Sugar Dark ~ Français : Fosse 2 - Chapitre 6

From Baka-Tsuki
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6[edit]

Qu'est-ce que je veux faire ?

Et quel est le meilleur moyen d'y parvenir ?

Mole se retrouva à se poser encore et toujours les mêmes questions. Vraisemblablement parce que quand il était question d'atteindre son but, il n'avait pas beaucoup d'options face à lui.

Il faut que je m'évade.

Combien de fois avait-il murmuré ça depuis qu'il était arrivé ici ? Cette phrase devait agir comme un moteur pour le fil de ses pensées, mais maintenant, elle ne faisait qu'accaparer son esprit tout entier comme pour masquer son indécision.

Oui, il faut que je m'échappe d'ici.

Mais à la base, il n'y a pas déjà un problème avec le fait que je me suis retrouvé galérien ?

#


— Dis-moi, Mole, quel genre de crimes tu as commis ? demanda la fille tout en touchant doucement son collier du bout des doigts.

Par réflexe, Mole recula jusqu'à l'arbre, frétillant légèrement après qu'elle l'ait touché. Il voulait qu'elle lui pardonne son malaise, mais dans le même temps, il n'était que trop conscient de la façon dont était attaché le collier et les possibles implications si on tentait de le retirer. Et même s'il faisait confiance à Meria, si par accident son collier venait à être enlevé, il en perdrait la vie.

Et du coup, Mole était particulièrement réticent à ce sujet qu'elle tentait d'aborder. Mais Meria était sérieuse. Non, ce n'était pas tout à fait ça. Bien qu'elle n'avait plaisanté qu'une fois jusqu'ici, ses yeux brillaient désormais plus que jamais. Il sentait que Meria n'était pas simplement curieuse, elle désirait vraiment en savoir plus.

Avec difficulté, comme si ses lèvres pesaient une tonne, Mole dit :

— Meurtre. C'est ça la raison.

Enfin, du moins, c'est ce que tout le monde croit et c'est ce qui a été écrit dans le compte-rendu du procès.

Un matin, son supérieur, le sous-lieutenant Hedger Reeve, fut retrouvé mort dans un coin d'une tranchée. La guerre s'enlisait plus ou moins entre les forces armées du pays voisin qui refusaient de sortir de leur forteresse et les grands pontes de son pays qui ne voulaient pas lancer d'offensives pour transpercer les lignes ennemies. Ainsi, le meurtre du sous-lieutenant de la seizième unité d'infanterie avait fait beaucoup de vagues. Dans ce désordre, la disparition de la pelle favorite d'un fantassin de deuxième classe paraissait insignifiante aux yeux de tous.

Puis, une trentaine d'heures après la découverte du cadavre, les chiens de la police militaire découvrirent la pelle dans une aire de stockage de bois de récupération. Et elle était recouverte du sang du sous-lieutenant. Malheureusement, comme le jeune soldat de repos le jour du crime n'avait pas d'alibi, il ne fallut qu'une semaine à la cour martiale pour rendre son verdict : « Mole Reed » était jugé coupable.

Franchement, le tueur a vraiment eu le nez creux en utilisant ma pelle pour le meurtre.

Le garçon qui était devenu le galérien 5722 éclata de rire.

Il n'y avait pas besoin de mobile particulier. Hedger Reeve était une ordure.

Il portait des bijoux volés sur les cadavres et de l'or sale cliquetant autour du cou. Et on ne comptait plus le nombre de fois où il s'était vanté ouvertement de comment il se les était procurés. C'était un alcoolique notoire et il battait fréquemment ses subordonnées selon son humeur. Il aimait beaucoup jouer et quand il perdait gros, son visage virait au rouge et il renversait la table de jeu. Bien qu'il était l'officier en charge des taupes, on ne l'avait jamais vu une pelle à la main. Dans son attitude hautaine, il se contentait généralement d'observer les creuseurs à l'ombre d'un arbre.

Le sous-lieutenant avait sûrement été tué pendant que Mole s'amusait avec ses frères taupes, entourés par les feux de camp. C'était le seul moment où le cadavre de Hedger Reeve aurait pu être transporté dans un coin du champ de bataille.

Le garçon n'avait eu de cesse de clamer son innocence pendant toute l'enquête et le procès. À part ça, qu'est-ce que j'aurais pu faire d'autre ? Ils l'avaient accusé d'un crime dont il ignorait tout. Et bien entendu, sans alibi ni preuve, personne ne le croyait.

— Ce n'est pas vrai, dit Meria, sa voix calme sembla faire trembler l'air du cimetière pendant que Mole était plongé dans la période la plus sombre de sa vie.

Puis, elle continua en le regardant droit dans les yeux :

— Je suis sûre que tu es innocent.

Sur son visage, Mole pouvait sentir qu'elle n'en doutait pas un instant... Il avait l'impression qu'elle le croyait.

Un bâillement s'échappa de la bouche de Mole. Il le prit comme un début de relâchement de sa détermination.

Dans sa tête, il récita son objectif. Il faut que je m'échappe... Puis une seconde fois... et une troisième.

Puis, en détournant le regard des yeux bleus de la fille, il dit :

— Merci. Si tu avais été le juge, je suis sûr qu'on m'aurait innocenté.

Enfin, il sourit pour chasser le doute qui s'insinuait en lui.

Bien entendu, s'il avait été acquitté, il n'aurait jamais été envoyé dans le cimetière et il n'aurait jamais pu rencontrer Meria.

— Eh bien, vraiment, tu n'es pas quelqu'un qui devrait être là, marmonna Meria, le cœur lourd.

D'une certaine façon, elle aussi semblait ressentir la même chose que lui.

Comme prévu, Mole se demanda comment réagir à ses paroles... comment réagir à l'expression sur son visage.

Soudain, ses lèvres bougèrent d'elles-mêmes :

— Dis... C'est juste une hypothèse, mais... dit-il, sans regarder la fille. En considérant que j'essaye de m'échapper de cet endroit... si tu veux, tu...

Remarquant qu'il était sûrement sur le point de dire quelque chose qu'il ne devrait pas, il s'arrêta net. Pendant qu'il hésitait à continuer, il put sentir le regard de Meria. Puis, afin d'apaiser sa curiosité, il finit par lui révéler ce qu'il avait sur le cœur.

— Ça dépend entièrement de toi, mais... si un jour j'essaye de m'enfuir, est-ce que tu veux venir avec moi ?

Meria se mit à cligner des yeux plusieurs fois avant de regarder le sol.

Inversement, Mole se sentait calme pendant qu'il scrutait silencieusement sa réaction.

Les mots étaient sortis tout seuls de sa bouche, mais au final, il trouvait son invitation pas si mal. Mais bien qu'il n'avait rien pour étayer son interprétation, Mole pensait que Meria ne le raconterait pas à Daribedor même s'il lui révélait son envie de s'enfuir.

Bien qu'il y avait réfléchi à maintes reprises, son idée n'était encore en rien ce qu'on pourrait appeler un plan d'évasion. Néanmoins, peu importe la forme d'assistance qu'il cherchait, ce plan allait forcément impliquer Meria à un moment ou un autre. Dans ce cas, il pensait qu'il pouvait y avoir un intérêt pour elle aussi.

Je n'ai pas de plan précis, mais c'est sûrement une bonne idée de placer Meria au cœur de celui-ci, non ?

Peut-être qu'elle n'était pas entièrement satisfaite de sa situation...

Tout en étant conscient que c'était très optimiste, il ne pouvait ignorer le fait qu'au fond de lui, il espérait que c'était vrai.

Il pouvait aisément imaginer la fille s'être vue infliger le même traitement, quelque chose de similaire voire pire dans la fosse commune.

L'ennemi naturel de l'humanité, les monstres qu'on appelait par des numéros.

Les fossoyeurs avant lui avaient sûrement craqué, devenus incapable de supporter la terreur tapie sous leurs pieds et les horreurs qu'ils avaient à enterrer.

Et cette histoire ne s'arrêtait pas simplement à creuser des trous.

Il se rappela de la silhouette de Meria pendant qu'elle faisait face au monstre constitué d'un tas de chair. De son bras arraché puis volant dans les airs. De son torse transpercé.

Évidemment, Mole savait déjà ce que la gardienne du cimetière avait à endurer.

— ...

Sans changement sur son visage depuis sa question, la fille resta complètement silencieuse et immobile. Des fois, ses petites lèvres frissonnaient.

Cependant, même si la fille n'avait à aucun moment dit « non », Mole sentait déjà qu'à la fin de ce conflit intérieur, un refus l'attendait.

Qu'est-ce que je peux faire d'autre ?

Puis, comme cet autre jour, Mole tenta de saisir sa main...

Mais ses doigts échouèrent dans le vide ; elle avait esquivé son geste.

— Je suis désolé, dit rapidement Mole. Qu'est-ce qui m'a pris ? Oublie ça. J'étais juste...

— Non, l'interrompit Meria. C'est de ma faute.

Puis elle continua en secouant la tête.

— Tu n'y es pour rien... Je... Je ne peux pas quitter ce cimetière.

Mole ne savait pas quoi répondre.

D'une certaine façon, les propos de Meria semblaient purement littéraux. Ce n'était pas un problème psychologique ou quelque chose du genre ; elle voulait vraiment dire que cela lui était physiquement impossible de quitter cet endroit.

Mais pourquoi donc ?

— Mole.

En entendant son nom, Mole leva les yeux.

— Tu peux venir avec moi un instant ?


#


Pendant que la fille tenait la lampe et ouvrait la marche, les deux traversèrent lentement le cimetière.

Sur le chemin, ils n'échangèrent pas un mot.

Le regard de Mole était plus focalisé sur le dos de Meria pendant qu'elle marchait devant lui que sur ses pieds qu'il pouvait à peine voir dans l'obscurité. Sur ses petites épaules, sur les bosses causées par ses omoplates sous ses vêtements et sur l'arrière de sa tête couvert par sa capuche.

Pourquoi est-ce qu'elle porte toujours sa capuche ? La question avait soudain fait irruption dans son esprit pendant qu'il la regardait.

Elle ne lui faisait pas honneur et il trouvait que c'était du gâchis de cacher ses beaux cheveux pour ne montrer que quelques mèches. Il ne l'avait vue que deux fois sans sa capuche. La première était quand elle se lavait et la seconde quand le monstre avait réduit en lambeaux sa pèlerine. La fois où elle était trempée avait été brève, tandis que l'autre où elle était couverte de sang... un peu moins. En y repensant, il pressentait qu'il ne la reverrait plus jamais sans.

Si je la lui retirais, je me demande comment elle réagirait.

Tout en ressassant cette idée, il fut soudain prit par un mélange d'idées impures et d'envies coquines... Mais, en y réfléchissant à deux fois, Mole se tapa les joues.

Je sais que c'était il y a pas si longtemps, mais je me demande si elle a déjà oublié à quel point j'ai été stupide l'autre jour.

Il se remémora ensuite l'instant d'avant où il avait tenté d'attraper sa main blanche, avec le résultat qu'on connait. Et quand il y repensait, il avait vraiment l'impression que s'il arrachait sa capuche sans raison, elle réagirait sûrement comme s'il avait soulevé sa jupe.

Mais un jour, j'ai envie de voir à quoi elle ressemble quand elle est en colère.

Tandis qu'il était pris par ces pensées stupides, la fille qui marchait devant lui s'arrêta.

Un peu devant eux se trouvait le gigantesque arbre au centre du cimetière. L'épais feuillage en haut de l'arbre bloquait le clair de lune et projetait une ombre sur le sol.

Et il y avait devant la fille une pierre tombale. Bien que Meria l'avait intentionnellement amené ici, elle se tenait debout sans rien dire.

Derrière la fille, Mole lut l'épitaphe.

Dessus était inscrit une date deux ans auparavant et...

— Ma... ri... a...?

C'était le nom d'une personne que le garçon ne connaissait pas.

C'était également le nom qui s'était échappé des lèvres de la fille l'autre jour.

— Maria était également une gardienne de cimetière, dit la fille exactement comme ce qu'indiquait la pierre.

— C'était ta mère ? tenta de deviner Mole, étant donné que leurs noms se ressemblaient.

Cependant, la fille secoua lentement la tête.

— Je ne pense pas.

— ... Tu n'en es pas sûre ?

— Maria et moi étions très différentes. Et même si nous étions à peu près du même âge, j'ai toujours vécu ici aussi loin que je puisse m'en souvenir, mais je n'ai jamais rencontré quelqu'un qui se dirait être ma mère.

Ce ton calme était semblable à celui qu'elle employait habituellement, mais pendant qu'elle se tenait devant la tombe, ses mains étaient tristement entrelacées comme si elle se remémorait quelque chose. De là, Mole fut en mesure de comprendre à quel point cette personne nommée Maria manquait à Meria.

— Sûrement... Je pense que « sœur » serait le plus proche... du moins, si Maria me le permet.

Meria se tut à nouveau.

Mole dévisagea la fille. Bien qu'il s'était habitué à son apparence, Mole trouvait son visage magnifique, même maintenant. Et ses sourcils plissés au-dessus de ses paupières fermées semblaient exprimer l'hésitation dans son cœur.

Mole sentit finalement que c'était le moment de lui demander.

— C'est quoi un gardien de cimetière ? demanda-t-il.

— C'est un pilleur de tombe qui vole le pouvoir de l'Obscurité, répondit Meria.

Le garçon se tut.

... Il ne savait pas pourquoi il était anxieux. C'était une bonne chose qu'elle lui ait répondu, mais dans le même temps, il ne savait pas quoi faire. Et incapable de réfléchir, aucun mot ne lui vint à l'esprit.

Tout en regardant par-dessus son épaule, la fille avait les yeux rivés sur les pieds du garçon.

— Mole, tu n'as pas peur de moi ?

Il haussa les épaules. Heureusement, il fut en mesure de répondre en bonne et due forme.

— T'as dit l'autre jour que t'étais pas amie avec ces machins.

— Vraiment ?

La fille pencha la tête sur le côté.

— Tu te souviens pas ? C'était la deuxième fois, je crois. La fois où...

La deuxième fois qu'il avait vu un de ces monstres, la fois où ce dernier se déplaçait activement sur le sol, où il avait plus que perdu son sang-froid. Et donc, se remémorer ces souvenirs était gênant.

Tout en se retournant lentement, la fille dit :

— Connais-tu la puissance de l'Obscurité, Mole ?

— Hum... Juste un peu.

L'Obscurité avait divers noms. Il y avait les démons. Il y avait les morts-vivants. En deux mots, des monstres. Ils n'apparaissaient que la nuit ; ils étaient immortels, et constituaient le plus grand ennemi de l'humanité.

Il avait glané ces bribes d'informations de Corbeau, mais même maintenant, Mole n'était pas sûr jusqu'où il pouvait y croire. Même s'il avait pu vérifier une partie d'entre elles de ses propres yeux.

... Ce qui incluait le corps de la fille.

— J'ignore moi-même ce qu'il est vraiment, dit Meria. Mais un gardien de cimetière désigne quelqu'un qui possède en lui le pouvoir de l'Obscurité.

— En lui ?

— Oui. Comme tu as pu le voir, elle n'est ni vivante ni inanimée... Tu vois, pour L'Obscurité, la forme physique importe peu. Je ne sais pas vraiment comment l'expliquer, mais... Prends une pomme par exemple. Une fois mangée, il ne reste plus que le trognon. Alors, ce n'est plus une pomme, non ?

Pendant ses explications, elle agrémentait souvent ses mots de petits gestes.

— Pour les êtres vivants, c'est exactement la même chose : c'est parce qu'ils gardent leur forme physique qu'ils peuvent continuer à exister. En perdant leur corps physique, ils deviennent quelque chose de différent. Mais, dans le cas de l'Obscurité, imagine de l'argile dotée d'envies de meurtre. Qu'elle ait la forme d'un bloc ou d'une baignoire, ça ne change rien. Elle ne peut pas « mourir ». Alors, quelle que soit la méthode employée, elle retrouvera toujours sa forme initiale...

Puis, Meria se mit à paniquer, comme si elle avait remarqué qu'elle avait dit quelque chose qui pouvait prêter à confusion.

— Mais, hum... Bien entendu, l'argile est juste une métaphore. Ces créatures ne se mélangent pas entre elles. Pas du tout. Au contraire, elles se repoussent les unes les autres. Peut-être qu'on pourrait dire qu'une fois touchées par une Obscurité plus puissante, les plus faibles sont comme asphyxiées. Puis elles entrent dans un état de pseudo mort.

Mole retourna la tentative d'explication de la fille dans tous les sens dans sa tête, luttant pour comprendre.

C'était quelque chose qu'il avait entendue lors d'une leçon de secourisme. Observés à travers un microscope, on se rendait compte que tous les êtres vivants étaient constitués de toutes petites particules appelées « cellules ». Il ignorait comment ils conservaient leur forme, mais quoi qu'il en soit, il avait appris que les animaux avaient des « cellules osseuses » et des « tissus cellulaires » et que ces cellules s'imbriquaient pour former un être vivant.

Mais ces monstres ne semblaient pas suivre les mêmes règles que les autres êtres vivants. Leur corps était constitué de quelque chose qui ne pouvait être tué ni détruit.

— Je possède une part d'Obscurité en moi, dit Meria en posant une main sur sa poitrine.

— Comment ça ? demanda Mole. T'es humaine, non ?

La fille acquiesça profondément, puis, les yeux rivés à ses pieds, elle continua.

— Les Obscurités enfouies dans ce cimetière ne ressuscitent pas. Mais, leur corps gît sous le sol... et...

Meria leva les yeux en direction des denses branches au-dessus d'elle.

— On m'a dit que sous cet arbre est enterré la plus forte des Obscurités, leur roi en quelque sorte. Les racines de l'arbre sortent des germes qui poussent dans son corps, et c'est de là que l'arbre tire ses nutriments. Et donc, à l'intérieur de cet arbre géant coule le pouvoir de l'Obscurité dont il est issu... Et évidemment, il en est de même pour ses fruits.

Au moment où il entendit cela, Mole se rappela de la fois où il l'avait trouvée sous l'arbre en train de manger quelque chose.

L'objet qui était si sombre qu'il semblait aspirer les ténèbres elles-mêmes. Le fruit doté d'un pouls comme s'il était vivant.

Alors, elle veut dire que c'était un mélange de plante et de ces monstres ?

— Ce gigantesque arbre ne porte en lui qu'un fragment de l'Obscurité. Alors le gardien du cimetière, moi, mange ce dernier et vole son pouvoir. Du coup, je me sens comme une pilleuse de tombe. Et avec ce pouvoir, même si les autres Obscurités me touchent ou m'attaquent, elles finiront toutes par être paralysées.

«  Pour répondre à ta question... Oui, je suis humaine, mais dans le même temps, une part de moi est comme l'Obscurité. C'est pour cette raison que je ne peux pas m'éloigner de ce corps enterré sous cet arbre... ou autrement dit, de la fosse commune. Et... que je ne peux pas mourir.

Sérieux ?

Légèrement surpris, le garçon se heurta à une question qui était tapie dans un coin de sa tête depuis un moment.

— Une seconde, tu n'avais pas dit que cette Maria était aussi gardienne du cimetière ?

Si « Maria », que Meria considére comme sa grande sœur, était une gardienne de cimetière, alors ça veut dire qu'elle avait aussi volé le pouvoir de ces monstres. Et dans ce cas, c'est bizarre qu'elle ait une tombe ici, non ? Une épitaphe est une inscription pour honorer la mémoire d'un humain décédé, mais les gardiens de cimetière ne peuvent pas mourir... Je l'ai vu de mes propres yeux.

Ou, y a-t-il d'autres choses qu'elle ne m'a pas encore dit ?

Dans ce cas, Meria...

Peut aussi mourir ?

— Maria...

D'une voix peinée et terrible, qu'on ne pourrait avoir qu'en vomissant du sang, elle parvint à formuler une réponse à sa question.

— Maria... s'est suicidée.

Comme si elle était sur le point de fondre en larmes, les lèvres de Meria tremblaient et elle enchaîna rapidement.

— Quand Maria était là, je n'étais pas une gardienne de cimetière. Du fait des limites de ce procédé, deux humains ne peuvent pas être gardiens en même temps. Malgré tout, sur le moment, j'ignorais les raisons de son geste. Mais après être devenue gardienne, L'Obscurité en forme de tigre à six pattes a dévoré mon bras droit...

La fille glissa sa main sur son bras droit, jusqu'à l'épaule.

De son visage, le garçon pouvait deviner qu'elle était en train de se remémorer le moment où le monstre lui avait arraché le bras. Elle revivait la peur qu'elle avait ressentie... et la douleur.

— La douleur... Je déteste ça, dit-elle.

Sous ses vêtements, Mole sentit la blessure sur sa cuisse droite tressaillir. C'était l'endroit où Dephen l'avait mordu quand il avait tenté de s'échapper. Le gigantesque chien noir s'était sans l'ombre d'un doute retenu de lui arracher la jambe avec sa monstrueuse mâchoire. Et au fil du temps, il en avait même pu oublier qu'il y avait une cicatrice.

Mais immédiatement après la morsure, Mole se souvint qu'il fut prit d'une intense douleur sourde. Même si le chien s'était retenu, la douleur était presque insupportable. Et si cela suffisait à faire autant souffrir...

C'est quoi un corps qui ne peut pas mourir ?

Peu auparavant, il avait été témoin d'une vision horrifique.

Meria avait été tuée à maintes reprises par les innombrables pattes en forme de faux du monstre de chair. Elle avait été transpercée. Elle avait été écrabouillée. Elle avait été ouverte en deux. Elle avait été arrachée. Elle avait été ratatinée... Elle avait été tuée.

C'était des blessures qui auraient dû être fatales. Et que ce soit une chance inouïe ou le contraire, il n'était pas nécessaire de s'inquiéter pour la santé de la victime après de telles blessures. Ne possédant qu'une seule vie, un humain ordinaire ne pouvait souffrir de plus d'une blessure mortelle.

... Mais, l'espace d'une nuit, combien de fois le corps de Meria avait goûté à la douleur de la mort ?

Certes, les blessures qu'elle avait subies avaient disparu, quelle que soit leur gravité. Hélas, les souvenirs, eux, ne pouvaient pas s'effacer. Le souvenir de la douleur, le souvenir de la peur... Il n'était pas possible de les soulager et ils s'accumulaient tels des sédiments.

C'était comme une torture. Et c'était d'un très mauvais goût.

Personne ne pouvait supporter pareil traitement ad vitam æternam. Et à force de subir la douleur équivalente à la mort encore et encore, il n'y avait aucun doute que quelqu'un finirait par penser que mourir était préférable.

« Les gardiens de cimetière ne peuvent pas mourir », avait dit Meria.

Mais c'était un mensonge.

Ils peuvent mourir.

Leur cœur peut mourir.

Et alors ils finissent par se résigner face à la mort.

Il en était de même pour Meria.

— Elle s'est décomposée à la lumière du soleil, dit la fille d'un ton cruel et pragmatique. Alors que le ciel s'éclaircissait, les étoiles avaient disparu. Je voulais l'arrêter, mais je ne savais pas quoi faire. Rien de ce que je pouvais dire ne parvenait à son esprit, alors je n'ai rien pu faire d'autre que regarder. Puis un premier rayon de lumière a frappé Maria. Alors que la lumière du printemps aurait dû être douce, pour Maria, c'était comme si c'était de l'huile bouillonnante. Et quand la lumière l'a entièrement recouverte, tel un ver, elle s'est mise à gigoter sur le sol. C'était comme si le pouvoir de L'Obscurité en elle était en train de déchiqueter son corps...

Mole ne connaissait pas la personne que Meria décrivait. Alors quand il ferma les yeux, la scène qu'il imagina derrière ses paupières était celle d'une fille aux cheveux auburn, prenant flamme sous la lumière du soleil.

Il n'y avait aucun moyen de vérifier le degré d'exactitude de ce qu'il imaginait, mais une chose était sûre, c'était arrivé à cet endroit-même... au niveau de cette tombe... à ses pieds.

— Enveloppée par la lumière, elle semblait souffrir le martyr. Et malgré ça, elle avait également l'air heureuse. Je pouvais comprendre rien qu'en regardant qu'elle était heureuse de pouvoir enfin mourir. Mais Maria s'est mise ensuite à pleurer. Elle pleurait pour moi, la fille qu'elle abandonnait à son sort. Oui, elle savait que j'allais lui succéder après sa mort.

La fille caressa doucement la pierre tombale en parlant.

— Puis, j'ai enterré le corps sans vie ici.

Un silence s'abattit.

Mole n'avait pas de... de... de... mots. Il avait été profondément bouleversé par ce qu'elle lui avait raconté, quelque chose qu'il n'avait jamais vécu de sa vie.

— Je suis désolée, Mole, dit-elle soudainement.

Pourquoi s'excusait-elle ? La confusion de Mole n'en fut que plus grande. C'est moi qui devrais m'excuser... mais... mais... je...

La fille regardait dans sa direction, mais son regard ne croisait pas le sien.

— Tu n'es pas venu ici de ta propre volonté, alors ce ne sont pas des choses que tu devrais entendre... dit-elle, mais elle continua alors d'un ton bien plus joyeux, Depuis que je suis devenue gardienne, j'ai toujours été seule et il ne m'est jamais rien arrivé de bien. Je ne peux plus voir la lumière du soleil... J'ai vécu beaucoup de choses horribles. Je ne peux aller nulle part alors je m'étais dit que garder ce cimetière était suffisant. Mais je n'ai jamais été heureuse.

Tout en tirant sa capuche pour cacher encore plus son visage, Meria posa sa main par-dessus sa bouche.

— Mais c'était jusqu'à ce que tu me laisses devenir ton amie.

Sous sa main, Mole put sentir le visage de Meria s'adoucir légèrement... et pour la première fois, il aperçut également... son sourire.

Les tempes de Mole se mirent à battre.

Je m'échapperai. Une fois encore, il récita ces mots dans sa tête. C'était la seule raison pour laquelle je me suis approché de toi.

Afin d'obtenir la coopération de quelqu'un connaissant le cimetière, il devait dans un premier temps s'approcher de la fille. Tel avait été son plan initial et maintenant, cela portait ses fruits.

Elle lui faisait confiance et comprenait qu'il n'aurait pas dû se retrouver là.

De ce fait, il n'était pas erroné de penser qu'il avait fait un grand pas vers le succès. Cependant...

C'est une grande réussite, alors pourquoi je me sens aussi vide ?

Est-ce que je ne fais que me voiler la face ?

Pour parvenir à ses fins, il n'y avait pas tant d'options disponibles pour un galérien comme lui. Et tout aurait été pour rien s'il échouait maintenant. Alors il se demanda fermement :

Qu'est-ce que je devrais faire ?

Quel est le meilleur moyen de s'échapper d'ici ?

Toutes ses questions auraient dû être les plus importantes à résoudre.

Néanmoins, même s'il en était bien conscient, il ne pouvait s'empêcher de se demander s'il n'y avait rien qu'il puisse faire pour Meria.



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