doutais !

Malgré les circonstances, elle restait toujours drôle... Il devrait avoir des limites à l'inflexibilité de son entrain.

— Hihihi.

Nagase souriait avec un visage qui montrait qu'elle avait tout prévu — mais ça s'arrêta net.

Son expression se contracta soudainement.

— Que... Comment ça se fait... Comment est-ce que t'arrives à rester aussi détendu dans un moment pareil... Alors que les autres avaient tous l'air tellement triste...

Bien sûr que j'étais triste et que je mourrais d'envie de pleurer, mais si je le faisais...

— Bien sûr que je suis triste. À tel point que j'ai envie de mourir... Mais, tu l'es encore plus que moi, pas vrai ?

» ... Alors pourquoi tu ne pleures pas ?

La question que je posai finit par faire éclater Nagase en sanglot. Ses larmes coulaient abondamment.

C'était normal qu'elle pleure. Il aurait été étrange qu'elle ne le fasse pas dans un moment pareil.

Après tout, elle était sur le point de mourir.

Elle devait être si triste qu'elle voulait crier, hurler ou gémir de désespoir. Mais elle n'avait rien fait de tout ça.

Peut-être que c'était une forme de gentillesse pour ne pas rendre les autres encore plus tristes, vu que j'aurais fait la même chose à sa place.

Mais cela importait peu maintenant.

Je m'avançai vers elle et la pris dans mes bras.

C'était extrêmement doux.

Chaleureux.

Et triste.

Même si son « corps » était celui d'Inaba.

— Ah... je veux pas mourir... je veux vivre encore un peu... Ma vie ne fait que commencer ! Pourquoi... Pourquoi... est-ce que... j'ai dû subir tous ces trucs... Qu'est-ce que j'ai fait... pour mériter ça...? cria désespérément Nagase du plus profond de son cœur.

Elle avait perdu le contrôle de ses larmes qui coulaient à flot.

Je pris sur moi.

Je n'avais pas versé la moindre larme moi-même.

Me traiterait-on « d'idiot qui adore se sacrifier » ?

Non, pas du tout. Je ne l'ai pas fait pour moi-même, mais pour l'accompagner et l'aider. Alors personne ne devrait me le reprocher. J'étais incapable de faire clairement la différence, mais je sentais que je commençais petit à petit à comprendre quelque chose.

— ... Tu m'as aussi déclaré... que tu m'aimais...

Un chaleureux sentiment fit irruption dans ma poitrine. J'y résistais juste avant qu'il se transforme en larme. Et dans le même temps, je laissais ma haine pour « Pois de cœur » sombrer au fond de mon cœur. Lors du moment le plus précieux et le plus sacré de ma vie, je ne voulais pas penser à ce genre de chose.

Au bout d'un moment, Nagase « Inaba » s'éloigna de moi tout en essuyant ses larmes.

— Après tout, c'est la dernière fois... il faut... que je sois claire.

Nagase « Inaba » inspira et expira pour se préparer. Elle souriait, les yeux rouges et gonflés.

Je pouvais voir un avenir dans ce sourire.

C'était un avenir brillant et resplendissant.

Même dans cette situation...

Ce sourire était suffisant pour parler de miracle.

— Moi aussi, je t'aime, alors... ne sors pas avec moi.

— Avec plai-... Hein ?

Comment ça ?

— Héhéhé, je vais mourir, non ? Tu peux pas sortir avec un cadavre quand même, ou tu vas avoir des problèmes.

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» Ça te dérange quand même ?

Elle couvrit ma bouche bée avec sa main gauche.

Elle était si gentille que mon cœur était sur le point de voler en éclat.

— Au contraire, laisse-moi juste un souvenir... Alors embrassons-nous, ok ?

— Si c'est que ça, Inaban devrait me pardonner, murmura faiblement Nagase « Inaba ».

— Been... Il faut que je sache maintenant... Qui avez-vous choisi ?

(Qui va mourir ?)

« Pois de cœur » « Gotô » avait posé d'un air exténué une question qui était si profonde qu'elle dépassait l'entendement. Devant lui se trouvait Nagase « Inaba », Taichi, Kiriyama et Aoki, tous assis silencieusement sur le long banc.

— C'est moi... Moi, Iori Nagase, vais mourir avec le corps de « Iori Nagase », déclara sans la moindre hésitation Nagase « Inaba » tout en se levant.

Son impressionnant comportement laissa Taichi et les autres sans voix.

— Mmm... C'est la meilleure conclusion... Haha... Alors il n'y a pas eu de changement miraculeux ?

— Mais est-ce que je peux vous poser une question avant de mourir ?

Nagase « Inaba » regarda droit dans les yeux de la personne responsable de sa mort en lui posant cette question.

L'expression sur son visage était spécialement pour cette occasion.

— Alors, pourquoi avoir fait tout ça en fait...?

Après avoir passé un mois entier à échanger aléatoirement de personnalité entre nous, tout ça pour faire mourir quelqu'un à la fin... Quel était le but de tout ça ?

— ... Eh bien... pour faire simple... n'y prêtez pas attention aujourd'hui, mais aussi demain...

« Pois de cœur » était agacé par la question de Nagase et avait répondu à côté.

— Comment est-ce qu'on pourrait se contenter de cette réponse, hein ?

Nagase « Inaba » arrêta Kiriyama qui tentait de se lever pour manifester son mécontentement.

— Je vois... Effectivement, vous n'avez pas l'intention de me répondre directement... dans ce cas, tant pis, mais il y a bien une chose sur lequel je ne reculerai jamais. Je vous demande...

Elle parlait avec un visage qui était d'une beauté et d'une détermination à couper le souffle.

— ... de ne plus jamais faire ça à qui que ce soit.

C'était un point qu'elle tenait absolument à confirmer.

C'était effectivement quelque chose qui devait être considéré. À partir de maintenant, est-ce que Taichi et les autres allaient continuer à vivre cette ridicule situation ? C'était une question de vie ou de mort.

Mais était-ce quelque chose qui importait vraiment pour Nagase ?

Qu'est-ce que cela changeait pour elle ?

Elle était sur le point de mourir.

Après avoir entendu ça, « Pois de cœur » « Gotô » se figea temporairement. Il n'y avait aucun changement sur son visage, mais de ce que Taichi en avait compris, il ait l'air un peu choqué.

— ... Bien entendu.

Le ton de sa voix était un peu honnête.

— ... Haha, l'heure est déjà arrivée ? dit soudain « Pois de cœur ».

Il n'avait laissé le temps à personne pour se préparer.

Le corps « d'Inaba » se raidit en un instant, et « Inaba » secoua légèrement la tête.

— Que...

« Inaba » qui était sur le point de parler aperçut « Pois de cœur » « Gotô » devant elle.

— Vous...! Non, Iori...

« Pois de cœur » ne montra aucun signe en réponse, parce que Taichi savait qu'il avait mis un terme à « l'échange de personnalité ».

Dans le même temps, quand Inaba avait crié, la porte de l'unité de soins intensifs s'ouvrit.

À cet instant...

Avec ce que « Pois de cœur » avait dit...

Tous retinrent leur souffle et regardaient la porte qui s'ouvrait.

Tous priaient pour que ça n'arrive pas.

(Que ça ne s'arrête pas maintenant.)

(Faites que ça ne s'arrête pas.)

(Laissez-nous imaginer un peu plus longtemps que Nagase ne meure pas.)

Mais le temps s'écoulait inexorablement.

Peu après, le docteur s'approcha d'eux et dit...

— Dieu soit loué. Elle est tirée d'affaire. Elle va s'en sortir.

□■□■□

Le docteur avait expliqué à Taichi et les autres, sonnés, qu'elle avait eu beaucoup de chance. Ils n'avaient pas à s'inquiéter de séquelles irréversibles et elle allait être prochainement transférée dans une chambre où ils pourraient la voir.

Il fut un peu surpris qu'ils manquent de répondant, mais il pensait visiblement que c'était parce qu'ils s'étaient « trop préparés au pire ». Ensuite, le docteur lâcha un « Bref, c'était trop beau pour être vrai. » avant de s'en aller.

Alors que tout le monde était encore sous le choc, Inaba parvint à parler.

— Hé... vous... qu'est-ce que...?

— Oui, oui... merci à toutes et tous... dit « Pois de cœur » « Gotô » comme si rien ne s'était passé. Ahah... merci d'accepter ce gâteau en guise de compensation... Ahah... Il serait même préférable d'apporter ça à Nagase-san quand vous irez lui rendre visite. Enfin, pour moi surtout.

« Pois de cœur » leva légèrement la main qui tenait un sac en papier.

Inaba recula jusqu'au mur et se cogna la tête.

— Il m'a bien eue... Même si c'était une possibilité... et je le soupçonnais même... mais... Ah... Au fait... Ah ! C'était quoi tout ça au juste ?!

— Hein... Alors... Iori... va bien... Elle est... toujours en vie ! O-Ouaaah ! murmura mot à mot Kiriyama tout en serrant les dents.

Puis, elle se couvrit le visage et se mit à pleurer.

— ... Ah bon ? C-C'est super... Ouah... Je me sens tellement lessivé d’un coup...

Aoki se laissa tomber lentement jusqu'à s'assoir par terre.

Quant à Taichi... son cerveau ne fonctionnait plus parce qu'il se demandait ce qu'il allait faire après ce qu'il s'était passé avec Nagase... Ou plutôt, il se demandait comment se comporter avec elle à partir de maintenant... Peut-être qu'il devait se contenter d'être comme d'habitude.

— En gros, je suis désolé... Inaba, s'excusa pour le moment Taichi en priant pour que ça ne soit pas son premier baiser.

— ... Hé, au fait... du début à la fin... cela faisait partie de votre plan, pas vrai ? demanda Inaba à « Pois de cœur » comme si elle avait perdu toutes ses forces.

— Mmm... Si je devais dire, tout, du début à la fin, faisait partie de mon plan... ce qui s'est passé était proche de ce que j'avais prévu... parce que vous êtes très loin d'imaginer de quoi je suis capable... Après tout, on peut échanger des personnalités entre des personnes. Vous comprenez mieux dit comme ça ? Ahah... Mais cela ne vous regarde pas...

— ... Alors vous voulez dire que vous n'aviez aucune intention de faire du mal à Nagase depuis le début ?

« D'ailleurs, quand il a pris le contrôle de Nagase, il a pris la peine de sortir son portable et son portefeuille avant de sauter dans le fleuve... », se remémora Taichi en écoutant « Pois de cœur ».

— ... Bien sûr que non, comment pourrais-je causer le moindre tort à une brave citoyenne comme elle... Même si cela lui a déjà causé beaucoup de problèmes dans sa vie de tous les jours... Mais j'espère que je pourrais me faire pardonner avec ce gâteau... Enfin, même si c'est un peu bateau comme cadeau... Ah ? « Gâteau », « bateau » et « cadeau » riment... Ahah, ça n'a vraiment aucun rapport... Du coup, je n'ai pas l'intention de dire que j'espère que vous allez me pardonner, mais j'espère effectivement que vous ne me détestez pas. En fait... vous... avez vécu de bonnes choses, n'est-ce pas ?

Sa dernière phrase semblait contenir le premier sentiment jamais ressenti par « Pois de cœur » pour Taichi et les autres, même s'il était tellement diffus que c'était peut-être un malentendu.

— Bon... il faut que j'y retourne maintenant. Ahah... Vous avez l'air d'avoir compris, mais n'en voulez pas trop à « cette personne »... parce que ça serait dommage qu'il y ait des répercussions. Et par-dessus tout, si possible, merci de ne pas trop réfléchir sur ce qui me concerne, ou de m'oublier purement et simplement... Ou peut-être que c'est tout bonnement impossible ? Ahah... J'en ai trop dit... Bon, à plus tard.

Après avoir fini de parler, la tête de « Gotô » tomba exactement comme quand Taichi et les autres vivaient un échange de personnalité — puis il se réveilla immédiatement. Il leva la tête et ouvrit les yeux.

Le « drame » était arrivé telle une soudaine tempête et les avait marqué à jamais, mais sa conclusion était pourtant banale et paisible.

— ... Hmm ? C'est...? Je me rappelle avoir sauté dans ma voiture de location parce que j'avais appris que Nagase était tombée dans le fleuve et se trouvait à l'hôpital... Bizarre ? Je suis à l'hôpital. Oh, vous êtes tous là sauf Nagase, c'est choquant — ou alors j'ai utilisé toutes mes forces pour arriver là, au point de perdre conscience sur la route... Rah, j'ai vraiment envie de me féliciter pour cette débauche d'énergie quand je fais quelque chose pour mes élèves... Et c'est quoi ce sac en papier dans ma main droite...? Ohoh... Des boules de riz à la fraise...! Mmm ? Mais qu'est-ce qu'elles font ici...? Bah, peu importe, j'adore les fraises de toute façon... Bon, et au sujet de l'état de santé de Nagase... Aïeaïeaïeaïeaïeeeeuh ! Ça fait mal ! Ça fait vraiment mal, Inaba-san !

Inaba avait fait un cobra clutch[2] sur Gotô.

— La ferme ! Il faut que je fasse rentrer une bonne fois pour toutes dans cette fichue tête que « moins on réfléchit, plus ça fera mal à la fin ! »

Tout en disant ça, elle avait troqué son cobra clutch pour une prise un peu plus étrange (qui consistait à utiliser un cobra clutch tout en pressant la tête de l'adversaire vers le bas avec une main). Elle était super incisive.


Notes de traduction

  1. Masque utilisé dans les Noh, les comédies musicales japonaises où les acteurs portent des masques.
  2. Prise de catch où l'attaquant se met à côté de son adversaire, puis enjambe une des jambes de l'adversaire, attrape le bras de ce dernier et le place derrière son dos, et enfin il cause une pression au dos et à l'abdomen


Chapitre 8 Page principale Épilogue